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EXPLICATION DU NOTRE PRE par saint Thomas d'Aquin Docteur de lEglise Traduction par un moine de Fontgombault, Nouvelles Editions

Latines, 1978 Note de sermons donns Naples, printemps 1273, prises de notes par Pierre de Andria mise en forme pour l'enregistrement audio par Salettensis Texte disponible Audio disponible http://www.scribd.com/doc/64349665/Explication-du- http://www.archive.org/details/explication_du_Notre_ Notre-Pere-par-st-thomas-d-aquin Pere_par_Saint_Thomas_d_Aquin fichier original sur http://docteurangelique.free.fr, 2008 Les uvres compltes de saint Thomas d'Aquin donn avec le texte latin en regard Table des matires
Introduction par un moine de Fontgombault 1978..................................................................................................................................2 Prologue de saint Thomas dAquin........................................................................................................................................................ 4 II Notre Pre........................................................................................................................................................................ 7 III Qui est dans les Cieux.....................................................................................................................................................9 IV Premire demande : Que votre nom soit sanctifi commentaire par Aldobrandini de Toscanelle ............................12 V Deuxime demande : Que votre rgne arrive Reprise du commentaire de saint Thomas dAquin ............................14 VII Quatrime Demande : Donnez nous aujourd'hui notre pain quotidien.........................................................................21 VIII Cinquime Demande : Et remettez nous nos dettes, comme nous mmes nous remettons nos dbiteurs.................24 IX Sixime demande : Et ne nous laissez pas succomber la tentation.............................................................................27 X Septime demande : Mais dlivrez nous du mal amen................................................................................................30 Explication abrge de l'oraison dominicale.........................................................................................................................................32

Introduction par un moine de Fontgombault Le tmoignage de ses contemporains, au nombre desquels il faut compter plusieurs de ses Frres en religion, nous apprend quun an avant sa mort, depuis le Dimanche de la Sexagsime, 12 fvrier 1273, au jour de Pques, 9 avril, saint Thomas dAquin se consacra avec beaucoup de zle linstruction des fidles, dans lglise conventuelle de saint Dominique, Naples. Il y donna successivement en 1273 des sermons sur le Symbole des Aptres, lOraison dominicale, la Salutation anglique, sur les deux prceptes de la charit et les dix commandements de la loi. Le lien qui unit ces diffrents sujets napparat pas premire vue ; mais le saint Docteur prit la peine de le montrer ses auditeurs. Il y a, leur dit-il, trois choses ncessaires il lhomme pour son salut. La premire est la connaissance de ce quil doit croire, la seconde la connaissance de ce quil doit dsirer, la troisime la connaissance de ce quil doit accomplir. Lhomme apprend la premire de ces connaissances dans le Symbole des Aptres. Il est instruit sur ce quil doit dsirer dans lOraison dominicale ; les deux prceptes de la charit et les dix commandements de la loi le renseignent sur ce quil doit accomplir. Lensemble de ces sermons constituent une vritable catchse prbaptismale. Le Pre Tocco, dominicain, qui assistait aux prdications, rapporte quelles attiraient chaque fois un grand concours de peuple ; la foule coutait le Bienheureux avec vnration, comme si la parole ft venue de Dieu mme. La seule vue de son maintien produisait une impression profonde. Daprs Jean Blasio, juge de Naples, il donna ses deux sermons sur la salutation anglique, les yeux ferms ou levs au ciel lair extatique. Les nombreux auditeurs du saint, lors de ce Carme de 1273, appartenaient toutes les classes sociales.
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Aussi ne leur adressait-il pas la parole en latin, mais en italien. Le texte latin, qui nous est parvenu, des sermons de saint Thomas, nest donc pas un texte original, mais seulement un rsum. Et il nest pas certain que le saint les ait crits lui-mme de sa main, ni mme quil les ait eus sous les yeux pour y apporter prcisions et corrections. Pourtant tous les auteurs, qui en ont parl (Mandonnet, Michelitisch, Grabman, ... Walz) affirment unanimement leur authenticit. Tous assurent quils expriment fidlement la pense du saint Docteur. Lorigine du texte explique que lon y trouve parfois des obscurits dans lexpression et que lon ne discerne pas toujours parfaitement le lien qui unit les penses. Les citations de lEcriture sainte sont fort nombreuses et il nest pas rare que leur rapport avec le contexte ne paraisse pas clairement. Pour rendre la lecture de la traduction plus aise et plus coulante, nous navons pas hsit supprimer quelques-unes de ces citations, toutes les fois que leur rapport avec le contexte ntait pas assez perceptible. Pour la mme raison, toutes les fois o cela nous a paru ncessaire, nous avons cherch exprimer plus explicitement le mouvement de la pense de saint Thomas, soit en dveloppant ce que dans sa concision le texte latin ne faisait que suggrer, soit mme en modifiant lordre matriel des propositions. Nous avons adopt cette faon de procder pour entrer dans lesprit qui prside cette collection et atteindre le but particulier qui lui a t assign (cf. le premier volume de la Collection Docteur commun, par M. Jean Madiran, Les principes de la ralit naturelle , pp. 15 et suivantes). De toute faon, les lecteurs qui entendent le latin pourront toujours sy rfrer. Les diffrentes ditions ont runi les sermons en quatre opuscules, qui ont pour titres : Explication du Symbole des Aptres ou Sermons sur le Je crois en Dieu Explication de lOraison dominicale ou Sermons sur le Notre Pre Explication de la Salutation anglique ou Sermons sur le Je vous salue Marie Sermons sur les deux prceptes de la charit et les dix commandements de la loi. Il ny a pas de plus belles prires ni de plus familires aux chrtiens que la Salutation anglique et la prire compose par le Seigneur lui-mme et appele du nom mme du Seigneur, Oraison dominicale. En latin, en effet, Seigneur se dit Dominus. Dailleurs, notre sainte Mre, lEglise, elle-mme, dans le chapelet et le Rosaire, unit sans cesse le Notre Pre et le Je vous salue Marie . * ** Il est bien certain que lhomme ne peut rien faire de plus grand et que rien nest plus ncessaire son salut, que dlever son me vers Dieu, pour lattacher sa Majest. Or, cest par la prire que lhomme slve vers le Seigneur et sunit lui. Et plus sa prire est parfaite, plus son union avec Dieu est grande. Mais quelle est au monde la prire la plus parfaite et la plus sanctifiante, sinon celle que le Fils de Dieu, Dieu lui-mme, a compose et nous a donne ? Il importe donc souverainement de bien comprendre cette sublime prire dans toutes ses demandes pour la faire pleinement ntre. Puisse la lecture attentive des explications de saint Thomas sur lOraison dominicale nous aider mieux pntrer le sens profond des diffrentes parties de cette divine prire. Traduction par un moine de Fontgombault, Nouvelles Editions Latines, 1970
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PROLOGUE DE SAINT THOMAS DAQUIN


[deux paragraphes servent de prologue au N. P. nous verrons d'abord que le Notre Pre possde excellemment les cinq qualits requises pour toute prire. puis les heureux effets de la prire en ce qu'elle produit trois sortes de biens.]

A. Le Notre Pre possde excellemment les cinq qualits requises pour toute prire. 1. Parmi toutes les prires, loraison dominicale occupe manifestement la place principale. Elle possde en effet les cinq qualits excellentes, requises pour la prire. Celle-ci doit tre a) confiante, b) droite, c) ordonne, d) dvote e) humble. 2. La prire doit tre confiante, comme saint Paul lcrit aux Hbreux (4, 16) : Approchons-nous donc avec assurance du trne de la grce, dit-il, afin dobtenir misricorde et de trouver grce pour un secours Opportun. Loraison doit aussi procder dune foi sans dfaillance, daprs saint Jacques (1, 6) : Lun de vous, dclaret-il, manque-t-il de sagesse, quil la demande Dieu... mais quil la demande avec foi, sans hsitation aucune. Pour plusieurs raisons, le Notre Pre est la prire la plus sre, la plus confiante. Nest-elle pas, en effet, luvre de notre avocat, du plus sage des orants, du possesseur de tous les trsors de la sagesse (cf. Col 2, 3), de celui dont saint Jean a dit (1 Jean 2, 1) : Nous avons prs du Pre un avocat, Jsus-Christ le Juste ? Saint Cyprien crit dans son trait de loraison dominicale : Comme nous avons le Christ comme avocat auprs du Pre pour nos pchs, dans nos demandes de pardon pour nos fautes, prsentons en notre faveur les paroles de notre avocat. Loraison dominicale nous parat aussi une prire plus assure dtre exauce que tout autre pour le motif suivant : Celui qui, avec son Pre, coute favorablement cette prire, est le mme qui nous la enseigne ; comme il laffirme au Psaume 90 (Vers. 15) : Il criera vers moi et je lexaucerai. Cest faire au Seigneur une prire amie, familire et dvote, dit saint Cyprien, que de sadresser lui en reprenant ses propres paroles. Aussi en retire-t-on toujours quelque fruit, et, selon saint Augustin, par elle Dieu remet les pchs vniels. 3. Notre prire doit, en second lieu, tre droite, cest--dire quelle doit nous faire demander Dieu les biens qui nous conviennent. La prire, dit saint Jean Damascne, est la demande Dieu des dons quil convient de solliciter. Fort souvent, la prire nest pas exauce pour avoir implor des biens qui ne nous conviennent pas vraiment. Vous demandez et vous ne recevez pas, dit saint Jacques (4, 3), parce que vous demandez mal. Il est bien difficile de savoir avec certitude ce quil faut demander, car il lest tout autant de savoir ce quil faut dsirer. Et il nest permis de demander dans la prire que ce quil est permis de dsirer. Aussi bien lAptre le reconnat, quand il crit aux Romains (8, 26) : Nous ne savons pas prier comme il faut, ajoutant dailleurs aussitt : mais lEsprit lui-mme intercde pour nous en des gmissements ineffables. Mais nest-ce pas le Christ qui est notre docteur ? Cest bien lui de nous enseigner ce que nous devons demander, puisque ses disciples lui dirent (Luc 11, 1) : Seigneur, apprenez-nous prier.
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Les biens quil nous a appris demander dans la prire, il est donc trs convenable et trs sage de les demander. Si nous prions dune manire juste et convenable, dit saint Augustin, quels que soient les termes dont nous usons, nous ne disons rien dautre que ce qui est contenu dans cette Oraison dominicale. 4. En troisime lieu, la prire doit tre ordonne et rgle, comme le dsir lui-mme, dont la prire est linterprte. Lordre convenable consiste en ce que nous prfrions dans nos dsirs et nos prires les biens spirituels aux biens corporels, les ralits clestes aux ralits terrestres, conformment la recommandation du Seigneur (Mt 6, 33) : Cherchez premirement le royaume de Dieu et sa justice ; et le reste le manger, le boire et le vivre vous seront donns par surcrot. Dans loraison dominicale, le Seigneur nous a appris observer cet ordre. On y demande en effet dabord les ralits clestes et ensuite les biens terrestres. 5. La prire, en quatrime lieu, doit tre fervente. Lexcellence de la dvotion, en effet, rend le sacrifice de la prire agrable Dieu. En votre nom, Seigneur, jlverai mes mains, dit le Psalmiste (Ps. 62, 5, 6), et mon me se gorgera, comme de moelle et de graisse. La prolixit de la prire, le plus souvent, affaiblit la dvotion ; aussi le Seigneur nous enseigne viter cette prolixit superflue. Dans vos prires, dit-il (Mt 6, 7), ne multipliez pas les paroles, comme font les paens. Saint Augustin crivant Proba, dit aussi : Bannissez de la prire labondance des paroles ; cependant ne manquez pas, si votre attention demeure fervente, de beaucoup supplier. Telle est la raison pour laquelle le Seigneur institua cette brve prire du Notre Pre. 6. La dvotion vient de la charit, qui est insparablement amour de Dieu et du prochain. Cette prire du Notre Pre est une manifestation de ces deux amours. Pour montrer en effet notre amour Dieu, nous lappelons Pre , et pour signifier notre amour pour le prochain, nous prions pour tous les hommes ensemble, en disant : notre Pre, et pousss par le mme amour, nous ajoutons : remettez-nous nos offenses. 7. Notre oraison doit, en cinquime lieu, tre humble, suivant cette parole du Psalmiste (Ps. 101, 18) : Dieu a regard la prire des humbles. Une prire humble est une prire srement exauce. Le Seigneur nous le montre dans lvangile du Pharisien et du Publicain (Luc 18,9-15). Et Judith (9, 16), priant le Seigneur, lui disait : Vous avez toujours eu pour agrable la supplication des humbles et des doux. Cette humilit est pratique dans lOraison dominicale, car la vritable humilit existe, quand quelquun nattend que de la puissance divine tout ce quil en doit obtenir.
[Loraison dominicale possde ainsi les cinq qualits requises pour la prire : qui sont a) confiance, b) droiture, c) ordre, d) dvotion [i.e. Provenant de la charit] et e) humilit. Le prologue se poursuit par un second paragraphe montrant que la prire produit trois sortes de biens. Elle constitue un remde utile et efficace contre les maux. Elle est un moyen utile et efficace pour la ralisation de tous nos dsirs. Elle nous rend les familiers de Dieu.]

B. Les heureux effets de la prire 8. Il faut remarquer que la prire produit trois sortes de biens. Premirement, elle constitue un remde utile et efficace contre les maux.
[et ceci sous trois rapports]

Elle nous dlivre en effet des pchs commis. Vous avez remis, Seigneur, liniquit de mon pch, dit le Psalmiste (Ps. 31, 5, 6) ; cest pourquoi tout homme saint vous adressera sa prire. Ainsi pria le larron sur la croix et il obtint son pardon, car Jsus lui rpondit : En vrit je te le dis, aujourdhui tu seras avec moi dans le Paradis (Luc 23, 43). De la mme manire le publicain pria, et il revint sa demeure justifi (cf. Luc 18, 14). La prire nous affranchit de la crainte des pchs venir, des tribulations et de la tristesse. Quelquun dentre vous est-il dans la tristesse dit saint Jacques (5, 13), quil prie avec une me tranquille. La prire nous dlivre aussi des perscutions et de nos ennemis. Il est crit en effet au Psaume 108 (vers. 4) : Au lieu de maimer, on me fait du tort, mais moi, je vous adresse ma prire. 9. Deuximement, la prire est un moyen utile et efficace pour la ralisation de tous nos dsirs. Tout ce que vous demanderez dans la prire, dit Jsus (Marc, 11, 24), croyez que vous le recevrez. Et si nous ne sommes pas exaucs, cest ou bien parce que nous ne demandons pas avec insistance ; il faut en effet toujours prier et ne pas se lasser, dit le Christ Jsus (Luc 18, 1) ou bien parce que nous ne demandons pas ce qui est le plus utile notre salut. Le Seigneur est bon, dit en effet saint Augustin, souvent il ne nous accorde pas ce que nous voulons, pour nous donner les biens que nous prfrerions possder, si notre volont tait davantage accorde avec la sienne. Saint Paul en est un exemple, car par trois fois il demanda dtre dlivr dune douleur poignante dans sa chair et il ne fut pas exauc (cf. 2 Co. 12,8). 10. Troisimement, loraison est utile, parce quelle nous rend les familiers de Dieu.

Que ma prire, disait le Psalmiste (Ps. 140, 2), demeure devant vous, comme un encens lodeur pntrante et persistante.

[Loraison dominicale possde ainsi les cinq qualits requises pour la prire : qui sont la a) confiance, b) droiture, c) ordre, d) dvotion [i.e. Provenant de la charit] et e) humilit. Le prologue se poursuit par un second paragraphe montrant que la prire produit trois sortes de biens. Elle constitue un remde utile et efficace contre les maux. Elle est un moyen utile et efficace pour la ralisation de tous nos dsirs. Elle nous rend les familiers de Dieu. Ainsi se conclu le Prologue et St Thomas passe l'explication de chacun des termes composant l'oraison dominicale.]

II NOTRE PRE

En latin, le premier mot de loraison dominicale est : Pater, Pre. [A.] 11. Demandons-nous : Comment Dieu est-il Pre ? Et quelles sont nos obligations son gard, du fait de sa paternit ? [A. 1. comment Dieu est il Pre] a) Nous lappelons Pre cause de la manire particulire dont il nous a crs. Il nous cra en effet son image et sa ressemblance, image et ressemblance quil nimprima pas dans les autres cratures infrieures lhomme. Il est lui-mme notre Pre, dit le Deutronome (32, 6), lui qui nous a faits et nous a crs. b) Il mrite aussi le nom de Pre, cause de sa sollicitude particulire, envers les hommes, dans le gouvernement de lunivers. Si rien, en effet, nchappe son gouvernement, celui-ci sexerce diffremment envers nous et envers les cratures infrieures nous. Celles-ci, il les gouverne comme des esclaves, mais nous, il nous gouverne comme des matres. Pre, dit le livre de la Sagesse (14, 3), votre providence rgit et conduit toutes choses ; et (Sag. 12,18) vous disposez de nous avec beaucoup dgards. c) Dieu enfin a droit au nom de Pre, parce quil nous a adopts. Tandis quaux autres cratures il na fait que de petits prsents, il nous a fait, nous, don de son hritage, et cela parce que nous sommes ses fils. Parce que nous sommes ses fils, dit saint Paul (Rom 8, 17), nous sommes ses hritiers, et (verset 15) : Vous navez pas reu un esprit de servitude pour retomber dans la crainte, mais vous avez reu un esprit dadoption, qui nous fait crier : Abba, Pre. [A. 2. quelles sont nos obligations son gard, du fait de sa paternit ?] 12. Parce que Dieu est notre Pre, nous avons envers lui une dette quadruple.

a) Nous lui devons, en premier lieu, lhonneur. Si je suis Pre, dit-il par Malachie (1, 6), o est lhonneur qui mest d ? Cet honneur consiste en trois choses : la premire regarde nos devoirs envers Dieu, la deuxime nos devoirs envers nous-mmes, la troisime nos devoirs envers le prochain. Lhonneur d au Seigneur consiste, dabord, offrir Dieu le don de la louange, suivant ce qui est crit (Ps. 49, 23) : Le sacrifice de la louange mhonorera. Cette louange doit se trouver non seulement sur les lvres, mais aussi dans le cur. Il est dit en effet dans Isae (29, 13) : Ce peuple mhonore des lvres, mais son cur est loin de moi. Lhonneur d Dieu consiste, deuximement, dans la puret de notre corps, car lAptre crit (l Co 6, 20) : Glorifiez et portez Dieu dans votre corps. Il consiste, enfin, cet honneur, dans lquit de nos jugements sur le prochain. Le Psaume 98 (Vers. 4) dit en effet : Lhonneur du roi aime la justice. 13. b) Nous devons, en second lieu, imiter Dieu, parce quil est notre Pre. Vous mappelez Pre, dit le Seigneur en Jrmie (3, 9), et vous ne cesserez de marcher aprs moi.
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Limitation de Dieu, pour tre parfaite, requiert trois choses. La premire est lamour. Soyez, dit saint Paul (Eph 5, 1-2), des imitateurs de Dieu, tels des enfants bien-aims, et marchez dans lamour. Et cet amour doit se trouver dans notre cur. La seconde, cest la misricorde. Lamour doit en effet saccompagner de misricorde, suivant cette recommandation de Jsus (Luc 6, 36) : Soyez misricordieux. Et cette misricorde doit se montrer par les uvres. Limitation de Dieu requiert troisimement la perfection, parce que dilection et perfection doivent tre parfaites. Cest en effet aprs avoir parl des dispositions et des uvres serviles que le Seigneur a dit dans le sermon sur la Montagne (Mt, 5, 48) : Soyez parfaits comme votre Pre cleste est parfait. 14. c) Nous devons, en troisime lieu, lobissance notre Pre. Nos pres selon la chair, dit saint Paul (Hebr 12, 9), nous ont corrigs et nous les respections ; combien plus forte raison devons-nous nous soumettre au Pre des esprits. Lobissance est due au Pre cleste cause de son souverain domaine. Il est en effet le Seigneur par excellence. Aussi les Hbreux au pied du Sina dclarrent-ils Mose (Ex 24, 7) : Tout ce qu dit le Seigneur nous le mettrons en pratique et nous obirons. Notre obissance est fonde ensuite sur lexemple du Christ. Lui, le vrai Fils de Dieu, dit saint Paul (Phil 2, 8) sest fait obissant son Pre jusqu la mort. Le troisime motif de notre obissance est enfin notre intrt. David, en effet, dit de Dieu (2 Rois 6, 21) : Je jouerai devant le Seigneur qui ma choisi. 15. d) En quatrime lieu, et toujours parce que Dieu est notre pre, nous lui devons dtre patients, quand il nous chtie. Mon fils, disent les Proverbes (3, 11-12), ne rejette pas la correction du Seigneur ; ne faiblis pas, quand il te corrige. Le Seigneur en effet chtie celui quil aime et il se complat en lui, comme un Pre en son fils. [B. Noster] 16. Le Seigneur nous prescrit de dire son Pre, dans lOraison dominicale, non pas Pre , mais Notre Pre . Ce faisant, il nous montre quels sont nos devoirs envers nos proches. A nos proches, nous devons, premirement, lamour, parce quils sont nos frres ; tous, en effet, sont fils de Dieu. Qui naime pas son frre quil voit, dit saint Jean (1 Jean 4, 20), comment peut-il aimer Dieu quil ne voit pas ? En second lieu, nous devons nos semblables le respect. Navons-nous pas tous un Pre unique, dit Malachie (2, 10). Nest-ce pas un seul Dieu qui nous a crs ? Pourquoi donc chacun de vous mprise-t-il son frre ? Et saint Paul crit aux Romains (12,10) : Prvenez-vous dhonneur les uns les autres. Laccomplissement de ce double devoir nous procure un avantage trs dsirable, puisque le Christ, dit saint Paul (Heb 5, 9), est devenu pour tous ceux qui lui obissent principe de salut ternel.

III QUI EST DANS LES CIEUX


[aprs une brve introduction, nous verrons que le Seigneur a employ lexpression qui tes dans les cieux pour trois raisons diffrentes : - cette expression a pour objet de nous prparer la prire, - elle peut se rapporter la facilit de Dieu entendre notre prire, du fait de sa proximit par rapport nous - et en troisime lieu elle peut se rapporter la toute puissance du Pre pour nous exaucer. Puis nous verrons dans un second mouvement que ces paroles, adresses notre Pre nous donnent, au moment de la prire, un triple motif de confiance, confiance qui repose : - sur sa puissance, si, par les cieux, nous entendons les cieux matriels et visibles. - sur ce quil est prsent intimement en nous et dans les saints, qui nous font bnficier de leur patronage - sur la convenance de notre demande car les cieux dsignent les biens spirituels et ternels, objet de la batitude.]

[A] 17. Parmi les dispositions ncessaires celui qui prie, la confiance a une importance considrable. Que celui qui fait une demande Dieu, dit en effet saint Jacques (1, 6), la lui adresse avec foi, sans hsitation aucune. Le Seigneur, au dbut de loraison quil nous enseigne, expose les motifs qui font natre la confiance. Cest dabord la bienveillance du Pre. Aussi le Seigneur dit-il : Notre Pre. Si vous, dit le mme Seigneur (Luc 11, 13), tout mauvais que vous tes, savez donner vos fils de bonnes choses, combien plus votre Pre cleste vous donnera du haut du ciel, vous qui le lui demandez, son bon Esprit. Un autre motif de confiance, cest la grandeur de la puissance du Pre, ce qui fait dire au Seigneur, non pas simplement : Notre Pre, mais : Notre Pre, qui tes dans les cieux. Le psalmiste dit de mme Dieu (Ps. 122, 1) : Jai lev mes yeux vers vous, qui habitez dans les cieux. [B] 18. Le Seigneur a employ lexpression qui tes dans les cieux pour trois raisons diffrentes.

a) En premier lieu, cette expression a pour objet de nous prparer la prire, comme nous le commande lEcclsiastique (18, 2-3) : Avant la prire, prpare ton me. Assurment la pense que notre Pre est dans les cieux, cest--dire dans la gloire cleste, nous prpare lui adresser nos demandes. Dans la promesse du Seigneur ses Aptres (Mt 5, 12) : votre rcompense sera grande dans les Cieux, lexpression dans les cieux a galement le sens de dans la gloire cleste .
[trois choses sont considrer]

La prparation la prire se ralise par limitation des ralits clestes car le fils doit imiter son pre. Aussi saint Paul crit-il aux Corinthiens (1 Co 15, 49) : Comme nous avons revtu limage de lhomme terrestre, il nous faut aussi revtir limage de lhomme cleste. La prparation la prire requiert aussi la contemplation des choses clestes. Les hommes en effet ont coutume de diriger leur pense plus frquemment vers le lieu o est leur pre et ou se trouvent les autres tres, objet de leur amour, suivant cette parole du Seigneur (Mt 6, 21) : L o est ton trsor, l est aussi ton cur. Cest pourquoi lAptre crivait aux Philippiens (l,
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20) : Notre demeure nous est dans les cieux. La prparation la prire rclame enfin que nous aspirions aux choses clestes. A celui qui est dans les cieux en effet, nous ne devons demander que les choses clestes, suivant ces paroles de saint Paul (Col 3, 1) : Cherchez les choses den haut, l ou est le Christ. 19.b) En second lieu, les paroles : Notre Pre, qui tes aux cieux peuvent se rapporter la facilit de Dieu entendre notre prire, du fait de sa proximit par rapport nous.

Ces paroles Notre Pre qui tes aux cieux signifient alors : notre Pre qui tes dans les saints ; Dieu en effet habite en eux. Jrmie le dit au Seigneur (14, 9) : Seigneur, vous tes en nous. Les saints sont effectivement appels cieux, daprs ces paroles du Psaume 18 (Vers. 2) : Les cieux racontent la gloire de Dieu. Or Dieu habite dans les saints par la foi. Saint Paul crit en effet aux Ephsiens (3, 17) : Que le Christ habite dans vos curs par la foi. Il habite galement dans les saints par la charit. Celui en effet qui demeure dans la charit, dit saint Jean (I Jn 4, 16), demeure en Dieu et Dieu en lui. Dieu demeure aussi dans les saints, par laccomplissement des commandements. Si quelquun maime, dclare le Seigneur (Jn 14, 23), il gardera ma parole, et nous viendrons lui, et nous ferons en lui notre demeure. 20. c) En troisime lieu, les paroles : qui tes aux cieux peuvent se rapporter la toute puissance du Pre pour nous exaucer. Dans ce cas, le mot cieux dsigne les cieux matriels et visibles ; non que nous voulions signifier que Dieu y soit renferm, car il est crit (2 Rois, 18, 27) : Voici que les cieux et les cieux des cieux ne peuvent vous contenir. Mais ces paroles : qui tes dans les cieux montrent : que Dieu, par son regard, est clairvoyant et pntrant, parce quil voit de trs haut. Il a regard de sa sainte hauteur, dit le Psaume 101 (Vers. 20) ; quil est sublime dans son pouvoir selon cette parole (Ps. 102, 19) : Le Seigneur a dispos son trne dans les cieux ; quil est stable dans son ternit, selon ces autres paroles (Ps. 101, 13 et 28) : Seigneur, vous demeurez ternellement et vos annes nont pas de fin. Cest pourquoi il est dit du Christ (Ps. 88, 30) : Son trne est comme le jour du ciel, cest--dire sans fin, comme la dure de ce qui est cleste. Et le Philosophe vient confirmer de son autorit la justesse de cette comparaison, lorsquil remarque dans son trait Du ciel : Cest cause de son incorruptibilit que le ciel a t regard par tous comme tant la demeure des purs esprits . [C] 21. Ces paroles, adresses notre Pre : Qui tes dans les cieux nous donnent, au moment de la prire, un triple motif de confiance, confiance qui repose : sur sa puissance, sur lamiti de ce Dieu, que nous invoquons sur la convenance de notre demande. a) La puissance du Pre que nous implorons nous est suggre par lexpression : Qui tes dans les cieux, si, par les cieux, nous entendons les cieux matriels et visibles. Sans doute Dieu nest pas renferm dans ces cieux matriels ; il le dit en Jrmie (23, 24) : Je remplis le ciel et la terre. On dit toutefois : il est dans les cieux pour insinuer et la vertu de sa puissance et la sublimit de sa
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nature. 22. Contre ceux qui affirment : tout arrive ncessairement par linfluence des corps clestes, si bien quil est inutile de demander quoi que ce soit Dieu par la prire quelle sottise nous disons Dieu : qui tes dans les cieux et vous y tes, par la vertu de votre puissance, comme le Matre de ces mmes cieux et des toiles, suivant cette parole (Ps. 102, 19) Le Seigneur a prpar son trne dans le ciel. 23. Cest galement contre ceux qui dans leurs prires se construisent et se composent des images corporelles de Dieu et leur intention, que nous disons : Qui tes dans les cieux. De la sorte, par ce quil y a de plus lev dans les choses sensibles, nous leur montrons la sublimit de Dieu, surpassant tellement toutes choses, y compris le dsir et lintelligence des hommes, que tout ce que lon peut penser et dsirer est infrieur Dieu. Cest pourquoi il est dit dans Job (32, 26) : Dieu est grand et dpasse notre science, et le Psalmiste crit (Ps. 112, 4) : Le Seigneur est lev au-dessus de toutes les nations, et Isae dclare (40, 18) : A qui avez-vous gal Dieu ? 24. b) Plusieurs ont prtendu que Dieu, cause de son lvation, ne prend pas soin des choses humaines. Il faut au contraire penser quil est proche de nous, bien plus, quil est prsent intimement en nous. Cette familiarit de Dieu avec lhomme nous est signifie par ces paroles de lOraison dominicale : vous, qui tes dans les cieux, condition de lentendre ainsi : vous qui tes dans les saints. Les saints en effet sont des cieux, daprs cette parole du Psaume 18 (Vers. 2) : Les cieux racontent la gloire de Dieu. Il est dit aussi en Jrmie (14, 9) : Vous tes en nous, Seigneur. 25. Cette intimit de Dieu avec les hommes nous inspire deux motifs de confiance quand nous prions le Seigneur. Le premier sappuie sur cette proximit divine, que le Psalmiste montre par ces paroles (Ps. 144, 18) : Le Seigneur est proche de ceux qui linvoquent. Cest pourquoi le Seigneur nous donne cet avertissement (Mt 6, 6) : Pour vous, quand vous priez, entrez dans votre chambre, cest--dire, dans lintrieur de votre cur. Le deuxime motif de confiance repose sur le patronage des saints, par lintercession desquels nous pouvons obtenir ce que nous demandons. Job (5, 1) dit en effet : adressez-vous quelquun des saints, et saint Jacques (5, 16) : Priez les uns pour les autres, afin dtre sauvs. 26. c) Si, en disant au Pre cleste : vous, qui tes dans les cieux, nous pensons que les cieux dsignent les biens spirituels et ternels, objet de la batitude, alors notre dsir des choses clestes senflamme. Notre dsir doit en effet tendre l o est notre Pre, car l aussi est notre hritage. Saint Paul dit aux fidles : Cherchez les biens den haut (Col 3, 1) et saint Pierre (1 Pierre 1, 4) nous parle de cet hritage incorruptible qui nous est rserv dans les cieux. La pense que le Pre est notre Bien spirituel ternel, lobjet de notre batitude, nous invite avec force mener une vie cleste, afin que nous lui devenions conformes. Tel est le cleste, tels aussi seront les clestes, dclare en effet lAptre (l Co 15, 48). Ces deux choses, le dsir de la batitude du ciel et une vie cleste nous disposent incontestablement bien prier le Seigneur et lui adresser une oraison digne de sa Majest.
[ aprs une brve introduction, STA a expos comment lexpression qui tes dans les cieux - a pour objet de nous prparer la prire, - se rapporte la facilit de Dieu entendre notre prire, du fait de sa proximit par rapport nous - et en troisime lieu comment elle se rapporte la toute puissance du Pre pour nous exaucer. Ces paroles adresses N. Pre nous donnent, au moment de la prire, un triple motif de confiance, confiance qui repose : - sur sa puissance, si, par les cieux, nous entendons les cieux matriels et visibles. - sur ce quil est prsent intimement en nous et dans les saints, qui nous font bnficier de leur patronage - sur la convenance de notre demande car les cieux dsignent les biens spirituels et ternels, objet de la batitude, qui est Lui-mme.]

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IV PREMIRE DEMANDE Que votre nom soit sanctifi commentaire par Aldobrandini de Toscanelle

27.

Telle est la premire demande. Elle nous fait prier le Pre cleste que son nom soit en nous manifest et par nous proclam.

Or le nom de Dieu est, tout dabord, admirable parce quen toutes cratures il opre des uvres merveilleuses. Cest pourquoi le Seigneur dclare dans lEvangile (Mc 16, 17) : En mon nom, ils expulseront les dmons, ils parleront des langues nouvelles, et sils boivent quelque poison mortel, il ne leur fera aucun mal. 28. En second lieu, le nom de Dieu est aimable. Il nest sous le ciel, dit saint Pierre (Act 4, 12), aucun autre nom, parmi ceux qui ont t donns aux hommes, qui puisse nous sauver. Or, tous se doivent daimer le salut ; et saint Ignace nous offre un exemple de cet amour. Il aima si ardemment le nom du Christ que, lempereur Trajan layant somm de renier ce nom, il rpondit : Vous ne pourrez pas lter de ma bouche . Le tyran le menaa alors de lui trancher la tte et de retirer de la sorte le Christ de ses lvres. Si vous lenlevez de ma bouche, rplique le bienheureux, vous ne pourrez jamais larracher de mon cur ; jai en effet son nom grav sur mon cur ; cest pourquoi je ne puis pas cesser de linvoquer . Trajan entendit ces paroles et, dsireux den vrifier lexactitude, il fit trancher la tte du serviteur de Dieu, puis il ordonna dextraire son cur et sur ce cur on trouva le nom du Christ grav en lettres dor. Le Saint, en effet, avait plac ce nom sur son cur, comme un sceau. 29. En troisime lieu, le nom de Dieu est vnrable. LAptre affirme en effet (Phil 2, 10) : Quau nom de Jsus tout genou flchisse au ciel, sur la terre et dans les enfers : au ciel, dans le monde des Anges et des Bienheureux ; sur la terre, chez les hommes vivant ici-bas, soit quils dsirent acqurir la gloire cleste, soit quils craignent un chtiment et veuillent lviter ; et dans les enfers, dans le monde des damns, qui, eux, se prosternent avec effroi devant Jsus-Christ. 30. En quatrime lieu, le nom de Dieu est inexprimable, en ce sens quaucune langue nest capable den exprimer toute la richesse. On tente cependant de le faire laide des cratures. Ainsi donne-t-on Dieu le nom de rocher, en raison de sa fermet. Et notons que si le Seigneur donna Simon, futur fondement de lEglise, le nom de Pierre (Mc 3, 16), cest prcisment parce que sa foi en la divinit de Jsus (cf. Mt 16, 18) devait le faire participer sa divine fermet. On dsigne Dieu par le nom de feu, en raison de sa vertu purificatrice ; de mme en effet que le feu purifie les mtaux, Dieu purifie le cur des pcheurs. Cest pourquoi il est dit dans le Deutronome (4, 24) : Votre Dieu est un feu consumant. On appelle encore Dieu lumire, cause de la facult quil possde dilluminer ; comme la lumire en effet claire les tnbres, ainsi Dieu illumine les tnbres de lesprit. Aussi le Psalmiste dans sa prire dit au Seigneur (Ps. 17, 29) : Mon Dieu, illuminez mes tnbres. 31. Nous demandons donc que ce nom de Dieu soit manifest, quil soit connu et tenu pour saint.

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Le mot Saint a trois significations. Saint, dabord, veut dire ferme, solide, inbranlable. Ainsi tous les Bienheureux qui habitent le ciel sont appels saints, parce quils sont, par la flicit ternelle, rendus inbranlables. En ce sens, il ny a pas en ce monde de saints ; les hommes en effet y sont continuellement mobiles. Seigneur, disait saint Augustin, je me suis loign de vous et jai beaucoup err ; je me suis loign de votre stabilit . 32. Saint, en deuxime lieu, signifie ce qui nest pas terrestre. Cest pourquoi les saints, qui vivent dans le ciel, nont aucune affection pour les choses terrestres. Je ne vois en tout quimmondices, disait saint Paul (Phil 3, 8), afin de gagner le Christ. Par le mot terre, on dsigne les pcheurs. Premirement, parce que la terre fait germer, si on ne la cultive pas, des pines et des chardons, comme il est crit dans la Gense (3, 18) ; il en va de mme de lme du pcheur, si elle nest pas cultive par la grce, elle ne produit que les chardons et les pines des pchs. En second lieu, la terre dsigne les pcheurs cause de son obscurit naturelle et de son opacit, symbole de lme tnbreuse et opaque des pcheurs. Il est dit en effet dans la Gense (1, 2) : Les tnbres couvraient la face de labme. En troisime lieu, la terre est limage des pcheurs, parce que, si elle nest pas agglutine par de leau, elle se divise et se dsagrge, elle se pulvrise et devient sche ; car le Seigneur a tabli la terre sur les eaux, daprs les paroles du Psalmiste (Ps. 135, 6) : Dieu a affermi la terre sur leau. Ainsi lhumidit de leau remdie laridit et la scheresse de la terre. De mme le pcheur, priv de la grce, na plus quune me sche et aride, ainsi que le constatait lauteur du Psaume (142, 6) : Mon me, dit-il, est une terre sans eau. 33. Enfin, troisimement, saint signifie teint de sang . Aussi les saints qui sont dans le ciel sont appels saints, parce quils sont teints de sang, suivant ces paroles de lApocalypse (7, 14) : Ceux-l qui sont revtus de robes blanches sont ceux qui viennent de la grande tribulation et qui ont lav leurs vtements dans le sang de lAgneau. De ces bienheureux il est dit galement (Apoc 1, 5) : Jsus, qui nous a aims, nous a lavs de nos pchs par son sang.

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V DEUXIME DEMANDE Que votre rgne arrive Reprise du commentaire de saint Thomas dAquin

[S'il fait une brve considration introductive sur le rle du St Esprit dans cette demande, et une considration conclusive sur ce que en demandant la venue du rgne de Dieu nous parviendrons la batitude proclame par le Seigneur (Mt 5, 4) : Bienheureux les doux ; l'explication de cette demande par STA est principalement ordonne autour de la rponse la question : Le rgne de Dieu a toujours exist, pourquoi donc demandons-nous son avnement ? STA apporte trois motifs d'lever cette demande. 1. le rgne de Dieu, sous sa forme acheve, suppose la parfaite soumission de toutes choses Dieu. Ainsi en cette demande, nous demandons trois choses, savoir : Que les justes se convertissent, Que les pcheurs soient punis, Que la mort soit dtruite. 2. En second cette demande est motive par ce que le rgne des cieux dsigne la gloire du paradis. Quand donc nous demandons Dieu : Que votre rgne arrive, nous le prions de nous faire triompher de ces obstacles pour nous donner part son royaume cleste et la gloire du paradis. Et ce royaume cleste est extrmement dsirable, dtaillera STA, en raison de la souveraine justice qui y rgne, de la trs parfaite libert qui y est le partage de tous les lus et cause de la merveilleuse abondance de ses biens. 3. Le troisime motif de demander Dieu la venue de son rgne, cest que parfois le pch rgne et triomphe en ce monde. Quand donc nous demandons la venue du rgne de Dieu, nous demandons que ne rgne plus en nous le pch, mais Dieu seul et pour toujours.]

34.

Comme il a t dit, lEsprit-Saint nous fait droitement aimer, dsirer et demander ce quil convient daimer, de dsirer, de demander (n 3).

Cet Esprit produit en nous dabord la crainte, qui nous porte rechercher la sanctification du nom de Dieu. Il nous accorde ensuite un autre don : le don de pit. La pit est proprement une affection tendre et dvoue pour un pre et aussi pour tout homme plong dans la misre. Comme Dieu est bien notre Pre, nous devons donc non seulement le vnrer et le craindre, mais aussi nourrir pour lui une affection tendre et dlicate. Cest cette affection qui nous fait demander lavnement du rgne de Dieu. La grce de Dieu est apparue... dclare saint Paul (Tit 11, 11-13), nous enseignant vivre avec modration, justice et pit dans le temps prsent, dans lattente de la bienheureuse esprance et de lapparition glorieuse de notre grand Dieu. 35. Mais on pourrait se poser la question : Le rgne de Dieu a toujours exist, pourquoi donc demandons-nous son avnement ? Il faut rpondre : cette demande : Que votre rgne arrive peut sentendre de trois manires. a) En premier lieu, le rgne de Dieu, sous sa forme acheve, suppose la parfaite soumission de toutes choses Dieu.

Il arrive parfois quun roi ne possde que le droit de rgner et de commander ; et cependant il ne semble pas encore tre roi effectivement, parce que ses sujets ne lui sont pas encore soumis. Il napparatra vraiment roi et seigneur, que le jour o les sujets de son royaume lui obiront. Sans aucun doute Dieu, par lui-mme et par tout ce quil est, est Matre de lunivers ; et le Christ, du fait quil est Dieu, et mme en tant quhomme, tient de Dieu dtre, lui aussi, le Seigneur
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de toutes choses. LAncien des jours, est-il dit dans Daniel (7, 14), lui a donn la puissance, lhonneur et la royaut. Il faut donc que tout lui soit soumis. Mais il nen est pas encore ainsi ; cela se ralisera la fin du monde. Il est crit en effet (l Co 15, 25) : Il faut quil dploie son rgne, jusqu ce quil ait plac tous ses ennemis sous ses pieds. Voil pourquoi nous demandons et nous disons : Que votre rgne arrive. 36. Et ce faisant, nous demandons trois choses, savoir : Que les justes se convertissent, Que les pcheurs soient punis, Que la mort soit dtruite. Les hommes sont soumis au Christ de deux manires Ils le sont, ou bien volontairement, ou bien contre leur gr. La volont de Dieu possde en effet une efficacit telle, quelle ne peut pas ne pas saccomplir totalement. Et puisque Dieu veut que toutes choses soient soumises au Christ, il faudra ncessairement, ou que lhomme accomplisse la volont de Dieu, en se soumettant ses commandements ce que font les justes ou que Dieu ralise sa volont sur tous ceux qui lui dsobissent, cest--dire sur les pcheurs et sur ses ennemis, en les punissant. Et cela aura lieu la fin du monde, quand il placera tous ses ennemis sous ses pieds (cf. Ps. 109, 1). Et cest pourquoi il est donn aux saints de demander Dieu la venue de son rgne, cest--dire leur totale soumission sa royaut. Mais pour les pcheurs, la demande de la venue du rgne de Dieu est propre faire frmir, puisque cest la demande de leur soumission aux supplices, requis par le vouloir divin. Malheur ceux (des pcheurs) qui dsirent le jour du Seigneur, dit Amos (5, 18). Larrive du rgne de Dieu, la fin des temps, sera aussi la destruction de la mort. Le Christ en effet est la vie ; aussi la mort qui est contraire la vie ne peut exister dans son royaume, conformment cette parole (1 Co 15, 26) : La mort, son ennemie, sera dtruite en dernier lieu ; cest--dire, lors de la rsurrection, lorsque, suivant la parole de saint Paul (Phil 3, 21), le Sauveur transformera notre corps de misre pour le rendre semblable son corps de gloire. 37. b) En second lieu, le rgne des cieux dsigne la gloire du paradis. Il ny a l rien dtonnant ; car rgne ne signifie rien dautre que gouvernement Un gouvernement atteint son plus haut point dexcellence lorsque rien ne vient plus faire obstacle la volont de celui qui gouverne. Or la volont de Dieu est le salut des hommes, car Dieu veut les sauver tous (cf. 1 Tim 2, 4). Cette volont divine saccomplira surtout dans le paradis, o il ny aura rien de contraire au salut des hommes ; car, dit le Seigneur (Mt 13, 41), les Anges mettront hors de son royaume tous les scandales. Dans ce monde, au contraire, abondent les obstacles au salut des hommes. Quand donc nous demandons Dieu : Que votre rgne arrive, nous le prions de nous faire triompher de ces obstacles pour nous donner part son royaume cleste et la gloire du paradis. 38. Trois motifs rendent ce royaume extrmement dsirable. Le premier est la souveraine justice qui y rgne. Parlant du peuple qui habite ce royaume, le Seigneur dclare en Isae (60, 21) quil ne sera compos que de justes. Ici-bas les mchants sont mlangs aux bons, mais l-haut il ny aura aucun mchant et aucun pcheur. 39. Le deuxime motif est la trs parfaite libert qui y est le partage de tous les lus. Ici-bas tous dsirent la libert sans la possder pleinement ; mais au ciel on jouit dune libert pleine et entire, sans la plus petite servitude. La cration elle-mme, dit saint Paul (Rom 8, 21), sera (alors) affranchie de lesclavage de la corruption, pour connatre la glorieuse libert des enfants de
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Dieu. Et non seulement tous les lus possderont la libert, mais ils seront rois, selon cette parole de lApocalypse (5, 10), adresse Jsus : De ceux que vous avez rachets, vous avez fait pour notre Dieu un royaume et des prtres, et ils rgneront sur la terre. Ils seront tous rois, parce quils auront, avec Dieu, une seule volont ; Dieu voudra tout ce que les saints voudront et les saints voudront tout ce que Dieu aura voulu. Ils rgneront donc tous, parce que la volont de tous se fera, et Dieu sera leur couronne tous, selon cette parole dIsae (28, 5) : En ce jour le Seigneur des armes sera pour le reste de son peuple une couronne de gloire et un diadme de joie. 40. En troisime lieu, le royaume des cieux est on ne peut plus dsirable, cause de la merveilleuse abondance de ses biens. Lil na pas vu, dit Isae au Seigneur (64, 4), hormis vous seul, ce que vous avez prpar ceux qui vous attendent. Dieu, dit de son ct le Psalmiste (Ps. 102, 5), vous comblera de biens selon votre dsir. Et il faut remarquer ceci : Lhomme trouvera en Dieu seul tout, beaucoup plus excellemment et plus parfaitement que tout ce quil cherche en ce monde . Si vous cherchez la dlectation, vous trouverez, en Dieu, la dlectation suprme. Si vous cherchez les richesses, en Dieu, vous trouverez surabondamment tout ce dont vous aurez besoin et tout ce qui est la raison dtre des richesses. Et il en est de mme pour les autres biens. Lme, qui commet cette fornication de sloigner de vous pour rechercher hors de vous des biens, ne trouve ces biens dans toute leur puret et limpidit, que si elle revient vous , reconnaissait saint Augustin dans ses Confessions. 41. c) Le troisime motif de demander Dieu la venue de son rgne, cest que parfois le pch rgne et triomphe en ce monde. Contre cette calamit, saint Paul slevait : Que le pch, disait-il aux Romains (6, 12), ne rgne pas dans votre cur. Ce malheur arrive, lorsque lhomme est ainsi dispos quil suit aussitt sans rsistance et jusquau bout son inclination au pch. Dieu doit rgner dans notre cur et il y rgne effectivement lorsque nous sommes prts lui obir et observer tous ses commandements. Quand donc nous demandons la venue du rgne de Dieu, nous demandons que ne rgne plus en nous le pch, mais Dieu seul et pour toujours. 42. Par cette demande de la venue du rgne de Dieu, nous parviendrons la batitude proclame par le Seigneur (Mt 5, 4) : Bienheureux les doux.

En effet, daprs la premire explication du Que votre rgne arrive (n 35 a), lhomme, du fait quil dsire voir Dieu reconnu Matre souverain de tout, ne se venge pas de lInjure subie, mais rserve ce soin Dieu ; car, en se vengeant, il rechercherait son triomphe personnel et non la venue du rgne de Dieu. Daprs la deuxime explication (n 37), si vous attendez ce rgne de Dieu, cest--dire la gloire du paradis, vous ne devez pas, perdant les biens de ce monde, vous laisser aller linquitude. De mme, si dans la ligne de la troisime explication (n 41), vous demandez que rgnent en vous Dieu et son Christ, comme Jsus fut trs doux, ainsi quil le dit lui-mme (Mt 11, 29), vous devez, vous aussi, tre doux et imiter les Hbreux dont saint Paul a dit (He 10, 34) : Ils acceptrent joyeusement dtre dpouills de leurs biens.

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VI TROISIME DEMANDE Que votre volont soit faite sur la terre comme au Ciel
[STA expose en trois points en quoi consiste cette volont de Dieu, : En premier lieu, Dieu veut pour nous la possession de la vie ternelle. En second lieu, la volont de Dieu notre gard est que nous observions ses commandements. Quelquun en effet dsire-t-il un bien, non seulement il veut ce bien, mais il veut aussi tous les moyens ncessaires son obtention. D'autre part cette volont de Dieu est accomplie dans les justes, mais elle ne lest pas encore dans les pcheurs. Nous demandons donc que la volont de Dieu c'est dire la grce dobserver ces commandements soit faite sur la terre, cest--dire dans les pcheurs, comme elle est accomplie au ciel, dans les justes. En troisime lieu, Dieu veut de nous que nous soyons rtablis dans ltat et la dignit dans lesquels le premier homme fut cr, dignit et tat si levs que son esprit et son me ne ressentaient aucune opposition de la part de la chair et de la sensualit. Or, cette volont de Dieu ne peut tre accomplie en cette vie. Elle sera ralise la rsurrection des saints, quand leurs corps ressusciteront glorieux, incorruptibles et splendides. Aussi, quand nous disons : Que votre volont soit faite, nous prions le Seigneur de raliser galement sa volont dans notre chair. Dans la demande : Que votre volont soit faite sur la terre comme au ciel, le mot ciel dsigne notre esprit et le mot terre dsigne notre chair. Suivant une dmarche identique la demande prcdente du N.P., cet expos est prcd d'un bref propos sur le rle du St Esprit dans cette troisime demande et suivit d'une conclusion montrant le rapport de cette troisime demande aux Batitudes, Bienheureux ceux qui pleurent, parce quils seront consols.]

43. LEsprit-Saint produit en nous un troisime don, appel le don de science. LEsprit-Saint lui-mme, en effet, ne produit pas seulement dans les bons le don de crainte et de pit, qui est, comme nous lavons vu prcdemment (n 34), un amour dlicat pour Dieu ; il rend aussi lhomme sage. David demandait le don de la science par ces paroles (Ps. 118, 66) : Seigneur, enseignez-moi la bont, la sagesse et la science. Et cest effectivement cette science du bien vivre que le Saint-Esprit nous a enseigne. Parmi les dispositions qui contribuent la science et la sagesse de lhomme, la plus importante est cette sagesse qui porte lhomme ne pas sappuyer sur son propre sens. Ne vous reposez pas sur votre prudence, est-il recommand dans les Proverbes (3, 5). Ceux en effet qui prsument de leur propre jugement, au point de ne se fier qu eux-mmes, et non aux autres, sont considrs comme des insenss, et ils le sont vritablement. Avez-vous vu un homme sage ses propres yeux, dclarent les Proverbes (26, 12), il faut plus esprer dun insens que de lui. Si un homme ne se fie pas son propre jugement, il le doit son humilit, car les Proverbes (11, 2) enseignent que l o se trouve lhumilit, se rencontre aussi la sagesse. Les orgueilleux, au contraire, ont en eux une confiance exagre. 44. Le Saint-Esprit nous enseigne donc, par le don de science, ne pas faire notre volont, mais la volont de Dieu. Par ce don, en effet, nous demandons Dieu que sa volont se fasse sur la terre comme au ciel. Et en ceci se manifeste le don de science. Quand nous disons Dieu : Que votre volont soit faite, il en est de nous comme dun malade, qui accepte quelque remde amer, prescrit par son mdecin ; il ne le veut pas absolument, mais dans la mesure o le mdecin le veut ; autrement, sil le voulait de sa seule volont, il serait un insens. Nous de mme, nous ne devons rien demander Dieu, si ce nest la ralisation de ses vouloirs sur nous, cest--dire laccomplissement de sa volont en nous. Le cur de lhomme, en effet, est droit, ds lors quil saccorde avec la volont divine. Le Christ, lui, a ralis cet accord entre sa volont et la volont divine. Je suis descendu du ciel, dit-il (Jn 6, 38), non pour faire ma volont, mais pour accomplir la volont de celui qui ma envoy. Le Christ, en effet, na, en tant que Dieu, quune seule et mme volont avec son Pre ; mais, en tant quhomme, il a une volont distincte de celle de son Pre. Cest en parlant de cette volont-ci, quil avait dclar : Je ne fais pas ma volont, mais celle de mon Pre. Et cest aussi pourquoi il nous apprend prier et demander : Que votre volont soit faite.

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[II] 45. Mais quelle est la raison dtre de cette prire : Que votre volont soit faite ? Nest-il pas dit de Dieu au Psaume 113 (Vers. 3) : Tout ce quil veut, il laccomplit ? Si Dieu fait tout ce quil veut, au ciel et sur la terre, pourquoi Jsus dit-il : Que votre volont soit faite sur la terre comme au ciel ? 46. Pour comprendre l-propos de cette demande, il faut savoir que Dieu veut pour nous trois choses, dont notre prire demande la ralisation. a) En premier lieu, Dieu veut pour nous la possession de la vie ternelle.

Quiconque en effet accomplit quelque chose pour une fin dtermine, veut que cette chose atteigne la fin pour laquelle il laccomplit. Or Dieu fit lhomme, mais non pas sans dessein. Il est crit, en effet (Ps. 88, 48) : Serait-ce pour rien, Seigneur, que vous avez cr tous les enfants des hommes ? Dieu cra donc les hommes pour une fin. Cette fin, ce ne sont pas les volupts, car les animaux, eux aussi, en jouissent, mais cest la possession de la vie ternelle (cf. Jn 3, 16 ; 10, 10). La volont de Dieu pour lhomme est donc quil entre en possession de la vie ternelle. 47. Quand une chose atteint ce pourquoi elle a t faite, on dit delle quelle est sauve ; lorsquelle ne latteint pas, on dit delle quelle est perdue. Or, lhomme a t fait par Dieu pour la vie ternelle. Lors donc quil y parvient, il est sauv ; et telle est la volont du Seigneur sur lui. Cest la volont de mon Pre qui ma envoy, dit Jsus (Jn 6, 40), que quiconque voit le Fils et croit en lui, possde la vie ternelle. Cette volont est dj accomplie dans les Anges et dans les Saints, qui vivent dans la patrie cleste, car ils voient Dieu, le connaissent et jouissent de lui. Mais nous, nous dsirons que, comme la volont divine sest accomplie dans les Bienheureux qui sont au ciel, elle saccomplisse aussi en nous, qui sommes sur la terre. Et notre dsir, nous en demandons la ralisation au Pre cleste par cette prire : Que votre volont soit faite en nous, qui sommes sur la terre, comme elle est faite dans les Saints, qui sont au ciel. 48. b) En second lieu, la volont de Dieu notre gard est que nous observions ses commandements.

Quelquun en effet dsire-t-il un bien, non seulement il veut ce bien, objet de son dsir, mais il veut aussi tous les moyens ncessaires son obtention. Ainsi le mdecin, pour obtenir au malade la sant, veut pour lui la dite, les remdes et autres choses de ce genre. Or Dieu veut pour nous la possession de la vie ternelle. Au jeune homme qui lui demande (Mt 19, 17) : Que dois-je faire de bon pour avoir en hritage la vie ternelle ? Jsus rpond : Si tu veux entrer dans la vie ternelle, garde les commandements. Saint Paul crit ce propos (Rom 12, 1-2) : Que votre obissance soit spirituelle ; puissiez-vous exprimenter quelle est la volont de Dieu, bonne, agrable et parfaite. Bonne, cette volont de Dieu, elle lest, puisquelle est utile. Moi, le Seigneur, dit Dieu (Is 48, 17), je vous apprends des choses utiles. Agrable, la volont divine lest celui qui aime, et si elle est rebutante pour celui qui naime pas, pour ses amants, du moins, elle est dlectable. La lumire sest leve pour le juste, dit le Psalmiste (Ps. 96, 11), la joie pour les curs droits. La volont de Dieu est aussi parfaite, parce quelle est dune bont suprieure tout. Soyez parfaits, prescrivait Jsus aux foules (Mt 5, 48), comme votre Pre cleste est parfait.

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Ainsi donc quand nous disons : Que votre volont soit faite, nous demandons la grce dobserver les commandements de Dieu. Or, cette volont de Dieu est accomplie dans les justes, mais elle ne lest pas encore dans les pcheurs. Les justes sont dsigns par le ciel, les pcheurs par la terre. Nous demandons donc que la volont de Dieu soit faite sur la terre, cest--dire dans les pcheurs, comme elle est accomplie au ciel, dans les justes. 49. Il faut remarquer ceci : Jsus, par la manire mme dont il a formul la troisime demande du Notre Pre nous donne un enseignement. En effet, il ne nous fait pas dire notre Pre : faites votre volont , ni non plus : que nous fassions votre volont ; mais il nous fait dire : Que votre volont soit faite. Deux choses en effet sont ncessaires pour parvenir la vie ternelle, savoir la grce de Dieu et la volont de lhomme. Et, bien que Dieu ait fait lhomme sans lappeler cooprer avec lui, cependant il ne le justifie pas sans sa coopration. Celui qui ta cr sans toi, ne te justifiera pas sans toi , dit saint Augustin, dans son Commentaire sur saint Jean. Dieu, en effet, veut cette coopration de lhomme. Il dit en Zacharie (1, 3) : Convertissez-vous moi et je me convertirai vous. Et saint Paul crit (1 Co 15, 10) : Cest par la grce de Dieu que je suis ce que je suis, et sa grce na pas t inactive en moi. Ne prsumez donc pas de vous-mme, mais confiez-vous en la grce de Dieu, ne renoncez pas votre effort, mais apportez votre collaboration. Cest pourquoi Jsus ne nous fait pas dire : Que nous fassions votre volont autrement il semblerait que la grce de Dieu na rien faire. Et il ne nous prescrit pas non plus de dire : Faites votre volont , sinon il semblerait que notre volont et notre effort ne servent rien. Mais Jsus nous fait dire : Que la volont de Dieu soit faite, par la grce de Dieu, laquelle nous joignons notre travail et notre effort. 50. c) En troisime lieu, Dieu veut de nous que nous soyons rtablis dans ltat et la dignit dans lesquels le premier homme fut cr, dignit et tat si levs que son esprit et son me ne ressentaient aucune opposition de la part de la chair et de la sensualit. Aussi longtemps que lme fut soumise Dieu, la chair fut soumise lesprit si parfaitement quelle nprouva ni la corruption de la mort, ni laltration de la maladie et des autres passions. Mais partir du moment o lesprit et lme, qui tiennent le milieu entre Dieu et la chair, se rebellrent contre Dieu par le pch, aussitt le corps se rebella contre lme et il commena prouver les infirmits et la mort, et continuellement sa sensibilit se rvolta contre lesprit. Ce qui fait dire saint Paul (Rom 7, 23) : Je vois dans mes membres une loi qui lutte contre la loi de ma raison et (Gal 5, 17) : La chair convoite contre lesprit et lesprit contre la chair. Ainsi il y a guerre incessante entre lesprit et la chair ; et lhomme est sans cesse rendu de plus en plus mauvais par le pch. Cest donc la volont de Dieu que lhomme soit rtabli dans son premier tat cest--dire quil ny ait rien dans sa chair doppos son esprit : ce que saint Paul exprime ainsi (1 Thess 4, 3) : Ce que Dieu veut, cest votre sanctification. 51. Or, cette volont de Dieu ne peut tre accomplie en cette vie. Elle sera ralise la rsurrection des saints, quand leurs corps ressusciteront glorieux, incorruptibles et splendides, suivant la parole de lAptre (1 Co 15, 43) : Sem dans lignominie, le corps ressuscitera dans la gloire. Cependant la volont de Dieu est ralise ici-bas dans lesprit des justes, par leur justice, leur science et leur vie. Aussi, quand nous disons : Que votre volont soit faite, nous prions le Seigneur de raliser galement sa volont dans notre chair. Suivant cette explication, dans la demande : Que votre volont soit faite sur la terre comme au ciel,
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le mot ciel dsigne notre esprit et le mot terre dsigne notre chair. Et le sens de cette demande est : Que votre volont soit faite sur la terre, cest--dire dans notre chair, comme elle est faite au ciel, cest--dire, dans notre esprit, par la justice. [III] 52. Cette troisime demande de loraison dominicale nous fait parvenir la batitude des larmes, que le Seigneur nous a fait connatre dans le sermon sur la montagne (Mt 5, 5) : Bienheureux ceux qui pleurent, parce quils seront consols. Il est ais de le montrer, en reprenant les trois points de notre exposition. Premirement, Dieu veut pour nous et nous fait dsirer la vie ternelle. Par cet amour de la vie ternelle, nous sommes amens verser des larmes. Hlas, chantait le Psalmiste (Ps. 119, 5), quil est long mon exil ! Et ce dsir de la vie ternelle chez les saints est si vhment, quil les fait aspirer la mort, bien que celle-ci par elle-mme soit un sujet daversion. Nous prfrons quitter ce corps, disait saint Paul (2 Co 5, 8), et aller jouir de la prsence du Seigneur. En second lieu, ceux qui gardent les commandements de Dieu, pour obir la volont de Dieu, sont aussi dans laffliction, car si les prceptes sont doux pour lme, pour la chair ils sont amers, parce quils la mortifient. Parlant de leur chair, le Psalmiste dit des justes (Ps. 125, 5) : Ils sen vont tout en pleurs ; et, propos de leur me, il ajoute : Ils viennent en exultant. En troisime lieu, nous avons parl de la lutte incessante de notre chair et de notre esprit entre eux ; cette lutte est galement un sujet de larmes. Il est en effet impossible que lme, dans ce combat, ne reoive pas quelques blessures, de la part de la chair, au moins celles des pchs vniels. Lobligation dexpier ces fautes lui est un sujet de larmes. Chaque nuit, cest--dire, aussi longtemps que durent les tnbres de mes pchs, dit le Psalmiste (Ps 6, 7), de mes pleurs jarroserai mon lit, cest--dire ma conscience. Ceux qui pleurent ainsi parviennent la patrie. Dieu daigne nous y conduire.

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VII QUATRIME DEMANDE Donnez nous aujourd'hui notre pain quotidien

53. Il arrive frquemment que la grandeur de sa science et de sa sagesse rendent lhomme timide. Aussi la force est ncessaire son cur pour ne pas perdre courage dans la considration de ses besoins. Le Seigneur, dit Isae (40, 29), donne la force et aux tres anantis il prodigue vigueur et courage. LEsprit entra en moi, dit aussi Ezchiel (2, 2), et il me fit tenir fermement debout. LEsprit-Saint donne donc la force, et il la donne dune part pour empcher le cur de lhomme de dfaillir dans la crainte de manquer des choses ncessaires, et dautre part pour lui faire croire fermement que Dieu lui accordera tout ce qui lui est ncessaire. Cest pourquoi lEsprit-Saint dispensateur de cette force, nous apprend dire Dieu : Donnez-nous aujourdhui notre pain quotidien. Et on lappelle Esprit de force. 54. Il faut savoir que, dans les trois demandes prcdentes du Notre Pre , nous demandons des biens spirituels dont la possession, commence en ce monde, ne sera parfaite que dans la vie ternelle. En effet, demander Dieu la sanctification de son nom, cest demander la reconnaissance de sa saintet ; demander lavnement de son rgne, cest lui demander de nous faire parvenir la vie ternelle ; prier pour que la volont de Dieu se fasse, cest prier Dieu daccomplir en nous sa volont. Tous ces biens, partiellement raliss dans ce monde, ne le seront pleinement que dans la vie ternelle. Aussi est-il ncessaire de demander Dieu quelques biens indispensables, dont la possession parfaite est possible en la vie prsente. Cest pourquoi lEsprit-Saint nous a appris demander ces biens ncessaires la vie prsente et possds icibas parfaitement. Et cest aussi pour montrer que Dieu pourvoit nos ncessits temporelles elles-mmes, quil nous fait dire : Donnez-nous aujourdhui notre pain quotidien. [II] 55. Par ces paroles, Jsus nous a appris viter cinq pchs qui se commettent habituellement par un dsir immodr des choses temporelles. Le premier de ces pchs est que lhomme, insatiable des choses qui conviennent son tat et sa condition, et pouss par un dsir drgl, demande des biens qui sont au-dessus de sa condition. Il en est de lui comme dun soldat qui voudrait shabiller comme un officier, ou dun clerc, qui voudrait porter des vtements dvque. Ce vice dtourne les hommes des choses spirituelles, parce quil attache avec excs leur dsir aux choses temporelles. Le Seigneur nous a enseign viter un tel pch, en nous apprenant demander seulement du pain, cest--dire les biens ncessaires chacun, en cette vie, suivant sa condition particulire. Ces biens ncessaires sont en effet tous compris sous le nom de pain. Le Seigneur ne nous a donc pas appris demander des choses dlicates, des choses varies, des choses exquises, mais du pain, sans lequel lhomme ne peut vivre et qui est la nourriture commune tous. La premire chose pour vivre, dit lEcclsiastique (29, 28), cest leau et le pain. Et lAptre crit Timothe (l, 6, 8) : Lorsque nous avons nourriture et vtement, sachons nous contenter.
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56. Un deuxime vice consiste pour certain commettre des injustices et des fraudes dans lacquisition des biens temporels. Cest un vice trs dangereux, parce quil est difficile de restituer des biens vols, et que, daprs saint Augustin, un tel pch nest pas pardonn, si on ne restitue pas ce qui a t drob . Le Seigneur nous a enseign viter ce vice, en nous apprenant demander pour nous, non pas le pain dautrui, mais le ntre. Les voleurs, en effet, mangent le pain dautrui et non le leur. 57. Le troisime vice consiste dans une sollicitude excessive pour les biens terrestres. Certains en effet ne sont jamais satisfaits de ce quils possdent, ils veulent toujours davantage. Pareille disposition desprit est un dsordre, puisque le dsir doit se rgler sur le besoin. Seigneur, ne me donnez ni la richesse, ni la pauvret, disent les Proverbes (30, 8), mais accordez-moi seulement ce qui est ncessaire ma subsistance. Jsus nous enseigne viter ce pch par ces paroles : Donnez-nous notre pain quotidien, cest-dire le pain dun seul jour ou dune seule unit de temps. 58. Le quatrime vice, caus par lapptit dmesur des choses dici-bas, consiste en une insatiable avidit des biens terrestres, une vritable voracit. Elle est le fait de ceux qui veulent consommer en un seul jour ce qui pourrait leur suffire pour plusieurs jours. Ceux-l ne demandent pas le pain dune journe, mais le pain de dix jours. Dpensant sans mesure, ils en arrivent dissiper tous leurs biens, selon cette parole des Proverbes (23, 21) : Buveur et glouton se ruinent, et suivant cette autre parole (Ecclsiastique 19, 1) : Louvrier ivrogne ne senrichit pas. 59. Le dsir excessif des biens terrestres engendre un cinquime pch, lingratitude. Ce vice dplorable est le vice de lhomme qui senorgueillit de ses richesses et ne reconnat pas quil les tient de Dieu, auteur de tous les biens spirituels et temporels, selon cette parole de David (1 Chr 29, 14) : Tout vient de vous, Seigneur, et ce que nous avons, nous le tenons de vos mains. Pour carter ce vice et nous apprendre que tous nos biens viennent de Dieu, Jsus nous fait dire : Donnez-nous notre pain. [III] 60. Mais recueillons donc la leon de lexprience et de lEcriture au sujet du caractre dangereux et nuisible des richesses. On constate que, parfois, tel ou tel possde de grandes richesses sans en retirer aucune utilit, mais bien plutt un dommage spirituel et temporel. Il y eut en effet des hommes qui prirent cause de leurs richesses. Il est un mal que jai constat sous le soleil, dit lEcclsiaste (6, 1-2), mal qui est frquent parmi les hommes ; lhomme qui Dieu donne richesses, biens, honneurs ; il ne manque rien son me de ce quelle peut dsirer ; mais Dieu ne le laisse pas matre den jouir ; cest un tranger qui dvorera ses richesse ; Il est un autre tort criant, dit encore lEcclsiaste (5, 12), que je vois sous le soleil ; les richesses accumules par leur matre son dtriment. Nous devons donc demander Dieu que nos richesses nous soient utiles. Lorsque nous disons : Donnez-nous notre pain, cest cela mme que nous demandons, savoir que nos biens nous soient avantageux, et que ne se vrifie pas pour nous ce qui est crit du mchant (Job, 20, 14-15) : Sa nourriture deviendra dans son sein un venin daspic. Il a englouti des richesses, il les vomira ; Dieu les arrachera de son ventre. 61.
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Si nous revenons ce vice dune sollicitude excessive lendroit des biens terrestres (le troisime n

57), nous voyons des hommes qui sinquitent aujourdhui pour le pain dune anne entire, et, sils viennent le possder, ils ne cessent pas pour autant de se tourmenter. Mais le Seigneur leur dit (Mt 6, 31) : Nallez donc pas vous inquiter et nallez pas dire : que mangerons-nous ? Ou que boirons-nous ? Ou de quoi nous vtirons-nous ? Aussi nous enseigne-t-il demander pour aujourdhui notre pain, cest--dire demander le ncessaire pour le moment prsent. [IV] 62. Il existe, en plus du pain, nourriture du corps, deux autres sortes de pain, le pain sacramentel et le pain de la parole de Dieu. Dans loraison dominicale, nous demandons galement notre pain sacramentel ; il est chaque jour prpar dans lEglise et nous le recevons dans un sacrement, en gage de notre salut futur. Je suis, dclarait Jsus aux Juifs (Jn 6, 51), je suis le pain vivant descendu du ciel. Celui, qui mange ce pain et boit le Seigneur de faon indigne, mange et boit sa condamnation (l Co II, 29). Nous demandons galement, dans loraison dominicale, cet autre pain quest la parole de Dieu cest de ce pain que Jsus a dit (Mt 4, 4) : Lhomme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. De cette parole, de ce verbe de Dieu provient, pour lhomme, la batitude, qui consiste dans la faim et la soif de la justice. En effet, lorsquon possde les biens spirituels, on les dsire davantage et ce dsir aiguise lapptit et la faim, quassouvira le rassasiement de la vie ternelle.

[Dans ce commentaire STA tablit ainsi que le St Esprit par la quatrime demande du Notre Pre nous fait obtenir l'aide de Dieu contre cinq pchs : En demandant du pain nous demandons les biens ncessaires chacun, en cette vie, suivant sa condition particulire et non les biens qui sont au-dessus de notre condition. En demandant le pain qui est ntre, nous vitons les injustices et les fraudes qui accompagnent souvent lacquisition des biens temporels. En demandant le pain de ce jour, nous combattons contre l'excessive sollicitude pour les biens terrestres, ainsi que l' insatiable avidit qui nous attache eux. En demandant Dieu qu'il nous donne, nous vitons lingratitude. D'autre part, cette demande contient aussi le dsir que les biens dont nous avons l'administration nous soient utiles, ainsi qu'elle forme en nous le dsir du Pain sacramentel et de la Parole de Dieu]

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VIII CINQUIME DEMANDE Et remettez nous nos dettes, comme nous mmes nous remettons nos dbiteurs

63. On rencontre des hommes, grands par la sagesse et par le courage, qui cependant, cause de leur excessive confiance dans leur force, neffectuent pas leurs ouvrages avec sagesse et ne conduisent pas jusqu leur achvement ce quils staient propos. Ils semblent ignorer que les conseils donnent de la force aux rflexions, comme lenseignent les Proverbes (20, 18). Mais remarquons-le, lEsprit-Saint, sil donne la force, donne aussi le conseil. Car un bon conseil relatif au salut de lhomme ne peut venir que du SaintEsprit. Cest le cas de cette cinquime demande. Le conseil est ncessaire lhomme, quand il est soumis la tribulation, tout comme le conseil des mdecins lui est utile, lorsquil est malade. Cest pourquoi, un homme est-il spirituellement malade par le pch, il doit, pour gurir, demander conseil. Et Daniel montre que le conseil est ncessaire au pcheur, lorsquil dit au roi Nabuchodonosor (Dan 4, 24) : roi, agre mon conseil : rachte tes pchs par des aumnes. Le conseil de faire laumne et dexercer la misricorde est un excellent conseil pour effacer les pchs. Aussi est-ce bien lEsprit-Saint qui apprend des pcheurs cette prire de demande : Remettez-nous nos dettes, en y ajoutant : comme nous-mmes nous remettons nos dbiteurs. 64. Par ailleurs nous devons Dieu, dune dette vritable, ce quoi il a droit et que nous lui refusons. Or le droit dont Dieu exige le respect, cest laccomplissement de sa volont, prfre notre volont propre. Nous portons atteinte au droit de Dieu, quand nous prfrons notre volont la sienne ; et cest en cela que consiste le pch. Ainsi nos pchs sont des dettes lgard de Dieu. Et cest du Saint-Esprit que nous vient le conseil de demander Dieu le pardon de nos pchs et de dire trs justement Remettez-nous nos dettes. 65. Au sujet de ces paroles : Remettez-nous nos dettes, nous pouvons nous poser trois questions : Premirement, pourquoi faisons-nous cette demande ? Deuximement, quand est-elle exauce ? Troisimement, que devons-nous accomplir pour que Dieu lexauce ? a) Pourquoi adressons-nous au Pre cette demande : Remettez-nous nos dettes ? La considration de son contenu nous permet de recueillir deux enseignements ncessaires aux hommes pendant cette vie. Le premier enseignement, cest que lhomme doit toujours se tenir dans la crainte et lhumilit. Il y eut des hommes assez prsomptueux pour oser affirmer que nous pouvions vivre en ce monde de manire viter le pch. Ce privilge ne fut accord personne, si ce nest au Christ seul, qui possda lEsprit en plnitude, et la Bienheureuse Vierge, pleine de grce et immacule, dont saint Augustin a dit : De cette Vierge, je ne veux pas faire la moindre mention, lorsquil sagit des pchs . Mais aucun autre des saints il ne fut accord de ne pas tomber, au moins dans quelque faute vnielle. Si nous disons : nous sommes sans pch, affirme en effet saint Jean (1 Jean 1, 8), nous nous trompons nous-mmes, et la vrit nest pas en nous. Et que les hommes soient pcheurs, cela est prouv galement par le contenu de cette demande : Remettez-nous nos dettes. Il convient, en effet, indubitablement, tous les saints eux-mmes de rciter ces paroles de loraison dominicale. Tous les hommes sans exception se reconnaissent donc et savouent pcheurs et dbiteurs. Par consquent, si vous tes pcheur, vous devez craindre et vous humilier.

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66. Lautre enseignement qui ressort de cette demande : Remettez-nous nos dettes, est que nous devons vivre toujours dans lesprance. En effet, bien que pcheurs, nous ne devons pas perdre lesprance ; le dsespoir pourrait nous conduire dautres pchs plus graves, comme lenseigne lAptre (Eph 4, 19) : Ayant perdu lesprance, dit-il, les paens se sont livrs limpudicit et toute espce dimpuret, avec frnsie. Il nous est donc extrmement utile de toujours esprer. Quelque grand pcheur quil soit, lhomme en effet doit esprer toujours de Dieu son pardon, sil se repent et se convertit parfaitement. Or cette esprance se fortifie en nous, quand nous disons : Notre Pre, remettez-nous nos dettes. 67. Des hrtiques, quon nomme Novatiens, ont voulu enlever cette esprance du pardon divin. Ils dclarrent : Si vous commettez un seul pch aprs le baptme, vous nobtiendrez jamais misricorde. Une telle assertion est fausse, si la parole du Christ est vraie (Mt 18, 32) : Je tai remis, dit-il, toute ta dette, parce que tu mavais suppli. Donc, quel que soit le jour o vous implorez misricorde, vous pourrez lobtenir, si vous y joignez le repentir de vos pchs. Ainsi donc, la considration du contenu de cette cinquime demande de loraison dominicale : Remettez-nous nos dettes, fait natre en nous la crainte et lesprance ; elle nous montre que tous les pcheurs contrits, qui avouent leurs fautes, obtiennent misricorde. Et elle nous fait conclure que cette demande avait sa place oblige dans le Notre Pre . 68. b) Quand cette demande : Remettez-nous nos dettes, est-elle exauce ? Pour rpondre cette question, il faut avoir prsent lesprit les deux lments contenus en tout pch, savoir la faute ou loffense faite Dieu, et le chtiment mrit par la faute. Or la faute est remise par la contrition, si la contrition est accompagne du propos de se confesser et de satisfaire. Jai dit, dclare le Psalmiste (Ps 31, 5), je confesserai contre moi-mme mon injustice au Seigneur, et vous nous avez pardonn limpit de mon pch. Si donc, comme nous venons de le dire, la contrition des pchs, avec le propos de les confesser, suffit en obtenir la remise, le pcheur ne doit pas dsesprer. 69. Mais peut-tre quelquun objectera-t-il, puisque le pch est remis par la contrition, quoi sert le prtre ? A cette question, il faut rpondre : Dieu, par la contrition, remet la faute et change la peine ternelle en peine temporelle ; le pcheur contrit reste donc soumis une peine temporelle. Cest pourquoi, sil mourrait sans stre confess, non parce quil aurait mpris la confession, mais parce que la mort laurait surpris, avant quil et pu se confesser, il irait au purgatoire y souffrir, et, daprs saint Augustin, y souffrir extrmement. Mais si vous vous confessez, vous vous soumettez au pouvoir des clefs et, en vertu de ce pouvoir, le prtre vous absout de la peine temporelle due vos fautes ; car le Christ a dit aux Aptres (Jn 20, 22-23) : Recevez le Saint-Esprit ; les pchs seront remis ceux qui vous les remettrez, ils sont retenus ceux qui vous les retiendrez. Cest pourquoi si quelquun se confesse une seule fois, il lui est remis une partie de la peine de ses pchs, et il en est de mme, sil se confesse nouveau ; et sil se confesse un nombre de fois suffisant, il pourra obtenir la remise entire de sa peine. 70. Les successeurs des Aptres trouvrent un autre moyen de remettre la peine temporelle, savoir le bienfait des indulgences. Pour celui qui vit dans la charit, les indulgences possdent la valeur que le Pape a, sans aucun doute, le pouvoir de leur donner. Beaucoup de saints firent un grand nombre de bonnes uvres, sans pcher du moins mortellement ; ils firent ces uvres pour lutilit de lEglise. De mme, les mrites du Christ et de la bienheureuse Vierge sont runis comme en un trsor. Le Souverain Pontife et ceux qui il en a confi le soin, peuvent dispenser ces mrites, l o il y a ncessit.
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Ainsi donc, les pchs sont remis, quant la faute, par la contrition, et, quant la peine, par la confession et par les indulgences. 71. c) A la question : Que devons-nous accomplir pour que le Seigneur exauce cette demande : Remettez-nous nos dettes ? Il faut rpondre : Dieu requiert de notre part, que nous pardonnions notre prochain les offenses quil nous fait. Cest pourquoi il nous demande de dire : comme nous, nous remettons leurs dettes nos dbiteurs. Si nous agissions autrement, Dieu ne nous pardonnerait pas. Il est dit de mme dans lEcclsiastique (28, 2-5) : Pardonne au prochain son injustice, et alors, ta prire, tes pchs seront remis. Lhomme conserve de la colre contre un autre homme, et il demande Dieu sa gurison ! Il na pas piti de son semblable, et il supplie pour ses propres fautes! Lui, qui nest que chair, garde rancune ; qui donc lui obtiendra le pardon de ses pchs ? Pardonnez donc, dit Jsus (Luc 6, 37), et il vous sera pardonn. Et cest pourquoi dans cette cinquime demande du Notre Pre le Seigneur pose cette seule condition : pardonner autrui. Si nous ne la ralisons pas, nous non plus, il ne nous sera pas pardonn. 72. Mais vous pourriez dire : Moi, je prononcerai les premiers mots de la demande, savoir : Remettez-nous nos dettes, mais je ne rciterai pas les derniers : comme nous remettons nos dbiteurs. Chercheriez-vous donc tromper le Christ ? Assurment vous ne le tromperiez pas. Le Christ a compos cette oraison, il se la rappelle parfaitement ; comment ds lors le tromper ? Votre cur doit donc ratifier cette demande, quand vos lvres la prononcent. 73. Demandons-nous alors si celui qui na pas le propos intrieur de pardonner son prochain doit dire encore : comme nous, nous remettons nos dbiteurs. Il semble que non, car alors il mentirait. Mais il faut rpondre quil nest pas pour autant dispens de dire : comme nous, nous remettons nos dbiteurs. En fait, il ne ment pas, parce quil ne prie pas en son nom, mais au nom de lEglise qui, elle, ne sy trompe pas ; cest pourquoi dailleurs cette demande est exprime au pluriel. 74. Il importe de le savoir ; il y a deux manires de pardonner au prochain. La premire est la manire des parfaits ; elle pousse loffens aller au-devant de loffenseur, pour lui pardonner, conformment linjonction du Psalmiste (Ps 33, 15) : Recherche la paix. La deuxime manire de pardonner est commune tous et obligatoire pour tous ; elle consiste accorder le pardon qui le sollicite. Pardonne au prochain son injustice, dit lEcclsiastique (28, 2), alors ta prire, tes pchs te seront remis. 75. A cette cinquime demande de loraison dominicale se rattache la batitude : Bienheureux les misricordieux. La misricorde, en effet, nous porte avoir piti de notre prochain.

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IX SIXIME DEMANDE Et ne nous laissez pas succomber la tentation

76. Il existe des pcheurs dsireux dobtenir le pardon de leurs fautes, ils se confessent et font pnitence ; mais ils napportent pas toute lapplication ncessaire pour ne pas retomber dans le pch. Ils sont vraiment inconsquents avec eux-mmes. En effet, certaines heures, ils pleurent leurs pchs et sen repentent, et dautres heures ils retombent dans leurs fautes, et accumulent ainsi la matire de larmes futures. Cest la raison pour laquelle le Seigneur leur dit en Isae (1, 16) : Lavez-vous, purifiez-vous, retirez de ma vue vos penses mauvaises, cessez de mal faire. Et cest aussi pourquoi le Christ, comme nous lavons dit, nous enseigne dans la demande prcdente, implorer le pardon de nos pchs et, dans celle-ci, nous apprend demander la grce de pouvoir viter le pch, par ces paroles : Ne nous laissez pas succomber la tentation, car la tentation il appartient prcisment de nous faire tomber dans le pch. 77. Le contenu de cette sixime demande de loraison dominicale nous invite examiner : Ce quest la tentation, Comment et par qui lhomme est tent, Comment il est dlivr de la tentation. 78. a) Quest-ce que la tentation ? Tenter ne signifie rien dautre que mettre lessai ou prouver. Ainsi, tenter un homme, cest prouver sa vertu. Sa vertu peut tre mise lessai ou prouve de deux manires, dans la ligne des exigences de la vertu humaine. Il est requis dune part que luvre bonne soit accomplie dune manire excellente et dautre part que lon se garde du mal. Ce qui est indiqu par le Psalmiste (Ps 33, 15) : Evite le mal et fais le bien. La vertu de lhomme sera donc mise lpreuve tantt au point de vue de lexcellence de son agir, tantt au point de vue de son loignement du mal. 79. Si, en premier lieu, on vous prouve pour savoir si vous tes prompt vous porter au bien, comme par exemple jener, et si on vous trouve effectivement prompt au bien, ce sera le signe que votre vertu est grande. Cest de cette faon que Dieu prouve parfois lhomme ; ce nest pas quil ignore sa vertu, mais il veut la faire connatre tous et tous la donner en exemple. Dieu prouva de cette manire Abraham (cf. Gn 2) et Job. Souvent en effet le Seigneur envoie des tribulations aux justes ; sils les supportent patiemment, leur vertu est manifeste et ils progressent dans la vertu. Le Seigneur vous tente, disait Mose aux Hbreux (Deut 13, 3) afin de faire apparatre au grand jour si oui ou non vous laimez. Cest donc de cette manire seulement que Dieu tente lhomme, savoir, en lexcitant bien faire. 80. En second lieu, pour prouver la vertu de lhomme, on lincitera au mal. Sil rsiste fortement et ne consent pas, cest lindice de la grandeur de sa vertu ; mais sil succombe la tentation, sa vertu est manifestement inexistante. Jamais Dieu ne tente qui que ce soit de cette manire ; car Dieu est incapable de tenter et de pousser personne au mal. Sa propre chair, le diable et lhomme, voil les tentateurs de lhomme.

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81. b) Comment et par qui lhomme est-il tent ? 1 La chair tente lhomme de deux manires. Dabord elle laiguillonne et le pousse au mal par la recherche incessante de ses dlectations charnelles, occasions frquentes de pch. Le fait de sarrter dans les dlectations charnelles entrane la ngligence des choses spirituelles. Chacun, dit saint Jacques (1, 14), est tent par sa propre convoitise, qui lentrane et le sduit. En second lieu, la chair nous tente en nous dtournant du bien. Lesprit, de lui-mme, se dlecterait toujours dans les biens spirituels, mais la chair rend lesprit lourd et lentrave. Le corps, sujet la corruption, dit la Sagesse (9, 15), appesantit lme ; et saint Paul crivait aux Romains (7, 22) : Lhomme intrieur en moi se dlecte dans la loi de Dieu ; mais je vois dans mes membres une autre loi ; cette loi-l lutte contre la loi de ma raison ; elle me tient captif sous la loi du pch, qui est dans mes membres. Cette tentation de la chair est extrmement forte, cause de notre union intime notre ennemie, la chair. Aucune peste, dit Boce, nest plus nuisible quun ennemi familier . Il faut donc veiller sur les assauts de notre chair. Veillez et priez, dit Jsus, (Mt 26, 41), pour ne pas entrer en tentation. 82. 2 La chair, une fois dompte, un autre ennemi surgit, le diable.

Il nous tente trs fortement et il nous faut lutter contre lui avec vigueur. Nous navons pas lutter contre la chair et le sang, dit saint Paul (Eph 6, 12), mais contre les Principauts et contre les Puissances, contre les Matres de ce monde de tnbres, contre les Esprits rpandus dans les airs. Aussi le diable est-il expressment appel le tentateur, comme le montrent ces paroles de saint Paul (l Thess 3, 5) : Pourvu que le tentateur ne vous ait pas tents. Dans ses tentations, le diable se montre consomm en ruse. Semblable un habile chef darme, occup assiger une forteresse, il considre les points faibles de lhomme quil veut attaquer et fait alors porter leffort de la tentation l o il constate que son adversaire est plus dsarm. Ainsi il tente les hommes, vainqueurs de leur chair, du ct des vices auxquels ils sont le plus enclins, comme la colre, lorgueil et les autres maladies de lesprit. Votre adversaire, le diable, dit saint Pierre (1 Pierre 5, 8), comme un lion rugissant, rde autour de vous ; il cherche qui dvorer. 83. Le dmon, dans ses tentations, emploie une double tactique.

Dabord, il ne propose pas aussitt lhomme, au moment de la tentation, un mal manifeste, mais un bien apparent. Ainsi, au dbut, il ne dtourne que lgrement lhomme de son orientation gnrale antrieure, mais suffisamment pour ensuite lamener plus facilement pcher. A ce sujet, lAptre crit aux Corinthiens (2 Jean 11, 14) ; Rien dtonnant (si de faux aptres se camouflent en aptres du Christ), Satan lui-mme se dguise bien, lui, en ange de lumire. Aprs avoir amen lhomme pcher Satan lenchane ensuite pour lempcher de se relever de ses fautes. Ainsi donc le dmon fait deux choses : il trompe lhomme et il maintient lhomme tromp dans son pch.

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84.

3 Le monde, de son ct, nous tente de deux manires.

Il nous tente, en premier lieu, par un dsir excessif et immodr des choses temporelles. La cupidit, dit lAptre (1 Tim 6, 10), est la racine de tous les maux. En second lieu, le monde nous incite au mal par les frayeurs que nous inspirent les perscuteurs et les tyrans. De ce fait, nous sommes envelopps de tnbres, dit Jacob (37, 19), Tous ceux qui veulent vivre avec pit dans le Christ Jsus, crit saint Paul (2 Tim 3, 12) souffriront perscution. Et ce propos, le Seigneur a fait cette recommandation ses disciples (Mt 10, 20) : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et ne peuvent tuer lme. 85. c) Nous avons montr ce quest la tentation, comment et par quoi lhomme est tent. Examinons maintenant de quelle manire lhomme est dlivr de la tentation. A ce sujet, il faut remarquer ceci : le Christ nous enseigne demander au Pre non pas la grce de ne pas tre tents, mais bien celle dviter de nous tablir passivement dans ltat o nous met la tentation. Cest en effet en surmontant et en dominant la tentation que lhomme mrite la couronne de gloire incorruptible (cf. 1 Co 9, 25 ; 1 Pierre 5, 4). Cest pourquoi saint Jacques (1, 2) dclare : Tenez pour une joie parfaite, mes frres, dtre en butte toutes sortes dpreuves. Et lEcclsiastique nous avertit (2, 1) : Mon fils, en entrant au service du Seigneur, prparez votre me lpreuve. Saint Jacques dclare encore (1, 12) : Heureux lhomme qui supporte la tentation : sa valeur une fois reconnue, il recevra la couronne de vie. Ainsi donc, Jsus nous enseigne demander au Pre de ne pas nous laisser succomber la tentation, en lui donnant notre consentement. Aucune tentation, dit saint Paul (1 Co 10, 13), ne nous est survenue, qui passt la mesure humaine. Que lhomme soit tent en effet est chose normale, mais quil consente la tentation et sy abandonne, cela ne lest pas, mais lui vient du diable. 86. Mais objectera-t-on, puisque le Christ dit trs prcisment : Ne nous induisez pas en tentation, cest-dire, ne soyez pas cause dun entranement et dune entre fatale dans la tentation, ne faut-il pas comprendre que cest Dieu lui-mme, plutt que le diable, qui nous entrane activement au mal ? Je rponds ceci : Cest uniquement en permettant le mal et en ny mettant pas dobstacle que Dieu, si on peut dire, achemine lhomme au mal. Ainsi Dieu sera dit induire un homme en tentation, lorsquil retirera sa grce, cause des nombreux pchs de cet homme ; ce qui aura pour effet de faire tomber celui-ci dans le pch. Cest pour tre prserv dun tel malheur, que le Psalmiste demande Dieu dans sa prire (Ps. 70, 9) : Lorsque mes forces dclineront, Seigneur, ne mabandonnez pas. Par contre, grce la ferveur de la charit quil lui donne, Dieu conduit lhomme de telle manire quil ne soit pas induit en tentation, au sens que nous avons expliqu plus haut (n 82, 83). La charit en effet, si minime soit-elle, peut rsister nimporte quel pch. Car les grandes eaux (de la tentation) nont pu teindre lamour, dit le Cantique des Cantiques (8, 7). De mme le Seigneur nous dirige par la lumire de lintelligence ; par elle, il nous montre les uvres que nous devons accomplir. Daprs le Philosophe Aristote, en effet, tout pcheur est un ignorant. Cette lumire pour bien agir, David la demandait par ces paroles (Ps. 31, 8) : Seigneur, illuminez mes yeux, que je ne mendorme pas dans la mort. Que mon ennemi ne dise pas : jai triomph de lui. 87. Cette lumire nous vient par le don dintelligence. Si nous refusons notre consentement la tentation, nous gardons cette puret du cur, batifie par Jsus, en ces termes (Mt 5, 8) : Bienheureux les curs purs, car ils verront Dieu ; et nous parviendrons la vision de Dieu. Que Dieu nous y conduise effectivement !
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X SEPTIME DEMANDE Mais dlivrez nous du mal amen

88. Dans les deux demandes prcdentes, le Seigneur nous apprend implorer le pardon de nos pchs, et il nous montre comment chapper aux tentations. Ici, il nous enseigne demander dtre prservs du mal. Cette demande est gnrale. Daprs saint Augustin, elle vise les diffrentes espces de maux, savoir les pchs, les maladies, les afflictions. Nous avons dj parl du pch et de la tentation ; il nous reste traiter des autres catgories de maux, cest--dire de toutes les adversits et afflictions de ce monde. De ces adversits et de ces afflictions, Dieu nous dlivre de quatre manires. 89. En premier lieu, Dieu dlivre lhomme de laffliction, quand il carte celle-ci de lui ; cela, il le fait rarement. Dans ce monde, en effet, les saints sont affligs. Tous ceux, dit saint Paul (2 Tim 3, 12), qui veulent vivre pieusement dans le Christ Jsus connatront la perscution. Cependant, Dieu accorde parfois tel ou tel de ntre pas afflig par le mal. Quand, en effet, il le sait incapable de supporter lpreuve, il agit comme un mdecin, qui vite de donner un grand malade des mdecines violentes. Voici, dit le Seigneur (Ap 3, 8), que jai mis devant toi une porte ouverte, que nul ne peut fermer, et ce, cause de ton dfaut de vigueur. Dans la patrie cleste, il en va tout autrement. Nul ny est afflig. Cest la loi gnrale pour tous les lus. Ils nauront plus faim, ils nauront plus soif, est-il dit dans lApocalypse (7, 16-17), et jamais ne les accablera le soleil ni aucun vent brlant. Car lAgneau qui est au milieu du trne les fera patre et les conduira aux sources des eaux de la vie. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux. 90. En second lieu, Dieu nous dlivre du mal par loctroi des consolations, au temps de laffliction. Priv de ces divines consolations, lhomme ne pourrait subsister au milieu des preuves. Nous sommes, disait saint Paul (2 Co 1, 8), accabls au del de toute mesure, au del de nos forces, et il ajoutait (2 Co 7, 6) : mais Dieu nous a consols, lui qui rconforte les humbles. Vos consolations rjouissent mon me, chantait aussi le Psalmiste (Ps. 93, 19), proportion des douleurs surabondantes de mon cur. 91. En troisime lieu, Dieu comble les affligs de tant de bienfaits quils en viennent oublier leurs maux. Aprs la tempte, disait Tobie (3, 22), vous ramenez le calme. Ainsi nous ne devons pas craindre les afflictions et les tribulations du monde ; elles sont en effet facilement supportables, cause des consolations que Dieu y mle et cause de leur brve dure. La lgre tribulation dun moment, dit en effet saint Paul (2 Co 4, 17), nous prpare, au del de toute mesure, un poids ternel de gloire ; car elle nous fait effectivement parvenir la vie ternelle. 92. En quatrime lieu et pour tendre lide du mal tous les maux (n 88) Dieu tire du bien de tous les maux, tentations et tribulations. Aussi Jsus ne nous fait pas dire : Dlivrez-nous de la tribulation, mais : Dlivrez-nous du risque de mal vritable quelle porte avec elle. Les tribulations sont en effet donnes aux saints pour leur bien, pour leur faire mriter la couronne de gloire ; et cest pourquoi, loin de demander dtre dlivrs des tribulations, les saints font leurs les paroles de lAptre (Rom 5, 3) : Non seulement nous nous glorifions dans lesprance de la gloire de Dieu, mais nous nous glorifions encore dans les tribulations, sachant que la tribulation produit la constance. Et ils rptent la prire du livre de Tobie (3, 12) : Au temps de la tribulation, Dieu de nos Pres, vous pardonnez les pchs de ceux qui vous invoquent.
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Dieu donc dlivre lhomme du mal et de la tribulation, en transformant tribulation et mal en bien ; et cest l le signe dune sagesse consomme, puisquen effet il appartient au sage dordonner le mal au bien. Dieu y parvient, en donnant lhomme la grce dtre patient dans ses tribulations. Les autres vertus se servent des biens, mais la patience est seule tirer profit des maux ; eux seuls donc la rendent ncessaire. Cest pourquoi sa ncessit apparat seulement au milieu des maux, cest-dire dans les adversits. Nous lisons en effet dans les Proverbes (19, 11) : La sagesse dun homme, vous la reconnatrez sa patience, qui lui fait ordonner le mal au bien. 93. Cest pourquoi lEsprit-Saint nous fait adresser cette demande au Pre, par le don de la sagesse.

Grce ce don, nous parvenons la batitude, laquelle nous ordonne la paix. La patience, en effet, nous assure la paix dans ladversit comme dans la prosprit. Cest pourquoi les pacifiques sont appels fils de Dieu. Ils sont, en effet, semblables Dieu. A eux, comme Dieu, rien ne peut nuire, ni la prosprit, ni ladversit. Bienheureux donc les pacifiques, ils seront appels fils de Dieu (Mt 5, 9). 94. Le mot Amen est la raffirmation gnrale des sept demandes de lOraison dominicale.

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XI EXPLICATION ABRGE DE L'ORAISON DOMINICALE 95. Pour avoir un aperu gnral sur lOraison dominicale, il suffit de savoir quelle contient tout ce que nous devons dsirer, et tout ce quil nous faut fuir et viter. a) Or, parmi tous les biens dsirables, le plus dsir est aussi le plus aim, et cest Dieu. Cest pourquoi notre premire demande : Que votre nom soit sanctifi est une demande de la gloire de Dieu. De Dieu, vous attendez pour vous-mme trois biens. Le premier est lobtention de la vie ternelle ; cette vie ternelle, vous la sollicitez par la demande : Que votre rgne arrive. Accomplir la volont de Dieu et sa justice est le deuxime des biens que vous dsirez pour vous-mme ; la prire : Que votre volont soit faite sur la terre comme au ciel est la demande de ce deuxime bien. Le troisime bien que vous voulez pour vous-mme consiste en la possession des choses ncessaires votre vie ; la possession de ces choses, vous la sollicitez par cette prire : Donnez-nous aujourdhui notre pain quotidien. Une parole du Seigneur cite par saint Matthieu (6, 33), se rapporte ces trois objets de nos dsirs, qui sont : le royaume de Dieu ou la vie ternelle, la volont de Dieu et sa justice, les biens ncessaires la vie dici-bas Cette parole, la voici :Cherchez le royaume de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donn par surcrot. Elle correspond exactement dans ses trois parties aux trois objets de nos dsirs, numrs plus haut et que sollicitent les deuxime, troisime et quatrime demandes de loraison dominicale. 96. b) Nous avons dit que le Notre Pre contient galement tout ce que nous devons fuir et viter. Il nous faut fuir et viter ce qui est contraire au bien. Le bien est ce quen toute chose nous dsirons dabord. Nous venons dnumrer les quatre biens, que nous dsirons. Le premier est la gloire de Dieu. A ce bien, aucun mal ne soppose. Si tu pches, dit le Livre de Job (35, 6), en quoi nuis-tu Dieu ? Si tu multiplies les offenses, lui fais-tu quelque mal ? Si tu es juste, que lui donnes-tu ou que reoit-il de ta main ? En effet, la gloire de Dieu rsulte et du mal, en tant que Dieu le punit, et du bien, en tant quil le rcompense. Le deuxime bien, objet de nos dsirs, est la vie ternelle. A elle soppose le pch ; par le pch, en effet, nous perdons la vie ternelle. Aussi pour repousser le pch, nous disons : Remettez-nous nos dettes, comme nous-mmes, nous remettons nos dbiteurs. Le troisime bien consiste dans la justice et les bonnes uvres. La tentation soppose l'une et aux autres. En effet, les tentations nous empchent daccomplir le bien et pour les repousser, nous disons : Et ne nous laissez pas succomber la tentation. Le quatrime bien dsir de nous comprend les choses ncessaires notre vie terrestre. A elles sont contraires les adversits et les tribulations. Cest pourquoi, nous en demandons lloignement par cette prire : Mais dlivrez-nous du mal. Amen
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