Désintox

Nicolas Bay veut torpiller le mythe des réfugiés de guerre… et se coule lui même

Le secrétaire général du FN a bondi sur un rapport de Médecins du monde pour déduire que seuls 13,7 % des migrants arrivés en France fuient la guerre. Il aurait dû le lire avant d'écrire son communiqué.
par Jacques Pezet
publié le 17 novembre 2016 à 17h48

Intox 

Depuis le temps que le FN vous dit qu'on ment sur le profil des migrants ! En voici la preuve. Dans un communiqué publié ce jeudi, Nicolas Bay, le secrétaire général du Front national, se réjouit que «le dernier rapport de l'observatoire de l'ONG Médecins du monde jette un discrédit cinglant au mythe de migrants majoritairement réfugiés. Parmi les près de 10 000 personnes interrogées, une majorité des étrangers entrés en France (53,1 %) a ainsi indiqué avoir émigré pour des raisons économiques, tandis que seuls 13,7 % des migrants ont affirmé avoir fui la guerre». Des résultats qui l'amènent à demander, en fin de communiqué, de restreindre drastiquement le droit d'asile.

Désintox

Nicolas Bay, qui semble puiser la substance de ses communiqués sur le site FDesouche (qui a publié un papier donnant ce chiffre de 13,7 % il y a deux jours) aurait été mieux inspiré d'aller directement lire le rapport de Médecins du monde. Il aurait évité des conclusions trop hâtives ou grossièrement fausses. Le secrétaire général du Front national se plante d'emblée dans les grandes largeurs en affirmant que seuls 13,7 % des migrants «arrivés en France» ont fui la guerre. Dans le rapport de médecins du monde, le pourcentage de 13,7 % correspond en fait au résultat… pour l'Europe (1). Pour connaître le résultat en France, le moyen le plus simple serait de regarder dans la case France du quatrième tableau du rapport. Hélas, elle n'existe pas. Médecins du Monde indique qu'«en France, la question [sur les raisons ayant motivé la migration des patients étrangers ] n'a pas été posée». Mais même appliqué au niveau européen, ce pourcentage ne dit absolument rien.

Capture d’écran 2016-11-17 à 10.58.59.png

Car le gros de l'intox porte sur l'usage par Nicolas Bay du terme «migrants». De quels «migrants» parle-t-on ? S'agit-il des migrants syriens, irakiens ou afghans qui sont arrivés massivement en Europe durant la dite «crise des migrants» et dont les médias n'ont cessé de parler ? Pas du tout. Le rapport de Médecins du monde ne porte pas sur les immigrés ou les migrants en général, mais sur l'accès aux soins des personnes vulnérables, quelle que soit d'ailleurs leur nationalité. On trouve par exemple parmi les patients interrogés en Grèce… 36,7% de Grecs. En se focalisant sur les patients étrangers, une proportion très importante vient de pays européens. «Dans les 11 pays européens, explique le rapport, les patients interrogés viennent principalement de l'Union européenne (30,5 %, dont 5,8 % de ressortissants nationaux), puis d'Afrique subsaharienne (24,6 %), du Maghreb (12,6 %), d'Asie (10,9 %) et du Proche et Moyen-Orient 34 (9,2 %)». Guère étonnant que les 30 % d'Européens ne disent pas avoir fui la guerre.

Voici le top 5 des nationalités des patients interrogés par pays :Capture d’écran 2016-11-17 à 11.34.29.png

Capture d’écran 2016-11-17 à 11.34.40.png

 

La part des membres de l'Union européenne parmi les patients interrogés est particulièrement importante en Allemagne (67,3 %) et en Suède (76,9 %), pays qui ont pourtant accueilli le plus durant la crise des migrants ces deux dernières années. Les Syriens, Afghans, Erythréens ou Irakiens, qui sont parmi les nationalités qui ont été les plus accueillies par ces deux pays, sont ainsi totalement absentes du panel de patients interrogés dans ces deux pays. Ceci explique que le pourcentage de migrants qui disent fuir la guerre soit de… 0 % en Suède ou 4,9 % en Allemagne.

Capture d’écran 2016-11-17 à 11.38.01.png

Comment expliquer cette absence ? Les centres de soins de Médecins du monde accueillent une population vulnérable «n'ayant pas accès au système de droit commun». Les migrants ayant obtenu le statut de réfugiés – notamment parce qu'ils fuient la guerre – bénéficient dans la plupart des pays de conditions d'accueil, et ne sont donc pas la cible des centres de l'ONG. L'enquête, de par la population visée, exclut donc en partie les personnes demandeuses d'asile, et a fortiori celle ayant bénéficié du statut de réfugiés de guerre. Aux Pays-Bas, le rapport précise par exemple que l'ONG traite essentiellement des sans-papiers. Ce qui explique la très faible part de demandeurs d'asile dans la statistique. Globalement, la part des demandeurs dans la population interrogée est en moyenne de 15 % dans les dix pays. Elle tombe même à 8,5 % si on enlève la Suisse.

On observe le biais inverse pour la Suisse, avec une surreprésentation des demandeurs d'asile, qui s'explique par la particularité de l'action de Médecin du monde dans ce pays. L'ONG intervient en effet pour l'essentiel dans le canton de Neuchatel où elle fournit des consultations d'infirmerie dans un centre pour demandeurs d'asile. Pas étonnant que 82,4 % des interrogés en Suisse soient demandeurs d'asile. Ni que 54,5 % déclarent avoir fui la guerre. Et pas étonnant qu'on retrouve les nationalités de réfugiés qu'on ne trouve pas ailleurs : Erythréens, Afghans, Syriens.

La conclusion, c'est que, selon Médecin du Monde, «les personnes interrogées, c'est-à-dire les personnes fréquentant les centres, ne sont pas du tout représentatives des vagues de migrants». Les limites méthodologiques exposées en préambule du rapport permettent aux lecteurs de le conclure de lui-même. La morale de l'histoire, c'est que pour citer un rapport, c'est quand même mieux de le lire.

(1) Ce pourcentage correspond à la moyenne des pourcentages observés dans les pays où l'enquête a été menée, et non comme le croit Nicolas Bay au pourcentage de personnes disant avoir fui la guerre sur le total des interrogés. Au total, 14,9 % des étrangers interrogés disent avoir migré pour fuir la guerre.

 
Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus