Que les prêtres et les parents prient ! Et le reste leur sera donné par surcroît...

L’évangile de ce dimanche nous rappelle une vérité capitale, celle de l’efficacité surnaturelle de la prière :
« “Et moi, je vous dis : demandez et l'on vous donnera ; cherchez et vous trouverez ; frappez et l'on vous ouvrira. Car quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; et à qui frappe, on ouvrira. Quel est d'entre vous le père auquel son fils demandera un poisson, et qui, à la place du poisson, lui remettra un serpent ? Ou encore s’il demande un oeuf, lui remettra-t-il un scorpion ? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui l’en prient !” » (Lc 11, 9-13)
Et quelle est la prière par excellence, sinon celle que Jésus nous a enseignée, le « Notre Père » (cf. Lc 11, 1-4) Le NOTRE PÈRE est la grande prière du père de famille et du prêtre. C’est sur les épaules du père de famille que repose la charge du pain quotidien, d’exercer la prudence pour le bien familial. Un Papa devrait le réciter tous les soirs front contre terre pour la protection de son foyer. Le Notre Père est la prière par excellence du curé aux intentions de sa paroisse. À lui le père de famille des familles de sa paroisse revient la charge de leur enseigner la vérité, de les nourrir du pain de l’eucharistie et des sacrements afin que tous vivent ensemble dans une belle union de charité. C’est une œuvre surnaturelle. Le Notre Père suppose une mentalité d’adulte, des soucis, une inquiétude d’adulte chez celui qui le dit. Je voudrais vous en donner maintenant des exemples concrets. (...)
Celui du Père Emmanuel (1826-1903), le curé du Mesnil-Saint-Loup. Deux paroles de lui nous ont tous frappés. Ce prêtre extraordinaire, cet homme qui jamais ne critiquait ses confrères, il a fallu les malheurs de l’Église et je ne sais quel aiguillon divin pour lui faire proférer ces terribles paroles : « C’est parce que les prêtres eux-mêmes ne comprennent plus la nécessité de la grâce qu’ils sont sans force pour s’opposer au progrès de l’irréligion. » C’était dit en 1860. Il lui semblait que l’Église était abandonnée à la dérision des francs-maçons, à la fureur de la Bête dévastatrice pour cette même erreur qu’il répudiait personnellement de toutes ses forces et que toute sa vie condamnait, de « considérer l’apostolat comme l’œuvre de l’homme, même séparé de Dieu par le péché. Et la contemplation comme la consécration à Dieu, stérile, d’un être perdu pour l’action. »
C’est vraiment terrible quand les prêtres commencent à être pris par l’activisme, par les méthodes d’apostolat, et qu’ils ne prient plus. (...) C’est la parole du Christ qui se réalise alors « Sans moi, vous ne pouvez rien faire », et les églises qui se vident... Mais c’est pourtant en elles, au coeur de nos sanctuaires où trône le tabernacle, et dans le déroulement des liturgies de l’Église que Dieu visitait son peuple, le sanctifiait, le comblait de délices, l’unissait dans un même amour...
En commençant la messe, que voulez-vous, je suis saisi par la beauté de l’Introït. « Dieu se tient dans son sanctuaire » C’est Dieu qui fait habiter ensemble dans sa maison ceux qui le craignent, qui l’aiment. C’est lui qui donnera la vertu et la force à son peuple et c’est ainsi que le peuple rassemblé dans le temple reçoit vertu et force de Dieu même. Cela m’a touché.
« Domine loco sancto suo », Dieu dans son lieu saint, cela veut dire dans le Ciel, mais pour le psaume cela veut dire aussi dans son Église, parmi son peuple. Il me suffit de revoir l’église de mon village et le dimanche, la paroisse rassemblée, les impies et les vicieux n’étaient pas là, mais les familles, les braves gens. Dieu nous fait habiter “ unanimes ” en cordialité les uns avec les autres, “ in domo ”, dans sa maison. Dieu est un bon Père qui rassemble son peuple tous les dimanches. C’est cela qui donne à son peuple la force de se maintenir en dehors des vices épouvantables qui, sans cela, ravagent le monde et rendent les hommes plus mauvais, plus furieux que les animaux sauvages. L’Église paroissiale, c’est une vision de paix.
Interférant avec cette vision de paix, je me rappelais les avertissements du Père Emmanuel sur la nécessité pour les curés de paroisse de prier. Et j’ai aussitôt pensé au curé de Chônas, mon idéal de prêtre lorsque j’étais enfant. Il s’appelait Vianney. Alors je me suis rappelé que lorsque nous étions enfant, avec mon frère, on se levait tôt matin, six heures et demie, le premier tirait l’autre du lit, puis on courait à l’église pour tirer les cloches de l’Angélus : les trente coups puis les trois coups ; et la messe commençait à 7 heures. On y allait, on fonçait, on entrait en fanfare dans l’église, mais une vision nous calmait aussitôt. Monsieur le Curé était là dans sa stalle et il lisait son bréviaire en s’aidant de la lampe du sanctuaire. Cela n’usait pas d’électricité et il était là. On faisait notre prière jusqu’à ce qu’il nous fasse signe d’aller sonner la cloche. Lui, il lisait son bréviaire. Qu’est-ce que le bréviaire ? C’est une chose que l’on marmonne parce que c’est comme cela que les prêtres doivent le réciter, et non pas à la va-vite, comme nous, les yeux courant d’une ligne à l’autre, pour vite savoir la fin. Non. Pour bien réciter les prières de son bréviaire, il faut que la bouche s’ouvre, que la langue murmure sans sauter les mots ni les syllabes. Mon prêtre, de six heures et demie jusqu’à sept heures, récitait matines et laudes. Il priait.
Je me rappelle un jour avoir demandé à mon maître et incomparable ami l’abbé Louis Vimal : « Vous croyez que le bréviaire est encore utile, à l’heure actuelle, aux prêtres ? » Il m’a répondu : « De Nantes, le jour où les prêtres ne diront plus leur bréviaire, ils ne prieront plus. » Prier, c’est s’adresser à Dieu et obtenir de Lui tous les bienfaits nécessaires. Mon curé de Chônas, lui, il priait tout seul, et nous, les gamins, en arrivant, on le voyait prier, et cela nous édifiait, nous faisait impression. Quel malheur que les prêtres ne prient plus, qu’on fasse la kermesse au lieu de prier, ou de la politique ou autre chose et le peuple se corrompt. Il n’y a plus rien à faire.
Si ! il y a quelque chose à faire : il y a encore “ Domine in loco sancto tuo ”. Si l’église n’est plus une maison de prière, il y a encore la maison de papa et maman. Si les curés ne font plus leur devoir, ce sont les parents qui sauvent la religion. En faisant quoi ? En priant.
La maman qui prie donne la dévotion à ses petits enfants. Il ne s’agit pas de faire de la théologie, de la sociologie, de la pastorale, il s’agit d’avoir de la dévotion et c’est la maman qui la donne si elle l’a. Si elle ne l’a pas, que voulez-vous que les enfants prennent d’une mère sans dévotion ? Une mère que les enfants ne voient pas faire de prière, c’est une bonne. “ Maman, je veux ci ! Je veux ça, maman ! ”Elle est bonne pour faire la cuisine et laver le linge sale ! Si elle prie, c’est une fille de Dieu, une enfant de Marie et on l’aime, car elle donne le goût de la prière. C’est la prière qui nous sauve pour deux raisons : par l’exemple de ma mère et en même temps, par la grâce de Dieu que ma mère obtient par la prière. C’est là que le Père Emmanuel a raison. La grâce est la seule force divine qui puisse nous tirer de nos malheurs et nous tirer vers le Ciel (...).
À côté de la maman, il y a le Père, c’est lui l’autorité... Mais quand l’autorité se met à genoux, quelle impression sur les enfants... J’ai vu mon père se mettre à genoux le matin et le soir pour faire sa prière, tout officier de marine qu’il était. Il était comme un gamin à côté de nous à dire la prière. Pourquoi ? Pour attirer la grâce de Dieu. Ce qui nous sauve, c’est la prière.
Mon curé de Chônas, c’était cela. Nos relations étaient très libres avec lui, mais on avait la crainte, la crainte de Dieu parce que le curé, c’était le représentant de Dieu. Un jour, je tenais la bourse et j’avais le coude sur l’autel, attendant qu’il mette le corporal dans la bourse. Il me regarde, il me fusille du regard. L’autel, c’est sacré, il symbolise le Christ qui est la victime du sacrifice. Arrière ! Je n’ai jamais plus recommencé. Il y croyait, mon curé ! Il vivait de cela, il vivait avec la Sainte Vierge, avec le Bon Dieu, c’était merveilleux !
Le papa, lui, sait qu’il est responsable ; si ses enfants deviennent des vauriens et qu’ils perdent la foi, cela sera aussi un peu de sa faute. Si le papa est intelligent, s’il est un peu distingué, s’il se conduit bien, cela montre aux enfants qu’être catholique, se mettre à genoux pour la prière, ce n’est pas dégradant, ce n’est pas être un sous-homme inférieur à l’homme normal, comme dit Nietzsche. Ce ne sont pas des débris d’humanité, ceux qui prient encore. Au contraire, ce sont ceux qui possèdent et jouissent de la vraie sagesse.
Les mamans doivent se dire : quand je dis le chapelet avec les enfants, la Sainte Vierge se penche vers nous et regarde ce petit monde, Elle fait ce que je ne peux pas faire. Les mamans me disent : “ Moi, je ne sais plus les éduquer. ” Mais priez, c’est la Sainte Vierge qui les éduquera. On en sortira, mais, dans l’entre-deux, il faut savoir si nos enfants ont eu le temps de se damner ou d’aller au Ciel. Voilà, c’est tellement parfait.
Voyez mon curé, il m’a fait une impression profonde, l’impression de l’enfant qui regarde son curé avec admiration. Mais il ne le savait pas. Il le savait un peu, il savait qu’on l’aimait bien. Où est-il ? Il est au Ciel. Pourquoi ? Quelle impression il m’a faite ! Je n’ai jamais voulu faire autre chose que ce curé-là. Encore maintenant, je dis ma messe en faisant ce qu’il faisait, par respect pour lui, et son influence s'est perpétuée. Aujourd’hui, je vous parle de lui, un curé d’un petit village de 300 habitants. Il n’est pas mort. S’il est vivant dans mon cœur encore aujourd’hui, c’est certain qu’il est au Ciel.
Notre religion est formidable, si simple à pratiquer quand on met la prière au début, et le reste viendra par surcroît.
Abbé Georges de Nantes
Extraits de l’oraison du 6 juin 1981 et du sermon du 3 août 1997