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Entretien avec Giuseppe Capoccia, délégué général du Coetus internationalis Summorum Pontificum

1. Quel regard porte le peuple Summorum Pontificum sur l'élection du pape François et ses premiers mois de pontificat ?

Comme tant de catholiques, nous avons été déconcertés par la renonciation de notre bien-aimé Benoît XVI. Et, pour nous aussi, l'élection de François, grandement méconnu jusque là, a été une surprise. Nous avons donc été très attentifs, depuis, à tous ses gestes comme à toutes ses paroles. Et je dois dire que ses paroles nous ont immédiatement rassurés : il a parlé du diable qui s'agite contre nous mais ne peut rien contre la miséricorde divine ; il nous a invités à ne pas perdre confiance en l'amour de Dieu ; il nous a appelés à « sortir » de notre routine pour aller vers les périphéries de l'existence ; et nous a mis en garde contre le risque de devenir des « collectionneurs d’antiquités ou de nouveautés au lieu d’être des pasteurs pénétrés de “l’odeur de leurs brebis”, au milieu de leur propre troupeau, et des pêcheurs d’hommes ».

Chacun des sermons du pape François nous appelle à vivre avec une plus grande intensité et cohérence notre vie chrétienne. Le peuple Summorum Pontificum ne peut qu'apprécier et recevoir avec joie cet appel. En effet, c'est précisément par désir de renouveler et de soutenir notre vie spirituelle que beaucoup d'entre nous ont choisi de vivre leur propre foi au rythme de la liturgie traditionnelle. Comme l'avait bien compris Benoît XVI, nous sommes nombreux à chercher le Christ à travers une liturgie plus digne et imprégnée d'un plus grand sens du sacré.

2. Que pensez-vous de son style liturgique ? Son pontificat prend-il une direction opposée à celle de Benoît XVI ?

Il serait hypocrite de nier que si, d'un côté, les paroles de François nous donnent du courage, de l'autre, certains de ses gestes nous déconcertent. Nous comprenons que certains expriment quelque malaise mais, en tant que fidèles sensibles à la tradition, donc attachés au long terme, nous voulons éviter de nous laisser piéger par l'immédiateté. Le pape actuel vient d'une culture liturgique et pastorale différente de celle qui se pratique à Rome et il faut lui laisser le temps de s'approprier la tradition liturgique pontificale.

Par ailleurs, il ne faut pas réduire la liturgie à une question de style car ce qui prime, c'est la solidité et la valeur théologiques du rite même. Enfin, il est évident que chaque pontificat a ses spécificités. Si Benoît XVI considérait la crise de la liturgie comme cause et révélateur de la crise de la Foi, il ne nous semble pas, cependant, que François manifeste le contraire. Il n'y a qu'à penser au fait que la grande publicité donnée, avec la permission du Pape lui-même, à sa messe quotidienne à Sainte-Marthe, retentit comme un appel clair à tous les catholiques, prêtres comme laïcs, à prendre conscience que seule l'Eucharistie est source d'évangélisation.

2 bis. D'autres expressions du monde traditionnel sont très critiques envers le pape, à commencer par la Fraternité Saint-Pie X : qu'en dites-vous ?

Plus que de critiques véritables, au sens de critiques doctrinales, nous avons plutôt lu et entendu des incompréhensions et des inquiétudes. Souvent, il faut dire, il s'agit de réactions fondées sur de fausses informations, comme celle qui annonçait le renvoi de l'actuel cérémoniaire pontifical ou la nomination de son prédécesseur à la tête de la Congrégation pour le Culte divin ! Internet favorise malheureusement ces réactions à chaud qu'alimente une certaine ivresse à l'idée de pouvoir se faire entendre du monde entier.

En ce qui concerne la Fraternité Saint-Pie X, ses déclarations officielles nous ont semblé plutôt mesurées et prudentes. Nous ne sommes cependant pas surpris que l'un ou l'autre se soit laissé aller à des commentaires plus durs mais les motivations en sont peut-être plus à rechercher dans les rivalités internes à la Fraternité que dans une réelle défiance à l'encontre du Saint Père.

3. Comment a été accueilli le précédent pèlerinage et pourquoi recommencez-vous cette année ?

L'an dernier, nous avons voulu témoigner notre communion de Foi et notre proximité avec Benoît XVI, le Souverain Pontife qui a redonné son plein droit à la liturgie traditionnelle. Nous entendions également affirmer l'existence d'un peuple Summorum Pontificum au sein du grand troupeau catholique ; un peuple qui exprime sa joie de faire partie, à part entière, de l'Église catholique, apostolique et romaine. Notre initiative était aussi une participation convaincue à la Nouvelle évangélisation voulue par Jean-Paul II et Benoît XVI. Enfin, nous espérions aussi concourir au retour de la Fraternité Saint-Pie X dans le giron romain.

Comme il arrive souvent avec les initiatives nouvelles, certains de nos amis nous ont regardé avec méfiance tandis que le cardinal Cañizares, préfet de la Congrégation pour le Culte divin, comme le Saint-Père, nous ont démontré leur bienveillance : le premier en déclarant, avant de célébrer à Saint-Pierre, qu'il le faisait tout simplement parce que c'était “normal” ; le second en nous adressant, via le cardinal Secrétaire d'État, un message de bienvenue.

Cette année, nous souhaitons réaffirmer notre pleine disponibilité au défi de la Nouvelle évangélisation. Par bien des aspects, le peuple Summorum Pontificum ressemble aux nouveaux mouvements nés après le concile Vatican II, fruits d'une meilleure prise de conscience du rôle des laïcs dans la vie de l'Église : il attire à lui beaucoup de familles, souvent nombreuses, il est caractérisé par un grand dynamisme pastoral et est ferment de multiples vocations aussi bien religieuses que sacerdotales. Il nous semble donc essentiel que cette ressource soit mise à profit, aussi bien dans les diocèses que dans les paroisses.

4. Combien de personnes attendez-vous ?

Nous espérons avoir 3000 personnes le samedi, jour de la procession et de la messe à Saint-Pierre et misons sur au moins 500 pèlerins étrangers à l'Italie venant pour les trois jours du pèlerinage. Nous aurons une idée plus précise des effectifs fin juin quand nous présenterons le programme officiel.

5. Que voulez-vous manifester au monde catholique en général par votre initiative ?

Pendant des années, les fidèles et les prêtres liés à la tradition liturgique de l'Église ont été marginalisés et traités avec mépris si ce n'est haine, ils ont été maintenus aux périphéries de l'Église et nul ne devait s'en approcher. Nous désirons contribuer à la guérison définitive des blessures provoquées durant ces années de persécution et d'injustice, et il nous semble plus opportun de le faire en nous intégrant à la dynamique nouvelle que nous propose le pape François et l'Église plutôt qu'en revendiquant. Nous souhaitons témoigner, dans la joie et en esprit de service, de l'unité de l'Église.

Dans le cadre particulier du nouveau pontificat, nous voudrions également illustrer combien la forme extraordinaire du rite romain est un outil adapté à la redécouverte de la pauvreté à laquelle nous appelle le pape François : s'agenouiller, supplier, se taire, confesser, sont quatre attitudes caractéristiques aussi bien de la messe traditionnelle que de la pauvreté spirituelle. La redécouverte de ce que saint François disait de la liturgie – n'oublions pas que c'est lui qui fit connaître le missel romain en dehors de la Cour pontificale – pourrait aider à comprendre encore mieux ce qu'est la pauvreté chrétienne, la pauvreté d'esprit qui fait de nous comme des mendiants du Christ qui vient à notre rencontre dans la liturgie et nous offre Sa splendeur, nous ouvrant les portes du Ciel où se trouve la vraie richesse. Ce n'est pas un hasard si le dernier saint à avoir célébré la messe traditionnelle toute sa vie durant a été Padre Pio, reflet fidèle de saint François.

Dans les diocèses et les paroisses, de nombreux fidèles sont en quête d'une nourriture spirituelle que la forme extraordinaire du rite romain pourrait leur offrir mais ils ne la connaissent pas et, bien souvent, n'ont même pas l'occasion de la connaître car certains pensent qu'elle est inadaptée à notre époque, qu'elle n'est pas "populaire" voire qu'elle est élitiste et un peu snob. En revanche, la nouveauté pérenne de la liturgie traditionnelle a encore beaucoup à offrir à l'Église : en ce sens, notre pèlerinage est un signe important, non seulement pour le peuple Summorum Pontificum mais aussi pour tous, surtout en ces temps de Nouvelle évangélisation.