Comment le Front national tisse sa toile

Comment le Front national tisse sa toile
Le parti de Marine Le Pen est le plus réactif sur Internet. Une stratégie bien rodée.
Par Pauline de Saint Remy, Publié le 10/03/2011 à 10:34 | Le Point.fr
Le Front national, premier parti politique de France. Non, cela n'est pas une fiction, c'est la réalité... sur Facebook. Avec plus de 30 250 "fans" sur le réseau social, soit plus que l'UMP (9 290 fans) et le Parti socialiste (17 500) réunis, le FN écrase la concurrence. Quant aux profils de personnalités politiques, là encore, les frontistes se distinguent, comme le souligne Élus 2.0, un observatoire du Web politique : Jean-Marie Le Pen figure en troisième position, (loin) derrière Nicolas Sarkozy et Rama Yade, mais devant Ségolène Royal, François Fillon et... Marine Le Pen, qui pointe désormais à la septième place, pratiquement à égalité avec le patron du MoDem, François Bayrou. Et dans la catégorie plus classique des sites officiels de partis, le FN ressort, là encore, grand vainqueur, comme le révélait Le Parisien au mois de janvier, avec 400 000 visiteurs uniques en décembre 2010, contre respectivement 130 000 et 150 000 pour l'UMP et le PS.
Des "scores" qui ne sont révélateurs pas tant de la progression spectaculaire du Front national dans les sondages que d'une méthode de communication rodée sur le Web. Julien Sanchez, jeune élu frontiste adjoint au directeur de la communication, revendique la "stratégie" de son parti : "On a vraiment voulu investir ces réseaux dès le départ", explique-t-il. "Mais sur ceux qui existent, qui marchent, comme Facebook ou Twitter. Parce qu'on pense que créer son propre réseau, comme l'a fait l'UMP (avec les Créateurs de possibles, supprimé au bout d'un an d'existence, NDLR), est une erreur. Pour nous, il faut avoir un site amiral où les gens vont et ne pas multiplier les sites." "Des bénévoles surveillent en permanence ce qui se passe sur Facebook pour qu'il n'y ait pas de débordements", explique Julien Sanchez.
Stratégie offensive
Pour ce jeune frontiste, qui parle volontiers d'"offensive" sur le Web, Internet est un véritable "contre-pouvoir", où ceux qu'il appelle "militants" ou "sympathisants" s'engouffrent de leur propre initiative - commentaires sur des sites d'infos, forums, blogs, réseaux... "Nous ne donnons pas de consignes. Les militants le font beaucoup d'eux-mêmes", avance-t-il. À ses yeux, l'explication est simple : c'est parce que le FN souffre d'un "déficit de médiatisation" sur les supports traditionnels que ses sympathisants "ont besoin de se retrouver, de se regrouper ailleurs", spontanément...
Un argument classique, dans le registre de la "victimisation" du FN, rétorque Christian Delporte, spécialiste des médias et de la communication politique. "Cela va dans le sens de leur volonté de dénoncer l'establishment - ce qu'ils appellent l'UMPS -, de se dire en dehors du système. Le message, c'est nous sommes victimes du système, comme vous, et nous nous exprimons en votre nom." À ses yeux, cette manière d'investir le Web n'a rien de spontané. "Je ne dis pas qu'il s'agit d'un mot d'ordre du Front national. Mais c'est le fait de groupes d'activistes, qui sont extrêmement réactifs. À la moindre actualité politique, ils sont immédiatement les premiers à laisser un commentaire, et cela n'a rien d'un hasard." Des activistes, donc, et non pas des militants. La différence ? "L'activiste est celui qui avance masqué. Sur le Net, il crée des buzz, sans forcément avancer d'arguments, sans défendre un projet, contrairement au militant."
Propagande
Difficile de ne pas remarquer, en effet, combien la plupart des grands sites d'infos généralistes regorgent de commentaires favorables au Front national, et à Marine Le Pen en particulier, qu'ils soient modérés ou pas par un service dédié. Pour Christian Delporte, la force des frontistes est justement d'être là où on ne les attend pas le plus : "Ils ne se précipitent pas spécialement sur les sites a priori les plus hostiles à leurs idées, tels que les pure players Mediapart ou Rue89. Ils investissent plutôt les sites d'infos classiques, ou même des portails d'infos. Tout simplement parce que c'est là où tout le monde va. Et ça leur permet d'avancer sans l'étiquette FN, qui peut faire fuir, et de prétendre traduire un bon sens populaire en train de monter."
Reste la question de l'utilité de cette stratégie. Pour Christian Delporte, ce "simulacre de vague montante de l'internaute ordinaire" sert avant tout à créer un climat, une dynamique. "Faire en sorte que ceux qui hésitent soient entraînés par les autres." Alors, pourquoi les partis traditionnels n'arrivent-ils pas à peser autant sur les réseaux sociaux et les forums ? "Parce qu'ils n'ont pas de tradition de propagande", répond le chercheur. "C'est le fait de groupes activistes qui se situent aux extrêmes, depuis que la propagande de masse est née. D'ailleurs, ceux qui sont les moins bons sont les centristes. Quand on est au centre de l'échiquier politique, on ne sait pas faire de la propagande..."
Julien Sanchez, lui, est convaincu que 2012 se jouera encore plus sur le Web que 2007, "comme pour Obama". Et il se prépare, et confie qu'à cette occasion des consignes seront passées : "On va peut-être demander aux militants de beaucoup plus s'investir, d'y propager nos communiqués de presse, mais aussi les vidéos thématiques que fait Marine Le Pen, de les diffuser sur des forums spécialisés selon les thèmes, etc. On appelle les gens à publier des vidéos, comme celle du jeune qui s'était fait agresser dans un bus, l'année dernière. Il faut que les Français sachent ce qui se passe en France. Et sur Internet, on peut tout mettre, alors on ne se gênera pas pour le faire." Les autres partis politiques sont prévenus.
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