Affaire Mila : où sont les voix de gauche ?

Dans la twittosphère, c’est la bataille rangée entre les #JeSuisMila et les #JeNeSuisPasMila. (Photo d’illustration.)

Dans la twittosphère, c’est la bataille rangée entre les #JeSuisMila et les #JeNeSuisPasMila. (Photo d’illustration.) JAKUB PORZYCKI/NURPHOTO

ÉDITO. Une adolescente de 16 ans a subi un déferlement d’insultes et de menaces après avoir critiqué l’islam sur les réseaux sociaux. Malgré la récupération politique de l’affaire par la droite extrême, il faut soutenir Mila. #L’ObsEstMila.

Quelques semaines après la commémoration de la tuerie de Charlie, « l’affaire Mila » montre l’inquiétante dissymétrie qui règne, en France, sur la liberté d’expression, ou plus précisément, de blasphème. Rappelons les faits : le 19 janvier, une lycéenne iséroise de 16 ans, Mila, éconduit un dragueur lourd qui fait irruption dans une vidéo Instagram, où elle discute en direct musique, puis inclinaisons sexuelles. Le garçon l’accuse alors de racisme antimusulman. Dans son sillage, une bande de cyberharceleurs se mettent à insulter la jeune fille, homosexuelle revendiquée : « Sale Française », « sale gouine », « chiennasse »

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Devant ce déferlement de haine, qui prend un tour menaçant, Mila poste une vidéo vengeresse aussi maladroite que violente : « Je déteste la religion, le Coran il n’y a que de la haine là-dedans. […] Votre religion, c’est de la merde, votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul… »

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Une provoc’ digne de « Charlie »

Une provoc’ digne de « Charlie ». Mila reçoit bientôt 200 messages de haine à la minute. Pour n’avoir pas compris que l’islam est une religion « d’amour et de paix », elle est menacée de mort, de viol, d’égorgement… Son lycée ayant été publiquement identifié, elle doit être déscolarisée et craint pour sa vie. Dans la twittosphère, c’est la bataille rangée entre les #JeSuisMila et les #JeNeSuisPasMila. Abdallah Zekri, le délégué général du CFCM – le Conseil français du Culte musulman, censé représenter les musulmans de France – commente sur Sud-Radio : « Qui sème le vent récolte la tempête », « Elle l’a cherché, elle assume ».

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Affligeant, alors que la très grande majorité des musulmans de France sont ouverts et tolérants. Selon un sondage Ifop réalisé pour le documentaire « Nous, Français musulmans », 81 % d’entre eux disent n’avoir « aucun problème à discuter avec des gens qui ne partagent pas les mêmes valeurs » qu’eux, et 62 % déclarent qu’« on peut faire de l’humour sur tous les sujets, y compris la religion ».

L’extrême droite à son secours

Double peine, dans cette triste fable de la cyber-haine ordinaire : Mila est aussitôt récupérée par la droite extrême. Frange dure de la cathosphère, Rassemblement national, Debout la France et patriotes de tous poils – peu regardants, pour une fois, sur l’homosexualité de la « résistante » – volent à son secours, dénonçant pêle-mêle les « intégristes harceleurs bouffis de haine » et « l’Etat collaborationniste » !

Marine le Pen et Nicolas Dupont-Aignan tweetent leur soutien à la jeune fille ; « Valeurs Actuelles » et « Causeur » en font une héroïne. La page Facebook #JeSuisMila et la pétition Change.org pour qu’elle bénéficie d’une protection policière sont initiées par la « féministe blanche occidentaliste » Solveig Mineo, connue pour ses campagnes antimigrants.

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Où sont les voix de gauche, les associations de lutte contre le racisme et les discriminations ? A de rares exceptions près, elles brillent hélas par leur absence. Pire : certains activistes LGBT ont même sommé Mila de retirer le drapeau arc-en-ciel de son profil Instagram ! Nous y voilà : dans l’espace public, la gauche essentialiste semble avoir muselé la gauche humaniste.

Dans la France de 2020, si tu es de gauche, tu n’as pas le droit de questionner les dérives de l’islam. Et encore moins de blasphémer contre le Dieu des musulmans. Car cela fait automatiquement de toi un raciste islamophobe. Tu peux te gondoler en écoutant l’humour douteux d’un Frédéric Fromet qui déclame sur France-Inter : « Jésus est pédé […] Y’a pas que l’hostie qu’il faut sucer… » Mais pas compatir avec Mila, qui chante « Je ne veux pas mourir ». Faut-il qu’elle se fasse tuer pour inspirer la solidarité ?

Réaffirmons ici avec Noam Chomsky que « la liberté d’expression n’a de sens que si elle s’applique aux opinions qui vous répugnent », et que cette adolescente – en dépit de ses propos sur l’islam prononcés sous le coup de la colère – mérite notre protection. Même si c’est en mauvaise compagnie.

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