VISER LA LUNEPourquoi la théorie du complot de l'homme sur la Lune est populaire

50 ans de l’homme sur la Lune: Pourquoi la théorie du complot a-t-elle été aussi populaire?

VISER LA LUNECertains en sont convaincus : l’homme n’aurait jamais mis les pieds sur la Lune. Comment expliquer le succès de cette théorie complotiste qui perdure ?
Sur cette photo prise par l'astronaute Neil Armstrong, son collègue Edwin E. "Buzz" Aldrin Jr. pose à côté du drapeau américain déployé sur la lune lors de la mission Apollo 11.
Sur cette photo prise par l'astronaute Neil Armstrong, son collègue Edwin E. "Buzz" Aldrin Jr. pose à côté du drapeau américain déployé sur la lune lors de la mission Apollo 11. - Neil Armstrong/AP/SIPA
Alexis Orsini

Alexis Orsini

L'essentiel

  • Le 20 juillet 1969, Neil Armstrong foulait le sol de la Lune. A l’occasion des 50 ans des premiers pas de l’homme sur le satellite de la Terre, 20 Minutes vise la Lune avec une série d’articles.
  • Les sceptiques sont nombreux à affirmer, depuis des décennies, que cet évènement historique n’a jamais eu lieu et qu’il aurait été tourné en studio.
  • Pourquoi ces théories ont-elles connu un tel succès ? 20 Minutes fait le point.

Pourquoi les étoiles sont-elles étrangement absentes du ciel sur les photos lunaires prises par les astronautes de la mission Apollo 11 ? Comment le drapeau américain peut-il onduler en l’absence de vent sur la vidéo filmée le 20 juillet 1969 ? Et que dire des empreintes particulièrement nettes laissées par les astronautes ?

La réponse est simple : l’homme n’a jamais mis les pieds sur la Lune, contrairement à ce qu’ont voulu faire croire le gouvernement américain et la Nasa grâce à de fausses images tournées en studio. Telle est du moins l’explication avancée par les adeptes des différentes théories complotistes sur le sujet, convaincus que le « grand pas pour l’humanité » de Neil Armstrong et de Buzz Aldrin représente en réalité l’un des mensonges les plus audacieux du XXe siècle.

Malgré les nombreuses preuves démontrant la réalité de la mission Apollo 11, l’argumentaire bien rodé des sceptiques perdure de longue date, comme le souligne Paolo Attivissimo, journaliste spécialisé dans l’étude des théories complotistes et auteur du livre Moon Hoax : Debunked ! : « Différents sondages réalisés au cours des dernières décennies montrent que les Américains sont près de 6 % à penser que les [différents] alunissages n’ont pas eu lieu, ou à les remettre en question. »

Un scepticisme exprimé avant même le 20 juillet 1969

Des interrogations formulées dès le début des années 1970, quand un dénommé Bill Kaysing auto-publie un livre au titre évocateur Nous ne sommes jamais allés sur la Lune. Sur plus de 80 pages, l’ancien salarié de Rocketdyne, la société ayant fabriqué les lanceurs utilisés pour les missions Apollo, liste les prétendues anomalies des photos prises sur place et affirme que la Nasa n’avait pas les moyens techniques d’envoyer l’homme sur la Lune. Tout en reconnaissant que son scepticisme se basait « sur une intuition, un pressentiment » et qu’il n’avait aucune connaissance technique des fusées de Rocketdyne, lui qui avait en outre quitté l’entreprise depuis trois ans au moment du premier essai d’un lanceur du programme Apollo.

Peu importe, la période est particulièrement propice aux doutes. « En réalité, les premières théories complotistes sont apparues avant même que l’alunissage ait lieu. Comme l’avaient noté des journalistes américains, certaines personnes pensaient que le premier vol autour de la Lune réalisé par la mission Apollo 8, en 1968, était complètement simulé. Elles estimaient qu’un voyage vers la Lune était tout simplement impossible », explique Paolo Attivissimo.

Un grand pas (psychologique) pour l’humanité

Les premières interrogations autour de la réalité d’Apollo 11 tiennent en effet d’abord à la difficulté à admettre une telle progression technologique plutôt qu’à une croyance dans un complot gouvernemental à grande échelle. Pour James Oberg, ancien ingénieur de la Nasa et auteur de nombreux ouvrages sur l’exploration spatiale, un tel scepticisme n’avait rien d’étonnant. « Pendant longtemps, dire qu’on visait la Lune restait une simple expression, une métaphore pour évoquer quelque chose d’impossible. “Le grand pas pour l’humanité” était un pas physique mais aussi psychologique, que de nombreuses personnes étaient incapables de faire. »

Sans compter sur les différences physiques majeures entre la Lune et la Terre, qui en laissent plus d’un perplexe : « La lumière n’est pas la même, le ciel et l’air non plus… Certains pensaient que c’était une mise en scène parce que ça ne ressemblait pas à la Terre. » Autant de soupçons accueillis avec dédain par les équipes de la Nasa, convaincues, selon James Oberg, que ces théories servent seulement à « faire vendre des journaux ».

« L’exploration spatiale était vraiment quelque chose de nouveau, beaucoup de gens n’avaient pas encore eu le temps de s’adapter à cette nouvelle réalité. Une vingtaine d’années après les avions à hélices de la Seconde Guerre mondiale, on explorait l’espace avec des fusées géantes », abonde Paolo Attivissimo.

Guerre froide et course à l’espace, un cocktail redoutable

Le contexte très particulier de l’époque ne fait que renforcer les doutes des premiers sceptiques. « On était en pleine course à l’espace entre les Américains et les Soviétiques, et la Guerre froide donnait aussi lieu à de nombreuses activités dignes de théories complotistes : espionnage, programmes gouvernementaux… Le fait que le premier alunissage de l’homme ait eu lieu dans ces circonstances l’a rendu louche alors qu’il ne l’aurait pas été dans un autre contexte », analyse Mike Wood, professeur de psychologie à l’université de Winchester, spécialisé dans l’étude des théories du complot.

L’idée que les Etats-Unis aient réussi à faire marcher l’homme sur la Lune et à devancer l’URSS après des années de retard dans cette course à l’espace paraît en outre particulièrement invraisemblable à certains, huit ans seulement après le premier vol de Youri Gagarine dans l’espace.

Plusieurs films ne tardent pas à reprendre cette théorie complotiste à leur compte, à commencer par le dernier volet de la saga James Bond, en 1971. Dans Les diamants sont éternels, l’agent secret britannique échappe à un moment donné à ses poursuivants au sein d’un studio reproduisant le sol lunaire, bousculant au passage deux astronautes qui viennent d’y planter un drapeau américain.

« Il était clair que le gouvernement mentait pour protéger le pays »

Sept ans plus tard, le réalisateur Peter Hyams va bien au-delà du simple clin d’œil dans Capricorn One. Le thriller raconte comment la Nasa préfère simuler entièrement la première exploration martienne, plutôt que de reconnaître l’annulation de cette mission. Un scénario complotiste pleinement assumé dans son slogan : « Seriez-vous choqué d’apprendre que le plus grand évènement de l’histoire récente n’a jamais eu lieu ? »

Autant de références fictives qui trouvent un écho chez certains Américains. « Le souvenir du maccarthysme, une époque où l’ennemi pouvait être n’importe qui, même votre voisin, n’était pas si loin, et il était clair que le gouvernement américain travaillait en secret et mentait pour protéger le pays. Comme quand la Nasa avait prétendu qu’un avion d’espionnage abattu par l’URSS [en 1960] n’était en fait qu’un outil de recherche météorologique », souligne Paolo Attivissimo.

Le scandale du Watergate, en 1973, accentue les croyances paranoïaques d’une partie de l’opinion – tandis que dans certains pays étrangers, les remises en question d’Apollo 11 alimentent la rhétorique anti-américaine. Le relais de ces théories complotistes dans les médias au fil des années contribue en outre largement à leur notoriété.

L’influence de la Fox

Elles bénéficient notamment d’un coup de projecteur en 2001, après la diffusion par la Fox d’un documentaire qui fait date. Intitulé Théorie du complot : est-on allé sur la Lune ? et présenté par un acteur de X-Files, il donne longuement la parole à Bill Kaysing. Pour finir par conclure que la mission Apollo 11 a été entièrement simulée dans le désert du Nevada (dans une certaine… zone 51).

Un an plus tard, Bart Sibrel, un complotiste convaincu que toutes les missions Apollo ont été mises en scène par la Nasa, interpelle Buzz Aldrin à sa sortie d’un hôtel. Il tente avec insistance de le faire jurer sur la Bible apportée pour l’occasion qu’il a bien mis les pieds sur la Lune. A la place, Aldrin, furieux, lui décroche un coup de poing immortalisé en vidéo.

Si l’importance historique d’Apollo 11 contribue forcément à la longévité des soupçons entourant l’évènement, elle ne l’explique pas à elle seule, comme le souligne Mike Wood. « Certaines théories du complot sont très populaires à une époque et finissent par s’essouffler. Le temps écoulé n’est pas le seul facteur à prendre en compte, le contexte joue aussi : si la théorie concerne un sujet qui n’intéresse personne, on ne lui prêtera pas attention. »

De fait, les théories du complot autour de la Lune sont donc bien parties pour perdurer. Du moins tant que l’exploration spatiale ne connaîtra pas de nouvelle étape majeure. « Le fait que l’homme ne soit jamais retourné sur la Lune [depuis Apollo 17, en 1972] joue aussi. C’est une question qui se pose naturellement : pourquoi ne pas y retourner alors qu’on y est allés il y a cinquante ans ? Peut-être qu’une fois qu’on aura installé une base permanente sur la Lune et que l’exploration spatiale sera devenue banale, ce complotisme s’estompera », conclut Paolo Attivissimo.

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