Asia Bibi prisonnière du Pakistan : innocentée, elle a servi de monnaie d’échange pour l’accord avec les islamistes

Asia Bibi prison Pakistan accord islamistes
 
Les centaines de milliers de manifestants islamiques qui ont bloqué vendredi le Pakistan, menaçant de mettre à feu et à sang le Pakistan après l’acquittement d’Asia Bibi, ont eu raison de hurler leur haine dans les rues. L’état de droit est une vue de l’esprit face à la violence islamiste que nul ne semble craindre davantage que le Premier ministre du pays, Imran Khan. Celui-ci a donc cédé devant la foule des barbus islamistes (et leur nombre montre qu’il ne s’agit nullement d’une minorité sectaire en marge d’une religion de paix, de tolérance et d’amour) en acceptant d’une part que le procès de cette femme chrétienne accusée de blasphème fasse l’objet d’une révision, et d’autre part que la sortie du pays lui soit interdite. L’expérience montre, hélas, que les révisions judiciaires à ce niveau peuvent prendre des années.
 
Certes, le gouvernement pakistanais a garanti d’assurer la protection d’Asia Bibi. La belle affaire ! Après neuf ans dans le couloir de la mort, confinée dans une cellule sordide et soumise au harcèlement incessant de ses codétenues et des gardiens, Asia Bibi continue d’être traitée comme une coupable et risque à chaque instant sa vie, dans un pays où les auteurs de « blasphème » contre Mahomet, coupables ou non à l’aune de la justice pakistanaise, ont déjà été tués par paquets par exécution extra-judiciaire, pour employer un euphémisme. Il lui est notamment interdit, pour l’heure, de retrouver sa famille.
 

Asia Bibi est devenue le jouet d’un accord avec les islamistes

 
Lundi, Imran Khan demandait l’arrestation de tous les fauteurs des troubles les plus graves et une enquête officielle a été ouverte. Comme le note Yves Daoudal, « Il est difficile de se rendre compte s’il s’agit d’une gesticulation à usage à la fois interne et externe, ou d’une vraie tentative de reprise en main après le désastreux accord de vendredi ».
 
De toute façon, injustice est faite. Les musulmans radicaux ont obtenu satisfaction lors d’une « négociation » indigne avec le parti sunnite Tehreek-e-Labbaik (TLP) qui exige le maintien d’Asia Bibi sur le territoire tant que la Cour suprême n’aura pas révisé son jugement. Etant donné que les juges qui l’ont acquittée sont menacés de mort, tout comme son avocat actuellement réfugié aux Pays-Bas, et que plusieurs personnes ont déjà payé de leur vie leur soutien à la jeune mère chrétienne coupable d’une tentative de dialogue inter-religieux avec des compagnes de labeur musulmanes, on voit mal comment la Cour se risquerait à une nouvelle décision favorable à Asia Bibi. Ou alors, ses juges sont des héros, ce qui n’est pas tout à fait impossible. Côté manifestants, on a de toute façon obtenu que les arrêtés – plusieurs centaines, selon les autorités – seraient libérés. Mais on imagine l’explosion de violence si jamais le gouvernement d’Islamabad revenait sur son accord…
 

La capitulation du gouvernement du Pakistan augmente le poids de l’islamisme

 
La presse plus libérale au Pakistan – cela existe –, notamment le quotidien anglophone Dawn, accuse du coup le gouvernement de « capitulation face à des extrémistes violents qui ne croient ni en la démocratie ni à la constitution ». Il est vrai que ce dernier point n’a rien de surprenant.
 
L’Eglise catholique au Pakistan a elle aussi été contrainte à un acte de dhimmitude, elle qui a annulé toutes les messes prévues pour la Commémoraison des fidèles défunts le 2 novembre qui tombait cette année un vendredi, jour de prière pour les musulmans.
 
La grande question est maintenant de savoir si le gouvernement pakistanais, et les gouvernements occidentaux qui ont peu ou prou affirmé leur soutien à Asia Bibi, ont assez de force d’âme pour faire respecter une sentence d’acquittement remarquablement argumentée mais qui offrait nombre d’os à ronger aux différents partis islamiques radicaux dont l’opposition était plus que prévisible.
 

L’avocat d’Asia Bibi lui aussi menacé de mort est arrivé aux Pays-Bas

 
Le mari d’Asia Bibi, Ashiq Masih, actuellement au Pakistan avec son frère qui l’aide dans son combat, a multiplié depuis l’acquittement de son épouse les demandes d’asile, notamment au Royaume-Uni, au Canada et aux Etats-Unis. Wilson Chowdry, président de l’Association britannique des Pakistanais chrétiens, déclarait dimanche que le fait qu’aucune offre n’ait été faite d’emblée était « très choquant ». « Des centaines de milliers de personnes ont participé à des manifestations violentes en exigeant sa mort », a-t-il rappelé. Un cas d’école pour les dispositifs d’asile politique…
 
Menacé de mort, son avocat Saif-ul-Malook a quant à lui quitté vendredi le Pakistan « contre son gré », a-t-il indiqué, sous la pression de l’ONU dont les responsables sur place lui ont dit de partir parce qu’aujourd’hui « le monde entier s’occupe d’Asia ». L’ONU prendra notamment en charge sa demande d’asile. Les conflits au Proche-Orient ont amplement montré que l’ONU n’a pas de sympathie particulière pour les chrétiens d’Orient, mais dans ce cas très médiatisé, on peut espérer qu’elle agisse. Lors d’une conférence de presse, lundi après-midi aux Pays-Bas où il a été reçu par l’association « Aide aux chrétiens persécutés », Saif-ul-Malook a affirmé qu’il ne voulait pas quitter le pays tant qu’Asia serait en prison. « Je ne suis pas heureux d’être ici sans elle », a-t-il insisté.
 

Retenir Asia Bibi au Pakistan serait illégal

 
L’avocat a ajouté que le gouvernement pakistanais n’a aucunement le droit de retenir Asia Bibi au Pakistan. « Il n’existe aucun fondement juridique permettant de la placer sur une liste » de personnes interdites de sortie du territoire, a-t-il déclaré. La dernière fois qu’il a vu sa cliente, elle était encore en prison : « Il faut généralement environ une semaine à 10 jours pour qu’une décision de libération atteigne les responsables des prisons. Dès que cette décision leur aura été signifiée, personne ne pourra la retenir. Ce serait illégal. »
 
Mais entre l’aberration d’une condamnation à mort pour « blasphème » contre un faux prophète, condamnation en outre fondée sur de faux témoignages comme l’a constaté la Cour suprême du Pakistan, et une illégalité de plus ou de moins, il ne faut pas s’attendre à une issue rationnelle.
 
Pour l’heure, on sait que la Chambre basse des Pays-Bas a décidé à la majorité de proposer à Asia Bibi et aux siens de résider temporairement dans le pays, pour lui donner tout le temps de choisir l’endroit où elle pourra refaire sa vie avec sa famille.
 

Jeanne Smits