Anne Catherine Emmerich
bienheureuse et mystique
1774-1824

VISIONS

TOME 6

TABLE

CHAPITRE X

Jésus à Atom et à Sikdor

CHAPITRE XI

Jésus à Jérusalem. Dernières semaines avant la Passion.

CHAPITRE XII

Visions appartenant au temps compris entre le dimanche de Pâques et l'Ascension

CHAPITRE XIII

L'Ascension et la Pentecôte.

CHAPITRE XIV

Visions touchant la vie des apôtres et d'autres saints contemporains du Seigneur

SAINTE ANNE, MARIE d'HELI, MARIE DE CLEOPIIAS ET LEUR FAMILLE

SUR LE TRIPLE MARIAGE DE SAINTE ANNE.

SAINT PIERRE

PIERRE DÉLIVRÉ DE SA PRISON PAR UN ANGE.

SAINT PIERRE A ROME

SAINT ANDRE

SAINT JACQUES LE MAJEUR

LE MARTYR DE SAINT JACQUES

SAINT JEAN L'ÉVANGÉLISTE

SAINT JEAN (suite.)

SAINT BARTHÉLEMY

SAINT THOMAS

SAINT SIMON ET SAINT JUDE THADDÉE

SAINT MARC

SAINT LUC

DES TABLEAUX PEINTS PAR SAINT LUC

LE FIANCE NATHANAËL

SAINT PARMENAS

SAINT SATURNIN

SAINT ETIENNE

SAINT BARNABÉ

SAINT THIMOTHÉE

SAINT QUADRAT

SAINT CARPUS

SAINT CLÉMENT DE ROME

SAINT IGNACE D'ANTIOCHE

LES SAINTE MARTHE ET MARIE MADELEINE

SAINTE VÉRONIQUE

SAINTE THECLE

L'INVENTION DE LA SAINTE CROIX PAR SAINTE HÉLÈNE

 

 

 

CHAPITRE DIXIÈME

Jésus à Atom et à Sikdor. - Retour en Judée par Héliopolis

Du 12 décembre 1820 au l5 février 1821

Jésus arrive à Atom.-Guérison d'une hémorrhoisse et d'une possédée. - Jésus va à Sikdor ; - à Mozian ; - à Ur.- Il arrive à la première ville égyptienne. - Jésus à Héliopolis - voyage par le désert à Bersabée et à la vallée de Mambré. - Arrivée au puits de Jacob près de Sichar. -J ésus à Ephron ; - à Jéricho ; - à Capharnaum ; - à Nazareth ; - à Thenath ; - à Silo ; - à Béthanie.-Vision circonstanciée sur l'expulsion d'un démon.

12 décembre. — Je vis le Seigneur quitter ses hôtes avant le jour : les lampes étaient encore allumées. Ils avaient formé le projet de lui faire la conduite avec la même solennité qui avait présidé à sa réception : mais il s'y refusa ; il ne voulut pas non plus accepter un chameau pour le porter. Les disciples prirent avec eux fut peu de pain et des flacons contenant un liquide. Le vieux Mensor supplia encore Jésus de rester avec eux : il lui offrit tout ce qu'il possédait et mit à ses pieds une couronne qu'il portait habituellement sur sa coiffure. Ce bon vieillard pleurait comme un enfant : ses larmes roulaient comme des perles sur ses joues basanées; tout le monde pleurait et sanglotait.

Jésus sortit du côté où était le temple et il passa devant la tente de cette adoratrice des idoles qui s'était convertie : c'était une très grande et très belle tente. Cette femme et tous les enfants coururent à Jésus. Elle voulait retenir les enfants, mais il les prit, les caressa, et s'entretint avec la femme qui se prosterna la face contre terre en pleurant. Je vis Mensor, les prêtres et d'autres personnes accompagner Jésus ; ils allaient alternativement se mettre à ses côtés deux par deux et cédaient ensuite la place à d'autres. Jésus et les disciples avaient pris des bâtons.

Les trésors de Mensor se trouvaient sous sa tente, dans la chambre grillée du rez-de-chaussée, où ils étaient sous terre comme dans une cave. Il y avait là de l'or en barres, en lingots sphériques, en grains amassés ensemble par petits tas : il y avait aussi des cassettes. Mensor est un descendant de Job qui avait aussi le teint d'un brun jaunâtre. Cette couleur n'est pas aussi foncée que celle des gens qui habitent près du Gange, c'est un brun brillant et très beau. Judith que j'ai vue en Afrique a un teint du même genre, elle est en outre singulièrement belle et majestueuse : elle a souvent une couronne sur la tête.

J'ai été aujourd'hui au premier endroit où Jésus passa la nuit après avoir quitté le château des rois : il y avait bien douze heures de marche jusque-là. Je le vis dans un camp de bergers qui appartenait encore à la tribu de Mensor. Ses disciples et lui dormirent dans une tente ronde, sur des lits de repos séparés les uns des autres par des cloisons mobiles.

Je n'ai vu Jésus et ses disciples manger avec les païens que lorsqu'on leur souhaita la bienvenue, et même alors ils ne prirent qu'un peu de pain, des herbes et des fruits. Quand ils burent, on leur donna un vase qui n'avait pas encore servi : dans la suite ils mangèrent toujours seuls. Le pain consistait en gâteaux plats de forme ovale qu'ils coupaient en croix. On le faisait cuire sur de grandes plaques où le moule était en creux et on le recouvrait d'autres plaques : on allumait du feu au-dessus et au-dessous.

Note : Il s'agit ici d'une femme qui gouvernait une tribu juive dans les montagnes de l'Abyssinie, et qu'Anne Catherine visita plusieurs fois dans ses extases.

Je revins alors vers le camp de Mensor et je le trouvai encore en chemin, lui et les autres personnes qui l'avaient suivi sur des chameaux. Il faisait nuit lorsqu'ils arrivèrent. Je vis la païenne convertie debout devant sa tente je vis sur sa tête comme une couronne où on lisait les lettres CUPPES. C'est là son nom païen : lorsque Thomas la baptisa, elle reçut le nom de Serena elle fut l'une des premières martyres et elle est encore honorée sous le nom de sainte Serena. Je vis aussi ses enfants reposer sur des couches placées contre les parois de la tente. Lorsque ceux qui avaient accompagné Jésus furent revenus, on alluma les lampes partout : tout le peuple se porta dans le temple ou autour du temple, ils prièrent agenouillés et se prosternèrent la face contre terre.

Le roi païen arrivé hier s'appelait ACICUS ou AAICUS. (Elle ne sait pas prononcer le mot que font ces lettres, mais elle les nomme les unes après les autres comme elle avait fait à propos de Cuppès et elle croit que les lettres majuscules latines sont des lettres grecques.) Le vieillard ami et serviteur de ce roi, était un astrologue. Il était habillé comme un prophète, avec une longue robe et une ceinture a plusieurs noeuds : il portait un turban autour duquel pendaient des cordons et des noeuds qui paraissaient de coton blanc. Il avait une longue barbe. Ces gens avaient le teint blanc : leur intention était de s'arrêter ICI quelque temps. Ils avaient envoyé dans les tentes des femmes celles qui les suivaient eux-mêmes et d'autres personnes de leur suite. Ils venaient d'un endroit situé à deux journées de voyage. Je n'ai pas vu Jésus s'entretenir avec eux, mais je l'ai entendu dire qu'ils recevraient aussi la lumière et louer la charité de leur roi envers ses semblables. J'ai oublié le nom de leur pays et beaucoup de noms étrangers que j'entendis prononcer. J'entendis des noms comme Ormusd et Zorasdat. J'ai aussi oublié le nom du gros homme, mari de Cuppès : c'était un fils du frère de Mensor ; tout jeune encore, il avait été du voyage de Bethléhem. Cuppès et lui avaient le teint d'un brun jaunâtre et ils étaient de la postérité de Job.

Je vis aussi hier le cimetière des gens de l'endroit. C'est une colline située derrière les mines d'or et où il se trouve des grottes. J'y vis le corps d'un enfant exposé dans une petite maison sans toit. Je vis que ces gens mettaient le plus grand soin à bien appareiller les animaux : je vis qu'ils les plaçaient par couples dans des fossés très bien tenus et palissades, qu'en outre ils entouraient de toiles.

Les animaux malades sont ici dans une grande tente et ils ont suivant leur espèce des compartiments à part séparés par des sentiers. Ce sont la plupart du temps des jeunes filles et des enfants qui les soignent.

J'entendis hier le roi Mensor déclarer que quiconque ne voudrait pas conformer sa vie aux préceptes de Jésus et croire à sa doctrine aurait à quitter le pays. Mensor n'était pas le plus brun des trois chefs de tribu qui visitèrent Jésus ; il tenait le milieu entre les deux autres. Il y avait ici des personnes dont le teint était encore plus foncé que le sien. L'endroit où Jésus a été reçu est le chef-lieu où se trouvent le temple et la sépulture des trois races royales, mais à deux lieues à la ronde il y a encore quatre campements occupés par des gens dont la plupart résident ici le plus souvent.

13 décembre. — Jésus s'était dirigé hier vers l'est avec les trois disciples, je le vis dormir sous la tente dans un village de bergers. Ce matin il quitta cet endroit avant que les habitants fussent éveillés et je vis qu'étant arrivé à un cours d'eau trop considérable pour qu'on pût le passer à gué, il le remonta dans la direction du nord pour le franchir : vers le soir il arriva à des cabanes rondes de mousse ou de terre. Il s'approcha d'une fontaine découverte entourée d'un retranchement en terre : ils s'y lavèrent les pieds. D'après mon calcul, le voyage avait dû être de sept lieues.

Jésus, n'ayant rencontré personne, entra dans une cabane de feuillage où il passa la nuit. C'était une hutte ronde, ouverte de tous côtés faite de branches tressées et de gazon. et surmontée d'un toit pointu : il y avait à l'entour une enceinte de filets pour écarter les bêtes sauvages.

Le pays ici est très fertile. Je vis de très beaux champs bordés de rangées de gros arbres touffus ; je vis aux angles, où les arbres se confondaient ensemble, des habitations qui n'étaient pas des tentes comme chez Mensor, mais plutôt des cabanes rondes faites de branches tressées. Au milieu de tout cela se trouve un grand édifice ovale, avec un toit oblique aplati par en haut en sorte qu'on peut y marcher entre deux balustrades. Sur ces balustrades se trouvaient diverses figures qui regardaient le ciel à travers des tubes ; l'édifice était entouré d'emplacements séparés par des barrières. Les habitants du pays avaient le teint brûlé par le soleil, mais non pas d'un beau brun comme Mensor. Ils étaient vêtus à peu près comme les premiers adorateurs des astres que Jésus avait visités dans ce voyage. Les femmes ont des pantalons larges et sont enveloppées dans des manteaux. Ces gens paraissaient exercer le métier de tisserand ; ils ont des toiles et des fils tendus d'un arbre à l'autre à d'assez grandes distances et plusieurs personnes y travaillent en même temps. Les arbres qui bordent les champs et beaucoup d'autres sont taillés avec un soin recherché : on voit même des sièges pratiqués au milieu des branches.

Je vis les prêtres du pays en longs vêtements blancs avec des rubans de diverses couleurs formant des garnitures en zigzag. Autour du corps ils avaient une large ceinture dont l'extrémité pendante était ornée de pierres brillantes et de lettres : des cordons avec des plaques de métal étaient attachés à l'une de leurs épaules. Les gens de l'endroit portaient suspendu à leur côté un cor recourbé assez court. Il y a devant le temple une fontaine sacrée qui est fermée : il y a aussi un brasier pour le feu, mais qui ne pose pas immédiatement à terre, car on peut voir au-dessous. Voilà à peu près tout ce que je me rappelle de la physionomie de cette contrée.

14 décembre. — Je vis le Seigneur et les disciples dormir dans la cabane couchés contre les parois. Je vis plusieurs hommes s'approcher de cette cabane : mais lorsqu'ils virent le Seigneur et ses disciples, ils furent saisis d'une crainte respectueuse, s'éloignèrent rapidement et se prosternèrent la face contre terre. Je ne sais pas en ce moment pourquoi ils semblaient si effrayés et tellement pénétrés de respect. Je crois que l'habillement du Seigneur leur fit présumer qu'il était juif et qu'ils n'avaient jamais vu chez eux personne de cette nation.

Les disciples se levèrent et semblèrent réveiller Jésus qui se leva à son tour, attacha autour de sa large tunique sa ceinture qu'il dénouait toujours la nuit et se revêtit du manteau qui lui avait servi de couverture En route ils n'avaient pas leur manteau sur eux, mais ils le portaient roulé ou empaqueté. Les disciples apportèrent de l'eau et lui lavèrent les pieds : il se retira ensuite avec eux dans un coin où ils firent une courte prière. Pendant tout ce temps les gens qui étaient au dehors restèrent prosternés la face contre terre. Jésus sortit, alla à eux et leur dit de ne pas avoir peur de lui. D'autres vinrent encore et ils allèrent avec lui du côté du temple. Un prêtre se tenait au haut de l'édifice et regardait en l'air avec un tube : Jésus l'appela et il descendit. Je vis ensuite un homme sortir du temple et présenter à Jésus une branche qu'il prit et qu'il donna à Erémenzear. Celui-ci la passa à Silas et Silas à Eliud ; puis Erémenzear la reprit et la porta au temple où Jésus et les autres le suivirent. Il y avait là un petit autel rond et sur cet autel un calice sans pied, ayant à peu près la forme d'un mortier et rempli d'un liquide jaunâtre dans lequel Erémenzear plaça la branche. Cette branche semblait desséchée ou artificielle, elle avait des feuilles des deux côtés et il me semble que Jésus dit qu'elle verdirait.

Je vis dans ce temple plusieurs figures : mais elles étaient enveloppées : il y avait dessus comme un fourreau, un masque d'étoffe très légère et un peu raide, semblable à du papier. Ces gens apportèrent les diverses parties d'une chaire qu'ils ajustèrent promptement . On y montait par deux marches. Jésus y monta, enseigna et leur lit des questions de tout genre comme à des enfants : pendant ce temps les femmes étaient venues se placer dans les enceintes dont il a été question. Je ne me rappelle pas autre chose quant à présent.

Le chef de cette colonie est sous la dépendance de Mensor. C'est le fils de son frère, mais ils ne peuvent pas s'accorder ensemble. C'est quelque chose qui ressemble à l'histoire d'Abraham et de Loth. Mensor aussi a partagé ses pâturages avec son neveu : du reste celui-ci après le séjour que Jésus a fait ici est devenu beaucoup meilleur et on peut même dire tout à fait bon.

Je vis plusieurs fois dans la journée des messagers ou des courriers de Mensor arriver ici et s'en retourner. L'arrivée de Jésus avait été annoncée par eux d'avance, et c'est ce qui fit que le mercredi, ces gens se prosternèrent si respectueusement devant la cabane ou il dormait. Ils avaient reçu dans la matinée le message qui leur annonçait la venue de Jésus chez eux et ils ne savaient pas qu'il était déjà arrivé pendant la nuit ; ce fut à la première aube du jour qu'ils s'approchèrent : je vis encore des étoiles dans le ciel.

Le chef de la tribu, qui était un homme de très bonne mine, était présent et il tenait à la main la branche, symbole de paix. La chaire qu'ils montèrent pour Jésus était hors du temple, près des palissades : le temple était ouvert dans toute sa longueur. Il y avait tout autour, des enceintes formées par des espèces de retranchements en terre, dans lesquelles un très grand nombre de personnes s'étaient rassemblées pour entendre Jésus. Les femmes étaient en arrière à une grande distance, et il me semble qu'elles ne pouvaient entendre que difficilement. Jésus dit quelque chose touchant la branche qu'il avait reçue et qui, pour preuve de la vérité de sa doctrine, devait reverdir lorsqu'il prendrait congé d'eux. Je ne sais pas s'il l'entendait dans le sens littéral ou si c'était seulement une comparaison qu'il faisait. Ces gens étaient simples comme des enfants et accueillaient tout avec empressement.

Je ne me rappelle rien de plus à présent si ce n'est que Jésus enseigna pendant la plus grande partie du temps et passa la première nuit dans la maison du chef de la tribu. Cette maison était ronde et à plusieurs étages : des escaliers circulaient à l'extérieur. Au-dessus de la porte, je vis un écusson de métal jaune sur lequel on lisait le nom d'Azarias d'Atom.

Note : Elle répéta souvent les lettres les unes après les autres, et hésita d'abord entre Azérias et Azéritas : elle s'arrêta enfin à Azarias Au commencement elle dit : " Atomicus ", puis elle finit par dire " d'Atom ", en ajoutant : " c'est le nom de l'endroit ". Cet écusson était-il réellement au-dessus de la porte ou lui fut-il seulement montré pour lui indiquer le nom, c'est ce qu'il est difficile de dire. Dans sa vision relative à Cuppès, elle vit un écusson semblable au-dessus de l'entrée de la tente pendant que cette femme était sur le seuil : elle le vit en outre surmonté d'une couronne qui indiquait peut-être la descendance royale ou la sainteté future de la personne en question. (Note du Pèlerin.)

15 décembre.-- Je vis que ce soir Jésus ne logea pas dans la maison d'Azarias : il alla de nouveau avec ses disciples dans la maison ouverte où ils avaient passé la première nuit et ils y célébrèrent le sabbat en particulier. Ils disposèrent une lampe, mirent leurs longs vêtements et les disciples se tinrent comme de coutume aux côtés de Jésus et derrière lui.

Je fus aussi dans la maison d'Azarias : l'intérieur était richement décoré avec de beaux tapis de couleurs varices : derrière se trouvait l'habitation de sa femme qui était unie au corps de logis principal par un passage couvert, et distribuée à peu près comme la maison de la sainte Vierge À Éphèse. Dans la partie antérieure était un foyer derrière lequel s'étendaient des deux côtés les appartements de cette femme : dans le coin le plus reculé il y avait une idole Cette femme avait plusieurs enfants : un certain nombre d'autres femmes ou servantes étaient présentes.

Sur une table assez grande soutenue par des colonnettes se trouvait un petit socle avec des ouvertures de tous les côtés et des ornements en feuillage, au-dessus duquel était placée l'idole qui avait la forme d'un chien assis sur ses pattes de derrière. Elle avait sous elle des feuilles écrites : il semblait qu'on eût voulu représenter un livre composé de plusieurs tablettes attachées ensemble avec des cordons. L'idole levait en l'air une de ses pattes de devant, comme pour montrer le livre Sa tête était grosse, longue et aplatie et avait quelque ressemblance avec un visage humain. Je vis que des prêtres prenaient du feu à l'aide d'un tube dans le bassin placé devant le temple et le répandaient sous l'idole : celle-ci était creuse, car des étincelles et de la fumée sortaient de la bouche et du nez, et le feu jaillissait par les yeux.

Au-dessus de cette idole il y en avait une autre à plusieurs bras. Elle semblait assise sur des serpents. Il y avait là quelque chose d'abominable : on adorait en elle le sexe féminin : mais je n'en puis rien dire de plus. C'était une divinité indienne et j'appris comment son culte était arrivé ici.

Je vis alors entrer une femme d'Azarias lequel était aussi présent : elle était malade et conduite par deux autres femmes. C'était celle qui tenait le premier rang parmi ses épouses et elle souffrait d'une perte de sang. Elle venait devant l'idole pour être guérie. On la fit asseoir sur une espèce de trône garni de coussins et de tapis, ses enfants se tenaient debout auprès d'elle. Les prêtres firent des prières, encensèrent et même sacrifièrent (des oiseaux, je crois) devant l'idole : mais il n'en résulta rien. Des flammes sortirent de l'idole, une vapeur noire et épaisse s'échappa, je vis de hideuses figures de doguins s'enfuir et disparaître et la malade se trouva dans un état très misérable. Pendant qu'elle s'affaissait sur elle-même, À demi morte, elle s'écria : " Ces idoles ne peuvent pas me secourir ! ce sont de mauvais esprits. Ils ne peuvent plus rester ici : ils fuient devant le prophète, le roi des Juifs qui est chez nous. Nous avons vu son étoile et nous l'avons suivie ! Le prophète seul peut me guérir " !

Elle dit cela beaucoup plus brièvement, puis tomba sans mouvement et comme sans vie, ce qui consterna les assistants. Ils ne savaient pas que Jésus en personne était parmi eux. Ils avaient cru que c'était seulement un envoyé du roi des Juifs. Ils allèrent alors respectueusement trouver Jésus qui célébrait le sabbat dans la cabane où il s'était retiré avec ses disciples, et le supplièrent de venir près de la malade, lui disant qu'elle avait assuré que lui seul pouvait la guérir. et comment les idoles étaient réduites à l'impuissance, etc.

Je vis alors Jésus qui avait encore ses vêtements du sabbat, se rendre avec les disciples près de la malade : elle était étendue par terre et semblait mourante. Jésus parla avec beaucoup de force et de vivacité contre les idoles et le culte qu'on leur rendait : il leur dit qu'elles n'étaient rien par elles-mêmes et que c'était Satan qu'ils servaient. Il fit de grands reproches à Azarias de ce qu'après son retour de Bethléhem, où il était allé très jeune encore avec les rois mages, il était retombé si profondément dans les abominations de l'idolâtrie. Il leur dit que s'ils voulaient croire à ses enseignements, observer ses préceptes et se faire baptiser, il leur enverrait dans trois ans son apôtre (Thomas) : il ajouta qu'il allait guérir la malade. Il parla en outre à celle-ci : elle répondit qu'elle croyait en lui et les autres promirent aussi de croire.

Cependant on avait enlevé les parois qui fermaient la tente et un très grand nombre de personnes se tenaient autour : Jésus demanda un bassin plein d'eau, mais d'eau ordinaire et qui ne fût pas prise à leur fontaine sacrée, il ne se servit pas non plus de leur aspersoir. Il se fit apporter une branche fraîchement cueillie, qui avait de jolies petites feuilles effilées. Il ordonna de couvrir les idoles, ce qu'on fit avec de beaux tapis blancs brodés d'or. Jésus plaça l'eau sur l'autel ; puis un des trois disciples, lesquels pendant tout ceci se tenaient à sa droite, à sa gauche et derrière lui, lui présenta une boîte ronde en métal prise dans la bourse qu'ils portaient avec eux. Il y avait plusieurs de ces boîtes placées les unes sur les autres : je remarquai dans l'une de l'huile, dans l'autre du coton ; celle qu'il présenta à Jésus renfermait une poudre blanche très fine. Je ne puis pas dire que ce fût du sel, mais cela m'en fit l'effet. Jésus en jeta dans l'eau sur laquelle il se pencha : je ne sais pas s'il souffla dessus. Ayant prié, il la bénit avec la main, y trempa la branche et aspergea tous les assistants ; puis il étendit la main vers la malade en lui commandant de se lever. Elle obéit et se trouva guérie. Alors elle se jeta à genoux et voulut lui embrasser les pieds, mais il ne se laissa pas toucher par elle.

Après avoir guéri cette femme, Jésus dit qu'il en y avait ici une autre qui était beaucoup plus malade et qui ne réclamait pourtant pas son secours : que celle-là adorait un homme. Je vis la femme dont il parlait : elle s'appelait Ratimiris : je vis aussi sa maladie, consistant en ce que la vue, le nom, la pensée d'un jeune homme que je vis aussi, la faisaient tomber dans une espèce de fièvre d'amour impudique qui la rendait malade à la mort. Elle avait pourtant un mari et même plus d'un. Le jeune homme ignorait tout cela. (Anne Catherine ne pouvait s'empêcher de rire de cette femme et de sa maladie qu'il lui était impossible de comprendre.)

Jésus fit appeler cette Ratimiris. Elle s'approcha toute honteuse : il alla à l'écart avec elle, lui révéla toutes les circonstances de sa maladie et tous ses péchés, et elle convint de tout. Le jeune homme qu'elle aimait était employé au service du temple, et toutes les fois qu'elle apportait ses offrandes qui étaient reçues par lui, elle tombait dans ses accès. Après lui avoir parlé en particulier, Jésus la ramena devant l'assistance et lui demanda si elle voulait croire en lui et recevoir le baptême lorsqu'il enverrait ici son messager. Elle dit qu'elle le voulait et se montra pleine de respect et de foi : alors il chassa d'elle le démon de l'amour impur et je vis sortir de son corps une vapeur noire.

Le jeune homme s'appelait Kaisar. Il était très beau et très svelte et il avait dans sa personne quelque chose de Jean. Il était parfaitement pur et chaste : c'était un descendant de Cetura et un parent d'Erémenzear qui était aussi de cet endroit : voilà pourquoi Jésus avait donné à celui-ci la branche de paix lors de sa réception.

Kaisar ou César s'entretint avec les disciples : il avait depuis longtemps un pressentiment de la rédemption : il leur raconta aussi plusieurs songes qu'il avait eux. Il avait rêvé entre autres choses qu'il portait sur ses épaules un très grand nombre de personnes à travers un courant d'eau : cela fit penser aux autres qu'il était peut-être destiné à opérer beaucoup de conversions. J'ai vu qu'il partira d'ici avec Jésus. J'eus une vision touchant son avenir où je vis que trois ans après l'Ascension, lorsque Thomas baptisait dans ce pays, il y revint avec Thaddée ; plus tard Thomas l'envoya en qualité d'évêque dans un endroit où il fut crucifié quoiqu'innocent, comme voleur mourut l'âme remplie de joie.

Jésus enseigna ici jusqu'au moment où le jour parut et où l'on éteignit les lampes. Il leur ordonna de détruire les images du démon, il leur reprocha d'adorer le sexe féminin dans une image diabolique et de traiter leurs femmes plus mal que les chiens qui étaient pour eux des animaux sacrés. Dans la matinée Jésus se retira de nouveau avec les disciples pour célébrer le sabbat dans une cabane isolée.

Vers le soir, Anne Catherine, plongée dans un sommeil extatique, parla ainsi : " Avec quelle véhémence Jésus a parlé à ces paiens, lui qui s'était montré si indulgent envers d'autres ! Il y avait de grandes différences dans sa manière d'agir. Je voudrais que X. vît cela pour apprendre qu'il ne faut pas se servir, comme il le fait, du même onguent pour tous les malades ".

Je fus aussi informée pourquoi ce voyage de Jésus était resté si secret. Autant qu'il m'en souvient, Jésus a dit à ses apôtres et à ses disciples, qu'il voulait s'éloigner un peu pour se faire oublier, et eux-mêmes ne savaient rien de la route qu'il voulait prendre. Le Seigneur avait pris avec lui des adolescents d'une grande simplicité pour qui les rapports avec les païens n'étaient pas un objet de scandale et qui ne se faisaient pas des scrupules à tout propos. Je crois aussi qu'il leur défendit sévèrement d'en parler dans la suite, sur quoi l'un d'eux lui répondit naïvement : " L'aveugle redevenu voyant auquel vous aviez défendu d'en rien dire l'a pourtant fait et il n'a pas été puni " ! Jésus repartit : " Cela s'est fait pour que Dieu fût glorifié : cette fois il en résulterait un grand scandale " ! Je crois que les Juifs et ses apôtres eux-mêmes pour la plupart, se seraient scandalisés en apprenant qu'il était allé chez les Gentils.

Je vis aussi qu'outre Kaïsar qu'il prit ici, quelques autres disciples suivront Jésus à son départ d'Égypte. Si j'ai vu cela, ainsi que beaucoup de particularités touchant Kaïsar, cela tient à ce que j'ai près de moi une amulette où il y a de ses reliques mêlées à quelques autres. J'ai oublié les noms de ceux auxquels elles appartiennent, mais je sais que quelques-unes de ces reliques sont désignées à tort par des noms d'apôtres. Je vois toujours plus clairement ce qui concerne les personnes quand il y a près de moi de leurs reliques ou de celles de leurs parents : il semble que je vois tout ce qui les concernent au moyen de ce qui a fait leur substance.

16 décembre. — Le soir du sabbat le Seigneur convoqua de nouveau tous les habitants de l'endroit et les enseigna. Il bénit de l'eau pour leur usage et se fit préparer par eux un calice neuf comme chez Mensor. Il bénit aussi comme il l'avait fait là, du pain et une liqueur rouge. Dans le vase où Erémenzear avait mis la branche qu'on leur avait présentée à leur arrivée, afin qu'elle se conservât fraîche, il y avait un liquide d'un vert jaunâtre qu'ils exprimaient d'une certaine plante et qu'ils considéraient comme un breuvage sacré. Je vis que pendant toute la nuit du samedi au dimanche Jésus enseigna devant le temple, qu'il aida lui-même à briser leurs idoles et leur dit comment ils devaient distribuer le prix du métal. Je vis encore qu'il mit les mains sur les épaules des prêtres comme il l'avait fait chez Mensor et qu'il leur apprit aussi à distribuer le pain bénit et à préparer le breuvage; seulement ici le vase était plus grand.

Azarias est devenu plus tard prêtre et martyr. Les deux femmes que Jésus guérit ici sont aussi devenues des martyres comme Cuppès. Le Seigneur parla contre la pluralité des femmes et il donna des instructions sur l'état du mariage. Comme la femme d'Azarias et Ratimiris voulaient être dès à présent baptisées par lui, il leur dit qu'il avait bien le pouvoir de le faire, mais que le moment n'était pas venu : il devait d'abord retourner à son Père et envoyer le Consolateur, ensuite ses envoyés les baptiseraient. En attendant elles devaient vivre dans le désir d'accomplir sa volonté : cela servirait de baptême à ceux qui mourraient avant l'arrivée de ses envoyés. Ratimiris fut baptisée par Thomas et reçut le nom d'Emilie, lorsque trois ans après l'Ascension il vint dans ces contrées avec Thaddée et Kaïsar, et qu'il baptisa le peuple et les rois : il venait d'un point plus méridional que celui d'où Jésus était parti.

17 décembre. — Je crois que Jésus est parti d'Atom dimanche. Je ne me souviens plus bien des adieux. Il s'est mis en voyage vers midi et il a continué à marcher jusqu'au matin. La contrée qu'il traversa était très fertile, coupée de rivières et de canaux. Il y a là beaucoup d'arbres fruitiers, spécialement des pêchers qui sont plantés en lignes régulières. J'entendis les noms d'Euphrate, de Tigre, de Chaldar : je crois que Ur, le Pays d'Abraham n'est pas loin d'ici, non plus que le lieu où Thaddée a souffert le martyr.

Jésus arriva vers le soir dans un endroit qui paraissait s'étendre le long de la grande route. Des Chaldéens y habitaient. Ce n'était pas proprement une ville, il y avait seulement quelques maisons plates bâties en pierre et disséminées le long du chemin J'entendis le nom de Sikdor comme étant celui de cet endroit Les habitants étaient bons, Jésus les enseigna. Près de là s'élevait une montagne surmontée d'une haute pyramide où l'on montait par des escaliers. On trouvait en haut des galeries, des sièges et de grands tubes dont ils se servaient pour observer les astres. Il y avait ici beaucoup de jeunes gens comme s'il s'y fut trouvé une école.

Ces gens étaient moins vêtus que les trois rois, mais ils avaient des couvertures sur eux et portaient des ceintures. Ils faisaient des prédictions d'après la course des animaux interprétaient les songes et prophétisaient. Ils avaient certains pressentiments touchant une mère de Dieu. Dans leur temple qui était de forme ovale on voyait beaucoup de figures en métal d'un travail singulièrement beau et élégant. Le principal objet qui s'y trouvât était une colonne triangulaire. A l'un des côtés se tenait une idole à plusieurs pieds qui étaient moins des pieds d'homme que des pattes d'animaux. Elle avait aussi plusieurs bras et portait dans ses mains plusieurs objets, par exemple une boule, un cerceau, une grosse pomme à côtes avec une queue, et un petit bouquet d'herbes : je me souviens de cela. Son visage ressemblait à un soleil, elle avait un grand nombre de mamelles et je crois que c'était l'image de la force génératrice et conservatrice dans la nature : elle s'appelait Mytor ou Mitras. De l'autre côté de la colonne était un animal à une seule corne. C'était une licorne et son nom était quelque chose comme Asphas ou Aspax. Cet animal combattait avec sa corne contre un autre animal malfaisant qui se trouvait sur le troisième côté de la colonne. Celui-ci avait une tête avec un bec crochu semblable à celle d'un hibou, quatre pattes armées de griffes, deux ailes et une queue dont l'extrémité ressemblait à un scorpion. Je ne me souviens plus de son nom ; quant aux autres noms, je ne puis non plus donner que des à peu près parce que je les retiens très difficilement. Au-dessous de ces deux animaux, en avant de l'angle de la colonne, était une figure qui représentait la mère de tous les dieux. Son nom était Frau ou Alpha. Elle était supérieure à tous les dieux et quiconque voulait obtenir quelque chose du Dieu suprême, devait avoir recours à son intercession. Ils l'appelaient aussi grenier de blé. Du milieu du ventre ou du nombril de cette figure sortait un bouquet de gros épis de blé qu'elle tenait serré dans ses mains. Sa tête était enfoncée entre ses épaules et courbée en avant : sur la nuque se trouvait un vase plein de vin. (Elle dit une fois qu'on avait dû d'abord y mettre du vin.) il était dit aussi dans leurs traditions que ce blé devait devenir du pain et que le vin devait réconforter tous lés hommes. Cette figure était surmontée d'une espèce de couronne au-dessus de laquelle on voyait sur la colonne deux lettres ou deux signes qui me parurent être O W.

Il y avait encore dans le temple une table ou autel de bronze sur lequel je vis quelque chose qui m'étonna beaucoup. Sous un léger couvercle de forme arrondie qu'ils enlevèrent, se trouvait un petit jardin rond entouré d'un grillage en or, comme une volière, et au-dessus duquel était l'image d'une vierge. Au milieu du petit jardin on voyait sous un petit temple une fontaine consistant en plusieurs bassins superposés qui tous étaient fermés. Devant cette fontaine se trouvait un cep de vigne vert avec une belle grappe rouge suspendue dans une machine noire dont la forme me rappelle tout à fait la croix. L'extrémité supérieure était ouverte comme un entonnoir : le tronc était creux et ce qu'on introduisait par le haut pouvait s'écouler par en bas.

Comme on lui demandait quelle forme avait le pressoir dans ses visions sur les travaux de la vigne, Anne Catherine répondit : "Il a bien le même aspect mais il est placé dans une cuve". Le soir suivant, parlant encore de cette machine, elle dit: "Il y avait au haut de l'entonnoir comme un sac de cuir et on pouvait faire jouer les bras de la croix comme des leviers : ils pressaient alors le vin qui s'échappait par des ouvertures pratiquées au bas du tronc. C'était donc à la fois une croix et un pressoir".

Ce petit jardin avait de cinq à six pieds en longueur et en largeur. On y voyait de jolis buissons et des arbustes verts : le cep de vigne et la grappe avaient l'air d'objets naturels. Ces gens avaient fait tout cela d'après ce qu'ils avaient observé dans les astres et je crois qu'ils virent aussi quelque chose de semblable sur l'échelle de Jacob. Ils avaient encore d'autres pressentiments et d'autres symboles de la très sainte mère de Dieu.

Ils sacrifiaient des animaux et ils avaient une horreur particulière pour le sang qu'ils faisaient toujours couler dans un trou creusé en terre. Ils avaient du reste le feu de l'eau sacrée, le calice rempli du jus d'une plante, les petits pains, enfin tout ce qu'avaient les autres. Jésus leur reprocha leur idolâtrie. Il leur dit il est vrai qu'il y avait là beaucoup de pressentiments de la vérité, mais que Satan s'était introduit dans toutes ces formes pour les souiller. Il leur expliqua l'image du jardin fermé et leur dit aussi que lui-même était le cep de vigne dont le sang réconforterait le monde, et le grain de blé qui devait être mis en terre et ressusciter. Il parla ici beaucoup plus clairement et plus nettement que chez les Juifs, car ces gens étaient si humbles qu'ils croyaient que les Juifs seuls étaient la race d'élection. Le Seigneur les consola et leur dit qu'il était venu pour tous les hommes : il leur ordonna de brûler les idoles et d'en distribuer le prix aux pauvres. Il leur reprocha particulièrement d'avoir mêlé des symboles et des indications de céleste origine avec des images de Satan.

Il y avait ici une maison où l'on instruisait des jeunes filles. Lorsque le Seigneur partit de Sikdor, les habitants furent très émus. Ils se jetèrent en travers sur son chemin et ne voulaient pas le laisser aller plus loin, mais il continua sa marche. Je le vis ensuite avec ses disciples près d'une maison voisine de la route, se reposer sur des couches placées sous un grand arbre qui était entouré d'une clôture : il y mangea du pain et du miel qu'on leur apporta de la maison.

Dans la nuit du lundi au mardi, je ne vis le Seigneur s'arrêter nulle part. Je le vis avec ses quatre disciples marcher dans la plaine, tantôt parmi des cailloux blancs, tantôt à travers des prairies couvertes de fleurs blanches. Il y avait le long du chemin beaucoup de pêchers dont le tronc était mince et élancé. Plusieurs fois le Seigneur s'arrêta et s'entretint avec les disciples en leur montrant du doigt ce qui les entourait. Il y a dans ce pays beaucoup de cours d'eau et de canaux.

Jésus voyageait avec une rapidité étonnante, faisant quelquefois vingt lieues de suite, sans s'arrêter ni jour ni nuit. Pour revenir en Judée, il suivit une route qui décrit un très grand arc de cercle. Je crois toujours qu'Erémenzear a écrit sur ce voyage, et que son écrit a été brûlé, mais que pourtant, il s'en est conservé quelque chose jusqu'à nous. Ils marchèrent toujours jusqu'au mardi soir : alors je vis le Seigneur et les disciples approcher d'une ville qui était précédée de plusieurs jardins circulaires entourant une colline ; la plupart avaient une fontaine au milieu et ils étaient plantés d'arbres élégants et de jolis arbustes. La route que suivait le Seigneur se dirigeait au midi ; Babylone était vers le nord : je crois qu'en partant d'ici on descendait toujours pour aller à Babylone qui était située beaucoup plus bas.

Une perspective s'ouvrit ici pour moi entre le nord et le levant. Je vis comme de hautes montagnes resplendissantes sur lesquelles s'élevaient plusieurs tours merveilleuses. Tout cela est situé au-dessus des nuages : c'est la montagne des prophètes, de laquelle toutes ces rivières reçoivent leurs eaux. La rivière d'ici se divisait près de la ville en trois bras qui se réunissaient plus bas. Deux d'entre eux l'entouraient et le troisième la traversait. Le Seigneur repassa encore une fois de l'autre côté du fleuve, puis il se dirigea vers le midi, où ce fleuve se jette dans la mer. Je crois qu'il s'appelle le Tigre, du moins j'ai entendu prononcer ce nom.

Le Seigneur passa dans cette ville très paisiblement et sans être accosté par personne. C'était le soir : on voyait peu d'habitants, personne ne s'inquiéta de lui ; mais bientôt je vis venir à sa rencontre plusieurs hommes vêtus de longues robes comme Abraham et ayant des pièces d'étoffes roulées autour de la tête. Ces hommes s'inclinèrent devant lui et l'un d'eux lui présenta un bâton court, recourbé par le haut comme une houlette. C'était un roseau de la même espèce que celui qu'on mit par dérision dans les mains du Christ : ils l'appelaient le bâton de la paix. Les autres étaient allés deux par deux étendre un tapis en travers de la rue et quand le Seigneur avait passé dessus, ils le relevaient et prenaient les devants pour l'étendre de nouveau. Ils arrivèrent ainsi à une cour entourée d'une grille sur laquelle étaient placées plusieurs idoles au-dessus de la rue s'avançait un drapeau porté par une hampe et sur lequel était représenté un homme tenant une crosse comme celle dont il a été parlé. C'était le drapeau de la paix. Ils conduisirent le Seigneur à travers un bâtiment couronné d'une balustrade que surmontait un autre drapeau. Cela paraissait être leur temple. Autour de la salle intérieure étaient des idoles voilées et au milieu une autre figure également voilée. L'enveloppe qui la couvrait se terminait en haut en forme de couronne. Le Seigneur ne s'arrêta pas là. Ils suivirent un couloir des deux côtés duquel on voyait des chambres à coucher; puis ils arrivèrent à un petit jardin intérieur fermé de tous côtés qui était élégamment pavé de pierres de diverses couleurs et planté de beaux massifs et de jolis arbrisseaux. Au centre était une fontaine surmontée d'un petit temple ouvert. Le Seigneur et les disciples s'arrêtèrent là. Sur leur demande les idolâtres leur apportèrent de l'eau dans un bassin. Le Seigneur la bénit d'abord comme s'il eût voulu effacer par là la bénédiction païenne qu'elle avait reçue ; puis les disciples lui lavèrent les pieds et il leur rendit le même office ; après quoi ils versèrent le reste de l'eau dans la fontaine. Les païens conduisirent ensuite le Seigneur dans une salle ouverte adjacente où était préparé un repas : c'étaient de grosses pommes jaunes à côtes et d'autres fruits, des rayons de miel, des gâteaux ressemblant à des gaufres et de petits morceaux coupés en carré, le tout placé sur une table basse. Ils mangèrent quelque chose sans s'asseoir. L'arrivée de Jésus avait été annoncée aux gens d'ici par les prêtres de l'endroit qu'il avait visités précédemment, et ils l'avaient attendu tout le jour : c'est pourquoi on lui fit une réception si solennelle. Abraham aussi présentait à ses hôtes pour leur souhaiter la bienvenue un bâton comme celui qu'ils offrirent à Jésus.

20 décembre. — J'ai entendu prononcer le nom de la ville où Jésus alla hier : elle s'appelle Mozin ou Mozian. C'est une ville de prêtres : les habitants sont profondément plongés dans l'idolâtrie. Jésus n'entra pas dans leur temple : je le vis devant ce temple enseigner en présence d'un nombreux auditoire, sur un tertre où étaient pratiqués des degrés en maçonnerie et situé près d'une fontaine Il les blâma très sévèrement de leur attachement au culte du démon, plus grand encore que celui de leurs voisins. Il leur reprocha toutes leurs pratiques idolâtriques et dit qu'ils avaient abandonné la loi. J'entendis qu'il leur parla de la destruction du Temple de Jérusalem à laquelle ils avaient pris part, de Nabuchodonosor, et de Daniel. Il leur dit qu'il devait se faire chez eux une séparation entre les croyants et les aveugles : car il y avait des gens bien disposés. Il dit à ceux-ci où ils devaient aller. Beaucoup étaient endurcis : il y avait un point touchant les femmes dont ils ne voulaient pas entendre parler : je crois qu'il s'agissait de l'abolition de la polygamie.

Les femmes chez eux vivaient tout à fait à part, dans une rue située à l'extrémité de la ville dont elle était séparée par des allées. Elles semblaient très méprisées et les hommes les prenaient en horreur lorsqu'elles étaient malades : les filles ne devaient se laisser voir que jusqu'à un certain âge. Aucune femme ici ne vit Jésus: il y avait de jeunes garçons dans l'assistance.

Jésus parla à ces gens en termes très sévères : il leur dit qu'ils étaient tellement aveuglés et plongés dans le mal que, lorsque son envoyé viendrait les visiter, il ne les trouverait pas encore disposés à recevoir le baptême : j'ai vu qu'en effet il en fut ainsi dans une vision que j'ai eue cette nuit sur la vie de l'apôtre saint Thomas. Jésus ne voulut pas rester plus longtemps parmi eux et il quitta la ville. Des jeunes filles vinrent à sa rencontre près de la porte : elles avaient de larges pantalons, des guirlandes autour des bras et du cou, et des bouquets à la main : elles chantaient des cantiques à sa louange. Il s'entretint avec elles.

Je vis ensuite Jésus traverser une grande plaine avec ses compagnons et entrer vers midi dans un village de bergers qui habitaient sous des tentes. Il s'assit près de la fontaine, les disciples lui lavèrent les pieds et il vit des hommes portant des branches d'arbre, qui le reçurent avec joie. Ils avaient de longs vêtements qui rappelaient ceux du temps d'Abraham : il y avait chez eux une pyramide d'où l'on observait les étoiles. Je ne vis pas d'idoles parmi eux, ils me parurent être purement des adorateurs des astres. Je crois qu'ils appartiennent à des races dont quelques membres étaient allés à Bethléhem avec les rois mages. C'était uniquement, à ce qu'il me sembla, une petite agglomération de bergers dont un seul, qui était leur chef, avait une maison bâtie. Jésus mangea debout du pain et des fruits dans cette maison et il but dans un verre à part. Il enseigna ensuite près de la fontaine et lorsqu'il partit, ils se prosternèrent sur son chemin et le supplièrent de rester.

Le Seigneur marcha toute la nuit et le jour suivant : je le vis une fois se reposer avec les disciples près d'une fontaine, à l'ombre de grands arbres, dans un lieu où s'arrêtaient ordinairement les voyageurs : il mangea là un peu de pain et se désaltéra.

22 décembre. — Le Seigneur et ses disciples se dirigèrent vers le sud, en s'éloignant un peu du fleuve, et vers le soir, avant le sabbat, ils arrivèrent près d'une ville. Elle est aussi située sur le bord du fleuve et environ trente lieues plus au midi que la précédente. Les habitations y sont plus rapprochées les unes des autres et il n'y existe pas la même séparation entre les hommes et les femmes. J'entendis le nom de la ville, c'est quelque chose comme Ur ou Urhi. Il y avait un rapport entre cette ville et Abraham, soit qu'Abraham fût de ce pays, soit que les habitants fussent venus de la patrie d'Abraham : je ne sais plus bien ce qui en était. Je vis Jésus et ses compagnons arriver devant la ville prés d'une fontaine qui se trouvait au milieu d'un enclos entouré de plusieurs allées de grands arbres touffus et où il y avait de petits sièges de pierre. Les disciples lavèrent les pieds du Seigneur et les leurs. Ils entrèrent ensuite dans la ville dont l'architecture ne me parut pas ressembler à celle de l'autre. Il y avait plusieurs tours au haut desquelles on montait par des escaliers tant à l'extérieur qu'à l'intérieur : à l'étage supérieur, il y avait des galeries d'où l'on observait les étoiles.

Les habitants avaient appris par les étoiles l'arrivée du Seigneur, ils l'attendaient depuis longtemps et faisaient attention à tous les étrangers qui arrivaient. Cette fois quelques personnes ayant vu Jésus dans la ville coururent pour annoncer sa venue à une grande maison devant laquelle était une place. Cette maison était surmontée d'une plate-forme d'où l'on pouvait voir de tous les côtés. Devant la porte le Seigneur et les disciples avaient changé quelque chose à l'arrangement de leurs ceintures et ils avaient laissé retomber leurs robes qui étaient relevées. Plusieurs hommes portant de longs vêtements sortirent de la maison qui me parut ressembler à une école. Ils avaient pour ceintures des courroies dont les bouts étaient pendants leurs habits étaient d'une couleur uniforme : ils n'avaient pas de bandeaux roulés autour de la tête, mais portaient des bonnets semblables à des bourrelets d'enfants dont la partie bombée était faite d'objets frisés, floconneux comme de la plume : il en partait des bandes étroites qui se réunissaient au sommet, formant comme une touffe de plumes et à travers lesquelles on pouvait voir les cheveux. Ces hommes se prosternèrent devant Jésus et lui présentèrent une branche d'arbre : l'un d'eux portait une espèce de sceptre. Un drapeau flottait en avant de la maison : je ne sais plus ce qui y était représenté. Ils placèrent Jésus et les disciples au milieu d'eux et les firent entrer dans la maison dont l'intérieur était occupé par une grande salle Ils le menèrent à une chaire à laquelle on montait par des degrés : il y avait plusieurs sièges les uns au-dessus des autres et celui du milieu était le plus élevé. Il vint beaucoup de monde pour entendre Jésus : mais il n'enseigna pas longtemps, car ils le conduisirent à une autre maison où on arrivait à travers une longue rangée de chambres à coucher, et ils l'introduisirent dans une salle où un repas était préparé pour lui. Il mangea à peine quelques bouchées qu'il prit debout : après quoi on le conduisit dans une chambre où on le laissa seul avec les disciples et où ils prirent ensemble quelque nourriture; après quoi ils prièrent pour célébrer le sabbat.

23 décembre. — Ils célébrèrent le sabbat. Quand il fut fini, je vis Jésus enseigner encore du haut d'une tribune en pierre, sur une place où il y avait une fontaine. Un auditoire de femmes était rassemblé autour de lui. Elles avaient des vêtements étroits dans lesquels elles étaient tellement serrées que je ne comprenais pas comment elles pouvaient marcher. Quelques-unes portaient des étoffes à grandes fleurs, et aussi des bonnets faits avec ces plumes floconneuses dont j'ai parlé. Ces bonnets ressemblaient à un capuchon : ils se terminaient par un petit sommet arrondi, descendaient en pointe sur le front et avaient deux appendices qui retombaient sur les joues.

Après cela Jésus enseigna encore dans la maison des hommes. Il y avait ici des temples avec des idoles, mais le Seigneur n'y entra pas : toutes les idoles étaient enveloppées dans des couvertures. Il parla beaucoup d'Abraham à ces gens en termes véhéments et s'exprima très vivement sur le degré d'abjection où ils étaient tombés.

Thomas ne les baptisa pas lorsqu'il vint pour la première fois dans ce pays.

24 décembre. — Les habitants d'Ur accompagnèrent Jésus ce matin et jetèrent des branches d'arbre devant lui dans la rue. Il marcha longtemps dans la direction de l'ouest à travers une belle campagne, ensuite le sol devint plus sablonneux, puis passant à travers des halliers, ils arrivèrent vers midi à une fontaine près de laquelle ils mangèrent et se reposèrent. Ils trouvèrent ensuite une forêt où étaient disséminées quelques cabanes : le pays était cultivé par places. Vers le soir ils arrivèrent près d'un grand édifice rond qui était entouré d'eau ainsi qu'une cour attenante. Il y avait tout autour des maisons à toits plats très grossièrement construites. Au haut du château on voyait de la verdure : je vis même des arbres ; mais cela est-il possible ? dans l'épaisseur des murs étaient pratiquées des habitations pour des gens de la classe inférieure.

Jésus et les disciples entrèrent dans la cour où il y avait une fontaine entourée d'arbres de diverses espèces. Ils lui lavèrent les pieds comme à l'ordinaire. Alors il vint du grand édifice deux hommes chamarrés d'une quantité de rubans et coiffés de bonnets de plumes. L'un d'eux, un vieillard vêtu d'une longue robe et ayant sur la tête une haute coiffure pointue, tenait à la main une branche et un bouquet de verdure où il y avait des baies. Il les donna à Jésus qui le suivit ainsi que les disciples dans l'édifice rond. Au centre de cet édifice était une chambre circulaire qui recevait le jour d'en haut et où il y avait un foyer élevé sur des degrés. Cette pièce communiquait par des portes à des chambres irrégulières dont le mur postérieur était recouvert de tapis, derrière lesquels on plaçait des objets de toute espèce. Le sol était bien aplani et couvert, comme les parois, d'épaisses couvertures. Ils prirent là un repas, toutefois avec quelque réserve : ils mangèrent du pain et des tranches d'un gros fruit : il y avait là aussi une boisson particulière que je ne connaissais pas : ils burent dans des vases neufs.

Alors le maître de la maison montra tout à Jésus et le conduisit partout. Tout le château était plein d'idoles d'un beau travail : il y avait des figures grandes et petites, avec des têtes de chien et de boeuf et des corps de serpent, beaucoup d'autres figures d'animaux, et des simulacres qui ressemblaient à des enfants au maillot. Quelques-unes étaient placées dans la cour sous les arbres, par exemple un oiseau qui regardait en l'air et d'autres animaux rangés à l'entour. J'eus des visions sur leur religion : je me rappelle seulement qu'ils sacrifiaient des animaux et qu'ils avaient horreur du sang et le faisaient couler sous la terre. Ils avaient aussi une cérémonie où on distribuait du pain aux assistants. Je me souviens que les gens considérables voulaient en avoir plus que les autres, deux parts ou une plus grosse part. Il y avait là aussi une idole ayant sur la poitrine plusieurs bras et plusieurs têtes, dans la bouche desquelles ils introduisaient quelque chose.

Jésus enseigna ensuite dans la cour, prés de la fontaine, et il s'éleva avec beaucoup de force contre leur culte diabolique. Ils ne l'écoutèrent pas sans mécontentement : je vis surtout le chef principal qui était des plus aveuglés, s'irriter et contredire Jésus. J'entendis alors Jésus leur dire qu'en témoignage de la vérité de ce qu'il disait, ils verraient leurs idoles se briser dans la nuit où l'étoile était apparue aux rois mages : qu'ils entendraient les figures de boeufs beugler, celles de chiens aboyer et celles d'oiseaux crier. Ils écoutèrent cela avec déplaisir et sans y croire. Il ajouta qu'il en serait ainsi sur tout le chemin qu'il avait parcouru dans le pays des paiens. Il me revient en ce moment qu'il en avait dit autant partout où il était allé.

25 - 27 décembre. — Le 27 ; au soir vers dix heures, je vis de nouveau le Seigneur et les disciples. Ils étaient déjà loin du château et suivaient un chemin qui passait entre des bois. A droite dans le lointain je vis des murs en ruines et un grand nombre de colonnes : il me sembla que de pauvres gens habitaient parmi ces décombres. Ce ne fut qu'un coup d'úil jeté rapidement. La route se dirigeait vers l'ouest. Maintenant Jésus voyageait très vite. Ce qui me surprit beaucoup, c'est que dans la nuit de Noël, peu avant la naissance du Christ, j'avais eu des visions touchant tout ce voyage : j'avais vu tous les lieux, la ville païenne près de Cédar, les premiers adorateurs des astres, les bergers qui trayaient leurs idoles d'animaux, le camp des trois rois, Azarias d'Atom, les premiers Chaldéens et le château rempli d'idoles, et je vis partout les idoles se briser et les figures de bêtes crier. Je vis les rois en prières dans leur temple. Ils avaient allumé une quantité de lumières près de la petite crèche, et il me semble qu'il y avait là aussi une figure d'âne. Ils n'honoraient plus leurs images d'animaux, cependant elles crièrent pour leur donner un signe que Jésus était bien celui vers lequel l'étoile les avait conduits, ce qui était encore resté douteux pour bien des faibles.

Depuis hier soir je n'ai pas vu Jésus ni les disciples entrer nulle part, mais je les ai vus toujours en route, d'abord traversant un désert de sable très étendu, puis franchissant une arête de montagnes qui s'élevaient insensiblement, puis de nouveau dans une contrée plus verdoyante au milieu de massifs d'arbres peu élevés ayant des feuilles très menues : cela ressemblait à des petits bosquets de genévriers. Ces arbres étaient tondus par en haut et réunis par leurs sommets, mais le dessous était dégagé et formait comme une salle très spacieuse. Les animaux doivent pouvoir se faire là des retraites. Ensuite vinrent des pierres verdâtres qui semblaient recouvertes de lierre, puis de nouveau des prairies et des fleurs. Plus loin se présentait un fleuve au bord duquel était à l'ancre un radeau formé de poutres dont ils se servirent pour passer l'eau sans secours étranger. Il y avait des gens qui habitaient dans les environs, mais ils passèrent pendant la nuit. Le fleuve n'était pas rapide, mais très profond. Un autre cours d'eau s'y jetait, à moins que ce ne fût un bras du premier, ce dont je ne me souviens plus. Ils suivirent ce bras et arrivèrent aujourd'hui dans la nuit à une ville située sur les deux rives du fleuve. C'était, je crois, la première ville égyptienne. Le silence régnait partout et je vis le Seigneur et les disciples se rendre sans être remarqués, sous le portique d'un temple où il y avait des couches pour les voyageurs. Ici la vision disparut. La ville me parut très ruinée. Il y avait de grands murs très épais, et des maisons de pierre très massives : beaucoup de pauvres gens semblaient y habiter. J'eus l'impression que Jésus avait longé l'un des côtés du désert où avaient erré les Israélites.

28 décembre. — Je vis ce matin un mouvement tumultueux dans la ville égyptienne. Jésus et les disciples s'éloignèrent en toute hâte. Plusieurs enfants coururent après eux en criant : " Ce sont de saints personnages. ~ Mais les habitants étaient très irrités, et le Seigneur et ses compagnons leur échappèrent devant la ville. Il y avait eu une grande agitation pendant la nuit, car plusieurs idoles étaient tombées, et des enfants qui avaient eu des rêves prophétiques avaient parlé de saints personnages qui étaient entrés dans la ville.

Jésus et les disciples suivirent des chemins creux très profonds à travers un pays sablonneux : le soir, je les vis un peu en avant d'une ville se reposer prés de la source d'un ruisseau et prendre un peu de nourriture après que les disciples eurent lavé les pieds de Jésus. On voyait près de ce ruisseau, sur une grande pierre ronde, une figure de chien accroupi qui avait une tête humaine d'une expression agréable ; il avait une coiffure semblable à celle des gens du pays ; c'était une coiffe arrondie avec un bandeau sur le front et des bandelettes découpées retombant sur les épaules : il était de la grosseur d'une vache tout au moins. Devant la ville il y avait une idole sous un arbre, et je me disais en la voyant : " Celle-ci ne va-t-elle pas tomber " ? mais elle resta à sa place. Elle avait, si mes souvenirs sont exacts, une tête de boeuf avec plusieurs bras, et des trous dans le corps pour y brûler quelque chose. La ville était grande : cinq rues se dirigeaient de la porte vers l'intérieur.

Jésus suivit la première rue a droite qui longeait intérieurement le mur d'enceinte. Ce mur était un rempart de pierre large et massif, sur lequel il y avait des arbrisseaux verts, des jardins et un chemin carrossable. Au-dessous, dans la chaussée, étaient pratiquées des habitations avec des portes légères en clayonnage. Ils traversèrent ainsi la ville pendant la nuit sans parler à personne et sans être remarques. Ici aussi il y avait plusieurs temples d'idoles et beaucoup de grands édifices en ruines dans les murs desquels des logements étaient pratiqués.

Assez longtemps après être sortis de la ville, ils traversèrent le grand fleuve sur une espèce de large chaussée. Sa direction était du midi au nord et c'était le plus large que j'eusse vu dans ce voyage : on y voyait des îles et plusieurs fossés le longeaient. Le pays était plat et on aperçoit dans le lointain plusieurs édifices très élevés qui avaient des rapports avec les temples des adorateurs des astres : mais ils étaient en pierre et extrêmement grands. La terre était très fertile, mais seulement le long du fleuve.

Lorsqu'ils l'eurent passé, j'eus dans le lointain la vue d'une ville placée an bord de ce même fleuve. Je la vis comme on voit une ville située sur une montagne : je ne sais pas si elle était réellement dans une Position élevée, mais je crois avoir vu des tours et des arbres.

29 décembre. — Je vis Jésus arriver avec les disciples vers quatre heures de l'après-midi dans la ville où il avait résidé enfant avec sa mère. C'était la même que j'ai vue hier pendant la nuit. Je dois dire encore que la chaussée de pierre qui traversait le fleuve n'était pas près de la dernière ville où ils avaient été, mais à une assez grande distance. Je crois aussi que celle où Jésus venait d'arriver était sur le premier bras du grand fleuve, lequel coulait vers la Judée. Dans cette contrée le fleuve se divisait en plusieurs bras qui coulaient dans diverses directions.

Je vis ça et là près du chemin, des hommes qui travaillaient : ils taillaient et liaient des haies ; j'en vis aussi transporter de grosses poutres et travailler dans des fossés profonds qui longeaient le fleuve. Jésus et les disciples laissaient flotter leurs robes, ce que je ne les avais pas encore vus faire en route. Je vis plusieurs des gens qui travaillaient sur le chemin, divisés par groupes de cinq ou six, demander la permission de leurs surveillants puis cueillir des branches d'arbres, courir à Jésus, se prosterner devant lui et lui présenter ces branches. Quand il les eut tenues dans sa main, ils les plantèrent en terre le long du chemin. Je ne sais pas ce qui fit qu'ils reconnurent tout de suite Jésus : peut-être virent-ils à ses vêtements qu'il était juif. Je me souviens qu'ils l'attendaient et croyaient qu'il serait leur libérateur. J'en vis d'autres qui semblaient mécontents et qui coururent à la ville, peut-être pour exciter les esprits contre lui. Il y eut bien une vingtaine d'hommes qui l'accompagnèrent jusqu'à la ville devant laquelle s'élevaient beaucoup d'arbres.

Avant d'entrer dans la ville, Jésus s'arrêta au bord du chemin près d'un arbre renversé dont les racines étaient sorties de terre et formaient une grande fosse qui était remplie d'une eau noirâtre. Ce bourbier était entouré d'un grillage en fer si serré qu'on ne pouvait pas passer la main à travers. Une idole s'était engloutie là lorsque Marie et Joseph y avaient passé avec l'enfant Jésus lors de la fuite en Égypte : c'était alors aussi que l'arbre avait été déraciné. Les gens qui accompagnaient Jésus le conduisirent dans la ville : il y avait devant la porte une grande pierre carrée d'un beau poli, sur laquelle était gravé avec d'autres noms, celui que portait la ville elle-même : il finissait par polis.

Je vis dans la ville un très grand temple entouré de deux enceintes murées, plusieurs hautes colonnes dont l'extrémité se terminait en pointe et ornées d'une quantité de figures : je vis aussi beaucoup de grands chiens accroupis avec des têtes humaines. Du reste la ville était dans un grand état de délabrement. Les gens qui accompagnaient Jésus le conduisirent en face du temple, sous un portique qui s'appuyait à un mur épais, et ils coururent appeler plusieurs habitants. Il en vint beaucoup parmi lesquels des hommes très vieux avec de longues barbes et aussi des jeunes gens : parmi les femmes il y en eut une qui fixa mon attention : c'était une femme âgée très grande et très robuste. Tous saluèrent respectueusement Jésus : c'étaient des Juifs qui avaient été les amis de la sainte famille lors de son séjour ici. Derrière le portique il y avait dans le mur une grande chambre qui était décorée comme pour une fête. Saint Joseph y avait arrangé autrefois un logement pour la sainte famille et maintenant Jésus y fut conduit par les hommes qui avaient été ici ses compagnons d'enfance. Il y avait des lampes suspendues.

Le soir je vis Jésus conduit par un homme très âgé dans l'école qui était parfaitement tenue. Les femmes étaient en arrière dans une tribune grillée et elles avaient une lampe à leur usage. Je vis Jésus prier et enseigner. Ils lui cédèrent respectueusement la première place.

Avant d'arriver à cette ville, Jésus avait suivi pendant une heure environ le chemin par lequel il y était venu dans sa jeunesse avec Marie.

30 décembre. — Aujourd'hui je vis de nouveau Jésus enseigner dans la synagogue où comme hier, on lui céda la première place en lui témoignant un grand respect.

Les habitants avaient presque tous des bandeaux blancs autour de la tête et portaient des robes courtes : leurs épaules et leur poitrine étaient en partie couvertes. Les édifices ici sont extraordinairement lourds et massifs, et on emploie pour les construire des blocs de pierre énormes sur lesquels il y a beaucoup de figures gravées en creux. J'ai vu aussi de très grandes figures sculptées qui portaient sur la tête ou sur la nuque des pierres d'une dimension colossale : cela me surprit beaucoup. Les gens de ce pays ont une idolâtrie d'une étrange nature ; ils adorent des images de taureaux et l'on voit aussi partout des chiens accroupis avec des têtes d'hommes : du reste l'animal qu'on adore dans un lieu n'est pas celui qu'on adore dans l'autre.

Pendant la journée d'hier, j'ai vu aussi beaucoup de choses touchant Joseph et le séjour des fils de Jacob en Égypte : la seule chose dont je me souvienne, c'est qu'après la mort de Jacob Joseph établit ses frères dans les environs de cette ville et qu'il en éloigna l'un d'eux qui n'avait pas reçu de Jacob une bénédiction de bon augure afin que les maux qui lui avaient été annoncés ne portassent pas préjudice aux autres. Joseph lui-même demeurait plus au midi.

31 décembre. — Ce matin je vis le Seigneur déjà en route ; plusieurs habitants l'accompagnaient. Il y a maintenant cinq disciples avec lui, car il avait à sa suite un homme d'Héliopolis portant un paquet et qui s'appelait Déodatus, ce qui signifie donné de Dieu. Sa mère s'appelait Mira : c'est un singulier nom : cela m'a rappelé Sémiramis. C'était une femme âgée, grande et forte qui le premier soir était déjà près de Jésus sous le portique. Lors du séjour de Marie ici, cette femme qui était depuis longtemps stérile avait obtenu ce fils par la prière de Marie. Il était grand et svelte et semblait avoir environ dix-huit ans.

Quand Jésus quitta la ville, il franchit un cours d'eau. Lorsque les gens qui lui faisaient la conduite l'eurent quitté pour retourner chez eux, je le vis entrer dans le désert avec les cinq disciples. Il prit un chemin plus à l'est que celui qui avait été suivi lors de la fuite en Egypte. La ville d'où il vient s'appelle Eliopolis : l'E est retourné et tout contre l'L, ce que je n'avais pas vu jusqu'à présent : j'avais cru d'abord qu'il y avait là un X. (Elle voyait les lettres ainsi écrites E (renversé) L). Je vis Jésus dans le désert, assez prés d'une petite ville habitée en partie par des Juifs qui s'y étaient enfuis autrefois lors de la destruction de Jérusalem.

1-6 janvier 1821. — Le soir Jésus et ses disciples arrivèrent à une petite ville située dans le désert et où il y a trois catégories d'habitants : des Juifs qui ont des maisons bâties, des Arabes qui demeurent dans des cabanes de branchage recouvertes de peaux de bêtes, et encore d'autres habitants. Ces Juifs avaient émigré ici lorsqu'Antiochus dévasta Jérusalem et en chassa un si grand nombre de personnes. Toute cette histoire m'a été montrée :

J'ai vu comment un vieux prêtre très pieux tua un Juif qui sacrifiait aux idoles, renversa l'autel et appela à lui tous les gens de bien : j'ai vu aussi comment plus tard tout fut rétabli par un héros. Ces braves gens s'étaient réfugiés ici lors de cette persécution. Je vis aussi où ils avaient été auparavant. Les Arabes s'étaient joints à eux précédemment et avaient été chassés avec eux : mais dans la suite ils étaient retombés dans l'idolâtrie. Le Seigneur comme à l'ordinaire s'arrêta près du puits, où les habitants vinrent le saluer et le conduisirent dans une maison.

2 janvier. — Je vis que le Seigneur fut accueilli avec beaucoup de respect et de sympathie dans cette petite ville par les Juifs, lesquels tiraient leur origine de Mathathias et de ses amis qui s'étaient réfugiés ici dans la montagne : ils tenaient de Mathathias une prophétie touchant le Messie. Ils considérèrent Jésus comme un prophète, et il enseigna dans une maison, car ils n'avaient pas d'école :parla de son prochain retour à son Père et des traitements qu'il aurait à éprouver de la part des Juifs comme il en avait parlé partout dans les derniers temps.

NOTE : Mathathias. voyez 1. Maccab. Il, 23-25.

Ses auditeurs ne pouvaient pas croire qu'il en dût être ainsi et ils auraient bien voulu le retenir parmi eux. Jésus partit ce matin de bonne heure, emmenant avec lui deux nouveaux disciples, qui tous deux descendaient de Mathathias. Ils étaient cousins : l'un n'avait guère plus de douze ans, j'ai oublié son nom : l'autre qui avait une vingtaine d'années s'appelait Sem. La route aboutissait à travers le désert à une vallée. Les gens de cet endroit n'avaient pas An champs mais seulement des jardins. Jésus bénit ici les enfants.

3 janvier. —Je vis le Seigneur poursuivre très rapidement sa marche à travers le désert. Ils voyageaient nuit, et jour et ne faisaient que de courtes haltes pour se reposer. On rencontrait ça et là quelques cabanes sur le chemin mais ils n'y entrèrent pas.

4 janvier. — Aujourd'hui encore je vis Jésus voyager en grande hâte. Il laissa à sa droite le chemin par lequel il était entré dans ce pays : je le vis en dernier lieu s'arrêter à un endroit couvert de verdure où il y avait de belles haies de baumiers. On trouvait là une source d'eau vive et la contrée était agréable. C'était en celle-ci que Marie avait lavé l'enfant Jésus lors de la fuite en Egypte et qu'ils s'étaient reposés pour reprendre des forces. La source avait jailli alors : maintenant elle formait un ruisseau. Le Seigneur se reposa là avec les disciples ; ils firent couler des arbrisseaux un peu de baume qu'ils mêlèrent avec leur eau et mangèrent du pain. Le chemin que Jésus avait suivi pour sortir d'Egypte coupait ici celui que Marie avait pris pour y aller. Marie s'était dirigée à l'ouest en faisant un coude : et Jésus revenait par l'est en suivant une ligne plus directe. J'ai oublié de dire que Jésus allant d'Arabie en Égypte vit à sa droite le mont Sinaï s'élever dans le lointain.

Ce soir je vis Jésus arrivé près du puits de Bersabée où les Juifs l'accueillirent amicalement.

5 et 6 janvier. — A Bersabée, il y a de l'eau jaillissante Jean-Baptiste a résidé dans les environs pendant quelque temps. Il y a ici une grande synagogue : mais du reste les habitants n'ont pour demeure que de petites cabanes recouvertes en chaume. Jésus enseigna dans la synagogue, il se fit connaître pour ce qu'il était et parla de sa fin prochaine. Il emmena d'ici avec lui quatre ou cinq jeunes gens. Abraham et Abimélech ont contracte une alliance près du puits qui est ici (Genèse, XXI, 28-33). Le puits d'Agar est aussi dans le voisinage. Le Seigneur aura encore à faire environ quatre journées de voyage pour arriver au puits de Jacob, près de Sichar, où il a donné rendez-vous aux apôtres. Il a béni les enfants et il est parti de grand matin afin d'arriver avant le sabbat à un endroit situé dans la vallée de Mambré. Jésus s'y arrêta près d'un puits avec les siens : les cinq disciples de Bersabée se rendirent dans le bourg et convoquèrent les habitants qui vinrent saluer Jésus et les disciples, leur lavèrent les Pieds et les conduisirent à la synagogue où Jésus fit l'instruction du sabbat.

La double caverne d'Abraham n'est pas loin d'ici ; je crois qu'il y a tout au plus vingt lieues d'ici au puits de Jacob où le Seigneur a donné rendez-vous aux disciples. Je l'ai vu aujourd'hui enseigner de nouveau dans la synagogue et en outre dans la journée aller de maison en maison et guérir beaucoup de malades. Je l'ai vu une fois, au milieu de quelques disciples rangés des deux côtés du lit, ordonner à un malade de se lever et de marcher, ce que celui-ci fit à l'instant. Jésus resta tout le jour ici ; il partit dans la nuit se dirigeant vers Sichar.

7 - 10 janvier. — Remarque préliminaire. La pieuse fille fut en proie à de vives souffrances longtemps prolongées et ne put faire connaître que très succinctement et avec des interruptions fréquentes les scènes variées qui passaient devant ses yeux : en outre elle était très préoccupée d'un enfant qui demeurait avec elle et qui avait été pris d'un violent accès de toux convulsive. Le 9 janvier comme elle était plongée dans un sommeil extatique, son visage prit tout à coup l'expression de la joie la plus vive et elle s'écria : " Ah le voilà arrivé ! Avec quel bonheur ils vont à sa rencontre ! Il est près du puits de Jacob : ils pleurent de joie, ils lui lavent les pieds ainsi qu'aux disciples. Il y a là une douzaine de personnes du pays, les fils de bergers qui étaient avec lui lorsqu'il alla à Cédar, puis Pierre, André, Jean et encore un autre ! ils l'ont attendu ici " ! Alors elle se fut et après une courte interruption, elle reprit en ces termes : " Nous y voilà ; cela va bien, on peut tout voir ! ils le font inviter, le prient de venir guérir des malades, mais il ne veut pas, il dit qu'ils l'ont rebuté deux fois ". Alors elle pria un quart d'heure les bras en croix et elle dit sans sortir de l'extase : " " J'ai parlé au Seigneur du fond du coeur, je lui ai exposé toutes mes misères ; il est heureux qu'il soit de retour ". Plus tard étant éveillée elle raconta ce qui suit.

Jésus, depuis qu'il est rentré en Judée, a presque toujours voyagé pendant la nuit pour éviter l'agitation soudaine qu'aurait pu causer son retour. Il passa par les vallées de bergers voisines de Jéricho pour gagner le puits de Jacob où je l'ai vu arriver aujourd'hui à la lueur du crépuscule. Il avait maintenant seize compagnons, car, dans le dernier endroit où il s'était arrêté, quatre jeunes gens s'étaient encore joints à lui. Il y avait à peu de distance du puits une hôtellerie en règle : un caveau fermé, pratiqué dans la colline contenait tout ce qui était nécessaire pour des voyageurs qui voulaient s'arrêter là. On alla chercher un homme qui habitait à quelque distance de là et qui était chargé de la surveillance, il ouvrit le puits et la maison.

Le puits de Jacob est situé sur une petite éminence à deux lieues de Samarie. Le pays qui s'étend de Jéricho à Samarie est d'une beauté que rien ne peut rendre. Le chemin est presque toujours bordé d'arbres : comme les prairies et les champs sont verts et comme les ruisseaux murmurent doucement ! Le puits de Jacob est entouré de belles pelouses et d'arbres touffus. Il est surmonté d'un édifice octogone, au sommet duquel se trouve un réservoir duquel on peut faire couler l'eau dans des rigoles : il y a autour du puits des bancs pour s'asseoir.

Le soir Jésus fit encore ici une instruction conçue en termes très sévères. Il parla de sa Passion qui était proche, de l'ingratitude des Juifs et de la ruine qui les menaçait. Je crois qu'il s'écoulera encore trois mois jusqu'au moment de sa Passion. Jésus congédia les apôtres et les disciples après leur avoir donné rendez-vous à Sichar pour le sabbat : lui-même, accompagné des seize nouveaux disciples avec lesquels il était revenu, alla à un village de bergers situé à deux lieues et formé d'habitations disséminées, pour visiter les parents d'Eliud, de Silas et d'Eremenzear qui demeuraient là.

12 janvier. — Aujourd'hui le Seigneur quitta les habitations des bergers pour se rendre à Sichar où il est déjà allé deux fois antérieurement. Il a réparti entre les bergers les jeunes gens qui s'étaient joints à lui à son retour : les bergers eux-mêmes qui n'ont que des habitations légères se préparent à renoncer à leur profession pour s'adjoindre aux disciples de Jésus. Il a enseigné chez ces bergers pendant deux jours, puis accompagné de Silas, d'Eliud et d'Erémenzear, il est parti pour Sichar où il a donné rendez-vous pour le jour du sabbat à ses apôtres et à ses disciples. Pendant ce voyage qui n'était guère que de quatre lieues, je vis le Seigneur marcher très lentement, s'arrêter souvent et s'appliquer à instruire ses jeunes compagnons. Il leur enjoignit de ne faire connaître à personne où ils avaient été avec lui et ce qui s'était passé pendant ce voyage, et il leur donna en partie les motifs de cette injonction. Il parla longtemps à ce sujet, mais je vis aussi Erémenzear le prendre par la manche de sa robe et le prier de lui permettre au moins de mettre par écrit quelque chose touchant ce voyage. Jésus lui permit de le faire après sa mort à condition qu'il soumettrait à Jean ce qu'il aurait écrit. Je crois aussi que cette relation existe encore quelque part, au moins en partie.

Pierre et Jean vinrent sur la route au devant du Seigneur : six autres apôtres les attendaient devant la porte de la ville : ils conduisirent le Seigneur et les disciples dans une maison dont le maître les reçut bien. Il n'avait jamais vu Jésus antérieurement et celui-ci, de son côté, ne semblait pas vouloir se faire connaître. Il était parmi les autres comme l'un d'eux. On lava les pieds aux arrivants et quand le sabbat s'ouvrit la lampe fut allumée. Ils mirent de longs vêtements blancs et des ceintures, firent des prières et se rendirent ensuite à l'école qui était située sur un point plus élevé. Après cela leur hôte leur fit préparer un repas auquel assistèrent d'autres vieux Juifs avec de longues barbes : il y en eut, entr'autres, un très âgé qu'il envoya chercher et qui vint conduit par deux personnes : il était vêtu comme un prêtre d'un rang élevé. Jésus ne fit rien qui put attirer l'attention soit à l'école, soit pendant le repas. Le maître de la maison avait le regard faux : il me fit l'effet d'un Pharisien. Je vis encore qu'après le souper il assigna à ses hôtes une partie de la maison pour y dormir.

13 janvier. — Près de Sichar se trouve le mont Garizim où les Samaritains pratiquent leur culte idolâtrique : il est environ à une demi lieue du puits de Jacob: de ce puits on peut aussi voir Samarie qui est une grande ville. Le patriarche Joseph et ses frères sont enterrés ici.

Je vis que plusieurs autres apôtres étaient arrivés pour le sabbat. Ils auraient désiré apprendre des trois compagnons de Jésus où il était allé et ce qu'il avait fait; mais ceux-ci n'ayant voulu rien dire pour se conformer aux ordres de Jésus, ils en éprouvèrent du mécontentement : ce qui fit de la peine à Jésus. Les apôtres lui demandèrent de s'expliquer plus clairement avec eux parce qu'ils ne comprenaient pas ce qu'il disait de sa fin prochaine. Pourquoi, disaient-ils, n'allait-il pas à Nazareth sa patrie, pour y montrer sa puissance et prouver sa mission par des prodiges ? Mais Jésus ne le voulut pas : il répondit que les miracles ne servaient à rien si les hommes ne se corrigeaient pas ; qu'ils verraient les miracles sans s'émouvoir et ne changeraient rien à leur vie, etc. Jean et Pierre étaient de son avis, mais les autres n'étaient pas contents.

Il leur dit aussi qu'il voulait aller à Jérusalem et enseigner dans le temple plus qu'il ne l'avait fait. Il ajouta que l'effet des prodiges qu'il avait opérés, par exemple, de la multiplication des pains et de la résurrection de Lazare, n'avait pas été bien grand, puisqu'eux-mêmes réclamaient de nouveaux miracles.

Je vis aussi que le soir après le repas, comme leur hôte voulait les conduire à l'endroit où ils devaient dormir, le Seigneur demanda qu'on lui ouvrit la synagogue, parce qu'ayant assisté à l'instruction donnée dans la journée, il voulait enseigner à son tour. Il y alla avec tous ses disciples et il enseigna. Il y avait entre autres dans l'auditoire deux Juifs que son instruction mécontenta. J'ai vu aussi que les Juifs de l'endroit envoyèrent des messagers à Jérusalem et firent dire que Jésus avait reparu chez eux. Cette nuit j'ai entendu très distinctement son instruction qui m'a fait éprouver une grande consolation. J'en ai retenu quelque chose : il était principalement question des signes et des miracles qui ne servent à rien quand les hommes oublient à cette occasion combien ils sont pécheurs et d(pourvus de charité : il dit que l'enseignement était plus nécessaire que les miracles, etc. Il raconta aussi des paraboles, notamment celle de l'enfant prodigue. En venant ici, il a dit aux trois disciples auxquels il avait prescrit le silence pourquoi il avait opéré si peu de prodiges pendant le voyage : c'était parce que ses apôtres et ses disciples devaient confirmer sa doctrine par des miracles et en faire plus que lui.

14 janvier. — Les Pharisiens étaient extrêmement mécontents et ils menaçaient de se saisir de lui et de l'envoyer à Jérusalem. Jésus dit que son temps n'était pas encore venu, qu'il irait lui-même et qu'il n'avait pas parlé pour eux, mais pour ses compagnons. Ensuite il quitta cet endroit, congédia les apôtres et les disciples et ne garda avec lui que ses trois confidents, Erémenzear, Eliud et Silas. Il se dirigea au sud-est vers Éphron qui est au nord de Jéricho et où il avait guéri les aveugles le 22 août de l'année précédente. Il avait fait dire à Marie et aux saintes femmes de Béthanie par les parents des trois disciples compagnons de son voyage qu'il était de retour en Judée. Elles l'attendaient dans une maison qu'elles avaient louée près d'Ephron. Les femmes de Pierre et d'André étaient avec elles.

15 janvier. — Pendant ce voyage que fit Jésus de Sichar à Éphron, il plut beaucoup et le temps fut très nébuleux. Le Seigneur est arrivé ce soir à Éphron. Il n'a pas toujours suivi le chemin qui va de Sichar ici, mais il s'est détourné à plusieurs reprises pour visiter divers endroits et diverses maisons ; il a consolé, guéri et exhorté à le suivre. Les disciples et les apôtres ne se rendirent pas non plus directement dans les endroits où ils étaient envoyés, mais ils visitèrent aussi des métairies et des maisons peu éloignées de la route qu'ils suivaient et annoncèrent que Jésus était dans le voisinage. On semblait vouloir réveiller l'ardeur de ceux qui soupiraient après le salut ; on allait à la recherche des brebis qui s'étaient dispersées dans les bois pendant l'absence du pasteur et que ses serviteurs voulaient ramener au bercail.

Je vis Jésus arriver ce soir à Ephron avec les trois disciples. Il visita différentes maisons, guérit des malades et des gens couverts d'ulcères et les convoqua à l'école. Il y avait ici une grande école, elle avait une salle inférieure et une salle supérieure Jésus y entra, suivi d'une grande quantité d'hommes. Il y vint aussi beaucoup de femmes et beaucoup de gens des environs, désireux de l'entendre prêcher. La synagogue était pleine de monde. Jésus fit placer un siège pour lui au milieu de la salle et il enseigna d'abord les hommes : puis vinrent les femmes qui se tenaient derrière et auxquelles les hommes cédèrent la place. Il parla de la voie où il fallait entrer à sa suite, de sa fin prochaine et du châtiment réservé à tous ceux qui ne croiraient pas. Il y eut des murmures parmi les gens de l'endroit, car il y avait parmi eux beaucoup de malveillants.

Je vois les saintes femmes en route : elles viennent de deux côtés. La sainte Vierge, Madeleine, Marthe et deux autres dont l'une est, je crois, Marie, la soeur aînée de la mère de Jésus, viennent de l'ouest et de la contrée de Jérusalem. Le messager que Jésus leur a envoyé est avec elles : il marche en avant et porte deux paquets. Elles ne voyagent pas vite : elles se sont arrêtées pour passer la nuit chez de pieux paysans. Quand elles doivent s'arrêter quelque part, le messager prend les devants et commande les logements. Je vois aussi la femme de Pierre avec sa fille et la femme d'André venir du nord-ouest. Elles ont aussi avec elles un messager comme celui qui accompagne les autres.

Les saintes femmes arrivèrent ce soir dans la maison qu'elles avaient louée en avant de Jéricho sur le chemin d'Éphron. Douze d'entre elles y sont réunies, car la femme et la fille de Zachée sont venues se joindre à elles. La fille est mariée à un disciple de Jésus qui est même un des plus importants. Il appartient à une famille de bergers de ce pays ? et s'appelle Annadias : je ne sais pas sous quel nom il a été baptisé plus tard. Il est parent de la mère de Silas. Les saintes femmes ont préparé un repas dans la maison. J'y vis les trois jeunes disciples. Jésus les avait peut-être envoyés par avance d'Éphron pour annoncer son arrivée aux saintes femmes. On voit près d'Ephron un grand chêne près duquel s'est passé un événement remarquable mentionné dans l'Ancien Testament, mais dont je ne me souviens pas maintenant : Jésus, lors du voyage qu'il fit à Samarie avant la résurrection de Lazare, enseigna sous cet arbre et y bénit un grand nombre d'enfants.

16 janvier. — Cette après-midi je vis la sainte Vierge, Madeleine, Marthe et quelques autres personnes, hommes et femmes, aller au-devant de Jésus. Il y avait sur le chemin d'Ephron un puits près duquel ils s'assirent pour attendre Jésus. Il vint avec Jean, Pierre et André. Ils se réunirent deux heures environ avant le coucher du soleil : son disque paraissait très grand comme c'est l'ordinaire dans ce pays. Marie, Madeleine, Marthe et les disciples discrets (car on les avait ainsi surnommés) allèrent plus avant que les autres à la rencontre de Jésus. Les femmes se prosternèrent devant lui et lui baisèrent la main. Marie aussi lui baisa la main, et quand elle se retira, Jésus lui baisa la main à son tour. Madeleine se tenait un peu en arrière. Près du puits les disciples lui lavèrent les pieds ainsi qu'aux apôtres. Quand ils furent dans la maison, le Seigneur s'entretint avec toutes les femmes, puis il enseigna. Il y eut ensuite un repas. Les femmes mangèrent seules, après quoi elles vinrent se placer au bout de la salle et écoutèrent.

Le Seigneur et les autres hommes ne sont pas restés ici ce soir : ils sont allés à Jéricho où étaient déjà d'autres apôtres et d'autres disciples ainsi que beaucoup de malades. Les femmes s'y rendirent aussi à leur suite. Ils marchaient en groupes séparés. Je vis Jésus entrer dans plusieurs maisons et y guérir des malades : je le vis aussi se faire ouvrir l'école et faire placer un siège au milieu. Les saintes femmes étaient là dans une pièce séparée, et elles avaient une lampe à leur usage: Marie aussi était en haut. Beaucoup de gens étaient venus à Jéricho et on y avait amené beaucoup de malades, car l'arrivée de Jésus avait été annoncée par les disciples dispersés dans le pays.

17 janvier. — Dans la matinée Jésus a encore enseigné et guéri à Jéricho. Les saintes femmes sont reparties, chacune de son côté. Ce matin je vis Marie avec la femme de Pierre, la fille de celle-ci et la femme d'André remonter un petit cours d'eau qui se jette dans le Jourdain. Il me semble qu'elle va avec ces femmes dans leur patrie. Elles n'ont pas passé la nuit à Jéricho, mais sont retournées à la maison où elles avaient souhaité la bienvenue à Jésus.

La presse fut très grande à Jéricho : il y eut de violents murmures de la part des Pharisiens, lesquels envoyèrent aussi à Jérusalem. Mais Jésus quitta Jéricho et se rendit au lieu où il avait été baptisé dans le Jourdain. Quelle quantité de malades il y a là sur le bord du fleuve ! Ils ont entendu dire que Jésus arrivait, ils l'ont fait prier de venir. On a dressé des cabanes et des tentes sous lesquelles on peut entrer dans l'eau. Je vois aussi le bassin creusé dans la petite île où Jésus a été baptisé : tantôt il est plein, tantôt il se vide ; on vient de tous les côtés y prendre de l'eau comme on fait chez nous pour l'eau des fonts baptismaux. Il y a là des gens venus de la Samarie, de la Judée, de la Galilée et même de la Syrie. Ils remplissent de cette eau des sacs de cuir qu'ils chargent sur des ânes : ces sacs pendent des deux côtés et sont assujettis à l'aide de cerceaux sur le des de l'animal. Jésus est là et guérit beaucoup de malades : il n'y a avec lui que Jean, André et Jacques le Mineur.

On ne baptisait pas ici, il y avait seulement des ablutions suivies de guérisons. Le baptême de Jean lui-même tenait plus du sacrement que les ablutions qu'on faisait ici. Lors du précédent séjour de Jésus à Jéricho, beaucoup de malades furent ainsi guéris par un bain qui n'était pas non plus un baptême à proprement parler. Je crois qu'on venait d'ordinaire se baigner ici et que Jean avait seulement agrandi l'emplacement. Au milieu du bassin de l'île où Jésus a été baptisé s'élève encore l'arbre contre lequel on s'appuie. Il y avait ici des malades de toute espèce. Jésus en guérit beaucoup sans employer l'eau : il en ver sait sur la tête des lépreux et les disciples leur en frottaient le corps.

Le baptême proprement dit ne se donna qu'après la Pentecôte. Jésus n'a jamais baptisé. La mère de Dieu a été baptisée après la Pentecôte près de la piscine de Bethesda. Elle était toute seule et ce fut Jean qui fit la cérémonie. Il dit auparavant la sainte messe comme on le faisait alors ; c'est-à-dire qu'il consacra en récitant certaines prières.

18 janvier. — Je vis Jésus s'éloigner du Jourdain avec Jean, André et Jacques le Mineur lorsque la presse fut trop grande. Je les vis ensuite comme ils approchaient de Béthel. C'est dans ce pays que Jacob a vu l'échelle céleste sur une colline. Il faisait déjà nuit lorsqu'ils arrivèrent. Ils se dirigèrent vers une maison appartenant à des gens de leur connaissance qui les attendaient. Lazare s'y trouvait avec ses soeurs, Nicodème, disciple caché de Jésus, et Jean Marc : ils étaient venus en secret de Jérusalem. Le maître de la maison avait une femme et quatre enfants : la maison avait une cour et un puits. Lorsque le Seigneur et les apôtres frappèrent à la porte, le maître de la maison et deux de ses enfants leur ouvrirent. Il conduisit le Seigneur au puits et lui lava les pieds ainsi qu'aux apôtres. Comme le Seigneur était assis sur la margelle du puits, je vis Madeleine sortir de la maison et vider sur sa tète un petit flacon plat contenant un liquide parfumé. Elle fit cela en s'approchant de lui par derrière, puis elle se retira. Elle a souvent fait ainsi. Je m'émerveillais de sa hardiesse.

Lorsque le Seigneur et les apôtres entrèrent dans la maison, Lazare, Nicodème et Jean vinrent à lui : il serra dans ses bras Lazare qui était encore pâle et maigre et dont les cheveux étaient très noirs. Il y eut ici un repas composé de fruits, de petits pains, de rayons de miel, et d'herbes vertes, comme c'est l'ordinaire en Judée. Jésus enseigna et guérit encore plusieurs malades qui étaient couchés dans une espèce de galerie qui entourait la maison. Les femmes mangèrent encore seules et vinrent ensuite se placer au fond de la salle pour entendre Jésus.

19 janvier. — Aujourd'hui le Seigneur, accompagné d'André, de Jean et de Jacques, quitta Béthel pour se rendre à deux lieues de là dans un endroit situé au nord de Jéricho. Mais il fit un grand détour. Dans la matinée, il avait encore guéri beaucoup de malades à Béthel. Lazare et ses compagnons s'en retournèrent avec Marthe et Madeleine. Ils doivent passer la nuit dans un bourg situé sur une hauteur et où il y a des espèces de fortifications : ils se rencontreront de nouveau avec Jésus. Sur le chemin que suivit aujourd'hui Jésus, il guérit plusieurs malades et bénit des enfants qu'on avait amenés sur son passage ou qui se trouvaient dans des cabanes isolées. Ils firent ce détour dont j'ai parlé pour visiter le fils d'un demi frère d'André dont la fille était malade. Ils arrivèrent vers midi à un puits près duquel étaient disposés des logements : à quelque distance de là était la maison du neveu d'André auquel appartenaient le puits et l'hôtellerie. C'était un homme robuste : il fabriquait divers objets en clayonnage dont on voyait une grande quantité près de sa maison. Jésus et les apôtres s'assirent près du puits : cet homme sur l'invitation d'André vint leur laver les pieds et les conduisit dans sa maison où un repas était préparé. Il avait une femme et plusieurs enfants dont quelques-uns encore en bas âge. Deux grands fils de seize à dix-huit ans n'étaient pas à la maison, ils étaient employés dans une pêcherie au bord de la mer de Galilée et demeuraient, je crois, chez André. Celui-ci leur avait envoyé quelqu'un pour leur faire savoir que Jésus était arrivé et les engager à venir.

Après le repas, le maître de la maison conduisit Jésus et les apôtres près d'une de ses filles, âgée de douze ans elle était pâle comme une morte et depuis longtemps elle ne pouvait se lever, ni faire aucun mouvement. Elle était chlorotique et lunatique. Jésus lui ordonna de se lever et quand elle fut debout, André et lui la conduisirent par la main près du puits où Jésus lui versa de l'eau sur la tête. Il lui prescrivit ensuite de prendre un bain, ce qu'elle fit dans un réservoir placé sous une tente près du puits après quoi elle revint dans la maison de ses parents ; avec Jésus et André, sans avoir besoin d'être soutenue.

C'était une grande jeune fille. Lorsque Jésus partit avec les apôtres, le père lui fit la conduite jusqu'à une certaine distance.

Je vis le Seigneur arriver dans une petite ville avant le sabbat. Il trouva sous la porte un homme qui les conduisit à une habitation pratiquée dans le mur de la ville où ils passèrent la nuit. Du reste, il ne leur donna pas à manger. Jésus et ses compagnons se rendirent aussitôt à la synagogue où ils célébrèrent le sabbat.

20 janvier. — Ce matin je vis Jésus aller encore à la synagogue avec ses compagnon s. Il pria et fit une courte instruction. Plus tard je vis une foule nombreuse se presser autour de lui. On amena une quantité de malades de toute espèce qu'il guérit. Je vis que tous les gens de cet endroit le vénéraient, car tout le monde se pressait autour de lui et il y avait une grande affluence de peuple. Les apôtres aussi guérirent et bénirent. Des prêtres même amenèrent des malades.

Je vis encore Jésus guérir un lépreux que précédemment on avait amené et placé sur son chemin à plusieurs reprises, mais devant lequel il avait toujours passé sans s'arrêter. On l'amena d'un quartier éloigné de la ville où il habitait une maisonnette adossée au mur d'enceinte. On l'apporta sur une civière où il était assis dans une espèce de coffre recouvert de rideaux. Personne ne s'approcha, si ce n'est Jésus, qui leva les rideaux, le toucha, et ordonna de le mener au bain et de le laver. Je vis qu'on le conduisit à un bain situé contre le mur de la ville, et que, quand il se lava, les croûtes de la lèpre tombèrent. Il avait une double lèpre : celle de l'incontinence et la lèpre ordinaire. Le Seigneur guérit aussi plusieurs femmes affligées de pertes de sang ; et, comme la plupart de ces guérisons eurent lieu dans la cour qui précédait l'école, la presse fut si grande que le peuple abattit les barrières et grimpa sur les toits.

Le soir je ne vis plus Jésus. Il était avec les trois apôtres devant un château fort entouré de fossés, d'étangs ou de pièces d'eau avec des écoulements. Il semblait qu'il y eût là des bains. Je vis aussi des caveaux et des constructions de toute espèce. Jésus voulait entrer dans ce château : les apôtres lui firent des représentations à ce sujet, dans la crainte que cela ne lui attirât des désagréments et qu'il n'en résultât du scandale. Jésus leur répondit que s'ils ne voulaient pas l'accompagner, il y entrerait seul. Il y avait dans l'intérieur des gens de toute espèce, dont quelques-uns semblaient être des prisonniers, d'autres des malades et des infirmes. Des gardiens se tenaient aux portes, car il ne leur était pas permis de rester seuls : ils ne pouvaient aller au dehors que plusieurs ensemble et escortés par un gardien. Ils étaient astreints aussi à creuser des fossés dans les environs et à faire d'autres travaux de terrassement. Le Seigneur accompagne des apôtres franchit la porte du château. Les gardiens l'arrêtèrent d'abord, mais quand il leur eut parlé, ils le laissèrent aller en lui montrant de la déférence Les détenus se rassemblèrent autour de lui dans la cour où il s'entretint avec eux et fit ranger à part plusieurs d'entre eux. Il fit ensuite appeler à la ville voisine deux hommes qui paraissaient des gens de justice, car ils portaient de petits écussons de métal suspendus à leurs épaules par des courroies. Il leur parla et sembla se porter garant pour les gens qu'il avait rangés à part des autres. Je le vis ensuite quitter le château avec vingt cinq d'entre eux et les apôtres, et marcher toute la nuit en remontant au nord le long du Jourdain.

Lazare et ses compagnons qui étaient en route pour revenir chez eux, avaient aussi passé la nuit dans la ville voisine.

21 janvier. — Aujourd'hui, Jésus, poursuivant son voyage avec une grande promptitude, arriva, en compagnie des prisonniers délivrés, dans une petite ville d'où étaient plusieurs d'entre eux, et il les rendit à leurs femmes et à leurs enfants. D'autres allèrent passer le Jourdain plus haut et se dirigèrent à l'est ; ils étaient du pays de Cédar, où Jésus, au commencement de son voyage s'était si longtemps arrêté pour enseigner les adorateurs des astres. Il congédia les apôtres en route, et, passant à l'est du puits de Jacob, il se dirigea vers Tibériade à travers des vallées ; il allait ainsi à Capharnaum. Dans les environs de Sichar, les trois disciples discrets et les autres qui l'avaient accompagné chez les païens vinrent le rejoindre et firent route avec lui. Il marcha encore une partie de la nuit ; ils se reposèrent et dormirent quelques heures sous un hangar.

22 janvier. — Vers le soir, Jésus et les disciples arrivèrent à Capharnaüm. Il entra dans la maison où il avait habité autrefois. Pierre, André, Jacques le Mineur et un autre encore s'y trouvaient ; Pierre n'y était pas. Il y avait là, en outre, un homme auquel la maison appartenait Ils lavèrent les pieds au Seigneur et lui présentèrent un jeune homme qui s'appelait Sela ou Selam ; c'était un cousin de ce fiancé de Cédar auquel le Seigneur avait fait donner une maison et une vigne lors de son voyage chez les adorateurs des astres, et il venait trouver Jésus de sa part ; il avait d'abord attendu le Seigneur dans la maison d'André, à Bethsaïde. Il se jeta à genoux devant Jésus, et le Seigneur l'admit aussitôt parmi ses disciples et lui posa les mains sur les épaules. Il l'employa tout de suite, et l'envoya au chef de la synagogue pour demander la clef et l'écrit qui avait été trouvé dans le temple lorsqu'on y avait rétabli le culte, après sept ans d'interruption ; cet écrit était d'Isaïe, et le Seigneur l'avait eu entre les mains la dernière fois qu'il avait enseigné ici. Lorsque le jeune homme fut de retour, ils se rendirent tous à la synagogue, où on alluma les lampes. Jésus se fit faire place et fit dresser une chaire avec des marches. L'assistance était très nombreuse. Il enseigna longtemps sur des passages de l'écrit en question ; les esprits étaient très excités. Tout le peuple accourait en foule dans la rue, et j'entendis crier : "Voilà encore le fils de Joseph" !

23 janvier. — Jésus quitta Capharnaum avant le jour, et je le vis aller à Nazareth avec les disciples et plusieurs apôtres qui étaient venus se joindre aux autres. Je vis, à cette occasion, que la maison de sainte Anne était occupée par des personnes étrangères ; je vis aussi Jésus à Nazareth, près de la maison de Joseph, qui est maintenant fermée et inhabitée. Le Seigneur alla sur-le-champ à la synagogue ; son apparition fit beaucoup d'effet, et l'on accourut en foule. Un homme qui était possédé d'un démon muet se mit tout à coup à crier : " C'est le fils de Joseph ! le séditieux ! arrêtez-le ! saisissez-vous de lui " ! Je vis alors Jésus se tourner vers lui et lui ordonner de se taire ; il se fut, mais Jésus ne chassa pas le démon qui le possédait.

A la synagogue, Jésus se fit faire place et ordonna qu'on dressât la chaire. Dans ce dernier voyage, il agit toujours en toute liberté, et il enseigna très ouvertement et comme en vertu d'un droit, ce dont les Juifs se scandalisèrent fort. Ils passèrent la nuit dans une hôtellerie.

24 janvier. — Ce matin, Jésus alla dans plusieurs maisons, du côté de la maison de Joseph : il guérit des malades et bénit des enfants. Lorsque Jésus avait enseigné les Juifs s'étaient tenus assez tranquilles ; mais, quand il se mit à guérir, ils témoignèrent un grand mécontentement. Il quitta alors la ville et donna rendez-vous aux apôtres sur une montagne où il était déjà allé dans une autre occasion. Il les suivit seul avec les disciples.

Je vis tous les apôtres et tous les disciples rassemblés sur une montagne qui s'élevait en pente douce de tous les côtés ; cette montagne ne doit pas être très éloignée du lieu où Jésus rencontra Pierre pour la première fois'. Ils avaient allumé au sommet un feu qui, de loin, faisait l'effet d'un de nos feux de la Saint Jean. Lorsque Jésus arriva avec ses disciples, il faisait déjà nuit. Il se plaça au milieu, les apôtres se rangèrent autour de lui, et les disciples se tenaient hors du cercle. Il était venu, en outre beaucoup d'autres personnes. Là, Jésus enseigna pendant toute la nuit, jusqu'au matin. Il dit aux apôtres, en leur montrant du doigt divers points de l'horizon. dans quels lieux ils devaient aller enseigner et guérir ; il semblait leur assigner une série de courses et de travaux pour un temps très rapproché. Les apôtres et plusieurs des disciples se séparèrent ici de lui, ainsi que le reste de l'assistance, et, dans la matinée, il se dirigea au midi.

25 janvier. — Je vis le Seigneur accosté en chemin par des parents qui le priaient de venir chez eux guérir leur fille malade ; elle était, comme la petite-nièce d'André chlorotique et lunatique. Le Seigneur lui ordonna de se lever : elle se leva et fut guérie.

Dans l'après-midi, je vis Jésus, en compagnie des disciples qu'il avait emmenés avec lui de son voyage, arriver à une lieue de Thenath-Silo, près d'un puits où les douze apôtres vinrent à sa rencontre, portant à la main des branches vertes ; ils se prosternèrent devant lui, et il prit une de ces branches ; ils lui lavèrent aussi les pieds.

NOTE : Elle veut parler incontestablement de la montagne dite de la Multiplication des pains, située à six lieues au midi de Tibériade et où Pierre se mit la première fois en rapport avec le Seigneur. (voyez tome I, page 389)

Je crois que la chose se fit avec cette solennité parce que tous étaient réunis, et parce que Jésus voulait se montrer de nouveau en public comme leur maître et enseigner en tous lieux. Le Seigneur, accompagné des apôtres et des disciples, se rapprocha de la ville, où la sainte Vierge, Madeleine et Marthe le reçurent devant une hôtellerie ; elles n'avaient pas avec elles la femme de Pierre, ni sa fille (laquelle n'était pas fille de l'apôtre, mais de sa femme qui l'avait eue d'un premier mariage) ; la femme d'André n'y était pas non plus ; elles étaient restées à Bethsaïde. Marie était partie des environs de Jéricho avec la femme de Pierre et celle d'André qui s'en retournaient chez elles ; elle était venue ici attendre Jésus, et les autres femmes s'y étaient rendues aussi, mais par d'autres chemins ; elles avaient apprêté un repas, et il y avait bien une cinquantaine de convives. Ils allèrent ensuite à la ville, et Jésus se rendit aussitôt à la synagogue, dont il fit demander les clefs. Il enseigna le soir devant une nombreuse assistance, dont les saintes femmes faisaient partie.

Tous passèrent la nuit dans la grande hôtellerie : les hommes et les femmes étaient dans des parties différentes de la maison. Beaucoup de malades avaient été amenés dans la cour, et on les avait établis dans deux grandes pièces où ils étaient abrités. Il me sembla qu'il y avait là une espèce d'hôpital, avec des bains dans le voisinage.

26 janvier. — Ce matin, Jésus guérit encore beaucoup de malades dans la ville ; cependant il passa devant plusieurs maisons sans y entrer ; il guérit aussi dans l'hôtellerie. Ensuite il envoya les apôtres en divers lieux : les uns à Capharnaum, d'autres à l'endroit où s'était faite la multiplication des pains. Les saintes femmes partirent pour Béthanie, et lui-même en prit aussi le chemin. Avant le sabbat, il alla avec plusieurs disciples dans une hôtellerie où l'attendaient tous les disciples qu'il avait emmenés d'Égypte lors de son grand voyage ; ils venaient de ce canton habité par des bergers, situé entre Jéricho et Sichar, où il les avait répartis récemment. Le chemin que suivit Jésus pour venir ici passait entre deux montagnes, puis par des prairies, puis par ces champs où les disciples avaient arraché des épis dans l'été de l'année précédente.

Jésus célébra ici le sabbat avec ces disciples. L'hôte leur donna une lampe qu'ils suspendirent au milieu de la salle ; ils placèrent sur une table une couverture rouge et blanche, mirent leurs vêtements blancs du jour du sabbat et se rangèrent autour de Jésus dans l'ordre qui leur était assigné en pareil cas. Il lut des prières dans un livre ; la maison où ils étaient avait quelque ressemblance avec la maison de Zachée. Il y avait ici une vingtaine de disciples ; la lampe du sabbat resta allumée toute la journée. Je vis le Seigneur, dans l'intervalle des prières, donner aux disciples des instructions sur leurs devoirs.

Il se trouve parmi eux un nouveau disciple, nommé Sylvain, que Jésus a pris dans la dernière ville où il s'est arrêté. Il est âgé de plus de trente ans. Ses parents dont j'ai oublié les noms sont de la race d'Aaron. Jésus le connaît depuis sa jeunesse, et vit déjà en lui un futur disciple à la fête donnée chez sainte Anne. (voyez tome I, page 139), lorsque le Sauveur, âgé de douze ans, revint après avoir enseigné dans le temple. A cette même fête, il avait aussi choisi Nathanael, le fiancé de Cana. Je dois posséder une relique de ce Sylvain, c'est un très petit fragment d'ossement tout blanc. Je sens que cette relique agit sur moi (Note).

27 janvier. — Aujourd'hui je vis Jésus et les disciples qui l'accompagnaient, se rapprocher de Béthanie. Je l'entendis leur dire entre autres choses qu'il allait maintenant à Jérusalem pour y enseigner et que bientôt après il retournerait vers son Père céleste.

NOTE : Ce petit fragment d'os ne se trouvait pas alors chez Anne-Catherine, et cependant elle sentait l'effet qu'il produisait sur elle. Il était au milieu d'un petit paquet de chiffons de soie qui avaien5 été en contact avec des saints, et qui pour cela avaient été cousus ensemble comme reliques. Ce petit paquet, qu'elle n'avait jamais ouvert elle-même, elle l'avait prêté dix-huit mois auparavant à une femme malade, comme un objet saint qui devait lui donner des forces. Elle le redemanda ces jours-ci, l'ouvrit pour la première fois, et il s'y trouva en effet un petit fragment d'ossement.

Il leur parla de la fidélité avec laquelle il fallait marcher à sa suite, et il ajouta que parmi leurs compagnons qui allaient venir le rejoindre à Béthanie, il y en avait un qui ferait défection et qui avait déjà la trahison dans le coeur. J'eus le sentiment que ces nouveaux disciples resteraient parfaitement fidèles à Jésus : je vis qu'ils qu'ils demandèrent s'il voulait bien leur apprendre à prier ainsi qu'il avait fait pour les autres, et je l'entendis leur donner une admirable explication de l'oraison dominicale. J'admirai surtout ce qu'il dit avant et après la demande : " Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien " ; mais je ne puis pas le redire. Dans ce voyage. Jésus guérit plusieurs lépreux qui furent amenés sur son passage.

Ils n'allèrent pas ce soir jusqu'à Béthanie, mais quand ils furent à une lieue du bourg, ils entrèrent dans une maison servant d'hôtellerie qui appartenait aux saintes femmes. Cette nuit, j'ai vu distinctement qu'elles avaient à leur disposition plusieurs maisons de ce genre, dont une à Capharnaum, une près de Jéricho où elles avaient reçu le Seigneur tout récemment, et celle-ci en avant de Béthanie. C'est la même où j'ai vu Jésus enseigner si longtemps le soir d'avant la résurrection de Lazare, et Madeleine aller à sa rencontre. Elles avaient établi dans ces maisons de pauvres familles chargées de prendre soin du Seigneur et des apôtres : elles servaient à la fois comme lieux de réunion et comme hôtelleries. Celle-ci, située à une lieue de Béthanie, était tenue par un homme qui avait une femme et des enfants. Il y a quelques minutes je me rappelais encore son nom S mais il m'est échappé de nouveau.. Le Seigneur avait fait un miracle en sa faveur près de la mer de Galilée. vers le temps où eut lieu celui de la multiplication des pains.

Aujourd'hui Marie se trouvait dans cette maison avec les autres femmes et cinq apôtres, Judas, Thomas, Simon, Jacques le Mineur et Thaddée. Jean Marc y était aussi, ainsi que quelques prêtres et d'autres personnes. Lazare n'y était pas. Les apôtres et les disciples allèrent au-devant du Seigneur jusqu'à un puits où ils le saluèrent et lui lavèrent les pieds. Ils allèrent ensuite rejoindre les femmes dans la maison. Le Seigneur y enseigna et il y eut un repas. Les saintes femmes s'en allèrent ensuite à Béthanie : Jésus et les prêtres passèrent la nuit dans la maison avec les apôtres et les disciples.

29 janvier. — Jésus et les disciples n'allèrent pas encore ce matin à Béthanie. Les cinq apôtres et les seize disciples qui étaient venus avec Jésus se partagèrent en deux groupes qui, sous la conduite de Thaddée et de Jacques, parcoururent les environs et guérirent des malades. Je les vis guérir de différentes manières ; tantôt ils imposaient les mains, tantôt ils soufflaient sur les malades ou s'étendaient sur eux : quelquefois ils couchaient des enfants en travers sur leurs genoux et soufflaient sur eux.

Jésus parcourut aussi le pays avec les trois disciples discrets et il y opéra des guérisons. Je l'ai vu guérir plusieurs femmes affligées de pertes de sang, des jeunes filles chlorotiques et lunatiques, et des gens contrefaits : il délivra aussi un possédé dont je me souviens disti4ctement. C'était un jeune homme dont les parents coururent au-devant du Seigneur comme il entrait dans un village composé de maisons disséminées : il les suivit dans la cour de leur maison où se trouvait leur fils qui eut comme un accès de frénésie à l'approche du Seigneur, fit des sauts extravagants et se jeta contre les murailles. Les gens qui étaient là voulurent se saisir de lui, mais ils ne purent pas y parvenir parce que sa fureur allait toujours croissant et qu'il les déchirait avec ses dents. Alors le Seigneur ordonna à tous les assistants de sortir et de le laisser seul, sur quoi tous s'en allèrent dans la cour. Jésus se trouvant seul avec le possédé lui cria de venir à lui. Mais celui-ci ne vint pas et tira la langue à Jésus en faisant d'affreuses contorsions. Il l'appela une seconde fois et il ne vint pas, mais il le regarda en tournant la tête derrière lui. Alors Jésus leva les yeux au ciel et pria : cette fois, le possédé vint à son commandement et se jeta à ses pieds tout de son long. Le Seigneur passa un pied sur lui, puis l'autre, et fit cela deux fois comme s'il lui eût marché sur le corps ; je vis alors sortir de la bouche ouverte du possédé comme un tourbillon de vapeur noire qui montait et se dissipait dans l'air. Dans cette vapeur qui s'échappait, je distinguai trois noeuds dont le dernier était le plus foncé et le plus fort. Ces trois noeuds étaient joints ensemble par un gros fit et par plusieurs autres plus déliés. Je ne puis comparer le tout qu'à trois encensoirs superposés, laissant échapper par des ouvertures des nuages de fumée qui se réunissent les uns aux autres.

Le possédé était couché sans mouvement et comme sans vie aux pieds du Seigneur ; celui-ci remua la main au-dessus de lui, le bénit, comme quand on fait un signe de croix sur quelque chose, puis étendit le bras vers lui en lui ordonnant de se lever ; alors le pauvre jeune homme se leva : il était nu et tout pâle. Jésus le conduisit vers la porte de la cour, à la rencontre de ses parents, le leur rendit, et leur dit qu'il le leur rendait quant à présent, mais qu'il le leur redemanderait plus tard ; il leur recommanda aussi de ne plus pécher contre leur fils, car ils s'étaient rendus coupables à son égard, et c'était là ce qui l'avait fait tomber dans ce déplorable état ; toutefois je ne sais plus quel était leur péché.

Après cela, Jésus quitta cette famille et se rendit à Béthanie ; les malades qu'il avait guéris et beaucoup de leurs proches l'y précédèrent ou l'y suivirent, et ceux que les apôtres avaient guéris se rendirent aussi à Béthanie. Le bourg fut alors en grand émoi, car tous ces gens publiaient partout les grâces qu'ils avaient reçues. Je vis aussi que Jésus fut bien accueilli, que des prêtres vinrent au-devant de lui et le conduisirent à la synagogue, où ils lui présentèrent un livre de Moïse sur lequel on le priait d'enseigner. Il y avait beaucoup de monde à la synagogue ; les femmes étaient à la place qui leur était assignée.

Ils allèrent ensuite dans la maison de Simon, le lépreux de Béthanie, que Jésus avait guéri ; les femmes y avaient préparé un repas ; Lazare n'était pas présent. Jésus et les trois disciples discrets dormirent dans un logement dépendant de la synagogue ; les apôtres et les autres disciples allèrent passer la nuit dans la maison appartenant à la communauté. C'était la femme du préposé de cette maison qui, avant la résurrection de Lazare, avait annoncé à Marthe l'arrivée de Jésus ; elle était grande et forte, et faisait souvent des courses pour les affaires de la communauté. Marie et les autres femmes logeaient dans la maison de Marthe et de Madeleine, laquelle était distincte de la maison de Lazare : celle-ci, située du côté qui regardait Jérusalem, était entourée de fossés avec des ponts, comme dans un château ; la maison de Marthe était du côté de la ville par lequel Jésus était entré.

J'eus, cette nuit, une grande et merveilleuse vision touchant l'expulsion d'un démon que j'avais vu Jésus opérer près de Béthanie ; je ne puis guère la reproduire d'une manière suivie. C'était une succession de tableaux qui se perdaient les uns dans les autres, et je ne m'en rappelle même plus le commencement, ni l'ordre dans lequel ils se suivaient.

Je vis sortir de la bouche du possédé une vapeur ténébreuse, dans laquelle je vis trois noeuds ou trois points principaux, communiquant ensemble par des cordons de fumée noire. Je ne pouvais pas comprendre ce que c'était ; et, comme j'y réfléchissais, j'eus une vision. Je vis encore une fois, d'un coup d'úil rapide, le possédé couché par terre, et le Seigneur qui passait le pied sur lui ; je vis les nuages de vapeur noire liés ensemble sortir de sa bouche, et je vis le groupe qu'ils formaient comme suspendu en l'air devant moi. Alors je perdis de vue le possédé ; et, en considérant ce noir réseau, je pénétrai de plus en plus dans les détails de la vision, où je finis par voir tout un monde. Il me semblait voir d'abord une ombre en mouvement ; ensuite on reconnaissait l'ombre d'un homme, puis une forme humaine ; puis on distinguait tous les membres, puis on voyait l'intérieur : on voyait le coeur, le cerveau et tout le reste ; on se rendait compte enfin de toutes leurs fonctions, et on voyait toutes les pensées, tous les sentiments, tous les actes, et on visitait tout l'intérieur du corps et de l'âme de cet homme qui n'avait apparu d'abord que comme une pure ombre, et on voyait aussi dans quels rapports il était avec d'autres ; mais il n'est pas possible de trouver des paroles pour exprimer tout cela.

Je vis des différences dans la teinte sombre et noire des trois noeuds ; j'y vis ensuite diverses subdivisions qui prirent sous mes yeux la forme de jardins, dans les planches desquels j'aperçus toutes sortes d'affreuses choses. Dans les carrés d'un de ces jardins, je vis les instruments de torture les plus étranges et les plus effrayants, des mauvaises herbes de toutes sortes, des plantes vénéneuses et des bêtes venimeuses ; dans les planches d'un autre jardin, de singulières associations de plantes, d'animaux, de pierres, de métaux, de cachets, de chiffres, d'anneaux, de miroirs, de machines, d'instruments, de figures curieuses, etc. ; dans les planches du troisième jardin, il n'y avait que des objets agréables et magnifiques : des fleurs, des fruits, de la musique, de beaux tableaux, des 9gures nues ; mais rien qui parlât à l'âme, rien de saint. Au milieu de chacun de ces trois jardins et de tout ce qu'ils contenaient, je vis une fontaine ou une mare servant à arroser chacun d'eux à sa manière ; chacune de ces fontaines était remplie d'une espèce différente d'objets horribles et dégoûtants : il y avait des crapauds, des serpents, des reptiles et des bêtes venimeuses de tous genres, du sang et des abominations de toutes sortes. Dans chacun de ces jardins, toutes choses avaient entre elles une relation intime, et se rapportaient les unes aux autres d'une façon qui ne produisait que le mal, l'abomination, la douleur, le péché, les ténèbres, l'aveuglement ; mais, plus je voyais les détails, plus j'entrais moi-même dans cette sphère, au point de n'en plus bien distinguer les limites.

Je vis à la fin dans ces circonscriptions, de petites figures, puis des personnages et c'était comme un royaume où tout se tenait et où régnaient partout la vie et le mouvement. Les jardins formaient maintenant diverses sphères d'action et d'opération. Quand la vision fut arrivée à ce degré de développement, je ne vis plus les noeuds suspendus en l'air, mais tout cela était devenu comme un monde. Je vis encore des sphères et des enceintes lumineuses opposées à ces sphères ténébreuses et placées entre elles ; mais je ne distinguai pas les détails sinon lorsque je voyais des gens qui en sortaient pour passer dans les sphères ténébreuses.

Quand ces sphères se présentèrent à mes yeux sous la forme de mondes pleins de personnages et de scènes dive1ses, je vis ce qui m'avait été montré d'abord comme des fontaines remplies de bêtes hideuses, apparaître comme des églises de ténèbres. Je vis dans la sphère inférieure qui était la plus sombre un culte abominable rendu au démon : tout y était horrible à voir. Je vis au lieu d'autel comme une petite montagne et par derrière un trou où d'énormes bûches entretenaient un brasier ardent. La flamme y était d'un rouge sombre et la fumée se dirigeait en bas vers la terre : toutes les cérémonies, toutes les prières semblaient se diriger en bas. Je vis là une espèce de sanctuaire, et comme un sacrifice : mais à tout cela se mêlaient des abominations, des parodies insultantes, des profanations, des actes infâmes et dégoûtants. Il y avait tout un cérémonial qui se rapportait directement au démon. Je ne puis exprimer ces horreurs : tout y était révoltant, atroce, immonde et abominable. Je vis autour de ce point central des gens qui faisaient bouillir dans de grandes chaudières des plantes dont je connaissais les noms et dont la vue me faisait frissonner dans mon enfance lorsque je les rencontrais quelque part, et toute sorte d'autres choses affreuses. Je vis qu'ils s'oignaient avec cela : je les vis ensuite couchés là, puis transportés dans d'autres lieux où ils se réunissaient à des hommes qui étaient comme eux tout raidis et avec lesquels ils se livraient au péché. Je vis aussi partir de toutes leurs âmes des fils qui allaient ailleurs et revenaient, et je connus que par là chacun savait et voyait ce qui concernait l'autre. Ce n'était qu'abomination et confusion : je vis dans ces fils ou canaux spirituels comme des oiseaux noirs qui allaient et venaient pour établir les communications. Je vis qu'ils propageaient parmi les hommes beaucoup de fléaux et de maladies, et qu'ils apportaient à ces gens toute sorte d'ordures et d'étranges ingrédients comme des cheveux et des aiguilles qu'ils mettaient dans leurs onguents. Je vis parmi ceux-ci des personnes des contrées les plus diverses, et malheureusement aussi quelques-unes de notre temps et de notre pays : il y avait spécialement beaucoup de Juifs de pays étrangers : tout compris, ils ne formaient pas une troupe très nombreuse. Toutes choses se faisaient mystérieusement et dans les ténèbres, et il n'en provenait que de la folle, de l'abomination et du mal, sans aucun profit pour ceux qui y prenaient part.

Je vis dans l'enceinte de cette église diabolique se produire une masse d'horreurs, d'impudicités et de crimes contre nature. C'étaient là les bonnes oeuvres de ces adorateurs du démon et je reconnus que tous ceux qui s'adonnent à des vices de cette espèce appartiennent sans le savoir à cette église du démon. Je vis en outre dans cette sphère certains états et certaines relations qui dans la vie ordinaire ne sont pas considérés comme tout à fait illicites, surtout dans l'entourage de ces extatiques qui se frottent avec des onguents, puis voient à de grandes distances et commettent les plus affreux péchés avec d'autres ; il y avait notamment beaucoup de personnes magnétisées. Je vis quelque chose d'horrible entre elles et le magnétiseur ; c'étaient comme des nuages noirs de toutes les formes qui allaient des uns aux autres. Je n'ai presque jamais vu personne sous l'influence du magnétisme, sans qu'il s'y mêlât au moins une impureté charnelle très subtile. Je vois aussi toujours leur clairvoyance ayant pour agents de mauvais esprits. Je vis des gens tomber de la sphère lumineuse dans la région ténébreuse qui était au-dessous, par suite de leur participation à ces procédés magiques qu'ils appliquaient au traitement des malades, prenant pour prétexte l'intérêt de la science. Je les vis alors magnétiser et, égarés par des succès trompeurs, attirer beaucoup de personnes hors de la région lumineuse. Je vis qu'ils voulaient confondre ces guérisons d'origine infernale et ces reflets du miroir des ténèbres, avec les guérisons opérées par la lumière et avec la clairvoyance des personnes favorisées du Ciel. Je vis, à cet étage inférieur, des hommes très distingués travailler à leur insu dans la sphère de l'église infernale.

Dans l'enceinte de l'autre sphère, il y avait aussi une église, un culte mystérieux, mais c'était plutôt comme l'organisation de diverses confréries. Il n'y avait pas là de culte public rendu au démon : je n'y vis pas Satan en personne : je n'y vis pas non plus de si abominables choses pratiquées volontairement et avec malice. On y était plutôt préoccupé de certaines sciences occultes et de certains secrets de la nature. Ils faisaient de l'or ; ils avaient de petits bâtons où ils taillaient une espèce de peigne et dont ils frappaient la terre. Ils employaient à toute sorte d'usages des anneaux sur lesquels étaient gravées des lettres, et des amulettes qu'ils portaient sur eux, célébraient certaines fêtes, tiraient les cartes, conjuraient la fièvre, cherchaient à guérir par des procédés bizarres, comme en jetant dans l'eau courante de petits linges ensanglantés avec lesquels on avait pansé des plaies ou en mesurant des enfants d'une certaine façon. J'ai vu là mille choses extraordinaires destinées en apparence à la santé du corps et à la récréation momentanée des hommes : mais dans toutes je vis le culte caché du démon, le désir d'être guéri sans renoncer au péché comme source de la mort ou de la maladie, l'assistance demandée non à Jésus et à son Eglise, mais à la nature déchue. Je vis aussi que toutes ces guérisons n'étaient qu'apparentes et qu'elles aggravaient le mal. Cela me fut montré par des symboles, comme celui d'un trou qu'on recouvre de papier pour le dissimuler aux yeux.

Cette fausse église était autant et plus que la première entourée de personnes magnétiques : mais elles n'étaient pas plongées aussi avant dans le péché. Toutefois il y avait là comme une école préparatoire à tout ce qu'il y a de pire. Je vis aussi cette sphère peuplée d'une multitude de gens de toute espèce qui étaient par rapport à l'autre centre situé à une plus grande profondeur ce que sont des laïques par rapport à des prêtres ; au lieu de l'horrible culte diabolique, des impudicités, des meurtres, des vices contre nature, de la préparation de breuvages empoisonnés, de la fabrication d'images et d'écrits obscènes que j'avais vus dans la région inférieure, je voyais ici de folles amours, des langueurs, l'idolâtrie de la nature et de la créature, l'affectation des affections de famille, des lettres amoureuses, surtout de la musique mondaine, des danses, des boucles de cheveux, des anneaux, des portraits. Dans le cercle précédent j'avais vu préparer des poisons, procurer des avortements ; ici c'étaient des recettes superstitieuses pour réveiller l'amour.

Dans la troisième sphère, c'était tout autre chose et c'était pourtant la même chose, mais à un degré différent. Ici encore il y avait une église au centre et c'était purement de la franc-maçonnerie et des choses de ce genre Il n'était question ici que de bienfaisance sans Jésus-Christ, de lumières en dehors de la vraie lumière, de science sans Dieu, de bien-être, de vie commode, etc. Les gens de ce cercle ne croyaient pas aux deux autres cercles et s'imaginaient travailler contre eux tandis qu'ils ne travaillaient que contre la religion et aidaient à l'agrandissement des autres, dans le sol desquels ils avaient leurs racines. Tous ces mondes étaient liés les uns aux autres par de triples canaux et par une foule de lignes et de rayons qui les mettaient en rapport : tous se donnaient beaucoup de peine et travaillaient avec beaucoup d'efforts, mais tout ce qu'ils produisaient n'était que confusion, ténèbres, douleur et désespoir : toutes leurs guérisons n'étaient que des palliatifs et souvent un déplacement du mal qui l'aggravait. Je vis dans ce dernier cercle et dans le précédent un grand nombre de savants et spécialement des médecins et des pharmaciens.

Je ne me souviens plus bien de la suite de cette vision : ce que j'avais maintenant sous les yeux, c'était le monde et son train de vie. Je ne vis plus de séparation entre la région de la lumière et les sphères ténébreuses : tout était confondu ensemble. Je me trouvai moi-même allant et venant au milieu de tout cela ; je vis des amis et des gens de ma connaissance qu'une espèce de vertige poussait vers les cercles ténébreux et je les ramenai en arrière. Je ne me souviens plus bien de la situation dans laquelle je me trouvais : il me semblait être avec ma soeur dans un trou, comme dans un purgatoire. Je tenais toujours par la main l'enfant de mon frère et je le retenais en arrière : mon père et ma mère étaient près de moi. L'enfant Jésus vint une fois à moi et m'apporta quelque chose : je ne sais plus ce que c'était. J'élevai aussi en l'air l'enfant Jésus : je le montrai de loin à mes amis qui s'égaraient et qui alors accoururent près de moi. W. était de ceux qui chancelaient, le Pèlerin tournait autour du royaume de ténèbres pour y faire des observations, ce qui l'exposait à de grands dangers : mais tous revinrent à moi, même B. qui s'était écarté très loin. Je ne me rappelle plus distinctement la fin de la vision : mais c'était une espèce de tableau de la moisson ; on coupait les blés, on criblait, on brûlait les mauvaises herbes, on recueillait le froment, et je courus encore avec mes amis vers le côté lumineux du champ.

Remarque du Pèlerin. Il était impossible de reproduire cette vision en conservant toutes les paroles d'Anne Catherine, car elle se répétait sans cesse et ses récits se confondaient les uns avec les autres. Du reste on n'y a rien ajouté, car elle en a dit beaucoup plus long : on à seulement mis un certain ordre d'après les indications qu'elle donna elle-même, lorsque plus tard on lui lut ce qui avait été écrit.

Elle vit dans chacun des cercles dont il a été parlé tout un règne végétal et animal qui avait avec ce cercle un rapport physique, moral et mystique, et elle vit dans tous les trois le mauvais usage qui en était fait. Elle vit la signification des animaux, leur rapport réel et symbolique avec les péchés et avec les vertus opposées à ces péchés.

Elle vit ce qu'est le monde déchu en dehors de l'Église de Jésus-Christ, comment par ses abominations il adore le démon soit directement et personnellement, soit indirectement dans la nature et comment il s'adore lui-même dans sa raison et veut se racheter lui-même.

30 et 31 janvier. — Ce matin le Seigneur enseigna encore dans la synagogue. Je connaissais beaucoup des disciples qui étaient là, je vis, entre autres Saturnin, Nathanael Khased et Zachée. Beaucoup de malades avaient été amenés à Béthanie. Jésus prit encore un repas avec les disciples dans la maison de Simon, le lépreux guéri : beaucoup de pauvres y assistèrent et Jésus leur fit d'amples distributions de ce qui était servi. Il en fit convoquer d'autres encore qu'il fit manger avec lui. Cela mécontenta le maître de la maison. II envoya des messagers aux divers Pharisiens de Béthanie, ce qui fit tenir aussi beaucoup de propos à Jérusalem où l'on dit que Jésus était devenu un dissipateur et prodiguait tout à la canaille. Jésus passa encore la nuit dans le voisinage de la synagogue : les disciples et les apôtres dans l'hôtellerie appartenant à la communauté qui était en avant du bourg.

Je vis de nouveau Jésus enseigner et guérir à Béthanie.

On avait amené beaucoup de malades et pendant qu'il enseignait à la synagogue, on avait dressé depuis là jusqu'à la maison de Simon une double rangée de tentes sous lesquelles les malades étaient couchés ; il n'y avait que des hommes. J'ai bien vu là avec quelle gravité calme Jésus opérait ses guérisons et je m'attristai en pensant à la légèreté et à la dissipation qui ôtent souvent toute efficacité au ministère des ecclésiastiques. Il n'y avait pas là de lépreux : je vois qu'on les fait toujours venir dans des endroits séparés. Jésus passa devant quelques malades sans s'arrêter, il donna des avis à d'autres sans les guérir : il fallait qu'auparavant ils se corrigeassent. Il était suivi le plus souvent par trois disciples : deux se tenaient à ses côtés, un peu en arrière, et le troisième tout à fait derrière lui : ils étaient comme ses lévites. Il n'y avait pas de presse autour du Seigneur quoiqu'il y eût toujours beaucoup de gens qui se tenaient à une certaine distance et suivaient. Il passa d'abord le long d'un des rangs et revint sur ses pas en prenant l'autre côté : il opéra ses guérisons d'une manière fort diverse. Il en prit quelques-uns par la main et leur ordonna de se lever : il en toucha d'autres : je vis un hydropique auquel il passa la main sur le corps à partir de la tête et qui désenfla aussitôt, car l'eau dont il était plein sortit sous la forme d'une soeur extraordinairement abondante. Je la vis couler à flots de sa tête et de son corps. Beaucoup de ceux que Jésus avait guéris se prosternèrent la face contre terre devant lui : ses compagnons les relevèrent et les emmenèrent. Lorsque le Seigneur revint à la synagogue, il fit placer pour ces malades guéris des sièges tout auprès de lui, après quoi il enseigna.

1-3 février. — Je vis Jésus à Béthanie envoyer les disciples deux par deux dans les environs pour y enseigner et y guérir les malades. Il leur dit de revenir l'attendre les uns à Béthanie, les autres à Bethphagé. Je vis ensuite Jésus lui-même, accompagné des trois disciples discrets, aller dans un petit endroit à deux lieues au midi de Béthanie. J'avais cru d'abord qu'il allait dans cet endroit situé sur la route de Bethléhem où se trouve maintenant Lazare, mais je le vis guérir ici. Je le vis notamment entrer dans la maison d'un homme auquel il avait rendu précédemment l'usage de la parole, mais qui, étant retombé dans le péché, était devenu paralytique. Ses mains et ses doigts avaient entièrement perdu leur forme. Je vis Jésus lui faire une exhortation et le toucher, sur quoi il se leva guéri. Je vis Jésus guérir encore dans cet endroit plusieurs jeunes filles qui avaient les pâles couleurs et qui ressemblaient à des mortes : souvent elles pleuraient ou riaient convulsivement et comme par accès : elles étaient lunatiques.

Ce soir je vis Jésus de retour à Béthanie avant l'ouverture du sabbat : il alla à la synagogue. J'entendis les Juifs malveillants alléguer emphatiquement contre lui qu'après tout il n'avait pas le pouvoir de faire ce que Dieu avait fait pour les enfants d'Israël auxquels il avait donné la manne dans le désert, etc. Ils étaient très mal disposés à son égard. J'entendis aussi toute la nuit une instruction qu'il fit et qui était très belle et très claire, mais je ne puis pas la rapporter. Il ne passa pas la nuit à Béthanie, mais hors de la ville dans l'hôtellerie des disciples.

Aujourd'hui j'ai vu Jésus enseigner à la synagogue. Le repas eut lieu dans la maison de Simon qui se montra plus sensé qu'il ne l'avait été récemment. Jésus enseigna et passa la nuit dans l'hôtellerie des disciples, en avant de Béthanie.

4 et 5 février. — Trois disciples cachés vinrent de Jérusalem trouver Jésus auquel ils demandèrent pourquoi il les avait si longtemps délaissés et fait dans d'autres endroits tant de choses dont ils n'avaient rien su. J'entendis une réponse qu'il fit dont je me rappelle encore quelque chose. Il était question de tapis et d'objets utiles auxquels on attache du prix ; si on s'en sépare pendant un certain temps, on les retrouve avec plus de plaisir et comme si c'étaient de nouvelles acquisitions. Il dit encore que si on sème toute sa semence en une fois dans un même endroit, une grêle peut survenir et tout détruire, tandis que l'enseignement et la grâce disséminés en plusieurs lieux, laissent des traces qui ne s'effacent pas si facilement. Tel fut le sens de sa réponse. Quant à ces trois disciples cachés, je ne me rappelle que ce qui suit. Le premier était un fils du vieux prêtre Siméon qui était mort après la présentation du Christ au Temple. Il s'appelait Obed et je S rois qu'il fut mis à mort à Jérusalem avec Jacques ou quelques autres des premiers martyrs. Le second était un fils ou un parent de Véronique : il fut aussi martyrisé : j'ai encore devant les yeux une vision où je vis brûler ses ossements. Le troisième, allié à Jeanne Chusa avait, dès l'âge de douze ans, fait connaissance avec Jésus lorsqu'il était resté à Jérusalem. Il alla plus tard avec Simon et Jude, devint évêque de Cédar et vécut assez longtemps comme anachorète en Egypte, non loin du dattier qui s'était penché vers Marie lors de sa fuite pour qu'elle pût manger de ses fruits. Cet arbre s'élevait au milieu d'un hallier. J'ai vu cette scène : plusieurs enfants de bergers vinrent ensuite près de cet arbre pour cueillir ses fruits, une signification et une bénédiction y étaient attachées. Cela eut lieu à peu de distance du grand fleuve qui arrose ce pays : je vis creuser une quantité de fossés pour l'inondation. Ce disciple mourut à l'âge de cent ans ou de cent dix ans.

Ces trois disciples apportaient de mauvaises nouvelles : ils dirent à Jésus que les princes des prêtres et les Pharisiens se proposaient d'aposter des espions dans les endroits voisins de Jérusalem, pour se saisir de lui lorsqu'il se rapprocherait de la ville. Là-dessus Jésus ne prit avec lui que ses deux disciples les plus nouveaux, Selam de Cédar et Sylvain du pays de Sichar, et il marcha avec eux toute la nuit pour se rendre à cette métairie de Lazare qui était voisine d'une forteresse et où Lazare se trouvait alors. Lazare était encore deux jours auparavant dans la petite ville située entre Béthanie et Bethlehem, près de laquelle les trois rois avaient fait manger leurs bêtes lors de leur voyage à Bethlehem, mais ayant reçu un message de Jésus il s'était rendu de là à sa métairie. Jésus savait donc déjà qu'il aurait à s'éloigner, avant la nouvelle que lui apportaient les disciples ; cela m'explique pourquoi il avait passé deux nuits, non pas à Béthanie, mais hors de la ville dans l'hôtellerie des disciples.

Ce matin, je vis Jésus arriver avant le jour devant la maison de Lazare située près de la forteresse. Il frappa à la porte de la cour : la maison était entourée d'un fossé, Lazare vint lui-même avec une lanterne sourde, il ouvrit et conduisit Jésus dans une salle de la maison. Il y trouva Nicodème, Joseph d'Arimathie, Jean Marc et Jaïr, le second fils de Siméon. Ils saluèrent Jésus et lui lavèrent les pieds : un repas était préparé. J'entendis dire que Jésus voulait aller à l'endroit où il avait béni un si grand nombre d'enfants avant la mort de Lazare et près duquel il avait guéri des lépreux dans une espèce d'hôpital ; je crois que cet endroit s'appelle Bethabara, cependant je n'en suis pas sûre.

6-15 février. — Il y eut ces jour-là une interruption presque complète dans les communications de la pieuse fille, car son vieil ami le pieux abbé Lambert, prêtre émigré natif d'Amiens, mourut le 9 février. Pour lui obtenir la grâce d'une bonne mort et une prompte délivrance du purgatoire, Anne Catherine avait pris à sa charge des peines excessives et elle participa, même corporellement, à toutes les souffrances de l'agonisant. Dans cet état douloureux, elle ne put communiquer rapidement que le peu qui suit :

Je vis ces derniers jours Jésus, accompagné de Silas et de Sylvain, aller de l'autre côté du Jourdain, à Béthabara, où il avait béni dans une autre occasion une si grande quantité d'enfants Il y a célébré le sabbat et il a adressé de nouvelles exhortations à des gens qu'il avait antérieurement guéris et convertis. Le 11 février, elle dit avec tout le naturel d'une personne qui rapporte ce qu'elle vient de voir à l'instant : " Maintenant Notre Seigneur Jésus est parti pour Ebrian ". (Note : Elle voulait dire vraisemblablement Ephraim ou Ephron.) C'est un petit endroit à une demi lieue environ de la grande ville (Jéricho). Il a été à Béthabara. Il a guéri ici deux aveugles ; Sélam et Sylvain étaient avec lui. André' Judas, Thomas, Jacques le Mineur, Thaddée, Zachée, un disciple de Jérusalem, un parent de Véronique, un disciple de Béthanie qui avait été présent à la résurrection de Lazare, et sept autres disciples encore vinrent se réunir ici à Jésus. J'ai vu ceux d'entre eux qui étaient de Jérusalem aller prendre les autres à Béthanie ; c'est pourquoi je sais d'où ils étaient. Je n'ai pas le temps de raconter par où ils ont passé pour venir ici. Avant que Judas partît de Béthanie, je vis la sainte Vierge s'entretenir avec lui et l'exhorter instamment à être plus mesure, à veiller sur lui-même et à ne pas se mêler de tout comme il faisait.

12 février. — Ce soir Jésus alla dans un endroit situé à une lieue au nord de Jéricho, où il y a une espèce d'hospice dans lequel on recueille des malades et des pauvres. Il passa la nuit dans une hôtellerie où il rendit la vue à un vieillard aveugle qu'il s'était abstenu de guérir précédemment, lorsque, près de ce même endroit, il avait guéri deux autres aveugles avec un mélange de terre et de salive. Cette fois il l'a guéri par sa seule parole. L'endroit est près du chemin. Le Seigneur se rendit de là à la métairie de Lazare.

15 février. — Aujourd'hui Jésus alla avec Lazare de la métairie de celui-ci à Béthanie. Les saintes femmes allèrent à leur rencontre.

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CHAPITRE ONZIÈME

Jésus à Jérusalem. Dernières semaines avant la Passion.

Jésus va de Béthanie à Jérusalem.- Grande instruction dans le Temple. - veille du dimanche des Rameaux. - Entrée solennelle de Jésus à Jérusalem. - Madeleine verse sur lui des parfums. - Jésus chasse les vendeurs du Temple. - Madeleine verse de nouveau sur lui un onguent parfumé. - Débuts de la trahison de Judas - Prédication véhémente contre les Pharisiens. - Instruction chez Lazare. - Le denier de la veuve. - Jésus parle de la destruction du Temple. - Dernière instruction de Jésus dans le Temple. - Dernier hommage que lui rend Madeleine. - Appendice.

Remarque de l'éditeur.

Le dimanche de la Septuagésime (en 1821, il tombait le 3 février), commençait chaque année pour Anne Catherine, un état de souffrance tout particulier qui se prolongeait jusqu'au dimanche de Pâques. Elle était en proie à un délaissement intérieur et à une sécheresse qui allaient toujours en augmentant jusqu'à la privation la plus absolue de toute consolation : elle se trouvait ainsi livrée sans aucun secours à toutes les tribulations intérieures et extérieures, à toutes les maladies et les douleurs dont elle s'était chargée, à toutes les souffrances et les pénitences expiatoires qui lui étaient imposées, en même temps qu'elle était privée de toute assistance sensible et fortifiante de la grâce. Ces souffrances lui étaient ordinairement montrées d'avance par Dieu dans une vision symbolique afin que, les acceptant librement et volontairement, elle pût lui offrir un sacrifice d'autant plus agréable. Cette année (1821) voici ce qu'elle raconta au Pèlerin :

" Le vendredi d'après la septuagésime, mon fiancé m'a revêtue d'un nouveau vêtement noir tout couvert de croix. Il m'a présenté en outre une croix comme il le fait ordinairement et m'a demandé de la manière la plus affectueuse si je ne voulais pas accepter encore celle-là, disant qu'il se rencontrait si peu de personnes qui voulussent souffrir quand il y avait tant de péchés à expier et tant de gens a assister. Alors j'acceptai tout avec résignation et il me fut dit que je porterais ce fardeau pendant dix semaines, et qu'ensuite je serais secourue : que je pouvais être réduite à la dernière extrémité par le manque d'intelligence des personnes qui m'entourent, mais qu'il fallait souffrir tout cela patiemment. Depuis que je porte cet habit, tout me blesse, tout me transperce ; je ils dans tous les coeurs, je vois toutes les impressions, j'entends et je vois tout ce que l'on dit de moi, et c'est un martyre d'enfer ". Qu'on ajoute à tout cela l'irrésolution et les hésitations d'un confesseur inquiet et scrupuleux, qui seul aurait pu lui servir d'appui dans une telle complication de souffrances, et l'on comprendra facilement que, pendant ces deux semaines, le Pèlerin n'ait pu obtenir d'elle des communications plus étendues que celles qui sont consignées dans les fragments suivants ; on reconnaîtra aussi au prix de quelles peines et de quelles fatigues l'écrivain et la narratrice pouvaient sauver ces faibles débris d'un tel océan d'amertume.

15 février.-- Ce soir, le Seigneur alla de Béthanie au temple ; sa mère l'accompagna à quelque distance : il la prépara à sa Passion, et lui dit que le moment approchait où allait s'accomplir pour elle la prédiction de Siméon sur le glaive qui devait traverser son âme ;il lui annonça qu'on le trahirait sans miséricorde. qu'on se saisirait de lui, qu'on le maltraiterait, qu'on le livrerait au supplice comme un malfaiteur, et qu'elle serait forcée de voir tout cela. Jésus parla très longtemps a sa mère sur ce sujet, quant à elle, elle ne pouvait pas se figurer que cela fût possible.

Jésus a passé la nuit dans la maison de Marie, mère de Jean Marc, située à un quart de lieue environ du temple, et qui est pour ainsi dire devant la ville.

16 février.-- Aujourd'hui, quand les Juifs furent sortis du temple, Jésus y enseigna publiquement et parla avec beaucoup de force. Tous les apôtres étaient à Jérusalem, et ils se rendirent au temple chacun de leur côté. Jésus enseigna dans une salle circulaire pleine de sièges et entourée de gradins où s'asseyaient IPS auditeurs : c'était l'endroit même où il avait parlé à l'âge de douze ans.

Beaucoup de personnes s'y étaient rassemblées.

On peut dire que sa Passion a déjà commencé, car son âme est en proie à une tristesse mortelle à cause de la perversité des hommes. Il passa la nuit dans l'hôtellerie qui est en avant de la porte de Bethléem, celle où Marie s'arrêta lorsqu'elle vint le présenter au temple.

17 février.-- Aujourd'hui Jésus enseigna de nouveau dans le temple, et j'entendis son instruction. Ensuite il alla encore loger dans la maison qui est devant la porte de Bethléhem. Il y avait là plusieurs chambres les unes à côté des autres, avec un homme qui en prenait soin. Le Seigneur, lorsqu'il alla au temple, n'était accompagné que de Pierre, de Jean et d'un autre apôtre qui avait les cheveux noirs : c'était Jacques, si je ne me trompe ; les autres vinrent séparément. Il n'enseigna que lorsque les Pharisiens eurent fini La chaire était posée sur des degrés et entourée d'un grillage ; des sièges, disposés en amphithéâtre, s'élevaient tout autour. Les Pharisiens vinrent une fois l'écouter. Il y avait beaucoup de disciples dans la ville. Les apôtres et les disciples logeaient, pour la plupart chez Lazare, qui était revenu dans sa maison, où demeurait aussi Marie.

19 février . Aujourd'hui, je vis le Seigneur enseigner dans le temple dès le matin ; il n'en sortit pas quand midi fut venu : mais, vers trois heures, il alla à Béthanie. Les femmes vinrent au devant de lui.

20 février.-- Ce matin j'ai vu le Seigneur, allant à Jérusalem, passer par Bethphagé. Les apôtres et les disciples logeaient, les uns à Béthanie, les autres à Jérusalem. Nicodème, Joseph d'Arimathie, les trois fils de Siméon et d'autres disciples secrets de Jérusalem n'assistaient pas ouvertement à ses instructions : ils l'écoutaient, cachés dans des coins, quand les Pharisiens n'étaient pas présents. Il n'y avait jamais que trois apôtres qui l'accompagnassent au temple ; les autres venaient de leur côté.

21 février.-- C'est la première fois depuis vendredi (le 15) que je l'ai entendu prêcher ; ses paroles seules ont relevé mon courage abattu par de grandes angoisses intérieures, des tracas extérieurs et des chagrins de tout genre. Je crois que je m'en rappelle encore quelque chose. (Ici elle se recueillit et dit : " il parla tout le temps d'un champ devenu inculte, où l'on doit travailler avec précaution, de peur d'en arracher, avec les mauvaises herbes, une tige de froment qui doit multiplier. J'ai aussi vu, dans la vision, le champ et la tige de froment, et cela m'a fait penser à ma jeunesse et au temps où des paraboles de ce genre m'étaient montrées à l'occasion de tous les phénomènes de la nature. Dans ce discours, Jésus présenta la vérité aux Pharisiens d'une manière si frappante, que, malgré toute leur rage, ils ne purent s'empêcher d'y trouver un plaisir secret ".

23 février.-- Aujourd'hui, Jésus resta jusqu'au soir chez ses amis de Béthanie. Je le vis, dans l'hôtellerie de la communauté, parler à sa mère de sa Passion prochaine. Ils se tenaient dans la cour de la maison, sous un berceau de feuillage. Maintenant il va à Jérusalem pour le sabbat. Je le vois cheminer. (Plus tard elle dit : " Je le vis enseigner dans le temple lorsque les Pharisiens en furent sortis ; ils étaient très irrités, et fermèrent les portes du temple, pour que personne ne pût plus y entrer. Jésus enseigna jusque très avant dans la nuit ; il faisait Peu de gestes et parlait très simplement, mais il se tournait tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. Je l'ai aussi entendu dire qu'il était venu pour trois sortes de personnes : il montra du doigt trois côtés du temple, trois points de l'horizon, et dit que tout y était compris. Il avait déjà dit à ses disciples, devant le temple, que, quand il se serait séparé d'eux, ils devaient le chercher à midi. Mais Pierre, qui parlait toujours si hardiment, lui demanda ce qu'il entendait par là J'entendis alors Jésus lui répondre qu'à midi le soleil était au-dessus de nos têtes, et qu'il n'y avait point d'ombre ; que, le matin et le soir, il y avait un mélange d'ombre et de lumière, et qu'à minuit les ténèbres régnaient. Ils devaient le chercher à midi, et ils le trouveraient aussi en eux-mêmes, s'il n'y avait point d'ombre ; mais j'ai eu l'impression que cela s'appliquait aussi à diverses régions du globe. J'ai entendu d'autres paroles du même genre, mais Je les ai oubliées. Jésus resta aujourd'hui dans l'hôtellerie qui est devant la ville ".

24 février . Ce matin, Jésus enseigna dans le temple, et, vers trois heures, de l'après-midi, il prit un repas dans la maison de Marie, mère de Marc, avec une vingtaine d'apôtres et de disciples, parmi lesquels était un des fils de Siméon. Véronique aussi était dans la maison, mais secrètement ; j'appris, à cette occasion, que le prêtre Siméon était allié à sainte Anne. Jésus passa la nuit dans l'hôtellerie qui est devant Jérusalem.

25 février .--Aujourd'hui, j'ai vu Jésus enseigner de nouveau dans le temple, et j'ai saisi quelque chose de son instruction. Les Juifs deviennent plus agressifs : aujourd'hui ils avaient fermé la grille qui est autour de la chaire et la chaire elle-même ; mais, lorsque Jésus fut entré dans la salle avec ses disciples, il mit la main à la grille, et elle s'ouvrit ; la chaire s'ouvrit aussi sans qu'on n'y touchât. Je me souviens que beaucoup de disciples de Jean et de partisans secrets de Jésus étaient là, et qu'il se mit à parler de Jean et à leur demander ce qu'ils pensaient du précurseur et de lui-même. Je crus qu'il voulait qu'ils se déclarassent publiquement mais ils craignirent de se prononcer. Je l'ai aussi entendu raconter une parabole touchant un homme qui ordonna à ses deux fils d'aller défricher et ensemencer son champ : l'un des fils dit qu'il le ferait et n'en fit rien ; l'autre refusa, mais ensuite il se repentit et fit ce que voulait son père. Jésus enseigna longtemps sur ce sujet. Plus tard, après son entrée solennelle à Jérusalem, il a raconté encore une parabole semblable.

Aujourd'hui il alla à Béthanie coucher chez Lazare. Il visita les saintes femmes. Elles n'étaient pas dans la maison de Lazare, mais dans cette où étaient Marthe et Madeleine lorsque leur frère ressuscita.

27 février.-- Je vis aujourd'hui Jésus enseigner dans le temple. Les disciples y étaient allés d'avance et en avaient ouvert les portes. Il enseigna encore en paraboles comme la veille : il soupa chez Jean Marc et alla coucher à Béthanie.

28 février.-- Je vis aujourd'hui le Seigneur aller de Béthanie au temple de Jérusalem. Sur le chemin un aveugle lui fit de vives instances pour être guéri, mais il passa outre. Cela mécontenta les disciples et Jésus expliqua dans le temple pourquoi il en avait agi de la sorte Il dit que cet homme était plus aveugle encore des yeux de l'âme que des yeux du corps. Il parla aujourd'hui en termes très sévères ; il dit qu'il se trouvait là beaucoup de gens qui ne croyaient pas en lui, qui ne s'empressaient à sa suite que pour voir des prodiges, et qui l'abandonneraient au moment décisif. Ils ressemblaient à ceux qui l'avaient suivi lorsqu'il leur eut donné la nourriture corporelle et qui pourtant s'étaient dispersés ensuite. Du reste ceux dont il parlait n'avaient maintenant rien de mieux à faire qu'à se retirer. Je vis que, pendant qu'il tenait ce discours, un très grand nombre de personnes s'en allèrent et qu'il n'en resta guère plus d'une centaine autour de lui. Je vis aussi qu'il pleura sur ces détections en revenant à Béthanie.

1er mars.-- Le jeudi je ne vis Notre Seigneur aller au temple que vers le soir. Six apôtres et disciples marchaient derrière lui. Il rangea lui-même et mit en ordre tous les sièges qui se trouvaient dans les salles sur son passage. Les disciples s'étonnèrent de le voir mettre la main à un semblable travail. Il enseigna à ce sujet et dit aussi qu'il les quitterait bientôt.

2 mars .--Vendredi, dans l'après-midi, le Seigneur vint de Béthanie au temple pour le sabbat et il mangea dans la maison de Jean Marc. Les saintes femmes de Béthanie et Lazare se trouvaient là. Mais Lazare ne célébra pas le sabbat au temple : il se montre rarement en public. Tous les gens qui étaient restés à l'instruction faite la veille dans le temple y étaient revenus aujourd'hui. Jésus et les siens couchèrent à Béthanie.

3 mars .--Le trois mars, à quatre heures de l'après-midi, Anne-Catherine raconta ce qui suit : Depuis ce matin jusqu'à présent j'ai entendu Jésus enseigner dans le temple : cela m'a singulièrement soulagée dans le misérable état où m'ont mise une nuit de souffrances et une matinée remplie de peines et de soucis : à midi seulement Jésus s'interrompit quelque temps pour se reposer un peu. Ensuite il reprit son discours. J'en ai encore une grande partie devant les yeux, mais il ne m'est pas possible de le rapporter dans le même ordre qu'il a été prononcé : car il y eut bien des choses qu'il n'adressa qu'aux apôtres et aux disciples dans une pièce séparée et d'autres qu'il dit de manière à être entendu soit des Pharisiens qui l'espionnaient, soit des autres Juifs qui se trouvaient là. Il annonça aux apôtres et aux disciples une grande partie de ce qui devait arriver, mais en termes généraux et sans désigner personne nominativement : comme d'ordinaire, toutes les choses auxquelles il faisait allusion me furent montrées dans des visions. Je ne pourrai pas toujours dans le cours de mon récit bien préciser ce que j'entendis dire à Jésus et ce que je vis à cette occasion, mais ceux qui m'entendent pourront faire eux-mêmes la distinction.

Jésus parla beaucoup des fausses vertus : d'une charité à laquelle se mêlaient l'amour de soi et la convoitise, d'une humilité où il entre de la vanité. Il expliqua comment le mal se glisse subtilement en toutes choses. Il dit que plusieurs se figuraient qu'un royaume terrestre ou une haute dignité lui étaient réservés, qu'ils espéraient arriver à être quelque chose prés de lui et cela sans avoir à souffrir, que même la pieuse mère des enfants de Zébédée lui avait demandé un rang particulier pour ses fils. Il dit aussi qu'on ne devait pas amasser des trésors périssables : il parla de l'avarice à ce sujet et j'eus le sentiment qu'en cela il faisait allusion à Judas. Il parla encore de la mortification, du jeûne et de la prière ainsi que de l'hypocrisie qui pouvait s'y mêler : il mentionna à cette occasion l'indignation des Pharisiens lorsque ses disciples, l'année d'auparavant, avaient cueilli des épis. Il répéta plusieurs enseignements déjà donnés et donna des explications sur beaucoup de ses actions. Il loua la manière dont les disciples s'étaient comportés pendant l'absence qu'il avait faite ; il fit aussi mention de ceux qui l'avaient accompagné et loua leur discrétion et leur docilité. Il dit combien son voyage s'était accompli dans la paix et il s'exprima à ce sujet d'une manière fort touchante. Il parla ensuite de sa fin prochaine et annonça qu'auparavant il ferait une entrée solennelle à Jérusalem.

Il parla de Marie sa mère selon la chair et de ce qu'elle aurait à souffrir de sa propre mission qui allait trouver son accomplissement dans sa passion et de la cruauté impitoyable avec laquelle on le traiterait : mais il fallait qu'il souffrît, et souffrit infiniment pour satisfaire à la justice de Dieu. Il dit à ce sujet quelque chose de la profonde corruption des hommes et de leur culpabilité, et il ajouta que personne ne pouvait être justifié sans sa passion. Lorsqu'il parla de ses souffrances comme devant satisfaire pour les péchés des hommes, les Juifs éclatèrent en rires ironiques et en sarcasmes injurieux, je les vis chuchoter ensemble en lui lançant des regards furieux : quelques-uns sortirent et parlèrent à des gens de la populace qui semblaient apostés pour espionner. Il semblait qu'il y eût un complot formé d'avance pour tomber sur Jésus. Mais le Seigneur dit aux siens de ne pas se troubler, que son heure n'était pas encore venue, que d'ailleurs tout cela faisait aussi partie de sa Passion.

Il fit encore allusion dans son discours, quoique sans le nommer, au cénacle qui devait être leur lieu de réunion et où ils reçurent plus tard le Saint Esprit : il parla d'une assemblée où ils prendraient une nourriture qui les fortifierait et les ranimerait et dit qu'il demeurerait éternellement avec eux dans cette assemblée.

Il parla aussi de ses disciples cachés, des fils de Siméon et des autres : il les excusa devant les disciples déclarés, de ce qu'ils ne se montraient pas : il expliqua que cela avait son utilité parce qu'ils avaient une vocation autre que la leur. Comme plusieurs personnes de Nazareth étaient venues l'écouter au temple, Jésus dit à leur adresse qu'il n'y avait rien de sérieux dans leur démarche.

Il parla en particulier aux apôtres de beaucoup de choses qui devaient arriver après qu'il serait retourné à son Père. Il dit à Pierre qu'il aurait beaucoup à souffrir, que toutefois il ne devait pas s'effrayer, persévérer fidèlement et rester à la tête de la communauté qui était destinée à prendre des accroissements merveilleux : il devait rester trois ans à Jérusalem avec Jean et Jacques le Mineur, pour y gouverner l'Eglise. Il leur parla aussi par avance d'un jeune homme qui verserait le premier son sang pour lui, mais sans prononcer le nom d'Etienne. Il parla aussi de la conversion du persécuteur sans nommer Paul, et dit que celui-là ferait plus à lui seul que beaucoup d'autres. Ils ne purent pas bien comprendre tout cela.

Il fit encore allusion aux persécutions qu'auraient souffrir Lazare et les saintes femmes et dit aux apôtres où ils devaient aller six mois après sa mort. Ainsi Pierre, Jean et Jacques le Mineur devaient rester à Jérusalem, André et Zachée devaient se rendre dans le pays de Galaad, Philippe et Barthélemy à Gessur sur la frontière de Syrie. J'eus alors des visions touchant ce qui devait arriver ; je vis ces quatre apôtres passer le Jourdain près de Jéricho, puis se diriger vers le nord, Philippe aussitôt après son arrivée à Gessur y guérir une femme malade, y rencontrer beaucoup de sympathie et plus tard y être persécuté. C'était à peu de distance de Gessur qu'était le pays natal de Barthélemy, et je crois voir confusément qu'il descend d'un roi de cette ville qui avait des liens de parenté avec David. (Tome IV, page 191).

Il avait du reste quelque chose de très distingué en comparaison des autres apôtres. Ces quatre apôtres ne restèrent pas dans cet endroit, mais ils travaillaient dans tout le pays d'alentour. Galaad, où allèrent André et Zachée, n'était pas loin de Pella où Judas avait été élevé

Jacques le Majeur et un autre disciple devaient aller au nord de Capharnaum sur les confins des pays paiens. Thomas et Matthieu devaient d'abord se rendre à Ephèse, afin de préparer ce pays où devaient habiter plus tard la Mère de Jésus et beaucoup de personnes qui croyaient en lui. Ils furent fort étonnés de ce que telle était la demeure assignée à Marie. Thaddée et Simon devaient commencer par aller à Samarie. C'était une ville où personne n'allait volontiers : ils aimaient mieux aller dans les endroits tout à fait paiens.

Il leur annonça aussi qu'ils se réuniraient tous à Jérusalem deux fois encore, avant d'aller prêcher l'Evangile dans les contrées lointaines habitées par les Gentils. Il fit mention d'un homme demeurant entre Samarie et Jéricho, qui devait faire à son imitation beaucoup de prodiges, mais par la puissance du démon. Cet homme devait témoigner le désir de se convertir, et il ne fallait pas le repousser, car le démon aussi devait contribuer à la glorification de Jésus. (Anne Catherine pensa plus tard qu'il s'agissait de Simon le magicien.) Toutes ces choses qui avaient rapport à l'avenir de l'Eglise furent dites en particulier par Jésus à ses disciples les plus intimes et non en présence de tout l'auditoire. Ils l'interrogèrent comme on interroge un maître qui est en même temps un ami, sur ce qu'ils ne comprenaient pas, et il leur donna les explications nécessaires. Tout cela se fit fort simplement fort naturellement. J'ai oublie un très grand nombre de détails. ~

Ici la narratrice fut interrompue dans son récit par des dérangements extérieurs, mais plus tard elle ajouta plusieurs choses qui vont être rapportées, toutefois l'écrivain ne sait pas bien si elle les connaissait par l'instruction que le .Seigneur avait faite aujourd'hui, ou si elles n'étaient Pas à certains égards le souvenir de visions antérieures.

Trois ans après la mort du Christ les apôtres se trouvèrent tous ensemble à Jérusalem : ensuite Pierre et Jean quittèrent la ville et Marie se rendit à Éphèse avec le dernier. Alors éclata à Jérusalem une persécution contre Lazare, Marthe et Madeleine : celle-ci jusque-là avait vécu eu pénitente dans cette grotte du désert où Elisabeth s'était réfugiée avec Jean lors du massacre des innocents. Dès les premiers temps les apôtres ont réglé tout ce qui as ait rapport au corps de l'Eglise. Vers le milieu du temps qui s'écoula entre l'Ascension et la mort de la sainte Vierge, six ans environ après l'Ascension, ils se réunirent encore à Jérusalem, composèrent le symbole, réglèrent toutes choses, distribuèrent et aliénèrent tout ce qu'ils possédaient et divisèrent l'Eglise en diocèses : après quoi ils allèrent chacun de leur côté évangéliser au loin les nations païennes. Ils se réunirent pour la dernière fois à la mort de Marie, puis ils se dispersèrent dans des contrées plus éloignées où ils trouvèrent le terme de leurs travaux. La narratrice parla encore de l'élection des diacres et des réclamations faites par les veuves et les orphelins, comme aussi de la douceur que montra saint Pierre vis-à-vis de saint Paul dans des contestations relatives à la circoncision.

Lorsque Jésus quitta le temple après son instruction d'aujourd'hui, les pharisiens qui en avaient été fort scandalisés, le guettèrent à sa sortie et sur son chemin et voulurent le lapider. Je ne me souviens plus comment il Leur échappa : mais ensuite il se tint caché pendant trois jours.
Trois jeunes hommes du pays des Chaldéens sont arrivés aujourd'hui à Béthanie : ils venaient de la ville de Sikdor où Jésus s'était trouvé le 17 décembre et où ils avaient dans leur grand temple une représentation du jardin fermé. Ils ne connaissaient pas Jésus, mais ils avaient entendu parler de son enseignement et voulaient en juger par eux-mêmes. Ils vinrent chez Lazare et on les établit alors à toutes sortes de pratiques diaboliques. Les trois Chaldéens reviendront de Capharnaum à Béthanie et de là à Sikdor. Ils prendront là avec eux beaucoup de leurs compatriotes, puis, emportant leurs trésors, ils se rendront en Arabie auprès du roi Mensor. J'ai revu Sikdor ; il y a une école de prêtres pour ce pays. Les femmes habitent tout à fait à part, dans les murailles. Il y a aussi là une école pour les jeunes filles : elle est tout contre la porte de la ville, dans une grande maison. Au milieu de la ville s'élève le temple qui est un édifice très élevé : il est précédé d'une cour avec un puits et un très grand nombre

4 mars.-- Jésus est aujourd'hui à Béthanie chez Lazare. Les apôtres viennent lui faire diverses questions sur son instruction du jour du sabbat : il leur donne des explications et leur ordonne de mettre par écrit ce qu'il a dit de l'avenir. Je vis que cela fut fait par Nathanael, le fiancé de Cana, qui écrivait fort bien et qui ne portait pas encore l'autre nom qu'il reçut seulement après son baptême. Je fus surprise de voir que cette tache n'était pas confiée à Jean, mais à un simple disciple.

5 mars.--P endant les trois jours qui suivirent sa grande instruction, Jésus n'a pas enseigné dans le temple. Il veut que les apôtres et les disciples méditent bien tout ce qu'ils lui ont entendu dire. Les trois hommes venus ici du pays des Chaldéens n'ont échangé avec Jésus que quelques paroles. Il 1cIll dit en passant près d'eux d'aller à Capharnaum voir le centurion né paien comme eux et qui les instruirait. Je vis ces hommes partir : ils étaient grands, élancés, très agiles et avaient dans toute leur personne quelque chose de beaucoup plus noble que les Juifs. Leurs mains et leurs pieds étaient d'une petitesse et d'une élégance remarquables. Je les ai vus près du centurion qui s'entretenait avec eux. Il leur raconta la guérison de son serviteur et leur dit pourquoi il avait prié Jésus de ne pas entrer dans sa maison. C'était d'abord parce qu'il avait honte de voir le Fils de Dieu entrer dans une maison où il y avait tant d'idoles : en outre ils faisaient alors leur carnaval païen. Je vis aussi quelles belles idoles il avait à cette époque et comment il les avait données plus tard pour être converties en vases sacres en usage du temple et en aumônes. Les paiens eurent leur carnaval cinq semaines avant le crucifiement du Christ : ils se livrèrent alors à toutes sortes de pratiques diaboliques. Les trois Chaldéens reviendront de Capharnaum à Béthanie et de là à Sikdor. Ils prendront là avec eux beaucoup de leurs compatriotes, puis, emportant leurs trésors, ils se rendront en Arabie auprès du roi Mensor. J'ai revu Sikdor ; il y a là une école de prêtres pour ce pays. Les femmes habitent tout à fait à part, dans les murailles. Il y a aussi là une école pour les jeunes filles : elle est tout contre la porte de la ville, dans une grande maison. Au milieu de la ville s'élève le temple qui est un édifice très élevé : il est précédé d'une cour avec un puits et un très grand nombre d'idoles.
d'idoles.

7 et 8 mars.-- Ce matin, de bonne heure, Jésus alla de Béthanie à Jérusalem et il se rendit au temple avec une trentaine de disciples. Il entra aussitôt avec eux dans la salle ronde destinée à la prédication et les pharisiens furent obligés de se retirer. Je ne l'ai vu du reste arriver qu'avec un petit nombre de disciples : les autres vinrent successivement. Les pharisiens se retirèrent dans des salles voisines et ils espionnèrent à travers les arcades. J'ai entendu une grande partie de son instruction, mais de grandes souffrances et des visions concernant les péchés commis pendant les jours gras me l'ont fait oublier. Il s'éleva avec force contre les pharisiens, annonça d'avance sa Passion aux disciples et revint à Béthanie. Les Juifs célébraient une fête. Jésus alla au temple et enseigna lorsque les juifs eurent fini. Il resta à Jérusalem.

9 mars .--Jésus qui avait passé la nuit à Jérusalem, alla le matin au temple avec tous ses disciples Devant l'entrée, sept à huit marchands occupaient des boutiques pratiquées dans les murs : ils vendaient des comestibles de toute espèce, notamment un liquide rouge contenu dans de petites cruches. C'étaient comme des vivandiers : je ne sais pas si c'étaient des gens bien pieux, mais je vis les pharisiens leur parler comme à la dérobée. Lorsque Jésus arriva avec ses disciples, il entra dans les chambres et ordonna aux vendeurs de se retirer à l'instant avec leurs marchandises : il mit lui-même la main a l'ouvrage

Comme ils hésitaient, il ramassa les objets qu'ils avaient s à prendre et il se trouvait là des gens qui les aidèrent à tout emporter.

Lorsque Jésus entra dans le temple, la chaire était occupée : mais ils se retirèrent devant lui, presque comme s'il les eût chassés. L'instruction qu'il fit ici ressemblait beaucoup au sermon sur la montagne.

Dans l'après-midi Jésus se rendit chez Jean Marc, puis il alla célébrer le sabbat. Lorsque les Juifs eurent fini, Jésus revint au temple et il enseigna jusqu'assez avant dans la nuit. Entre autres choses il fit aujourd'hui des allusions à son voyage chez les païens ; on pouvait comprendre qu'il parlait du bon accueil que sa doctrine avait trouvé parmi eux. Il dit aussi quelque chose des trois Chaldéens que j'ai vus arriver récemment, et dit qu'ils devaient rendre témoignage de quelque chose que j'ai oublié. Il passa la nuit à Jérusalem.

10 et 11 mars.-- Aujourd'hui Jésus se renferma avec les apôtres et les disciples dans la salle du temple destinée à l'enseignement : il fit pour cela clore trois arcades. Il se borna à répéter des enseignements qu'il avait déjà donnés précédemment. Il parla longtemps du jeûne, de ce qu'il devait être, et aussi de son jeûne dans le désert et du jeûne des pharisiens. Les pharisiens avaient en ce moment un jeûne à observer (celui qu'on faisait en mémoire d'Esther) ; ou peut-être avait-il eu lieu un peu auparavant. Il répéta aussi beaucoup de choses touchant ce qu'il avait fait jusqu'alors et dit comment et pourquoi il avait appelé les apôtres. Je vis alors plusieurs scènes qui se rapportaient à leur vocation. Il prit les apôtres deux par deux. Il parla peu à Judas : celui-ci était irrité, il avait la trahison dans le coeur et il s'était déjà abouché avec les pharisiens. En dernier lieu Jésus parla aussi de la vocation des disciples.

11 mars.-- Jésus a enseigné aujourd'hui dans le temple : sa Passion doit être proche : les disciples sont très tristes.

12 mars.-- Aujourd'hui Jésus a enseigné dans le temple pendant quatre heures environ, en présence de ses disciples et de tous les Juifs qui ont voulu l'entendre. Le temple était entièrement plein : il y avait même des femmes dans, une espèce de tribune grillée. Il répéta beaucoup de choses de ses enseignements précédents et donna des éclaircissements sur plusieurs de ses actes. Il parla notamment de la guérison de l'homme qu'il avait trouvé près de la piscine de Bethesda et expliqua pourquoi il l'avait guéri alors. Il parla de la résurrection du jeune homme de Naïm, de celle de la fille de Jaïre et dit pourquoi le premier l'avait Suivi aussitôt : il était maintenant adjoint aux disciples. La fille de Jaïre ne s'était pas tout de suite attachée à lui. Je vis les deux miracles se suivre de prés et la résurrection de l'adolescent précéder celle de la jeune fille. Jésus prit un repas chez la mère du jeune homme. J'ai eu des visions sur tout cela et sur les mystères qui s'y rattachent.

Jésus dit encore dans l'instruction d'aujourd'hui quel serait bientôt son sort et comment les disciples l'abandonneraient. Il dit qu'il ferait son entrée publique et triomphale dans le temple et qu'ensuite il resterait encore quinze jours avec eux. Il ne dit pas qu'il ferait son entrée sur un âne et ils crurent qu'il viendrait avec beaucoup de pompe et de magnificence, peut-être avec un cortège de chevaux et de chameaux. Il y eut beaucoup de chuchotements pendant ce discours. Ils n'avaient pas compris quand il avait parlé de " quinze jours " ; ils croyaient à un temps plus long mais Jésus répéta " trois fois cinq jours ". Il dit encore que, lors de son entrée, la bouche des enfants à la mamelle qui n'avaient jamais parlé, le proclamerait ; que plusieurs arracheraient des branches d'arbre pour les jeter devant lui, que d'autres étendraient leurs vêtements sur son chemin ; il leur expliqua à ce propos que ceux qui jetteraient des branches devant lui ne sacrifieraient pas pour lui ce qu'ils possédaient et ne lui resteraient pas fidèles, mais que ceux qui se dépouilleraient de leurs vêtements pour les étendre sur son passage, renonceraient à ce qu'ils possédaient, revêtiraient le nouvel homme et lui seraient constamment dévoués Ce discours dura quatre heures. Il s'y trouvait beaucoup d'éclaircissements sur ce qu'il avait dit et fait précédemment dans le cours de sa vie publique et je vis tout cela en visions.

13 mars .--A la suite de la dernière instruction faite au temple, il y eut beaucoup d'agitation parmi les scribes et les pharisiens. Ils tinrent un conciliabule dans la maison de Caiphe et il fut défendu de recevoir nulle part Jésus et ses disciples. Ils le firent guetter à la porte de la ville : mais il se tint caché chez Lazare à Béthanie.

14 mars .--Aujourd'hui je vis dans la maison de Lazare, Jésus, Pierre, Jean, Jacques, Lazare lui-même, la sainte Vierge et six autres femmes cachées dans des chambres souterraines où s'était déjà tenu Lazare lors de la persécution suscitée contre lui. Ces chambres situées sous la partie postérieure de la maison étaient garnies de tapis et de sièges. Je vis d'abord Jésus avec trois apôtres et Lazare dans une grande salle soutenue par un seul piller et éclairée par des lampes. Les saintes femmes étaient dans une pièce triangulaire entourée d'un grillage. Ils se tenaient tous dans ces caveaux pour échapper aux poursuites des Juifs. Les autres apôtres et les disciples étaient, soit dans l'hôtellerie qui était en avant de Béthanie, soit dans d'autres endroits.
Jésus dit ici aux trois apôtres que le lendemain serait le jour de son entrée à Jérusalem : il envoya ensuite chercher les autres apôtres ; quand tous furent réunis, il s'entretint longtemps avec eux et je le vis devenir très triste. Il traita encore amicalement le traître Judas et le chargea, je crois, de convoquer les disciples. Judas aimait fort à être chargé de semblables commissions, car il recherchait tout ce qui pouvait le faire valoir et lui donner de l'importance.

Jésus alla ensuite trouver les femmes dans la pièce triangulaire où se trouvait aussi Lazare. Il leur fit une très belle instruction où il raconta et commenta une parabole dont malheureusement je ne me rappelle plus que quelques traits. Il parla d'abord d'Adam et d'Eve, de la chute originelle, de la promesse d'un rédempteur, puis des progrès du mal, du petit nombre de ceux qui avaient cultivé le jardin du Seigneur, etc. Il raconta ensuite une parabole touchant un roi qui avait un jardin magnifique : une femme pompeusement vêtue était venue le trouver et lui avait montré un jardin de plantes aromatiques qui appartenait à un pauvre homme et qui était tout contre le sien, en lui disant que cet homme allait quitter le pays et qu'il ferait bien d'acheter le jardin pour y cultiver ses plantes. Mais le roi voulait mettre de l'ail et d'autres plantes de mauvaise odeur dans le jardin du pauvre homme, que celui-ci regardait comme un terrain sacré et où il ne cultivait que des plantes choisies. Le roi fit appeler cet homme, mais il ne voulut ni s'en aller ni céder son jardin. Je le vis aussi dans son jardin qu'il cultivait avec grand soin et dont il tirait grand parti ; on le persécuta et on voulut le lapider dans son jardin, ce qui le rendit gravement malade. Mais je vis enfin que le roi fut renversé avec toute sa puissance ; le jardin du pauvre homme au contraire et tout ce qui lui appartenait prirent de grands accroissements et lui même prospéra singulièrement. Je le vis comme un arbre de bénédiction qui se propageait au loin et se répandait dans le monde entier.

Je vis toute cette parabole, pendant que Jésus la racontait, passer en tableaux devant mes yeux. Quand les tableaux de ce genre ne sont pas une histoire réelle, mais un symbole ou une allégorie, je ne les vois jamais se dérouler sur la terre, mais planer un peu au-dessus du sol.

Je vis la prospérité du jardin de cet homme pieux non seulement sous la forme d'un accroissement, d'une multiplication, d'une propagation de produits végétaux, mais encore sous celle d'une irrigation par des courants d'eau devenant de plus en plus considérables, de foyers de lumière qui répandaient au loin leurs rayons, et de nuages qui s'étendaient de plus en plus et versaient en abondance la pluie et la rosée. La bénédiction se divisait et s'y propageait de tous les côtés jusqu'aux régions les plus éloignées.

Jésus commenta cette parabole. Elle contenait des enseignement, sur le Paradis, le péché originel et la rédemption, sur le royaume du monde et la vigne du seigneur, sur la terre qui est en butte aux attaques du prince de ce monde, et dans laquelle ce prince du monde maltraite le Fils de Dieu chargé par le Père de cultiver sa vigne. La parabole indiquait encore que, comme le péché et la mort ont pris commencement dans un jardin, de même aussi la Passion de celui qui s'était chargé des péchés du monde commencerait dans un jardin, et qu'enfin l'expiation et la victoire sur la mort par la résurrection auraient également un jardin pour théâtre.

Le soir, après que le Seigneur eut expliqué cette parabole aux saintes femmes, il y eut encore un repas dans la grande salle souterraine dont un coin séparé du reste par une grille formait la pièce triangulaire où Jésus avait enseigné les femmes. La table fut enlevée très promptement et le Seigneur fit encore une autre instruction devant les disciples qui, après s'être dispersés quelque temps auparavant, s'étaient réunis de nouveau à la nuit tombante, et avaient attendu dans les bâtiments dépendants du château de Lazare.

15 mars.-- Ce matin de bonne heure Jésus fit venir Erémenzear et Silas et leur ordonna d'aller à Jérusalem non pas par la route ordinaire, mais en faisant un détour par Bethphagé et en traversant des jardins et des champs entourés de haies. Ils devaient frayer le chemin et ouvrir les barrières qui empêchaient le passage : près d'une hôtellerie en avant de Bethphagé où passait le chemin, ils devaient rencontrer une ânesse et son ânon allant à la prairie. Ils avaient ordre d'attacher l'ânesse à la haie, et si on les interrogeait, de répondre que le Seigneur voulait qu'il en fût ainsi. Ils devaient frayer ainsi le, chemin depuis là jusqu'au temple et ensuite s'en revenir

Je vis alors ces deux jeunes gens partir : ils firent des trouées dans les haies et ôtèrent du chemin tout ce qui faisait obstacle. La maison près de laquelle les ânes allaient à la prairie était une grande hôtellerie : il y avait une cour et un puits. Les ânes appartenaient à des gens qui étaient allés au temple à Jérusalem et qui avaient laissé là ces animaux. Les disciples attachèrent l'ânesse : l'ânon resta libre. Je les vis ensuite prendre le chemin du temple et enlever tout ce qui pouvait empêcher de passer. Les marchands de comestibles que Jésus avait renvoyés récemment avaient occupé de nouveau leur coin de mur à l'entrée du temple. Les deux disciples allèrent à eux et leur enjoignirent de se retirer parce que le Seigneur allait faire son entrée. Lorsqu'ils eurent pris toutes ces dispositions, ils revinrent à Béthanie par la route directe, en passant de l'autre côté de la montagne des Oliviers.

Jésus avait divisé les disciples en deux troupes : les plus anciens qui étaient avec les apôtres furent envoyés d'avance à Jérusalem par le chemin direct. Ils allèrent par petits groupes isolés et se rendirent chez Marie, mère de Marc, chez Véronique, Nicodème, les fils de Siméon et d'autres amis de Jésus pour lui annoncer l'entrée du Seigneur. Lui-même partit avec les apôtres et les plus jeunes des disciples : les sept femmes, en tète desquelles marchait Marie, suivirent à quelque distance. Il y avait sur le chemin, près d'une maison, une espèce de jardin d'agrément avec de beaux arbres : Jésus s'y arrêta et envoya deux de ses disciples à la maison de Bethphagé pour détacher l'ânesse et dire que le Seigneur en avait besoin.

Le Seigneur s'arrêta ici assez longtemps. Il y avait autour de lui une grande affluence de personnes qui écoutaient son instruction. La salle où il parlait, debout sur un gradin, était décorée tout entière avec des branches vertes, des arbustes et des guirlandes : tous les murs en étaient couverts et on avait suspendu en l'air une espèce de dais en feuillage, très élégant et très bien disposé. C'était une salle ouverte, soutenue par des colonnes d'un beau poli, entre lesquelles je vis les saintes femmes l'écouter. La cour qui précédait la maison était pleine de disciples qui écoutaient et d'autres personnes. Jésus enseigna les disciples sur la prévoyance, et sur l'usage qu'on doit faire de son intelligence ; car ils lui avaient demandé pourquoi il avait pris ce chemin détourné. Il répondit que c'était pour éviter un danger inutile, ajoutant qu'il fallait être vigilant, prendre toutes ses précautions et ne pas tout laisser au hasard : c'était aussi pour cela qu'il avait fait par avance attacher l'ânesse dans cet endroit.

Cependant les deux disciples envoyés par lui avaient détaché l'ânesse et ils attendirent longtemps, entourés d'un cercle de personnes, l'approche du Seigneur et de sa suite.

Le moment venu, Jésus régla l'ordonnance du cortège. Il dit aux apôtres qu'à partir de ce moment et après sa mort ils devaient partout présider la communauté : cette fois il les fit marcher devant lui deux par deux. Pierre était le premier et il était suivi par ceux qui plus tard allèrent le plus loin prêcher l'Evangile. Les derniers, ceux qui précédaient immédiatement Jésus, étaient Jean et Jacques le Mineur.

Quand les deux disciples qui attendaient à Bethphagé virent le cortège de Jésus approcher, ils allèrent au devant de lui sur le chemin avec les deux animaux. Les disciples mirent sur le des de l'ânesse les manteaux et les couvertures qu'ils avaient apportées de chez Lazare. Tout cela pendait jusqu'à terre et on ne voyait plus de la bête que sa tète et sa queue. Alors Jésus se revêtit d'une robe de fête qu'un disciple portait avec lui : elle était de fine laine blanche et avait par derrière une espèce de queue. Jésus mit aussi une large ceinture sur laquelle il y avait des lettres : il jeta autour de son cou une large étole descendant jusqu'aux genoux et aux deux bouts de laquelle était brodé en couleur brune quelque chose qui ressemblait à deux écussons. Les deux disciples placés des deux côtés de l'ânesse aidèrent Jésus à monter. L'animal n'avait pas de bride, sa tête était découverte, il avait autour du cou une étroite bande d'étoffe qui pendait en avant. Je ne me souviens plus si Jésus monta l'ânesse ou le poulain, car tous deux étaient de la même taille : celui des deux animaux qui ne portait personne courut à côté de l'autre.

Les apôtres et les disciples tenaient à la main des branches de palmier cueillies dans le jardin où l'on s'était arrêté précédemment. Eliud marchait de l'un des côtés du Seigneur, Silas de l'autre côté et derrière lui Erémenzear : puis venaient tous les disciples les plus nouveaux dont les uns avaient été ramenés par lui de son voyage, dont les autres avaient été admis tout récemment. Quand le cortège se mit en marche, les femmes s'y joignirent deux par deux : cette fois la sainte Vierge, qui ordinairement se tenait toujours en arrière et se regardait comme la dernière de toutes, marchait à leur tête. Ils s'avancèrent, chantant des cantiques, et les gens de Bethphagé, qui s'étaient rassemblés autour des disciples envoyés pour attendre Jésus avec l'âne, les suivirent en foule. Jésus avait dit encore une fois aux disciples de faire attention à ceux qui étendraient leurs vêtements devant lui, qui y jetteraient des branches d'arbres ou qui feraient l'une et l'autre chose : les derniers étaient ceux qui l'honoreraient en se sacrifiant eux-mêmes et aussi en consacrant à son service les richesses de ce monde.

Quand on allait de Béthanie à Jérusalem, Bethphagé se trouvait à droite, plus du côté de Bethléhem. La montagne des Oliviers séparait les deux chemins Le bourg était situé dans un fond bas sur un terrain humide et comme dans un marécage : il se composait de deux rangées de maisons placées des deux côtés du chemin. La maison près de laquelle s'était trouvée l'ânesse était à quelque distance du chemin, à l'entrée d'une belle prairie partant de Bethphagé. De ce côté le chemin allait en montant, puis il redescendait vers la vallée qui est entre le mont des Oliviers et les collines de Jérusalem. Jésus s'était arrêté entre Béthanie et Bethphagé : les deux disciples l'avaient attendu derrière Bethphagé, à l'endroit où ils avaient conduit l'ânesse sur le chemin.

Cependant à Jérusalem ces marchands et ces gens que Silas et Erémenzear avaient engagés ce matin à évacuer le temple parce que le Seigneur allait faire son entrée, s'étaient mis aussitôt tout joyeux à décorer le chemin : ils enlevèrent le pavé et plantèrent des arbres dont les sommets attachés ensemble formaient des arcades et auxquels pendaient des fruits jaunes semblables à de grosses pommes. Les disciples qui étaient allés le matin à Jérusalem prévenir les amis de Jésus, une foule d'étrangers venus
à Jérusalem pour la fête qui approchait (tous les chemins étaient couverts de voyageurs), et enfin un très grand nombre de Juifs qui avaient entendu le dernier dis cours (le Jésus, se portèrent en masse vers la partie de la ville par laquelle Jésus devait entrer. Il y avait là aussi beaucoup de personnes auxquelles était parvenue, dans les contrées qu'ils habitaient, la nouvelle de la résurrec-tion de Lazare, et qui désiraient vivement voir Jésus. Lorsque l'on sut qu'il arrivait, tous se portèrent à sa ren-contre. Le chemin de Bethphagé à Jérusalem passait par une gorge de la montagne des Oliviers moins élevée que le plateau du temple : lorsqu'en venant de Bethphagé on arrivait sur la montagne des Oliviers, on voyait entre les hauteurs qui bordaient le chemin, le temple s'élever en face de soi. Bethphagé était un pauvre petit endroit: au-trefois lorsque je passais par Gesch, ce village me rappe-lait toujours Bethphagé. Le chemin qui conduisait (le là à Jérusalem était très agréable; il y avait beaucoup de jardins et de plantations. Les apôtres et les disciples qui entouraient Jésus chan-taient et témoignaient leur allégresse, taudis que le peu-ple venant de la ville se pressait en foule au devant de lui. Cependant plusieurs vieux prêtres en habits sacerdo-taux vinrent se placer sur le chemin et interpellèrent les apôtres qui furent un peu intimidés et se turent. Ils pri-rent Jésus à partie sur la manière dont il d1rigeait son monde et lui demandèrent pourquoi il ne leur défendait pas de faire tout ce bruit. Jésus leur répondit que si ceux-ci se taisaient, les pierres du chemin elles mêmes crie-raient : sur quoi ils se retirèrent. Pendant ce temps les princes des prêtres tinrent con-seil; ils mandèrent devant eux les maris et les parents dont les femmes et les enfants étaient sortis de Jérusalem pour aller au devant de Jésus, les firent renfermer dans la grande cour du tribunal et envoyèrent des émissaires pour espionner. La foule coupait des branches d'arbres et en jonchait le chemin; on se dépouillait de ses habits de dessus qu'on étendait par terre, on chantait et on poussait des cris de joie. Je vis plusieurs personnes se dépouiller entièrement jusqu'à la ceinture. Les enfants avaient quitté toutes les écoles malgré leurs maîtres et mêlaient leurs acclama-tions à celles de la multitude. Je vis Véronique avec d'au-tres femmes. Véronique avait deux enfants près d'elle, elle jeta son voile sur le chemin et ôta aussi à l'un des en-fants une partie de son vêtement qu'elle étendit par terre. Elle se joignit ainsi que celles qui l'accompagnaient aux saintes femmes qui formaient le cortège. Elles pouvaient être au nombre de dix sept. Le chemin était tellement couvert de branches d'arbres, de vêtements et de couver-tures, que le cortège ne cessa de marcher comme sur un tapis en passant sous les nombreuses avenues de verdure qu'on avait élevées partout entre les murs. Jésus pleura et les apôtres pleurèrent aussi lorsqu'il dit que beaucoup de ceux qui maintenant l'acclamaient si joyeusement, l'accableraient bientôt d'outrages et que l'un d'eux le trahirait : il regarda la ville et pleura sur sa destruction prochaine. Mais lorsqu'il franchit le seuil de la porte, il y eut de nouveaux transports d'allégresse et on lui amena un grand nombre de malades. Il y avait dans la foule beaucoup de ses amis qui poussaient des cris de joie et se livraient à des démonstrations bruyantes. En approchant du temple la décoration du chemin était encore plus belle : on avait placé des deux côtés des barrières derrière lesquelles étaient placés des arbustes : de petits animaux à longs cous, des chevreaux et des agneaux ayant des guirlandes autour du cou, bondissaient dans ces enceintes comme dans de petits jardins. Il y avait toujours ici, surtout à l'époque des fêtes de Pâques, des victimes de choix qu'on amenait pour les vendre. Le cortège mit près de trois heures à se rendre de la porte de la ville au temple, par un chemin d'une demi lieue en-viron. Les Juifs avaient fait fermer toutes les maisons et même la porte de la ville : lorsque Jésus eut mis pied à terre devant le temple et que les disciples voulurent ramener l'ânesse, ils furent obligés d'attendre jusqu'au soir que la porte fût rouverte. Il y avait une foule très nombreuse dans le temple : les saintes femmes s'y trouvaient. Tout ce monde fut obligé de rester à jeun la journée entière, car toute cette partie de la ville était barricadée. Madeleine était toute triste de ce que Jésus ne trouvait rien à prendre pour se soutenir.

Ici la narratrice fut interrompue : plus tard elle dit qu'il s'était encore passé dans le temple quelque chose qu'elle avait oublié.

Le soir la porte de Jérusalem fut rouverte. Les saintes femmes allèrent les premières à Béthanie : Jésus et les apôtres les y suivirent plus tard. Madeleine était tourmentée de ce que le seigneur et les siens n'avaient pris aucune nourriture à Jérusalem et elle leur prépara elle-même à manger. Quand le Seigneur, à la nuit tombante, entra dans la cour de la maison de Lazare, elle apporta de l'eau dans un bassin, lui lava les pieds et les essuya avec un linge qui retombait sur son épaule. On n'avait pas apprêté ici un repas complet . Ce ne fut qu'une collation pendant laquelle Madeleine s'approcha du Seigneur et lui versa un parfum sur la tète Je vis que Judas murmura en passant devant elle : mais elle répondit qu'elle ne pourrait jamais assez reconnaître ce que le Seigneur avait fait pour elle et pour son frère.

Après cette réfection Jésus se rendit dans la maison de Simon le lépreux où se trouvaient plusieurs disciples e il enseigna pendant quelque temps : ensuite il alla à l'hôtellerie des disciples où il enseigna encore, puis il revint chez Simon le lépreux et dormit quelques heures ainsi que les apôtres.

16 mars.-- Aujourd'hui comme Jésus allait à Jérusalem avec les apôtres, il eut faim : mais il me parut qu'il avait faim de la conversion des Juifs et de l'achèvement de son oeuvre. Il désirait que sa Passion fût consommée car il connaissait toute l'étendue des maux qu'il aurai à souffrir et il était dans l'angoisse en y pensant. Il s'approcha d'un figuier qui était sur le chemin et leva les yeux : mais voyant qu'il n'y avait que des feuilles et pas de fruits, il le maudit en lui ordonnant de se dessécher et de ne jamais porter de fruits. Il en devait être ainsi de ceux qui ne voudraient pas le reconnaître. Il me sembla aussi que le figuier représentait l'ancienne loi et la vigne la loi nouvelle. Jésus alla ensuite au temple et je vis jetées en tas sur le chemin des branches et des guirlandes de feuillage, souvenirs de la fête d'hier. Cependant beaucoup de marchands étaient revenus s'installer devant le temple et dans les premières salles. Quelques-uns avaient sur le dos des caisses qui pouvaient se démonter : ils les posaient sur des bâtons qu'ils portaient avec eux et dont ils pouvaient faire en les déployant des espèces de tréteaux. Je vis aussi sur des tables des tas de petites pièces de métal attachées de diverses manières au moyen de chaînes, de crochets ou de cordons. Elles portaient des empreintes de toute espèce, il y en avait de jaunes, de blanches, de brunes : quelques-unes étaient de plusieurs couleurs. Je ne sais pas si c'étaient uniquement des pièces de monnaie : je crois qu'il y avait aussi des médailles qu'on portait sur soi. Je vis aussi une quantité de corbeilles superposées contenant des oiseaux, et dans une des salles je vis des y eaux et d'autres animaux. Je vis Jésus renvoyer tous les vendeurs et comme ils hésitaient à se retirer, il tordit une ceinture pour en faire une espèce de fouet et les chassa.

Je vis aussi dans une hôtellerie des étrangers de bonne mine, venus de la Grèce, envoyer leurs serviteurs à Philippe pour lui dire qu'ils désiraient beaucoup voir Jésus, sans être obligés pourtant de se mettre dans la foule. Philippe en parla à André et André au Seigneur (Joan, XII, 20), lequel leur donna rendez-vous sur le chemin qui est entre la porte de la ville et la maison de Jean Marc, où il devait aller en sortant du temple. Cette maison est située devant la porte, près de plusieurs autres maisons et d'une hôtellerie. Cependant Jésus continua à enseigner Je le vis saisi d'une grande tristesse et quand il leva les yeux au ciel en joignant les mains, je vis venir sur lu un rayon qui semblait partir d'une nuée lumineuse. et, j'entendis un grand bruit : je vis les assistants saisis de frayeur et vivement émus regarder en l'air et se parler à l'oreille pendant que Jésus continuait à parler ; cela dura ainsi quelque temps. Je le vis enfin quitter la chaire, revenir à ces disciples, puis se perdre dans la foule et quitter le temple.

Quand Jésus parlait, les disciples lui mettaient sur les épaules un manteau blanc qu'ils portaient avec eux et qu'ils lui ôtaient lorsqu'il descendait de la chaire : il se trouvait alors vêtu comme tout le monde et il lui était plus facile d'échapper aux regards du peuple.

Il y avait autour de la chaire trois balustrades dont chacune était plus élevée que l'autre, car les auditeurs étaient placés en amphithéâtre. Ces balustrades étaient en métal fondu, si je ne me trompe, et ornées de ciselures : c'étaient des têtes ou des boutons de couleur brunâtre. Je n'ai pas vu dans le temple d'images sculptées, si ce n'est des ornements, des ceps de vignes avec des raisins, des animaux de l'espèce de ceux qu'on offrait en sacr'1ices, et des figures semblables à des enfants emmaillotés comme j'en ai vu une en broderie chez la sainte Vierge.

Il faisait encore grand jour lorsque Jésus rejoignit les siens dans le voisinage de la maison de Jean Marc. Les Grecs qui voulaient lui parler vinrent le trouver là et il s'entretint quelques minutes avec eux. C'étaient des gens de bonne mine : il y avait avec eux des femmes qui se tenaient un peu en arrière. (La Soeur décrivit alors le costume de ces gens, mais les dérangements continuels, la volubilité de sa parole, son épuisement et la quantité de termes Patois dont elle se servait rendirent cette description presque inintelligible. Elle mentionna dans le costume des hommes, des bandes d'étoffe pendantes : dans celui des femmes des justaucorps échancrés par devant.) Ces gens étaient bons et ils se convertirent : ils furent de ceux qui, à la Pentecôte, se réunirent les premiers aux disciples et reçurent le baptême.

Jésus accablé de tristesse alla à Béthanie pour le sabbat avec les apôtres. Quand il enseignait dans le temple les Juifs étaient toujours obligés de fermer leurs maisons et il était détendu d'offrir aucun rafraîchissement à lui ou à ses disciples. A Béthanie ils allèrent dans la maison de Simon le lépreux. Il était maintenant animé de bons sentiments et avait tout disposé pour leur donner un repas : Madeleine qui compatissait vivement aux peines et aux fatigues du Seigneur alla à sa rencontre à l'entrée de la maison. Elle avait un habit de pénitente, une ceinture autour du corps et un voile noir jeté sur ses cheveux épars : elle se prosterna à ses pieds dont elle essuya la poussière avec ses cheveux comme lorsqu'on nettoie des chaussures. Elle fit cela publiquement devant tout le monde et plusieurs 'en scandalisèrent .

Arrivés dans la maison, ils se préparèrent à célébrer le sabbat. se revêtirent de leur habits de cérémonie et prièrent sous la lampe ; après quoi ils se mirent à table. Vers la fin du repas, Madeleine poussée par l'amour. la reconnaissance, le repentir et l'inquiétude, vint de nouveau se placer derrière le Seigneur, brisa au-dessus de sa tète un flacon d'essence parfumée, en versa aussi sur ses pieds qu'elle essuya avec ses cheveux et quitta la salle. Plusieurs des assistants s'en scandalisèrent un peu, surtout Judas qui excita au murmure Matthieu, Thomas et Jean Marc. Mais Jésus excusa l'acte de charité de Madeleine. Elle lui a souvent rendu ce même hommage. Il en est de cela comme de plusieurs autres choses qui, s'étant répétées plusieurs fois, ne sont pourtant mentionnées qu'une seule fois dans l'Evangile.

Après le repas, qui fut suivi de quelques prières, apôtres et les disciples se retirèrent chacun de son côté ; mais Judas, transporté de rage, se rendit dès cette nuit à Jérusalem en toute hâte. Je le vis aiguillonné par l'envie et la cupidité, courir dans les ténèbres sur la montagne des Oliviers : il me sembla voir près de lui une lueur sinistre comme si le démon l'eût éclairé. Il courut chez Caiphe et dit seulement quelques mots dans le bas de la maison. Il ne s'arrêtait jamais longtemps nulle part. Je le vis ensuite gagner précipitamment la maison de Jean Marc, comme s'il venait y passer la nuit ainsi que le faisaient souvent d'autres disciples. Ce fut son premier acte formel de trahison.

17 mars.-- Ce matin, comme Jésus allait avec quelques disciples de Béthanie à Jérusalem, ceux-ci, voyant que le figuier maudit par Jésus s'était desséché, furent saisis d'étonnement. Je vis Jean et Pierre s'arrêter sur le chemin près de cet arbre, et comme ce dernier témoignait sa surprise, Jésus lui dit que s'ils croyaient, ils opéreraient des prodiges encore plus grands que celui-là, et que les montagnes mêmes se précipiteraient dans la mer à leur commandement. Il tint encore d'autres discours à ce sujet et parla de la signification du figuier en général.

Beaucoup d'étrangers se trouvaient alors à Jérusalem le matin et le soir on leur donnait au temple une instruction accompagnée de certaines cérémonies. Jésus enseigna dans l'intervalle. Ceux qui avaient quelque objection à lui faire se levaient et lui-même s'asseyait. Quand il parlait, il se tenait debout.

Comme il enseignait aujourd'hui dans le temple, des prêtres et des docteurs de la loi vinrent à lui et lui demandèrent en vertu de quelle autorité il faisait cela. Jésus leur répondit : " Moi aussi je veux vous faire une question, et si vous y répondez, je vous dirai à mon tour en vertu de quelle autorité j'en agis ainsi ".

Note : L'écrivain ignorait ce qui est dit expressément dans saint Marc (XI, 20), que Jésus fît cette réponse ci Pierre le lendemain, comme ils revenaient à Jérusalem : c'est pourquoi il nia qu'il eût été question du figuier à deux reprises différentes. Mais Anne-Catherine persista à dire que les choses s'étaient passées ainsi : car elle avait vu sans discontinuer les allées et les venues successives ainsi que tout ce qui avait eu lieu dans les intervalles : elle avait vu tout cela très involontairement, et même sans y prendre une part bien vive, à cause de mille dérangements. Plus tard l'écrivain, à sa grande satisfaction, trouva dans saint Marc un récit conforme à celui de la soeur et vit que les mêmes apôtres étaient nommés il en fut d'autant plus surpris qu'une infinité de fois il a pu constater qu'Anne Catherine n'a pas la moindre connaissance de la sainte Ecriture en sorte qu'elle s'étonne toujours qu'on n'y retrouve pas tout ce qu'on voit. (Note du Pèlerin)

Alors Anne-Catherine rapporta en substance les paroles du Seigneur telles qu'elles se trouvent dans saint Matthieu (XXI, 24, 32). Cela se passa dans la matinée. Dans l'après-midi elle entendit le Seigneur raconter la parabole du maître de la vigne et parler de la pierre angulaire rejetée par les architectes (Matth., XXI, 33, 43). Le fils du maître de la vigne mis à mort le désignait lui-même ; les meurtriers désignaient les pharisiens. Ceux-ci auraient bien voulu se saisir de Jésus, mais ils n'osaient pas parce que tout le peuple était pour lui : je vis qu'ils se réunirent ci formèrent le projet de surveiller de plus près son enseignement et de lui envoyer des affidés ayant des parents parmi les disciples, lesquels devaient essayer de le prendre par ses paroles à l'aide de questions captieuses. Ils devaient notamment l'interroger touchant la résurrection.


Les hommes choisis pour cela étaient au nombre de cinq. La signification de ce chiffre m'a été expliquée, mais je l'ai oubliée.

Vers le soir, comme Jésus revenait à Béthanie, quelques personnes compatissantes vinrent sur le chemin et lui offrirent à boire. Il passa la nuit dans l'hôtellerie des disciples, près de Béthanie.

18 mars.-- Jésus enseigna a Béthanie pendant une partie de la matinée et il n'alla qu'assez tard au temple où il enseigna seulement pendant trois heures. Il raconta la parabole du roi qui donne un repas de noces (Matth. XXI, 1, 14). Il y avait là des espions envoyés par les pharisiens : Jésus revint de bonne heure à Bethanie et il enseigna encore dans une salle voisine de la maison où se trouvaient Madeleine et Marthe avant la résurrection de Lazare. Là aussi il y avait des espions. Ensuite, Jésus enseigna dans l'hôtellerie des disciples : les saintes femmes étaient présentes. Il passa la nuit dans cette hôtellerie.

19 mars . Ce matin encore Jésus a enseigné à Béthanie. Je ne l'ai pas vu de bonne heure au temple. Je vis cinq hommes qui avaient des rapports de parenté avec certains disciples, mais qui étaient du parti des pharisiens et parmi lesquels il y avait aussi des affidés d'Hérode. Poussés par les pharisiens, ils s'avancèrent vers la chaire en passant au milieu des sièges ranges en cercle autour d'elle, s'adressèrent à Jésus en termes élogieux et lui demandèrent s'ils devaient payer le tribut à l'empereur. Jésus leur dit de lui montrer le denier avec lequel on acquittait l'impôt, et l'un d'eux tir, de sa poche une pièce de monnaie de couleur jaune. Elle était à peu près de la dimension d'un thaler prussien et ressemblait aux monnaies que je vis chez les marchands attachées à des cordons. Anne-Catherine raconta ce qui s'ensuivit comme saint Matthieu le rapporte (XXII, 20-28).

Après cela j'entendis encore une très belle instruction. Je l'ai entendue a merveille, j'en suis toute pleine et elle m'a ravie ; mais je ne puis pas la reproduire. Il dit entre autres choses que le royaume de Dieu ressemblait à un homme apportant une plante qui se propage à l'infini : que le royaume de Dieu ne serait plus le partage des Juifs, mais que ceux qui se convertiraient y arriveraient. Il dit encore qu'il passerait aux païens, et qu'un temps viendrait où l'orient serait plongé dans les ténèbres tandis que l'occident serait dans la lumière. Il enseigna ensuite qu'on devait faire le bien en secret : il l'avait fait ainsi lui-même et maintenant il allait recevoir sa récompense en plein midi. Il fit aussi une allusion au meurtrier qu'on devait lui préférer, ajoutant qu'il ne pouvait pas tout leur dire en ce moment et qu'il avait encore beaucoup de choses à leur dire. Je crois que dans huit jours il complétera cet enseignement sur le royaume de Dieu. Je ne puis pas reproduire son discours, mais il était très beau.

Pendant l'instruction de l'après-midi, sept sadducéens vinrent à Jésus et l'interrogèrent sur la résurrection, lui citant une femme qui avait eu successivement sept maris. Jésus répondit qu'après la résurrection il n'y aurait plus de distinction entre les sexes, ni de mariage, et que Dieu était le Dieu des vivants et non pas le Dieu des morts. Je vis que tous les assistants furent émerveillés de son enseignement. Les Pharisiens aussi quittèrent leurs sièges et parlèrent tous à la fois : l'un d'eux, nommé Manassé, qui avait un emploi au temple, vint à Jésus et lui demanda très respectueusement quel était le principal commandement. Jésus le lui dit, et Manassé loua Jésus sincèrement ; mais Jésus, reprenant la parole, dit à cet homme qu'il n'était pas éloigné du royaume de Dieu : il dit ensuite quelque chose du Christ et de David et termina ainsi l'instruction.

Tous ses adversaires étaient maintenant réduits au silence et ne trouvaient rien à répliquer. Lorsque Jésus sortit, un disciple l'interrogea et lui dit : " Que signifie ce que vous avez dit à Manassé qu'il n'était pas éloigné du royaume de Dieu " ? Le Seigneur lui répondit que Manassé croirait et le suivrait ; mais qu'il fallait garder le silence à ce sujet. J'appris qu'à partir de ce moment Manassé ne prit plus aucune part à ce qui se faisait contre Jésus et qu'il se tint tranquille jusqu'à l'Ascension du Sauveur, après laquelle il se déclara pour Jésus et se joignit aux disciples. Il était âgé de quarante et quelques années.

Le soir Jésus revint à Béthanie : il mangea chez Lazare avec les apôtres, alla ensuite à l'hôtellerie où les saintes femmes étaient réunies et les enseigna encore jusque assez avant dans la nuit. Il coucha à l'hôtellerie des disciples.

Pendant que Jésus est à Jérusalem, je vois souvent les saintes femmes prier, au nombre de cinq, sous le berceau de verdure où Madeleine était assise lorsque Marthe l'envoya vers Jésus avant la résurrection de Lazare. Elles observent un certain ordre dans leurs prières : tantôt elles se tiennent debout toutes ensemble, tantôt elles s'agenouillent ou s'assoient, chacune de son côté.

20 mars.-- Ce matin, Jésus enseigna encore dans l'hôtellerie, aux disciples à Béthanie, puis il alla au temple de Jérusalem où il resta bien six heures. Les pharisiens n'y étaient pas dans la matinée. Les disciples sous l'impression de son instruction de la veille, lui demandèrent ce qu'il fallait entendre par ces mots : " Que votre règne arrive ", Jésus leur dit beaucoup de choses à ce sujet, entre autres, que son Père et lui ne faisaient qu'un et qu'il allait à son Père. Là-dessus ils demandèrent quel besoin il avait j] d'aller à son Père, puisqu'ils ne faisaient qu'un. Alors Jésus parla de sa mission : il dit qu'il se séparait de l'humanité, 1 de la chair et que quiconque se séparait de sa propre nature humaine déchue pour aller à lui par lui, se dirigeait aussi vers le Père.

Il parla à ce sujet d'une manière si touchante que les apôtres transportés de joie et d'enthousiasme se levèrent soudainement et s'écrièrent : " Seigneur, nous voulons propager votre royaume jusqu'aux extrémités de la terre " ! Mais Jésus leur répondit que ceux qui parlaient ainsi n'étaient capables de rien faire. Cela les contrista et il leur répéta qu'ils ne devaient jamais dire : " J'ai chassé les démons en votre nom, j'ai fait ceci et cela " ! et qu'en tout ils ne devaient pas publier leurs oeuvres. Il rappela aussi combien il avait fait de choses en secret lorsqu'il s'était séparé d'eux dernièrement, et comment alors ils avaient insisté pour qu'il allât dans sa patrie, quoique les Juifs eussent voulu le faire périr à cause de la résurrection de Lazare. Mais alors comment tout aurait-il pu arriver à son accomplissement ? Ils demandèrent encore comment son royaume se manifesterait, s'il leur fallait garder le secret sur toutes choses ? Je ne me souviens plus de la réponse de Jésus. Il s'entretint encore longtemps avec eux et ils furent de nouveau saisis de tristesse. Vers midi les disciples sortirent et il resta avec les apôtres. Les disciples lui apportèrent à boire.

Après midi, les scribes et les pharisiens arrivèrent en si grand nombre qu'ils entouraient Jésus de tous les côtés et que les disciples se trouvaient séparés de lui. Il fit alors un discours d'une sévérité effrayante contre les pharisiens. Anne Catherine rapporta à cette occasion la plus grande partie du discours qui se trouve dans saint Matthieu (XIII, 2-39), et elle ajouta que Jésus leur avait dit encore : " Vous ne mettez pas à présent la main sur moi, parce que mon heure n'est pas venue ". Après cela tous les pharisiens quittèrent le temple. Jésus revint à Béthanie à la nuit tombante : il enseigna encore et coucha à l'hôtellerie.

21 mars.-- Jésus passa toute la journée d'aujourd'hui chez Lazare avec les saintes femmes et les douze apôtres. Il avait enseigné le matin dans l'hôtellerie des disciples et devant les saintes femmes. Vers trois heures, il y eut un grand repas chez Lazare, dans la salle souterraine : les femmes servirent à table, puis elles se retirèrent dans la pièce triangulaire grillée d'où elles entendirent l'instruction. J'ai entendu distinctement et bien retenu d'abord beaucoup de choses de cette instruction, mais j'ai eu de grandes peines qui m'en ont fait oublier la plus grande partie. Jésus dit entre autres choses, qu'ils ne seraient plus longtemps réunis, qu'ils ne mangeraient plus chez Lazare, qu'ils feraient encore un repas chez Simon, mais qu'après cela on ne leur laisserait plus la même tranquillité. Il les engagea aussi à lui parler en toute confiance et à l'interroger comme s'il était l'un d'entre eux. Ils lui adressèrent alors plusieurs questions, surtout Thomas qui a, ait beaucoup de doutes : Jean aussi l'interrogea souvent, mais doucement et à voix basse.

Lorsque le repas fut fini et qu'ils eurent prié, ils reprirent de nouveau leurs sièges. Jésus dit que le temps approchait ou le Fils de l'Homme serait livré par trahison ; alors Pierre se levant vivement, vint à lui et lui demanda pourquoi il parlait toujours comme s'il devait être trahi par eux : pour lui, lors même qu'il admettrait que ce pût être quelqu'un des autres, il se portait garant pour les douze, assuré qu'ils ne le trahiraient pas Pierre dit cela avec beaucoup d'arrogance et comme blessé dans son honneur. Mais Jésus lui répondit avec une vivacité que je fit lui ai jamais vue, pas même lorsqu'il lui dit : " Arrière, Satan " !

Il dit qu'ils tomberaient tous si sa grâce et ses prières ne les soutenaient pas ; que, quand l'heure serait venue, tous l'abandonneraient qu'il y en avait un parmi eux qui ne serait pas ébranlé, mais que celui-là aussi s'enfuirait, puis reviendrait. Il voulait parler de Jean qui, lors de l'arrestation de Jésus, s'enfuit en abandonnant son manteau. Cela les attrista et les troubla beaucoup. Pendant tout ce discours Judas resta serein : il souriait et faisait l'officieux.

Ils interrogèrent encore Jésus sur son royaume qui devait leur arriver : il en parla avec un charme indicible et leur dit qu'un autre Esprit descendrait sur eux, qu'alors seulement ils comprendraient tout. Il leur dit qu'il devait aller à son Père et leur envoyer un autre Esprit qui procédait du Père et de lui. Je me souviens parfaitement qu'il s'est exprimé ainsi. Il dit encore quelque chose que je ne puis pas reproduire comme il faudrait, car je n'entends pas tout cela comme j'entends des paroles humaines : les termes dont il se servait équivalaient à dire qu'il était venu dans la chair pour racheter l'homme : qu'il y avait quelque chose de matériel dans son action sur eux, que le corps exerçait une action matérielle et qu'à cause de cela ils ne pouvaient pas le comprendre : mais il devait envoyer l'Esprit qui leur ouvrirait l'esprit. Ce sont des choses pour lesquelles je ne trouve pas d'expressions.

Jésus parla encore d'un temps d'affliction qui allait venir, où tous seraient dans l'angoisse et comme une femme dans les douleurs de l'enfantement. Il parla aussi de la beauté de l'âme humaine faite à l'image de Dieu et dit quelle grande chose c'était de sauver les âmes et de les ramener. Il leur répéta qu'ils l'avaient bien souvent mal compris, mais qu'il avait été condescendant avec eux et que lorsqu'il les aurait quittés, ils devaient l'être aussi avec les pécheurs. Là-dessus, Pierre lui ayant représenté que lui-même venait de montrer un zèle bien ardent, il les enseigna sur la différence entre le vrai zèle et le faux zèle.

Jésus enseigna ainsi jusque fort avant dans la nuit : Nicodème et un fils de Siméon vinrent le trouver en secret. Il était plus de minuit lorsque Jésus et les siens se retirèrent pour aller dormir et le Seigneur leur dit de dormir tranquilles encore cette fois ; il ajouta qu'il viendrait bientôt un temps où ils seraient dans le trouble et dans l'angoisse et où ils perdraient le sommeil, puis un autre temps où, au milieu des persécutions, ils dormiraient la tête sur une pierre, aussi paisiblement que Jacob sous l'échelle céleste. Quand il eut terminé son instruction, tous s'écrièrent : " Seigneur, combien cette instruction et cette soirée nous ont semblé courtes " ! C'est que Jésus avait parlé d'une manière admirable : Je ne l'avais pas aussi parfaitement entendu depuis bien longtemps, mais au milieu de tout cela j'était tiraillée par les misérables tracas de ce monde, en sorte que j'oubliais tout.

22 mars.-- Jésus se rendit au temple de très bonne heure. Il n'alla pas à l'endroit où l'on enseignait ordinairement, mais dans la salle où Marie avait présenté son offrande. Il y avait là dans la partie antérieure un tronc assez rapproché de l'entrée du milieu : à gauche était un siège moins grand que celui d'où l'on enseignait : ordinairement un prêtre était assis là pendant les offrandes pour surveiller et maintenir le bon ordre. Les sièges des femmes étaient près de l'entrée, ceux des hommes du côté opposé. A l'extrémité de la salle était une grille derrière laquelle on avait dressé l'autel lorsque Marie présenta l'enfant Jésus. Le tronc des offrandes était un gros piller carré, haut d'environ trois pieds, recouvert d'une draperie rouge et d'une autre draperie blanche à jour : il y avait de trois côtés des ouvertures en entonnoir dans lesquelles on jetait l'argent ; une petite porte était pratiquée au bas du tronc. Près de là était une table sur laquelle on déposait des oiseaux et d'autres objets offerts au temple.

C'était aujourd'hui que tous ceux qui voulaient se purifier pour la fête de Pâques devaient apporter leur offrande. Il vint des pharisiens qui auraient désiré prendre la place que Jésus occupait déjà et qui se scandalisèrent fort de le trouver là. Jésus voulut la leur céder mais ils ne l'acceptèrent pas. Les apôtres se tenaient autour de lui deux par deux. Les hommes vinrent les premiers et les femmes ensuite : ils sortaient par une autre porte placée à gauche. Les gens qui apportaient des offrandes se tenaient au dehors attendant qu'on les introduisît, et on les faisait toujours entrer cinq par cinq. Jésus resta assis là pendant trois heures. C'était ordinairement vers midi qu'on cessait de recevoir les offrandes, mais il resta là plus longtemps, et cela irrita encore les pharisiens. Cette salle était celle ou Jésus avait autrefois renvoyé la femme adultère (Anne-Catherine a oublié de raconter cet épisode). Le temple ressemblait à trois églises l'une au bout de l'autre. Il y avait trois grandes arcades sous lesquelles on se tenait. La première donnait entrée dans la salle ronde ou l'on enseignait : le lieu des offrandes où se tenait actuellement Jésus était a droite de cette salle, et plus rapproche du sanctuaire ; on arrivait au tronc des offrandes par de longs corridors. (Elle donne encore plusieurs détails sur des pièces adjacentes, mais ses descriptions sont confuses.)

La dernière personne qui présenta son offrande aujourd'hui fut une pauvre veuve fort timide. On ne pouvait pas voir ce qu'elle mettait dans le tronc, mais Jésus qui le savait, dit à ses disciples qu'elle avait donné plus que tous les autres, car elle avait donné tout ce qui lui restait pour pourvoir à sa subsistance ce jour-là. Jésus lui fit dire de l'attendre entre la maison où eut lieu plus tard la dernière cène et la maison de Jean Marc.

Dans l'après-midi, Jésus enseigna de nouveau à l'endroit ordinaire dans le parvis du temple. La salle circulaire où il enseignait était en face de la porte : à droite et à gauche se trouvaient des degrés par lesquels on montait au sanctuaire, et de celui-ci d'autres marches conduisaient au saint des saints. Cependant les pharisiens vinrent encore à son instruction : il répéta ce qu'il avait dit contre eux récemment et leur demanda de nouveau pourquoi ils ne s'étaient pas saisis de lui, quoiqu'il leur en était bien laissé le temps la veille. Il dit encore que son heure n'était pas venue et que cela ne dépendait pas d'eux : il ajouta que le temps viendrait où ils ne célébreraient pas la Pâque aussi tranquillement qu'autrefois et qu'ils ne sauraient où se cacher parce que tout le sang des prophètes qu'ils avaient mis à mort retomberait sur leur tête. Il dit encore que ceux-ci se lèveraient de leurs tombeaux et que la terre tremblerait. J'ai vu, à l'occasion de ce discours, qu'à la mort de Jésus, beaucoup d'édifices s'écroulèrent à Jérusalem, que des tombeaux s'ouvrirent et qu'il en sortit des morts qui ensuite disparurent.

Jésus parla aussi du tronc des offrandes et de la pauvre veuve : le soir quand il quitta le temple, il s'entretint avec elle et lui dit qu'un fils qu'elle avait se donnerait à lui, ce qui lui causa beaucoup de joie. Ce fils en effet se réunit aux disciples avant la mort de Jésus. Cette veuve était très pieuse et très attachée aux observances judaïques, mais simple et droite.

Sur le chemin un disciple montrant le temple à Jésus vanta la beauté de cet édifice et Jésus lui dit qu'il n'y resterait pas pierre sur pierre. Il alla avec ses disciples à la montagne des Oliviers. Il y avait à une certaine hauteur, un siège de pierre entouré de bancs de gazon près d'une espèce de jardin où les prêtres venaient souvent, le soir, s'asseoir et se reposer des travaux de la journée. Jésus s'assit sur ce siège et quelques apôtres lui demandèrent quand aurait lieu cette destruction du temple dont il parlait. Ce fut alors qu'il annonça les malheurs à venir (Matth., XXIX, 4-14). Ses derniers mots furent : " Heureux celui qui persévérera jusqu'à la fin ". Jésus ne resta guère là qu'un quart d'heure.

On avait de cet endroit une vue merveilleusement belle sur le temple illuminé par les rayons du soleil couchant, et dont l'éclat éblouissait les yeux. C'était un magnifique aspect que celui de ces murs construits en beaux blocs de pierre d'un rouge foncé et d'un jaune brillant, dont l'appareillage régulier les faisait ressembler à un immense échiquier. Le temple de Salomon avait plus de dorures : la splendeur de celui-ci était dans les pierres elles-mêmes.

Les pharisiens étaient pleins de rage contre Jésus : ils tinrent encore conseil pendant la nuit et envoyèrent des émissaires pour l'espionner. Ils désiraient fort que Judas revint s'aboucher avec eux autrement, disaient-ils, ils ne pourraient pas mener les choses à bien. Judas n'était pas revenu depuis le soir ou il était allé leur parler.

23 mars .--Aujourd'hui de très bon matin, je vis encore Jésus sur le siège de pierre de la montagne des Oliviers : il avait avec lui les apôtres et quelques disciples. J'ai été cette nuit si malade et si troublée que j'ai pu à peine retenir quelque chose de l'objet de son discours. Il a encore parlé de la ruine de Jérusalem et il a employé une comparaison tirée d'un figuier qui se trouvait là. Il a dit aussi et alors qu'il était déjà trahi, que le traître, sans prononcer son nom, avait offert de le livrer. Les pharisiens avaient un grand désir de revoir le traître : quant à lui, il désirait qu'il s'amendât, qu'il se repentît et ne tombât pas dans le désespoir. Il dit tout cela, quoique en termes voilés et généraux, et pendant ce temps, Judas l'écoutait en souriant.

Il exhorta aussi les apôtres à ne point se laisser aller à des sollicitudes tout humaines parce qu'il leur avait dit qu'ils seraient dispersés : ils ne devaient pas pour cela oublier ce qu'il leur avait dit ensuite ni envelopper en quelque sorte une impression dans une autre. Il fit à ce sujet une composition tirée d'un manteau, mais je l'ai oubliée : il leur fit aussi en termes généraux des reproches de ce que quelques-uns avaient murmuré sur la louable action de Madeleine. Jésus faisait allusion au mécontentement que quelques-uns avaient manifesté le vendredi précédent au sujet de ce qu'avait fait Madeleine, mais il ne parla qu'en général s'il parla de cet incident, ce fut sans doute parce qu'il avait été suivi du premier acte de trahison formelle de Judas, et aussi pour donner d'avance un avertissement indirect à celui-ci, qui consomma en effet sa trahison peu de temps après, à la suite du dernier hommage rendu au Sauveur par Madeleine. Si quelques autres s'étaient scandalisés de cette prodigalité inspirée à Madeleine par son amour, ç'avait été de leur part rigorisme étroit et esprit d'économie mal entendu. Ils connaissaient cet emploi des onguents parfumés comme un luxe souvent répréhensible usité dans les fêtes mondaines et ne savaient pas que cette fois c'était une cérémonie souverainement digne du saint des saints. Ce ne sont pas tout à fait les paroles d'Anne Catherine, mais c'est bien le sens des explications données par elle sur ce que dit alors le Seigneur.

A cette occasion je vis encore une fois cette scène. Madeleine pleine d'une tendresse compatissante, alla au-devant de Notre Seigneur à l'entrée de la maison. Elle avait un habit de pénitente avec une ceinture, un voile noir sur la tête et les cheveux épars par dessous. Elle se jeta aux pieds de Jésus et en essuya la poussière avec ses cheveux comme on le fait quand on nettoie la chaussure de quelqu'un. Elle fit cela publiquement, devant tout le monde, et quelques-uns s'en scandalisèrent. Ensuite, pendant le repas, elle versa son onguent sur Jésus. Elle a fait cela très souvent : il y a de même beaucoup d'autres choses qui se sont répétées plus souvent que ne le rapporte l'Evangile. Plus tard Madeleine a encore éprouvé des désagréments à ce sujet de la part des disciples.

Jésus dit en outre aux disciples qu'il enseignerait encore deux fois en public : je crois du moins l'avoir entendu ainsi ; et lorsqu'il leur parla de la fin du monde et de la destruction de Jérusalem, il rapprocha des signes qu'il leur énuméra d'autres signes auxquels ils devaient reconnaître que l'heure où il se séparerait d'eux était proche. Il leur dit qu'ils auraient encore une contestation pour savoir quel était le plus grand parmi eux, et que ce serait un signe pour eux, car il se séparerait d'eux peu après. Il insinua aussi que l'un d'entre eux le renierait et il leur fit sentir qu'il leur disait tout cela pour les rendre humbles et vigilants. Il leur annonça beaucoup de choses d'avance et ne cessa de montrer une charité et une patience sans bornes.

Vers midi Jésus enseigna dans le temple. Il raconta la parabole des dix vierges et celle des talents : il s'éleva encore avec force contre les pharisiens, répéta ses paroles antérieures sur les prophètes mis à mort et leur dit en face ce qu'ils projetaient contre lui ; à propos de ces répétitions des mêmes paroles, il dit plus tard aux apôtres et aux disciples que, lors même qu'on n'espérait plus corriger, il fallait réitérer les avertissements.

Lorsque Jésus sortit du temple, une centaine d'étrangers et de paiens s'adressèrent à lui : il les renvoya à ceux de ses disciples qui habitaient Jérusalem ou dans les environs. Ces gens n'avaient pas assisté à l'instruction, car il ne leur était pas permis de venir dans le temple : l'entrée de Jésus à Jérusalem, ses miracles et tout ce qu'ils avaient entendu dire de lui, les avaient déjà convertis. Parmi eux se trouvaient ces Grecs avec lesquels Jésus s'était entretenu récemment. Il se sépara ici de ses disciples et s'éloigna avec quelques-uns d'entre eux seulement. Je ne l'ai pas vu aller à Béthanie, ni sur la montagne des Oliviers.. Il doit être resté dans la vallée qui s'étend au bas.

24 mars-- il y avait au pied de la montagne des Oliviers un grand espace libre et quelques hôtelleries situées entre des murs, où logeaient souvent des étrangers. En ce moment elles étaient vides Jésus y avait passé la nuit : on venait tous les jours de Jérusalem nettoyer ces maisons. Le matin il enseigna les disciples et les apôtres sur la place il leur annonça plusieurs choses à l'avance ; il leur dit qu'il mangerait encore deux fois avec eux, qu'il avait un grand désir de faire avec eux un dernier repas de charité, et qu'il leur donnerait alors ce qu'il pouvait encore leur donner comme homme.

Jésus alla encore au temple. Les pharisiens vinrent se poster deux par deux pour l'observer. Il parla de son retour vers son Père et dit qu'il était venu pour mettre fin au règne du péché parmi les hommes. Le péché avait pris naissance dans un jardin, il devait aussi prendre fin dans un jardin. C'était dans un jardin qu'ils devaient mettre la main sur lui. Il leur reprocha d'avoir déjà voulu le mettre à mort après la résurrection de Lazare : mais il s'était éloigné afin que toutes choses pussent s'accomplir. Il divisa en trois parties le temps qu'avait duré son absence : je ne me souviens plus s'il parla de trois fois quatre semaines, de trois fois cinq ou de trois fois six. Il dit aussi comment ils voulaient le traiter : ils voulaient le livrer au supplice comme un malfaiteur : mais ils ne réussiraient pas à lui infliger après sa mort un outrage infamant. Il parla de nouveau des prophètes mis à mort qui devaient ressusciter : il indiqua même du doigt les endroits ou ils se montreraient. Quant aux pharisiens auxquels il parlait, il dit que l'inquiétude et la terreur les empêcheraient de mettre à exécution tous leurs projets contre lui.

Il parla aussi d'Ève, dit que le péché était venu par elle sur la terre, que les femmes en portaient la peine et ne pouvaient pas, à cause de cela, entrer dans le sanctuaire. Mais c'était aussi par les femmes que le remède du péché était venu dans le monde, et c'est pourquoi il venait les affranchir, non de la soumission, mais de l'esclavage.

Jésus parla encore de son retour à son Père et dit quelque chose que je n'ai pas compris sur ce que lui-même était la volonté du Père. Il a déclaré nettement qu'il était le salut des hommes et qu'il les soustrairait à l'empire du péché. Il expliqua aussi pourquoi les hommes seuls étaient rachetés et non pas les anges déchus : mais j'ai oublié ce qu'il dit. Il resta dans l'hôtellerie qui est au bas de la montagne des oliviers : ils avaient là une lampe et ils firent les prières du sabbat.

25 mars.-- Ce matin, Jésus accompagné des siens traversa le torrent de Cédron, puis il se dirigea au nord à travers un groupe de maisons séparées par de petites pelouses où des brebis paissaient : c'était là qu'était entre autres la maison de Jean Marc. Le Seigneur se dirigea ensuite vers Gethsémani, qui est un village grand à peu près comme Bethphagé, situé sur les deux rives du torrent de Cédron. La maison de Jean Marc en était éloignée d'environ un quart de lieue ; elle était devant la porte par laquelle on conduisait les animaux au marché au bétail : ce marché était situé au nord du temple, sur une grande colline qui plus tard se couvrit de maisons. Il y avait bien une demi-lieue de là à Gethsémani, et une petite lieue de Gethsémani à Bethanie, en franchissant la montagne des Oliviers. Béthanie était située au levant du temple en droite ligne, et à une lieue seulement de Jérusalem quand on prenait le chemin le plus direct. Il y avait à Béthanie des points d'où l'on pouvait voir le temple et les forteresses qui s'élevaient derrière cet édifice. Il n'en était pas de même à Bethphagé dont la position était beaucoup moins élevée et où la vue était interceptée par la montagne des Oliviers ; le temple ne devenait visible de ce côté que lorsqu'on arrivait à une gorge par laquelle le chemin passait. Lorsque Jésus traversa le torrent de Cédron pour aller à Gethsémani, il dit aux apôtres en leur montrant une dépression de la montagne des Oliviers, que c'était là qu'ils l'abandonneraient, car c'était là qu'on devait se saisir de lui. Il paraissait très triste.

Il se rendit ensuite avec eux à Béthanie. Il alla dans la maison de Lazare, puis dans l'hôtellerie où il enseigna plus spécialement les disciples : il se promena ensuite avec eux dans divers jardins d'agrément situés au levant de Béthanie. Il alla aussi à deux lieues au nord, dans cette bourgade formée de maisons disséminées, où, le 29 janvier, il avait guéri, parmi beaucoup d'autres, ce jeune possédé duquel je vis sortir les trois sphères ténébreuses représentant le règne du monde. Il consola les habitants et s'entretint avec eux comme quelqu'un qui fait ses adieux.

Le soir, à Béthanie, Jésus assista à un grand repas chez Lazare. Les saintes femmes étaient encore présentes derrière leur grille et Jésus leur donna des enseignements. A la fin du repas il dit à ses amis qu'ils pouvaient encore cette fois dormir en paix.

26 mars.-- Ce matin Jésus alla de bonne heure à Jérusalem avec les disciples. Après avoir passé le torrent de Cédron, en face du temple, il longea les murs de la ville en se dirigeant vers le midi ; puis il entra par une petite porte et traversa au pied de la montagne de Sion un pont en maçonnerie jeté sur un profond ravin : au-dessous du temple, je vis aussi des excavations. Jésus, partant du côte du midi, suivit un long passage voûté, à peine éclairé par quelques ouvertures pratiquées dans le haut, et il arriva ainsi au parvis des femmes Il tourna ensuite à l'est, passa par la porte où se plaçaient les femmes suspectes d'adultère, et, traversant le lieu des offrandes, il gagna la chaire qui était dans la première salle du temple. Cette porte d'ignominie restait toujours ouverte lors même que, pendant ses instructions, les Pharisiens faisaient fermer toutes les entrées du temple : " La porte du péché, disaient-ils, doit toujours rester ouverte pour le pécheur " !

Jésus fit une admirable instruction pleine de profondeur : il parla entre autres choses de l'union et de la séparation. Il se servit d'une comparaison tirée de l'eau et du feu qui sont contraires l'un à l'autre et ne peuvent subsister ensemble. Quand l'eau n'éteint pas le feu, elle ne fait que rendre la flamme plus vive et plus ardente. Il parla de la persécution et du martyre. Il désignait par le feu les disciples qui lui resteraient fidèles, par l'eau ceux qui se sépareraient de lui et tendraient vers l'abîme. Il indiqua l'eau comme étant pour le feu un instrument de supplice. Il parla aussi du mélange du lait et de l'eau dont il résultait une union si complète que rien ne pouvait plus les séparer.

Tout ce dont je me souviens à ce sujet, c'est qu'il entendait par là son union avec eux, et il parla aussi de la douceur du lait et de ses qualités nutritives. Il traita en outre de l'union des époux dans le mariage. Je crois que les disciples lui demandèrent si les époux, et en général ceux qui se seraient aimés dans ce monde, se trouveraient réunis après leur mort. Jésus répondit qu'il y avait deux espèces de mariage : que l'union selon la chair et le sang était brisée par la mort et qu'il n'y avait plus de mariages de cette sorte dans l'autre vie, mais que les époux selon l'esprit s'y trouveraient réunis. Ils ne devaient pas s'inquiéter de savoir s'ils s'y trouveraient seuls ou ensemble : ceux qui vivraient dans le mariage selon l'esprit étaient destinés à faire partie d'un seul et même corps. Il parla alors du fiance, et de l'Eglise qui est le corps de la fiancée

Il dit qu'il ne fallait pas craindre le martyre corporel que le martyre de l'âme était bien plus redoutable.

Comme les apôtres et les disciples ne comprenaient pas tout ce qu'il disait, Jésus leur ordonna de mettre sur-le-champ par écrit ce qu'ils n'entendraient pas. Je vis alors Jean, Jacques le Mineur et un autre placer des tablettes devant eux et y noter quelque chose de temps en temps. Ils écrivaient sur de petits rouleaux avec une teinture qu'ils portaient sur eux dans une espèce d'étui en corne. Ils les tirèrent de leur sein et écrivirent seulement au commencement de l'instruction.

Jésus parla aussi d'une union qu'il contracterait avec eux dans un repas et que rien ne pourrait détruire. Il dit aussi quelque chose de l'eau qui donnerait la force, et des sacrements en général.

Il déclara encore aux apôtres que dorénavant ils devaient se séparer de leurs femmes. Cela fut présenté sous forme d'interrogation. Il leur dit : " Pourriez-vous faire en même temps telle chose et telle autre " ? il s'agissait d'un sacrifice qui devait être offert, et la conclusion était qu'ils devaient vivre dans la continence. I :n disciple, toutefois, pouvait conserver sa femme.

Note : Lorsque le Pèlerin consigna dans son journal ces paroles sorties de la bouche de la narratrice, il y ajouta un point d'interrogation comme s'il y eût trouvé une inexactitude ou une erreur. Mais ces paroles ont un sens très admissible : car l'effet que produisait dans tous les cas le baptême de Jean était ablution extérieure ou la purification des transgressions de l'ancienne loi, lors même que le manque de disposition de la part de celui qui le recevait empêchait l'action intérieure de la grâce sanctifiante. Lorsque cette dernière se produisait, elle n'était pas l'effet immédiat du baptême de Jean pris en lui-même, mais l'effet de la foi et de la résolution de faire pénitence qui accompagnaient la réception de ce baptême.
(Note de l'éditeur)


Il traita aussi du baptême de Jean et dit qu'il avait seulement lavé les péchés, mais qu'il leur enverrait le Saint Esprit qui, par son baptême, les ferait tous enfants de la rédemption. Ils devaient, après sa mort, baptiser à la piscine de Bethesda tous ceux qui viendraient demander le baptême. Quand ils viendraient en grand nombre, il faudrait les ranger deux par deux pour leur imposer les mains sur les épaules, après quoi on les baptiserait en les plaçant sous le jet de la pompe. Au lieu de l'ange qui venait autrefois, ce serait le Saint-Esprit qui descendrait sur les nouveaux baptisés, aussitôt que le sans rédempteur aurait été versé, et cela avant qu'eux-mêmes eussent reçu le Saint Esprit.

Pierre, comme étant celui auquel Jésus avait assigné le premier rang parmi eux, demanda s'ils devaient toujours en agir ainsi, et s'il ne fallait pas d'abord examiner et instruire les aspirants. Jésus répondit que ces gens seraient fatigués d'avoir attendu pendant la fête, qu'ils seraient épuisés et mourants de soif et qu'il fallait se borner à faire comme il avait dit. Plus tard quand ils auraient reçu le Saint Esprit, ils sauraient toujours ce qu'ils auraient à faire.

Il s'entretint aussi avec Pierre touchant la pénitence et l'absolution. Il parla à tous de la fin du monde et des signes qui devaient précéder : un homme éclaire d'en haut devait avoir une vision à ce sujet et le Seigneur mentionna quelques tableaux qui devaient passer sous ses yeux. Je vis qu'il faisait allusion à l'Apocalypse de saint Jean, car lorsque Jésus parla de cet homme éclairé d'en haut, la vision où Jean vit l'ange qui se tenait debout sur la mer me fut montrée. Jésus lui-même fit mention de divers tableaux du même genre. Il parla des hommes marqués au front et de la Source d'eau vive coulant du Calvaire, laquelle serait empoisonnée tout entière (note). Cependant toutes les eaux pures devaient être recueillies dans une fontaine de la vallée de Josaphat. Il parla aussi d'hommes montés sur des chevaux et de plusieurs tableaux semblables. Je lui entendis dire que toute eau devait redevenir eau baptismale, et beaucoup d'autres choses que je ne puis pas rapporter.

Note : Ces paroles s'appliquent sans doute au :t trois ans et .demi pendant lesquels durera la domination de l'Antéchrist. alors que l'Eglise de Dieu se trouvera dans la dernière détresse et aura comme disparu de la face de la terre. ( note de l'éditeur).

Lorsqu'il parla de la continence rigoureuse que les apôtres devaient s'imposer, il cita Abraham et les autres patriarches qui, avant de sacrifier, avaient coutume de se purifier ainsi par une continence prolongée.

Lorsque Anne Catherine entendit Jésus dire que le mariage selon la chair et le sang était dissous par la mort, tandis que le mariage selon l'esprit persistait dans l'autre vie, elle eut une grande vision où se succédaient les tableaux les plus divers, touchant une parabole que le Seigneur avait racontée dans son instruction. Distraite par les scènes de la Passion qui venaient se présenter à elle et par les souffrances personnelles qu'elle unissait à celles de Jésus, en outre n'ayant pas reçu de son confesseur l'ordre positif qui l'aurait soutenue et fortifiée, elle ne se trouva pas en état de raconter cette parabole assez clairement pour se faire bien comprendre. Le Pèlerin, il est vrai, rédigea du mieux qu'il put le récit écourté qu'elle lui en fit, mais au lieu d'en reproduire ici les fragments incomplets et par conséquent presque inintelligibles, l'éditeur doit se borner à mettre sous les yeux du lecteur, les paroles où le Pèlerin cherche à se rendre compte du contenu de la parabole. " Je crois, dit-il dans son journal, que cette parabole avait pour objet la dégradation de l'homme sorti pur des mains de Dieu, mais déchu par le péché et livré à la vie des sens. Elle le montrait chassé du paradis et se multipliant dans le désert. Elle disait comment la sainteté et la lumière s'étaient obscurcies dans l'homme en se mêlant aux ténèbres, comment enfin était venu le temps où la promesse du salut devait s'accomplir et comment le pur grain de froment et la pure grappe de raisin s'étaient produits et développés : comment le festin des noces célestes a commencé et comment il a fait descendre sur la pauvre humanité déchue une grâce fortifiante. Cette parabole contenait donc toute l'histoire de la chute, de la propagation et de la dispersion des hommes et celle des moyens employés par Dieu pour les racheter, les réunir en un seul corps, celui de l'Eglise, fiancée de Jésus-Christ de laquelle ils devaient recevoir une nouvelle naissance qui les ferait enfants de Dieu. En d'autres termes, c'était l'histoire du mariage dans l'humanité déchue et de ce mariage qui est un grand sacrement en Jésus-Christ et son Eglise ".

Il n'y avait pas de Pharisiens présents à cette instruction. Le soir Jésus alla à Bethanie chez Lazare.

27 mars.-- Jésus fut tout le jour au temple où il enseigna en termes très graves sans que personne vînt le troubler. Il parla de la vérité et de l'accomplissement de ce qu'on enseigne. Quant à lui, il voulait maintenant mettre son enseignement en pratique. Il ne suffit pas de croire, il faut pratiquer ce qu'on croit. Aucun d'eux, pas même les Pharisiens, ne pouvait rien trouver à reprendre dans les enseignements qu'il avait donnés, maintenant il voulait, en retournant à son Père, accomplir la vérité qu'il avait enseignée. Mais avant de partir il voulait encore leur laisser et leur donner tout ce qu'il possédait. Il ne possédait ni argent, ni biens d'aucune espèce, mais il voulait leur laisser après lui son autorité et son pouvoir il voulait contracter avec eux une union qui durerait jusqu'à la fin des siècles et qui serait encore plus intime que celle qui avait existé jusqu'alors. Il voulait aussi les unir entre eux de manière à ce qu'ils fussent les membres d'un même corps. Il parla d'un si grand nombre de choses qu'il voulait encore faire avec eux, que Pierre conçut un moment l'espoir de le conserver encore longtemps et lui dit que s'il avait tout cela à faire avec eux, il resterait près d'eux jusqu'à la fin du monde.

Mais Jésus indiqua tout ce qui était compris dans la notion de l'Eucharistie, sans pourtant mentionner précisément l'Eucharistie. Il leur dit aussi qu'il voulait célébrer avec eux la dernière Pâque, et Pierre lui demanda où il voulait que cela se fit. Jésus répondit qu'il le dirait quand le temps serait venu, et qu'après cette dernière Pâque, il irait à son Père. Pierre demanda alors s'il ne prendrait pas avec lui sa mère pour laquelle ils avaient tous tant d'affection et de respect. Jésus répondit qu'elle resterait avec eux un certain nombre d'années, où se trouvait le chiffre cinq ; je crois que c'était quinze ans. Il dit aussi touchant sa mère beaucoup de choses que j'ai oubliées.

Aujourd'hui ou le jour précédent, il parla encore de Noé que le vin avait enivré, et des enfants d'Israël pour lesquels le pain céleste était devenu un aliment insipide : il parla aussi de l'absinthe avec laquelle on devait l'abreuver d'amertume. Il voulait à son départ préparer le pain de vie qui n'était encore ni pétri, ni cuit. Il dit à ce sujet des choses admirables que je ne puis pas exprimer clairement.

Jésus dit aussi qu'il leur avait longtemps enseigné et communiqué la vérité, mais qu'ils avaient toujours douté et doutaient encore il semblait qu'il ne pouvait plus leur être utile par sa présence corporelle ; c'est pourquoi il voulait leur donner tout ce qu'il possédait et conserver seulement de quoi couvrir la nudité de son corps ; ils ne le comprirent pas, mais moi, je le compris. Ils crurent tout au plus qu'il allait mourir ou disparaître. Hier déjà, lorsqu'il avait parlé de la persécution des Juifs contre lui, Pierre l'engagea à s'éloigner, et l'assura qu'ils le suivraient tous. N'avait-il pas déjà fait une absence après la résurrection de Lazare ?

Lorsque Jésus quitta le temple vers le soir, il dit, en lui faisant ses adieux, qu'il n'y rentrerait plus avec ce corps dont il était revêtu. Ce discours fut si touchant que les apôtres et les disciples se prosternèrent contre terre, pleurant et sanglotant. Jésus aussi pleura : je le vis pleurer avec eux : combien il est touchant de voir pleurer des hommes d'un âge avancé ! Je ne vis pas pleurer Judas : mais il était dans l'angoisse. Il avait été si agité ces derniers jours ! Hier Jésus n'a pas dit un mot qui le concernât

Lorsqu'ils arrivèrent devant le temple, au parvis dont l'accès était permis aux païens, il y en avait là un grand nombre qui voulaient s'adresser à Jésus. Ils virent les apôtres pleurer et Jésus leur dit qu'ils auraient à s'adresser plus tard aux apôtres et aux disciples auxquels il remettrait toute son autorité : mais le moment n'était pas encore venu Je vis Jésus parcourir avec eux tout le chemin qu'il avait suivi le dimanche des Rameaux et se tourner encore souvent vers le temple en prononçant des paroles tristes et sévères. Il alla encore avec eux dans l'hôtellerie qui est au pied de la montagne des Oliviers et où il avait récemment enseigné le soir, il s'entretint là encore avec plusieurs disciples et se rendit à Béthanie, comme il faisait déjà nuit.

Là Jésus enseigna encore dans la maison de Lazare pendant un souper où les femmes servirent : elles étaient maintenant moins strictement séparées des hommes. Il commanda pour le soir du jour suivant un grand repas chez Simon. Ils dormirent jusqu'au matin autour de la salle, couchés sur des espèces de matelas qu'ils déroulèrent.

Ce jour-là, il régnait une grande tranquillité à Jérusalem : les Pharisiens n'étaient pas dans le temple ; ils s'étaient rassemblés pour tenir conseil et ils étaient très préoccupés de ce que Judas n'était pas revenu leur parler. Je vis dans la ville beaucoup de gens de bien très tristes et très inquiets : ils devaient savoir par les disciples quelque chose de ce que le Seigneur avait dit. Je vis Nicodème, Joseph d'Arimathie, les fils de Siméon et d'autres encore saisis d'une grande tristesse, mais pourtant toujours mêlés avec les Juifs et ne se tenant pas à part. Je vis aussi Véronique (Séraphia) aller et venir dans sa maison, toute triste et joignant les mains, et son mari la presser de questions pour savoir la cause de sa tristesse. Sa maison était dans la ville, à moitié chemin entre le temple et la montagne du Calvaire. Soixante-six disciples dormaient là sous des hangars qui y étaient attenants. Je m'étais souvent demandé où ils logeaient ; c'était là.

28 mars.-- Cette après-midi vers quatre heures, le Pèlerin trouva la malade dans un sommeil extatique. Son visage était couvert du sang, qui avait coulé de son front sur plusieurs points Le bandeau qui lui couvrait le front en était imprégné, son côté et sa poitrine avaient aussi saigné il l'éveilla pour essuyer le sang et la faire changer de bandeau afin que personne ne la vit en cet état, ce qui aurait pu donner lieu à des bavardages. Elle s'éveilla pleine d'une joie enfantine, sans avoir conscience du présent ni des objets extérieurs et elle dit, comme un enfant qui s'empresse de s'excuser : " Je ne sais pas ! ils ont tué un agneau dans la maison de Simon : j'y ai aidé. Le Seigneur enseigne les disciples chez Lazare. Judas a fait des achats pour le repas, il a cette fois largement puisé dans la bourse. Madeleine est allée à Jérusalem acheter un onguent parfumé. Je suis allée partout avec elle et partout je me suis rendue utile. Je ne pouvais pas m'en aller : je sais bien que quelqu'un est assis chez moi et m'attend, mais je ne pouvais pas venir ". Elle débitait tout cela dans un élan de joie naïve impossible à décrire et paraissait en outre comme enivrée d'émotions intérieures. Or, il y avait en effet un ami, Melchior Diepenbrock, qui attendait depuis assez longtemps dans la première pièce pour prendre congé d'elle. Elle s'entretint avec lui, étant toujours dans le même état, et ne se laissa persuader qu'avec peine de se laver je visage. Ensuite elle raconta ce qui suit :

Aujourd'hui un très grand nombre de disciples étaient rassemblés à Béthanie dans la cour qui précédait la maison de Lazare. Jésus y enseigna dans la matinée. Vers trois heures de l'après-midi, on dressa des tables dans cette cour. Il y avait plus de soixante convives qui se tenaient debout derrière les tables. Les disciples étaient tous du même côté : Jésus et les apôtres allaient et venaient de l'autre côté et les servaient. Jésus allait d'une table à l'autre, offrait ceci ou cela et s'entretenait avec les convives. Judas n'était pas présent, il était allé faire des achats pour le repas qui devait avoir lieu chez Simon. Madeleine s'était rendue dans la matinée à Jérusalem pour acheter un onguent parfumé. Marie à laquelle Jésus avait annoncé ce matin Sa mort prochaine était plongée dans une tristesse indicible. Sa nièce, Marie de Cléophas, qui était plus âgée qu'elle, et dont je possède une relique, se tenait toujours près d'elle pour la consoler : dans leur douleur elles étaient allées ensemble à l'hôtellerie des disciples et aux jardins de plaisance situés dans le voisinage.

note : Mort Cardinal, évêque de Breslau.

Cependant Jésus parla aux disciples de sa mort prochaine et de ce qui la suivrait. Il dit qu'il serait vendu aux Pharisiens par un homme de son intimité qui lui devait tout. Cet homme ne le mettrait pas à prix ; il dirait seulement : " Que voulez-vous me donner " ? Quand les Pharisiens achetaient un esclave, on leur fixait un prix : mais cet homme le vendrait pour ce qu'il leur plairait d'offrir. Il le vendrait à meilleur marché qu'un esclave. Les disciples pleuraient amèrement et la tristesse leur ôtait la force de manger : mais Jésus les y obligea avec une bienveillance affectueuse J'ai vu souvent les disciples se montrer plus dociles et plus tendres envers Jésus que les apôtres : c'était, je crois, parce qu'ils étaient moins fréquemment avec lui : cela les rendait plus humbles.

Le matin Jésus donna encore aux apôtres beaucoup d'enseignements qu'ils ne comprirent pas parfaitement et il leur ordonna de mettre par écrit ce qu'ils n'entendaient pas bien. Quand il leur aurait envoyé son Esprit, cela leur remettrait ses paroles en mémoire et alors ils comprendraient tout. Je vis alors Jean et plusieurs autres prendre beaucoup de notes. Jésus indiqua à plusieurs reprises qu'ils prendraient tous la fuite lorsqu'il serait livré à ses ennemis. Ils ne pouvaient pas se figurer que cela fût possible et pourtant ils le firent, ce dont, moi aussi, je fus surprise. Il leur dit beaucoup de choses sur ce qui devait se passer ensuite et il leur donna des règles de conduite.
Jésus dit aux disciples où ils devaient se rendre : les uns devaient aller à Arimathie, d'autres à Sichar, d'autres encore à Cédar. Les trois disciples qui l'avaient accompagné dans son dernier voyage ne devaient pas retourner chez eux : car, disait-il, quand on avait beaucoup changé d'idées et de sentiments, il de fallait pas retourner dans sa patrie : autrement on était une occasion de scandale et on s'exposait à une chute par suite de l'opposition qu'on rencontrait. Eliud et Eremenzear allèrent, je crois à Sichar. Silas resta à Jérusalem. Jésus leur donna ces instructions de la manière la plus affectueuse et il y ajouta des conseils sur toute sorte de choses. Dés le soir Je vis plusieurs d'entre eux Partir dans diverses directions

Pendant cette instruction, Madeleine revint de Jérusalem avec le parfum qu'elle avait acheté. Elle était allée le matin chez Véronique chez laquelle elle était restée jusqu'à ce que celle-ci lui eût procuré son onguent. Il était composé de trois ingrédients et c'était le plus précieux qu'on pût trouver. Elle y avait dépensé tout ce qui lui restait. Il y entrait une eau ou une huile dont le nom commence par nar (huile de nard) : il y en avait bien une demi pinte : j'ai oublié le nom des deux autres parfums. Elle acheta en même temps les vases. Ils étaient d'une matière blanchâtre et brillante, qui toutefois n'était pas tout à fait transparente : cela ressemblait à de la nacre de perle, ce n'en était pourtant pas. Les vases qui avaient la forme de petites urnes étaient vissés par en haut : le pied était renflé et orné de diverses ciselures. Madeleine emporta ces vases sous son manteau : ils étaient placés les uns à côté des autres. dans une espèce de besace allant de l'épaule au côte et reposant sur la hanche. La mère de Jean-Marc alla avec elle à Béthanie et Véronique les accompagna à quelque distance. Lorsqu'elles passèrent dans Béthanie, je vis Judas les rencontrer et parler à Madeleine : il était plein de dépit intérieur. Madeleine savait par Véronique que les Pharisiens avaient formé le projet de s'emparer de Jésus et de le mettre à mort, mais qu'ils n'osaient pas encore l'exécuter à cause des nombreux amis de Jésus et spécialement à cause du grand nombre de païens qui s'étaient déclarés en sa faveur. Elle raconta cela aux autres femmes.

Aujourd'hui Jésus, entre autres choses, parla de sa mère aux disciples : il dit qu'elle ressentirait cruellement les affreuses tortures au milieu desquelles il devait mourir, qu'elle mourrait de sa mort douloureuse et que pourtant elle lui survivrait (quinze ans).

Les femmes étaient dans la maison de Simon et aidaient à préparer le repas. Judas avait fait tous les achats ; il avait aujourd'hui largement puisé dans la bourse et il se disait en secret que le soir il la remplirait de nouveau. Il avait acheté chez un homme qui demeurait dans un quartier de Béthanie où il y avait des jardins, des herbes de toute espèce, deux agneaux, des fruits, du miel, du poisson, etc. La salle où l'on devait manger aujourd'hui chez Simon, n'était pas celle où avait eu lieu le repas précédent, le lendemain de l'entrée de Jésus au temple. Ils mangèrent cette fois dans une salle ouverte située derrière la maison et qui avait vue sur la cour.

La salle était décorée et il y avait dans le toit une ouverture au-dessus de laquelle on avait tendu un voile transparent qui formait comme une coupole. Des deux côtés de cette ouverture étaient suspendues deux pyramides de verdures, formées d'une plante grasse, crépue, d'un vert brunâtre, qui avait des petites feuilles rondes : j'en ai oublié le nom. La base de ces pyramides était également garnie de verdure : il me sembla qu'on les maintenait toujours dans cet état de fraîcheur. C'était au-dessous de cette décoration qu'était placé le siège de Jésus. Le côté de la table où l'on apportait les plats en passant par la cour et par la colonnade ouverte, restait inoccupé : seulement Simon se tenait là pour présider au service. De ce côté on voyait sous la table trois grandes urnes plates pleines d'eau.

Au repas les convives étaient étendus sur des bancs assez bas placés transversalement ; il y avait par derrière un montant et par devant un bras sur lequel on s'appuyait. Ces bancs étaient placés deux par deux, de manière à ce que deux convives fussent en face de deux autres. Cette fois les femmes mangeaient dans une salle ouverte située à gauche et elles Pouvaient, à travers la cour, voir par côté le repas des hommes.

Lorsque tout fut prêt. Simon et son serviteur allèrent chercher Jésus, les apôtres et Lazare. Ils avaient des habits de fête : Simon portait une longue robe, une ceinture avec des dessins et il avait au bras un long manipule pendant, terminé par une frange. Le serviteur n'avait pas de manches à son vêtement supérieur Simon conduisit Jésus, le serviteur conduisit les apôtres. Ils ne traversèrent pas la rue pour gagner la maison de Simon, mais ils arrivèrent dans la salle en passant par le jardin qui était derrière : car il y avait beaucoup de monde à Béthanie, et un grand nombre d'étrangers qui étaient venus pour voir Lazare occasionnaient un certain tumulte. En outre, les habitants étaient étonnés que Simon, dont ordinairement la maison était ouverte au public, eût fait acheter tant de choses et tînt toutes les portes fermées. En un mot, il y avait dans la foule de la curiosité et de l'agitation. Pendant le repas quelques personnes montèrent sur les murs. Tous les convives entrèrent, habillés comme pour une fête, par la porte de derrière de la salle. Je ne me souviens pas qu'il y ait eu un lavement de pieds ; je crois seulement avoir vu faire des ablutions devant la porte. Les sièges qui garnissaient la table étaient assez larges pour que deux personnes fussent couchées l'une à côté de l'autre ; mais Jésus était seul au milieu. Il y avait sur la table plusieurs grandes coupes dont chacune était accompagnée de deux autres plus petites. Elles étaient remplies de trois espèces de liquide, l'un verdâtre, l'autre rouge et l'autre jaune : je crois que c'était une espèce de poiré. On servit d'abord un agneau, il était étendu sur un long plat de forme ovale, la tête était posée sur les pattes de devant et tournée vers Notre Seigneur. Il prit un couteau blanc qui semblait d'os ou de pierre, le plaça dans le cou de l'agneau qu'il découpa d'abord transversalement ; après quoi il fit une longue incision dans toute la longueur du des et de la tête. La forme de cette incision me fit penser involontairement à là croix. Il le présenta ainsi découpé à Jean et à Pierre, puis il se servit lui-même. Ensuite Simon découpa transversalement des deux côtés et présenta successivement les morceaux, à droite et à gauche, aux apôtres et à Lazare.

On servit aussi un agneau aux femmes, mais il était plus petit et occupait sur le plat une surface moins large : il avait la tète tournée du côté de la mère de Dieu qui le découpa. Il ressemblait presque à un hérisson. (Anne Catherine ne put s'empêcher de rire de cette comparaison). Après l'agneau vinrent trois grands poissons entourés de plus petits. Les grands poissons étaient sur le ventre et semblaient nager dans une épaisse sauce blanche. On servit ensuite de la pâtisserie, des petits pains ayant la forme d'agneaux et d'oiseaux aux ailes étendues, puis des rayons de miel, une herbe verte formant une espèce de salade et une sauce où on trempait cette herbe : c'était de l'huile, à ce que je crois. On apporta ensuite des fruits qui me parurent être des noires : au milieu était une espèce de courge sur laquelle d'autres fruits, notamment des raisins, étaient attachés par la queue. Les plats étaient en partie blancs, en partie jaunes à l'intérieur et plus ou moins profonds, selon l'espèce de mets qu'on y servait. Après avoir mangé l'agneau, les convives burent : ils avaient fait une prière avant de commencer le repas.

Les femmes, au nombre de huit ou neuf, étaient assises en rond autour de leur table : Madeleine était en face de la sainte Vierge. Elle avait beaucoup pleuré pendant le repas. Jésus avait enseigné tout le temps. On avait à peu près fini, Jésus parlait encore, les apôtres écoutaient avec une grande attention et Simon, qui était chargé du service, se tenait immobile en face de lui pour mieux l'entendre. Cependant Madeleine s'était levée sans rien dire. Elle portait un manteau léger d'un bleu clair, dont l'étoffe ressemblait assez à celle du manteau des rois mages : ses cheveux épars étaient recouvert d'un voile. Portant son onguent parfumé dans un des plis de son manteau, elle arriva dans la salle par le berceau de verdure, se plaça derrière Jésus, se jeta à ses pieds fondant en larmes, et appuya son visage sur l'un des pieds du Sauveur qui reposait sur le lit de repos. Le Seigneur lui-même lui tendit l'autre pied qui était plus près de terre : elle détacha ses sandales et lui oignit les pieds Par-dessus et par dessous. Puis elle prit à deux mains ses longs cheveux épars sous son voile qu'elle passa sur les pieds du Seigneur pour les essuyer et elle lui remit ses sandales.

Il résulta de là une interruption dans le discours de Jésus. Il avait bien vu arriver Madeleine, mais pour les autres ce fut une surprise inattendue. Jésus leur dit : " Ne vous scandalisez pas de ce que fait cette femme " ; puis il lui parla à voix basse. Mais Madeleine, après avoir oint les pieds de Jésus, passa derrière lui, versa sur sa tête le précieux parfum qui se répandit sur ses vêtements : elle lui en frotta avec la main le sommet et le derrière de la tête, et toute la salle fut remplie de la bonne odeur qu'exhalait le parfum.

Pendant ce temps les apôtres chuchotaient entre eux et murmuraient à voix basse : Pierre lui-même était mécontent. Mais Madeleine pleurant sous son voile fit le tour de la table par derrière et lorsqu'elle passa près de Judas, celui-ci qui avait déjà murmuré avec ses voisins étendit la main pour lui barrer le passage : elle s'arrêta, et il lui reprocha aigrement sa prodigalité, disant que l'argent qu'elle avait ainsi dépensé aurait pu être donné aux pauvres. Madeleine était debout, couverte de son voile, et elle pleurait amèrement. Mais Jésus leur ordonna de la laisser aller : il dit alors qu'elle l'avait oint par avance en prévision de sa mort, qu'elle ne pourrait plus le faire plus tard et que partout où cet évangile serait enseigné, il serait parlé de ce qu'elle avait fait et aussi de leurs murmures.

Alors, Madeleine se retira toute contristée : la fin du repas fut troublée par les murmures des apôtres et par la réprimande de Jésus. Il ajouta encore quelque chose à ce qu'il avait dit, après quoi tous allèrent retrouver Lazare. Cependant Judas était plein de rage et possédé par l'avarice : il se disait à lui-même qu'il ne pouvait pas supporter plus longtemps ces manières d'agir. Il ne laissa rien voir de ses pensées, ôta ses habits de fête et feignit d'être obligé d'aller dans la salle à manger mettre de côté pour les pauvres les restes du repas ; mais il courut en toute hâte à Jérusalem. Je vis tout le temps le démon près de lui, sous la figure d'un homme rouge, au corps grêle et aux formes anguleuses : tantôt il le précédait, tantôt il le suivait et il semblait l'éclairer. Judas courait dans les ténèbres comme s'il y eût vu clair et sans broncher une seule fois. Je le vis à Jérusalem se diriger en toute hâte vers la maison où plus tard Jésus fut accablé d'outrages. Les Pharisiens et les princes des prêtres étaient encore assemblés. Il n'entra pas dans la salle du conseil : deux d'entre eux 'vinrent lui parler dans le bas de la maison ; lorsqu'il leur demanda ce qu'ils voulaient lui donner pour qu'il livrât Jésus, ils se réjouirent grandement et allèrent l'annoncer aux autres ; Alors un d'eux sortit de nouveau et offrit trente pièces d'argent. Judas voulait les avoir sur-le-champ, mais ils refusèrent de les lui donner : ils lui rappelèrent qu'étant venu une première fois, on ne l'avait plus vu reparaître pendant bien longtemps, et lui dirent qu'il fallait remplir sa promesse avant de recevoir le prix convenu. Je les vis ensuite sceller le contrat en se donnant la main et en déchirant, l'un et l'autre, un petit morceau de leur vêtement. Ils voulaient le retenir pour qu'il leur expliquât comment et quand il tiendrait sa promesse mais il insista pour se retirer afin de ne pas exciter de soupçons. Il dit qu'il avait encore besoin d'être mieux informé de tout, et qu'après cela la chose pourrait se faire le lendemain sans bruit. Je vis toujours le démon près d'eux : Judas retourna à Béthanie, toujours courant ; il reprit son vêtement et alla rejoindre les autres.

Après le repas Jésus revint dans la maison de Lazare et les autres se rendirent chacun de leur côté à leurs logements. Pendant la nuit Nicodème vint encore de Jérusalem pour voir Jésus et s'entretint longtemps avec lui. Il s'en retourna avant le jour et Lazare l'accompagna jusqu'à une certaine distance.

Voici ce que dit Anne-Catherine de sa participation personnelle aux scènes qui viennent d'être racontées : Dans l'après-midi j'assistai aux préparatifs du repas ; pendant les enseignements donnés par Jésus aux disciples, j'étais présente et d'une manière si sensible que je courais de côté et d'autre entre la maison de Simon et celle de Lazare et que j'étais tour à tour transportée de joie et de douleur. Puis je me dis tout à coup : " C'en est donc fait ! Il est venu à nous, il doit s'en retourner " ! Après quoi je pris part au service et je travaillai dans la cuisine ; je portais et je nettoyais de la vaisselle. En contemplant la profonde affliction de Marie et l'ineffable charité de Jésus, je passais par des alternatives de douleur et de joie et mon visage était inondé de sueur : alors le Pèlerin vint me réveiller et me dit que j'avais je visage tout couvert de sang. Il m'est difficile de raconter quelque chose de complet sur toutes ces choses, car je suis toujours là pour ainsi dire ; et l'action continue sans interruption sous mes yeux et cela de divers côtés.

Explication de l'éditeur .

La rédaction des visions du jour suivant a été insérée par le Pèlerin dans la Douloureuse Passion où elle figure sous ce titre : " Préparatifs de la Cène ". Il ouvrit par là la série de ces beaux tableaux de la Passion s'étendant du jeudi saint au lundi de Pâques, qu'il fit paraître dès 1833 dans un volume à part 1, comme le premier fruit de ses travaux près du lit de douleur de la pieuse Anne Catherine. Comme ce livre s'est répandu à un nombre infini d'exemplaires et qu'il se trouve sans doute entre les mains de presque tous les lecteurs du présent ouvrage, l'éditeur de celui-ci croit utile et convenable de faire connaître par une relation fidèle et complète les circonstances qui ont donné naissance à ce récit des scènes de la Passion. et la manière dont le Pèlerin a procédé.

La plupart des lecteurs lui en sauront d'autant plus de gré que les lacunes nombreuses qui se rencontrent dans les fragments dont se compose l'ensemble des visions contenues dans les trois volumes de la Vie de Jésus. a dû depuis longtemps leur faire juger surprenant qu'en ce qui touche le temps si court de la Passion, Anne Catherine semble avoir fait au Pèlerin des communications incomparablement plus complètes que celles qu'elle a faites sur les événements d'une période infiniment plus longue. En outre, on ne peut méconnaître une différence marquée entre le style de la Douloureuse Passion et celui de la Vie de Jésus. Tandis que les visions rapportées dans ce dernier ouvrage ont communément pour caractère une simplicité que ne relève aucun ornement et touchant souvent à la sécheresse, tandis qu'elles laissent presque toujours au lecteur l'impression qu'il n'a sous les yeux que des fragments où les lacunes abondent, les visions relatives a la Passion se déroulent comme une suite de tableaux achevés, dont toutes les parties sont en harmonie et où l'úil étonné admire avec un plaisir toujours croissant la main habile de l'artiste éminent qui, avec d'innombrables fragments, a su composer un ensemble si plein de vie.

Jusqu'à l'année 1823 il n'avait jamais été donné au Pèlerin d'obtenir d'Anne Catherine un récit complet de la Passion : chaque année, dès que la semaine sainte commençait, elle participait si complètement aux douleurs du Sauveur souffrant et mourant qu'il était facile de reconnaître, rien qu'en la voyant, que les souffrances sans nom qu'elle endurait avec lui n'étaient pas purement spirituelles, mais aussi corporelles. Le sang coulait de sa tête et de ses stigmates qui s'ouvraient : le vendredi saint son corps couvert de meurtrissures montrait comment elle avait à supporter la flagellation avec son Rédempteur. Le samedi saint elle était dans un état d'anéantissement qui la faisait ressembler à une morte : elle fêtait le repos du corps de Jésus dans le tombeau et descendait avec lui aux enfers accompagnant le Seigneur dans tous les lieux par ou passait sa très sainte âme. Pendant ces jours de douleur, elle ne pouvait communiquer tout au plus que des fragments et encore d'une manière très incomplète. Néanmoins le Pèlerin s'appliquait avec un grand soin à les recueillir tous, et ils lui inspiraient d'autant plus de respect que les souffrances au milieu desquelles la patiente lui en faisait part étaient plus grandes et plus saintes. Dans ces circonstances, le confesseur d'Anne Catherine déclarait souvent qu'il ne croyait pas qu'elle fût en état de raconter toute la Passion et le Pèlerin lui-même avait perdu presque tout espoir à cet égard, lorsque, tout d'un coup, pendant le Carême de 1823, la grâce de Dieu lui rendit la chose possible, quoique toujours au milieu de souffrances infinies et de tracas continuels.

Le soir du 18 février 1823 (mardi d'après le premier dimanche de carême) le Pèlerin traduisait en allemand à Anne Catherine quelques lignes d'un livre de dévotion français sur l'agonie de Jésus au jardin des Oliviers. Il faisait cela pour procurer à la malade le soulagement et la consolation qu'elle trouvait ordinairement dans les entretiens ou les lectures spirituelles. Tout à coup elle eut une absence et interrompit le Pèlerin par ces paroles : " Cela me fait bien mal ! arrêtez " ! Quelques moments après elle sembla s'endormir : son visage prit une expression très grave ; ses mains, devenues légères comme de la plume, prenaient avec une flexibilité surprenante la direction que leur imprimait le plus léger contact.

Peu de temps auparavant elle avait prié le Pèlerin de dire tous les jours pour elle trois Pater en l'honneur de sainte Walburge : il faisait cette prière en ce moment, tout en contemplant avec émotion les stigmates dont étaient marquées les mains de la pieuse fille et, en mémoire des cinq plaies du Seigneur, il les offrait à Dieu pour qu'il exauçât sa prière, en union avec les plaies et les souffrances de tous les stigmatisés, de tous les martyrs et de toutes les âmes pieuses. A peine l'idée de faire cette prière fut-elle entrée dans son esprit qu'Anne Catherine pleine de confusion retira ses mains avec rapidité. Sur ce mouvement soudain le Pèlerin lui demanda ce qu'elle avait. et elle répondit d'un ton très expressif et dans son patois bas-allemand : " J'ai bien de la peine ". Aussitôt après elle sembla, pendant un grand quart d'heure plongée dans un profond sommeil et le Pèlerin devinait si peu ce qui se passait dans son âme qu'il fut vivement impressionné par l'incident qui Suivit.

Sortant inopinément de son profond sommeil, elle se redressa avec toute la vivacité d'une personne en gagée dans une lutte, étendit ses deux bras à gauche en fermant le poing, comme si elle repoussait un ennemi et cria d'une voix indignée : " Que prétends-tu avec cette obligation de Magdalum " ?

Le Pèlerin, qui ne savait pas ce que cela pouvait signifier, lui demanda qui donc prétendait quelque chose à cette obligation de Magdalum ? Elle lui répondit avec une vivacité incroyable : " C'est le traître, le maudit. c'est Satan qui vient lui représenter l'obligation souscrite pour Magdalum : tous viennent avec des obligations et disent qu'il a dissipé tout cela ". " Qui donc a dissipé tout cela, vers qui viennent-ils " ? reprit le Pèlerin. " Vers Jésus mon fiancé, sur le mont des Oliviers " répondit-elle.

Cette conversation si animée fut entendue de son confesseur qui disait son bréviaire dans l'antichambre ; il entra et dit en patois : " De quoi parlez-vous " ? Elle parut un moment troublée dans sa contemplation ; mais le Pèlerin se hâta de rapporter ses paroles au confesseur : alors elle continua, le bras tendu, à faire des gestes de menace à sa gauche et s'écria : " Que prétends-tu, père du mensonge, avec cette obligation de Magdalum ? N'a-t-il pas délivré à Thirza vingt-sept prisonniers avec les arrhes de la vente de Magdalum ? Tu dis qu'il a mis le trouble partout à Magdalum, qu'il a chassé la femme et les habitants et dissipé le prix de la vente ! Mais attends, impur tu seras enchaîné et exterminé ! misérable, scélérat, maudit " ! ... Pendant qu'elle continuait à faire des gestes de menace contre Satan, le confesseur, comme pour s'amuser, sembla vouloir retenir la main qu'elle avançait du côté où il était. Le Pèlerin, craignant une commotion violente, se mit à parler très haut d'autres choses : pendant ce temps, Anne Catherine revint à elle et le Père retourna à son bréviaire. Mais un peu après elle se recueillit et dit : " Je me suis trouvée près du Seigneur sur la montagne des Oliviers pendant la première moitié de son agonie. L'endroit où les huit apôtres s'arrêtèrent et dormirent dans une cabane de feuillage était bien à un quart de lieue de l'endroit où priait le Seigneur. Celui-ci n'était pas une grotte spacieuse, mais un petit recoin sous un rocher qui surplombait. Les trois apôtres dormaient à droite derrière un rocher ou dans un pli de terrain situé plus haut sur la montagne que le lieu où priait le Seigneur. Lorsqu'il alla les retrouver, il prit à gauche et monta vers eux ".

C'est ici que pendant la prière du Seigneur toutes les souffrances et les tortures qui l'attendaient lui furent représentées au naturel dans une vision. Il vit aussi les péchés de tous les hommes et, comme le plus horrible de tous, leur ingratitude à son égard pour tout ce dont il se chargeait pour eux. L'ange vint de ce côté. (Ici elle montra du doigt un côté de sa chambre.)

" Ce fut une vraie reddition de comptes, car Satan envoya plusieurs mauvais esprits apportant des accusations de toute sorte. Quand il fut question de l'obligation de Magdalum je fus tellement indignée que je me précipitai sur Satan. Je vis aussi le malheureux Judas errer de côté et d'autre et je me dis : il y a encore bien des Judas, celui-ci n'est pas le pire. Il alla chez le grand-prêtre Anne. Il s'y trouvait plusieurs personnes. Il déplut à Anne qui le traita d'une façon très méprisante. " Tu es donc fatigué de ton maître, lui dit-il, et tu veux en changer ! à qui vas-tu t'attacher à présent ? Nous allons en finir ! Toutes ces courses vagabondes, ces injures et ces tentatives d'agitation sont arrivées à leur terme ". Tous traitèrent Judas avec mépris : cela le déconcerta beaucoup et il éprouva des remords ; mais il était allé trop loin et le diable le tenait à l'attache.

Ce fut la première heure et demie que je vis. Les disciples s'étaient endormis pendant leur prière, par l'effet de la tentation : car ils avaient manqué de confiance. Ils s'étaient dit : " Que signifie cela ? Comment est-il si faible et si abattu ? Où sont l'autorité et le pouvoir avec lesquels il nous consolait " ? Et là-dessus ils cédèrent au sommeil, car l'ennemi prenait avantage sur eux.

Ayant raconté cela, Anne Catherine promit au Pèlerin de prier pour qu'il lui fût donné de se rappeler les événements du jour suivant et de les communiquer d'une manière plus complète. Le Pèlerin lui ayant demandé si elle ne connaissait aucun remède pour la pauvre nonne malade (elle-même), elle répondit : " Quand on est là, on ne s'inquiète guère de pareilles choses ".

Le jour suivant, Anne Catherine fut en état de communiquer au Pèlerin avec plus de détails la vision qu'elle avait eue ; et en outre pendant tout le carême et jusqu'au dimanche de Pâques, qui tombait le 30 mars 1823, elle eut des visions sur la Passion. Elle lui fut montrée d'une façon si complète, que l'histoire de ce que Jésus eut à souffrir le seul jour du vendredi saint passa devant ses velu ; chaque jour par petites scènes détachées pendant trente jours consécutifs. Plusieurs épisodes de la Passion furent mis jusqu'à deux ou trois reprises sous ses yeux, et en même temps ses visions quotidiennes de la vie publique de Jésus se succédèrent sans interruption, comme on peut le voir par les récits contenus dans le quatrième volume depuis la page 177 jusqu'à la page 237. Le lecteur ne doit pas oublier que le carême de 1823 fut le dernier qu'Anne Catherine passa sur la terre et qu'à mesure que le terme de sa vie approchait, les souffrances qui étaient la tâche principale assignée à sa vie devenaient aussi plus multipliées et plus cruelles. En outre, la vue des scènes de la Passion était pour une personne que ses stigmates faisaient vivre de la vie même du Sauveur crucifié, une participation continuelle à ses souffrances, et le récit qu'elle en faisait renouvelait toutes les peines qu'elle avait ressenties dans la contemplation. Chaque scène qu'elle voyait était pour elle une participation corporelle a la passion du Sauveur, et quand il lui fallait rapporter ce qu'elle avait vu, il arrivait fréquemment que dans l'excès de ses douleurs elle racontait plutôt ce qu'elle-même avait souffert dans la vision que ce qu'elle y avait contemplé, et alors il ne restait plus pour le Pèlerin qu'un petit nombre de traits et de renseignements qu'il mettait Par écrit comme fragments des divers tableaux de la Passion.

Malgré les lacunes quelquefois très considérables qui résultaient de là, le Pèlerin arriva pourtant à rédiger un récit où se trouvaient rapportées d'une manière suivie les scènes principales de la Passion. Il possédait en outre les fragments recueillis les années précédentes ainsi que quelques récits des visions sur la Passion qui revenaient uniformément tous les vendredis de l'année, et enfin d'autres visions occasionnées par des fêtes de l'année ecclésiastique qui se rapportaient au même sujet, Anne-Catherine avait spécialement eu pendant les octaves de la Fête-Dieu, des visions de cette espèce qu'elle avait communiquées quelquefois d'une manière très complète. Il put donc essayer de réunir tous ces récits partiels et d'en former un ensemble auquel on ne pût refuser le mérite de la fidélité la plus scrupuleuse puisqu'il ne se permettait pas d'y placer un seul mot qui ne fût pas sorti de la bouche de la pieuse fille Le soin consciencieux avec lequel le Pèlerin liait ensemble ces récits à l'aide du fil que lui fournissait Anne Catherine elle-même, devait nécessairement faire disparaître de son travail le caractère d'une narration tronquée et remplie de lacunes. mais si la main habile et exercée du Pèlerin se laisse voir dans l'ordonnance générale et dans l'art avec lequel les diverses parties sont lices ensemble, il faut d'autant moins reconnaître le sentiment délicat qui le fait s'appliquer avec le soin le plus scrupuleux à ne jamais se servir d'une parole qu'il n'ait recueillie sur les lèvres de la voyante C'est pourquoi aucun juge impartial n'a su mauvais gré au Pèlerin du travail excessivement pénible, auquel il s'est livré : au contraire, tous ceux pour lesquels les tableaux de la Passion sont devenus une source abondante d'édification, se sont sentis pénétrés pour lui d'une grande reconnaissance et ont trouvé dans les fruits de bénédiction que la Douloureuse Passion a produits dans tous les pays, la garantie la plus assurée que le Pèlerin a accompli avec l'assistance spéciale de la grâce divine une oeuvre très agréable à Dieu et singulièrement utile au salut des âmes.

Note : Ainsi Anne Catherine vit et raconta les visions relatives à Jésus portant sa croix et à sa très sainte Mère les 13 et 14 août 1822, lorsqu'elle eut les visions sur la mort de Marie à Éphèse : quant aux tableaux de la sainte cène qu'elle vit souvent, elle les raconta de la manière la plus détaillée pendant l'Octave de la Fête Dieu de l'année 1820.

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CHAPITRE DOUZIÈME

Visions appartenant au temps compris entre le dimanche de Pâques et l'Ascension

Première agape. - Première communion. - Les disciples d'Emmaus. - Le Seigneur apparaît aux apôtres. - Première prédication des apôtres sur la résurrection. - Seconde agape. - Le Seigneur apparaît à Thomas, - Jésus apparaît près de la mer de Galilée avec les âmes des patriarches - Pierre, m'aimes-tu ! - Le Seigneur apparaît au cinq cents disciples. Marie reçoit le Très Saint Sacrement. - Chants en choeur devant le Très Saint Sacrement.

1er avril. — Je vis un repas préparé par Nicodème dans le péristyle ouvert du cénacle pour les apôtres, les saintes femmes et une partie des disciples. Dix apôtres s'y trouvaient réunis dans l'après-midi : Thomas n'y était pas avec eux. Il se tenait volontairement un peu à l'écart. Tout ce qui se passa là était conforme à la volonté de Jésus. Pendant la cène il avait révélé à Pierre et à Jean qui étaient assis à côté de lui et auxquels il avait donné ensuite sa consécration sacerdotale, plusieurs mystères relatifs au Saint Sacrement et il leur avait ordonné d'en faire part aux autres par la suite en leur rappelant ses enseignements antérieurs.

Je vis d'abord Pierre et ensuite Jean communiquer aux huit autres apôtres rangés en cercle autour d'eux les mystères que le Seigneur leur avait confiés et leur faire connaître les intentions du Seigneur quant à la manière de distribuer ce sacrement et d'instruire les disciples. Je vis par l'effet d'une action surnaturelle tout ce que Pierre disait, dit en même temps par Jean. Tous les apôtres avaient leurs vêtements blancs de cérémonie : par-dessus ceux-ci Pierre et Jean portaient autour du cou une étole croisée sur la Poitrine et assujettie par une agrafe : celle des autres apôtres allait de l'épaule au côté et les deux extrémités étaient rattachées sous le bras à l'endroit où elles se croisaient. Pierre et Jean avaient été ordonnés prêtres par Jésus : les autres semblaient n'être encore que diacres.

Après cette instruction, les saintes femmes, au nombre de neuf, entrèrent dans la salle : Pierre s'entretint avec elles et les enseigna. Jean reçut près de la porte, dans le logement du maître d'hôtel, plusieurs des disciples les plus éprouvés, de ceux qui avaient été le plus longtemps avec le Seigneur : j'en comptai dix-sept. Parmi eux étaient Zachée, Nathanaël, Matthias, Barsabas et d'autres encore. Jean les aida à se laver les pieds et à s'habiller : ils mirent de longues robes blanches et des ceintures. Après l'instruction, Matthieu fut envoyé par Pierre à Béthanie, pour y enseigner pendant un repas du même genre qui devait avoir lieu chez Lazare en présence d'autres disciples en beaucoup plus grand nombre : il avait ordre de faire là ce que faisaient ici les apôtres.

On avait placé une longue table dans le vestibule qui était ouvert de tous les côtés sur la cour entourée d'arbres : la cour elle-même était entourée de murs. La table était d'une telle longueur que les disciples se trouvaient assis en plein air hors des bâtiments Aujourd'hui les hommes et les femmes étaient assis à la même table et en garnissaient tout le pourtour si ce n'est que du côté de la cour on avait laissé entre les convives trois espaces vides pour servir les mets. Les saintes femmes étaient au boude la table. Elles avaient des voiles, mais qui n'étaient pas baissés sur leur visage et elles portaient aussi de longues robes blanches. Elles n'étaient pas couchées en travers comme les hommes, mais assises les jambes croisées sur des espèces de petits escabeaux qui avaient une sorte de manche. Pierre et Jean étaient au milieu de la table, l'un vis-à-vis de l'autre : ils séparaient les rangs des hommes de ceux des femmes. Les apôtres et les dix-sept disciples étaient des deux côtés. Ils n'étaient pas couchés sur des lits de repos comme le jour de la sainte. cène, mais sur de petites nattes rembourrées aux côtés et pourvues par derrière d'un appendice, dans lequel la hanche gauche sur laquelle ils étaient couchés se plaçait commodément. Ces sièges ne se prolongeaient pas beaucoup au delà des genoux. Ils avaient devant eux un coussinet placé sur deux pieds plus élevés qui étaient assujettis par des traverses. Tous étaient couchés en travers près de la table. Les pieds de l'un reposaient près du des de l'autre : dans la maison de Simon et à la cène. Ils étaient aussi placés sur des sièges différents coté opposé à la table.

Le repas était un repas en règle : ils prièrent debout et mangèrent couchés : Pierre et Jean enseignèrent pendant tout le temps. A la fin du repas on plaça devant Pierre un pain plat avec des divisions marquées par des entailles qu'il subdivisa en morceaux plus petits : puis il fit circuler les parts à droite et à gauche sur deux assiettes. On fit ensuite circuler de même une grande coupe dans laquelle tout le monde but. Quoique Pierre eût béni le pain, ce n'était pourtant pas une distribution de la sainte Eucharistie, mais un repas fraternel, des agapes : Pierre prit encore la parole et dit qu'ils devaient tous ne faire qu'un, comme étaient un ce pain dont ils se nourrissaient et ce vin qu'ils buvaient. Après cela ils se levèrent et chantèrent des psaumes.

Lorsque la table eut été enlevée, les saintes femmes se rangèrent en demi cercle au bout de la salle. Les disciple se tenaient sur les deux côtés et les apôtres allaient et venaient, enseignant et communiquant à ces disciples plu mûrs, ce qu'il leur était permis de dire du Très Saint Sacrement. Ce fut comme le premier enseignement du catéchisme fait après la mort de Jésus. Je les vis ensuite se donner mutuellement la main et tous déclarer avec joie qu'ils étaient résolus à mettre leurs biens en commun, à sacrifier les uns pour les autres tout ce qu'ils possédaient, et à vivre dans la plus parfaite unité.

Je les vis alors saisis d'une grande émotion. Peut-être n'eurent-ils que le sentiment intérieur de ce que je vis se manifester extérieurement, car je les vis, inondés de lumière, se fondre en quelque sorte les uns dans les autres ; après quoi tout se perdit dans un temple ou une pyramide lumineuse où la sainte Vierge apparaissait comme étant à la fois le sommet et le point central de tout le reste. Il me sembla que des torrents de lumière se répandaient d'elle sur les apôtres et revenaient d'eux au Seigneur par la sainte Vierge. C'était un symbole de ce qu'ils étaient intérieurement les uns par rapport aux autres. Ainsi se termina pour moi cette vision.

Pendant ce temps Matthieu donnait des enseignements analogues et présidait à un repas du même genre, qui fut donné dans la cour de la maison de Lazare, et où assistaient des disciples en beaucoup plus grand nombre qui n'étaient pas préparés au même degré que ceux dont il vient d'être parlé.

Lundi de Pâques. — Je vis ce matin les saintes femmes dans la maison de Marie, mère de Marc. Les apôtres avaient passé la nuit dans le vestibule du cénacle, les disciples dans les galeries latérales. Je vis de grand matin Pierre et Jean entrer dans le cénacle avec André. Ils se revêtirent de leurs vêtements sacerdotaux : les autres apôtres tirent de même dans le vestibule. Ensuite les trois apôtres tirant un rideau en tapisserie entrèrent dans le sanctuaire. C'était comme une petite chambre à part, ou plutôt une petite tente formée à l'aide de rideaux, dont le plafond moins élevé que celui de la salle, s'ouvrait en tirant un cordon orné de franges pour y faire arriver le jour, que donnaient des lucarnes rondes pratiquées dans la partie supérieure de la salle. On y avait placé la table de la sainte cène sur laquelle était posé le calice avec ses accessoires : le tout était recouvert d'un voile. A droite et à gauche des niches pratiquées dans le mur contenaient divers objets. Une lampe dont un seul bras était allumé brûlait devant le Très Saint Sacrement. Ils y allumèrent la lampe de Pâques qui était suspendue au milieu de la salle y apportèrent la table de la cène, et y exposèrent le Saint Sacrement dans sa pyxide; après quoi ils éteignirent la lampe du sanctuaire.

Alors, les autres apôtres, parmi lesquels se trouvait Thomas, entrèrent et se rangèrent autour de la table. Une grande partie du pain consacré par Jésus pour être le Très Saint Sacrement de son corps, était conservé sur la petite patène qui se trouvait au-dessus du calice, recouverte d'une cloche de métal surmontée d'un bouton. Un voile blanc était étendu sur le tout. Pierre tira la table à coulisse qui était au-dessous, la recouvrit avec le voile et y plaça la patène avec le Très Saint Sacrement. André et Jean se tenaient derrière lui et priaient. Pierre et Jean s'étant inclinés prirent eux-mêmes le Saint Sacrement : ensuite Pierre fit passer la patène et chacun se communia lui-même. Il ne restait plus dans le calice que la moindre partie du vin consacré par Jésus ; ils y versèrent un peu de vin et d'eau et en burent successivement. Après cela ils chantèrent des psaumes, firent des prières et recouvrirent les vases sacrés qu'ils reportèrent ainsi que la table à la place où ils les avaient pris. Ce fut la première fois que je vis les onze célébrer le service divin.

Thomas partit aujourd'hui pour un petit endroit des environs de Samarie avec un disciple qui était de ce pays.

Je vis Luc qui n'était avec les disciples que depuis quelque temps, mais qui avait reçu antérieurement le baptême de Jean, assister le dimanche soir aux agapes qui avaient lieu à Béthanie et à l'instruction sur le Saint Sacrement que Matthieu y avait faite. Je le vis après cette instruction, assailli de doutes et tout soucieux, se rendre à Jérusalem, entrer dans la maison de Jean Marc et y passer la nuit.

Plusieurs autres disciples se trouvaient réunis dans cette maison, entre autres Cléophas, petit-fils de l'oncle maternel de Marie de Cléophas. Celui-ci avait assisté à l'instruction et aux agapes qui avaient eu lieu au cénacle. Les disciples parlaient de la résurrection de Jésus et ils doutaient : Luc et Cléophas étaient de ceux dont la foi était la plus hésitante. Comme en outre il y avait eu une nouvelle notification de l'ordre du grand-prêtre qui défendait de donner le logement et la nourriture aux disciples de Jésus, ces deux-ci qui se connaissaient particulièrement prirent la résolution de s'en aller à Emmaüs. Ils quittèrent la réunion : l'un d'eux prit à droite en sortant de la maison de Jean Marc et se dirigea au nord en contournant l'enceinte extérieure de Jérusalem, l'autre se dirigea du côté opposé, comme s'ils avaient voulu éviter qu'on les vît ensemble. Le premier ne rentra pas dans la ville, l'autre gagna la porte en passant entre des murs. Ils se réunirent sur une colline qui était devant la porte : ils avaient des bâtons à la main et portaient avec eux un petit bagage. Luc avait une besace de cuir et je le vis souvent s'écarter du chemin pour cueillir des plantes.

Luc n'avait pas vu le Seigneur dans ces derniers temps : il n'avait pas assisté non plus aux instructions données par le Seigneur chez Lazare : il s'était trouvé quelquefois à l'hôtellerie des disciples près de Béthanie et il était aussi allé à Machérunte chez des disciples. Jusqu'alors il n'avait pas été disciple en titre et ce fut la première fois qu'il s'adjoint sérieusement aux amis de Jésus : toutefois il avait eu des rapports fréquents avec les disciples : il était curieux et fort désireux d'acquérir de la science.

Je sentis intérieurement que tous deux étaient troubles, qu'ils doutaient et qu'ils voulaient se parler de tout ce qu'ils avaient entendu. Ce qui les déconcertait par-dessus tout, c'était que le Seigneur eût été crucifié si ignominieusement. Ils ne pouvaient pas comprendre que Rédempteur, le Messie, pût être ainsi outragé et maltraité. Voilà ce que j'ai retenu de ce qui me fut communiqué pendant leur entretien : je fis tout le chemin avec eux à travers une contrée très agréable.

Comme ils étaient à moitié chemin, je vis, longtemps avant qu'ils le remarquassent, Notre Seigneur s'approcher par un chemin de traverse. Lorsqu'ils l'aperçurent, ils ralentirent le pas, comme pour laisser passer cet étranger devant eux, et comme s'ils eussent craint qu'on n'entendît leur conversation. Mais Jésus de son côté ralentit sa marche et il n'arriva sur le chemin que lorsqu'ils eurent pris les devants. Je le vis marcher quelque temps derrière eux, puis s'approcher et leur demander de quoi ils s'entretenaient. J'entendis aussi une grande partie de ce qu'il leur dit, je l'ai écouté avec un plaisir extraordinaire, mais des tracas de toute espèce me l'ont fait oublier. Il fut fort question de Moïse.

Devant Emmaüs qui est un joli endroit très propre, le Seigneur parut vouloir prendre un chemin qui tournait au midi dans la direction de Bethléem, mais ils le contraignirent d'entrer avec eux dans une maison qui faisait partie du second groupe de maisons d'Emmaüs. Il n'y avait pas de femmes dans cette maison qui me parut destinée à donner des fêtes : car il semblait qu'on en eût célébré une récemment et il en restait des traces (peut-être des décorations). La pièce principale était carrée et fort propre : la table était couverte d'une nappe et il y avait des lits de repos comme ceux qui figuraient aux agapes du jour de Pâques. Un homme apporta un rayon de miel dans une espèce de corbeille tressée, un grand gâteau de forme carrée et un petit pain azyme, mince et diaphane, qui fut placé devant le Seigneur en sa qualité d'étranger auquel on faisait les honneurs. L'homme qui apporta le gâteau avait une bonne figure : il portait une espèce de tablier qui le faisait ressembler à un cuisinier ou à un maître d'hôtel ses cheveux étaient noirs. Du reste, il n'assista pas à la scène solennelle qui suivit. Le gâteau était épais : des lignes empreintes dans la pâte y traçaient des compartiments larges de deux doigts. Il y avait sur la table un couteau qui n'était pas en métal : j'en avais vu de semblables aux repas de Cana. Il était blanc comme s'il eût été de pierre ou d'os, il n'était pas droit, mais un peu recourbé, ce qui lui donnait à peu près la forme d'un sabre et pas plus grand qu'une grande lame de couteau chez nous : on en voyait quelquefois plusieurs de formes différentes, attachés ensemble avec une goupille. Avant de manger, ils appuyèrent le tranchant du couteau qui était tout à fait en avant, sur les lignes tracées d'avance à la surface du pain : ensuite ils détachèrent les parts ainsi entaillées.

Ils firent d'abord une prière, puis Jésus se mit à table et commença par manger avec eux du gâteau et du miel : il prit ensuite le petit pain azyme sur lequel des divisions étaient marquées, et après l'avoir entaillé avec le couteau blanc en os, il en détacha trois parts en un seul morceau. Il mit ce morceau sur le petit plat, le bénit et s'étant levé de sa place, il l'éleva avec les deux mains, et pria les yeux tournés vers le ciel. Les deux disciples se tenaient debout en face de lui, profondément émus et comme hors d'eux-mêmes. Le Seigneur ayant rompu le pain dont il fit trois parts, ils avancèrent la tête par-dessus la table jusqu'à sa main, ouvrirent la bouche et y reçurent chacun leur portion. Mais je le vis disparaître au moment même où il faisait le geste de porter à sa bouche le troisième morceau. Je ne puis pas dire qu'il l'y ait reçu en effet. Les morceaux de pain devinrent lumineux lorsqu'il les eut bénis. Je vis les deux disciples rester immobiles et comme pétrifiés pendant quelques instants, puis ils se jetèrent dans les bras l'un de l'autre en versant des larmes d'attendrissement.

Cette scène fut singulièrement touchante à cause de l'affectueuse bonté que mit le Sauveur dans tous ses actes et toutes ses paroles, de la joie silencieuse des deux disciples lorsqu'ils l'écoutaient sans savoir que c'était lui et de leur ravissement lorsqu'ils le reconnurent et qu'il disparut. Cléophas et Luc repartirent sur-le-champ pour retourner en toute hâte à Jérusalem.

Le soir du lundi de Pâques, je vis tous les apôtres, à l'exception de Thomas, réunis dans le cénacle ; il y avait aussi plusieurs disciples parmi lesquels Nicodème et Joseph d'Arimathie. Les portes de la maison et celles de la salle étaient fermées : au plafond était suspendue une lampe sous laquelle je les vis s'entretenir et, à trois reprises différentes, se ranger en cercle pour prier. Ils semblaient occupés comme du complément d'une fête consacrée au deuil. Tous avaient de longues robes blanches avec des ceintures : trois d'entre eux portaient des vêtements particuliers et tenaient à la main des rouleaux d'écriture.

Le premier de ces trois était Pierre. Son ample robe blanche, un peu plus longue par derrière que par devant, était serrée par une ceinture plus large que la main d'où tombaient sur chaque genou deux bandes d'étoffe de la même largeur terminées par deux pointes. Par derrière, la ceinture était nouée très simplement et ses deux extrémités qui se croisaient descendaient plus bas que les appendices placés sur le devant. Tout cela était noir comme la ceinture elle-même et couvert de grandes lettres blanches. Les manches étaient très larges : l'une d'elles semblait l'être plus que l'autre, elle servait de poche au besoin. On y mettait toute sorte de choses, même des écrits contenant des prières. Ils portaient encore attaché au-dessus du coude une espèce de manipule plus large avec deux bandes pendantes au-dessous du bras et terminées par des franges : il était, comme la ceinture, noir et couvert de lettres blanche'. Ils avaient autour du cou une sorte d'étole étroite par derrière, s'élargissant sur les épaules et croisée sur la poitrine où elle était assujettie par une plaque en forme de coeur. Cette plaque était luisante comme du cristal, il y avait comme des boutons ou peut être une figure : je ne sais pas si c'était un ornement symbolique ou tout simplement un fermoir. Les deux autres qui étaient auprès de Pierre avaient l'étole croisée sous le bras et des franges plus courtes à la ceinture Tous, en priant, mettaient leurs mains en forme de croix sur la poitrine. Quand ils priaient, ils se tenaient rangés en cercle sous la lampe : les apôtres formaient le cercle le plus rapproché et Pierre, placé entre ses deux assistants, se tenait le des tourné à la porte qui était fermée. Deux personnes tout au plus, étaient derrière lui : les autres formaient le cercle, rangées trois par trois

Cléophas et Luc, qui étaient revenus en toute hâte d'Emmaüs à Jérusalem, coururent aussitôt au cénacle : la porte de la cour étant fermée ainsi que la maison, ils frappèrent et furent introduits. Dans le vestibule ouvert qui précédait la salle se trouvaient la sainte Vierge, Marie de Cléophas et Madeleine qui assistaient aux exercices religieux des apôtres et des disciples ; ceux-ci étaient rangés en cercle sous la lampe, mais de manière à ce que le cercle fût ouvert du côté du Très Saint Sacrement. Pierre place entre Jean et Jacques le Mineur priait et enseignait.

Ils avaient déjà une fois interrompu leurs prières pour s'entretenir ensemble. Tout cela semblait être une action de grâces, car aujourd'hui, à Jérusalem, on faisait la clôture des fêtes de Pâques. Quoique Jésus eût apparu déjà à Pierre, à Jean, à Jacques et aux frères de celui-ci, je voyais, à mon grand étonnement, que presque tous doutaient encore : il leur venait sans cesse à l'esprit que ce n'était pas Jésus en personne, mais une vision du genre de celle qu'avaient eue les prophètes.

Ils s'étaient remis en prière lorsque les deux disciples entrèrent d'un air joyeux et apportèrent leurs nouvelles Les prières furent interrompues et on s'entretint à ce sujet.

Comme après leur seconde pause, ils venaient de se remettre en rang pour la prière, je vis leurs visages s'illuminer pour ainsi dire et rayonner d'une joie intime, et je vis le Seigneur apparaître en deçà de la porte qui était fermée. Il avait une longue robe blanche avec une ceinture très simple. Ils ne parurent avoir qu'une impression vague de sa présence, jusqu'au moment où passant à travers leurs rangs, il se plaça au milieu d'eux sous la lampe : ils furent alors saisis d'étonnement et profondément émus. Il leur montra ses mains et ses pieds et ouvrit sa robe pour leur faire voir la plaie du côté. Il leur parla et comme ils étaient frappés de terreur, il demanda à manger. Je vis de la lumière sortir de sa bouche et se diriger vers eux. Ils étaient comme hors d'eux-mêmes.

Je vis encore que Pierre, passant derrière une cloison mobile ou un rideau suspendu, alla dans une partie séparée de la salle que l'on ne remarquait pas, parce que la tapisserie qui formait la séparation était de la même étoffe que celle dont les murs étaient revêtus. Outre cet endroit où le Très Saint Sacrement reposait au-dessus du foyer pascal, il y avait encore sur le côté un compartiment où ils avaient replacé la table haute d'un pied sur laquelle ils avaient mangé, couchés au-dessous de la lampe. Sur cette table était un plat profond de forme ovale et couvert d'un linge blanc, que Pierre apporta au Seigneur. Il s'y trouvait un morceau de poisson et un peu de miel : Jésus rendit grâces7 bénit les mets, en mangea et en donna à quelques-uns des assistants seulement. Il en distribua aussi à sa Mère et aux autres saintes femmes qui se tenaient à l'entrée du vestibule.

Après cela je le vis enseigner et distribuer des grâces. Il y avait autour de lui un triple cercle au milieu duquel étaient les dix apôtres : Thomas n'était pas présent. chose surprenante, je vis qu'une partie de ses paroles et de ses communications ne fut perçue que par les seuls apôtres, je ne puis pas dire entendue, car je ne vis pas Jésus remuer les lèvres. Il était tout lumineux, la lumière rayonnait sur eux de ses mains, de ses pieds, de son côté et de sa bouche, comme s'il eût soufflé sur eux : cette lumière coulait sur eux ; ils savaient, ils venaient d'être informés (sans que j'aie vu la bouche articuler, ni les oreilles entendre), qu'ils pourraient remettre les péchés, qu'ils baptiseraient, guériraient, imposeraient les mains et boiraient du poison sans qu'il leur fît de mal. Je ne sais pas comment cela se faisait, mais je sentis qu'il ne leur donna pas ce pouvoir avec des paroles, qu'il ne leur dit pas ces choses avec des paroles et que tous ne l'entendirent pas ; il leur communiqua tout cela en essence, comme au moyen d'une substance, d'un rayon partant de lui et entrant en eux. Je ne sais pourtant pas si eux-mêmes eurent le sentiment de l'avoir reçu ainsi, ou s'ils crurent l'avoir entendu à la manière ordinaire ; mais j'eus le sentiment que le cercle le plus rapproché, celui des apôtres, avait seul perçu ou compris tout cela. C'était comme un langage intérieur, et cependant cela ne ressemblait pas à des paroles dites à l'oreille et à voix basse. Jésus leur expliqua plusieurs points des saintes Écritures qui avaient rapport à lui ou au Très Saint Sacrement, et il indiqua certains honneurs à rendre au Très Saint Sacrement après la célébration du sabbat. Il parla à cette occasion de l'objet sacré de l'arche d'alliance qui était devenu maintenant le Très Saint Sacrement. Il parla des ossements et des reliques des patriarches qu'il fallait vénérer afin d'obtenir leur intercession. Il dit alors quelque chose d'Abraham et des ossements d'Adam que ce patriarche avait en sa possession et qu'il mettait sur l'autel lorsqu'il sacrifiait. Il y eut encore un point relatif au sacrifice de Melchisédech que Je ils à cette occasion: c'était très remarquable, mais je l'ai oublié. Jésus dit encore que la robe de plusieurs couleurs donnée à Joseph par son père Jacob avait été une figure symbolique de la soeur de sang sur la montagne des Oliviers. Je vis à cette occasion la robe de Joseph. Elle était blanche avec de larges raies rouges : il y avait sur la poitrine trois rubans noirs placés en travers et au milieu un ornement jaune. Elle était large par le haut, de manière à ce qu'on pût y mettre quelque chose, et serrée à la taille par une ceinture ; elle était étroite par le bas et il y avait des entailles sur le côté pour laisser du jeu à la marche Elle descendait jusqu'à terre et était plus longue par derrière que par devant. La robe ordinaire de Joseph ne descendait que jusqu'aux genoux.

Jésus dit encore aux disciples que l'arche d'alliance avait contenu des ossements d'Adam qui avaient été donnés à Joseph par Jacob avec la robe de plusieurs couleurs : je vis que Jacob les donna à Joseph sans que celui-ci sût ce que c'était. Il les lui donna dans l'excès de sa tendresse comme une protection et un trésor, parce qu'il savait bien que les frères de Joseph ne l'aimaient pas. Joseph portait ces ossements sur sa poitrine dans une espèce de sachet fait de deux morceaux de cuir et de forme carrée, sauf qu'il était arrondi par en haut. Lorsque ses frères le vendirent, ils lui enlevèrent sa robe de plusieurs couleurs et son vêtement de dessous ; mais il avait encore une bande d'étoffe autour du corps et sur la poitrine une espèce de scapulaire au-dessous duquel était suspendu ce sachet. Jacob, à son arrivée en Égypte, demanda à Joseph où était ce trésor et il lui révéla que c'étaient des ossements d'Adam. A cette occasion je vis de nouveau les ossements d'Adam qui sont sous la montagne du Calvaire : ils sont blancs comme la neige et pourtant très durs. Les ossements de Joseph lui-même étaient aussi conservés dans l'arche.

Jésus parla encore du mystère de l'arche d'alliance ce mystère, dit-il, était maintenant son corps et son sang qu'il leur avait donnés pour toujours dans le sacrement. Il Parla aussi de sa Passion, et raconta à propos de David quelque chose de merveilleux qu'ils ignoraient et qu'il leur expliqua.

Jésus leur ordonna aussi d'aller dans le pays de Sichar et d'y rendre témoignage de sa résurrection.

Après cela le Seigneur disparut et je vis les assistants tout ivres de joie se mêler confusément. Ils ouvrirent la porte et je les vis aller et venir ; toutefois ils se rassemblèrent de nouveau pour prier sous la lampe et chanter des cantiques d'actions de grâces et de réjouissances.

Sur la question qui lui fut faite pour savoir si l'arche d'Alliance, dont elle parlait si souvent, existait encore dans le temple au temps de Jésus, Anne Catherine répondit : "Non, l'ancienne arche d'alliance n'y était plus, mais on en avait fait une imitation. Elle était construite sur le modèle de l'arche de Noé ; il y avait une ouverture sur le côté et encore une autre dans la partie supérieure. L'objet sacré y était encore, car les prêtres l'avaient retiré de l'ancienne arche avant qu'elle se fût perdue. Les tables de la loi ne s'étaient pas perdues. Mais dans le dernier temple il ne restait que peu de chose de l'objet sacré, car plus on priait devant, plus il s'amoindrissait". Précédemment Anne Catherine avait dit une fois : " Joachim a reçu l'objet sacré tout entier et il y eut dans la personne de Marie une nouvelle arche d'alliance ". Elle dit encore que les anges qui étaient placés au-dessus de l'arche d'alliance ne reposaient pas sur l'arche elle-même, autrement on n'aurait pas pu la porter : ils reposaient sur un ornement qui la surmontait, je visage tourné à l'extérieur ; leurs ailes se touchaient presque. On les retirait de là lorsqu'il y avait un voyage à faire.

3 avril. — Cette nuit même les apôtres, sur l'ordre que leur en avait donné Jésus, allèrent à Béthanie en groupes séparés, et quelques-uns, en outre, firent des courses dans Jérusalem, notamment chez Véronique. Ils donnèrent diverses destinations aux disciples : quelques-uns de ceux-ci restèrent à Béthanie et instruisirent les plus faibles soit à la synagogue, soit dans la maison de Lazare, chez lequel se trouvaient Nicodème et Joseph d'Arimathie. Là aussi se trouvait ce fils de Siméon qui avait immolé l'agneau pour le repas pascal de Jésus. Il avait un nom bien connu : plus tard il fut assez longtemps compagnon de Paul et il raconta à celui-ci beaucoup de choses concernant la cène. Je le vis séjourner avec Paul dans la ville où la marchande de pourpre se convertit.

Plusieurs des anciens disciples restèrent à Béthanie avec un certain nombre des nouveaux qu'ils instruisirent. Les saintes femmes, de leur côté, étaient toutes réunies dans un bâtiment attenant à la maison de Lazare et entouré d'une cour et d'un fossé.

NOTE : Tous les détails donnés en diverses occasions sur l'Arche d'alliance par Anne Catherine seront communiqués complètement et de manière à former un ensemble dans les visions relatives à l'Ancien-Testament. (Note de l'Editeur)

On y entrait par la rue et c'était là qu'avaient habité antérieurement Madeleine et Marthe.

Les apôtres, avec une troupe de disciples parmi lesquels se trouvait Luc, allèrent dans la direction de Sichar et se divisèrent sur divers chemins pendant le voyage. Ils enseignèrent ça et là dans des hôtelleries et sur la route. Ils racontèrent la Passion et la résurrection de Jésus. Ce fut une préparation aux conversions qui eurent lieu le jour de la Pentecôte.

Luc, qui faisait partie de cette troupe, était né dans les environs d'Antioche de parents païens tenant un rang honorable, mais il avait embrassé le judaïsme. Il savait peindre et il était médecin de profession : il s'était formé par de longs voyages, notamment en gypte. En Palestine, il s'était mis en rapport avec les disciples de Jésus et avait eu connaissance de sa doctrine : il avait dès lors attaché beaucoup moins d'importance à sa propre science. Il soignait les malades, suçait leurs plaies, non sans prendre beaucoup sur lui, et y appliquait des simples. Ce ne fut qu'après l'apparition d'Emmaus qu'il devint vraiment un disciple zélé.

Nicodème est marié : sa femme devait être morte à cette époque ; ses fils sont dans des écoles juives. Joseph d'Arimathie et lui avaient plusieurs habitations à Jérusalem ; mais c'était dans la maison du cénacle qu'ils se réunissaient le plus souvent.

Pilate a quitté Jérusalem par suite du trouble intérieur qui l'agite. Hérode est parti depuis deux jours déjà pour Machérunte, mais il n'y a pas trouvé le repos et il est allé plus loin, jusqu'à Madian. Les habitants de cette ville, qui n'avaient pas accueilli le Seigneur lorsqu'il était venu, Ouvrirent leurs portes au meurtrier. Simon le Cyrénéen est à Béthanie, près des disciples. Je crois qu'il a trouvé là deux de ses fils qui s'étaient réunis à eux sans qu'il le sût. C'était un homme pieux, natif de Cyrène, qui avait coutume de venir pour les fêtes à Jérusalem où il travaillait dans les jardins de diverses familles dont il était connu et taillait les haies. Il mangeait alors tantôt dans une maison, tantôt dans une autre : c'était un homme juste et qui parlait très peu. Ses fils étaient depuis longtemps à l'étranger et ils s'étaient réunis aux disciples, sans qu'il en eut connaissance, ainsi qu'il arrive souvent pour les enfants de parents pauvres.

4 avril. — Les apôtres et les disciples qui s'étaient dispersés sur le chemin se réunirent devant Sichar dans une grande hôtellerie où le Seigneur avait guéri un grand nombre de malades pendant le dernier séjour qu'il y avait fait. Il y a des bains dans le voisinage et il s'y trouve comme une espèce d'hôpital. Les disciples restèrent là et les apôtres allèrent dans la ville chez un homme de leur connaissance ; je crois que c'était le père de Sylvain et qu'il était le propriétaire ou le surveillant de l'hôtellerie qui était hors de ta ville. Le disciple Sylvain les avait conduits chez son père et leur avait fait préparer un repas et tout ce dont ils pouvaient avoir besoin.

Pierre enseigna dans une école devant tout le peuple. Il parla de la Passion et de la résurrection de Jésus et spécialement de la nécessité de se mettre à sa suite : le temps était venu, disait-il, de tout quitter pour s'agréger à la communauté Il engagea tous les amis de Jésus qui étaient fort découragés, à venir à Jérusalem et à mettre en commun tout ce qu'ils possédaient : ils ne devaient pas avoir peur des Juifs, leur dit-il, ceux-ci ne feraient rien contre eux, car ils les craignaient, etc.

Ils prirent un repas dans l'hôtellerie qui est devant la ville. Thomas vint les y trouver avec deux autres disciples. Il était allé de son côté avec un disciple des environs de Samarie dans la patrie de celui-ci. C'était un des disciples qui accompagnaient Jésus lors de son entretien avec la Samaritaine près du puits de Jacob.

NOTE : La narratrice veut incontestablement parler de la ville de Thenath-Silo, située à trois lieues à l'est de Sichar, où Jésus enseigna et opéra des guérisons après son retour du voyage au pays des rois Mages.

Elle croit que le Pèlerin connaît cette circonstance : mais dans les visions qui se rapportent au temps en question, il y a eu une lacune causée par des tracas extérieurs, d'où il résulte que l'incident auquel elle fait allusion n'a pas été mentionné.

Il en vint encore un autre avec lui ; c'était un des fils du vieux Siméon, le même dont je disais hier qu'il était allé de Jérusalem à Béthanie et qu'il avait immolé l'agneau pascal au cénacle. Il était employé au service du temple et y faisait, je crois, les fonctions de rabbin. Ce n'est pas ce fils de Siméon qui périt à Jérusalem avec Jacques le Mineur. Plus tard il fut souvent avec saint Paul, mais jamais longtemps de suite, car l'apôtre l'envoyait sans cesse ailleurs. Il était avec lui dans la ville où la marchande de pourpre se convertit ; il l'accompagnait aussi lorsqu'il revint de l'endroit où il avait été jeté en prison après son naufrage. J'ai su son nom et j'ai vu plusieurs fois les lettres dont il se composait. (Ici la narratrice balbutia plusieurs fois les syllabes Man, Mamio.)

NOTE : Antérieurement elle l'avait appelé Obed : peut-être que plus tard il changea de nom et prit celui de Mamio : beaucoup d'autres changèrent ainsi de nom, probablement à cause de la persécution. (Note du Pèlerin)
Elle l'avait aussi vu faire un miracle. Il apparut au moment de la mort à une pécheresse convertie qui avait reçu de saint Ambroise une de ses reliques. Elle avait nu cela dans une vision touchant saint Ambroise (dont on fait aujourd'hui la fête dans le diocèse de Munster).

Lorsque Thomas vint rejoindre les apôtres dans la maison du père de Sylvain, je vis qu'ils lui racontèrent l'apparition du Seigneur parmi eux, mais il fit un geste de dénégation et déclara qu'il n'y croirait pas jusqu'à ce qu'il eût touché ses plaies ; ils allèrent ensuite retrouver les disciples hors de la ville et ceux-ci lui ayant affirmé à leur tour la vérité de l'apparition, il témoigna la même incrédulité. Après la mort du Christ, Thomas s'est tenu un peu plus à l'écart de la communauté : c'est là ce qui a causé son manque de foi. Le lundi, après avoir fait la communion le matin avec les apôtres, il était allé avec des disciples dans un petit endroit situé derrière Samarie, à quelque distance de la route. Il y était reste jusqu'au mercredi soir ou il vint trouver les apôtres à Thenath-Silo. Je vis cela dans une vision dans laquelle j'aperçus comme à vol d'oiseau les endroits où se trouvaient les apôtres : je vis alors Thomas seul avec deux disciples dans un endroit éloigné.

Il me revient encore quelque chose touchant Mamio. Il était avec saint Paul lors d'une émeute excitée par un orfèvre : plus tard ce fut lui qui attira l'attention de Lydie, la marchande de pourpre, sur la prédication de Paul. Il fit infiniment de bien par son intervention charitable et il gagna beaucoup de personnes à l'Église. Il se trouvait aussi dans un endroit où Paul fut arrêté. A ce propos Silas me revient aussi en mémoire. Ce compagnon de voyage de Jésus a certainement été attaché à Paul comme disciple et je crois qu'il lui a fait part de bien des choses.

Pendant ces jours-ci, je vis à Jérusalem des affidés des princes des prêtres aller dans les maisons dont les propriétaires s'étaient trouvés en rapport avec Jésus et ses disciples, leur retirer les emplois publics qu'ils pouvaient avoir et défendre de communiquer avec eux. Depuis qu'ils avaient mis le Christ au tombeau, Nicodème et Joseph d'Arimathie n'avaient plus eu aucun rapport avec les Juifs. Joseph d'Arimathie était comme un des anciens de la communauté, et il était toujours vis-à-vis des Juifs comme un homme qui, par des services rendus sans bruit et par l'action intelligente qu'il n'ai ait cessé d'exercer, avait conquis l'estime de tous, même celle des méchants. Je vis avec beaucoup de plaisir le mari de Véronique se montrer plein de condescendance pour elle lorsqu'elle lui déclara qu'elle se séparerait plutôt de lui qui de Jésus le crucifié. Je vis aussi qu'il ne se mêlait plus des affaires publiques, mais il me fut dit que c'était plutôt par affection pour sa femme que par attachement pour Jésus. Je vis en outre les Juifs rendre impraticables les chemins qui menaient au Calvaire et au saint Sépulcre en les barrant par des fossés et des clôtures, parce que beaucoup de gens allaient visiter ces saints lieux, et qu'il s'y faisait des conversions et des miracles. A Béthanie les disciples continuaient à prêcher tranquillement.

5 avril. — Les apôtres ont guéri ici un très grand nombre de malades parmi lesquels des lunatiques : ils ont aussi chassé des démons. Je les vis procéder en cela absolument comme Jésus, je les vis souffler sur les malades, leur imposer les mains ou s'étendre sur eux. C'étaient uniquement des malades que Jésus avait omis de guérir lors de son dernier se jour. Je vis les habitants de l'endroit se montrer en en général très bienveillant pour les apôtres. Les disciples ne guérissaient pas, mais ils rendaient des services aux malades en les portant, les soulevant, les conduisant. Luc qui était médecin s'était fait maintenant infirmier.

Le soir Pierre enseigna dans l'école jusqu'à une heure avancée de la nuit. Il s'expliqua franchement sur la manière dont eux-mêmes s'étaient conduits envers Jésus. Il parla avec beaucoup de détails des dernières prédictions et des derniers enseignements du Sauveur, ce son amour inexprimable, de sa prière sur le mont des Oliviers, de la trahison de Judas et de sa triste fin. Les gens de l'endroit en furent très surpris et très contristés : car ils avaient aimé Judas, qui, pendant l'absence de Jésus, avait rendu des services à beaucoup d'entre eux et qui avait même opéré des miracles. Pierre ne s'épargna pas lui-même : il raconta sa fuite et son reniement en versant des larmes amères, sur quoi tout l'auditoire pleura avec lui : sa douleur devint de plus en plus vive et il raconta de la manière la plus éloquente avec quelle cruauté les Juifs avaient traite Jésus, comment il était ressuscite le troisième jour, comment il était apparu aux saintes femmes, à lui-même, à d'autres encore. enfin aux apôtres et aux disciples réunis, et il en appela au témoignage de tous ceux des assistants qui l'avaient vu. Là-dessus il y en eut bien une centaine qui levèrent la main en l'air. Thomas garda le silence et ne fit pas comme les autres : rien ne pouvait encore vaincre son incrédulité. Pierre parla encore longtemps et engagea ses auditeurs à venir à Jérusalem. Ils étaient tous très émus et beaucoup se convertirent Ils voulaient que les apôtres restassent parmi eux, mais Pierre déclara qu'ils repartiraient le lendemain : je les ai vus se mettre en route le vendredi avant le lever du soleil. Beaucoup de personnes les accompagnèrent sur le chemin ; quelques-unes allèrent avec eux, d'autres vinrent les rejoindre plus tard.

Je vis les disciples qui étaient à Béthanie continuer à enseigner, et les saintes femmes St' tenir en silence dans la maison attenante à celle de Lazare. La mère de Dieu est triste, mais sa tristesse est pleine de gravité : je vois souvent Marie de Cléophas, qui est singulièrement affectueuse et qui est celle de toutes qui ressemble le plus à Marie, se pencher tendrement vers elle et la consoler d'une manière touchante. Marie est silencieuse : il y a en elle je ne sais quoi d'auguste : sa douleur n'est pas une douleur humaine.

Madeleine est transportée de douleur et d'amour : elle est comme hors d'elle-même : elle ne sait ce que c'est que la crainte : elle est d'un courage héroïque et qui ne tient compte d'aucune difficulté : souvent elle court à travers les rues, les cheveux épars, et partout où elle rencontre des auditeurs, soit dans les maisons, soit eu public, elle s'élève contre les meurtriers du Seigneur, raconte en termes très chaleureux les traitements qu'on lui a 1ait subir, et parle de sa résurrection : quand elle ne trouve personne pour l'écouter, elle erre à travers les jardins et parle aux fleurs, aux arbres et aux fontaines. Souvent on se rassemble autour d'elle, quelques-uns la prennent en pitié, d'autres l'injurient et lui reprochent sa vie passée. Le peuple n'a aucune considération pour elle ``a cause des grands scandales qu'elle a donnes autrefois. J'ai vu que la douleur violente dont elle est maintenant transpercée scandalisait plusieurs Juifs, au point que cinq d'entre eux voulaient s'emparer d'elle et la faire enfermer, mais, elle va droit son chemin au milieu d'eux et ne change rien à ses allures, car elle a oublié le monde entier et ne cherche que Jésus. Elle semble avoir perdu la raison.

Pendant la dispersion des disciples et le long supplice du Seigneur, Marthe eut de pénibles fonctions à remplir et elle les a encore : brisée par la douleur comme elle l'était, elle veillait à tout et s'occupait de tout le monde. Elle nourrissait et soignait tous ceux qui étaient dispersés et errants : elle pourvoyait à tous les besoins. Elle est aidée dans tout cela, spécialement pour la préparation des aliments, par Jeanne, Veuve de Chusa, serviteur d'Hérode. C'est une personne que j'ai vue depuis longtemps se rendre utile à la communauté par sa grande activité et les travaux de toute espèce auxquels elle se livrait : maintenant c'est de la cuisine qu'elle s'occupe particulièrement.

Le cénacle a pour gardiens de tout jeunes gens : ce sont, je crois, des fils ou des serviteurs du majordome. Nicodème et Joseph d'Arimathie y vont de temps en temps.

Pendant ces jours-ci, j'ai vu .Jésus apparaître en plusieurs endroits : la dernière apparition a eu lieu en Galilée au delà du Jourdain, dans une vallée ou il y avait une grande école. Plusieurs personnes étaient réunies, parlaient de lui et doutaient de ce qu'on disait de sa résurrection : alors il apparut au milieu d'elles et disparut après leur avoir adressé quelques paroles. Je l'ai vu apparaître ainsi en diverses contrées, mais pas dans les parties les plus éloignées de l'Asie.

6 avril. — J'ai oublié de dire que dernièrement, lorsque les apôtres allaient à Sichar, Pierre dit aux autres d'un air joyeux : " il faut que nous allions en mer prendre des poissons ". Il entendait parler des âmes.

Les apôtres revinrent très vite de Sichar : ils avaient envoyé d'avance à Béthanie un messager chargé d'annoncer leur retour, et de convoquer plusieurs personnes à Jérusalem pour le sabbat : d'autres devaient célébrer le sabbat à Béthanie, car ils avaient déjà établi des lois et des règlements précis. Eux-mêmes ne firent que traverser, sans s'y arrêter, les endroits qui se trouvaient sur leur route. Je vis Thaddée, Jacques le Mineur et Eliud précéder les autres en habits de voyage et se rendre dans la maison de Jean Marc, près de la sainte Vierge, et de Marie Cléophas lesquelles se montrèrent très joyeuses comme si elles ne les eussent pas vus depuis longtemps. Je vis, en outre, que Jacques portait sur son bras un ornement sacerdotal un manteau que les saintes femmes avaient fait pour Pierre à Béthanie, et dont il se revêtait dans le cénacle.

Il était si tard quand les apôtres se réunirent au cénacle, qu'ils ne purent pas prendre le repas qui avait été préparé pour eux, et commencèrent aussitôt à célébrer le sabbat. Ils se revêtirent de leurs habits de cérémonie : on commença, comme toujours, par le lavement des pieds. La lampe fut allumée, et je remarquai qu'ils ne se conformaient pas en tout aux règles qu'observaient les Juifs dans la célébration du sabbat. On ouvrit d'abord les rideaux qui cachaient le Saint Sacrement, devant lequel on plaça un banc. Pierre, ayant à ses côtés Jean et Jacques, fit une méditation ou une prière dans laquelle il était question de l'institution de l'Eucharistie, de la Passion du Seigneur et d'un sacrifice intérieur à offrir à Dieu. Après cela, se tenant debout sous la lampe, ils firent les cérémonies ordinaires du sabbat. Lorsque tout cela fut fini, ils prirent un repas dans le vestibule. Quant à la salle du cénacle, je n'y ai plus rien vu manger depuis l'institution de l'Eucharistie, si ce n'est peut-être un peu de pain et de vin.

Lorsque Jésus leur était apparu les portes fermées, il leur avait dit d'ajouter aux cérémonies du sabbat ce qu'ils venaient de faire en l'honneur du Saint Sacrement. J'ai vu cette nuit quelque chose à ce sujet, mais je l'ai oublié.

Comme on demandait à Anne Catherine ce que c'était que ce banc place devant le saint Sacrement. elle répondit : " C'était le siège qui avait servi à Jésus-Christ lors de l'institution de l'Eucharistie ". Ils l'avaient couvert d'un tapis et y posaient les rouleaux où étaient écrites les prières dont ils faisaient usage. Pierre s'agenouilla devant, ayant Jean et Jacques un peu en arrière de lui, puis après eux, les autres apôtres derrière ceux-ci et les disciples. Quand ils s'agenouillaient, ils courbaient jusqu'à terre et cachaient leur visage de leurs mains. Le voile du calice avait été retiré, mais le linge blanc était placé et pendait des deux côtés. Il n'y avait de disciples présents que ceux qui étaient déjà plus inities que les autres au mystère du Saint Sacrement ; de même dans leur voyage à Sichar, ils n'avaient guère pris avec Eux que ceux qui avaient vu le Seigneur après sa résurrection afin qu'ils pussent l'attester.

La sainte Vierge avait été conduite aujourd'hui à Jérusalem par Marie, mère de Marc; Véronique, qui maintenant se montre en public avec elle, l'y avait accompagnée de Béthanie avec Jeanne Chusa. La sainte Vierge aime à se trouver à Jérusalem, parce qu'elle peut y suivre les traces de son Fils sur sa voie douloureuse, ce qu'elle fait tonte seule à la chute du jour et pendant la nuit. Elle prie et médite dans tous les endroits où il a souffert et où il est tombé, et comme elle ne peut pas les visiter tous parce que les Juifs ont mis des clôtures et amoncelé des décombres sur plusieurs points dans beaucoup d'endroits, elle fait les stations chez elle ou dans la campagne. Elle a dans l'esprit un souvenir très exact de tout le chemin qu'il a suivi et du nombre de pas qu'il a faits, et elle renouvelle ainsi sa Passion dont elle contemple tous les détails en elle-même. Il est certain que la sainte Vierge, aussitôt après la mort du Sauveur, a commencé à faire le Chemin de la Croix et à méditer les mystères de la Passion, et qu'elle a toujours continué depuis à se livrer à ces pieux exercices.

7 avril. — J'ai eu ce soir une vision. Les apôtres célébraient le sabbat. Quand ils eurent fini et déposé leurs habits de cérémonie, je vis un grand repas dans le vestibule : ce n'était pas une communion, mais des agapes comme le dimanche précèdent. Thomas doit avoir célébré le sabbat quelque part dans le voisinage, car je ne je vis arriver qu'après le repas, lorsqu'on était rentré dans la salle du cénacle. Quand je vis ce qui se passait dans l'intérieur de la salle, la soirée n'était pas avancée, et on n'avait pas encore allumé la lampe. Plusieurs apôtres et disciples de Jésus se trouvaient déjà là, et j'en vis arriver d'autres. Ils entrèrent successivement, se revêtirent de longs vêtements blancs et se préparèrent à la prière comme la dernière fois. Pierre et deux autres, dont était encore Jean se revêtirent des habits sacerdotaux qui les distinguaient du reste des assistants. Pierre portait le plus remarquable, celui que j'ai décrit récemment L'autre apôtre qui était près de Jean, avait les yeux noirs et le teint brun.

Pendant que tous se préparaient ainsi, je vis entrer Thomas. Il semblait être en retard, car les autres étaient prêts pour la plupart. Il passa au milieu d'eux pour aller s'habiller. Plusieurs des assistants l'entourèrent et s'entretinrent avec lui : quelques-uns, en lui parlant, le tiraient par les manches de sa robe, d'autres l'interpellaient en faisant avec la main droite des gestes très animés, comme pour affirmer quelque chose. Il était au milieu d'eux comme quelqu'un qui s'habille à la hâte et auquel d'autres déjà habillés affirment la réalité d'un fait extraordinaire qui s'est passé dans cet endroit même et auquel il refuse de croire. Pendant ce temps, je vis entrer un homme qui semblait être un domestique ; il avait une espèce de tablier, et tenait dans une main une petite lampe allumée, dans l'autre un bâton garni d'un crochet avec lequel il tira en bas la lampe suspendue au milieu de la salle ; il l'alluma, la fit remonter à sa place, et quitta la salle. Après cela, je vis encore la sainte Vierge, Madeleine et une autre femme entrer dans la maison, enveloppées dans leurs manteaux. La sainte Vierge et Madeleine vinrent dans la salle, Pierre et Jean allèrent à leur rencontre, et cinq des assistants environ se tinrent près d'elles à peu de distance de la porte et s'entretinrent avec elles. Les autres, pendant ce temps-là. allaient, venaient et conversaient entre eux. La femme qui était venue en troisième avec la sainte Vierge et Madeleine resta dans la pièce antérieure : elle était tout enveloppée dans ses voiles, et très grande, plus grande encore que Madeleine : c'était la personne qui vint à Béthanie après la mort de Lazare, annoncer à ses soeurs l'arrivée de Jésus. Le vestibule était ouvert du côté de l'intérieur : il en était de même d'une partie des salles latérales. Les portes extérieures donnant sur la cour et la cour elle-même étaient fermées. Il se trouvait un très grand nombre de disciples dans les salles latérales.

Aussitôt que Marie et Madeleine furent entrées dans la salle, les portes furent fermées et chacun prit sa place pour la prière. Les deux saintes femmes se tinrent respectueusement des deux côtés de la porte, les mains jointes sur la poitrine. Cependant je vis encore les apôtres commencer par prier à genoux devant le Très Saint Sacrement, puis se lever, faire au-dessous de la lampe les prières accoutumées et chanter des psaumes en choeur. Pierre se tenait en avant de la lampe, je visage tourné vers le Saint Sacrement ; Jean et l'autre apôtre (Jacques le Mineur) étaient à ses côtés, les autres apôtres se tenaient des deux côtés de la lampe. Il n'y avait personne du côté qui regardait le Saint Sacrement : Pierre et les deux assistants, revêtus d'ornements particuliers, tournaient le des à la porte, en sorte .que les deux femmes étaient derrière eux, mais à une certaine distance.

Au bout de quelque temps, il y eut comme une interruption dans la prière : elle paraissait à sa fin et les assistants parlaient de leurs projets, du dessein qu'ils avaient d'aller au bord de la mer de Tibériade et de se partager pour visiter divers endroits. Mais bientôt leurs visages prirent une expression de recueillement et de ferveur extraordinaire excitée par l'approche du Seigneur. Je vis alors Jésus dans la cour, il était tout lumineux et revêtu d'une robe entièrement blanche, avec une ceinture blanche. Il se dirigea vers la porte du vestibule qui s'ouvrit devant lui et se referma derrière lui. Les disciples qui se trouvaient là, voyant la porte s'ouvrir, se retirèrent des deux côtés pour laisser le passage libre. Le Seigneur traversant rapidement le vestibule entra dans la salle et vint se mettre à la place de Pierre, entre Pierre et Jean qui se rangèrent des deux côtés de même que tous les apôtres. Sa démarche n'était pas, à proprement parler, celle d'un homme ordinaire ; et ce n'était pas non plus l'allure d'un esprit qui semble raser la terre : c'était quelque chose qui tenait de l'un et de l'autre. Quand ils s'écartèrent tous devant lui, cela me fit l'effet d'un prêtre revêtu de son aube qui passe à travers la foule serrée des fidèles. En cet instant tout parut dans la salle s'agrandir et s'illuminer, car je vis le Seigneur environné de lumière ; seulement les apôtres étaient sortis de ce cercle lumineux : je crois que sans cela ils n'auraient pas pu voir le Seigneur.

Les prières paroles de Jésus furent : " La paix soit avec vous ! Après quoi, il parla encore à Pierre et à Jean. Tout ce que je me rappelle, c'est qu'il y eut un reproche au sujet de quelque chose qu'ils avaient fait de leur propre autorité, en dehors des règles tracées par lui, et qui à cause de cela ne leur avait pas réussi. Il s'agissait de guérisons de malades, essayées comme ils revenaient de Sichar et de Thenath-Silo, et dans lesquelles ils n'avaient pas exactement suivi ses prescriptions : aussi y avait-il eu des insuccès. Ils avaient agi en partie d'après leurs propres idées et il leur dit que quand ils repasseraient par ces endroits, il faudrait qu'ils procédassent autrement. Je ne me souviens plus de ce que c'était à proprement parler : je crois que dans cette occasion ils avaient pris quelque chose sur eux, qu'il y avait eu un manquement intérieur, un défaut de foi ou d'autres choses semblables. Après quelques discours à ce sujet, Jésus se plaça sous la lampe et le cercle se resserra autour de lui.

Je vis Thomas tout bouleversé lorsqu'il vit le Seigneur, et je le vis se retirer timidement en arrière. Mais Jésus prenant dans sa main droite la main droite de Thomas, introduisit le bout de l'index dans la plaie de sa main gauche, puis il prit de la main gauche l'autre main de Thomas dont il mit le doigt dans la plaie de sa main droite : ensuite, sans découvrir sa poitrine il plaça sous son manteau la main droite de Thomas dont il introduisit l'index et le doigt du milieu dans la plaie de son côté droit. Il dit en même temps quelques paroles que je ne me rappelle plus. Thomas s'écria : " Mon Seigneur et mon Dieu " ! et s'affaissa sur lui-même comme s'il fût tombé en défaillance pendant que Jésus le tenait toujours par la main : ceux qui étaient près de l'apôtre le soutinrent et Jésus le releva. Je sus aussi ce que signifiaient cette défaillance et la manière dont il avait été relevé par Jésus.

Je vis Jésus apparaître revêtu d'une longue robe blanche et complètement transparente. Au commencement je ne vis pas ses plaies ; quand il prit la main de Thomas, je les vis non comme des stigmates sanglants, mais comme de petits soleils rayonnants. Les autres disciples furent vivement émus et sans se trop presser autour de lut, ils avancèrent la tête pour voir ce que le Seigneur faisait toucher à Thomas. Pendant tout. le temps que le Seigneur fut présent, Marie fut la seule dont l'émotion ne se trahit par aucun mouvement extérieur : elle resta absorbée dans une méditation profonde et silencieuse : elle était comme ravie en extase. Madeleine paraissait un peu plus émue, cependant elle faisait bien moins de démonstrations extérieures que les disciples.

Jésus ne disparut pas sur-le-champ, il dit encore quelque chose et demanda à manger. Je vis qu'on lui apporta de nouveau de l'endroit où était la table un petit plat ovale, mais qui n'était pas tout à fait comme celui qu'on lui avait apporté la première fois. Il y avait sur ce plat, si je ne me trompe, un peu de poisson dont il mangea après l'avoir bénit, puis il donna le reste, d'abord à Thomas et ensuite à quelques autres.

Après la conversion de Thomas, Jésus dit encore pourquoi il était venu au milieu d'eux quoiqu'ils l'eussent abandonné et pourquoi il ne se rapprochait pas davantage de quelques-uns d'entre eux qui lui étaient restés plus fidèles. J'ai oublié les détails. Il rappela aussi ce qu'il avait dit à Pierre, de confirmer ses frères, et expliqua pourquoi il lui avait dit cela. s'adressant à tous, il leur dit pourquoi il voulait leur donner Pierre pour conducteur quoiqu'il l'eut renié : il fallait que le troupeau eût un pasteur et il parla à ce sujet du zèle de Pierre.

Je vis encore Jean entrer dans le sanctuaire et rapporter sur son bras l'ample manteau brodé et bariole que j'avais vu hier sur le bras de Jacques lorsqu'il vint visiter Marie et auquel j'avais vu dernièrement travailler les saintes femmes de Béthanie. Il avait en outre à la main un bâton creux, long et mince, recourbé par en haut comme une houlette de berger, mais brillant d'un éclat métallique et ressemblant à un grand roseau. Je vis Pierre s'agenouiller devant Jésus et Jésus lui donner à manger quelque chose de rond qui ressemblait à un petit gâteau : je ne me souviens pas d'avoir vu de plat où Jésus eût Du prendre cet objet qui était lumineux. J'appris qu'il communiquait à Pierre une force particulière : je vis aussi que Jésus souffla sur Pierre et répandit en lui un pouvoir, une vertu. Ce ne fut pas proprement une insufflation : il y eut des paroles et une force, une chose essentielle que Pierre reçut ; et pourtant ce n'étaient point des paroles articulées. Jésus approcha sa bouche de la bouche et des deux oreilles de Pierre et il versa cette force dans ces trois organes. Je sus que ce n'était pas encore le Saint Esprit lui-même, mais quelque chose que le Saint Esprit devait vivifier complètement en lui le jour de la Pentecôte. Jésus lui imposa aussi les mains et lui donna un pouvoir et une autorité supérieure sur les autres ; ensuite il le revêtit du manteau que Jean, place auprès de lui, tenait sur son bras et il lui mit le bâton dans la main. Il lui dit aussi que le manteau tiendrait concentrées en lui toute la force et toute l'autorité qu'il lui avait données et qu'il devrait s'en revêtir lorsqu'il aurait à faire usage de son pouvoir.

Jésus parla encore d'un grand baptême qui aurait lieu quand le Saint Esprit serait descendu sur eux ; il ajouta que Pierre, huit jours après, devrait à son tour communiquer aux autres cette force qui venait de lui être donnée. Il dit en outre que quelques-uns d'entre eux devaient déposer la robe blanche qu'ils portaient et en mettre une autre ornée d'un pectoral : d'autres devaient se revêtir de nouveau de cette robe blanche. Il y eut des règles données sur l'établissement de hautes dignités ecclésiastiques parmi eux et sur les consécrations qui devaient les conférer.

Après cela, les disciples présents, sur l'ordre de Jésus, se divisèrent en sept groupes dont chacun avait un apôtre à sa tète. Jacques le Mineur et Thomas se tenaient debout près de Pierre. Les sept groupes qui s'étaient formés sur l'ordre de Jésus, semblaient représenter sept congrégations, sept Églises : je ne sais pas bien ce que représentaient les trois apôtres restés en dehors de ces groupes. (Elle exprima d'abord l'opinion que ceux-ci devaient être les premiers évêques ou des évêques d'un rang supérieur. Toutefois elle ne savait rien de positif à ce sujet.)

Pierre, en vertu de sa nouvelle dignité, fit une allocution adressée à tous : il était devenu comme un autre homme, revêtu d'une force surnaturelle. Les autres l'écoutèrent avec une vive émotion et ne purent retenir leurs larmes : il les consola et leur rappela beaucoup de choses que Jésus avait annoncées d'avance à plusieurs reprises, et qui maintenant étaient arrivées à leur accomplissement. Il dit aussi, je m'en souviens, comment Jésus, pendant les dix-huit heures qu'avait duré sa Passion, avait subi les injures et les outrages du monde entier : il fut dit dans cette occasion de combien il s'en fallait que la trente-quatrième année du Sauveur fût accomplie. Je l'ai dit exactement il y a peu de temps. Pendant le discours de Pierre, Jésus avait disparu. Aucun mouvement d'effroi ou de surprise n'interrompit l'attention excitée par le discours de Pierre, lequel parut revêtu d'une force toute nouvelle On chanta ensuite un psaume d'actions de grâces. Aujourd'hui Jésus n'a parlé ni a sa mère ni à Madeleine.

Pendant que Jésus parlait des consécrations qui devaient avoir lieu après la descente du Saint Esprit, j'eus une vision touchant un grand baptême donné près de la piscine de Béthesda, et je vis, à cette occasion, le manteau de Pierre : il était brodé de fleurs blanches et rouges, et maintenu sur la poitrine par un fermoir carré ressemblant à une plaque de métal. Cette plaque était divisée par une raie en deux moitiés : sur l'une était un agneau, sur l'autre une figure qui semblait enveloppée dans un long manteau étroitement serre par en bas, mais je ne me rappelle plus ce détail que confusément. J'ai vu cela comme dans une vision accessoire, de la même manière que je vois les choses dont parle Jésus. Il avait été question, dans le discours de Jésus, de la consécration sacerdotale et de l'Esprit du Père qu'il voulait envoyer. Le manteau était très ample, il tombait jusque sur les pieds et avait une queue par derrière. Il était blanc, avec de larges raies rouges dans le sens de la longueur, et brodé d'épis, de pampres de vigne, d'épis et d'autres figures encore, tout cela rouge, vert et jaune. Les deux raies rouges les plus rapprochées des deux bords antérieurs étaient croisées par d'autres raies transversales fort courtes sur lesquelles étaient des lettres formant quelques mots dont j'ai oublié le sens. Le manteau avait encore un collet et un capuchon qui se relevaient autour du cou et sur la tête. Le capuchon pouvait se rabattre par derrière. Il était bleu de ciel ainsi que le collet.

Pendant toute la durée de cette vision, Anne Catherine ressentit des douleurs très vives au côté droit, mais surtout au moment où Thomas mit le doigt dans la plaie du côté de Jésus : alors, le sang sortit abondamment du côté de la pieuse fille.

"Après cela, dit-elle, je vis encore les apôtres rendre grâces et chanter des psaumes. Le Seigneur avait dit à Pierre, entre autres choses, d'aller avec ses compagnons prêcher près de Tibériade".

8-10 avril. — Je les vis déposer leurs habits de cérémonie et se préparer au voyage. Ils allèrent par groupes séparés suivirent d'abord la voie douloureuse de Jésus jusqu'au Calvaire, puis se rendirent à Béthanie où ils prirent avec eux divers disciples. Ils se dirigèrent alors vers la mer de Galilée, divisés en plusieurs groupes, et par des chemins différents. Pierre ayant avec lui Jean, Jacques le Majeur, Thomas, Nathanaël, Jean Marc et Silas, ce qui faisait sept personnes en tout, prit la route de Tibériade. Ils laissèrent Samarie à gauche. Tous les apôtres suivirent des chemins qui leur faisaient éviter les endroits habités.

NOTE : Ce qu'elle se rappelle ici d'une manière confuse faisait peut-être allusion à ce qu'elle avait déjà entendu dire pendant la sainte cène, que le jour de la sainte Trinité, c'est-à-dire huit jours après la Pentecôte, Pierre et Jean devaient conférer aux autres la consécration sacerdotale. (Note du Pèlerin.)

Ils arrivèrent devant Tibériade à une pêcherie que Pierre avait tenue à loyer autrefois, et qu'occupait présentement un autre homme : c'était un veuf avec deux fils. Ils prirent quelque nourriture chez cet homme et j'entendis Pierre dire qu'il n'avait pas pêche en cet endroit depuis trois ans.

Ils montèrent sur deux barques dont l'une était un peu plus grande et meilleure que l'autre. Je vis que les compagnons de Pierre lui firent les honneurs de la grande barque : il y monta avec Nathanaël, Thomas et un serviteur du pêcheur : Jean, Jacques, Jean Marc et Silas étaient dans l'autre barque. Pierre ne souffrit pas que personne ramât à sa place : il voulut ramer lui-même, car malgré les faveurs signalées qu'il venait de recevoir de Jésus-Christ, il était resté extraordinairement humble et modeste. Je le vis particulièrement se montrer tel vis-à-vis de Nathanaël, qui était un homme instruit et de manières plus distinguées.

Je les vis toute la nuit naviguer de côté et d'autre avec des falots, jeter plusieurs fois le filet entre les deux barques et toujours le retirer vide. Je les entendis dans les intervalles prier à haute voix et chanter. Vers le matin, quand le jour commença à poindre, les navires avant dépassé le point où le Jourdain sort du lac, se rapprochèrent de la rive orientale, et, comme ils étaient fatigués, ils voulurent jeter l'ancre près de terre. Ils as aient ôté leurs habits pour pêcher, n'ayant qu'une bande d'étoffe autour des reins, et une espèce de petit manteau sur les épaules : ils allaient remettre leurs vêtements et prendre un peu de repos lorsqu'ils aperçurent une figure derrière les roseaux du rivage. C'était Jésus qui leur cria : "Enfants, avez-vous quelque chose à manger " ? à quoi ils répondirent qu'ils n'avaient rien. Alors Jésus leur cria de nouveau qu'il fallait jeter le filet à l'ouest de la barque de Pierre. C'est ce qu'ils firent en effet, et Jean fut obligé à cause de cela, de venir se placer avec sa barque de l'autre côté de celle de Pierre. Dès qu'ils sentirent combien le filet était chargé. Jean reconnut Jésus et cria à Pierre par dessus la mer, alors fort tranquille : " C'est le Seigneur ! ". Alors Pierre passa sa robe en toute hâte, sauta dans l'eau et se frayant passage à travers les roseaux, aborda à l'endroit où était Jésus. Jésus, de son côté, vint sur un petit canot très loger qui était amarré à son navire. Il y avait deux de ces canots attachés ensemble : on en poussait un en avant de l'autre, et on arrivait à terre en passant dessus. Il n'y avait place que pour une personne, et on en faisait usage quand on était séparé du rivage par des bas-fonds.

Pendant que les apôtres pêchaient sur le lac, je vis le Sauveur accompagné d'âmes des patriarches qu'il avait tirées des limbes, et d'autres âmes également délivrées de la prison qu'elles subissaient en divers lieux dans des cavernes, des marécages et des déserts, arriver ici comme volant au ras de terre : il venait de la vallée de Josaphat. Je dois maintenant faire connaître une chose que je n'avais jamais osé dire. Pendant ces quarante jours, je vois Jésus, quand il n'est pas avec les disciples, visiter les lieux où il a fait quelque chose de remarquable pendant sa vie mortelle, en compagnie des âmes qui lui touchent de plus près depuis Adam et Eve jusqu'à Noé, Abraham, les autres patriarches et tous ses ancêtres, leur montrer et leur enseigner tout ce qu'il a fait et souffert pour eux, ce qui les remplit d'une consolation ineffable et excite en eux des transports de reconnaissance qui achèvent de les purifier. Pendant ce temps, il leur enseigna d'une certaine manière les mystères de la nouvelle alliance en vertu de laquelle ils étaient délivrés de leurs chaînes. Je le vis avec eux à Nazareth, dans la grotte de Bethléem, et partout où il lui était arrivé quelque chose de remarquable. Quoique ces âmes n'aient pas de sexe, il y a pourtant dans la manière dont elles se manifestent, je ne sais quoi de plus délicat ou de plus énergique qui peut faire reconnaître si elles ont animé sur la terre des corps d'hommes ou de femmes. Je les vois toutes comme revêtues de longs vêtements étroits avec des extrémités flottantes qui brillent et qui semblent s'allonger derrière elles. Leurs cheveux n'ont pas l'apparence de cheveux, mais de rayons qui représentent quelque chose ; des rayons semblables remplacent aussi, pour ainsi dire, la barbe des hommes. Quoiqu'ils n'aient pas d'insignes extérieurs, je vois pourtant quelque chose par quoi sont distingués les rois et surtout les prêtres qui, à partir de Moïse, ont été en rapport avec l'Arche d'alliance : dans ces voyages du Sauveur, je le vois toujours entouré d'eux, en sorte qu'ici aussi règne partout l'esprit de la hiérarchie. Toutes ces apparitions se meuvent avec une grâce et une dignité extraordinaires, et elles glissent dans l'air comme si elles planaient, légèrement penchées en avant : elles ne touchent pas la terre comme des êtres qui pèsent mais elles semblent la raser en planant.

Je vis le Seigneur arriver au bord du lac avec ces âmes, comme les apôtres prêchaient encore. Il y avait derrière une chaussée un enfoncement où se trouvait sous un abri un foyer qui était peut-être à l'usage des bergers. Je ne vis pas Jésus allumer du feu, ni prendre un poisson, ni le recevoir d'ailleurs. Le feu, le poisson et tout le reste se montrèrent tout à coup en présence des âmes des patriarches, au moment ou le Seigneur eut la pensée que du poisson devait être apporté là. Comment cela se fit-il ? c'est ce que je ne saurais dire.

Les âmes des patriarches se trouvaient intéressées à la préparation de ce poisson. Il figurait l'Église souffrante, les âmes qui étaient à l'état de purification. Ce repas fut comme le lien extérieur qui les unissait à l'Eglise. En leur faisant manger de ce poisson, Jésus donna aux apôtres la notion de l'union établie entre l'Eglise souffrante et l'Église militante. Jonas dans le ventre du poisson représente aussi le séjour de Jésus dans le monde inférieur. Devant la hutte était couchée une poutre qui servit de table.

J'avais vu déjà tout cela lorsque Jésus franchissant la chaussée arriva au bord du lac. Pierre ne nagea pas : il passa à gué dans l'eau : on pouvait voir le fond, cependant il y avait une certaine profondeur. Comme il se trouvait déjà près de Jésus, Jean arriva à son tour et ceux qui étaient restés sur la barque crièrent à ceux qui étaient à terre de les aider à tirer le filet. Jésus dit alors à Pierre d'apporter les poissons : ils tirèrent le filet à terre et je vis Pierre en tirer les poissons et les jeter sur le rivage. Ou en compta cent cinquante-trois de toute espèce, et j'appris sur la signification de ce nombre quelque chose que j'ai oublié. Il y avait sur la barque plusieurs hommes au service du pêcheur de Tibériade, lesquels restèrent près du poisson et de la barque : quant aux apôtres et aux disciples, ils allèrent avec Jésus jusqu'à la cabane et il leur dit de manger. Quand ils arrivèrent, je vis que les esprits des patriarches avaient disparu. Ils furent très surpris de voir le feu allumé, un poisson qui n'était pas de ceux qu'ils avaient pris, du pain et une gaufre au miel.

NOTE : Elle dit que c'étaient des rôties faites de miel et de farine, qu'on en mettait ordinairement une grande entre deux plus petites, qu'on les appelait gaufres au miel et que ce nom se rencontre dans la Bible. Le Pèlerin lui ayant fait remarquer qu'elle n'avait pas la Bible et qu'elle ne la lisait pas, elle répondit : Je l'ai entendu ainsi nommer : c'est ainsi que cela s'appelle). (Note du Pèlerin)

Les apôtres et les disciples se placèrent près de la poutre et Jésus fit pour ainsi dire les honneurs. Il donna à chacun sur un morceau de pain une part de poisson qu'il prit dans la poêle et je ne vis pas que le poisson diminuât. Il Leur donna aussi du gâteau au miel, se mit lui-même à table et mangea. Tout cela se lit avec beaucoup de calme et de solennité.

Thomas avait été le troisième de ceux qui avaient eu sur la barque un sentiment de la présence de Jésus. Tous étaient fort intimidés, car Jésus avait une apparence plus surnaturelle que les autres fois d'ailleurs il y avait dans ce repas et dans toutes les circonstances qui l'accompagnaient quelque chose de mystérieux : personne n'osait l'interroger et tout était empreint d'une gravité calme et d'une solennité qui les jetaient dans un profond étonnement. Jésus se montra plus vêtu qu'à l'ordinaire et on ne voyait pas ses plaies.

Après le repas je vis Jésus se lever et les disciples aussi: je le vis aller et venir avec eux le long du rivage, puis s'arrêter et dire à Pierre d'un ton solennel: "Simon, fils de Jonas, m'aimes-tu plus que ceux-ci"! Pierre lui répondit timidement: "Oui, Seigneur, vous savez que je vous aime"! Alors Jésus lui dit: "Pais mes agneaux" ! Et dans le même moment j'eus une vision touchant l'Église et l'évêque suprême, je vis comment il enseignait et guidait les premiers chrétiens qui étaient encore faibles ; et je vis baptiser et laver beaucoup de néophytes comme de tendres agneaux.

Il y eut alors quelques instants de silence sans qu'ils cessassent de marcher : Jésus s'arrêtait parfois en tournant la tête et tous venaient à lui : puis enfin il dit de nouveau à Pierre : "Simon, fils de Jean, m'aimes-tu!" Pierre, tout intimidé au souvenir de son reniement, lui répondit avec beaucoup d'humilité : "Oui Seigneur, vous savez que je vous aime" ! Et Jésus dit encore d'un ton solennel : "Pais mes brebis" ! J'eus au même instant une vision sur l'Église grandissante et ses persécutions; je vis comment l'évêque suprême rassemblait les chrétiens dispersés dent le nombre s'augmentait toujours, les soutenait, leur envoyait des pasteurs délégués par lui et les gouvernait.

Après une nouvelle pause, quand ils eurent encore marché, Jésus dit une troisième fois : " Simon, fils de Jonas, m'aimes-tu " ! Et je vis Pierre tout contristé parce que ces interrogations répétées lui faisaient croire que Jésus doutait : il se souvint de son triple reniement et répondit : " Seigneur, vous savez tout, vous savez que je vous aime " ! Je vis alors Jean se dire intérieurement : " Ah ! quel doit être l'amour de Jésus et quel doit être celui d'un pasteur puisque ayant confié son troupeau à Pierre il l'interroge trois fois sur son amour " ! Jésus dit encore : " Pais mes brebis ! En vérité ! en vérité, je te le dis, quand tu étais jeune, tu te ceignais toi-même et tu allais où tu voulais : mais quand tu seras devenu vieux, tu étendras tes mains, un autre t'attachera et te conduira où tu ne veux pas aller. Suis-moi !"

Alors il se retourna pour reprendre sa marche ; Jean alla à côté de lui, et Jésus lui dit en particulier quelque chose que je n'entendis pas. Mais Pierre, voyant cela, demanda au Seigneur en montrant Jean : " Seigneur ! qu'adviendra-t-il de celui-ci " ? Et Jésus blâmant sa curiosité, lui répondit : " Si, je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je veuille, que t'importe ? Toi, suis-moi " ! Alors il se retourna de nouveau et ils allèrent plus loin.

Lorsque Jésus dit pour la troisième fois : " Pais mes brebis " ! et ajouta que Pierre dans sa vieillesse serait chargé de liens et emmené malgré lui, je vis un tableau de l'Église avant pris son développement ; je vis Pierre enchaîné et crucifié à Rome, et je vis en divers lieux les saints martyrs livrés au supplice.

Je vis qu'il fut aussi donné à Pierre de voir cela en esprit et de connaître sa fin, et que, jetant les yeux sur Jean, il eut une vision où l'avenir de celui-ci lui fut révélé et ou il le vit marchant à la suite de Jésus à travers beaucoup de souffrances, sans toutefois cesser de le voir corporellement devant lui. Il se dit alors à lui-même : "est-ce que celui-ci que Jésus aime tant ne doit pas être aussi crucifié comme lui?" C'est pourquoi il interrogea Jésus qui le réprimanda. J'ai vu aussi que quelques-uns comprennent mal ces paroles de Jésus et les interprètent comme s'il avait dit : "Je veux qu'il demeure ainsi" ; tandis qu'il a dit : "Si Je veux qu'il demeure". Les autres apôtres qui avaient entendu ces paroles, crurent, eux aussi, que Jean ne mourrait pas ; cependant il est mort. J'eus à cette occasion une vision sur ses derniers moments et sur un séjour qui lui fut assigne après sa mort.

Ils marchèrent encore quelque temps avec Jésus qui leur indiqua ce qu'ils devaient faire pour le moment et qui ensuite disparut à leurs yeux. Ils l'avaient accompagné à l'est du lac dans la direction de Gergesa ; ils revinrent ensuite à Tibériade, mais sans repasser par l'endroit où il les avait fait manger avec lui.

Aucun des poissons pris par les apôtres ne figura dans ce repas. Jésus ayant dit qu'on les apportât, Pierre les jeta les uns après les autres aux pieds de Jésus et on en fit le compte. C'était une manière de reconnaître qu'ils n'avaient pas pris ces poissons par leurs propres efforts et pour eux-mêmes, mais par son opération miraculeuse et pour lui. Lorsque les poissons eurent été déposés à ses pieds, le Seigneur dit : " Venez manger " ! Et il lés conduisit au delà du coteau ou de la chaussée dans un endroit ou l'on ne voyait pas le lac et où était la cabane de terre avec le foyer. Jésus ne se mit pas à table, mais il alla de la poêle aux disciples et porta à chacun sa part de poisson sur un morceau de pain. Il bénit aussi les portions et je les vis devenir lumineuses. Les gâteaux au miel n'étaient point dans la poêle : ils étaient préparés d'avance et posés les uns sur les autres : il les partagea de même. Lorsque tous eurent reçu leur part, il mangea à son tour. Il n'y avait qu'un poisson dans la poêle, mais il était plus grand qu'aucun des autres : il avait à peu près les dimensions d'un enfant.

Il y eut dans ce repas quelque chose de mystérieux : la présence des âmes des patriarches et des autres âmes, avant qu'il commençât, et la part qu'ils avaient prise en quelque sorte à sa préparation, la vocation de Pierre qui vint après, tout cela joint à un avertissement intérieur dont je ne puis plus bien rendre compte, me dit que l'Église souffrante, les âmes retenues dans le troisième séjour furent ici incorporées à l'Église militante et soumises à l'autorité de Pierre, et que cela se fit dans ce repas mystique. J'en eux la conviction pendant la vision, Quoique je ne puisse dire comment : c'est pour cela aussi que Jésus conclut par sa prophétie relative à la mort de Pierre et à la destinée future de Jean.

Après cela, Jésus alla avec les âmes des patriarches dans la contrée où il avait chassé les démons dans le corps des pourceaux : il y délivra encore plusieurs âmes qui étaient retenues là dans des lieux ténébreux et déserts : car dans ce pays on avait souvent mis à mort des possédés, quoique innocents, dont les âmes attendaient leur délivrance définitive après avoir paru devant le tribunal de Dieu.

Les poissons furent jetés dans les barques et transportés a la ville par les gens au service du pécheur qui avaient accompagné les apôtres.

Lorsque je vis près du feu les âmes des patriarches, me sembla qu'elles coopéraient en quelque chose à la préparation du repas ou qu'elles y prenaient une certaine part : cependant je ne puis pas dire clairement quelle part elles y prirent. Quand Jésus alla près du lac, tout était prêt.

Lorsque Jésus dit en parlant de Jean : "Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe?" J'eus une vision sur la mort de l'apôtre qui eut lieu à Éphèse, où il se coucha lui-même dans le tombeau, s'entretint avec ses disciples et mourut, ainsi que je l'ai déjà vu dans une autre occasion. Je vis aussi que son corps n'est pas resté sur la terre : je vis entre le levant et le nord, un lieu resplendissant comme un soleil et j'y vis Jean comme un intermédiaire recevant d'en haut quelque chose qu'il transmet en bas. Ce lieu m'apparut comme faisant partie de la terre et pourtant comme très élevé au-dessus d'elle et tout à fait inaccessible. J'ai vu aussi que le paradis existe encore au-dessus de cette région, mais séparé de tout le reste. Je vis quatre lieux semblables placés aux quatre points cardinaux du monde : mais je ne me rappelle plus ce qui s'y trouvait. Je ne vis pas cette fois le séjour de Jean comme la montagne des Prophètes, car je n'y allai pas moi-même. mais il m'apparut de loin comme un corps resplendissant.

Le pêcheur de Tibériade fut de ceux qui plus tard se séparèrent de la communauté lors des enseignements pleins de sévérité que Jésus donna sur la montagne de Thébez, mais ses fils restèrent. J'ai su leurs noms à plusieurs reprises mais je les ai toujours oubliés.

Quelques jours après, Anne Catherine étant en état d'extase, ajouta ce qui suit sur les noms des trois pêcheurs de Tibériade qui, après la pêche miraculeuse, allèrent avec les apôtres à Thébez où le Seigneur devait se montrer. Le père s'appelait Aminadab. Les deux fils qui avaient l'un vingt ans, l'autre dix-huit, s'appelaient Isaac et Josaphat. Le père revint chez lui et recommanda ses fils à Pierre qui les employa à son service.

Ce fut sur un ordre donné intérieurement pal Jésus que le poisson qui devait figurer au repas donné près du lac se trouva aussitôt sur le feu, en présence des âmes des patriarches que ce poisson intéressait particulièrement : car il était le symbole de l'Église souffrante, des âmes détenues dans le purgatoire. Celles-ci furent dans ce repas unies à l'Église par un signe extérieur, et Jésus donna par là aux apôtres l'idée de l'union qui existe entre l'Église souffrante et l'Église militante.

Les cent cinquante-trois poissons que prirent les apôtres lorsque le Seigneur leur eut dit : "N'avez-vous rien à manger?" indiquaient cent cinquante-trois personnes qui se convertirent à Thébez.

11 avril. — Après l'apparition de Jésus près du lac, je le vis avec les patriarches dans la contrée de Gergesa où il délivra plusieurs âmes de l'exil qu'elles subissaient : je le vis aussi avec toutes ces âmes dans le paradis. J'ai revu à cette occasion toutes les beautés du paradis aussi distinctement que jamais. Je vis qu'il leur expliqua tout ce que nos premiers parents avaient perdu par l'effet de la chute originelle et combien ils étaient heureux qu'il pût Ici racheter après cette chute. Je vis que ces âmes avaient ardemment soupiré après la rédemption, mais qu'elles ignoraient de quelle manière elle s'opérerait. comme les hommes aussi l'avaient ignoré, je vis Jésus procéder avec elles de la façon qui leur était la plus profitable suivant leur état, et leur donner des enseignements comme il l'avait fait pour les hommes durant le cours de sa vie mortelle.

J'appris de nouveau à cette occasion que l'homme avait été créé pour remplir dans le ciel la place des anges déchus. Si le péché originel n'avait pas eu lieu, il se serait multiplié jusqu'au moment où le chiffre de ces anges aurait été atteint, et alors la création aurait eu son terme. Mais par suite de la chute originelle, la propagation du genre humain était devenue une dispersion, ayant en elle-même une action destructive : il semblait que la génération eût été souillée par le mélange d'un élément impur et ténébreux : c'est pourquoi la sentence de mort qui en était la conséquence avait été aussi un bienfait. Quant à la fin du monde et à tout ce qu'on en dit, Anne Catherine avait l'assurance qu'elle n'arriverait pas, jusqu'à ce que tout le froment eut été moissonné et sépare d. la paille pour remplir les places laissées vides par les anges déchus.

Je vis Jésus sur de grands champs de bataille, et je le vis expliquer aux âmes tous les événements au moyen desquels elles avaient été conduites dans la voie du salut : pendant qu'il leur parlait je voyais le spectacle des batailles et toutes choses comme si elles s'étaient passées en ce moment. Je crois que les âmes virent aussi tout cela. Je vis les principaux événements de la vie de Noé, de celle d'Abraham quand il était dans le pays d'Ur, et de celle de plusieurs prophètes.

Pendant que ces âmes passaient ainsi en troupes, je ne vis jamais personne témoigner de l'effroi, au contraire il se répandait sur le pays qu'elles traversaient comme un souffle doux et agréable et toutes les créatures étaient dans la joie. Jésus apparut aussi à sa mère en compagnie des patriarches lorsqu'il sortit des limbes avec eux : il est allé en outre dans tous les lieux où les apôtres portèrent d'abord l'Évangile et il a sanctifié ces lieux par sa présence. Il a parcouru pour ainsi dire toute la nature.

Lorsque Jésus eut disparu près du lac en présence des quatre apôtres et des trois disciples, ceux-ci revinrent à Tibériade chez le pécheur Amidanab. On était dans l'après-midi quand ils arrivèrent chez cet homme qui, depuis deux ans déjà, avait été mis par Pierre en possession de cette pêcherie. Ils prirent là un repas ; Pierre raconta les miracles dont ils avaient été témoins, l'apparition du Sauveur, le repas au Nord du lac, la pêche merveilleuse, et il enseigna sur la nécessité de suivre Jésus et de renoncer à tout. Le vieux pêcheur, qui avait vu arriver la barque pleine de poissons et auquel ses fils. de Leur coté, avaient raconté ce qu'ils avaient vu, prit la résolution de quitter tout ce qu'il possédait. Les poissons furent distribués aux pauvres, il céda sa pêcherie à un autre et il partit dans la nuit pour aller rejoindre les disciples avec ses deux fils Isaac et Josaphat. Ils suivirent quelque temps le bord occidental du lac, après quoi ils entrèrent dans l'intérieur des terres. J'appris que les vues de ce pêcheur n'étaient pas entièrement pures, et qu'en renonçant à ce qu'il possédait il croyait trouver plus tard une compensation avantageuse.

12 avril. — Les apôtres arrivèrent au point du jour près d'une synagogue assez grande, située dans une plaine, entre trois villages, et entourée de quelques hôtelleries, ils trouvèrent là plusieurs disciples réunis. Ils prirent quelques rafraîchissements et se reposèrent un peu. Pierre raconta aux autres la pêche miraculeuse, le repas près du lac et ce qu'avait dit Jésus. Ensuite il enseigna dans l'école, parla de la pêche et exhorta à suivre Jésus, ce qu'il avait déjà fait sur sa route : les autres disciples étaient attristés de ce que Jésus ne leur avait pas adressé la parole. Cet endroit est à quelques lieues au midi de Tibériade. Un très grand nombre de personnes s'y étaient réunies, parmi lesquelles beaucoup de malades et un certain nombre de possédés : Pierre seul opéra des guérisons au nom de Jésus ; les autres apôtres et disciples l'assistèrent et enseignèrent. Beaucoup de gens de bien, affectionnés pour la plupart à la doctrine de Jésus, étaient venus de toute la contrée, convoqués par les disciples et attirés par les bruits qui s'étaient répandus. Pierre enseigna devant eux dans la synagogue sur les souffrances du Seigneur et sur sa résurrection : il raconta comment il s'était montré à eux, parla du miracle récent de la pêche et les invita à marcher à la suite de Jésus. Les auditeurs furent vivement émus, car la manière d'être de Pierre est totalement changée depuis les deux dernières apparitions. Il est plein d'enthousiasme et de douceur, et il remua tellement les coeurs de ces gens que tous voulaient aller aussitôt avec lui et qu'il fut obligé d'ordonner à un grand nombre d'entre eux de retourner dans leurs maisons et d'y rester.

Cependant Pierre, accompagné des autres disciples et de beaucoup de gens qui le suivaient par troupes, partit dans l'après-midi et fit plusieurs lieues dans la direction de l'ouest. La contrée où ils allaient était élevée : il s'y trouvait, au nord, une vallée extraordinairement fertile, où je vois souvent au milieu de l'hiver l'herbe la plus haute et la plus belle du monde ; car ce pays est arrosé par un cours d'eau qui, dans la saison chaude, est souvent à sec. Quelquefois la vallée est entièrement inondée par l'eau des pluies qui descend des coteaux. Ils arrivèrent sur le plateau, près d'une hauteur isolée dont la circonférence est au moins égale à celle de Dulmen. La plaine qui entoure cette colline est couverte de maisons derrière lesquelles se trouvent des jardins adossés à la colline, qui n'est pas beaucoup plus élevée que les maisons. Cinq chemins bordés de haies et d'arbres y conduisent et il y a au sommet une grande plate-forme où quelques centaines d'hommes peuvent se tenir commodément.

On a là, de tous les côtés, un vaste horizon devant soi la vue est très belle et s'étend au delà de la mer de Galilée. Non loin de là se trouve la montagne sur laquelle le Seigneur a nourri miraculeusement une grande multitude ; c'est aussi dans cette contrée qu'il a fait les sermons sur la montagne. Il y a là, dans le bas, une source qu'on appelle, je crois, la fontaine de Capharnaüm. Ils arrivèrent ici le soir et y trouvèrent les autres apôtres, beaucoup de disciples et toutes les saintes femmes a l'exception de la mère de Dieu et de Véronique. La femme et la fille de Pierre, ainsi que les femmes d'autres apôtres, celles d'André et de Matthieu, si je ne me trompe, étaient aussi venues ici de Bethsaïde. Il y avait en outre une quantité de personnes dont beaucoup étaient venues avec les disciples. Les apôtres et les disciples savaient qu'on devait se réunir en cet endroit. Ils se divisèrent en plusieurs groupes dont quelques-uns occupèrent des hangars qui se trouvaient là. Pierre et ses compagnons, après s'être lavé les pieds, racontèrent la pêche miraculeuse aux apôtres et aux saintes femmes. Ils prirent ensuite quelque nourriture et aussitôt après Pierre, accompagné des autres, se rendit au haut de la colline où quelques-uns des disciples.

Il y avait sur cette hauteur un enfoncement au milieu duquel s'élevait une vieille colonne toute couverte de mousse : elle était creuse et on pouvait y monter comme dans une chaire à prêcher. L'enfoncement au milieu duquel elle se trouvait était disposé en amphithéâtre, de manière à ce qu'un grand nombre d'auditeurs pussent se placer les uns au-dessus des autres. Pierre plaça cinq apôtres sur les cinq chemins qui conduisaient au haut de la montagne et ceux-ci enseignèrent le peuple qui les entourait, parce que la foule était trop nombreuse pour que tous pussent entendre Pierre. Il se tenait debout, appuyé à la colonne, ayant autour de lui les apôtres, les disciples et un nombreux auditoire : il raconta la Passion, la résurrection et les apparitions du Seigneur et exhorta à marcher à sa suite. Cependant je vis bientôt Jésus arriver du même côté par lequel Pierre était venu. Il gravit la montagne : les saintes femmes qui se trouvaient sur son chemin se prosternèrent devant lui et il s'entretint avec elles en passant. Mais lorsqu'il traversa la foule tout lumineux plusieurs frissonnèrent et furent saisis d'effroi c'étaient ceux qui ne devaient pas lui rester fidèles. Il arriva à travers la foule près de la colonne contre laquelle se tentait Pierre. Celui-ci se trouvait alors en face de lui, parlant de la nécessité de tout quitter pour le suivre et de la persécution qu'ils auraient à souffrir : il y eut bien deux cents des assistants qui s'éloignèrent quand ils l'entendirent tenir ces discours.

Quand ils furent partis, le Seigneur dit que précédemment il avait parlé avec douceur pour ne pas scandaliser les faibles. Mais cette fois il parla avec beaucoup de véhémence des souffrances et des persécutions réservées à ceux qui marcheraient à sa suite sur la terre et de la récompense éternelle qui les attendait. Il s'adressa particulièrement aux apôtres et aux disciples comme il l'avait déjà fait dans ses dernières instructions données au temple.

Il leur dit qu'ils devaient d'abord rester à Jérusalem, qu'ensuite lorsqu'il leur aurait envoyé l'Esprit, ils auraient à baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, et à fonder d'abord une communauté. Il dit après cela qu'il leur faudrait se séparer pour fonder des communautés dans des pays plus éloignés, puis se réunir de nouveau, se disperser encore dans des pays lointains, et enfin recevoir le baptême du sang.

Pendant que Jésus parlait, les âmes des patriarches entouraient toute l'assemblée, mais en restant invisibles. Cependant Jésus disparut comme une lumière qui s'éteint, et beaucoup de personnes se prosternèrent la face contre terre. Après cela Pierre pria et enseigna encore.

Ce fut là la principale apparition de Jésus en Galilée : il y enseigna devant une assemblée nombreuse à laquelle il donna ainsi la preuve de sa résurrection ; les autres apparitions n'eurent lieu qu'en présence d'un petit nombre de témoins.

14 avril. — Je vis les apôtres dans un endroit où Pierre, Thaddée, André, Jacques le Mineur et encore un autre apôtre opérèrent sur plusieurs malades des guérisons qu'ils avaient tentées sans succès quelque temps auparavant, par suite d'une faute intérieure que Jésus leur avait reprochée lors de son apparition. Cette faute avait été de vouloir contrefaire l'incomparable dignité qui distinguait Jésus dans tout ce qu'il faisait : ils avaient procédé d'une manière affectée et solennelle, et, au lieu de donner en toute humilité ce qu'ils avaient reçu, ils avaient agi comme s'ils l'eussent tiré de leur propre fond : c'était pour cela qu'en définitive leurs tentatives n'avaient pas réussi Aujourd'hui je fus très touchée de les voir s'humilier, s'agenouiller près des malades et leur demander pardon de ne les avoir pas guéris : je vis alors tous ces malades recouvrer complètement la santé. Il se trouvait là jusqu'à des gens venus de Cédar.

C'était comme une espèce d'hôpital : il y avait des hydropiques, des lépreux séparés des autres, etc. J'ai oublié en quoi consistait au juste leur faute : il y avait quelque autre chose que ce que j'ai dit : ils semblaient avoir agi trop naturellement et n'avoir pas assez tenu compte de l'efficacité des souffrances de Jésus : cependant je ne puis pas le dire avec certitude. Thomas fut l'un de ceux qui opérèrent des guérisons en cette circonstance : il ne s'était pas trouvé avec les autres la première fois. Je ne vois pas Jean opérer beaucoup de guérisons ; il est plus occupé de choses intérieures.

Les malades guéris par les apôtres allèrent avec eux à Béthanie après le sabbat.

Pendant ce temps-là, la mère de Dieu était à Jérusalem dans la maison de Jean Marc. Véronique, Nicodème et Joseph d'Arimathie la visitaient sans rien craindre. Chaque jour elle parcourait la voie douloureuse, le soir, le matin ou pendant la nuit, et là où l'accès des lieux sanctifiés était rendu impossible par des clôtures, elle s'en rapprochait par des chemins détournés. Elle avait aussi dans la maison qu'elle habitait sept stations où elle priait en mémoire de la Passion.

Les Juifs, non contents d'avoir privé des emplois publics et exclu de la synagogue tous ceux qui s'étaient déclarés pour Jésus et frayaient avec les disciples, avaient en outre coupé de fossés les endroits de la voie douloureuse ou Jésus était tombé et où il lui était arrivé quelque chose de particulier, et ils avaient fermé par des haies et des barrières tous les chemins qui menaient au Calvaire. Ils en avaient fait autant pour divers sentiers conduisant aux lieux où la plupart des partisans de Jésus habitaient et avaient coutume d'aller. Je fus très étonnée de voir que, dans tel de ces chemins, on se trouvait pris comme dans une impasse et obligé de revenir sur ses pas. Les chemins qui aboutissaient au Calvaire furent rouverts à plusieurs reprises pendant la nuit par les amis de Jésus.

15 avril. — Je vis les apôtres à Béthanie. Une grande quantité de personnes s'y étaient rassemblées ; il y en avait bien trois cents, et dans ce nombre une cinquantaine de femmes ; tous avaient suivi ici les apôtres et avaient mis leurs biens en commun. Les apôtres et les disciples célébrèrent dans la maison de Lazare des agapes solennelles où l'on fit la fraction du pain, et où l'on fit passer la coupe de main en main. Cela se fit sans qu'il y eût consécration, c'était une simple cérémonie en signe d'union. Ce repas eut lieu dans la salle qui donnait sur la cour, toutes les portes étant ouvertes ; après quoi Pierre enseigna tous les assistants et une foule nombreuse. Il se trouvait plusieurs espions dans l'auditoire, et quand Pierre promit de subvenir complètement aux besoins de ceux qui quitteraient tout pour se joindre à lui, les railleurs tournèrent ses paroles en dérision, disant qu'il ne possédait rien lui-même, qu'il n'était qu'un misérable pêcheur et un vagabond qui pouvait à peine fournir à la subsistance de sa propre femme.

Pierre disait tout cela pour se conformer aux ordres de Jésus, plutôt que poussé par une vive et entière conviction qu'il n'avait pas encore et dont les apôtres ne furent animés qu'après avoir reçu le Saint Esprit.

La sainte Vierge était venue de nouveau à Béthanie dans la maison de Marthe et de Madeleine.

16 avril. — Je vis encore les apôtres à Béthanie avec les disciples anciens et nouveaux, et je vis de nouveau Pierre enseigner publiquement chez Lazare. C'est maintenant Pierre qui porte la parole dans les assemblées : seulement quand les réunions sont trop nombreuses, il charge quelques-uns de ses compagnons de partager avec lui le ministère d. la prédication. Depuis que Jésus l'a revêtu du manteau, depuis qu'il a mangé de ce poisson qui n'était pas un poisson ordinaire et qui lui a communiqué une force particulière, il est devenu un tout autre homme: tous le reconnaissent comme étant le chef, la bouche et la main de la communauté chrétienne. Lorsque Jésus au bord du lac a prophétisé sur la mort de Pierre et la destinée future de Jean, lorsqu'il a ordonné au premier de paître ses agneaux, il m'a semblé voir Pierre dans la personne de ses successeurs veiller éternellement à la conduite et à la pâture du troupeau, tandis que .Jean se tient près de la source d'eau vive qui rafraîchit et arrose les pâturages et qui désaltère les brebis. Je reconnus (note) que l'action de Pierre s'exerçait plutôt dans le temps, dans le cercle de la constitution extérieure, qu'elle pouvait par conséquent passer à des successeurs, tandis que celle de Jean s'exerçait plutôt sur la nature, se faisait sentir par l'inspiration, par l'envoi de messagers inspirés. L'un était plutôt un rocher, un édifice : l'autre plutôt un souffle, un nuage, un orage, un enfant du tonnerre, un porte-voix. Pierre représentait plutôt le corps de la harpe, ses cordes et l'accord existant entre elles ; Jean était comme le souffle du vent à travers les cordes.

Je vis aujourd'hui une cinquantaine de soldats aller de Jérusalem à Béthanie ; ils ressemblaient à ceux qui avaient arrêté le Seigneur sur la montagne des Oliviers. Ils faisaient partie de la garde du temple et des grands prêtres. Je vis aussi des délégués se montrer dans la maison de ville de Béthanie et mander les apôtres devant eux. Pierre, Jean et Thomas comparurent devant eux ; ils répondirent librement et hardiment au reproche qui leur fut fait de tenir des réunions et de susciter des troubles parmi le peuple. Il y avait aussi des soldats près de la maison de Lazare.

NOTE : Le Pèlerin donne ici le sens des paroles d'Anne Catherine qu'il ne peut reproduire textuellement. (Note du Pèlerin.)

Les délégués de Jérusalem interrogèrent publiquement les apôtres devant la maison de ville mais le magistrat de Béthanie, je crois que c'était le chef de la municipalité, leur résista et leur dit que s'ils savaient quelque chose à la charge de ces hommes, il fallait les faire arrêter et ne pas troubler la tranquillité du bourg par la présence de leurs soldats.

Je vis ensuite Pierre parler aux adhérents de Jésus qui s'étaient réunis chez Lazare, et pour éviter le scandale, congédier cent vingt-trois d'entre eux. Ceux qui étaient venus des pays les plus éloignés devaient rester chez ceux qui demeuraient plus près, car ils avaient déjà tout mis en commun. Il y avait aussi une cinquantaine de femmes qui s'éloignèrent et allèrent habiter divers endroits ou, elles vivaient en commun. Toutefois Pierre donna rendez-vous ici à tous ses auditeurs pour le jour de l'Ascension du Christ dont il était sans doute averti Par un pressentiment.

17 et 18 avril. — Le matin les apôtres allèrent de Béthanie à la maison du cénacle à Jérusalem. Je les vis ce même jour prendre un repas, puis prier sous la lampe et devant le Très Saint Sacrement. Il y avait environ sept disciples avec eux. Pierre en avait congédie récemment cent vingt-trois à Béthanie, mais il en était arrivé d'autres. Les apôtres et les disciples ne pouvaient plus traverser la ville pour aller à la maison du cénacle : le chemin de ce côté avait été intercepté par les Juifs. Ils furent obligés de prendre celui à gauche du temple, que terre et Jean avaient suivi le Jeudi Saint. Il y avait là beaucoup d'hôtelleries à l'usage des étrangers, et la population vraiment juive n'habitait pas de ce côté.

Certains discours des apôtres et des disciples m'ont fait reconnaître qu'ils ne sont pas encore complètement éclairés : ils croient encore qu'un royaume visible sera fondé, ou qu'ils auront en partage certains privilèges tout particuliers. Je crois que Jésus les tancera encore vertement à ce sujet.

Aujourd'hui vers six heures et demie du soir, Anne Catherine vit ce qui suit, étant éveillée et ayant les yeux ouverts ; le Pèlerin était auprès d'elle et les réalités vulgaires qui l'entouraient s'intercalaient dans sa vision et y faisaient un étrange contraste. Voici ce quelle dit : " il doit y avoir un grand repas dans la maison du cénacle Lazare s'y trouve, les apôtres sont allés ce matin de bonne heure le prendre à Béthanie. Les femmes et la sainte Vierge sont là, ainsi que Véronique, Nicodème, Joseph d'Arimathie et le fils de Siméon qui immola l'Agneau pascal Aujourd'hui ils ont encore un agneau. Les femmes, à l'exception de Marie, sont occupées à préparer le repas. Tous les apôtres sont présents avec vingt disciples. Ce doit être une fête ". Ce fut ainsi qu'elle parla vers midi. au moment même où elle voyait tout cela. Elle raconta ce qui vient ensuite, le matin du jeudi 19 avril.

Je vis dans la salle les apôtres et vingt disciples se tenant debout sous la lampe. Après avoir prié, ils se séparèrent en deux groupes. Jean parla aux apôtres et Pierre aux disciples. Ils parlèrent en termes mystérieux de leur rapport avec la mère de Dieu et de ce qu'elle devait être pour eux. Pendant cet enseignement, ayant pour base, à ce qu'il me sembla, une communication de Jésus-Christ qui m'est sortie de la mémoire, je vis la figure de la sainte Vierge planer au-dessus d'eux revêtue d'un manteau lumineux qui se déployait comme pour les embrasser dans ses plis : je vis le ciel ouvert au-dessus d'elle et une couronne partant de la très sainte Trinité se poser sur sa tête. J'eus le sentiment que Marie était leur vrai chef à tous, leur temple et l'enceinte qui les renfermait. Pendant cette vision je perdis de vue la sainte Vierge qui était en prière hors de la salle. Je crois que c'était le symbole de ce que la volonté de Dieu opérait en ce moment pour l'Église par la déclaration des apôtres ; peut-être aussi était-ce la reproduction d'une vision qu'avait Marie, ravie en esprit pendant le discours des apôtres.

Vers neuf heures je vis un repas dans le vestibule. La sainte Vierge seule était assise à la table des apôtres, entre Pierre et Jean. Ils tournaient le des à la cour et ils avaient en face d'eux la porte de la maison. Les autres femmes et les disciples étaient assis à droite et à gauche, à des tables séparées. Pierre découpa l'agneau exactement comme Jésus avait découpé l'agneau pascal. A la fin du repas on rompit le pain qu'on fit passer à la ronde ainsi que la coupe. Ceci était pas la sainte Eucharistie. mais seulement des aliments bénits ; Pierre parla encore à cette occasion.

Je vis ensuite la sainte Vierge avec les apôtres dans la maison du cénacle, elle se tenait debout sous la lampe entre Pierre et Jean. Je dois ajouter qu'au repas tous les convives avaient leurs habits de cérémonie et Marie son vêtement de noces : pendant la prière sous la lampe, elle portait un beau manteau blanc et son voile était baissé. Le sanctuaire était ouvert et ils prièrent encore, agenouillés devant le Saint Sacrement.

Je vis ensuite, un peu après minuit, la sainte Vierge recevoir à genoux la sainte Eucharistie des mains de Pierre. Il tenait à la main la patène du calice sur laquelle étaient les saintes espèces, et il mit dans la bouche de Marie le morceau de pain rompu par Jésus lui-même. Au même instant, je vis le Seigneur Jésus, invisible aux autres, apparaître à sa Mère et disparaître aussitôt. Elle était toute pénétrée de lumière et de splendeur. Ils prièrent encore quelque temps et se retirèrent, chacun de son côté. Je vis les apôtres pendant toute la cérémonie se montrer plus respectueux qu'à l'ordinaire envers Marie. Auparavant ils en usaient avec elle, comme avec Jésus lui-même, d'une façon assez familière, quoique toujours mesurée.

La sainte Vierge ayant reçu le Saint Sacrement, sortit après minuit de la maison du cénacle et se rendit avec les autres femmes à la maison de Jean-Marc, où elle logeait. Je vis encore Marie prier debout dans sa chambre. Elle récita le Magnificat, le Cantique des trois enfants dans la fournaise et le psaume CXXX (note)

NOTE : D'après une communication postérieure, Anne Catherine vit que toutes les fois que la très sainte Vierge communiait, les saintes espèces restaient en elles sans altération d'une communion à l'autre, en sorte qu'elle adorait incessamment l'Homme-Dieu sacramentellement présent dans son coeur. Lors de la persécution qui suivit la lapidation de saint Etienne, les apôtres restèrent un certain temps sans consacrer mais l'Eglise ne dit pas privée de la présence du Saint Sacrement puisqu'il se conserva dans le coeur de la très sainte Vierge. Elle était le tabernacle du Très Saint Sacrement et en même temps elle pratiquait l'adoration perpétuelle.

L'aube commençait à paraître lorsque je vis Jésus entrer, chez elle, les portes fermées. Il s'entretint longtemps avec elle. Toutefois il ne l'embrassa pas, ni ne la toucha en aucune manière. Il s'entretint avec elle de ce qu'elle était par rapport aux apôtres et de l'aide qu'elle devait leur donner. Tout cela avait un sens spirituel et mystérieux. I| lui donna en même temps une certaine autorité sur l'Eglise, avec la force et le pouvoir nécessaire pour en être l'appui et la protectrice. Je vis son Fils répandre en elle sa propre lumière comme s'il la pénétrait de part en part. C'est quelque chose que je ne puis exprimer. Il disparut ensuite, la porte restant fermée. Marie pria encore et se coucha.

Remarque préliminaire du Pèlerin. — Anne Catherine raconta ce qui suit le 21 avril 1820, entre dix et onze heures du matin, étant à l'état d'extase et les yeux ouverts: elle indiqua successivement du doigt divers points de la chambre, de même à peu près qu'un homme en voyage montre à un compagnon dont la vue est courte quelque chose qu'il voit se passer à quelque distance. Ceci ayant été communiqué par elle le vingtième jour après la résurrection, on l'intercale ici à cette date. Voici donc ce qu'elle dit : " voyez-vous cette troupe de gens qui passent par le mont des Oliviers allant à Béthanie ; ils sont là près de la prairie verte ! Ils sont autrement habillés qu'auparavant : cinq femmes les suivent à quelque distance, Marie n'est pas parmi elles. Ils viennent de Jérusalem. Chose singulière, ils regardent autour d'eux, ils montrent du doigt quelque chose sur leur gauche et pourtant ils ne voient pas Jésus qui vient de ce côté. Il ne vient pas du côté de la montagne des Oliviers. Il y a ça et là beaucoup de gens dans les petits jardins : ils réparent les clôtures qui ont été brisées le dimanche des Rameaux par les étrangers venus pour la Pâque et les gens de toute espèce qui allaient à Jérusalem, ou défaites lorsqu'on a élargi les chemins. C'est étrange ! les disciples vont de côté et d'autre et ne le voient pas' Il est lumineux et semble planer au ras de terre. Voilà qu'il a été vu de quelques gens qui sont dans le petit jardin ; ils se prosternent la face contre terre : il y a là cet homme, ce Simon qui l'a ai lé à porter sa croix ! il travaille dans ce petit jardin ! Ah ! le digne homme ! Le Seigneur passe devant lui' Le bon vieillard ôte son manteau, se prosterne et baise la terre devant les pieds du Seigneur. Celui- ci lui fait signe de se taire et disparaît.

Voyez encore ! à l'endroit où ils ont pris l'âne (Bethphagé), ils envoient un messager à Lazare pour lui annoncer qu'ils mangeront chez lui. Le messager est leste : il est déjà arrivé. Lazare est de nouveau dans sa maison. Je l'y vois revenu : il s'était réfugié là-bas, de l'autre côté du lac, dans l'endroit où le Seigneur a fait ce miracle que vous savez, ou il a nourri cette nombreuse multitude. voyez ces petites cabanes : c'était là qu'il était. Je le vois dans sa maison de Béthanie : le messager y était déjà. Ils préparent tout pour un repas. Il y a une femme près de lui, elle est grande et elle a de longs cheveux, je crois que c'est Madeleine. Je vois aujourd'hui la table plus haute qu'à l'ordinaire : les sièges sont bas : on dirait des demi canapés, mais le dossier est tourné du côté de la table.

Aujourd'hui vers midi, je vis la mère de Dieu à Jérusalem, dans la maison où les saintes femmes se tenaient après le crucifiement : elle était seule et assise devant un écrit qu'elle lisait. Cependant elle se leva et une personne de grande taille entra et l'enveloppa dans une longue couverture. C'était la femme que j'avais vue, le jour où Jésus apparut à Thomas, rester dans le vestibule du cénacle pendant que Marie et Madeleine entraient dans la salle où se tenaient les disciples. Elles allèrent ensuite à la montagne des Oliviers. Cette personne suivait Marie à quelque distance. C'est elle que je vis dans la maison de Jean près d'Éphèse : elle s'était mise au service de Marie et y resta jusqu'à la mort de celle-ci.

22 avril. — Depuis la communion de Marie, j'ai encore eu plusieurs fois des visions concernant les apôtres. Ce que j'y ai vu de plus remarquable, c'est que le nombre des fidèles allait toujours croissant. Je vis arriver avec des ânes et des bagages beaucoup de gens dont la plupart venaient des bords de la mer de Galilée : on s'occupait aussitôt de leur logement et de leur entretien. Ordinairement ils venaient d'abord dans l'hôtellerie située devant Béthanie où des disciples se succédaient continuellement. Ces gens recevaient d'eux des instructions et des conseils. Il y avait toujours là beaucoup de monde. Les disciples adressaient les nouveaux arrivants à Lazare qui possédait un grand nombre de maisons et d'habitations. Beaucoup aussi logeaient à Jérusalem dans les environs de la montagne de Sion. Il y avait peu de Juifs dans cette partie de la ville et la plupart appartenaient à la classe pauvre : il s'y trouvait de grands espaces inhabités ; on y voyait de vieux murs en ruines d'une épaisseur extraordinaire et des emplacements déserts ou je vis paître des ânes. C'étaient pour la plupart des étrangers qui logeaient là : il y avait aussi des hôtelleries à l'usage des païens qui venaient pour les fêtes. Indépendamment de l'ancienne demeure des héros de David, devenue la maison du cénacle, je vis dans les environs un très grand bâtiment en ruines qui avait aussi été célèbre dans les temps anciens. (C'était peut-être la forteresse de David, que dans une autre occasion elle avait représentée comme étant en ruines.) On établit dans son enceinte plusieurs des nouveaux venus. Je vis aussi sur quelques points, dans cette partie inhabitée de la ville, construire des cabanes ou plutôt des abris. Je vis encore dresser des tentes faites d'étoffes semblables à de la tapisserie grossière, sur des restes de murs très épais dans lesquels étaient pratiquées des habitations.

Les Chaldéens que Jésus avait adressés au centurion de Capharnaüm et qui ensuite étaient retournés chez eux sont revenus ces jours-ci en plus grand nombre avec des bêtes de somme et des bagages. Ils ont installé leurs bêtes et leurs ballots dans la cour intérieure de ce grand édifice en ruines, autrefois célèbre. mais dont j'ai oublié l'ancienne destination.

Les Juifs ne font rien pour empêcher tout cela ; ils sont assez effrayés par les faits miraculeux qui se sont produits en grand nombre et ils cherchent seulement à tout cacher et à tout dénaturer. L'accès à la montagne du temple et à la partie de la ville qui en dépend est tout à fait intercepté par un mur du côté de la montagne de Sion où les chrétiens se sont établis, et la communauté se trouve par là isolée et séparée du reste de la ville.

Je vis les nouveaux arrivants mettre à la disposition de la communauté de gros ballots contenant des étoffes de laine blanche et jaunâtre, les unes fines, les autres grossières, de la toile destinée à la fabrication des tentes et des tapis. Nicodème et Joseph étaient chargés de répartir tout cela. On en fait des ornements pour le service divin et des robes baptismales. On donne à ceux qui sont dans le besoin et l'on veille à ce que tous soient pourvus.

Ces jours-ci les apôtres ont pris possession d'une nouvelle maison. Elle est située près de la piscine de Béthesda, un peu plus haut que la pièce d'eau et elle ressemble à une longue grange. Il y a plusieurs divisions, et une chaire est placée au fond : on dirait une synagogue. C'est dans cet endroit qu'à l'occasion du baptême qui eut lieu après la Pentecôte, je vis célébrer une espèce. La messe pour laquelle on avait apporté les ornements et les vases de la maison du cénacle. Les nouveaux arrives s'y rassemblent habituellement : ils y sont instruits par quelques-uns des apôtres et on leur dorme des directions. Je vois aussi souvent des femmes assister à ces réunions.

Les nouveaux venus ne vont pas au cénacle. Je n'ai vu ni les apôtres, ni les disciples, ni les néophytes visiter le temple : si les apôtres y allèrent après la Pentecôte, ce fut pour annoncer le christianisme à la foule assemblée lorsqu'ils eurent reçu le Saint Esprit et que le nombre des fidèles se multiplia. Leur temple est le cénacle où se trouve leur Saint des Saints.

Depuis que la sainte Vierge a communie, je la vois plus souvent avec les apôtres : ses rapports avec eux sont autres que ce qu'ils étaient auparavant. Ils ont des conférences avec elle et elle est comme leur mère à tons et comme un apôtre elle même.

23 avril. — Ce matin, entre trois et quatre heures, j'ai vu lés apôtres dans le cénacle. Le sanctuaire était ouvert : ils se tenaient debout des deux côtés. La cloison du vestibule avait été enlevée : il s'y trouvait environ trente disciples. On pria et on chanta à deux choeurs. Tout cela me fit l'effet d'un office de matines. Pierre fit ensuite une instruction à ces disciples. Quand le vestibule était fermé la pièce centrale de la maison du cénacle était plus large que longue : maintenant qu'il était ouvert, la maison avait tout à fait l'apparence d'une église, parce que le sanctuaire ouvert, s'arrondissant en voûte par en haut, faisait l'impression d'un choeur avec l'autel. Nicodème, Joseph d'Arimathie et le fils de Siméon étaient présents.

24 avril. — Aujourd'hui, de bon matin, j'ai vu célébrer au cénacle un office comme celui d'hier. Marie était présente : elle se tenait dans la salle, devant l'autel du vestibule, seule et je visage tourné vers le Très Saint Sacrement. Un peu en arrière d'elle, entre les colonnes du vestibule, les disciples et les apôtres se tenaient debout devant le Saint Sacrement, rangés sur deux lignes placées en face l'une de l'autre. Le rideau était ouvert, mais le tabernacle était fermé. La sainte Vierge avait un long manteau blanc : son voile était baissé. Il me sembla voir une couronne sur sa tête ; je crois bien toutefois que ce n'était pas une couronne véritable mais une auréole.

Cette forme de Prière a été instituée par Jésus lui-même. Il leur a révélé le mystère de cet office divin lors du repas où il leur fit manger le poisson, près de Tibériade et aussi lorsqu'il convainquit Thomas de sa résurrection ; mais je n'ai plus de souvenirs bien précis à ce sujet. Maintenant la mère de Dieu fait toujours au cénacle ses stations du chemin de la croix.

Ce matin, de bonne heure, tous les apôtres allèrent à Béthanie. La femme et la fille de Pierre, et d'autres femmes parmi lesquelles se trouvait la femme de Marc, sont venues de Bethsaïde à Béthanie. Elles habitent sous des espèces de tentes. Ces femmes n'ont aucun rapport avec les hommes. Les biens sont en commun. On ne se réunit près des apôtres que pour l'instruction. Ces femmes s'occupent à tisser et à tresser de longues bandes d'étoffes et de grosses couvertures pour les tentes. Plusieurs travaillent ensemble a une même pièce.

Marie, Marthe et Madeleine font des broderies. Elles y travaillent tantôt couchées sur le côté, tantôt en marchant, tenant l'étoffe sur la main. J'ai vu Marie broder sur un morceau d'étoffe moins grand qu'une serviette une figure qui semblait être celle d'un apôtre ou celle du Seigneur. Cette figure était un peu plus dégagée que d'autres que j'avais vues précédemment et qui ressemblaient en quelque sorte à des enfants au maillot. Ce sont des images pour de petits autels privés : elles sont assez grossières et tic couleurs peu voyantes ; car elles ont toutes des vêtements blancs et sont pour la plupart appliquées sur un fond jaunâtre et brunâtre, quelquefois aussi sur un fond bleu de ciel. Je me souviens aussi de l'avoir vue une fois, je ne sais pas si ce fut maintenant ou plus tard, broder une représentation de la très sainte Trinité, telle à peu près que je la vois dans mes visions ; mais je suis maintenant trop souffrante pour pouvoir la décrire : je craindrais de faire quelque confusion. Dieu le Père, semblable à un grand prêtre, pressentait la croix au Fils ; le Saint Esprit procédait de tous les deux, mais il n'avait pas la forme d'une colombe : au lieu d'ailes c'étaient des bras. Ces figures n'étaient pas les unes sous les autres, mais formaient plutôt un triangle. J'ai déjà vu en vision des ornements brodés par Marie figurer dans les cérémonies de l'Église primitive.

25 avril. — Ce matin les apôtres sont allés à Béthanie : les saintes femmes s'y rendirent aussi, à l'exception de Marie. Les apôtres y étaient allés surtout pour pourvoir n l'établissement des nombreux arrivants et pour les instruire. On enseigna dans trois endroits : dans l'hôtellerie qui est hors de la ville, chez Lazare et dans la maison de Marthe. Les apôtres aidèrent eux-mêmes à construire des habitations pour ces néophytes : ils portèrent du bois, dés briques, des cloisons en clayonnage et travaillèrent très activement. Les pauvres reçoivent des vêtements : on a pris aussi des mesures pour leur nourriture. Je crois que c'est surtout Lazare qui aura fourni aux dépenses de la caisse générale.

Pierre s'est entretenu avec sa femme. Elle est âgée : est une personne de peu d'éducation et assez rude, sa fille est grande, hardie et a quelque chose de plus noble. Siméon, le dernier fils de Marie de Cléophas, est venu avec elle : il a environ douze ans et c'est un très bel enfant. Il se tient avec les apôtres et les disciples : il est surtout beaucoup avec Silas.

Les saintes femmes aussi s'occupent à venir en aide aux femmes nouvellement arrivées. Personne ne possède rien en propre : ceux qui apportent quelque chose le donnent ; ceux qui n'ont rien reçoivent.

La maison de Simon le lépreux est remplie de disciples. Je n'y vois plus Simon lui-même : il doit avoir donné sa maison et s'être confondu dans la foule. La femme de Zachée se trouve aussi là.

On construit et on élève de tous côtés des cabanes en toile et des hangars ; on utilise tous les coins de murs, spécialement dans les vieux édifices. Ici et à Jérusalem, il y a beaucoup d'habitations inoccupées ; car, après le crucifiement, beaucoup de Juifs, choqués et indignés, sont allés ailleurs. Vers le soir les apôtres revinrent à Jérusalem.

26 avril. — Aujourd'hui je vis de nouveau faire au cénacle, avant le lever du soleil, ces prières qui me font l'effet de l'office des matines ; je vis, pendant qu'ils priaient, Jésus apparaître soudainement au milieu d'eux Je ne sais pas ce qu'il leur dit, mais je sus qu'il leur avait donné à entendre qu'il viendrait à eux le second jour d'après le sabbat. Il disparut avant qu'ils se fussent remis de leur surprise et qu'ils eussent pu lui adresser la parole.

La sainte Vierge était encore présente. Depuis qu'elle a reçu la sainte Eucharistie, elle loge près du cénacle dans la maisonnette qui est à droite de la porte devant laquelle l'agneau pascal fut immolé. Jean y loge aussi. On a arrangé pour la sainte Vierge, avec des tapis et des nattes, un passage couvert qui conduit au cénacle par la cour ; en sorte qu'elle peut aller directement de sa cellule dans la maison de Dieu. C'est dans cette cellule que Jésus lui apparut le matin du jour où elle reçut l'Eucharistie pour la première fois. Je vis de nouveau sa tête entourée d'une couronne d'étoiles que j'avais déjà vue lorsqu'elle communia.

Les apôtres allèrent encore à Béthanie. Sur le chemin je vis tout à coup Jésus passer devant eux, puis disparaître.

27 avril. — Ce matin je vis de nouveau les apôtres faire l'office de matines. Vers le soir il y eut pour le sabbat une grande réunion au cénacle où ils étaient revêtus de leurs vêtements sacerdotaux ou de leurs habits de fête. La prière et le chant à deux choeurs se prolongèrent jusqu'assez avant dans la nuit. Les salles latérales étaient ouvertes : beaucoup de disciples étaient présents. La sainte Vierge était à sa place accoutumée ; les femmes derrière elle dans le vestibule.

28 avril. — Aujourd'hui encore j'ai vu les apôtres prier en commun. Ils étaient tantôt assis, tantôt debout. Pendant cet office, il m'a semblé un moment que j'étais à vêpres.

29 avril. — Après les matines les apôtres allèrent de nouveau à Béthanie. Ils travaillèrent eux-mêmes à construire des cabanes pour les nouveaux arrivants. Ils enseignèrent aussi dans la maison de Simon. Cette maison, qui servait à donner des fêtes, est maintenant transformée en synagogue. Sur le toit qui est en terrasse, on a établi une salle ouverte de tous les côtés dont les parois en clayonnage s'enlèvent facilement, et où l'on a placé une chaire. Les auditeurs se tiennent à l'entour. On y monte par des degrés placés contre le mur à l'extérieur de la maison.

Tous les arrivants n'ont pas été admis dans la communauté. Les hommes venus de Chaldée ne sont pas encore admis.

Vers midi, Pierre, Jean, Jacques le Mineur, Thomas et quelques autres apôtres allaient de Béthanie à Jérusalem par la montagne des Oliviers, lorsque Jésus parut tout à coup au milieu d'eux et leur parla comme ils continuaient a marcher ; il sembla rester en arrière, puis il disparut.

30 avril. — Vers quatre heures, Jésus apparut dans le cénacle aux apôtres seuls et mangea avec eux de l'agneau, de la salade et du pain. Les saintes femmes mangeaient hors de la salle, dans le vestibule, et les disciples dans les passages latéraux. C'étaient des agapes. Jésus rompit et distribua du pain qu'il avait bénit, puis il enseigna.

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TREIZIÈME CHAPITRE

L'Ascension et la Pentecôte.

Mai et Juin 1821.

Dans les premiers jours du mois de mai, Anne Catherine, empêchée par une foule de dérangements extérieurs, ne put donner que les brèves indications qui suivent sur les derniers jours que le Seigneur passa sur la terre

Le Seigneur alla plusieurs fois avec les apôtres dans les environs de Jérusalem, en sorte que plusieurs Juifs le virent apparaître. Mais lorsqu'il se montrait à eux, ils se cachaient et fermaient leurs maisons. Les apôtres et les disciples ne l'accompagnaient qu'avec un certain effroi : il y avait en lui quelque chose de trop surhumain. Il enseigna beaucoup et adressa quelques reproches aux apôtres. Pendant la nuit je vis le Seigneur apparaître dans divers endroits, à Bethléhem par exemple, et répandre ses bénédictions. Même à Jérusalem où il avait tant d'ennemis, il apparut à plusieurs incrédules et spécialement à des personnes avec lesquelles sa mère et lui-même avaient eu des rapports antérieurs. Je le vis encore apparaître en d'autres lieux. Les gens qui le virent devinrent ensuite très croyants et s'unirent aux apôtres et aux disciples après la Pentecôte.

Dans lés derniers jours Jésus se montra fréquemment aux apôtres, et ses rapports avec eux furent ceux d'un homme ordinaire. Il a mangé et prié avec eux, et il les a enseignés. Il les a accompagnés sur plusieurs chemins, et il leur a répété toutes les instructions qu'il leur avait déjà données. Ce n'était que la nuit qu'il se montrait, à leur insu dans divers endroits.

Jésus est venu à Béthanie par le côté du levant, en compagnie d'environ cinq disciples. Marie y alla de Jérusalem avec les autres saintes femmes. Ils se rencontrèrent chez Lazare où se trouvaient aussi Marthe et Madeleine. Beaucoup de gens sont rassemblés autour de la maison : ils ont entendu dire que le Seigneur va les quitter, ils veulent le voir encore et prendre congé de lui. Il y a là une grande cour : lorsque le Seigneur fut dans la maison, on laissa entrer les gens et on ferma la cour. Pourquoi donc Lazare vit-il si retiré ? Depuis sa résurrection, il ne vient jamais à Jérusalem, il ne va pas avec les disciples, il reste chez lui, presque toujours renfermé dans une pièce souterraine, comme dans un caveau, et il ne se montre maintenant que quand toutes les portes Sont fermées. Ils ont pris ensemble un peu de nourriture, mais sans s'asseoir. Comme les disciples pleuraient amèrement : " Pourquoi pleurez-vous ainsi, chers frères ? Regardez cette femme, elle ne pleure pas " ! Il adresse ces paroles à ces disciples qui sont si affligés et qui pleurent parce qu'il veut les quitter et il montre sa mère qui ne pleure point. Qu'il est touchant de voir des hommes de cet âge pleurer ainsi : ils pleurent si amèrement ! "

NOTE : Anne Catherine raconta toute cette scène au Pèlerin au moment où elle la voyait : de là vient ce qu'il y a parfois de très vif dans la narration.

Les femmes, comme d'ordinaire. ne se tenaient pas près des nommes : cependant elles, n'étaient pas tout à fait séparées. Marie se tenait à l'entrée de la chambre voisine, près des autres femmes. C'était ainsi qu'elles faisaient ordinairement, à moins qu'elles ne se tinssent modestement sur le plan le plus éloigné. Je crois cet usage fort bon : quand les femmes se tiennent à l'écart, cela prévient beaucoup de mal et les empêche de se mêler de choses auxquelles elles n'entendent rien. Combien le Seigneur est bon ! Il sort de la maison pour aller voir les nombreux étrangers qui sont là : on a dressé pour eux une longue table dans la cour : il bénit des petits pains qu'il leur distribue et il leur fait signe de la main de se retirer.

Ils se retirèrent en effet. Alors la sainte Vierge s'approcha modestement pour lui demander quelque chose : mais il avança la main comme s'il n'eût pas voulu qu'elle le touchât et lui dit qu'il ne pouvait pas faire ce qu'elle désirait. Elle le remercia humblement, même de son refus, puis elle s'éloigna.

Je vis le Seigneur prendre tout spécialement congé de Lazare. Je le vis bénir du pain qu'il lui donna a manger et qui devint lumineux. Il le bénit lui-même et lui donna la mail1 Lazare n'accompagna pas le Seigneur lorsqu'il quitta la maison avec les disciples. Après une longue pause, la narratrice reprit : " Le Seigneur se rend à Jérusalem par un chemin détourné. Ils suivirent d'abord la route directe, puis ils s'écartèrent et firent de grands détours. Il y avait quatre groupes qui suivaient le Seigneur à des intervalles assez éloignés : il n'avait près de lui que les onze apôtres. Le dernier groupe était le plus nombreux. Les femmes venaient ensuite. Je vis le Seigneur marcher il était tout lumineux et dominait tout ce qui l'entourait : je ne sais pas si les disciples le virent ainsi ".

Ils ne pouvaient pas se persuader qu'il fût au moment de les quitter. Ils se disaient entre eux : "n'a-t-il pas déjà plus d'une fois disparu à nos yeux?"

Voilà qu'il indique du doigt divers points de l'horizon en disant : " Quand tous ces endroits croiront à la suite de votre enseignement, quand des étrangers en chasseront les habitants et que tout ici sera dévasté, ce sera un temps bien triste". (Ici elle se tut quelques moments.) Il dit encore : "Vous ne me comprenez pas maintenant : vous comprendrez mieux quand ce soir vous aurez soupé avec moi pour la dernière fois". Marie se rend à Jérusalem par le chemin direct elle va dans une grande maison qui est en face du mur d'enceinte, à peu de distance du Temple. Nicodème et Joseph d'Arimathie préparent là un repas et elle les aide.

Après une pause pendant laquelle il semblait qu'Anne Catherine se fût éloignée corporellement de Jésus en suivant la sainte Vierge et fût ensuite ramenée près de lui, survint l'incident qui va être rapporté. Dans le sommeil où elle était plongée, elle leva un peu les bras comme une personne qu'on prend sous les épaules pour la porter, puis elle se replia sur elle-même comme si on l'eût tout a coup déposée par terre, et dit d'un air étonné : "Ou suis-je ? Comment suis-je venue ici ? Ils allaient si vite que je ne pouvais plus les suivre : alors deux d'entre eux m'ont portée ici. C'est le chemin où passa le cortège du dimanche des Rameaux. Voilà qu'ils viennent. Je ne vois pas toujours les plaies de Jésus, mais quand elles sont visibles pour moi, elles brillent comme le soleil.

Sur le chemin que suivait Jésus, je vis çà et là, dans de jolis petits jardins, des Juifs occupés à tailler et à entrelacer des haies. On y voit de belles masses de fleurs disposées en pyramide. Souvent, à l'approche de Jésus et des siens, ces gens se cachaient je visage dans leurs mains et se jetaient la face contre terre, ou bien s'enfuyaient dans les jardins et derrière les haies. Je ne sais pas si le Seigneur était visible ou invisible pour eux, si c'était l'effroi qui les faisait fuir ou l'émotion qui les faisait se prosterner. Depuis la résurrection, j'ai toujours Vu les gens s'enfuir ainsi sur les chemins par où il passait.

J'ai vu ces derniers jours les Juifs dévaster par méchanceté tous les lieux auxquels était attaché quelque souvenir particulier de la vie et de la Passion du Sauveur, et que les siens avaient en vénération. Sur le chemin de la croix, aux endroits où le Seigneur était tombé, ils avaient coupé la route par des fossés. Ils avaient rendu inaccessibles et entouré de clôtures les jardins et les jolies pelouses ou Jésus avait enseigné et s'était arrêté le plus souvent. Dans certains endroits, ils avaient disposé des fosses recouvertes de gazon afin que ceux qui viendraient pour honorer le souvenir du Seigneur y tombassent. Mais j'ai vu quelques méchants Juifs y tomber eux-mêmes. Je reconnus par là que, dans tous les temps, les ennemis des chrétiens qui leur tendent des pièges sont ainsi punis : ils le seront bien davantage le jour du jugement. J'appris, a cette occasion, que ceux qui dévastent et détruisent les chemins de croix, les croix, les chapelles et les églises qui abolissent les anciennes dévotions, les pieuses pratiques, et en général tout ce qui excite dans les âmes un souvenir plus vif de l'histoire de la rédemption,--que ce soient des décorations de feuillage, des sculptures, des inscriptions, des fondations ou des coutumes, des solennités ou des prières, ceux-là, dis-je, appartiennent à la race criminelle de ces ennemis de Jésus qui voulaient effacer les traces sanglantes de ses pas et ils seront jugés avec eux. Bien plus, je vis que ceux dont l'aspect émouvant des vieux crucifix révérés par nos pères choque la délicatesse, qui les remplacent par des figures attrayantes, vraiment paiennes, et qui représentent les saints avec des formes sensuelles et voluptueuses, ont des rapports étroits avec les hommes qui élevèrent sur le Calvaire un temple de Vénus et qui souillèrent la grotte de la crèche par des représentations encore plus abominables.

Je vis raser le sommet du Calvaire et répandre la terre comme on répand des engrais, sur les sentiers et les cinq emplacements gazonnés en forme de coeur que ces sentiers formaient sur la hauteur à l'endroit où Jésus fut crucifié En faisant disparaître l'éminence sur laquelle la croix s'élevait, on mit à nu une pierre blanche, avec un trou carré, profond d'un mètre tout au moins, dans lequel la croix avait été plantée. Je les vis faire tous leurs efforts pour enlever cette pierre avec des leviers : toutefois ils ne purent pas y réussir et elle s'enfonça de plus en plus mais ils la couvrirent de terre.

Le saint Sépulcre comme propriété privée de Nicodème était resté intact. La tête du Christ dans le tombeau reposait du côté de l'orient : quand on sortait du caveau vers midi, on avait le soleil en face et à peu près au-dessus de soi et le couchant à sa droite.

Le repas fut préparé dans une salle qui avait la forme d'un carré long : elle était ouverte et avait vue sur une cour plantée d'arbres et entourée de murs : à gauche l'oeil plongeait sur un passage dans l'habitation et dans la cuisine. Sur le côté droit du vestibule ouvert, on voyait des galeries à arcades où étaient dressées des tables pour les disciples et pour d'autres personnes. La table destinée à Jésus, aux apôtres et aux amis les plus intimes était dressée dans la salle. Je vis plusieurs fois la sainte Vierge occupée dans le passage. Il y avait de petites cruches sur la table et on y avait placé un grand plateau sur lequel étaient posées verticalement des touffes d'une plante verte très élégante, dont ha beauté me remit en mémoire ces herbes que je vois souvent sur les tables du paradis et qui sont le symbole de toutes sortes de choses. D'un côté ; on avait laissé un vide au milieu des herbes pour mettre un poisson : de l'autre côté, il y avait de la place pour des petits pains. Les tables qui étaient dans la galerie étaient formées de grandes planches rapprochées les unes des autres : on y avait servi des fruits et des plats triangulaires avec des rayons de miel où était fichée une spatule en os. Près de chacun de ces plats triangulaires était un autre plat rond où se trouvaient trois tranches de pain, longues chacune d'un doigt et larges de deux. Un de ces plats servait pour trois convives.

Cependant je vis Jésus avec les onze apôtres suivre divers chemins autour de la montagne des Oliviers : les autres groupes venaient à leur suite. Jésus s'arrêta plusieurs fois pour leur expliquer quelque chose. Tous étaient dans une grande anxiété, quelques-uns pleuraient, d'autres étaient tout abattus. J'en vis un qui avait les cheveux noirs et qui se disait : " s'il s'en va maintenant, qui sera le maître ? et comment s'accomplira tout ce qui a été prédit du Messie " ? Pierre et Jean étaient plus calmes et semblaient mieux comprendre tout cela. Souvent le Seigneur, interrogé par quelques-uns d'entre eux ? s'arrêtait et leur donnait des explications. Ils marchèrent ainsi jusqu'au soir. Souvent le Seigneur avait l'air très grave et leur donnait des enseignements : quelquefois il disparaissait à leurs yeux, ce qui les troublait profondément : puis tout à coup, il se retrouvait au milieu d'eux. C'était comme s'il eut voulu les préparer ;' son prochain départ. Le soleil se couchait dans toute sa splendeur. Je les vis parcourir de jolis chemins. des prairies et des endroits plantés d'arbres.

Le soleil était déjà sous l'horizon lorsque Jésus arriva prés de la maison où le repas était préparé : il ne faisait presque plus jour. Marc, Nicodème et Joseph d'Arimathie vinrent à sa rencontre devant la porte. Il avait plus un peu les devants sur les apôtres qui se rendirent à la salle à manger. Jésus entra dans la maison avec sa mère. Le foyer s'y trouvait au niveau du sol. Les autres femmes vinrent plus tard. Sur quelque chose que Jésus leur dit, elles se laissèrent aller à l'espoir qu'il resterait. Mais Marie savait tout et n'avait aucun doute à cet égard. Les autres disciples étant arrivés, Jésus entra dans la salle du festin. Plusieurs autres membres de la communauté étaient là debout et l'attendaient. Jésus et les siens occupèrent l'un des longs côtés de la table. Elle était plus haute que de coutume ; les apôtres étaient couchés sur des sièges placés transversalement. Il n'y avait pas de siège à la place de Jésus : il resta debout. Jean était placé à côté de lui. Il était plus serein que les autres : il avait dans le caractère ; quelque chose qui le faisait ressembler à un enfant : il s'attristait facilement, et un instant après on le voyait consolé et même joyeux. La lampe était allumée au-dessus de la table : Nicodème et Joseph s'occupaient du service et je vis la sainte Vierge à l'entrée du passage. Le Seigneur bénit le poisson, le pain et les herbes vertes, puis il fit passer à la ronde. Chacun en eut une petite portion. Il enseigna tout le temps et avec beaucoup de gravité. Je vis souvent ses paroles sortir de sa bouche comme des rayons de lumière et entrer plus ou moins rapidement dans cette de tel ou tel apôtre, suivant qu'il était plus avide, plus affamé des enseignements de Jésus. C'est ainsi qu'on voit les choses : tout ce qui est saint se montre sous forme de lumière, tout ce qui est profane sous forme de ténèbres : le désir ardent apparaît comme une faim, et lorsqu'il est satisfait, il semble que c'est un aliment qui est mangé. On perçoit cela très distinctement et on ne trouve pas étrange de voir ainsi les choses. A la fin du repas, le Seigneur bénit aussi une coupe, il y but et la fit passer de main en main : tous y burent après lui. Ce n'était pas toutefois le Saint Sacrement : c'était quelque chose de semblable à ce que Pierre avait fait lors du repas qui avait eu lieu le dimanche d'après la résurrection.

Quand les disciples qui prenaient part au repas se furent levés, les autres qui avaient mangé dans la salle latérale se réunirent dans la cour sous les arbres et je vis le Seigneur aller à eux, les instruire longuement, puis les bénir, après quoi ils s'éloignèrent.

Je vis alors que les autres femmes qui étaient arrivées pendant ce temps, s'étaient rendues de la porte de la maison dans le jardin sans passer par la salle. La sainte Vierge était près d'elles. Jésus alla à elles et tendit la main à sa mère. Il leur parla avec beaucoup de gravité. Toutes étaient très émues et j'eus le sentiment que Madeleine avait un ardent désir d'embrasser les pieds de Jésus. Elle ne le fit pourtant pas, car il y avait dans la personne du Seigneur quelque chose de si imposant que toutes se retirèrent à quelque distance de lui. Quand Jésus se fut ainsi entretenu quelque temps avec elles et leur eut donné sa bénédiction, il les quitta. Elles pleuraient beaucoup, mais en elles-mêmes, pour ainsi dire. Ce n'était pas une douleur extérieure comme celle des gens d'à présent quand ils pleurent, c'était pour ainsi dire Leur âme qui pleurait. Cette fois je ne vis pas pleurer la sainte Vierge. En général Je ne l'ai Jamais vu pleurer avec de vives démonstrations extérieures. si ce n'est quand elle eut perdu l'enfant Jésus âgé de douze ans, à son retour de la fête de Pâques et lorsqu'elle le vit mourir sur la croix. Elles restèrent ici jusqu'un peu avant minuit.

Je vis alors le Seigneur se rendre à la ville par le chemin qu'il avait suivi le dimanche des Rameaux. Marie marchait derrière les apôtres. Ils étaient Suivis en outre d'une troupe de trente à quarante disciples. Quelques-unes des femmes allèrent aussi à la ville, d'autres se rendirent à Béthanie. Pendant ce court trajet, il vint à eux divers groupes de personnes auxquels le Seigneur adressa la parole : mais tout près de la ville, les uns prirent à droite, les autres à gauche : ils n'entrèrent Pas avec lui pour ne pas faire d'éclat.

Cependant Jésus monta au cénacle avec les onze, environ trente disciples, la sainte Vierge et quelques-unes des saintes femmes.

Jésus, les onze et Marie entrèrent seuls dans la salle intérieure : les disciples se rendirent dans la salle latérale où étaient les lits de repos. Je ne me souviens plus s'ils dormirent ou s'ils prièrent. Les compagnes de Marie restèrent dans le vestibule. La table de la cène était préparée et la lampe était allumée. Il n'y avait sur la table qu'un pain azyme et un petit calice. Les apôtres mirent leurs vêtements de cérémonie, et Pierre l'ornement qui le distinguait entre tous. Je vis la sainte Vierge s'asseoir vis-à-vis de Jésus. Je vis le Seigneur faire comme à la sainte cène, entailler le nain. en faire l'oblation. le rompre. le bénir et le leur présenter : tous ensuite burent dans le calice sans qu'on l'eût rempli de nouveau. Je vis le Très Saint Sacrement devenir resplendissant à la parole de Jésus et entrer comme un petit corps lumineux dans la bouche des apôtres.

Lors de la consécration du calice, je vis ses paroles y couler sous la forme d'un jet de lumière couleur de sang. Dans les derniers jours déjà, Madeleine, Marthe et Marie de Cléophas avaient reçu aussi la sainte Eucharistie.

Au point du jour ils récitèrent les matines sous la lampe, mais avec plus de solennité qu'à l'ordinaire. Jésus donna encore une fois à Pierre autorité sur les autres, il le revêtit encore une fois du manteau et répéta ce qu'il leur avait dit lors de son apparition près du lac de Tibériade et sur la montagne. Il leur donna aussi des instructions touchant le baptême et la bénédiction de l'eau. Le matin je vis, outre les apôtres, dix-sept des disciples les plus intimes assister à la prière et à l'instruction : ils se tenaient debout dans la salle, derrière la sainte Vierge.

Avant de quitter le cénacle, le Seigneur leur présenta la sainte Vierge comme leur centre et celle qui devait intercéder pour eux : Pierre et les autres s'inclinèrent et elle les bénit.

Au moment ou cela as ait lieu, je vis Marie comme revêtue surnaturellement d'un grand manteau bleu céleste ; une couronne planait au-dessus de sa tète et elle fut comme élevée sur un trône. C'était une image symbolique de sa dignité qui m'était ainsi montrée. Dans des visions antérieures, j'ai vu dans des occasions importantes, par exemple avant le baptême qui eut lieu le premier et le second jours de la Pentecôte, les apôtres recevoir de Marie une bénédiction semblable.

Le matin, au point du jour, Jésus quitta le cénacle avec les onze apôtres. La sainte Vierge marchait derrière eux et la troupe des disciples suivait à peu de distance. Ils passèrent par les rues de Jérusalem où tout était encore dans le silence et livré au sommeil. Il y eut dans les dis cours et dans tous les actes du Seigneur une solennité et en même temps une promptitude qui allaient toujours croissant. La veille au soir il m'avait paru beaucoup plus affectueux dans ses paroles. Je reconnus le chemin qu'ils suivaient : c'était celui du dimanche des Rameaux, et j'eus le sentiment intérieur que Jésus parcourait avec eux tous les lieux témoins de sa Passion, pour vivifier en eux par ses enseignements et ses exhortations l'accomplissement de la promesse. Ils suivirent toute la voie douloureuse : il s'arrêta quelques instants à chacun des endroits où avait eu lieu quelque incident particulier ; il commenta quelques passages des prophètes dont il leur montra l'accomplissement et il leur expliqua la signification des lieux. Dans certains endroits, comme par exemple ceux où il était tombé sous le poids de la croix, les Juifs avaient tout bouleversé : ils avaient creusé des fossés, amoncelé des pierres et accumulé des obstacles de toute espèce pour empêcher de les visiter et de les honorer. Mais Jésus ordonna au groupe qui le suivait de prendre les devants pour frayer et débarrasser la voie : ce qu'ils firent en peu de temps ; après quoi ils le laissèrent passer devant eux.

Ils arrivèrent à la porte qui conduit au Calvaire. Ils quittèrent là le chemin pour gagner une jolie pelouse qu'ombrageaient des arbres touffus : c'était un endroit ou l'on venait se récréer ou prier, comme il s'en trouvait plusieurs autour de Jérusalem. Jésus s'y assit avec eux, les enseigna et les consola. Pendant ce temps, le jour s'était fait et leurs coeurs étaient un peu allégés : il leur semblait qu'il allait encore rester avec eux.

Toutes les troupes qui la veille s'étaient séparées de lui devant la ville vinrent le rejoindre là. Je vis aussi beaucoup de gens qui venaient d'un autre côté à travers la campagne ; mais il n'y avait pas de femmes parmi eux. Lorsque le soleil fut levé, Jésus reprit le chemin qui mène au Calvaire et au saint Sépulcre. Toutefois il n'alla pas tout à fait jusque-là, mais il se détourna et longea les murs de la ville jusqu'à la montagne des Oliviers. Sur ce chemin aussi, les Juifs avaient dévasté et entouré de barrières divers endroits où Jésus avait coutume de prier et d'enseigner, et ces dégâts furent réparés par les disciples à l'aide d'outils qu'ils trouvèrent dans les jardins d'alentour : je me rappelle entre autres certaines pelles rondes semblables à celles qu'on emploie chez nous pour enfourner le pain.

Arrivé près de la montagne des Oliviers, le Seigneur se reposa de nouveau avec eux dans un lieu de plaisance semblable au précédent, mais plus spacieux. Plusieurs des saintes femmes vinrent encore le rejoindre ici. Ce lieu était très agréable et très frais ; l'herbe y était fort haute et j'étais surprise qu'elle ne fût foulée nulle part Il y avait maintenant tant de personnes autour de Jésus que je ne pouvais plus les compter. Tous les sentiers détournés que le Seigneur avait suivis me rappelaient les nombreux sentiers que je vois ordinairement à côté de la route de vie qui mène directement à la Jérusalem céleste et par lesquels la grâce de Dieu nous conduit pour que nous puissions plus longtemps donner au prochain des marques de notre charité. Il me parut aussi que le Seigneur ne suivait ces chemins détournés que par charité pour les disciples, pour consacrer plus de temps à les préparer. Il s'entretint très longtemps avec eux, comme quelqu'un qui va mettre fin à son oeuvre et qui est sur le point de se séparer de ses amis. Ils pressentaient maintenant que le moment de la séparation approchait ; toutefois ils ne croyaient pas que ce fut si tôt.

Le soleil s'élevait déjà : mais je ne sais pas si je dis bien, car dans ce pays le soleil ne me paraît pas s'élever autant qu'ici : il paraît toujours plus rapproché. Je ne le vois pas se lever comme ici sous la forme d'un petit globe : il m'apparaît bien autrement resplendissant, et la plupart du temps ses rayons ne me semblent pas si délies, mais semblables à de larges bandes de lumière. J'ai commis une erreur en me servant du terme " s'élever " ; j'aime mieux dire que le soleil partant de l'horizon s'était avancé davantage dans le ciel. Ils s'étaient bien arrêtés ici une heure. Maintenant aussi le mouvement de la vie avait recommencé à Jérusalem et beaucoup de gens s'étaient rassemblés autour de la montagne des Oliviers et se livraient à des entretiens animés. Plusieurs groupes sortant de la ville se dirigeaient aussi de ce côté. On voyait déjà dans le lointain une certaine agitation tumultueuse et les chemins les plus étroits étaient encombrés: cependant il restait un espace vide autour de Jésus et des siens.

Le Seigneur se dirigea alors vers Gethsémani : il gravit la montagne à l'endroit où se trouve le jardin des Oliviers, sans passer par le chemin où l'on s'était saisi de lui.

La foule allait comme en procession sur les divers chemins qui serpentaient autour de la montagne, et beaucoup de groupes se frayaient un passage à travers des buissons, des haies et des clôtures de jardins. Le Seigneur devenait de plus en plus lumineux, et la rapidité de sa marche allait croissant. Les disciples se hâtaient, mais sans pouvoir l'atteindre ; et comme le Seigneur était au haut de la montagne, tout environné de lumière, je vis parmi les personnes qui formaient le cercle autour de lui, toutes celles qui étaient venues de Jérusalem à sa rencontre le dimanche des Rameaux : je vis entre autres, parmi elles, la chère Séraphia (Véronique). Lorsque le Seigneur fut arrivé au sommet de la montagne, il parut resplendissant de blancheur comme la lumière du soleil. et il descendit du ciel vers lui une sphère lumineuse où brillaient toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Tous ceux qui se portaient en avant s'arrêtèrent éblouis et comme aveuglés, formant un large cercle autour de lui. Je vis le Seigneur encore plus lumineux et plus éclatant que l'auréole de gloire qui l'environnait. Il posa sa main gauche sur sa poitrine, et, levant la main droite il se tourna de tous les côtés donnant sa bénédiction au monde entier. La foule se tenait immobile et silencieuse, mais je vis que tous furent bénis. Il ne bénit pas comme les rabbins avec la paume de la main, mais à la façon des évêques chrétiens. La bénédiction qu'il donna au monde me fit éprouver un sentiment très vif de joie intérieure.

Cependant une lumière partant du ciel vint se confondre avec sa propre lumière, et je vis sa forme visible, à partir de la tête, se perdre dans cette splendeur céleste, s'y élever et s'y évanouir en quelque sorte. C'était comme un soleil entrant dans un autre, une flamme se perdant dans une masse lumineuse, une étincelle volant dans une flamme. C'était comme lorsqu'on regarde le soleil en plein midi, si ce n'est que la lumière était d'une blancheur plus éclatante : le plein jour paraissait obscur en comparaison. Je ne pouvais plus voir sa tête, je distinguais encore ses pieds brillants de lumière : mais enfin il disparut complètement, perdu dans la splendeur céleste. Je vis de tous côtés des âmes innombrables entrer dans cette lumière, et disparaître dans le ciel avec le Seigneur. Je ne puis dire que je l'aie vu comme quelque chose qui vole dans l'air et qui va toujours s'amoindrissant, mais je l'ai vue s'élever et disparaître dans une nuée resplendissante.

Avec la nuée lumineuse, il tomba comme une rosée de lumière sur tous les assistants : lorsque l'éclat de la lumière devint tel que les yeux ne purent plus le suppor-ter, toits furent saisis d'effroi et de stupeur. Les apôtres et les disciples étaient ceux qui se tenaient le plus près de Jésus : ils furent la plupart complètement éblouis; tous baissèrent les yeux à terre, et plusieurs se prosternèrent sur leur face. La sainte Vierge se tenait immédiatement derrière eux et regardait tranquillement devant elle.

Ait bout de quelques instants, lorsque la lumière se fut un peu affaiblie en s'éloignant, toits les assistants immobiles à leurs places et gardant le plus profond silence, quoique agités par les émotions les plus diverses, suivirent des veux l'apparition lumineuse qui resta encore quelque temps visible, et je vis descendre dans cette lumière deux figures, petites d'abord, mais qui bientôt grandissant, apparurent sous la forme d'hommes vêtus de longues robes blanches et ayant des bâtons à la main comme des prophètes. Ils parlèrent aux assistants : leur voix était éclatante comme le son de la trompette, et il me semblait qu'on devait les entendre de Jérusalem. Sans faire un geste ni un mouvement, ils prononcèrent ces paroles :

" Hommes de Galilée, pourquoi restez vous là à regarder le ciel ? Ce Jésus qui a été enlevé au ciel du milieu de vous, reviendra comme vous l'avez vu monter au ciel ". Avant ainsi parlé, ces figures disparurent, mais la lumière céleste persista encore un certain temps, puis s'affaiblit par degrés, et enfin s'évanouit de même que le jour se perd dans la nuit. Maintenant les disciples étaient tout à fait hors d'eux mêmes: maintenant ils connaissaient leur sort. Le Seigneur les avait quittés pour retourner à son Père céleste. Plusieurs tombèrent presque évanouis dans l'excès de la douleur et du saisissement. Pendant ce temps-là la lumière céleste disparut tout à fait; ils reprirent des forces et les autres se pressèrent autour d'eux. Beaucoup de personnes formèrent des groupes, et les femmes elles-mêmes se rapprochèrent; ils restèrent ainsi longtemps encore, réfléchissant, s'entretenant et regardant en l'air; puis enfin, les disciples reprirent le chemin de Jérusalem, et les femmes les suivirent. La sainte Vierge, Pierre et Jean avaient l'âme en paix et ressentaient une grande consolation; mais je vis aussi plusieurs personnes dont le coeur n'était pas touché et qui s'en allaient doutant toujours. Je vis toute cette foule se disperser peu à peu. Il y avait une pierre plate à l'endroit où se lit l'Ascension. Jésus se tenait debout sur cette pierre, lorsqu'il parla pour la dernière fois avant le moment où il donna sa bénédiction, et où il entra dans la nuée lumineuse. La trace de ses pieds resta imprimée sur la pierre comme aussi l'empreinte de la main de la sainte Vierge. (Anne Catherine n'a point dit où se trouvait cette dernière.)

Il était plus de midi lorsque toute la foule s'écoula. Je vis les disciples et la sainte Vierge aller au cénacle. Comme ils se sentaient seuls désormais, ils furent d'abord inquiets, se regardant comme délaissés. Je me disais qu'ils avaient tort puisqu'il leur restait la promesse de Jésus. J'aurais donné ma vie pour la garantir.

NOTE : Anne Catherine ne reproduisit pas ces paroles qui sont tirées des Actes des Apôtres : elle se borna à dire " qu'ils leur adressèrent quelques paroles." (Note du Pèlerin.)

Mais lorsqu'ils furent réunis dans la maison, ils trouvèrent une consolation particulière dans la présence de la sainte Vierge au milieu d'eux, et dans sa contenance calme et assurée : ils mirent toute leur confiance dans la parole du Seigneur suivant laquelle elle devait être pour eux un centre, une mère, une médiatrice, et la paix rentra dans leurs âmes.

Quand ceux qui avaient été témoins de l'Ascension revinrent à Jérusalem, les Juifs éprouvèrent un certain effroi. J'en vis beaucoup fermer leurs portes et leurs boutiques : plusieurs se réunirent ensemble dans certaines maisons. Déjà pendant les jours précédents, je les avais vus particulièrement inquiets et tourmentés : ils le furent aujourd'hui à un haut degré.

L'Ascension de Jésus eut lieu sur le point le plus élevé de la montagne des Oliviers.

Le jour d'après l'Ascension et les jours suivants, je vis les apôtres constamment réunis dans le cénacle et la sainte Vierge parmi eux. Depuis le dernier repas de Jésus où cela avait eu lieu pour la première fois, j'ai toujours vu Marie, lorsqu'on faisait la prière et la fraction du pain, placée en face de Pierre, lequel tenait la place du Seigneur lorsqu'on se réunissait pour prier et pendant les repas.

A la fin du sabbat d'après l'Ascension, je vis les apôtres réunis dans la salle du cénacle et priant. Tous avaient leurs vêtements blancs de cérémonie, mais Pierre et deux autres étaient revêtus de leurs ornements distinctifs. Il me sembla voir quelques changements dans leurs cérémonies. Ils se tenaient en cercle sous la lampe. La sainte Vierge était en face de Pierre. Ils avaient entre eux, sous la lampe, une petite table carrée assez haute qui ressemblait à un autel, et qui était recouverte d'une draperie rouge et d'une autre draperie blanche à jour. Je ne me souviens pas d'autre chose quant à présent.

Depuis que Marie a pris place à la table de la cène, dans la nuit d'avant l'Ascension, j'ai l'impression constante qu'elle a pris un plus haut rang parmi les apôtres et que maintenant elle représente l'Église.

Dans ce temps-là, je vis les apôtres et la sainte Vierge se tenir constamment dans le cénacle, où ils priaient, séparés de la portion la plus nombreuse des disciples, du reste de leurs adhérents et des saintes femmes. Ils occupaient différentes pièces. Les apôtres vivaient très retirés et je ne vis personne parmi les fidèles aller les visiter au cénacle. Les apôtres se tenaient plus en garde contre les persécutions des Juifs et persévéraient dans la prière plus strictement et plus régulièrement que les disciples établis dans l'autre salle : ceux-ci allaient et venaient davantage et j'en vis plusieurs parcourir la nuit avec une grande dévotion les chemins sanctifiés par le Seigneur.

J'ai vu aussi l'élection de Matthias comme apôtre. Je vis Pierre revêtu de son manteau épiscopal, debout dans le cénacle au milieu des apôtres : les disciples, réunis dans les salles latérales qui étaient ouvertes, assistaient comme spectateurs. Pierre proposa José Barsabas et Matthias :un et l'autre étaient au nombre des disciples présents. Parmi ceux-ci, il y en avait plusieurs qui auraient désiré qu'on les choisît pour remplacer Judas : mais ces deux-là ne le souhaitaient aucunement et ils n'y avaient pas même pensé.

Le premier jour, je vis Pierre proposer ces deux disciples ; le second jour on tira au sort, mais sans qu'ils fussent présents. Le sort étant tombé sur Matthias, un des apôtres alla le chercher à l'endroit où se tenaient les disciples et l'amena.

Je vis dans le cénacle un grand changement et comme les préparatifs d'une fête. Je pus, à cette occasion, me rendre un compte plus exact de la distribution de la maison. On pouvait enlever les parois des galeries latérales qui entouraient la salle, ce qui permettait de voir l'intérieur de cette salle, de même que des bras du transept on voit l'intérieur de la nef d'une église. Une partie de cette galerie à colonnes qui entourait la maison avait été fermée, pour faire des chambres où se tenaient les disciples. Je vis, à cause du sabbat qui allait s'ouvrir, tout l'intérieur de la salle décoré avec des arbres verdoyants entre les branches desquels on avait placé des pots de fleurs et des arbustes : des guirlandes de feuilles couraient d'un côté de la salle à l'autre. On avait ouvert une large trappe dans la partie supérieure, à l'endroit où la lampe était suspendue habituellement, et la lampe elle-même était attachée un peu plus près du rideau qui était devant le Saint des Saints. Les cloisons avaient été enlevées du côté de la salle latérale et les portes étaient ouvertes : la porte extérieure de la cour était seule fermée. Les apôtres étaient rangés dans un ordre un peu différent de celui que j'avais vu précédemment. Pierre, revêtu du manteau épiscopal, se tenait debout au milieu de la salle en face de la lampe et du rideau : la sainte Vierge était vis-à-vis de lui devant la porte ouverte du vestibule. Elle avait son voile entièrement baissé sur son visage. Les autres femmes étaient derrière elle dans le vestibule, dont la porte était ouverte, et assistaient de là à la prière. Les apôtres étaient rangés des deux côtés de la salle, les yeux tournés vers Pierre, qui était debout sous la lampe, près de la table recouverte de rouge et de blanc sur laquelle étaient poses des rouleaux d'écriture. Les disciples, rangés dans les salles latérales dont les parois étaient enlevées, se trouvaient derrière les apôtres et regardaient. On priait et on chantait, mais sans gesticuler beaucoup. Tout avait été ainsi décoré à l'avance à cause du sabbat de la Pentecôte qui tombait le lendemain.

La ville est remplie d'étrangers: dans le temple aussi tout est décoré de guirlandes et de verdure. Il s'y fait beaucoup de cérémonies et il y a beaucoup de mouvement et de bruit.

Veille de la Pentecôte. — Je vis aujourd'hui tous les disciples rassemblés au cénacle comme le jour précédent La salle était décorée de guirlandes de verdure : les cloisons étaient enlevées et les portes ouvertes, à l'exception de la porte extérieure de la cour. Pendant la nuit, j'ai vu les apôtres dormir contre les murs et dans les salles extérieures. En ce temps-là, je les ai vas aussi le jour se mettre à table dans la salle, et manger des petits pains et un peu de miel. Les disciples étaient assis par terre dans les pièces attenantes : il n'y avait pas de grands apprêts.

Le soir, comme tous étaient de nouveau rangés pour la prière, je vis Pierre prendre sur la petite table qui était devant lui deux pains azymes où étaient tracées des lignes indiquant le nombre des parts à faire, les bénir, les élever en l'air, puis les rompre et en distribuer les morceaux aux apôtres et à la sainte Vierge. Je vis ces morceaux tout lumineux lorsqu'ils les reçurent. Je vis encore aujourd'hui faire plusieurs autres cérémonies. Les apôtres s'approchèrent de Pierre et lui baisèrent la main, la sainte Vierge fit de même. Lui aussi s'inclina vers eux, toutefois je ne sais pas bien s'il leur baisa la main à son tour. Cependant je les vis remplis d'un désir de plus en plus ardent. Lorsque les apôtres mangèrent le pain, je me trouvai moi-même saisie d'une ferveur extraordinaire et je me sentis nourrie et réconfortée d'une façon que je ne puis expliquer. Un aliment semblable à un liquide lumineux entra dans ma bouche. J'en sentis le goût, mais je ne savais pas d'où il venait, car je ne vis pas de main qui me le présentât : toutefois je le savourais avec un plaisir extraordinaire et j'eus la crainte d'avoir rompu le jeûne et de ne pouvoir recevoir la sainte communion le lendemain matin. D'après mon impression, je n'étais pas alors dans ma chambre : pourtant j'entendis parfaitement la cloche sonner minuit et je comptai chacun des douze coups.

Le soir comme je me trouvais près des apôtres et que je regardais de tous le côtés, je vis dans les rues beaucoup d'étrangers aller et venir, puis former des groupes. Ils étaient habillés suivant des modes étrangères : il y avait là des gens de toute espèce, les uns de haute condition, les autres de la basse classe, et ils parlaient entre eux dans un langage tout à fait singulier. Ils avaient aussi quelque chose d'étrange dans leurs manières, dans tous leurs mouvements et dans les gestes qu'ils faisaient en parlant. Ils semblaient se raconter les uns aux autres comment et en quel endroit telle et telle chose s'était passée. Plusieurs d'entre eux parcouraient les chemins par lesquels le Seigneur avait été conduit pendant sa Passion. Lorsque le soir vint, ils disparurent dans de grands hangars où ces gens, venus de loin pour les fêtes de la Pentecôte, trouvaient à se loger la nuit. Je vis aussi dans diverses maisons des traîtres qui tramaient des complots contre les apôtres.

Cette nuit il y eut beaucoup de mouvement dans la maison où se tenaient les membres de la communauté chrétienne. Cent vingt personnes étaient réunies dans le cénacle et dans ses dépendances : la sainte Vierge s'y trouvait avec les femmes, ses amies. Ils me parurent aujourd'hui plus calmes : précédemment ils avaient dans l'esprit des pensées qui les agitaient ; ils se demandaient comment le Consolateur, le Saint Esprit, viendrait à eux et ce qui arriverait alors. Aujourd'hui ils avaient beaucoup plus de confiance.

Je remarquai après minuit dans toute la nature une émotion mystérieuse et je ne sais quel mouvement de joie qui se communiquait à tous les assistants. Il me sembla aussi qu'à travers l'ouverture pratiquée en haut de la salle on voyait poindre dans le ciel une faible lumière. Les apôtres étaient devenus silencieux : ils avaient quitté les places qu'ils occupaient au milieu de la salle pour se ranger contre les parois et ils se tenaient près des piliers. Les disciples étaient placés dans les galeries latérales d'où ils voyaient l'intérieur de la salle. Pierre était debout devant le rideau qui cachait le Très Saint Sacrement ; la sainte Vierge se tenait dans la salle devant la porte du vestibule où se trouvaient les saintes femmes. dont cinq étaient à demeure dans la maison.

Tous se tenaient immobiles et dans l'attente, les bras croisés sur la poitrine et les yeux baissés vers la terre, et le calme qui régnait parmi eux se répandit partout de proche en proche. Les disciples, qui étaient dans les salles voisines, cherchèrent chacun sa place et bientôt le plus profond silence régna dans toute l'étendue de la maison.

Vers le matin, Je vis au-dessus de la montagne des Oliviers, à l'endroit ou le Seigneur était monté au ciel, une nuée lumineuse, brillant d'un éclat argentin, descendre du ciel et s'approcher en baissant de la maison des apôtres à Sion. Je vis dans le lointain, sur le premier plan, se mouvoir comme un globe accompagné dans sa marche d'un souffle de vent doux et tiède. En approchant, la nuée grandit et passa au-dessus de la ville comme une brume lumineuse, puis se ramassant et se concentrant au-dessus de Sion et du cénacle, pendant que son éclat et sa transparence allaient toujours en augmentant, elle s'arrêta, semblable à un soleil resplendissant, et descendit comme une nuée d'orage qui s'abaisse, avec un bruit pareil à celui d'un tourbillon de vent impétueux. A ce bruit je vis beaucoup de Juifs qui avaient vu la nuée s'enfuir tout effrayés vers le temple. Pour moi, quand j'entendis arriver ce vent avec une violence toujours croissante, je fus prise d'une terreur d'enfant, et, craignant que cela ne finit tout d'un coup par une terrible explosion, je cherchai avec inquiétude où je pourrais me mettre a l'abri. C'était comme un orage qui arrive rapidement, mais qui, au lieu de monter de la terre, descend du ciel, qui apporte une vive lumière au lieu d'une profonde obscurité et qui marche accompagné d'un bruit mystérieux au lieu de faire retentir les éclats du tonnerre. Or le mouvement de l'air qui produisait ce bruit se faisait sentir comme un courant d'air chaud dont l'influence était singulièrement agréable.

Quand la nuée lumineuse s'abaissa tout à fait sur le cénacle, en même temps que son éclat augmentait et que le bruit du vent redoublait, je vis la maison et tout ce qui l'entourait s'illuminer de plus en plus : je vis aussi les apôtres, les disciples et les saintes femmes de plus en plus recueillis et pleins de ferveur intérieure. Je ne puis rendre à quel point tout m'apparaissait clair et lumineux : tout était transparent pour moi.

Cependant vers trois heures du matin, avant le lever du soleil, je vis partir le la nuée retentissante des courants de lumière blanche qui se croisèrent sept fois et en se croisant ainsi se divisèrent en rayons isolés et en larmes de feu qui tombèrent sur la maison et ses dépendances. Le point ou se coupaient les sept courants lumineux était entouré d'une lumière semblable à celle de l'arc-en-ciel, et je vis s'y dessiner comme une figure resplendissante qui planait en l'air. Il me sembla aussi voir aux épaules de cette figure des ailes qui s'étendaient au lion : toutefois, je ne puis pas dire que ce fussent des ailes à proprement parler : car tout en elle ne semblait être qu'une effusion de lumière. En ce moment, la maison dans toute son étendue fut entièrement inondée et pénétrée par la lumière. Je ne vis plus la lueur de la lampe à cinq bras. Tous ceux qui se trouvaient réunis au cénacle semblaient pétrifiés, ravis en extase : ils levaient instinctivement leur visage en l'air, comme des gens altérés, et je vis entrer dans leur bouche des jets de lumière semblables à de petites langues de feu flamboyantes : ils semblaient aspirer le feu, le boire pour étancher leur soif : on eût dit que leur désir était une flamme qui s'élançait hors de leur bouche à la rencontre de cette autre flamme céleste. Ce feu divin se répandit aussi sur les disciples et sur les femmes qui étaient dans le vestibule, et toute la masse lumineuse se fondit pour ainsi dire comme une nuée qui se résout en pluie de lumière. Les langues de feu qui descendirent sur chacun des assistants différaient quant à l'éclat et à la couleur.

Plusieurs personnes furent réveillées par ce bruit semblable à celui d'un vent impétueux. L'Esprit Saint remua vivement beaucoup de disciples et de partisans de Jésus qui habitaient dans les environs.

Quand le don céleste se fut répandu sur l'assemblée réunie au cénacle, tous se sentirent pleins d'allégresse et de courage. Ils étaient profondément émus : la joie les enivrait et leur confiance était sans bornes. Tous se pressèrent autour de la sainte Vierge que je vis seule, quoique inondée aussi des consolations célestes, calme, tranquille et absorbée comme toujours dans un saint recueillement. Quant aux apôtres, ils s'embrassaient mutuellement transportés de joie et animés d'une hardiesse toute nouvelle. Ils semblaient s'interpeller les uns les autres et se dire : " Qu'étions-nous et que sommes-nous devenus " ? Les saintes femmes aussi s'embrassaient. Les disciples dans les galeries latérales n'étaient pas moins émus. Les apôtres coururent à eux, et il se manifestait chez tous comme une nouvelle vie qui les remplissait de joie, de confiance et d'intrépidité.

Bientôt cette manifestation de lumière et de force intérieure se tourna en actions de grâces. Ils prirent leurs places comme ils le faisaient pour la prière, remercièrent Dieu et chantèrent des cantiques avec une émotion profonde : pendant ce temps la lumière disparut par degrés. Alors Pierre adressa un discours aux disciples et en envoya plusieurs au dehors dans les autres endroits ou logeaient des amis venus pour les fêtes de la Pentecôte.

Il y avait à partir du cénacle jusqu'à la piscine de Béthesda beaucoup d'échoppes et de hangars ouverts, ou des étrangers venus pour la fête passaient la nuit et logeaient leurs bêtes de somme. Un très grand nombre d'entre eux dormaient : d'autres étaient éveillés et avaient ressenti l'influence de la grâce du Saint Esprit, car il y avait eu un mouvement général dans la nature. Beaucoup de gens de bien s'étaient sentis comme réveillés intérieurement, tandis que les méchants saisis d'effroi et d'inquiétude n'en étaient devenus que plus endurcis. La plupart des gens logés dans ce quartier, qui fut le premier séjour de la communauté chrétienne, étaient restés à Jérusalem depuis les fêtes de Pâques, parce qu'étant de pays éloignés il ne leur était pas facile d'aller chez eux et de revenir entre Pâques et la Pentecôte. Or, ceux-ci, par suite de tout ce qu'ils avaient vu et entendu, étaient plus portés que d'autres vers les disciples et avaient plus de rapports avec eux. Lorsque les disciples envoyés par Pierre vinrent à eux ivres de joie et leur annoncèrent l'accomplissement de la promesse concernant le Saint Esprit, ils se rendirent compte, chacun à sa manière, de l'impression qu'eux-mêmes avaient éprouvée, et sur l'invitation des disciples, ils se rassemblèrent toue autour de la piscine de Bethesda qui était dans le voisinage.

Pendant ce temps, Pierre, dans le cénacle imposait les mains à cinq apôtres qui devaient avec lui enseigner et baptiser à la piscine de Béthesda. Je crois que c'étaient Jacques le Mineur, Barthélemy, Matthias, Thomas et Jude Thaddée. Je vis que pendant cette cérémonie, le dernier eut une vision : il me sembla le voir serrer le Seigneur dans ses bras.

Je les vis ensuite, avant de se rendre à la piscine de Bethesda pour y bénir l'eau et y administrer le baptême, recevoir encore la bénédiction de la sainte Vierge devant laquelle ils s'agenouillèrent. Avant l'Ascension de Jésus, ils la recevaient debout. Les jours suivants je vis toujours les apôtres recevoir cette bénédiction lorsqu'ils sortaient après leur retour. La sainte Vierge, lorsqu'elle donnait cette bénédiction, et en général toutes les fois qu'elle se montrait parmi les apôtres dans quelque circonstance solennelle, portait un grand manteau blanc et un voile de couleur jaunâtre qui lui cachait le visage : elle avait sur la tête une bande d'étoffe bleu de ciel retombant des deux côtés presque jusqu'à terre et ornée de broderies, laquelle était assujettie au haut de la tête par une couronne de soie blanche très fine.

Cependant tous ces gens que les disciples étaient allés convoquer dans les hôtelleries circonvoisines et dans ce grand vieil édifice (le château de David) qui était à peu de distance du cénacle, se rendirent en foule à la piscine de Bethesda. Ils étaient très animés et très émus, et les disciples leur racontaient et leur expliquaient ce qui s'était passé avec de grandes démonstrations de joie.

C'était ce jour-là que devait avoir lieu baptême conformément aux instructions laissées par Jésus, et l'on avait fait pour cette cérémonie des préparatifs de toute espèce dans la synagogue voisine de la piscine dont les disciples avaient pris possession récemment et près de la piscine elle-même. Je vis notamment des tapis tendus sur les murs de la synagogue, des enceintes séparées par des barrières, une espèce d'autel au milieu de la salle et à l'entrée de l'édifice un passage couvert allant jusqu'à la piscine.

Bientôt les apôtres se rendirent du cénacle à cette synagogue ; ils étaient revêtus des vêtements blancs qu'ils portaient dans les cérémonies et marchaient deux à deux comme en procession, apportant avec eux tout ce qui étai nécessaire pour la bénédiction de l'eau et l'administration du baptême. La sainte Vierge, d'autres femmes et plusieurs disciples les suivirent afin de s'occuper de la distribution des robes baptismales. Les apôtres avaient avec eux une outre de cuir pleine d'eau bénite, et un aspersoir qui n'avait pas la forme d'un goupillon. Après le dernier repas qui avait précédé l'Ascension, Jésus leur avait donné de nouvelles instructions sur la bénédiction de l'eau et l'administration du baptême. La foule assemblée les reçut avec une grande joie. Elle sel composait de Juifs étrangers qui s'étaient réunis ici depuis les fêtes de Pâques, et que tout ce qu'ils avaient vu et entendu avait de plus en plus rapprochés de la communauté. Ce quartier qui entourait la piscine était un des emplacements où campaient ordinairement les gens de cette catégorie. Ceux-ci avaient rencontré là des partisans déclarés de Jésus qui s'y étaient déjà établis, en cette circonstance avait mis en quelque sorte la grâce à leur portée : on peut voir par là comment la piscine de Béthesda devint pour eux, par suite du baptême qu'ils y reçurent, ce que la mer de Galilée avait été pour les caravanes qui s'arrêtaient sur ses bords afin d'aller entendre : les sermons de Jésus sur la montagne. Il y avait cependant encore parmi eux beaucoup de gens mal intentionnés ; en outré, beaucoup de personnes de la ville se joignirent à eux, attirées par la curiosité.

Les cinq apôtres auxquels Pierre avait imposé les mains se placèrent aux cinq entrées de la piscine et adressèrent au peuple assemblé des discours pleins d'enthousiasme. Mais Pierre monta dans une chaire qui avait été dressée pour lui dans l'une des enceintes de la piscine : c'était la troisième en partant de l'enceinte extérieure et celle où se trouvait la terrasse la plus spacieuse. Toutes les terrasses de la piscine étaient couvertes d'auditeurs. Lorsque les apôtres leur avaient adressé la parole, ils avaient été stupéfaits, car chacun les entendait parler dans sa langue. Cet étonnement du peuple fut cause que Pierre prit la parole à son tour, ainsi qu'il est rapporté dans les Actes des apôtres. (II, 14-40.)

Beaucoup d'entre eux s étant alors présentés pour être baptisés, Pierre, assisté de Jean et de Jacques le Mineur, bénit l'eau solennellement. A cette occasion, Pierre trempa l'aspersoir dans l'eau bénite qu'ils avaient apportée du cénacle dans une outre, et fit des aspersions qui atteignirent jusqu'au delà de la piscine.

Le baptême et la préparation au baptême durèrent toute la journée. Le peuple, qui couvrait toutes les terrasses, s'approchait par petites troupes qui faisaient successivement le tour de la chaire de Pierre. Les autres apôtres parlaient aux entrées de la piscine.

La sainte Vierge et les. autres femmes étaient à la synagogue voisine de la piscine, occupées à distribuer des robes blanches aux néophytes. Les manches de ces robe s étaient attachées par-dessus les mains avec des rubans noirs qu'on défaisait et qu'on mettait en tas après le baptême. Les cinq apôtres auxquels Pierre avait imposé les mains se tenaient aux cinq entrées de la piscine et baptisaient. Les néophytes s'appuyaient sur une balustrade : on puisait l'eau avec un bassin ou on la prenait dans la main pour la verser trois fois sur leur tête ; elle tombait ensuite dans des rigoles qui la ramenaient à la piscine.

Le bassin contenait la quantité d'eau nécessaire pour baptiser environ dix couples ; quand il était épuisé on le remplissait de nouveau. Deux baptisés conduisaient toujours deux autres néophytes à la place qu'ils avaient occupée et leur mettaient les mains sur la tête en qualité de parrains. Les premiers baptisés étaient pour la plupart des disciples et des adhérents de Jésus qui avaient reçu seulement le baptême de Jean. Les saintes femmes aussi furent baptisés. Je crois qu'il y eut bien trois mille personnes qui s'adjoignirent aujourd'hui à la communauté chrétienne. Le baptême et les instructions préparatoires durèrent toute la journée. Le soir ils revinrent au cénacle et prirent un repas où l'on distribua beaucoup de pain bénit, après quoi on fit encore la prière du soir.

Je vis aujourd'hui chacun des Juifs qui vinrent au temple offrir dans une corbeille deux petits pains faits avec le blé de cette année. Il y en avait de grands amas : plus tard tout cela fut donné aux pauvres. Je vis aussi une fois le grand prêtre tenant à la main un bouquet d'épis dont la tige était épaisse comme celle du roseau et qui ressemblaient à du blé de Turquie. Ils offrirent encore des objets qui avaient l'air de racines et des fruits qui m'étaient inconnus. Les gens qui se tenaient sous les hangars avaient des ânes chargés de tous ces objets ; ils les vendaient au peuple. Quant au pain chacun le faisait cuire chez soi. Les apôtres n'offrirent pour eux tous que les deux pains ; cela se fit par l'intermédiaire de Pierre.

La piscine de Béthesda, située vis-à-vis de l'angle du Saint des Saints qui regarde le sud-ouest, comme le Calvaire est situé vis-à-vis l'angle qui regarde le nord-ouest, était déjà délaissée depuis longtemps et tombait en ruines. Elle était, comme beaucoup de sanctuaires et d'anciens usages de l'Église à notre époque, complètement négligée, et n'était à l'usage que de quelques pauvres croyants, comme dans notre temps l'eau bénite, le chemin de la croix et certaines images miraculeuses. Ce n'est pas, comme bien des gens le croient, la même que la piscine des Brebis : celle-ci est située au nord du temple, près du marché aux bestiaux, dans le voisinage de la porte des Brebis, et elle est maçonnée en pierre. La piscine de Béthesda n'est pas maçonnée, elle est sur un fond de sable d'où jaillissent plusieurs sources ; elle sert aussi d'égout au sang des sacrifices qu'on fait au temple ; ce sang s'y déverse par des conduits placés sons l'autel. Jésus y a guéri et enseigne plusieurs fois : le miracle qu'il y a fait en guérissant le paralytique a ramis un peu la piscine en honneur, mais l'a rendue plus odieuse aux Pharisiens.

Pendant l'absence que fit Jésus après la résurrection de Lazare, les disciples s'y tinrent souvent, car il y a là des recoins, des terrassements, des murs en grand nombre, et sur l'une des pentes qui descend dans la vallée, on trouve des bouquets de genévriers. Après le crucifiement et la résurrection, lorsque les Juifs dévastèrent les chemins, les passages, les lieux où résidaient les partisans de Jésus, afin d'isoler ceux-ci et de leur fermer l'accès aux autres parties de la ville, ils murèrent la porte par laquelle Jésus avait passé, le dimanche des Rameaux, barrèrent le chemin qui allait de la montagne de Sion au temple et interceptèrent celui du Calvaire par des haies, des barrières et des fossés ; ils firent aussi beaucoup de dégâts à la piscine de Béthesda, où les disciples et les fidèles s'étaient tenus cachés habituellement avant et pendant le crucifiement.

La piscine de Bethesda est de forme ovale. Les cinq enceintes, avec leurs terrasses qui s'abaissent en pente douce, entourent la piscine comme un amphithéâtre et sont coupées par cinq chemins qui descendent et aboutissent à quelques marches. Les murs de derrière des terrasses contiennent de petites salles voûtées dans lesquelles sont disposées des couches en pierre pour les malades. La rampe intérieure de ces terrasses n'a pas de murs d'appui du côté de la piscine. On peut voir de partout si l'eau de la piscine s'agite. Le fond de la piscine est de sable blanc brillant. Trois sources bouillonnent au milieu et mettent le sable en mouvement : souvent aussi ces sources jaillissent au dessus de la surface.

Les dépendances de la piscine avec toutes les constructions qui en font partie occupent un très grand espace : lorsqu'on est entré, on monte d'abord un peu, puis on descend devers le bassin. Le bâtiment ovale qui entoure la piscine couvre le ravin qui se trouve entre Sion et le reste de Jérusalem, au sud-ouest du temple. Il s'étend en longueur dans le sens de la vallée qui descend à l'est par une pente escarpée. Plus à l'ouest derrière la piscine, la vallée est moins profonde et des ponts la franchissent. L'enceinte extérieure est comme un rempart percé seulement de trois entrées, mais dans l'intérieur on arrive à l'étang par cinq passages qui coupent les terrasses. Le côté du nord est escarpé et couvert de végétation : il y a au nord-est, en face du temple, une entrée qui maintenant est fermée et tombe en ruines. Depuis longtemps déjà la piscine était abandonnée et ses environs inhabités. Les murs d'enceinte extérieurs sont en très mauvais état et les terrasses sont en grande partie très dégradées. De même la pompe jaillissante ne marchait plus, mais peu après la Pentecôte je la vis réparée et employée pour le baptême. L'école qui est ici ne servait qu'aux étrangers à l'époque des fêtes, de même aussi les nombreux pèlerins qui venaient pour Pâques résidaient ordinairement près de la piscine : c'est surtout maintenant le cas pour ceux qu'ont attirés les fêtes de la Pentecôte.

Lorsque les apôtres et les disciples eurent pris possession du cénacle et de cette école voisine de la piscine de Béthesda, on fit quelques réparations et de nouveaux arrangements. Aujourd'hui de très bonne heure, je vis les brèches des murs écroulés masquées par des couvertures tendues entre des pieux, et le chemin qui mène à la synagogue abrité par des toiles formant une espèce de voûte.

A l'ouest de la piscine, sur un point élevé de la montagne de Sion, se trouve l'ancienne maison des héros de David. Cet endroit est en face de l'angle sud-est du Saint des Saints. Il y a là de petits sentiers qui conduisent dans la ville sans passer par les portes. Jésus se servait souvent de ces sentiers.

Lundi de la Pentecôte. — Ce matin, de bonne heure, je vis Pierre révéler quelque chose touchant le Saint Sacrement : je croyais d'abord qu'on voulait le transporter à la nouvelle église de la piscine de Béthesda, mais il s'agissait seulement de quelques dispositions nouvelles quant à la manière de le conserver. On retira le calice et la sainte Eucharistie de la grande custode ou du tabernacle, et on les mit dans une espèce de cage qui me sembla en baleine et qu'on revêtit d'un petit manteau blanc transparent. Elle était surmontée d'un anneau par lequel on la prenait, et le tout avait la forme d'une cloche. On remplit l'ancienne custode de petits pains bénits, et on la plaça devant le Saint Sacrement. On distribuait aux fidèles de ces pains bénits qu'ils emportaient chez eux.

Ils retournèrent aujourd'hui a la piscine de Bethesda et à la synagogue qui en était voisine, après avoir distribue des pains bénits à plusieurs fidèles, parmi lesquels étaient les saintes femmes. Avant de sortir du cénacle, les apôtres et les disciples reçurent de nouveau la bénédiction de la sainte Vierge. Aujourd'hui les matines furent plus solennelles qu'à l'ordinaire. Ils baptisèrent et enseignèrent à la piscine de Béthesda pendant la plus grande partie de la journée.

Deuxième jour après la Pentecôte. — Ce matin les apôtres retournèrent à la nouvelle église de la piscine de Bethesda. On ne baptisa pas ; seulement on continua de travailler aux arrangements intérieurs de l'église. Une grande quantité de membres de la nouvelle communauté étaient rassemblés à l'entrée de l'église et autour de la piscine, priant Dieu et lui demandant de bénir l'oeuvre commencée. Je les vis souvent, dans un clan de ferveur, se prosterner la face contre terre.

Je vis Pierre, Jean et André enseigner tour à tour en trois endroits différents. Jacques le Mineur enseignait dans la chaire de saint Pierre sur la troisième terrasse de la piscine. Du reste, les apôtres ainsi que beaucoup de disciples et d'autres personnes travaillaient aux arrangements intérieurs de l'Église.

J'ai très bien vu cette église à plusieurs reprises, ainsi que la piscine et ses dépendances, et je ne puis dire qu'une chose : c'est que, quant aux points principaux, elle n'a guère subi de changements. La piscine est établie dans une vallée qui sépare la montagne de Sion de celle du Temple, et qui, passant au midi du temple, va rejoindre la vallée de Josaphat. Les constructions de la piscine semblent avoir séparé cette vallée du temple du côté de l'ouest, car il y a un côté de la piscine autour duquel on ne peut pas circuler comme on le peut de tous les autres côtés. Il y avait bien encore là un chemin assez large mais les murs s'étaient écroulés en partie, ce chemin était couvert d'herbe et de jonc, et il aboutissait à un ravin dont le fond surtout était tout tapissé de verdure. Les genévriers abondaient dans cet endroit, et on y voyait beaucoup d'ossements amoncelés. C'était là peut-être que se déversait un des égouts du temple. La montagne de Sion se compose de trois éminences : sur la plus élevée, qui est aussi la plus occidentale, se trouve l'ancien château de David où maintenant les caravanes trouvent une espèce d'abri. Sur la pente orientale de ce point culminant de Sion est située l'habitation des héros de David qui est aujourd'hui le cénacle. Au sortir de la cour du cénacle, le chemin descend à l'est en contournant la montagne de Sion ; il fait un coude au nord, puis une autre à l'ouest, après quoi il revient à l'est et se dirige vers la piscine de Béthesda qui occupe là la vallée située entre le temple et Sion.

La partie de Sion qui s'étend jusqu'à la vallée de Josaphat, entre le cénacle et la piscine, est à peu près inhabitée, pleine d'espaces vides, de jardins, d'édifices en ruines et de méchantes cabanes où s'abritent des pauvres. Les Juifs l'évitent soigneusement depuis qu'après la mort du Christ elle est devenue un centre pour la communauté chrétienne, et ils l'ont isolée de la ville en obstruant la plupart des chemins qui y communiquaient. Il y avait dans ce quartier une espèce de grande cour, entourée de vieux murs, ou des caravanes installaient souvent leurs nombreuses bêtes de somme. Le reste de Sion était très habité. La cour du cénacle n'est pas entièrement dégagée : elle a un côté attenant à une rue bordée de maisons.

La nouvelle église de la piscine de Béthesda est beau coup plus isolée et plus dégagée. C'est un grand carré long dans l'intérieur duquel sont disposés de trois côtés des gradins en pierre où s'assoit l'auditoire. Sur l'un des côtés le sol est plus élevé et c'est là qu'est la chaire. Les fenêtres sont placées tout en haut et il y a contre le mur extérieur un escalier pour monter sur le toit de l'édifice qui est en terrasse et e entouré d'une galerie.

Les apôtres ont disposé dans l'intérieur une espèce de choeur et différentes séparations : je vis aussi derrière la chaire un autel placé plus haut que celle-ci, mais pourtant assez éloigné du mur pour qu'on ait pu établir par derrière une espèce de sacristie en plaçant des deux côtés des cloisons en clayonnage dans l'espace compris entre l'autel et les parois latérales de l'édifice. Cet autel repose sur trois marches : c'est un carré long et il n'y a qu'une seule marche sur chacun des petits côtés. Il est en bois et recouvert de nappes : je le crois portatif, car j'ai vu des hommes apporter les diverses parties dont il se compose. Le tout est creux et consiste en coffres remplis de linge et de mobilier d'église, car on peut ouvrir des doux côtés le marchepied de l'autel et en tirer des planches qui sont garnies de tapis. L'autel lui-même peut être démonté par derrière et il est rempli d'ornements d'église. Je le vis apporter par deux hommes dont le costume paraissait étranger ; ils portaient autour de la partie supérieure du corps un vêtement court et Plissé. Leurs bras étaient à moitié découverts : ils avaient autour des reins un tablier qui les enveloppait et qui était plutôt une espèce de caleçon. Ils portaient un bonnet sur la tête. Ils étaient tout à fait habillés à la mode égyptienne. J'ai vu une fois sur les confins de la terre sainte des gens vêtus de même qui faisaient divers travaux en bois et en laine. Je crois que ceux-ci étaient des étrangers convertis qui avaient travaillé aux objets qu'ils apportaient.

Une activité incroyable régna tous ces jours-ci dans la communauté. On tissait, on tressait, on confectionnait toute sorte d'objets destinés à l'église et aux pauvres. Je vis jour par jour ces travaux et ces distributions et toujours avec un vif désir d'y coopérer.

Sur l'autel était une armoire ou un tabernacle ayant la forme d'une cloche : c'était comme une espèce de cage revêtue d'une belle enveloppe avec deux petits fermoirs qui lui donnaient l'air d'un manteau d'évêque, et surmontée d'un bouton dont on se servait pour la transporter. Aux deux côtés de l'autel étaient placées des lampes à plusieurs branches où brûlaient des mèches qui n'étaient pas en laine.

Tout l'autel était entouré d'un rideau blanc rayé de diverses couleurs et suspendu à un dais formé de cinq morceaux d'étoffe qui se réunissaient dans la main d'une figure rembourrée, ouvrage des saintes femmes. Elle représentait un vieillard en costume de grand prêtre, ayant derrière la tête un nimbe triangulaire et elle me rappela des représentations bien connues de Dieu le Père. Elle était penchée comme si elle eût regardé en bas par l'ouverture du toit, étendait une main pour bénir et tenait de l'autre, à leur point de jonction, les cinq bandes d'étoffes qui formaient le dais. J'ai vu souvent de semblables Images chez les Juifs de cette époque : j'ai vu par exemple chez sainte Anne des figures étroitement enveloppées dont il a' fait mention plus d'une fois.

La journée fut employée à des arrangements comme ceux dont j'ai parlé et à des instructions mêlées de prières. Le soir les apôtres revinrent au cénacle.

Ce matin les apôtres portèrent le Très Saint Sacrement à la nouvelle église de la piscine de Béthesda. Auparavant Pierre entouré d'une vingtaine de disciples prêcha publiquement sous la porte de la cour du cénacle ; la foule des auditeurs était très nombreuse et il parla avec beaucoup de feu. Plusieurs Juifs accoururent dans l'espoir de le troubler par leurs objections, mais ils n'y réussirent pas. Après cela le cortège descendit à la nouvelle église. Pierre portait devant lui une pyxide contenant le Saint Sacrement, et renfermée dans une espèce de bourse blanche attachée à son cou. La sainte Vierge marchait à la suite des apôtres avec d'autres femmes et des disciples. Sur une partie du chemin on avait tendu des nattes de chaque côté : dans le voisinage de l'église on les avait disposées de manière à former une espèce de tente. Le Saint Sacrement fut place sur l'autel dans le nouveau tabernacle Ils avaient aussi apporté le coffret rempli de petits pains bénits. La partie de l'église qui s'étendait derrière l'autel était fermée par une cloison en clayonnage recouverte du côté qui regardait l'autel d'une belle draperie blanche, de l'autre côté, d'une étoffe plus grossière. Le dais auquel le rideau était suspendu formait par derrière un hémicycle ou plutôt une niche : le rideau avec ses raies de diverses couleurs ne descendait guère qu'à la hauteur de l'autel : il était assujetti sur les côtés et attaché par devant avec des fermoirs de métal. Il n'y avait pas de séparation dans le haut et il était rejeté en arrière des deux côtés.

Cet autel était placé plus haut que la chaire : l'espace compris entre les deux formait le choeur que les disciples et les apôtres occupaient jusque près de l'autel. Les fidèles se tenaient au-dessous de la chaire, séparés du choeur par une grille avec des ouvertures à travers lesquelles on pouvait donner la sainte communion, a peu près comme cela se fait dans les couvents. Il y avait des deux côtés de la chaire de petites portes par lesquelles les apôtres et les disciples entraient dans le choeur.

Les fidèles étaient rangés suivant une certaine hiérarchie : les femmes étaient à part. Une partie des néophytes convoqués par les apôtres reçut seule la sainte Eucharistie : on donna aux autres du pain bénit.

Le sol de l'église était, comme celui du cénacle dans les derniers temps, couvert de tapis de couleurs variées : on se déchaussait en y entrant.

Il y eût aujourd'hui à l'autel une cérémonie solennelle. Les chandeliers étaient allumés ; un pupitre placé sur l'un des côtés supportait des rouleaux écrits sur deux colonnes ; on les tenait ouverts à l'aide de chevilles fichées en divers endroits du pupitre, et quand un feuillet était lu, on le faisait passer par-dessus le pupitre. Il y avait plusieurs feuillets superposés.

Le toit plat de l'édifice était surmonté de plusieurs petites coupoles (trois, si je ne me trompe), qu'on pouvait ouvrir pour donner de l'air : sous la dernière qui correspondait à l'autel était placée cette figure qui portait le baldaquin.

Le Saint Sacrement se trouvait dans une pyxide dont on ouvrait le couvercle en le faisant tourner. Le pain eucharistique était rompu en petits morceaux placés sur une patène qui recouvrait le fond du ciboire et qu'on pouvait en retirer à l'aide d'un manche pour prendre plus aisément les Particules qui étaient le plus au' fond. Dans aucune de ces cérémonies je n'ai vu donner aux fidèles le précieux sang.

Je vis plusieurs des apôtres et des disciples aller à Béthanie après avoir prêché dans la ville devant différents groupes de personnes. Le cénacle était fermé : le calme régnait aussi près de la piscine de Bethesda.

Le soleil était encore assez haut ; il pouvait être environ trois heures après midi, lorsque je vis Pierre et Jean aller au temple accompagné de deux disciples, l'un desquels était Simon, si je né me trompe. C'était la première fois qu'ils y allaient depuis la dernière instruction qui y avait été donnée. Marie s'y rendit aussi avec quelques femmes.

On venait de déposer à la porte du temple un boiteux qu'on y avait apporté sur une civière : Pierre et Jean au moment d'entrer lui adressèrent quelques paroles. Je vis ensuite Pierre parler quelque temps avec beaucoup de chaleur en présence d'une foule nombreuse : il avait le des tourné au temple, et se trouvait dans un parvis antérieur où se trouve d'un côté l'autel des offrandes : au midi est un emplacement au-dessus duquel sont tendues des tapisseries et où il y a des sièges de pierre pour s'appuyer, Pendant ce discours je vis qu'on faisait occuper les issues par des soldats : je vis aussi s'entretenir ensemble des prêtres qui avaient sur la tête des bonnets à forme haute et à leur vêtement une garniture qui ressemblait à de la fourrure mouchetée.

Je vis alors Pierre et Jean qui s'étaient retournés du côté du temple, interpellés par le boiteux qui leur demandait l'aumône. Il était couché devant la porte, tout à fait ramassé sur lui-même et appuyé sur le coude gauche : il tenait à la main une béquille à l'aide de laquelle il cherchait, sans pouvoir y parvenir, à se redresser un peu. Pierre lui dit : " Regarde-nous " ! Et quand cet homme eut les yeux fixés sur eux, il ajouta : " Je n'ai ni argent ni or, mais je te donne ce que j'ai ! au nom de Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et marche ! ", il le souleva alors en lui prenant la main droite pendant que Jean le soutenait sous les épaules. Le boiteux se leva tout joyeux et se sentit affermi sur ses pieds : je le vis, sautant et poussant des cris de joie, courir à travers le parvis du temple.

Cependant une douzaine de prêtres juifs étaient assis là sur leurs sièges, et je les vis allonger le cou pour voir d'où venait le bruit tumultueux qu'ils entendaient, car la foule grossissait de plus en plus autour du boiteux guéri, si bien qu'ils finirent par quitter leurs sièges et se retirer. Pierre et Jean allèrent dans le vestibule, et j'y vis Pierre monter dans la chaire placée sur l'un des côtés : c'était celle où Jésus avait enseigné à l'âge de douze ans. Il y avait au milieu une autre chaire du haut de laquelle le Seigneur avait fait sa dernière instruction. Le boiteux guéri se trouvait dans cette salle, entouré de beaucoup de gens de la ville et d'étrangers. La sainte Vierge et les autres femmes étaient retournées chez elle précédemment, mais vers le soir, d'autres apôtres et d'autres disciples étaient venus et ils enseignaient en divers endroits du temple. Pierre parla longtemps et avec beaucoup d'enthousiasme, mais lorsque la nuit vint, je vis les soldats du temple se saisir de lui ainsi que de Jean et du boiteux guéri ; puis, on les enferma dans un cachot qui était dans la cour du tribunal où Pierre avait renié le Seigneur, à côté de la prison de Jésus.

Je vis dans le tribunal où Jésus avait été jugé. Anne Caïphe et d'autres prêtres assis sur leurs sièges et tenant conseil : plusieurs des personnes converties la veille par le discours que Pierre avait fait au temple étaient présentes. Je vis ensuite le boiteux guéri ainsi que Pierre et Jean, tirés par les soldats de la prison où Jésus avait été insulté pendant la nuit, et je vis ces soldats les pousser et les frapper à coups de bâton. Ils furent traduits devant Caïphe et les autres prêtres sur le même escalier où Jésus avait comparu, et on leur fit subir un interrogatoire. Mais Pierre parla avec beaucoup de véhémence, et on finit par les relâcher.

Je vis pendant la nuit les autres apôtres et une partie des disciples prier incessamment dans le cénacle pour les prisonniers. Lorsque Pierre et Jean revinrent et leur racontèrent tout ce qui s'était passé, leur joie s'épancha dans une prière d'actions de grâces qu'ils firent à haute voix et pendant laquelle toute la maison trembla comme si le Seigneur eût voulu leur dire par là qu'il était au milieu d'eux, et qu'il avait exaucé leur prière. Ensuite Jacques le Mineur fit connaître aux autres ce que Jésus lui avait dit à lui seul, lors de son apparition sur la montagne en Galilée, à savoir que lorsque Pierre et Jean, étant allés au temple, auraient été arrêtés, puis relâchés, il leur faudrait se tenir un peu plus à l'écart.

Sur cette information, je vis les apôtres fermer tout dans la maison, et Pierre, portant au cou une bourse où était le Saint Sacrement, alla avec les autres à Béthanie. Ils marchaient divisés en trois groupes. La sainte Vierge et d'autres femmes s'y rendirent aussi Je vis qu'on laissa un peu des saintes espèces dans l'église de Béthesda. Jeanne Chusa, la servante de Marie, celle de Madeleine, et, si je ne me trompe, Marie Salomé, restèrent aussi avec environ sept disciples dans les petites habitations voisines de l'église ; quant à l'église elle-même, elle fut fermée et les autres fidèles se dispersèrent et regagnèrent leurs logements.

Beaucoup de personnes étaient rassemblées à Béthanie : les apôtres prêchèrent avec beaucoup d'éloquence dans l'hôtellerie des disciples, dans la maison de Simon et chez Lazare : on mangea chez celui-ci, à trois tables dressées dans la maison, dans la cour et dans les pièces souterraines. Le soir, à l'ouverture du sabbat, ils le célébrèrent en priant sous la lampe.

Le Samedi d'après la Pentecôte. Aujourd'hui les apôtres donnèrent la sainte Communion dans la maison de Lazare, et distribuèrent le pain bénit dans l'hôtellerie des disciples et dans la maison de Simon ; ils continuèrent à prêcher avec un zèle admirable. Joseph d'Arimathie et Nicodème étaient maintenant à demeure chez Lazare à cause de la haine que leur portaient les Juifs.

Le soir, les apôtres retournèrent à Jérusalem. Ils étaient plus ardents et plus résolus que jamais. Je vis les disciples avec les apôtres dans la salle du cénacle où Pierre enseigna. Thomas était dans l'église de Béthesda et enseignait la masse des fidèles. Pierre s'y rendit aussi et y enseigna comme il l'avait fait au cénacle, que quiconque avait reçu l'Esprit envoyé par Jésus, devait maintenant s'éprouver lui-même, car le temps allait venir où il faudrait travailler à l'oeuvre commune, souffrir la persécution et partager avec ses frères tout ce que l'on possédait ; si l'on ne se sentait pas assez fort, il valait mieux se retirer. Je vis alors que dans le nombre très considérable de ceux qui s'étaient adjoints à la communauté dans les derniers temps, il y en eut environ une centaine qui se retirèrent. Mais aucun de ceux qui étaient au cénacle ne fit défection. Je vis ceux-ci prier longtemps encore pendant la nuit avec les apôtres.

Dimanche après la Pentecôte. — Les apôtres passèrent toute la nuit en prières au cénacle. Au point du jour, ils allèrent au temple avec plusieurs disciples ; Marie y alla aussi avec les saintes femmes. Il semblait qu'il y eût une fête, car on avait érigé devant l'entrée du temple un arc de triomphe au haut duquel était une figure qui brandissait une épée comme pour annoncer une victoire.

A la sortie du temple, Pierre enseigna à l'endroit où il avait enseigné la dernière fois il prêcha aussi sous l'arc de triomphe et parla avec beaucoup d'autorité. Un grand nombre de personnes s'étaient rassemblées autour de lui : il déclara hautement que ni martyre, ni flagellation, ni croix ne les empêcheraient désormais d'annoncer publiquement Jésus-Christ. Il entra aussi dans le temple et enseigna dans la chaire où Jésus avait enseigné : j'entendis une fois tous les apôtres et les disciples interrompre le discours de Pierre par un " oui " prononcé à haute voix. Plus tard, lorsqu'ils se mirent en prières, une nuée lumineuse passa au-dessus du temple, et je vis descendre sur eux une lumière si éclatante que la petite flamme des lampes du temple parut en comparaison sombre et rougeâtre.

Lorsqu'ensuite ils quittèrent le temple, il pouvait être huit heures du matin. Ils allaient deux par deux, comme en procession : les apôtres marchaient les premiers, puis les disciples, les baptisés et les nouveaux convertis. Les apôtres les rangèrent dans cet ordre dans le parvis des gentils qui est devant les bâtiments du temple ; alors ils 6agnèrent la porte des Brebis en passant par le marché aux bestiaux, sortirent à l'est de Jérusalem dans la vallée de Josaphat, tournèrent ensuite au midi, puis, revenant vers l'ouest, remontèrent à Sion et au cénacle.

La sainte Vierge et plusieurs autres saintes femmes avaient déjà quitté le temple longtemps auparavant. Marie priait seule dans le cénacle, agenouillée devant le Saint Sacrement. Madeleine priait dans le vestibule, tantôt debout, tantôt à genoux, tantôt prosternée par terre et les bras étendus. Les autres femmes étaient près de l'église de Béthesda dans de petites cellules construites de matériaux légers et attenantes à l'église. Elles habitaient deux par deux ces petits logements et s'occupaient à laver ou à confectionner des tuniques et à classer d'autres objets du même genre qui devaient être distribués.

Lorsque le cortège formé des apôtres, des disciples et des nouveaux convertis, arriva dans la cour du cénacle, ces derniers furent placés par les apôtres en face de la porte d'entrée. Les autres se rangèrent autour de la maison, plusieurs aussi se rendirent à la Piscine de Béthesda.

Mais Pierre et Jean entrèrent au cénacle et conduisirent entre eux la sainte Vierge sous la porte du vestibule qui est en face de la cour environnante. La sainte Vierge était habillée comme dans les occasions solennelles : elle avait un long manteau bleu dont les revers rejetés en arrière étaient ornés de broderies ; elle portait par-dessus son voile l'étroite bande d'étoffe retombant des deux côtés et assujettie à la tête par une petite couronne. Pierre fit une allocution aux nouveaux convertis et les confia, pour ainsi dire, à Marie comme à leur mère commune, car il les amena devant elle les uns après les autres, par troupes d'une vingtaine environ, qu'elle bénit successivement, et auxquelles elle adressa quelques paroles. Elle dit à tous la même chose.

Je vis ensuite une grande cérémonie au cénacle. Toutes les cloisons avaient été enlevées du côté de la salle latérale et du vestibule. Dans le sanctuaire, on avait suspendu au-dessus de l'autel une couronne de feuillage entremêlée de fleurs. (Cette décoration avait peut-être le même sens que l'arc de triomphe érigé devant le temple.) Des lampes étaient allumées des deux côtés du calice de la Cène qui était placé à une certaine hauteur et recouvert seulement d'un voile blanc : je vis, en outre, une lampe devant l'autel. Sur l'autel était placé un calice plus petit et un pain azyme recouverts l'un et l'autre : par derrière était une assiette avec deux vases contenant du vin et de l'eau. On retira l'assiette et on mit le vase de vin d'un côté de l'autel, le vase d'eau de l'autre côté.

Pierre s'était revêtu de son manteau épiscopal, et il célébra la messe. Jean et Jacques le Mineur l'assistèrent. Je vis toutes choses se faire comme lors de l'institution de l'Eucharistie par Jésus, l'offertoire, le vin et l'eau versés dans le calice, le lavement des mains et la consécration. Le vin et l'eau furent versés de deux côtés différents. Des rouleaux d'écriture étaient placés sur l'un des côtés de l'autel. Pierre, après avoir communié, présenta aux deux assistants le pain consacré et le calice. Ensuite Jean donna aux autres la sainte Communion. Marie la reçut la première ; ce fut ensuite le tour des apôtres, puis de six disciples qui repurent plus tard la consécration sacerdotale, puis de plusieurs autres assistants. Les communiants étaient à genoux : ils avaient devant eux un linge ou une bande d'étoffe étroite que deux personnes tenaient à chaque bout. Je ne vis pas tous ceux-là recevoir le calice.

Cependant les six disciples qui allaient recevoir la prêtrise avaient quitté leurs places et s'étaient avancés à l'entrée du choeur, à l'endroit où se tenaient les apôtres Marie apporta les ornements dont ils devaient être revêtus et les plaça sur l'autel. C'étaient Zachée, Nathanaël, José Barsabas, Barnabé, Jean Marc et Eliud, fils du vieux Siméon. Ils s'agenouillèrent deux par deux devant Pierre qui leur adressa la parole et lut des prières écrites sur un petit rouleau. Jean et Jacques tenaient des flambeaux et leur mirent la main sur l'épaule. Pierre la leur mit sur la tête. Pierre leur coupa quelques mèches de cheveux qui furent placés sur l'autel dans un petit plat ; et il leur oignit la tête et les doigts avec un onguent pris dans une boîte que lui présenta Jean. On les revêtit ensuite de leurs ornements et on leur passa autour du cou des étoles, les unes passées en travers sous le bras, les autres croisées sur la poitrine.

Je vis encore beaucoup de détails touchant cette solennité, mais je les ai oubliés : toutes les cérémonies étaient beaucoup moins longues qu'aujourd'hui, et pourtant plus solennelles. A la fin, Pierre bénit l'assemblée avec le grand calice de la Cène, sur lequel le Saint Sacrement reposait.

Marie et les autres femmes allèrent ensuite à l'église de Béthesda. Les apôtres, les disciples et les nouveaux néophytes s'y rendirent en procession, portant à la main des branches vertes et chantant des cantiques. Marie pria dans le choeur, agenouillée devant l'autel : Pierre monta dans la chaire et parla des règles à observer dans la nouvelle communauté : Aucun des fidèles, dit-il, ne devait avoir plus que l'autre ; ils devaient tout partager ensemble et il fallait pourvoir aux besoins des nouveaux venus.

Son discours fut aussi une action de grâces pour les bienfaits et les bénédictions que le Sauveur répandait sur la communauté naissante. Il y eut après cela de nouveaux baptêmes.

Sur le rebord en maçonnerie de l'étang de Béthesda, il y avait cinq endroits ou l'on descendait à l'eau par des marches : près de ces marches se trouvaient de petits canots ou des cuves flottantes dans lesquelles les malades se couchaient ou s'asseyaient, de façon à ce que l'eau rejaillit sur eux et les arrosât, quand elle viendrait à s'agiter. D'un des côtés de la piscine, il y avait dans l'eau un tuyau de cuivre, s'élevant au moins à hauteur d'homme et gros à peu près comme une petite baratte. On arrivait là par un petit pont de bois garni d'une balustrade et je vis près de ce pont un tube muni d'un piston qui communiquait avec le tuyau principal : quand on appuyait sur le piston, une soupape s'ouvrait et il en jaillissait un jet d'eau. On pouvait changer quelque chose à l'ouverture de manière à rendre le filet d'eau plus fort ou plus mince et à le diriger sur divers points. On pouvait aussi fermer l'ouverture supérieure et faire jaillir l'eau comme d'un arrosoir par des trous pratiqués sur les côtés. Je vis souvent des malades aller en canot jusqu'au tuyau de pompe et se faire ainsi arroser.

Ce tuyau de pompe, depuis longtemps hors d'usage, n'était pas encore réparé le jour de la Pentecôte, mais il le fut les jours suivants, et je vis dès lors baptiser là d'ordinaire les nouveaux convertis. Cela eut lieu notamment aujourd'hui. Plusieurs apôtres s'y employaient : deux d'entre eux imposaient les mains au néophyte ; celui-ci se tenant à la balustrade penchait la tête pour recevoir l'eau lancée par le tuyau de pompe, tandis que Pierre qui avait mis une ceinture par-dessus sa robe blanche dirigeait trois fois cette eau avec sa main sur la tête du néophyte et prononçait en même temps les paroles sacramentelles. On jetait ensuite sur les épaules du nouveau baptisé un petit manteau blanc assez semblable à l'amict que les prêtres portent par-dessous l'aube. Les femmes qui habitaient près de l'église de Béthesda préparaient ces petits manteaux et avaient soin qu'il y en eût toujours un nombre suffisant.

Je vis aujourd'hui qu'on administra ainsi le baptême à des hommes et à des femmes, tandis qu'avant la Pentecôte je n'avais vu baptiser que des hommes. Je vis souvent une nuée lumineuse s'abaisser sur les baptisés ou un rayon de lumière descendre sur eux. Je les vis recevoir une force merveilleuse : ils étaient comme transfigures et métamorphosés. C'était un spectacle singulièrement touchant de voir tant de gens, établis souvent sur des points éloignés du pays, renoncer à tout ce qu'ils possédaient pour venir se joindre à la communauté chrétienne.

Je vis au bord de la pièce d'eau une lanterne allumée au bout d'un bâton, comme les gardes du saint sépulcre en avaient une. Lorsque je vis pour la première fois baptiser de cette manière, je ne compris pas que c'était un baptême : je ne m'en convainquis que plus tard, car antérieurement j'avais vu le baptême se donner presque toujours dans des rivières et dans des lieux où on prenait des bains. Auparavant la piscine de Béthesda était fermée et les malades seuls y avaient accès.

Ce soir, après le baptême, j'ai vu les apôtres et Marie prendre leur repas à la même table dans le vestibule du cénacle : Joseph d'Arimathie, Nicodème et Lazare y assistaient. Les fidèles étaient répartis suivant les quartiers où ils logeaient.

20 mai. — Ce matin, de très bonne heure, je vis de nouveau baptiser un très grand nombre de personnes, moins grand pourtant que le jour de la Pentecôte. Tous ceux qui avaient été baptisés hier et ce matin se rendirent aussitôt dans l'église où on leur fit une instruction sur la sainte communion, en attendant qu'on la leur donnât. Ce grand bâtiment, voisin de ceux qui entourent la piscine, forme une salle occupant une surface à peu près égale à celle qu'aurait en carré le couvent de Dulmen. Les lampes étaient allumées et l'église toute remplie d'hommes et de femmes : beaucoup de personnes qui n'y avaient pas trouvé place l'entouraient au dehors. Je vis six apôtres donner en différents endroits des instructions à tout ce monde, y compris les femmes qui étaient séparées des hommes par une grille. Pierre et Jean n'étaient pas présents, ils avaient quelque autre chose à faire dans la. ville. Parmi ceux qui se trouvaient là je reconnus Jacques. Tous les six avaient rois de longs vêtements blancs comme ceux que je leur avais vu mettre pour la prière qui se faisait au cénacle. J'appris ou j'eus l'impression que tous les assistants étaient des nouveaux baptisés qui s'étaient convertis le jour de la Pentecôte et depuis. J'entendis aussi les instructions qu'on leur donnait touchant la sainte Eucharistie : on leur expliqua pourquoi elle avait été instituée dans la nuit : c'était, disait-on, parce que nous vivons dans les ténèbres et que nous devons recevoir la lumière dans la nuit afin que celle-ci s'illumine.

Je vis aussi ce qui occupait Pierre, Jean et les autres. Aujourd'hui, de très bon matin, on amena près de la piscine de Béthesda une grande quantité de montons, de chèvres, de colombes et de grands oiseaux qui avaient les pattes et le bec rouge ; et je vis Simon, le Pharisien de Béthanie, faire des comptes sous une espèce de tente avec les gens qui amenaient ces animaux. Il avait été à la tête d'une maison considérable et entendait l'administration : il semblait prendre note sur un rouleau de la position de fortune de chacun et des dons qu'il apportait. Je vis ensuite tous ces animaux dans la cour du cénacle ; les moutons et les chèvres furent partagés en quartiers et tout fut distribué aux nécessiteux. On remit les peaux à un homme qui devait les préparer. On distribua aussi du pain, des couvertures et des étoffes de laine pour confectionner des habits. Tout fut partagé. Cela se faisait avec beaucoup de régularité : des femmes étaient chargées de faire leur part aux femmes, des hommes de faire la leur aux hommes. Ces dons venaient en grande partie des gens de tous les pays qui, depuis la Pentecôte, étaient venus se joindre à la communauté et qui, bien qu'ils ne se comprissent pas entre eux, partageaient tout ce qu'ils possédaient avec une grande charité ; mais tous étaient compris des apôtres.

Je vis aussi que Pierre envoya Thomas, Philippe et Matthias avec Erémenzear, Silvain de Sichar et Selam de Cédar, à Samarie, à Thébès, à Tibériade et dans les contrées environnantes pour consoler les amis qu'ils avaient là et ; leur faire connaître l'état des choses, parce que le bruit' s'était répandu que Pierre et Jean étaient en prison : ils devaient aussi relever le courage de ceux qui étaient restés dans ces pays et guérir des malades.

Cependant les six apôtres qui étaient à l'église de Béthesda achevèrent de préparer les néophytes à la réception du Saint Sacrement et firent près de l'autel des arrangements de toute sorte. Je les vis tirer du corps de l'autel une espèce de planche à coulisse, étendre dessus un linge rouge recouvert d'une nappe blanche à jour, puis placer au milieu un linge blanc plus petit, à peu près comme on fait aujourd'hui pour le saint sacrifice de la messe. Ensuite d'autres apôtres apportèrent différents objets nécessaires pour le sacrifice qui ne se trouvaient pas pour le moment dans l'église de Béthesda : ils les prirent vraisemblablement au cénacle. Comme Pierre allait arriver avec quelques autres, on mit sur l'autel un plat ovale contenant plusieurs pains azymes superposés : ils étaient très minces, très blancs et rayés d'entailles légères indiquant en combien de morceaux ils devaient être rompus. On plaça à côté un vase à pied ressemblant à une large coupe surbaissée ; puis un apôtre apporta le calice dont Jésus s'était servi lors de l'institution de la sainte Eucharistie. Il pouvait contenir une forte pinte et il était garni de deux oreilles ou de deux anses. Je l'ai vu à une époque postérieure conservé à Jérusalem : on le baisait avec respect. Je crois avoir vu une fois qu'il existait encore et qu'il était conservé chez des gens pieux. Tout cela fut placé sur l'autel. Je ne me souviens plus très exactement de toutes les circonstances et de tous les détails : on procéda comme lors de la première consécration faite par Pierre au cénacle.

Je vis alors entrer l'apôtre Pierre il semblait avoir eu beaucoup à faire dans le voisinage, il marchait très vite et paraissait préoccupé. Il avait son vêtement sacerdotal blanc, avec la ceinture où étaient attachées deux bandes d'étoffe qui tombaient jusqu'aux genoux il mit par là-dessus une espèce de petit manteau qui fut pris dans l'intérieur de l'autel. Cet ornement était rouge et or avec d'autres reflets encore, comme s'il eût été tissé de fils de diverses couleurs. C'était comme un grand collet, plus long par derrière que par devant, dont la partie antérieure se terminait en pointe et qui retombait assez bas de chaque côté pour ne laisser voir que la ceinture autour du corps. Il était attaché sur la poitrine avec des espèces d'agrafes : on y remarquait particulièrement trois petits écussons. Je ne me souviens plus de ce qui était sur l'écusson supérieur : c'était comme un bouton qui brillait. Sur celui qui était au milieu de la poitrine était représenté un homme tenant un pain à la main. Quant à celui qui était le plus rapproché de l'extrémité en pointe du manteau, j'y vis une figure qui me parut être une croix, mais ayant la forme d'un y, qui était celle de la croix de Jésus-Christ. Les deux épaules étaient couvertes de pierres précieuses disposées de manière à figurer quelque chose.

Je vis alors Pierre prier devant l'autel : il avait à ses côtés deux apôtres qui l'assistaient et répondaient à ses prières. Je le vis à l'offertoire élever le pain et le calice. rompre le pain en plusieurs morceaux, les bénir et répéter les paroles prononcées par Jésus lors de l'institution du sacrement : à partir de ce moment, le pain et le vin devinrent lumineux.

Lorsqu'il offrit le pain et le calice en les élevant, je vis paraître sur l'autel une main lumineuse qui semblait sortir d'un nuage : lorsqu'il les bénit de la main et prononça les paroles de la consécration, cette main fit aussi un mouvement pour bénir et je ne la vis disparaître que quand l'assemblée se sépara. Je ne remarquai pas que cette main fût visible pour Pierre. Après la consécration Pierre communia le Premier. Puis il plaça les espèces consacrées dans le vase placé sur l'autel qui était assez grand pour pouvoir contenir un grand nombre d'hosties superposées. Alors les apôtres présents s'approchèrent et il leur mit les hosties dans la bouche : puis les autres assistants s'avancèrent et reçurent la sainte Eucharistie comme la fois précédente. Quand le vase fut vide, Pierre le remplit de nouveau de parcelles prises sur le plat qui était sur l'autel et continua la cérémonie.

Comme la salle n'était pas assez spacieuse pour contenir tout le monde et que beaucoup de personnes se tenaient au dehors, ceux qui reçurent le sacrement les premiers sortirent pour faire place aux autres. Ils ne s'agenouillaient pas pour communier, mais ils se tenaient debout et s'inclinaient au moment de recevoir la sainte Eucharistie. Quand les derniers sortirent, les premiers rentrèrent. Lorsque Pierre consacra le vin, il ne pria pas aussi longtemps que la première fois : je vis les paroles de la consécration sortir de sa bouche comme de la lumière. Il en but et en fit boire aux apôtres, puis les apôtres présentèrent le calice aux autres assistants.

Je vis encore aujourd'hui les apôtres traiter avec les magistrats juifs au sujet des lieux où devaient loger les nouveaux fidèles : car les Juifs voulaient que les habitations des chrétiens fussent séparées des leurs. Les disciples les plus connus des Juifs, savoir Nicodème, Joseph d'Arimathie, Eliud, fils de Siméon, Nathanaël et trois autres encore furent chargés de cette négociation. Ils se rendirent dans une salle située au-dessus du parvis des femmes et où siégeaient environ vingt magistrats juifs. On leur assigna trois emplacements situés hors de la ville et éloignés des chemins fréquentés, un emplacement situé à l'ouest de Béthanie, entre Béthanie et Bethphagé, où il y avait quelques cabanes et quelques hangars, et deux autres au midi de Béthanie, également éloignés du chemin : de leur côté les disciples devaient évacuer l'hôtellerie qui était devant Béthanie sur le chemin et cesser de résider soit à demeure, soit passagèrement dans l'hôtellerie qui est en avant de Jérusalem, sur la route de Bethléhem et où Marie s'était arrêtée avant sa purification au temple. Je vis les magistrats leur montrer de loin les endroits désignés, où quelques troupes de personnes se rendirent lorsque les apôtres eurent rapporté à la communauté la nouvelle des arrangements qui avaient été pris.

22 mai. — Pierre, Jean et d'autres apôtres sont allés aujourd'hui visiter les gens qui s'établissent sur les emplacements qui leur sont assignés. On apportait sur des ânes toute sorte d'objets nécessaires ; on portait notamment des outres pleines d'eau à l'endroit situé entre Béthanie et Bethphagé, parce que l'eau y manque. Ils y creusèrent un puits.

Nathanaël fut envoyé à Thanath-Silo ; c'est là qu'est l'hôtellerie près de laquelle les apôtres guérirent récemment des malades lorsqu'ils revenaient de Sichar : il doit aussi aller dans l'endroit ou Jésus a guéri les dix lépreux.

Marie est avec Madeleine et Marthe dans la maison de Lazare à Béthanie, car les habitations de Marthe et de Madeleine ont déjà été données aux nouveaux convertis. Lazare est encore au cénacle, ainsi que Nicodème et Joseph d'Arimathie. Lazare s'occupe des mesures à prendre pour transmettre tous ses biens à la communauté. C'est principalement à l'aide de ses dons qu'elle a pu parvenir à se fonder. Quel autre a fait plus que lui ? Il était si riche ! et il est devenu pauvre comme un mendiant. Plus tard il fut exposé sur la mer dans une méchante barque. Je l'ai vu constamment occupé à distribuer toute sorte de choses et à faire bâtir des maisons.

23 mai. — Ce matin, Pierre, Jean et les sept autres apôtres se rendirent au temple (Matthias, Thomas et Philippe avaient été envoyés en mission quelques jours auparavant). On avait déjà amené sur des litières un grand nombre de malades qu'on avait placés sous des tentes sur le chemin qui passe devant la ville dans la vallée de Josaphat ; plusieurs aussi étaient couchés autour du temple dans le parvis des gentils et jusqu'auprès du perron du temple. Je vis que c'était Pierre qui opérait les guérisons le plus ordinairement : les autres en opérèrent aussi quelques-unes, mais le plus souvent ils se bornaient à l'assister. Pierre De guérit que ceux qui croyaient et voulaient s'adjoindre à la communauté. Je vis dans un endroit où il y avait une double rangée de malades, ombre de Pierre qui guérissait ceux d'un côté passer sur ceux qui étaient placés du côté opposé, et ils furent guéris, eux aussi, par un simple acte de sa volonté. Il en congédia plusieurs. Il enseigna dans le temple, d'abord à droite vis-à-vis de l'autel des sacrifices, puis ensuite à gauche de l'entrée sur une espèce d'estrade où l'on montait par des degrés et qui se trouvait dans la salle latérale. Personne ne les empêcha, le peuple leur était très favorable.

Je vis le soir plusieurs nouveaux convertis venir au cénacle. Il y avait parmi eux un vieux Juif de Béthanie ; c'était un homme assez riche, parent de Simon le lépreux: il s'appelait Ananie et sa femme Saphira ; ils avaient des fils.

Marie était à Béthanie avec les soeurs de Lazare, probablement parce que Lazare, Nicodème et Joseph d'Arimathie avaient établi leur demeure au cénacle. Il régnait une grande activité à Béthanie autour de la maison de Lazare : on tissait, on tressait et on confectionnait toute sorte d'objets.

Je vis aussi le futur disciple Quadrat qui était alors un enfant, en compagnie du petit Siméon qui était un peu plus âgé et que Marie de Cléophas avait eu de son second mariage. Ils jouaient dans la cour et dans le jardin de la maison de Lazare avec des plantes et des petits bâtons. Le père et la mère de Quadrat étaient retournés dans leur pays pour vendre leurs biens ; l'un des plus pauvres parmi les nouveaux chrétiens les accompagnait en qualité de serviteur. Apres leur arrivée en Galilée, ils s'étaient établis entre l'endroit où Jésus chassa les démons dans le corps ; des pourceaux et la ville de Pella où Judas avait résidé antérieurement. Ils avaient une maison, des troupeaux et des serviteurs. Plusieurs fidèles allèrent de même chez eux pour vendre leur propriétés.

NOTE : On trouvera d'autres détails sur saint Quadrat dans l'appendice.

Provoquée par une relique de saint Quadrat qui se trouvait près d'elle, Anne Catherine raconta encore ce qui suit : " Quadrat s'est trouve avec moi à Jérusalem et il m'a montré et expliqué tout ce que j'y vois journellement. Je suis allée avec lui à la piscine de Béthesda, au. cénacle, au temple, à Béthanie et aux trois endroits où les nouveaux convertis s'établissaient. Comme je crois toujours que ce que je vois est pure imagination, je demandai à Quadrat ce qui en était réellement : alors il me montra toutes choses comme je les vois ordinairement : je les vis absolument de la même manière quoique plus distinctement que les autres fois. Il portait sur sa longue robe blanche une ceinture où des lettres étaient brodées et une étole, et il me dit : " Voici tous les endroits où j'ai. couru lorsque j'étais encore enfant ". Je lui demandai, pourquoi on n'avait presque rien écrit de tout ce qui, s'était passé alors. Comme il est plein de bonté, il répond à toutes mes questions, et il me dit : " Les apôtres ne pensaient alors qu'à toucher le coeur des hommes pour les amener à la foi : ceux qui vinrent après eux ne mirent par écrit que les principaux faits miraculeux : tout le reste a passé par tant de milliers de bouches que ceux qui auraient voulu écrire, trouvant des contradictions sans nombre dans les récits qu'on leur faisait, ne pouvaient pas démêler le vrai d'avec le faux et renonçaient à l'entreprendre. Il y avait dans tout cela une conduite mystérieuse de la Providence ".

J'appris aussi alors que Quadrat avait eu beaucoup de visions et beaucoup prophétisé. Il a été mis à mort à Jérusalem, sous l'épiscopat de Siméon. Les scènes au milieu desquelles il m'accompagnait ne différaient pas de celles qui sont rapportées dans les Actes des apôtres

24 mai. — Aujourd'hui, Pierre et les autres apôtres allèrent à Béthanie : Lazare, Nicodème et Joseph d'Arimathie y revinrent et Marie retourna au cénacle. Le soir les apôtres retournèrent à Jérusalem il y avait près du cénacle beaucoup de malades qui demandaient à être guéris. Pierre les envoya au temple parce qu'il voulait tout faire en public et au nom de Jésus. Il se revêtit ensuite de ses vêtements sacerdotaux et se rendit avec les apôtres au temple où il fit beaucoup de guérisons et où il enseigna. Il ne revint que fort tard au cénacle et il présenta les malades guéris et les nouveaux convertis à la sainte Vierge qui leur donna sa bénédiction. Pierre fit ensuite un discours aux nouveaux convertis qui se tenaient dans le vestibule. Le matin ils durent se retirer lorsque Pierre célébra la sainte messe en présence des apôtres, de Marie et d'une quinzaine de disciples auxquels il donna la communion.

Je me suis trouvé aux trois endroits ou s'établissaient les nouveaux chrétiens. Ils étaient occupés à élever des habitations qui étaient plutôt des espèces de tentes : elles étaient en clayonnage et plates par en haut. Les habitations des femmes étaient séparées de celles des hommes. Au milieu de toutes ces cabanes s'élève une grande tente où ils portent les provisions destinées à la communauté et où réside un disciple qui les dirige et les assiste. Il y a trois agglomérations principales, composées de gens d'Arimathie, de la Samarie et d'étrangers venus du pays des trois rois. Les premiers habitent entre Béthanie et Bethphagé : ils ont creusé un puits et l'eau y est venue. Le disciple qui leur est préposé est allé plus tard avec Thaddée à Édesse chez le roi Abgare et il y a résidé longtemps en qualité d'évêque. Les Samaritains ont avec eux un disciple déjà vieux, dont le nom est Aminadab et qui est cousin de Jeanne Chusa. Les étrangers venus d'Asie sont confies aux soins d'Eliud, le jeune disciple qui a accompagné Jésus dans son voyage au pays des rois mages. Il est leur compatriote.

25 et 26 mai. — Ananie amena au cénacle des brebis et des ânes : il porta aussi des étoffes de toute espèce dont il faisait don à la communauté et il demanda le baptême. Sa femme n'était pas présente. La communauté forme déjà comme une ville. Les Juifs s'agitent de nouveau. J'ai vu ce matin Pierre passer quelque temps au temple : ensuite on administra le baptême. Les apôtres n'observent pas le sabbat judaïquement : ils guérissent et baptisent le jour du sabbat comme les autres jours.

27 mai. — Je vis aujourd'hui au cénacle la mort d'Ananie. Il s'y rendit suivi d'un homme qui portait la bourse ou était le prix du champ qu'il avait vendu. Les pièces de monnaie n'étaient pas rondes. De concert avec sa femme Saphira, il avait retenu une partie de l'argent qu'il avait reçu. Lorsqu'il arriva dans la cour du cénacle où se tenait Pierre avec les apôtres et tous les nouveaux convertis et qu'il déposa la bourse aux pieds de Pierre, celui-ci lui adressa la parole et Ananie tomba mort. Ceux qui emportèrent son corps étaient des gens de service à demi vêtus, comme ceux qui avaient apporté l'autel à l'église de Béthesda. Saphira vint deux heures après et mourut de même. Ils n'étaient pas encore baptisés et on les enterra avec leurs vêtements. J'avais de vives inquiétudes pour leur âme, mais ils ne sont pas réprouvés : ils sont morts pour servir d'exemple.

A l'occasion d'Ananie, je vis que Barnabé apporta le prix ne son bien de l'île de Chypre qu'il avait fait vendre antérieurement : mais comme d'autres en avaient l'usufruit, il venait seulement d'en recevoir le prix.

Anne Catherine dit plus tard, étant dans un sommeil extatique : " Voici venir aussi cet homme de Capharnaüm chez lequel Jésus a si souvent logé : il se fait recevoir dans la communauté avec tous ses gens. Cet homme s'appelle Lévi ".
Remarque. A la fin de mai les communications d'Anne-Catherine sur l'histoire des apôtres devinrent de plus en plus rares, car les visions de cette catégorie cédaient de plus en plus la place à la contemplation journalière des débuts de la sainte vie enseignante de Jésus.
Les courts fragments qui suivent sont tout ce que le Pèlerin a pu recueillir de plus sur l'histoire apostolique.

13 juin. — Aujourd'hui Je vis de nouveau, comme en passant, quelque chose qui se rapportait aux apôtres. Après les dernières persécutions, Pierre et les autres s'étaient dispersés en Judée pour y prêcher l'Évangile. Pendant ce temps des plaintes s'étaient élevées de la part des veuves et des pauvres touchant la répartition des aumônes. Le cénacle avait été fermé et la sainte Vierge résidait à Béthanie dans la maison de Marthe. Il n'était resté à Jérusalem et près de l'église de Béthesda que Jacques le Mineur et quelques disciples.

Je vis de nouveau tous les apôtres au cénacle de Jérusalem : je les vis reconnaître la suprématie de Pierre dans une cérémonie solennelle. Ils le firent sortir de leurs rangs pour le conduire dans le sanctuaire, où Jean le revêtit du manteau pontifical : d'autres lui présentèrent le bâton pastoral et lui mirent solennellement sur la tête une espèce de mitre : après quoi tous reçurent la communion de sa main.

Après cette cérémonie, je vis Pierre revêtu de ses ornements et entouré des apôtres, se rendre dans le vestibule et faire une allocution à une troupe nombreuse de disciples et de nouveaux convertis qui avaient été convoqués pour prendre connaissance d'un nouveau règlement occasionné par les plaintes sur la répartition des aumônes entre autres choses, qu'il n'était pas convenable de laisser là la prédication de la parole de Dieu pour s'occuper de ce qui concernait la nourriture et le vêtement. Donc, Lazare, Nicodème et Joseph d'Arimathie étant devenus prêtres ne pouvaient plus convenablement administrer les biens temporels de la communauté, comme ils l'avaient fait jusqu'alors. Il dit en outre quelque chose sur l'ordre à suivre dans la distribution des aumônes, sur la tenue des maisons, sur les veuves et les orphelins. Je vis alors Etienne, un beau jeune homme à la taille élancée, s'avancer et offrir ses services. Je reconnus parmi ceux qui firent de même, Parmenas qui était un des plus âgés. Il y avait en outre des Maures qui étaient fort jeunes et qui n'avaient pas encore reçu le Saint Esprit. Je vis ensuite que Pierre leur imposa les mains à tous, qu'il leur mit l'étole allant de l'épaule au côté et qu'alors une lumière descendit sur ceux qui n'avaient pas encore reçu le Saint Esprit.

Je vis aussi à Jérusalem Saul qui se donnait déjà beaucoup de mouvement : il était l'âme des complots qu'ourdissait la haine des Juifs. Je le vis courir de côté et d'autre pour les exciter contre les chrétiens ; il était plein de rage contre eux, et convaincu à un degré incroyable qu'il agissait selon la justice. Il connaissait plusieurs disciples auxquels il allait s'adresser directement, et avec lesquels il disputait. Il cherchait aussi par tous les moyens possibles à mettre le trouble dans la nouvelle colonie chrétienne et à la détruire.

14 et 15 juin. — Je vis que le trésor et les provisions de la communauté furent remis entre les mains des sept diacres, auxquels on assigna pour résidence la maison de Joseph d'Arimathie qui n'était pas loin de celle de Jean Marc. Je vis aussi Jean Marc occupé à les aider. Les provisions furent transportées sur des ânes. Le trésor consistait en un certain nombre de bourses contenant des monnaies de toute espèce : il y avait des petits bâtons qui ressemblaient à des vis, des plaques marquées d'une empreinte et attachées ensemble par une chaînette, des pièces ayant la forme de feuilles ovales, etc. Les provisions consistaient principalement en gros paquets d'étoffes, en couvertures et en effets d'habillement : il y avait aussi beaucoup de vaisselle et d'ustensiles à l'usage de gens menant une vie très simple.

Je vis Saul s'employer avec beaucoup d'ardeur à exciter les Sadducéens. Je le vis aller des uns aux autres, et se faire donner la main par eux en signe d'assentiment à certains projets convenus. Il était particulièrement irrité de ce que Simon le magicien était allé trouver les disciples à Samarie. et s'était converti. Mais cette conversion ne devait pas être durable.

Le jour d'après celui où la maison de Joseph d'Arimathie fut remise aux diacres, je vis les apôtres se répartir dans les différentes parties de la Judée. Simon de Samarie avait fait défection, et il était venu à Jérusalem visiter Saul dont la fureur allait toujours croissant. Simon avait vu de près les apôtres, il avait pris connaissance de leurs démarches et de leurs desseins, et il eut l'infamie de les trahir. Saul se fit donner des lettres qui le munissaient de pouvoirs très étendus. et il alla persécuter les chrétiens en en plusieurs endroits.

Les apôtres avaient changé l'ordre suivi à leur premier voyage quant aux endroits à visiter. La première fois chacun était allé dans son pays natal. La seule chose dont je me souvienne encore est que cette fois Zachée alla à Cédar, Thaddée dans la patrie de Barthélemy, Thomas à Samarie et Jean jusqu'à Ephèse. Un autre d'entre eux se rendit sur les confins de l'Égypte, dans cet endroit qui devait son origine à des Juifs pieux chassés de leur pays à l'époque des Macchabées. Pierre alla entre Joppé et Lydda dans un endroit voisin de Sarona. Il avait avec lui Silvain, le disciple de Sichar.

Pierre fit plus de miracles que tous les autres. Il chassa des démons et ressuscita des morts ; je vis même qu'un ange apparaissait d'avance aux gens qu'il devait visiter et leur disait de faire pénitence et de recourir à l'assistance de Pierre. Le centurion Corneille entendit dès lors parler de lui, mais ce ne fut pas cette fois qu'il se convertit. Avant le martyre de saint Etienne, ils se réunirent encore une fois tous ensemble à Jérusalem. Lorsqu'ils se sépareront de nouveau, Pierre reviendra ici, et c'est alors qu'aura lieu la conversion de Corneille.

Jacques le Mineur est resté à Jérusalem, car les fidèles sont encore en possession de l'église de Béthesda. Marie et toutes les saintes femmes étaient à Béthanie. même Véronique.

25 juin. — Il y eut du mécontentement au sujet des aumônes. Les diacres faisaient faire des distributions en trois endroits : devant le cénacle, à Béthanie et à cette station de la route de Bethléhem où les trois rois s'arrêtèrent pour la dernière fois avant d'arriver à la crèche. C'étaient des étrangers, ceux des nouveaux chrétiens qui étaient venus de plus loin, qui avaient là leur établissement, et il s'y éleva des plaintes et des dissensions ; je crois que c'était à propos du pain ou de la farine qu'on disait moisis, mais les plaintes n'étaient pas tout à fait fondées. Les diacres, à cette occasion, envoyèrent un message à Pierre. On distribuait quelquefois des petits pains de qualité supérieure, plus souvent de grands pains très minces cuits sous la cendre, et aussi des rayons de miel, des étoffes pour habits, des ustensiles de ménage, etc.

1er juillet. — Je vis Pierre partir de Sarona qui est dans les environs de Joppé, et revenir à Jérusalem avec un autre apôtre; je crois que c'était André qui dernièrement se trouvait là près de lui. Thomas, qui était à Samarie, en est aussi revenu avec Philippe, si je ne me trompe, et d'autres compagnons. Ils venaient pour régler des contestations. Etienne et les autres diacres leur avaient envoyé des messages. Il y avait près de Bethsur, sur la route de Bethléhem, à l'endroit où les trois rois avaient fait leur dernière halte, une colonie de nouveaux convertis, parmi lesquels beaucoup de femmes païennes d'origine. Saul qui cherchait à semer partout la désunion, avait remarqué chez eux du mécontentent au sujet des aumônes et il avait excité leurs passions. Ils avaient porté plainte contre les diacres près de ceux qui étaient chargés précédemment du soin des pauvres, notamment près de Nicodème, et comme ceux-ci leur avaient donné tort, ils s'étaient adressés par l'intermédiaire de Saul à Gamaliel et au conseil des prêtres. Ils se prétendaient trompés et lésés, et demandaient assistance et protection.

Je vis alors qu'Etienne fut mandé au temple devant les prêtres. Il se présenta dans une cour du temple sans personne pour l'assister, et il fut accusé et interrogé par des Pharisiens et des Juifs qui montrèrent beaucoup d'emportement. Il était tout seul, et il se défendit avec beaucoup de vigueur et d'éloquence, après quoi il fut relâché.

Cependant je vis Pierre et plusieurs autres apôtres arriver au cénacle. Les plaignants y furent mandés, et le différend fut réglé.

Plusieurs personnes furent séparées du reste de la communauté et on leur assigna de nouvelles habitations. Dernièrement, lors de l'élection des diacres, les apôtres s'étaient soumis à l'autorité de Pierre dans une cérémonie solennelle où je vis qu'ils le firent sortir de leurs rangs, que Jean le revêtit du manteau pontifical, qu'ils lui remirent solennellement le bâton et la coiffure pastorale, et que tous reçurent de sa main la sainte communion.

4 juillet. — Je vis les apôtres se séparer de nouveau et se rendre en différents endroits, à l'exception de Jacques le Mineur. Pierre était retourné à Sarona, près de Joppé, en passant par Samarie, et André était avec lui. Tous allèrent en mission sur divers points de la frontière et dans la Samarie où les Juifs ne pouvaient rien faire contre eux Il n'y eut qu'une contrée où je ne les vis jamais : ce de y ait être un canton entièrement païen : les gens qui l'habitaient allaient, il est vrai, assez souvent à Jérusalem, mais par pure curiosité.

Le 16 juillet, Anne Catherine eut une vision pendant laquelle elle raconta ce qui suit: " Je vois un mouvement tumultueux à Jérusalem. Etienne a parlé avec beaucoup de véhémence dans une salle qui est devant le temple et ils se sont saisis de lui : toutefois, il n'est pas renfermé dans une prison, mais dans une chambre attenante aux bâtiments du temple. Ce méchant homme de Samarie qui a apostasié (Simon le magicien) est dans la ville, et, de concert avec Saul, il excite tout le monde contre la communauté. Les chrétiens sont dans une grande anxiété. La plupart des apôtres sont fort loin : on les a fait prier de revenir. Les Juifs démolissent les maisons des chrétiens, même dans les endroits qu'eux-mêmes leur ont assignés. Les chrétiens de cet endroit situé sur la route de Bethléem, où se sont élevées les plaintes au sujet de la mauvaise qualité du pain, s'en vont à Salem où le précurseur a baptisé. Ils construisent là des cabanes et une chapelle : ils ont avec eux un prêtre et le Saint Sacrement dans une pyxide.

Cette chapelle a été détruite plus tard, lorsque l'apôtre saint Jean, après la mort de Marie à Éphèse, visita pour la dernière fois de sa vie les fidèles de Jérusalem, je vis que les chrétiens avaient de nouveau bâti là une église tout à fait sur le plan de celle qui était dans la maison de Marie à Éphèse.

Ce qui a donné naissance à la persécution, c'est que Pierre, allant de Samarie à Joppé, a baptisé sur son chemin plusieurs personnes, notamment un homme a propos duquel il y a eu beaucoup de bruit à Jérusalem. Étienne, à cette occasion, fit un plaidoyer si véhément qu'on le jeta en prison. Les fidèles, frappés de terreur, ont envoyé des messagers à Pierre et à d'autres apôtres pour les supplier de revenir.

4 août. — Je vis à Jérusalem Saul se donner encore beaucoup de mouvement et le sanhédrin envoyer aux colonies chrétiennes deux délégués chargés d'exiger des fidèles quelque chose qui leur était très pénible. Je vus que ceux-ci, à cette occasion, envoyèrent des messagers aux apôtres. Thomas était à Samarie et Pierre près de Joppé. Je vis l ;'tienne mandé à comparaître devant les Juifs. Les apôtres revinrent de leurs voyages. Il n'était guère resté à Jérusalem que Jacques le Mineur ; Nicodème était absent. Joseph d'Arimathie était à Béthanie.

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CHAPITRE QUATORZIÈME

Visions touchant la vie des apôtres et d'autres saints contemporains du Seigneur

REMARQUE

Les récits qui suivent ont été empruntes par l'éditeur aux visions qu'Anne Catherine avait tous les ans les jours où l'Église célébrait la fête de certains saints, ou bien à d'autres visions provoquées par des reliques qu'on mettait près d'elle. Il est à remarquer que dans ces occasions elle voyait ordinairement toute la vie du saint, non sous forme de scènes détachées, se succédant chronologiquement et suivant un ordre déterminé, mais dans de grands tableaux où l'ensemble de cette vie se présentait dans un seul cadre et où, par conséquent, il n'y avait aucune distinction de temps. Chaque fois qu'elle avait de ces visions, elle en racontait tout ce qu'elle pouvait, suivant l'état où elle se trouvait dans le moment. Mais elle le faisait à la manière d'un enfant qui, se trouvant devant un grand tableau, en a reçu une impression assez profonde pour sentir et comprendre ce qui y est représenté, mais ne peut que très difficilement l'analyser et le décrire à une autre personne qui ne voit point ce tableau. Elle retenait certains détails et les racontait sans s'attacher à l'ordre dans lequel les événements s'étaient succédés chronologiquement et sans pouvoir en rendre compte. La chose ne lui était possible que lorsque des chiffres indiquant la suite des temps lui étaient montrés dans la vision, mais cela n'arrivait Pas toujours.
Comme ces visions revenaient tous les ans aux Jours marqués sur le calendrier de l'Église, le Pèlerin, chaque fois, prenait note de ce qu'elle avait dit, de manière à ce que les versions diverses pussent se compléter les unes par les autres. L'éditeur a extrait et mis ensemble tout ce qui se rapportait à un même sujet dans la longue série des notes du Pèlerin s'est borné à supprimer des répétitions et des inexactitudes provenant de ce qu'il y avait de trop incomplet dans les communications. Plus d'un lecteur sera surpris de trouver dans les visions diverses touchant la vie des saints apôtres des faits vus et racontés par Anne Catherine avec une netteté et une clarté qui permettent d'apprécier jusqu'à quel degré ils ont été altérés ou falsifiés par des écrits tels que les Actes apocryphes d'Abdias.

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SAINTE ANNE, MARIE d'HELI, MARIE DE CLEOPHAS ET LEUR FAMILLE

Anne Catherine avait souvent désigné une relique anonyme provenant d'une vieille croix de son ancien monastère comme étant un ossement de Marie de Cléophas. Un jour le Pèlerin retira, sans qu'elle le sût, cette relique de la croix où elle était renfermée, l'enveloppa dans un morceau de linge ou de papier et la présenta ainsi à Anne Catherine. Elle était occupée d'autre chose quand elle lui fut remise. Cependant elle ne tarda pas à dire : " Ce doit être un ossement très ancien, provenant d'une personne née avant Jésus et ayant fait partie de son entourage ". Elle garda la relique près d'elle pendant la nuit suivante et le lendemain elle dit au Pèlerin : "C'est un ossement de Marie de Cléophas ". Elle m'est apparue plus distinctement qu'elle ne l'avait jamais fait et m'a dit : " C'est un fragment de l'os de ma jambe ". Je vis de nouveau qu'Anne et Joachim au commencement de leur mariage, environ vingt ans avant la naissance de la sainte Vierge, eurent une fille, appelée Marie d'Héli, qui n'était pas l'enfant de la promesse et qui, à cause de cela, fut un peu tenue à l'écart par eux. Ils laissèrent cet enfant chez ses grands parents à Séphoris et commencèrent à Nazareth une vie nouvelle consacrée à la pénitence et à la retraite.

Anne elle-même était un enfant venu au monde après une longue stérilité, que ses parents avaient longtemps demande à Dieu et dont la naissance avait été annoncée d'avance à sa mère par des prophètes esséniens. Elle fut conduite au temple dans sa quatrième année. Je la vis après la mort de sa mère revenir chez son père et tenir la maison de celui-ci. Elle trouva chez lui un jeune neveu nomme Eliud, qu'elle éleva et qui plus tard devint le mari de la veuve de Naïm. Six prétendants recherchaient la main d'Anne : elle les refusa tous d'après les conseils inspirés des vieux prophètes esséniens, pour épouser Joachim qui devait être le père de Marie. Anne avait environ vingt ans quand elle se maria : sa soeur, la mère d'Eliud, pouvait être plus âgée de dix-huit ans. La première fille qu'Anne mit au monde lui causa une grande tristesse : car elle ne portait pas les signes annoncés et par conséquent n'était pas l'enfant de la promesse. Anne était accouchée avant terme, ce qui l'avait fort affligée, car elle croyait voir là une punition de Dieu. Une de ses servantes s'était mal conduite et Anne avait été fort tourmentée de ce qu'un pareil scandale avait eu lieu parmi ses gens. Elle reprocha si sévèrement sa faute à cette servante que celle-ci accoucha avant terme d'un enfant mort. Anne fut inconsolable et la même chose lui arriva ; toutefois son enfant vécut. Anne resta si longtemps stérile après sa naissance qu'on répandit le bruit calomnieux que cette fille n'était pas sa fille : elle subit ainsi la honte qui s'attachait à la stérilité. Elle eut un jour à essuyer à ce sujet les injures d'une servante qui lui reprocha aussi le malheur dont elle avait été la cause. Alors, Anne dans sa profonde affliction, se mit en prières et obtint de Dieu la très sainte Vierge.

Lorsque Marie mit au monde le Sauveur, Anne était remariée à un homme du nom d'Eliud, lequel était employé au service du temple, où il était chargé de l'inspection des victimes destinées aux sacrifices, et elle en avait une fille qui s'appelait aussi Marie et qui pouvait alors avoir huit ans. Elle eut de son troisième mari un fils qui fut souvent appelé le frère de Jésus-Christ.

Il y avait un mystère lié au triple mariage d'Anne. Elle n'agit en cela que par ordre de Dieu. La grâce qui l'avait rendue féconde en lui faisant enfanter Marie n'était pas entièrement épuisée. C'était comme une bénédiction qui ne devait pas être perdue.
Lorsque Marie d'Héli eut environ seize ans, elle fut mariée à Cléophas, un des bergers en chef de Joachim. Celui-ci amena dans la maison conjugale une fille illégitime appelée Anne de Cléophas qui plus tard, étant veuve, se réunit à Marthe; elle avait trois fils, l'un desquels appelé Nathanaël, fut un disciple du Seigneur connu sous le nom du petit Cléophas.

Marie d'Héli eut de son mari Cléophas trois fils, nommés Jacob, Sadoch et Eliacim qui devinrent disciples de Jean (note), et une fille nommée Marie de Cléophas. Quatre ans après la naissance de cette petite fille, Anne mit au monde la très sainte Vierge que j'ai vue encore cette nuit, jouer, tout enfant, avec Marie de Cléophas, sa nièce plus âgée qu'elle.

Pendant que la Mère de Dieu résidait au temple de Jérusalem, Marie de Cléophas épousa un berger de Joachim nommé Alphée, lequel n'était plus jeune ; il avait au moins trente et quelques années. C'était un veuf ; il avait, de son premier mariage, un fils qui fut plus tard l'apôtre Matthieu, et une fille du nom de Marie, qui épousa un employé inférieur de la douane à Chorozaim. Celui-ci quitta son emploi aussitôt après avoir reçu le baptême de Jean, et se rendit à la pêcherie près de Pierre l'une des barques lorsque Jésus y vint.

NOTE : C'est sans aucun doute par suite d'une disposition divine que toutes les filles de sainte Anne portent le nom de Marie, afin d'indiquer que c'est à cause de la Vierge des vierges que la bénédiction de cet(e fécondité fut accordée aux entrailles bénies de sa mère. (Note de l'éditeur.)
2 Tome III, pages 5, 89 et 100, et tome I, page 227, où Cléophas le père est désigné comme le fils d'un frère de saint Joseph.
Tome III, page 164. Dans le tome II, page 344, on nomme comme fils de Marie d'Héli un certain Matthias qui était peut-être un fils de son second mari Obedon Obed.

J'ai vu cette nuit les noces d'Alphée et de Marie de Cléophas. C'était dans un petit endroit peu éloigné de Nazareth où demeuraient le père et la mère de la fiancée. Il y avait bien autant de monde qu'aux noces de Cana. Je vis entre autres personnes le père d'Alphée, un petit vieillard courbé, à longue barbe, qui était des environs de Bethléhem. Il s'appelait Solano ou Solama, ou Sulama, car je ne me rappelle pas son nom bien exactement. Je vis quelque chose touchant ce Solano, en regardant du côté de Bethléem : je le vis dans les environs de Bethléhem, sur un petit bien qui originairement dépendait de la maison qu'avaient habitée les parents de saint Joseph. Je vis la généalogie de Solano en remontant jusqu'à l'époque d'Abraham ; je Vis la race à laquelle il appartenait se développer à côté de celle dont devait sortir Jésus selon sa nature humaine, sans pourtant jamais y entrer ; elle y tenait par des branches collatérales, mais restait toujours vis-à-vis d'elle dans un certain rapport de subordination et de dépendance. Je vis Abraham agenouillé sur une colline voisine de son habitation, et de l'autre côté de cette colline, je vis la cabane de l'ancêtre de cette race qui était le serviteur fidèle et l'homme de confiance d'Abraham. Il était aussi à genoux et priait ; Abraham priait pour Sodome et pour Loth et je vis dans le lointain le danger qui menaçait Sodome. Cet homme était le père d'Eliézer, ce serviteur d'Abraham à qui il fit mettre la main sur sa hanche et jurer qu'il irait dans le pays natal du patriarche chercher une femme pour Isaac. Cette race s'allia fréquemment à celle de Jésus par des branches collatérales du second et du troisième degré, et elle fut toujours dans une certaine dépendance de celle-ci quant à ses champs et à ses possessions Le premier auteur de cette famille était resté avec Abraham lorsque Loth se sépara de lui, et sa fidélité fut récompensée dans la personne d'Alphée qui fut toujours vis-à-vis de Joachim dans les mêmes rapports que son ancêtre vis-à-vis d'Abraham. Ce fut ainsi que les fils d'Alphée arrivèrent à être pour Jésus, dans le sens spirituel, comme des messagers, des bergers, des préposés à la garde de son troupeau.

Rien n'est plus merveilleux que la manière dont Anne Catherine voit se développer à travers des milliers d'années ces lignes généalogiques et ces ramifications de familles : elle les voit sous l'image d'un arbre, et c'est au tronc ou à la tige du milieu qu'elle s'attache principalement. Dans le cas présent, elle savait quel rameau établissait la parenté avec Abraham : mais, dans ces occasions, elle trace une ligne avec le doigt sur la couverture de son lit ; puis, après avoir donné cette indication, elle porte aussitôt le doigt ailleurs, croyant qu'on doit avoir vu la chose parce qu'elle la voyait. Si alors on ne comprend pas son explication, qui, par le fait, est absolument impossible à comprendre, elle s'en attriste et croit que cela vient de ce qu'on n'est pas revêtu du caractère sacerdotal, etc.

Alphée était un homme très laborieux et très serviable. Le premier fils, né de son mariage avec Marie de Cléophas fut Jude Thaddée qui était un peu plus âgé que Jésus-Christ ; Simon le Chananéen vint ensuite. Celui-ci était d'une taille élancée et avait dans son extérieur quelque chose de Jean. Ensuite vint une fille qui portait aussi le nom de Marie. Elle fut mariée à un serviteur du temple, l'un des vingt-quatre qui étaient chargés de nettoyer les vases où coulait le sang des victimes ; il s'appelait David et demeurait à Jérusalem. Il habitait une maison attenante au temple, et il ne lui était permis qu'à certaines époques de passer huit jours près de sa femme ; pendant ce temps un autre le remplaçait au temple. Avant de reprendre son service, il était obligé de se soumettre à certaines purifications. C'était un Juif très pieux, mais observateur fort strict de la loi, et il se scandalisait de ce qui lui paraissait irrégulier dans la manière d'agir de Jésus et des disciples. Il avait des relations avec Nicodème par l'intermédiaire duquel il fut amené à la foi et agrégé à la communauté chrétienne. Marie sa femme s'y était déjà adjointe avant lui. Je la vis souvent, ainsi que sa demi soeur, dans la compagnie des saintes femmes ; je la vis aussi se mettre au service de la sainte Vierge à une époque où celle-ci se trouvait dans une position très pénible.

Le quatrième enfant que Marie de Cléophas eut d'Alphée fut Jacques le Mineur. Il était très beau et ressemblait beaucoup à Jésus : c'était pour cela qu'on lui donnait plus ordinairement qu'à ses frères le nom de frère du Seigneur. Il était plus jeune que Jésus : à l'époque du crucifiement, il avait environ vingt-cinq ans. Alphée mourut quatorze ans avant la mort du Seigneur.

Après lui, Marie de Cléophas eut pour mari Sabas dont elle eut José Barsabas. Celui-ci fut sacré évêque d'Eleuthéropolis : il assista à la mort de Marie à la place de Jacques le Majeur qui avait été martyrisé. En sa qualité d'évêque il ordonna prêtres les fils des alliés de Jésus au bas Séphoris (tome II, page 237). Il a incroyablement souffert au milieu de son troupeau, où il était exposé sans défense à la haine des Juifs. Il mourut crucifié à un arbre. Son père avait des rapports de parenté avec ces gens du bas Séphoris qui recommandèrent leurs fils à Jésus c'est pourquoi ils parlèrent de lui dans cette circonstance Après la mort de Marie, il fut souvent le compagnon de Paul : il alla notamment à Ephèse avec lui : il lui raconta toutes les circonstances de la mort de Marie et le conduisit à sa maison et à son tombeau. Avant de devenir évêque, il résida encore un certain temps à Jérusalem près de son demi frère Jacques le Mineur qui l'instruisit de beaucoup de choses.

Le troisième époux de Marie de Cléophas s'appelait Jonas. Il était frère de la femme de Pierre et il fut le père de Siméon, évêque de Jérusalem. Voici ce que dit Anne Catherine de ce Siméon, le 18 février 1821. Il fut le second évêque de Jérusalem et il fut mis en croix dans un âge très avancé : c'était un parent de Jésus. Il portait encore un autre nom, celui de Juste, et dans sa jeunesse on le nommait Siméon. Ce Siméon est un fils de Marie de Cléophas, qui est fille de la soeur aînée de la Mère de Dieu, et de son mari Cléophas, Il avait environ dix ans lors du crucifiement du Christ. Sa mère mourut dans la détresse cinq ans après le crucifiement. Je la vis errer dans la contrée où était la grotte qu'habita Madeleine pendant tout le temps qu'elle resta encore dans la Terre promise.

Siméon dans sa jeunesse était tantôt avec un disciple, tantôt avec un autre : il n'avait pas de résidence fixe. Il m'a été dit de lui qu'il avait grandi dans la croix et qu'il était mort sur la croix. A l'époque de la mort de sa mère, il était avec le disciple Selam. Il ne devint pas évêque aussitôt après le martyre de Jacques le Mineur : pendant la vacance du siège qui fut très longue, l'Eglise de Jérusalem eut à sa tète un vicaire administrateur. Lorsqu'on lapida Jacques, il y eut des troubles dans la ville, car ses partisans résistèrent, et il périt trois disciples parmi lesquels se trouvait un fils du vieux Siméon qui avait prophétisé lors de la présentation de Jésus au temple.

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SUR LE TRIPLE MARIAGE DE SAINTE ANNE.

L'importante communication qui précède donne sur une question souvent agitée par les commentateurs, celle qui concerne " les frères et les soeurs du Seigneur ", des éclaircissements d'autant plus précieux qu'Anne Catherine n'eut pas les visions qui s'y rapportent une ou deux fois seulement, mais à plusieurs reprises, qu'elle vit toujours les choses avec la même clarté et la même précision, et, qu'elle a été parfaitement en état de communiquer ce qu'elle avait vu. L'éditeur croit devoir ajouter une dissertation que bien des lecteurs ne trouveront peut-être pas hors de propos sur le triple mariage de sainte Anne.

NOTE : Quand on lit dans la Vie de la sainte Vierge que Marie de Cléophas | et même Marie d'Héli étaient présentes à la mort de la Mère de Dieu à Ephèse, cette assertion provient d'une confusion entre la présence en esprit et la présence corporelle. D'après les affirmations expresses d'Anne-Catherine, ces deux saintes femmes étaient mortes longtemps avant Marie et ne pouvaient par conséquent assister à sa mort qu'en qualité d'esprits bienheureux.
2 Spécialement dans le tome IV, page 126, et dans le tome I, page 190.

C'est là un fait très important en soi et qu'Anne Catherine a mentionné si souvent et d'une manière si précise, qu'il ne doit pas être passé sous silence et cela d'autant moins que cette donnée paraîtra étrange à beaucoup de personnes, lesquelles regardent ce triple mariage comme inconciliable avec la glorieuse prérogative en vertu de laquelle sainte Anne a eu pour fille l'auguste Vierge mère de Dieu et même avec la sublime dignité de Marie elle-même. Ils se trouvent encore autorisés à en douter par l'opinion universellement répandue sous l'ancienne loi comme à l'époque des apôtres. par suite de laquelle de saintes femmes telles que Judith et la prophétesse Anne, fille de Phanuel, sont louées expressément par les écrivains sacrés pour avoir vécu après la mort de leurs maris dans la continence la plus absolue et dans la pratique assidue de la piété. Or, disent-ils, à qui une vie pareille, succédant à un premier mariage, pouvait-elle mieux convenir qu'à sainte Anne dont la vie conjugale avec Joachim est représentée par les visions elles-mêmes comme ayant été un modèle achevé de pureté et de continence ? Il parait donc impossible d'admettre qu'Anne, la plus sainte et la plus chaste personne de son sexe après Marie, se soit remariée plus d'une fois dans un âge avancé.

Ces objections se présentent, pour ainsi dire, d'elles-mêmes ; aussi ne sont-elles pas nouvelles et ont-elles été reproduites en substance par tous ceux qui ont combattu la tradition admise presque sans exception jusqu'à la fin du seizième siècle touchant le triple mariage de sainte Anne. Toutefois, il y a quelque chose de beaucoup plus profond dans la manière dont les visions présentent la chose : car il en résulte clairement que les trois mariages de sainte Anne ont été pour elles un titre de gloire et un moyen d'arriver à la plus haute perfection, et qu'ils sont en même temps un accroissement important et même un complément ajouté aux honneurs et aux distinctions dont la suprême sagesse de Dieu voulut enrichir Marie et l'Église tout entière.

Sainte Anne, d'après les visions, occupe dans le plan divin touchant le salut des hommes une place à part et singulièrement élevée : elle est la plus grande et la plus favorisée, après Marie, parmi toutes les femmes, toutes les mères et toutes les vierges, et elle possède des privilèges qui n'ont été accordés à aucune autre. Ses entrailles conçurent dans la personne de Marie le type de la sainte Eglise, c'est-à-dire la racine et la somme de toutes les grâces et de tous les dons que Dieu peut accorder à ses créatures par le Christ : mais lorsque l'enfant conçu sans la tache du péché originel sortit du sein d'Anne, la bénédiction de la sainte fécondité ne se trouva pas épuisée en elle : il fallait qu'Anne fût dans l'Église le modèle de la sainteté dans le mariage, qu'elle lui apportât la grâce qui donne à l'usage et au but du mariage le plus haut degré possible de pureté et de perfection. Marie, comme étant la fiancée du Saint Esprit et la Vierge des vierges, ne pouvait pas être elle-même ce modèle : Anne devait donc, poussée par l'inspiration divine, contracter ces mariages avec des hommes pieux et éclairés des lumières de la grâce : et cela à un are auquel est ordinairement refusée la bénédiction de la maternité. Mais ce ne fut pas le cas pour Anne : pour elle, la plus pure de toutes les mères, il ne s'agissait pas d'engendrer selon la volonté de la chair, mais selon la volonté de Dieu, afin que l'Église reçût d'elle la tige d'une sainte lignée dont les rejetons par leur chasteté et leur éminente sainteté devaient être pour tous les âges un précieux ornement et une source de bénédictions. On ne peut donc qu'admirer le plan de la sagesse divine (quae fortiter et suaviter omnia disponit), suivant lequel sainte Anne devait être non seulement la mère de la Vierge des vierges, mais encore l'aïeule de chastes et saintes générations, appelée par là à enrichir des plants les plus précieux la vigne de sa très sainte fille. Ces fruits inestimables dont l'Église est redevable à Anne et à ses filles. ce sont de saints apôtres. ce sont les premiers, les plus glorieux d'entre les martyrs, ce sont des confesseurs, des vierges et de saintes mères de famille. Des mariages comblés de tant de bénédictions ne devaient-ils pas être la conséquence d'un décret particulier de Dieu ? et la fécondité accordée aux entrailles de sainte Anne n'était-elle pas comme un talent qu'elle ne devait pas enfouir, puisqu'il lui était confié pour le salut de tous ? Enfin, ses mariages successifs provenaient-ils uniquement de son bon plaisir, ou n'étaient-ils pas plutôt l'accomplissement d'une tâche imposée par Dieu, qu'il lui fallait remplir pour achever l'oeuvre de sa sanctification tout comme il lui fallait observer les commandements de Dieu également obligatoires pour tous les hommes ? Il nous semble d'après ce qui a été dit qu'il n'est pas difficile de répondre à ces questions.

Mais il y a encore quelque chose qui confirme la vérité interne de la donnée présentée par les visions dans cette circonstance qu'Anne n'eut qu'un seul fils et que les fruits de la bénédiction qui lui avait été accordée furent surtout des mères de famille. En effet, c'est surtout par la coopération des mères que le fruit de leurs entrailles est : saintement conçu et saintement porté et que se produit par conséquent, cette postérité dans laquelle s'accomplit la parole de l'Écriture : O quam pulchra est casta generatio cum claritate ! Tous les saints qui, à partir du sein maternel, furent favorisés du don de la pureté incorruptible dans leur corps et dans leur âme au point de ne jamais sentir dans tout le cours de leur vie l'aiguillon de la sensualité, en furent redevables, après Dieu, à leurs mères lesquelles par la prière, la mortification et la pénitence gardèrent pour Dieu le fruit de leurs entrailles et le préparèrent par là à recevoir cette ineffable prérogative qui devait en faire l'ornement de l'Église. Or, ces mères trouvent leur modèle et comme leur racine dans sainte Anne qui, plus qu'aucune autre femme, ayant vécu dans la plénitude des temps, est devenue par sa proche parenté avec Jésus et Marie une médiatrice de salut et une source de bénédictions pour toutes les générations et toutes les époques. Ne serait-ce pas par suite d'un rapport mystérieux avec ce rôle assigné à sainte Anne qu'elle-même a daigne révéler son triple mariage à deux de ces âmes virginales comme celles dont nous partions, savoir à la bienheureuse Colette et à notre Anne Catherine ?

Sainte Colette favorisée, comme le fut aussi plus tard sainte Madeleine de Pazzi, de ce merveilleux don de pureté, au milieu des tribulations et des difficultés contré lesquelles elle avait à lutter pour remplir la tâche que Dieu lui axait imposée de régénérer les filles de sainte Claire, avait coutume de recourir principalement aux saints qu'elle savait avoir eu un plus grand amour pour la virginité, pendant qu'ils étaient sur la terre. Elle s'adressait rarement à sainte Anne parce que son triple mariage était pour elle quelque chose de choquant. Mais un jour Colette eut une vision dans laquelle elle vit sainte Anne revêtue d'une gloire incomparable et entourée de sa sainte postérité, et elle entendit ces paroles : " il est vrai que j'ai eu trois maris : mais ma postérité a enrichi des plus précieux ornements l'Eglise triomphante et l'Église militante ".

À dater de ce moment le coeur de Colette se prit d'une telle confiance et d'un tel amour pour sainte Anne qu'elle s'appliqua à répandre son culte partout où elle le put et qu'elle fit même élever des églises en son honneur. La vision de Colette ne lui avait pas fait connaître les noms de ces saints rejetons qui entouraient Anne, mais quand elle raconta ce qu'elle avait vu à son confesseur, auquel nous dévoile la connaissance de cet incident, il ajouta ces noms à sa relation, en se conformant à l'opinion généralement admise à cette époque. Il pouvait le faire avec d'autant moins de scrupule que le but de la vision n'avait pas été d'établir ou de préciser la généalogie de cette postérité sainte, mais seulement d'affirmer le fait des trois mariages de sainte Anne et le bien qui en était résulte pour l'Église.

Il est parlé de cette Vision dans le grand ouvrage du pape Benoît XIV (De servorum Dei beatificatione, etc., lib III, cap. Ult n 16). Après avoir posé la question de savoir si parmi les visions et révélations approuvées il a pu s'y glisser d'apocryphes, il répond affirmativement et cite entre autres sainte Colette.
NOTE: Waddingus, in Annalibus Minorum, ad annum 1406 n 23 ; Et acta sanctorum, mensis Martius, tom. I, die 64.

"Ainsi, dit-il, quelques auteurs tiennent pour apocryphe la révélation attribuée à la bienheureuse Colette où il est dit que sainte Anne a eu trois maris ; c'est ce que soutiennent notamment Canisius et Lorinus ". Or le principal argument de Lorinus n'a aucune valeur, comme le prouvent les paroles suivantes du rédacteur de la vie de sainte Anne dans le sixième volume de juillet des Acta sanctorum : " Notre Lorinus. dans son commentaire sur le premier chapitre des Actes des apôtres "(c'est précisément l'endroit cité par Benoît XIV) ' dit que selon saint Ambroise, dans son traité des veuves sainte Anne n'a été mariée qu'une seule fois ; mais le polygraphe (vir polygraphus) s'est trompé cette fois. J'ai lu tout le traité de saint Ambroise et je n'ai pu y trouver qu'un passage relatif à la prophétesse Anne, fille de Phanuel, et non à sainte Anne, Mère de la sainte Vierge ".

Quant à l'autorité du vénérable Canisius, on peut lui opposer une série de docteurs du moyen âge encore plus autorisés que lui qui se prononcent en faveur du triple mariage de sainte Anne. Ainsi le chartreux Pierre Sutor, dans son livre De Triplici dirú Annú connubio, cite comme soutenant l'affirmative, le bienheureux Albert le Grand, le pape Innocent IV et Vincent de Beauvais qui défend cette tradition dans son fameux ouvrage intitulé Speculum histor~ale, ce que fait aussi saint Antonin (in 1 parte histor.). Pierre Sutor allègue en sa faveur tant d'autres autorités qu'il peut à juste titre présenter comme le résultat de toutes ses recherches la conclusion suivante : " Triplex divae Annú connubium est communis sententia probatorum doctorum a qua non licet sine temeritate dissentire " (Note).

"La théologie du moyen âge, comme on le voit dans le bienheureux Albert le Grand, et plus tard dans Gerson, se fondait pour accepter la tradition touchant un triple mariage de sainte Anne, sur une note de la Glossa ordinare (in Galat., I, 19), et elle s'y attachait comme un fait qui intéresse la gloire de sainte Anne bien plus que comme à un moyen de résoudre les questions relatives aux frères et aux soeurs du Seigneur et à leur généalogie. Ainsi saint Thomas qui, dans son commentaire sur l'Epître aux Galates (cap. I , lectio 5), conteste les généalogies qu'on établissait comme conséquence du triple mariage de sainte Anne, ne met pas en doute le fait même de ce triple mariage ".

NOTE : Le triple mariage de sainte Anne a pour lui le sentiment commun des docteurs approuvés dont on ne peut pas s'écarter sans témérité.

Pour reconnaître a quel point cette opinion fut dominante pendant tout le cours du moyen âge et jusqu'à la fin du XVI siècle, il suffit de lire les écrits d'un de ses plus savants et de ses plus zélés défenseurs, le chancelier Jean Eck, d'Ingolstadt, qui a si bien mérité de l'Église catholique d'Allemagne. Dans le troisième livre de ses homélies, il affirme " que c'est le sentiment universel et en même temps la tradition particulière de l'Eglise de Jérusalem, que sainte Anne s'est mariée trois fois ". Il traite l'opinion opposée d'irrévérence audacieuse envers l'Église universelle. Il loue ces trois mariages comme étant faits par l'inspiration du Saint Esprit et vante leur fécondité en ces termes : " O glorieuse racine, ô sainte génération, ô bon arbre qui produit tant et de si bons fruits " ! Il ne connaît que trois hommes (c'est Eck qui parle) qui aient insolemment (protervé) élevé la voix contre " ce consentement unanime de la chrétienté universelle " et encore l'un d'eux a obtenu la grâce de se rétracter en rentrant dans le sein de l'Église catholique. Il conclut en recommandant de ne pas ajouter foi aux opinions nouvelles, insoutenables et contraires a l'Église catholique, suivant lesquelles sainte Anne ne se serait mariée qu'une fois Les autres écrivains de cette époque qui soutiennent la réalité des trois mariages ne s'expriment pas avec moins de force que le docteur Eck, et ils notent l'opinion opposée comme a erronée et contraire à la tradition commune de l'Église".

NOTE : La Glose s'exprime ainsi : " Après la mort de Joachim, Cléophas, frère de Joseph, prit Anne pour épouse et engendra d'elle une fille qu'il appela Marie : celle-ci épousa Alphée qui eut d'elle des fils, à savoir : Jacques, Joseph, Simon et Juste. Après la mort de Cléophas, Anne se remaria à un certain Salomé et mit au monde une fille nommée Marie qui épousa Zébédée dont elle eut des fils, à savoir : Jacques appelé le Majeur et Jean l'Evangéliste.

Le bienheureux Albert le Grand, dans son Commentaire sur saint Matthieu (X, 31), prend pour base ce qui est dit dans la Glose puisqu'il cite les vers composés d'après elle : Anna tribus, Joachim, Cleophae, Salomeque Marias etc.

Gerson aussi, dans un sermon sur la Nativité de Marte, mentionne les trois maris de sainte Anne, et cite les vers en question avec des changements insignifiants.
2 Hollilliarii Eckiani adversùs sectas, ab ipso auctore, etc. Sanctis. Ingoletadii, 1536.

La question étant ainsi posée, on ne peut pas s'étonner de voir les premiers adversaires de l'opinion dominante s'exprimer d'abord avec une grande réserve. Voici par exemple comment parle Salmeron : " Quoique cette opinion soit générale et confirmée par les témoignages de beaucoup d'écrivains, assez récents pour la plupart, quelques catholiques cependant la jugent suspecte et peu honorable ou difficile à concilier avec la sainteté de sainte 1tune, avec la dignité de la vierge Marie sa fille, ou enfin avec celle du Christ lui-même ". Le Père Barradius de son côté l'appelle encore " une croyance générale a son époque " vulgata Opinio et la traite avec tant d'égards qu'en émettant l'opinion opposée il se borne à soutenir qu'elle n'est pas " erronea, temeraria et Ecclesiú repugnans " ; un siècle plus tard le Père Cuper s'exprime tout autrement dans les Acta sanctorum (V. Note). Il avoue encore, à la vérité, avec Salmeron, que l'opinion du triple mariage de sainte Anne a été l'opinion générale et qu'elle a eu en sa faveur le témoignage d'un grand nombre d'auteurs : il croit devoir néanmoins regarder l'opinion contraire comme plus raisonnable et plus vraie, et il ajoute, par allusion au docteur Eck " qu'il tient peu de compte de la censure téméraire d'un particulier ". Cuper pouvait parler ainsi dans un temps où son opinion, grâce à l'accession de tous les grands docteurs de sa compagnie, avait peu à peu pris le dessus sur celle qui avait été jusqu'alors l'opinion commune.

NOTE : Commentaria in Evang. Etc.

Le caractère général qu'avait pris la controverse théologique aux XVI et XVII èmes siècles conduisait nécessairement à l'abandon de la tradition relative au triple mariage de sainte Anne, car en présence d'hérésiarques qui attaquaient violemment la virginité et plaçaient le mariage infiniment au-dessus du célibat volontaire, il était naturel qu'on laissât tomber une opinion qui pouvait sembler fournir un argument à l'hérésie. D'ailleurs, comme on le voit par l'annotation de la Glose citée plus haut et par les vers auxquels elle avait donné naissance, on avait fait provenir des divers mariages de sainte Anne toute une postérité dont il était facile de contester la descendance, et cette circonstance contribua aussi à faire abandonner la thèse principale. Le siècle suivant et les temps plus rapprochés du nôtre encore étaient devenus trop étrangers à ces sortes de questions pour pouvoir éprouver autre chose qu'un sentiment de dédaigneuse surprise à l'idée qu'on pouvait s'occuper de discussions aussi oiseuses et aussi peu importantes. Le temps présent, lui aussi, n'eût pris que peu ou point d'intérêt à cette question sans les récits de la voyante de Dulmen ; mais les voies de Dieu sont tout autres que celles des hommes, et ici encore on peut voir l'accomplissement d'une mission imposée à la pieuse fille, celle de remettre au jour bien des choses scellées et tombées dans l'oubli.

È

Saint PIERRE.

20 février 1821.

" J'ai appris beaucoup de choses sur saint Pierre, sa belle-mère malade et sainte Pétronille. Ce fut une chose étrange : je vis venir à moi de ma petite armoire un esprit sous la forme d'un vieillard ; il me raconta beaucoup de choses qu'il paraissait savoir comme s'il eût été présent lorsqu'elles s'étaient passées. C'était saint Pierre lui-même dont il y avait une relique dans l'armoire en. ;' question, ainsi que le dit plus tard Anne Catherine. Il me fit une longue exhortation et me donna, en outre, des règles de conduite que je ne veux pas dire, de peur qu'elles ne m'attirent des reproches ".

Le père de Pierre avait laissé sa maison à celui-ci : après la mort de sa femme il était allé s'établir dans un autre endroit au bord du lac, et André l'avait suivi ; une nièce tenait son ménage. André était l'aine de Pierre et moins ardent que lui : il était plus facile à vivre. Plus, tard André se maria et alla s'établir dans une autre maison, à Bethsaïde. Une personne âgée était restée avec Pierre et tenait son ménage : elle était très diligente et très patiente, mais elle était malade et souffrait d'une perte de sang.

Quand on suivait la route qui allait de Jérusalem à la rive occidentale du lac, on passait par Capharnaüm avant d'arriver à Bethsaïde. Capharnaüm n'était pas au bord même du lac, mais à quelque distance sur la rive occidentale d'une rivière qui s'y jetait ; en suivant la rivière de ce côté, on n'avait pas loin à aller pour arriver à Bethsaïde, qui n'était pas non plus tout au bord du lac. Il y avait plusieurs pêcheries sur le lac qui en cet endroit paraissait sujet à des débordements : on rencontrait aussi dans les intervalles des jardins, des champs et plusieurs ruisseaux qui se jetaient dans le lac. Avant d'arriver de Capharnaüm à Bethsaïde, on trouvait le long du cours d'eau peu important une rangée de petites maisons qui formaient comme un village en avant de Bethsaïde. C'était là qu'était allé le père de Pierre avec sa nièce qui avait déjà demeuré avec lui à Capharnaüm : André aussi y résida un certain temps, mais après son mariage, il habita Bethsaïde.

Pierre vécut trois ans dans le célibat ; ensuite il épousa la veuve d'un pêcheur du village voisin de Bethsaïde. Celle-ci ne pouvant plus diriger ses affaires à elle seule, vint habiter la maison paternelle de Pierre, tandis que Jouas, père de Pierre, alla occuper avec André et sa nièce la maison que quittait cette veuve. Je vis chez Pierre deux petits garçons et un' jeune fille qui étaient des enfants amenés par sa femme. Quant à lui, il n'avait pas d'enfants. Pierre me raconta beaucoup de choses touchant la maladie de sa belle-mère ; il me dit qu'elle s'était entièrement remise entre les mains de Dieu auquel elle ne demandait rien. J'eus aussi une vision, ou je vis Jésus se rendre dans la maison de Pierre avec quelques disciples et la guérir.
Il ne la guérit pas sur-le-champ, et elle ne lui adressa aucune prière. Elle avait déjà beaucoup entendu parler des guérisons qu'opérait Jésus, mais sans rien désirer pour elle-même. Seulement, elle s'était réjouie de ce que Pierre s'était mis en rapport avec lui. La maison de Pierre était en assez bon état, mais elle était vieille et adossée à une espèce de terrassement. Elle était entourée d'une cour fermée ; il y avait devant, près de l'entrée, une pompe qui ne s'élevait pas à hauteur d'homme. En posant le pied sur quelque chose, on faisait jaillir l'eau par en haut de tous les côtés. Tout auprès de la maison se trouvait un réservoir assez grand où l'on descendait par des marches de gazon. J'y ai vu beaucoup de poissons : c'étaient d'autres poissons que ceux de notre pays ; ils avaient de très grosses têtes. De l'autre côté de la maison était un jardin avec des herbes de toute espèce : il y avait aussi des fleurs.

Ce fut dans la première année de la prédication de Jésus-Christ que je le vis guérir la belle-mère de Pierre. Pierre n'avait pas encore quitté sa maison, mais André lui avait déjà fait connaître Jésus. On a coutume de dire que Pierre a tout quitté sur-le-champ pour suivre le Seigneur. Il m'a dit lui-même qu'il était auparavant allé chez son père et lui avait annoncé sa résolution. Jésus avait déjà fait plusieurs miracles dans le pays : il n'avait pourtant pas encore guéri la belle-mère de Pierre. Elle avait entendu parler de ses miracles, s'était réjouie de cela, et avait appris avec plaisir les rapports de Pierre avec lui, mais elle avait continué il souffrir patiemment sans rien demander.

Je vis Jésus entrer dans la maison avec quelques disciples. Pierre entra avec lui. Je vis la femme de Pierre ; elle était plus âgée que lui : elle avait tout l'extérieur d'une Juive de l'ancien temps. Je ne vis pas Jésus aller près de la malade ; il marcha avec Pierre autour de la maison. Je vis les trois enfants courir près d'eux ; je vis aussi que les autres apôtres badinaient avec ces enfants et appelaient la petite fille Pétronille. J'eus une autre vision où il me fut montré comment cette Pétronille souffrit le martyre, après avoir très activement travaillé a propager le royaume de Jésus-Christ. Thècle, Agathe et elle ont été les plus héroïques d'entre les martyres. J'ai su cela dans une vision particulière.

Lorsque je vis que Jésus ne guérissait pas la belle-mère de Pierre à laquelle je m'intéressais beaucoup à cause de ce que Pierre m'en avait dit et de sa grande patience, je fus toute contristée. Je vis faire les apprêts d'un repas : la table était une pièce de bois assez basse : on mit dessus des petits pains, des herbes vertes qu'on Servit comme lorsqu'on apporte du cresson dans un pot ; du miel en grandes tablettes découpées en forme d'étoiles, et, enfin, du poisson. Il y avait avec cela des flacons et de petites coupes dans lesquelles les convives burent debout. Ensuite ils se mirent à table et tout se passa fort tranquillement. Pendant le repas, ou plutôt lorsqu'ils eurent bu, Jésus alla dans la chambre de la malade. Sa couche était une espèce de pierre peu élevée adossée à la muraille ; il y avait devant quatre morceaux de bois fichés en terre soutenant un clayonnage flexible qui empêchait que rien ne tombât, et qui avait légèrement cédé à l'endroit où le coude s'appuyait. La malade avait sous elle des coussins, et sur elle des couvertures de laine blanche très minces. Ce fut André qui accompagna Jésus près d'elle. Elle était couchée je visage contre le mur et ne se retourna pas quand ils entrèrent. Jésus l'appela par son nom ; alors elle tourna un peu la tête vers lui. Il lui tendit la main et elle avança un peu la sienne comme une personne très affaiblie par la maladie. Jésus se baissa vers elle comme pour lui parler ou souffler sur son visage, et alors elle se mit sur son séant. A sa droite était un vêtement d'étoffe rayée que Jésus lui jeta sur les épaules. Elle attacha un bandeau autour de sa tête et se leva en rabattant sur elle le vêtement qui était sur ses épaules, puis, descendant de sa couche, elle suivit Jésus. Je ne l'ai vue ni s'agenouiller, ni remercier avec vivacité, ni témoigner sa reconnaissance par de vives démonstrations. Elle marcha tranquillement à la suite de Jésus, entra après lui dans la salle à manger où Pierre l'embrassa et se mit à servir les convives ; les autres femmes qui étaient dans une autre chambre ne demandèrent que plus tard à la voir.

PIERRE DÉLIVRÉ DE SA PRISON PAR UN ANGE.

1er août 1820 .

Je vis saint Pierre dans une prison assez spacieuse : il était couché et dormait entre deux soldats qui dormaient eux-mêmes couches à quelque distance de lui. Il était étendu sur le côté le long du mur, ses pieds étaient retenus dans un bloc de bois et ses poignets passés dans des chaînes attachées aux bras des deux gardes qui dormaient à droite et à gauche. Je vis une lumière éclatante, et dans cette lumière un ange qui descendait d'en haut : c'était une apparition semblable à celle de mon guide. L'ange secoua Pierre qui se réveilla : les chaînes s'étaient détachées de ses mains à droite et à gauche, elles étaient tombées sans bruit et sans mouvement apparent et elles avaient conservé la même position que lorsqu'il les avait aux mains. L'ange lui dit quelque chose : alors Pierre retira ses pieds du bloc de bois sans l'ouvrir, chaussa ses sandales qui et ;lient attachées autour de ses jambes, se leva, serra sa ceinture sur sa large robe, mit sur ses épaules son manteau qui lui avait servi de couverture et suivit l'ange, qui passai devant lui par la porte qui resta fermée : c'était comme s'ils eussent passé au travers. Ils traversèrent plusieurs pièces où se tenaient des soldats qui veillaient, mais qui ne les virent pas. Enfin ils arrivèrent à une grande porte de fer qui s'ouvrit devant eux. Pendant tout ce temps je ne vis autour d'eux que ce qu'il fallait de lumière pour éclairer l'endroit où ils marchaient. Ils descendirent une rue, alors l'ange disparut et je vis Pierre saisi d'étonnement. Il avait cru jusque-là que tout cela se passait en rêve ; mais alors il se rendit compte de tout et vit qu'il se trouvait réellement en liberté. Il passa par une porte, franchit un petit cours d'eau et sembla sortir de la ville, ce dont je ne suis pas bien sûre ; car à Jérusalem il y avait plusieurs séparations entre les collines sur lesquelles s'élève la ville. Quoi qu'il en soit, je vis que la maison de la mère de Jean-Marc n'était pas dans la ville proprement dite, mais à part et devant une porte. Je vis dans cette maison beaucoup de fidèles et de disciples rassemblés qui priaient dans une salle sous une lampe allumée. Ils avaient grand soin de ne faire aucun bruit qui pût les trahir et gardaient un silence presque absolu : d'épais rideaux étaient tendus devant les fenêtres de la maison pour empêcher de voir la lumière. Je vis Pierre frapper à la porte du vestibule : une servante vint voir qui c'était et Pierre lui dit d'ouvrir ; mais elle rentra en courant et dit aux autres, toute joyeuse, que l'apôtre était là. Ceux-ci ne voulaient pas la croire : je vis alors Pierre frapper de nouveau. Plusieurs d'entre eux vinrent lui ouvrir : il entra et ils l'embrassèrent pleins de joie. Mais il ne s'arrêta pas longtemps avec eux, il leur fit signe de rester calmes et raconta en peu de mots ce qui lui était arrivé ; puis il sortit de la maison et alla plus loin.

Je vis aussi qu'il existe encore à Rome une église où des chaînes sont suspendues dans une châsse : les anneaux sont ronds ; je n'ai rien vu là du bloc de bois ou les pieds étaient retenus, ni des serrures qui le fermaient et qui étaient autrement faites que celles des menottes. Je crois avoir vu une fête ou l'on baisait ces chaînes, mais je ne m'en souviens plus très bien.

È

SAINT PIERRE A ROME.

Juillet 1821.

Ce fut en hiver, le 18 janvier de l'an 44, que Pierre arriva à Rome avec trois compagnons, deux disciples, Martial et Apollinaire, et un serviteur nommé Marcion. Il était allé d'abord d'Antioche à Jérusalem Ou il vivait une persécution ; il s'était rendu de là à Naples et dans plusieurs autres endroits, puis enfin à Rome. Je vis que Lentulus, qui avait été informe de l'arrivée de Pierre, vint à sa rencontre sur le chemin : il l'emmena, lui et ses compagnons, dans sa maison où il leur offrit l'hospitalité d'une façon toute patriarcale, leur lava les pieds, leur donna de nouveaux vêtements et les hébergea. Cependant ils allèrent loger dans une autre maison ; plus tard ils demeurèrent chez un homme nommé Pudens dont la maison devint la première église de Rome : Lentulus contribua largement aux dépenses faites à cette occasion.

Ce Lentulus était un des personnages les plus considérables de Rome : il était marié et avait une douzaine d'enfants. Il avait ressenti un attrait extraordinaire pour Jésus-Christ. Plusieurs Romains étant allés au baptême de Jean avaient entendu parler du Messie, de l'Esprit Saint qui était descendu sur lui et des prodiges qu'il avait opérés. Lentulus recherchait avec grand soin ceux qui étaient dans ce cas et se faisait raconter par eux ce qu'ils savaient. Ses affaires l'empêchaient d'entreprendre le voyage de Judée ; mais quand il arrivait des navires venant de ce pays, il interrogeait les passagers pour avoir des informations Sur Jésus. Il se prit ainsi de loin d'une telle affection pour Jésus qu'il chargea quelqu'un de se glisser dans la foule auprès du Seigneur et de lui faire toucher un suaire de très belle étoffe. On lui envoya ce suaire qu'il reçut avec un grand respect et qu'il conserva précieusement. Les gens riches de cette époque avaient pour s'essuyer je visage des pièces d'une étoffe de laine très fine qui ne se salissaient jamais. Je vis qu'on fit toucher le suaire de Lentulus au vêtement de Jésus la première fois qu'il vint près du Jourdain après l'emprisonnement de Jean. Il ne sembla pas sen apercevoir. Je vis Lentulus profondément ému lorsqu'il reçut ce linge. L'amour que ce païen ressentait de Si loin pour Jésus me toucha tellement que je ne pus m'empêcher de pleurer.

J'ai vu encore que Lentulus désirait ardemment de faire le portrait de Jésus et qu'il se fit donner à cet effet beaucoup de détails par Pierre. Il essaya plusieurs fois ; mais Pierre, en voyant ses ébauches, disait toujours que ce n'était pas encore ressemblant. Enfin Lentulus s'étant endormi en priant, je vis une apparition du Sauveur porter le suaire à son visage et y laisser l'empreinte de sa face que Lentulus trouva à son réveil. J'ai l'idée que ce portrait existe encore et qu'il a opéré autrefois beaucoup de miracles. Lentulus fit encore des représentations d'autres objets qu'il s'était fait décrire, par exemple de la grotte d'Élie sur le mont Carmel. Il fut l'un des premiers qui se firent chrétiens à Rome.

J'ai vu souvent trois images miraculeuses de Jésus : j'ai vu tout cela beaucoup plus clairement, quand j'avais neuf a dix ans. Le suaire de Véronique est passé à Thaddée qui s'en est servi pour opérer des miracles à Edesse et ailleurs. Il est maintenant dans une ville où se trouve un des linceuls de Jésus-Christ : c'est à Turin, si je ne me trompe.

Le portrait de Lentulus se trouve dans un endroit (note : à Pérouse) où il y a encore deux des linges qui ont servi à ensevelir Jésus et où l'on conserve dans une belle église l'anneau nuptial de Marie, derrière une grille fermée par plusieurs serrures. Les gens pieux qui se marient font toucher leurs anneaux à ces serrures. Cet anneau est très large, il y a en haut et en bas un rebord : il n'est ni d'or ni d'argent : il est de couleur sombre avec des reflets chatoyants. Des lettres et des signes sont gravés autour. Le suaire qui est a Rome est un linge qui a servi à envelopper ceux sur lesquels Jésus fut déposé pour être embaumé et sur lequel son visage s'est imprimé miraculeusement. En le comparant avec l'autre, on l'a trouvé parfaitement semblable. J'ai su aussi toute l'histoire de ce linge, mais je l'ai oubliée.

Un linceul de Jésus vint en la possession d'un disciple de Jérusalem qui était au temple : il tomba plus tard dans les mains des Juifs. Ils essayèrent de le brûler, mais je vis le linceul s'envoler en l'air : je vis toute une histoire à ce sujet : il y eut un évêque de Syrie qui eut à son sujet beaucoup de contestations avec les Juifs et qui finit, si je ne me trompe par en rester possesseur. Je crois avoir une relique de cet évêque.

Pierre est arrivé à l'âge de quatre-vingt-dix-neuf ans : Il mourut l'an 69, occupa sept ans le siège d'Antioche et vingt-cinq ans celui de Rome. Il fut à Jérusalem en l'an 43 : il alla de là à Rome et y fonda l'Église Romaine. Il se rendit ensuite à Éphèse pour assister à la mort de Marie, puis il retourna à Rome en passant par Jérusalem.

Pierre alla trois fois à Joppé. La première fois il s'y rendit en venant de Samarie, où il s'était mis en rapport avec Simon le magicien. Il revint de là à Jérusalem à l'occasion des réclamations qui s'étaient élevées touchant la distribution des aumônes, et il institua les diacres : il fut reconnu comme chef suprême de l'Eglise et revint à Sarona et à Joppé. Lorsque les femmes se plaignirent d'Étienne à l'occasion du pain moisi, il vint encore à Jérusalem. d'où il retourna à Joppé : il y ressuscita Tabithe et vit la vision où un grand linge contenant des aliments de toute espèce lui fut montré. A cette époque, Jacques le Majeur se mit en rapport à Samarie avec deux magiciens qu'il convertit et qui guérirent ensuite au nom de Jésus comme ils avaient cherché à le faire auparavant au nom du démon. L'un d'eux s'appelle Hermogène.

È

SAINT ANDRE

J'ai vu la vie de l'apôtre saint André et reconnu une relique provenant de lui. J'ai vu aussi une fête de l'Église en son honneur, à laquelle assistaient tous les apôtres, ainsi que la Mère de Dieu et Madeleine : Marthe n'y était pas. Je le vis après la mort de Jésus parcourir la Grèce et l'Asie et aller continuellement d'un lieu à l'autre en opérant partout des miracles. Il était plus âgé et moins grand que Pierre : sa taille était ramassée : ses manières simples, franches et ouvertes : ses qualités dominantes étaient la sincérité et la libéralité. Il avait la tête chauve, sauf quelques mèches de cheveux blancs comme la neige sur les côtés : son menton aussi était garni de deux mèches blanches assez courtes. Il avait une femme et quatre enfants, deux garçons et deux filles. mais à dater du moment où Jésus l'appela à sa suite il vécut dans la continence la plus absolue. Il fut le premier des apôtres qui renonça à tout ce qu'il possédait et aucun d'eux n'a si promptement et si scrupuleusement donné et distribué tout son bien au profit de la communauté : cela eut lieu lorsque Jésus congédia ses apôtres pour quelque temps, lors du voyage qu'il fit avant sa mort en Arabie et en Égypte.

Lorsque André partit pour ses voyages apostoliques, sa femme habita d'abord à Béthanie : ensuite elle alla dans les environs d'Éphèse. mais cependant à une certaine distance de l'habitation de la sainte Vierge. Plus tard j'ai vu presque toujours les enfants des apôtres parmi les disciples et en général assistant les apôtres. André n'était pas proprement un pécheur comme son frère, il était plutôt l'administrateur d'une pêcherie qu'il tenait à ferme et sa maison était au centre de Bethsaïde, tandis que celle de Pierre était à l'extrémité de la ville tout au bord de l'eau.

Je vis André et un autre encore (Saturnin), avec Jean-Baptiste : je vis Jean parler de Jésus qui passait à une certaine distance, sur quoi André et l'autre disciple s'étant entretenus quelques moments avec Jean, le quittèrent pour aller à Jésus qui venait vers eux de l'autre côté du chemin. Il leur demanda qui ils cherchaient et leur permit de le suivre.

Quant aux divers événements de la vie de saint André et des miracles opérés par lui, Anne Catherine ne raconta que le peu qui suit : Je vis André en Achaie, en même temps que Matthieu était prisonnier dans une ville éloignée avec des disciples et une soixantaine d'autres personnes. On avait mis du poison dans les yeux de Matthieu, ce qui le faisait beaucoup souffrir : ses yeux étaient très rouges et très enflés et il n'y voyait plus : cependant on ne les avait pas crevés. Cette ville était au sud-est de Jérusalem, de l'autre côté de la mer Rouge, en Éthiopie : elle était située au bord d'une rivière qui était fort grande pour un pays de montagnes. Les habitants de cette contrée sont tout noirs : mais il y a pourtant une partie du pays ou ils sont blancs : cette partie est comme une enclave. André reçut dans une vision l'ordre de se rendre auprès de Matthieu. Il monta sans être connu sur un navire où se trouvaient beaucoup de passagers et dont la marche fut très rapide : ensuite il voyagea par terre et je les vis suivre alternativement les deux bords de la rivière près de laquelle la ville était située. Quand il y fut arrivé, il guérit Matthieu, fit tomber ses chaînes et celles de ses compagnons de captivité et prêcha l'Evangile. Au commencement tout alla bien, mais ensuite les habitants excités par une méchante femme se saisirent d'André et le traînèrent à travers la ville, après lui avoir lié les pieds André pria pour ses bourreaux : ils furent touchés, lui demandèrent pardon et se convertirent : il revînt ensuite en Achaïe. Je le vis guérir un possédé aveugle et ressusciter un enfant égyptien. Un jeune homme que sa mère dénaturée excitait à commettre un inceste avec elle et qu'elle avait accusé devant le proconsul à cause de son refus de consentir a ce crime, se réfugia auprès de lui André et le jeune homme prièrent : l'apôtre fit faire à celui-ci le voeu le jeûner un certain temps et ils allèrent ensemble au tribunal. La mère fut frappée de la foudre et le jeune homme, mis en liberté, jeûna pendant plusieurs jours.

André alla aussi à Nicée où il chassa des sépultures de la ville sept esprits impurs qui aboyaient comme des chiens. Il établit là un évêque qui était des environs de Cédar. Il ressuscita un enfant mort à Nicomédie : il apaisa une tempête sur l'Hellespont : les sauvages habitants de la Thrace voulurent le faire périr, mais effrayes par une éclatante lumière céleste qui l'environna, ils se prosternèrent la face contre terre. Je vis encore l'histoire d'une pécheresse convertie appelée Trophima, contre laquelle aucune force humaine ne pouvait rien lorsqu'elle portait sur sa poitrine le livre des Évangiles. Je vis aussi une fois André exposé aux bêtes, puis rendu à la liberté.

Quant au martyre qui termina sa vie, je me souviens seulement que son juge s'appelait Egéas. La croix à laquelle il fut attaché avait cette forme >I<. cependant ses pieds n'étaient pas écartés l'un de l'autre, mais attachés au poteau du milieu : l'usage de cette espèce de croix s'était répandu parce qu'elle était plus commode et plus prompte à dresser à l'aide de trois pièces de bois. André resta ainsi suspendu pendant deux jours et deux nuits et il prêcha du haut de sa croix : " la fin, le peuple qui l'avait pris en grande affection se souleva et demanda sa délivrance. Un envoyé d'Egéas étant venu, la foule se pressa si nombreuse autour de la colline que plusieurs personnes furent étouffées. Mais André pria pour obtenir la grâce de mourir : ils ne purent pas le détacher de la croix parce que leurs mains furent frappées de paralysie. Ce fut ainsi qu'il mourut.

È

SAINT JACQUES LE MAJEUR.

Jacques était grand, il avait les épaules larges sans être trapu, ses cheveux étaient noirs et sa barbe brune. Il avait le teint blanc, la physionomie grave et pourtant pleine de sérénité. Il était marié et vivait à Capharnaum, mais il n'avait pas d'enfants. Sa femme était une soeur de la veuve de Naïm et se réunit plus tard aux saintes femmes.

La mère de Jacques s'appelait Marie Salomé, elle était fille d'une soeur de sainte Anne, dont le mari s'appelait Salomo : elle avait demeuré d'abord près de Bethléhem, puis sur les biens de sainte Anne. Marie Salomé épousa Zébédée dont elle eut Jacques le Majeur et Jean. Elle était du même âge que la fille aînée d'Anne, Marie d'Héli, née dix-huit à vingt ans avant la sainte Vierge, et qui épousa Cléophas, dont elle eut Marie de Cléophas : celle-ci épousa Alphée qui avait eu d'un premier mariage le publicain Matthieu et qui eut d'elle Simon, Jacques le Mineur et Thaddée. D'un second mariage avec Sabas, Marie de Cléophas eut José Barsabas et d'un troisième mariage Siméon évêque de Jérusalem, Marie Salomé était donc nièce de sainte Anne et cousine germaine de Marie, la mère de Dieu.

Lorsque Étienne fut lapidé, un an environ après le crucifiement de Jésus-Christ, sa mort ne fut pas suivie d'une persécution en règle contre les apôtres ; seulement, la plupart des chrétiens qui s'étaient établis dans des cabanes autour de Jérusalem, et qui étaient en partie sous la direction d'Etienne, furent chassés de leurs demeures il n'y eut pas d'autre persécution dirigée contre les apôtres et les disciples proprement dits, si ce n'est quelques meurtres isolés. Les Juifs éprouvaient un certain effroi : de temps en temps il y avait un tumulte populaire, puis le calme renaissait. Jacques fut l'un des premiers apôtres qui quittèrent Jérusalem lorsqu'ils se furent partagé les contrées à évangéliser, et il se rendit en Espagne. Il resta un peu plus de quatre ans dans ce pays, fit pendant ce temps plusieurs voyages, rencontra infiniment d'obstacles, et éprouva des tribulations de toute espèce : il eut souvent à soutenir de rudes luttes, et disputa beaucoup avec les savants. Je vis plus d'une fois Marie lui venir miraculeusement en aide lorsqu'il l'invoqua dans ses tribulations. En allant de Jérusalem en Espagne, il passa par les îles grecques et par la Sicile, puis il longea longtemps par mer la côte d'Espagne jusqu'à un étroit passage assez semblable à celui qui est entre la France et l'Angleterre, et enfin, il débarqua à Gadès. Il y a là une presqu'île avec un promontoire de rochers. Sa prédication fut mal accueillie dans cette contrée, et si quelques chrétiens réfugiés là n'avaient pas rendu témoignage de la vérité de ses paroles, on l'aurait mis en prison. Il alla alors dans une autre ville où il ne trouva pas un meilleur accueil, il fut arrêté et on voulait le mettre à mort, mais il fut délivré miraculeusement. Je le vis en prison, rêvant qu'un ange venait à lui et le délivrait en le faisant passer par-dessus une haute muraille. Je vis la chose arriver réellement pendant que Jacques croyait rêver : je le vis au haut du mur se réveiller et regarder derrière lui : il y avait devant le mur une grande étendue d'eau. Je vis un ange descendre du ciel et le transporter de l'autre côté de l'eau. Il se rendit ensuite à Rome, accompagné de deux disciples. Il en laissait derrière lui six ou sept qu'il avait chargés de continuer son oeuvre, leur promettant de revenir en Espagne. Dans son voyage, il passa à Marseille mais il ne vit pas Lazare ni les autres qui étaient plus avant dans l'intérieur du pays. Il continua son voyage par terre, suivant toujours les côtes dans la direction du midi, prêcha en divers endroits et fut mis en prison où il y resta six jours. Il fut ensuite emmené à Rome par des soldats, traduit devant un tribunal, puis remis en liberté. Ce voyage avait bien duré six mois.

Après cela Jacques revint en Espagne ; il retourna à Gadès où le nombre des chrétiens s'était notablement accru par suite des émigrations là, il remonta dans l'intérieur du pays ; il navigua d'abord sur un radeau avec quelques disciples, puis il fit plusieurs journées de voyage à travers des montagnes désertes, évitant les villes avec soin. Il passa devant Tolède et ne s'arrêta nulle part jusqu'à ce qu'il fût arrivé à Cæsar-Augusta (Saragosse). Il y eut dans cette ville un très grand nombre de conversions, des rues entières reconnurent le Seigneur, et on en chassa ceux qui restaient attachés au paganisme. Là aussi je vis Jacques courir de grands dangers ; on lâcha sur moi des serpents qu'il prit dans sa main sans s'émouvoir ; ils ne lui firent aucun mal et se précipitèrent sur les paiens qui se pressaient autour de lui, et que ce prodige frappa de terreur. Je vis aussi des magiciens faire assaillir Jacques par des démons sous toutes les formes. Je vis encore qu'ayant commencé à prêcher à Grenade, il y fut mis en prison avec tous ceux qui étaient devenus ses disciples. Il implora mentalement l'assistance de Marie qui alors était encore à Jérusalem, et un ange envoyé par elle vint le délivrer miraculeusement ainsi que tous ses disciples. Ce fut alors que Marie lui transmit par les anges l'ordre d'aller en Galice, d'y annoncer l'Évangile et de revenir ensuite à Jérusalem.

LE MIRACLE DE SARAGOSSE

Note : Ceci est un second récit de ce miracle plus détaillé que celui qui a été donné dans l'introduction au premier volume.

Je vis Jacques, après son retour à Saragosse, en proie a de vives inquiétudes à cause d'une persécution qui commençait et qui menaçait l'existence de la communauté chrétienne. C'était pendant la nuit : il priait avec quelques disciples au bord du fleuve, devant les murailles de la ville. Les disciples étaient dispersés et couchés par terre et je me disais : " C'est ainsi qu'était Jésus-Christ sur la montagne des Oliviers ".

Jacques était couché sur le dos les bras étendus en croix : il priait Dieu de lui faire connaître s'il devait fuir ou rester. Il pensa à la sainte Vierge et la supplia de prier avec lui pour demander conseil et assistance à son fils qui ne refuserait pas d'exaucer sa mère. Je vis alors une lumière éclatante briller tout a coup dans le ciel au-dessus de lui, et apparaître des anges qui faisaient entendre des chants admirables : ils portaient entre eux une colonne de lumière du pied de laquelle partait un rayon délié qui venait toucher la terre à deux pas en avant des pieds de l'apôtre comme pour marquer une place. La colonne était de couleur rougeâtre, avec un mélange d'autres couleurs qui y formaient comme des veines : elle était très hauts et très mince et se terminait comme un lis par des pétales lumineux qui s'épanouissaient pour former une corolle : l'un d'eux s'allongeait et s'agitait du côté de l'ouest, dans la direction de Compostelle. Dans cette fleur resplendissante, je vis la figure de la sainte Vierge : elle était d'une blancheur diaphane, avec des reflets plus doux et plus beaux que ceux de la soie brute, et se tenait dans l'attitude qui lui était ordinaire lorsqu'elle priait debout. Elle avait les mains jointes : son long voile relevé sur sa tête tombait par derrière sur ses épaules et l'enveloppait jusqu'aux pieds : elle s'élevait ainsi gracieuse et svelte, au milieu des cinq pétales qui formaient la fleur lumineuse. C'était quelque chose de merveilleusement beau Je vis que Jacques se releva sur ses genoux en priant et qu'il reçut de Marie l'avertissement intérieur qu'il devait sans tarder ériger une église dans cet endroit, car l'intercession de Marie devait y prendre racine et s'y implanter comme une colonne. En même temps Marie lui annonça qu'après avoir bâti la maison de Dieu il devrait se rendre à Jérusalem. Jacques se leva et appela les disciples qui déjà accouraient près de lui, car ils avaient entendu les chants et vu la lumière ; il leur fit part des merveilles qu'il avait vues et tous suivirent des yeux la lumière qui s'évanouissait.

Dans la cinquième année qui suivit la mort du Christ, un nouvel orage s'était élevé contre la communauté chrétienne. Marie reçut un avertissement et Jean la conduisit avec d'autres personnes dans les environs d'Éphèse où déjà quelques chrétiens s'étaient établis. Lorsque Jacques eut fait à Saragosse ce qui lui avait été prescrit par Marie, il forma comme un collège de douze disciples parmi lesquels il y en avait de fort instruits et les chargea de continuer l'oeuvre fondée par lui au milieu de tant de difficultés.

LE MARTYR DE SAINT JACQUES

Lui-même quitta l'Espagne pour se rendre à Jérusalem comme Marie le lui avait ordonné. Dans ce voyage il visita Marie à Éphèse. Elle lui annonça qu'il ne tarderait pas à être mis à mort à Jérusalem, elle l'encouragea et le consola. Jacques prit congé de la sainte Vierge et de Jean son frère et se rendit à Jérusalem. Ce fut à cette époque qu'il se mit en relation avec le magicien Hermogène et un autre qui devint son disciple, et qu'il les convertit l'un et l'autre par un miracle. Il fut plusieurs fois arrêté et traduit devant la synagogue. Je vis qu'on se saisit de lui à Jérusalem peu de temps avant la fête de Pâques, comme il prêchait en plein air sur une colline : c'était bien au temps de Pâques, car je vis les étrangers campés autour de la ville comme à l'ordinaire. Jacques ne resta pas longtemps en prison. Il fut condamné dans le lieu même où Jésus avait été jugé, mais la maison était tout autrement disposée. Tout avait été changé aux endroits où Jésus avait porté ses pas : j'ai toujours pensé que nul autre ne devait y paraître après lui. Je vis qu'on le conduisit du côté du Calvaire : sur le chemin il ne cessa de prêcher et convertit plusieurs personnes.

NOTE : Ici comme ailleurs Anne Catherine a dit si formellement que Jacques le Majeur était mort avant la sainte Vierge, et qu'il n'était pas présent lorsqu'elle mourut beaucoup plus tard à Éphèse, qu'il est nécessaire de rectifier ce qu'on lit dans " la Vie de la sainte Vierge ". Si elle fait mention de Jacques en racontant la mort de Marie, elle entend parler de José Barsabas qui y parut comme son représentant, ou peut-être de sa présence en esprit. (Note de l'éditeur.)

Lorsqu'on lui lia les mains, il dit : "Vous pouvez enchaîner ces mains, mais non la bénédiction de Dieu ni ma langue" ! Un boiteux qui était assis sur le chemin, s'adressa à lui, le priant de lui donner la main et de le guérir. Jacques répondit : "Viens à moi et donne-moi la main ". Sur quoi le boiteux se leva, prit les mains lices de l'apôtre et fut guéri. Je vis aussi son dénonciateur, nomme Josias, courir vers lui tout ému de repentir et lui demander pardon. Jacques lui demanda s'il ; désirait le baptême, et l'autre lui ayant répondu qu'il le désirait, l'apôtre l'embrassa en disant: "Tu seras baptisé dans ton sang". Je vis encore une femme tenant à la main un enfant aveugle courir vers Jacques à l'endroit même où il devait être supplicié et obtenir la guérison de, cet enfant.

Jacques fut d'abord placé avec Josias sur une petite éminence : on proclama les crimes qui lui étaient imputés, et le jugement rendu contre lui. Ensuite il s'assit sur une pierre à laquelle ses mains étaient enchaînées des deux côtés ; on lui banda les yeux, et enfin on lui trancha la tête. Pendant ce temps, on avait renfermé Jacques le Mineur dans sa propre maison. Matthieu, Nathanaël Khased et Nathanaël le fiancé étaient alors à Jérusalem. Matthieu résidait à Béthanie. La maison de Lazare, ainsi que toutes ses autres propriétés en Judée, était depuis longtemps affectée à l'usage de la communauté chrétienne, mais les Juifs s'étaient emparés du château qui était dans la ville. Lors de l'exécution de Jacques, il y eut un soulèvement populaire, et beaucoup de gens se convertirent. Les disciples de Jacques voulaient avoir son corps, mais les Juifs se hâtèrent de le faire emporter par les soldats. Hérode mourut bientôt après à Césarée. Son ventre creva pendant une fête, comme il était sur un théâtre, en présence de tout le peuple ; on l'emporta dans une grande salle où était son trône, et qui pouvait contenir facilement cinq cents personnes. La rage et la douleur l'avaient jeté dans un accès de frénésie ; on ne peut dire à quel point il était dégoûtant à voir. On cacha sa mort pendant un certain temps. Je crois que Pierre ne revint à Jérusalem que plusieurs semaines après, et qu'il fut mis en prison. Plus tard, lorsque les disciples de Jacques réclamèrent son corps, les Juifs ne voulurent pas dire où il était, mais on le sut par un miracle, parce que deux malfaiteurs qu'ils avaient chargés de le porter dans un autre endroit a9n que ses disciples ne pussent pas découvrir où il se trouvait, se trouvèrent dans l'impossibilité de s'éloigner de là. Les disciples lui donnèrent la sépulture dans le voisinage de Jérusalem, mais pendant une persécution postérieure, ils l'enlevèrent secrètement et le transportèrent sur un navire qui les conduisit en Espagne. Parmi eux se trouvaient Ctésiphon, Joseph d'Arimathie et Saturnin. Celui-ci était déjà allé en Espagne précédemment, et il y avait prêché l'Evangile ; il portait toujours des vêtements de lin. J'ai vu aussi dans quel endroit ces disciples se séparèrent, mais je l'ai oublié. J'ai eu touchant Saturnin une vision des plus claires. Il était né à Patras, en Grèce, de parents d'un rang distingué. Avant entendu parler de Jean Baptiste, il quitta ses parents, alla le trouver et devint son disciple zélé. Je le vis au baptême de Jésus-Christ, et lorsque Jean lui dit que le Christ était au-dessus de lui, il suivit le Seigneur dont il ne se sépara plus. Je vis qu'il travailla extraordinairement : il fit de longs voyages après la mort de Jésus, et baptisa un grand nombre de personnes. Je ne puis pas comprendre pourquoi il n'est pas question de lui dans les Évangiles. Je me souviens encore qu'il fut mis à mort dans une ville appelée Tolosa. Les idoles tombèrent là en sa présence, on le maltraita cruellement, et on l'attacha à des taureaux qui le traînèrent jusqu'à ce qu'il eût rendu l'âme. Je me souviens aussi d'un disciple du nom de Nicolas avec lequel il était en relation, et d'un autre nommé Andronic. J'ai vu tant de personnages et j'ai eu tant de visions qui les concernaient, que mon misérable état me rend absolument impossible de me reconnaître au milieu de tout cela. Saturnin fut évêque et il fit immensément de choses. Il prêcha d'abord en Orient et alla jusqu'aux frontières de la Perse. Dans le pays ou il fut martyrisé, il travailla considérablement et fonda plusieurs églises.

Lorsqu'avec Ctésiphon et Joseph d'Arimathie, il porta en Espagne le corps de saint Jacques, j'eus une vision touchant la méchante reine Lupa qui avait persécuté saint Jacques pendant qu'il évangélisait l'Espagne. Elle ne voulait pas permettre qu'on lui donnât la sépulture, mais les disciples l'avaient déposé sur une pierre qui se creusa sous le corps en forme de sépulcre. Il arriva en outre que la terre rejeta d'elle-même à plusieurs reprises d'autres corps qu'on avait enterrés près de lui. Lupa ayant porté des accusations contre les disciples, ils furent mis en prison, mais ils s'en échappèrent miraculeusement, et comme le roi les poursuivait, accompagné de quelques cavaliers, un pont sur lequel il passait s'écroula, en sorte que ses gens et lui périrent. Lupa fut saisie d'un tel effroi qu'elle dit aux disciples d'aller prendre dans un désert des taureaux sauvages et de les atteler ensemble : elle leur permettait de bâtir une église dans l'endroit où ils conduiraient le corps. Elle croyait que ces animaux farouches briseraient tout dans leur fureur. Les disciples, en entrant dans le désert, rencontrèrent un dragon qui tomba mort lorsqu'ils firent sur lui le signe de la croix Les taureaux se laissèrent atteler et conduisirent le corps de Jacques au château de Lupa. Ce fut là qu'on l'enterra, et le château devint une église, car Lupa se convertit et devint chrétienne ainsi que son peuple. J'eus ensuite une vision touchant une femme païenne de Rome : elle était vieille et toute contrefaite, et une impulsion intérieure l'excitait à se convertir. Elle s'adressa en esprit au tombeau de saint Jacques Et ; Espagne : alors Jacques lui apparut décapité et lui dit qu'il voulait lui montrer Jésus pour qu'elle le reçût en elle, et qu'elle irait ensuite visiter le tombeau de l'apôtre. Je vis qu'elle recouvra la santé et qu'elle alla en effet en Espagne au tombeau de saint Jacques. Il s'y opéra beaucoup de miracles, et le corps fut transféré dans un endroit dont le nom ressemble à celui de Constantinople (Compostelle).

Jacques le Mineur fut martyrisé plusieurs années après Jacques le Majeur. Je le vis sept jours de suite traîné devant le tribunal et chaque fois on l'accabla de mauvais traitements pendant une heure. Après avoir été précipité du haut du temple, il fut encore lapidé et achevé à coups de bâton. Il était évêque de Jérusalem. Je vis aussi un disciple du nom de Jacques à Babylone avec Abdias. Tout son désir était de mourir de la même mort que le Seigneur et il fut en effet crucifié plus tard dans un autre endroit.

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SAINT JEAN L'ÉVANGÉLISTE

27 décembre 1820.

J'eus plusieurs visions sur Jean, mais je ne puis pas les rapporter d'une manière suivie et j'ai oublié beaucoup de choses Je n'ai pas vu aujourd'hui son martyre dans une chaudière d'huile bouillante à Rome, mais je l'ai vu plusieurs fois dans d'autres occasions. J'ai vu que Jean resta toujours près de Marie tant qu'elle vécut et ne la quitta jamais. C'était toujours lui qui lui donnait la sainte communion ; il faisait avec elle le chemin de la croix, la bénissait et recevait ensuite sa bénédiction : il était comme un fils pour Marie et par conséquent dans des rapports plus intimes avec elle qu'aucun des autres. Il conduisit Marie à Éphèse dans la cinquième année qui suivit la mort de Jésus-Christ. Jacques le Majeur a souffert le martyre huit ans environ après l'Ascension, mais Marie est morte beaucoup, plus tard. Elle est arrivée à un âge très avancé et Jacques le Majeur n'était pas présent à sa mort, je le vois maintenant bien clairement : il y avait à sa place un des anciens disciples.

Je vis une fois Jean aller la nuit avec deux disciples dans une cabane voisine d'Éphèse où l'attendaient des gens qui arrivaient des environs de Cédar : ils étaient de la famille de deux vieux époux que Jésus avait guéris lors du voyage qu'il fit après la résurrection de Lazare (tome V, page 320). Je vis baptiser là deux jeunes gens et un petit garçon d'environ deux ans qui était sur le sein de sa mère et nu jusqu'à la ceinture. Jean versa de l'eau sur lui et la mère l'en frotta comme si elle l'eût lavé. Je vis qu'ayant pris avec lui les deux jeunes gens et quelques disciples, il fit un voyage à Cédar ; toutefois il n'alla pas dans le quartier des païens qui est au delà de la rivière, mais il la remonta du côté où il se trouvait. Je crois qu'il alla alors dans le désert où je le vis écrire, couché sous un arbre : ses disciples avaient des rouleaux et des roseaux dont on se servait pour écrire.

J'eus une vision où je vis Jean surveillé par deux soldats comme un prisonnier, traverser un certain quartier d'Éphèse et visiter une maison où demeuraient des gens de bien et où il allait souvent. Je vis des jeunes gens rassemblés sur une place où il devait passer ; c'étaient je crois des philosophes, quelque chose comme des étudiants. Leur maître avait tenu des discours contre Jean et ils voulaient se railler de lui. Comme Jean avait prêché sur le mépris des richesses, ils avaient échangé ce qu'ils possédaient contre de l'or et des pierres précieuses qu'ils avaient brisés en petits morceaux et ils les semaient sur son passage par dérision, afin de montrer par là qu'ils n'avaient pas besoin d'être chrétiens pour mépriser ce qu'ils possédaient et qu'ils pouvaient le faire tout en restant païens. Je vis que lorsque Jean arriva, ils le poursuivirent de leurs railleries : alors il s'arrêta et leur dit que ce n'était pas là du renoncement mais une folle et ruineuse prodigalité : comme il leur donnait à ce sujet de sages enseignements, l'un d'eux lui dit que s'il pouvait rassembler ces fragments et les rétablir dans leur premier état, ils croiraient à son Dieu. Je vis qu'il leur demanda de les ramasser eux-mêmes et de lui apporter tout ce qu'ils pourraient en retrouver : quand ils l'eurent fait, il se mit en prières : les morceaux reprirent leur première forme et il les leur rendit. Alors ils se prosternèrent devant lui : il leur indiqua des pauvres auxquels ils pourraient donner tout cela et ils embrassèrent la foi chrétienne.

Je vis aussi une histoire dont je ne me rappelle que ce qui suit : deux hommes qui avaient donné leurs biens aux pauvres pour suivre Jean, ayant vu leurs esclaves revêtus de beaux habits. se repentirent de s'être mis a la suite de Jésus-Christ. Je vis Jean par la prière changer en or et en pierreries des branchages coupés dans la forêt et des cailloux ramassés sur le bord de la mer, puis il leur donna tout cela afin qu'ils pussent racheter les biens dont ils s'étaient dépouillés. Comme il leur adressait à ce sujet de graves avertissements, le convoi d'un jeune homme mort récemment vint à passer et les gens qui l'accompagnaient en pleurant supplièrent l'apôtre de le rappeler à la vie. Jean, s'étant mis en prière, le ressuscita et lui ordonna de dire à ces disciples ébranlés dans leur foi, ce qu'il savait de l'état de leur âme. Le ressuscité leur raconta sur l'autre monde des choses si effrayantes, qu'ils résolurent de faire pénitence. L'apôtre leur prescrivit des jeûnes et leur rendit leur place parmi ses disciples : l'or et les pierreries redevinrent des branchages et des pierres et on jeta le tout à la mer.

Je vis qu'un très grand nombre de personnes se convertirent et que Jean fut arrête. Un prêtre des idoles lui déclara que s'il buvait une coupe remplie de poison, il croirait en Jésus et lui rendrait la liberté. On lui lia les mains et deux soldats le conduisirent, attaché par des cordes, sur une place où siégeait le juge entouré d'une grande foule. Je vis aussi qu'on fit boire le poison à deux condamnés à mort, et qu'ils tombèrent morts après l'avoir bu. Je vis deux hommes habillés d'une façon bizarre préparer le poison dans une salle. Tous les autres étaient revêtus d'amples manteaux qui les enveloppaient : mais ces hommes avaient un vêtement court et serré, des lanières autour des jambes et des espèces de poches suspendues à la ceinture : ils portaient aussi des capuchons Je les vis écraser avec un pilon des fruits rouges, des plantes vertes et de petites tranches de roseau grosses comme le doigt dans un vase qui avait quelque ressemblance avec le calice dont Jésus s'était servi à la sainte cène : ils portèrent la coupe aux lèvres de Jean pour qu'il y bût, car ayant les mains liés, il ne pouvait pas la prendre lui-même. Je vis que Jean avant prié et prononcé quelques paroles sur la coupe, il en sortit une vapeur noire en même temps qu'une lumière descendit du ciel sur lui, Jean but le poison sans s'émouvoir et il ne lui fit aucun mal. Je vis le prêtre des idoles lui demander en outre de ressusciter les deux hommes qu'on avait fait mourir, Jean lui donner son manteau pour qu'il le jetât sur eux en prononçant certaines paroles qu'il lui indiqua, et enfin les deux morts ressusciter. Je vis qu'alors la ville se convertit presque tout entière et qu'on remit Jean en liberté.

Je vis aussi un temple s'écrouler à Éphèse, un jour qu'on voulait forcer Jean à sacrifier. Il vint comme un orage sur le temple, le toit s'effondra, il sortit de toutes les ouvertures des nuages de poussière et de vapeur et les idoles fondirent.

Je vis à Éphèse une païenne dont le mari avait été converti au christianisme par Jean peu de temps auparavant. Elle n'avait pas d'enfants et c'était une femme d'une grande beauté. Elle s'était montrée faible envers un jeune homme de distinction de la ville qui l'aimait passionnément, s'était souvent entretenue avec lui pendant l'absence de son mari, lui avait fait certaines promesses incompatibles avec ses devoirs : cependant elle n'en était pas encore venue à une infidélité formelle. La passion de ce jeune homme la mettait dans une grande perplexité : sur ces entrefaites elle se convertit, reçut le baptême, et confessa ses péchés à Jean, qui lui en donna l'absolution. Elle était pénétrée de repentir et désireuse d'expier ses fautes par la pénitence : son mari qui n'en savait pas la raison s'en chagrinait beaucoup. Le jeune homme, en païen qu'il était, ne voulut pas tenir compte du changement qui s'était fait en elle et il trouva moyen de s'introduire dans son appartement par des voies dont il avait fait usage antérieurement : il la trouva assise sur un lit de repos. Il lui fit de vifs reproches et la somma, avec toutes sortes de menaces et d'emportements de tenir la promesse qu'elle lui avait faite. Elle le conjura de s'éloigner et se comporta tout à fait en chrétienne. Tout à coup elle entendit venir son mari. Le jeune homme s'enfuit et elle fut saisie d'une telle terreur qu'elle en tomba malade et mourut bientôt après. Son mari fut très affligé, d'autant plus que sa femme était morte dans des sentiments de tristesse profonde. La sépulture ou on déposa son corps se composait de plusieurs galeries souterraines : on voyait là, couchés sur des bancs de pierre, plusieurs cadavres que l'on recouvrait ensuite. Il s'y trouvait aussi un petit autel de pierre sur lequel on disait la messe pour les défunts ainsi déposés, pendant les premiers jours qui suivaient leur mort, après quoi on recouvrait les couches funéraires. Le jeune homme poussé par sa folle passion gagna à prix d'argent l'intendant du mari pour se faire introduire dans le sépulcre. Ce méchant homme fit ce qu'il désirait et resta pour l'attendre dans une galerie latérale. Je vis le jeune homme se précipiter les bras ouverts sur le corps de la défunte, mais je vis près d'elle une figure brandir contre lui comme une épée flamboyante et disparaître. Alors le jeune homme tomba mort en poussant un cri. L'intendant accourut et fut tellement terrifié à cette vue qu'il tomba à son tour sans connaissance. Jean étant venu avec le mari et d'autres chrétiens pour célébrer l'office des morts et offrir le saint sacrifice, ils trouvèrent à leur grand étonnement ces deux corps inanimés. Je vis Jean se mettre en prière et ressusciter le jeune homme qui, touché d'un profond repentir, confessa sa faute à Jean et à tous les assistants et raconta ce qui lui était arrivé. Il se trouva entièrement guéri de sa passion, se convertit et devint un excellent chrétien : plus tard même il souffrit le martyre. Après le saint sacrifice de la messe, la femme aussi fut ressuscitée par les prières de Jean. Quant à l'intendant, il n'avait eu qu'un coup de sang : et il reprit connaissance, quoiqu'ayant encore les membres paralysés. Cet homme était un grand scélérat : il ne se convertit pas et mourut misérablement.

La femme vécut encore quelque jours : elle donna des avertissements à plusieurs autres personnes et raconta ce qu'elle avait vu après sa mort, ce qui amena la conversion d'un grand nombre de païens. Elle tint des discours très énergiques et dit des choses très effrayantes.

Je vis encore une autre histoire, celle d'un Juif converti qui n'était que catéchumène et qui était tombé dans la misère pendant l'absence de Jean. Comme il avait des créanciers qui le tourmentaient cruellement, un méchant Juif lui dit qu'il ferait bien de s'empoisonner, car sans cela il était menacé de rester jusqu'à sa mort dans la prison pour dettes. Je vis ce malheureux dans son désespoir boire trois fois du poison dans une coupe de bronze : mais Jean lui avait appris à faire le signe de la croix sur tout ce qu'il buvait et mangeait, et ce breuvage ne lui fit aucun mal, malgré l'intention qu'il avait de s'empoisonner. Cependant Jean étant revenu, il exposa sa détresse à l'apôtre qui lui fit connaître à quel point il avait été criminel et il fut saisi d'un repentir très vif. Alors Jean fit le signe de la croix sur ce vase de bronze où il avait bu le poison et le lui rendit changé en or pour payer ses dettes. Cet homme est devenu par la suite disciple de Jean et évêque de cette ville où Jean rencontra pour la première fois le jeune garçon qu'il alla plus tard chercher au milieu d'une bande de voleurs.

J'ai vu aussi comment Jean rencontra, à l'entrée d'une ville, un jeune garçon qui gardait un troupeau : s'étant entretenu avec lui, il reconnut sous ses dehors incultes et sauvages des qualités précieuses et il lui dit d'appeler ses parents. Je vis venir le père et la mère, qui étaient de pauvres bergers : tous deux avaient des houlettes à la main. Jean leur demanda l'enfant pour l'élever et il l'obtint facilement. Il avait dix ans. Il le conduisit à l'évêque de Berce qu'il chargea de son éducation et auquel il dit qu'il le lui redemanderait un jour. Au commencement tout alla bien : mais plus tard on laissa l'adolescent courir de côté et d'autre et il finit par se joindre à une bande de brigands. Lorsque Jean revint et le redemanda ; on lui dit qu'il était dans la montagne parmi les brigands. L'apôtre monta sur un mulet, car il était vieux et le chemin de la montagne était escarpé, et lorsqu'il eut trouvé le jeune homme qui avait alors environ vingt ans, il le supplia à genoux de se convertir. Il le ramena avec lui, institua un autre évêque et fit faire pénitence au jeune homme qui dans la suite devint lui-même évêque.

Le 28 décembre Anne Catherine raconta ce qui suit : Jean prit avec lui pour aller en Asie les deux frères de l'enfant qu'il avait baptisé sous le nom de Fidèle : il remonta la rivière qui passe à Cédar jusqu'à l'endroit où, trois ans avant sa mort, il écrivit son Évangile dans la solitude. Les disciples n'étaient pas auprès de lui pendant qu'il écrivait, ils s'en étaient retournés à quelque distance et ils venaient seulement de temps en temps lui apporter des aliments. Je le vis écrire, couché sous un arbre : la pluie tombait autour de lui : mais l'endroit où il se trouvait restait sec et le ciel était serein au-dessus de sa tête. Il est resté longtemps dans ce pays, il y a prêché et converti beaucoup de personnes dans les villes voisines. J'ai oublié les noms de ces villes. Je crois que cette contrée était plus au nord que celle où Jésus passa lors de son voyage chez les rois mages.

De là Jean revint il Éphèse. La plupart des compagnons des rois mages étaient allés en Crète après avoir été baptisés par Thomas : les autres s'étaient établis ailleurs.

Thomas avait institué en Arabie plusieurs évêques pris parmi les sujets des trois rois il y eut un moment où ces évoques ne purent plus suffire à leur tâche parce que beaucoup de gens retombaient dans leur ancienne idolâtrie. Ils écrivirent alors à Jean et il leur envoya les deux frères du jeune Fidèle qui avaient été baptisés sous les noms de Macaire et de Caius ; ils étaient arrives à l'âge d'homme et ils étaient devenus ses disciples. Mais ces évêques lui adressèrent des instances si pressantes qu'il se mit en route lui-même, malgré son grand âge, pour se rendre auprès d'eux. Ils demeuraient encore au delà de la contrée où avait été le camp de Mensor. Je vis Jean chez l'un d'eux, dans le pays de ces Chaldéens qui avaient dans leur temple le jardin fermé, symbole de Marie. Le temple n'existait plus : il y avait là une petite église sur le modèle de la maison de la sainte Vierge à Éphèse : elle avait un toit plat, comme toutes les églises que j'ai vues dans ces premiers temps. Les autres évêques se réunirent en cet endroit : ils prièrent Jean d'écrire chez eux la vie de Jésus et voulurent lui raconter tout ce qu'ils en savaient. Mais il leur répondit qu'il l'avait déjà écrite et qu'il y avait mis tout ce qu'il pouvait écrire sur la terre touchant sa divinité. Pendant qu'il l'écrivait, leur dit-il, il avait presque toujours été comme dans le ciel : il ne pouvait rien y changer. Il leur dit que Macaire et Caïus pouvaient compléter ce qu'avait écrit à ce sujet un disciple, appelé d'abord Eremenzear et plus tard Hermès, lequel avait été le compagnon de voyage de Jésus. Il m'a été dit qu'ils l'avaient fait et que le travail de Macaire s'était perdu, tandis que celui de Caïus existe encore. J'ai su encore beaucoup de choses que j'ai oubliées sur ces livres et sur saint Jean. Il se rendit de là à Jérusalem, puis à Rome et il revint enfin à Éphèse. J'ai oublié une grande partie de tout cela, notamment en ce qui touche les évêques arabes et les écrits de Macaire et de Caius.

J'ai eu aussi une belle vision sur la mort de saint Jean. Il était arrivé à un très grand âge, mais son visage était toujours beau, doux et jeune. Je le vis à Éphèse, dans l'église, si je ne me trompe, rompre le pain et le distribuer pendant trois jours de suite. Je crois aussi que Jésus lui était apparu et lui avait annoncé sa mort prochaine : je ne me souviens de cela que confusément, mais j'ai souvent vu Jésus lui apparaître. Je le vis ensuite devant la ville, entouré de ses disciples, enseigner en plein air sous un arbre ; bientôt il alla seul avec deux d'entre eux dans un joli bosquet situé derrière une petite colline. Il y avait là de beau gazon et on pouvait voir la mer dont l'azur se confondait à l'horizon avec celui du ciel. Il leur montra la terre du doigt : il leur indiquait qu'ils devaient creuser son tombeau ou plutôt y mettre la dernière main ; car cela fut fait si promptement que presque tout le travail devait avoir été fait antérieurement : les outils nécessaires se trouvaient là d'avance. Je le vis retourner près des autres disciples : il leur donna quelques instructions d'un ton très affectueux, fit une prière et leur recommanda de s'aimer les uns les autres. Je vis aussi les deux premiers revenir et l'un d'eux lui dire : " Ah ! mon père, nous croyons que vous allez nous quitter ". Ils se pressèrent tous autour de lui, se prosternèrent à terre et versèrent des larmes : il les exhorta, pria et les bénit. Je vis ensuite qu'il leur ordonna de rester là et qu'accompagné de cinq d'entre eux, il se rendit à l'endroit où était le tombeau. La fosse n'était pas très profonde et sa forme était celle-ci : ()
elle était revêtue de gazon : il y avait un couvercle en clayonnage, au-dessus duquel l'herbe poussa plus tard et qu'on recouvrit d'une pierre, si je ne me trompe.

Jean, debout sur le bord du tombeau, pria quelque temps les bras étendus ; ensuite il étendit son manteau dans la fosse, y descendit, s'y coucha et pria encore. Je vis une lumière éclatante descendre sur lui. Il dit encore quelque chose: les disciples s'étaient jetés par terre, priant et fondant en larmes. Je vis alors une chose merveilleuse : pendant que Jean couché dans le tombeau s'affaissait doucement et rendait le dernier soupir, je vis une figure lumineuse, tout à fait semblable à lui, se dégager de son corps, comme d'une grossière enveloppe, entrer dans la lumière qui était au-dessus du tombeau et disparaître avec elle. Je vis alors les autres disciples arriver, se prosterner près du corps de l'Apôtre et enfin le recouvrir. Au moment où cette scène venait de disparaître à mes veux, j'eus une vision de la montagne des Prophètes et je vis cette figure que j'y vois si souvent assise sous une tente.

SAINT JEAN (suite.)

Saint Jean dans la chaudière d'huile bouillante à Rome. — Saint Aquila. — Le Jeune martyr saint Fidèle.

Lorsque Jean fut jeté dans l'huile bouillante, il prêchait l'Évangile en Italie où l'on s'était saisi de lui. De Pathmos où il était très aimé et où il avait converti beaucoup de personnes, il fit plusieurs excursions, accompagné de ses gardiens, il vint même dans les environs d'Éphèse. Il n'a pas eu à la même époque toutes les visions dont se compose l'Apocalypse et il ne les a pas écrites en une seule fois : il y a eu des intervalles. Il n'écrivit son Évangile que trois ans avant sa mort, étant alors dans l'intérieur de l'Asie. J'ai eu plusieurs visions touchant son martyre à Rome. Je le vis dans une cour ronde entourée d'un simple mur, où il fut dépouillé de ses vêtements et flagellé : il était déjà vieux, mais il avait quelque chose de délicat et de jeune dans son extérieur. Je le vis aussi conduire, près d'une porte de la ville, dans une grande salle circulaire où une haute chaudière assez étroite était placée sur un foyer rond en pierre dans le bas duquel étaient pratiqués des trous. Jean portait un manteau blanc agrafé sur la poitrine, assez semblable au manteau de pourpre dont on revêtit le Seigneur par dérision. Il y avait là un nombre considérable de spectateurs ; on lui retira son manteau : son corps était couvert de plaies saignantes par suite de la flagellation. Deux hommes l'élevèrent au-dessus de la chaudière où il descendit lui-même. L'huile était bouillante : on entretenait le feu avec des rondins de couleur foncée qu'on avait apportés en fagots. Jean y étant resté quelque temps sans qu'il se manifestât chez lui ni souffrance ni lésion, on l'en retira. Son corps était sans brûlure et comme renouvelé : toutes les traces de la flagellation avaient disparu. Plusieurs des assistants se précipitèrent sans crainte vers la chaudière et y puisèrent de l'huile dans de petits vases : je fus étonnée qu'ils ne se brûlassent pas. Jean fut reconduit à l'endroit d'où on l'avait amené. J'ai vu dans des visions précédentes, et entre autres cette nuit, qu'on conserve encore de cette huile en différents lieux. je vis plus tard bâtir à l'endroit du martyre une grande église où l'on conservait de cette huile.

NOTE : Anne Catherine vit ce martyre le 6 mai i820, jour de la fête de saint Jean devant la porte Latine.

Le 20 juillet 1821, Anne Catherine, parmi plusieurs reliques qui lui avaient été apportées, en reconnut une comme provenant de cet évêque voisin d'Ephèse auquel Jean avait confié l'enfant qui plus tard se fit brigand. Cet évêque était un homme de bien qui eut beaucoup à lutter contre les hérétiques, mais il fut négligent à l'endroit du jeune homme. Il ne fut évêque que six ans, il était en quelque sorte comme un vicaire par rapport à Jean. Son nom est Aquila (elle épela successivement les lettres). Il mourut de mort naturelle. Comme il pleura lorsque Jean lui reprocha sa négligence. Comme il s'agenouilla humblement devant lui ! C'était pendant les dernières années de la vie du saint apôtre : Aquila exerçait les fonctions épiscopales, non pas à Éphèse, mais dans une ville plus éloignée. Il était de Corinthe, et il était marié : il fabriquait des couvertures, des perches et des cloisons en clayonnage. Paul logea chez lui, le convertit, l'emmena avec lui à Éphèse ainsi que sa femme et l'y laissa en qualité de catéchiste. Sa femme instruisait les personnes de son sexe : elle alla jusqu'à Cédar et convertit beaucoup de personnes. Aquila se sépara de sa femme et fut longtemps près de l'évêque d'Éphèse qui succéda à Timothée et qui s'appelait Onésime.

Lorsqu'Aquila vint à Éphèse avec Paul, il était très zélé et sa femme l'était encore davantage. Celle-ci était grande et forte, elle avait le teint brun et quelque chose d'un peu masculin dans je visage. Elle portait sur la tête une coiffure très haute, enveloppée de fine étoffe de laine : cela ressemblait à un verre à boire dans lequel on aurait fait entrer les cheveux et autour duquel on aurait roule des bandes d'étoffe : Thècle aussi était coiffée de la sorte. Plus tard le zèle d'Aquila se ralentit un peu. Avant son voyage, Jean l'établit comme évêque dans un endroit qui était à plusieurs lieues d'Éphèse. Jean était le pasteur suprême pour tout ce pays qu'il visitait régulièrement. Comme il se rendait chez Aquila, il s'arrêta pour enseigner et rencontra ce bel enfant délaissé qu'il confia à Aquila. Au bout de neuf ou dix ans, il le redemanda, et comme il s'était enfui, il alla lui-même le chercher parmi les voleurs. Aquila pleura beaucoup et se corrigea de sa négligence. L'adolescent aussi devint un homme pieux.

J'ai vu, touchant Onésime, qu'il était à Smyrne près d'Ignace lorsqu'on conduisait celui-ci à Rome pour y être martyrisé. Il fut emmené, lui aussi, et souffrit le martyre.

Anne Catherine eut la vision suivante, provoquée par une relique d'un enfant martyr qu'on avait posée près d'elle le 12 décembre 1820.

Le petit garçon que saint Jean baptisa dans les bras de sa mère était l'arrière-petit-fils de ces deux vieux époux que Jésus avait guéris entre Cédar et l'autre endroit où ils le suivirent ensuite pour assister à une noce (tome V, page 321). Le bisaïeul s'appelait Benjamin et descendait de Ruth en droite ligne : j'ai vu dans une longue série de tableaux l'histoire de celle-ci et de tous ses descendants. Les parents du petit garçon s'appelaient Arab et Mara, ses deux frères aînés Jehu et Machar. Ceux-ci habitaient près d'Ephèse, parmi des chrétiens qui étaient venus là, chassés de la Terre Sainte, et qui s'étaient établis dans un rayon d'a peu près une lieue autour de la maison de Marie. Cette maison leur servait d'église : tous les saints apôtres qui venaient dans le voisinage la visitaient, ainsi que le chemin de la croix et le tombeau de la sainte Vierge qui était encore en très bon état et où les fidèles aimaient il aller prier.

Arab, et Mara avaient été baptisés par Jude Thaddée. J'eus une charmante vision du baptême de leur plus jeune enfant par Jean : après avoir été jeté dans l'huile bouillante à Rome, il était revenu à Éphèse et s'était rendu avec Eremenzear et quelques compagnons dans le district dont il vient d'être parlé : il s'y tint caché quelques jours, ne visitant les habitations que la nuit et célébrant souvent le service divin dans l'habitation de Marie. Je vis Arab et Mara attendre Jean très impatiemment : il était nuit et une lampe brûlait dans la maison qui était faite de matériaux légers : il y avait là quelques autres chrétiens. Je vis Jean frapper à la porte : la joie des parents fut inexprimable. La mère prit l'enfant, qui paraissait être encore à la mamelle ; elle le plaça debout sur elle, le découvrit jusqu'à la ceinture et un homme et une femme lui mirent les mains sur les épaules. L'enfant était très vif et portait ses mains de côté et d'autre. Jean lui versa sur la tête, avec la main, de l'eau puisée dans un bassin : la mère prit un linge et étendit cette eau sur toute la partie supérieure de son corps comme si elle l'eût lavé : Jean prit ensuite dans une petite boîte quelque chose qu'il lui mit dans la bouche en récitant une prière. Il donna à l'enfant le nom de Fidèle. I1 fut ainsi baptisé en bas âge, parce que Jean devait s'éloigner, et que la persécution sévissait contre les chrétiens. Jean prédit que cet enfant serait très fidèle au Seigneur. Il s'en alla d'ici à Pathmos, où je crois qu'il eut beaucoup à souffrir. Il me semble que les frères de Fidèle l'accompagnèrent. Plus tard, lorsque Fidèle eut environ sept ans, je vis tous ces gens aller à Jérusalem pour fuir une persécution : je les y vis vivant pieusement et rendant un culte particulier aux lieux sanctifies par les traces des pas de Jésus. On avait fait beaucoup de dégâts et le Saint Sépulcre était enfoui sous des décombres de toute espèce, mais les chrétiens recherchaient toutes les places sanctifiées pour y prier. Dans une de ces occasions, Fidèle fut saisi avec d'autres enfants : on chercha par tous les moyens possibles à les faire apostasier : on les fouetta en présence de leurs parents pour arracher à ceux-ci des actes de faiblesse. Je vis Fidèle mourir joyeux dans un supplice de ce genre. Les chrétiens enterrèrent plus tard tous ces enfants près du Calvaire. Mais j'ai vu que dans la suite leurs corps furent exhumés et transportés à Rome. Le jour de leur martyre est celui de la fête des Saints Innocents.

Lorsque Jean baptisa cet enfant, il était déjà vieux et d'une extrême maigreur. Il portait une longue robe blanche et il avait une petite mèche blonde au menton.

È

SAINT BARTHÉLEMY

Barthélemy qui était Essénien, était un bel homme, leste et adroit. Il avait le front élevé, le teint blanc, de grands yeux, des cheveux noirs frisés et une barbe courte et crépue, divisée en deux parties. Il était bien fait, et de tous les apôtres c'était celui qui avait le plus d'aisance et de distinction dans les manières. Il y avait dans toute sa personne quelque chose de digne, de noble et d'élégant, il marchait vite et se tenait très droit ; enfin il faisait parmi eux l'effet d'un jeune seigneur avant reçu une éducation distinguée. Les autres, spécialement Pierre et André, avaient au commencement je ne sais quoi de gauche et d'embarrassé dans Leurs manières. Son père s'appelait Tholmaï et descendait d'un autre Tholmaï, roi de Gessur, dont David avait épousé la fille. Il habitait sur le territoire de Gessur où il avait de grandes propriétés et de nombreux troupeaux. Ce pays étant malsain, Tholmaï dont la santé était altérée, alla à Cana t n Galilée où il avait un frère marié à la tante de Nathanael (le fiancé de Cana). Il y fit un long séjour et fit usage des bains qui sont dans les environs : plus tard, il vendit les biens qu'il avait près de Gessur et s'établit dans la vallée de Zabulon où habitait un frère aîné de saint Joseph, nommé Sadoch : c'était un homme pieux qui avait deux fils et deux filles. Je crois que ce furent des motifs religieux et son amitié pour Sadoch qui attirèrent là Tholmaï. Les enfants de Sadoch étaient en relation avec la sainte Famille et lorsqu'on perdit Jésus à Jérusalem, ils furent de ceux parmi lesquels Marie et Joseph le cherchèrent. Je vis souvent les fils avec Jésus pendant sa jeunesse. Barthélemy entendit parler de Jésus de bonne heure, comme d'un jeune homme remarquable par sa sainteté et ses rares qualités. Lorsque le Seigneur commença sa carrière de prédication, Barthélemy se sentit plus d'une fois intérieurement attiré vers Jésus, à tel point qu'un jour étant occupé avec son père à cultiver son verger, il interrompit tout à coup son travail et se tourna en soupirant vers l'endroit où Jésus se trouvait alors avec ses disciples. Son père l'interrogea à ce sujet et il répondit qu'il aspirait à aller trouver le maître qui enseignait dans cet endroit. Son père était un homme excellent et il ne fit point d'objection : il fut même si satisfait de ce que son fils lui rapporta de Jésus et du désir qu'il témoignait de le suivre qu'à la Pâque suivante, il conduisit dix agneaux au Temple. Barthélemy alla avec son père à Jérusalem, mais il n'y vit pas encore Jésus. Le père ne fut baptisé qu'après l'Ascension par l'apôtre saint Jean. Lorsque Jésus (près de la fontaine de Béthanie) passa devant Nathanaël et le regarda sous le figuier (tome I, page 147), Barthélemy était présent et Jésus jeta aussi sur lui un regard qui l'émut vivement. Je crois aussi que Barthélemy était avec Nathanael lorsque Philippe vint chercher celui-ci et le conduisit à Jésus sur le chemin (tome I, page 398). Barthélemy l'accompagna ; mais il resta à quelque distance ; et Jésus dit à cette occasion qu'il ne tarderait pas à se rapprocher de lui. Une autre fois je vis Luc s'arrêter à Dabbeseth chez Barthélemy ; il y enceignît et ils parlèrent ensemble de Jésus (tome I, page 331). Barthélemy avait là un emploi de scribe : une proche parente de son père ou de sa mère tenait son ménage. Ses fonctions l'avaient mis en rapports fréquents avec Nathanael Thomas et Simon le Chananéen. Lorsque Jésus, avant la première Pâque, ayant déjà sept ou huit apôtres avec lui, alla dans un endroit peu éloigné de Dabbeseth, pour y prêcher dans la synagogue, Philippe, Nathanaël et Simon se séparèrent de lui sur le chemin et se rendirent à Dabbeseth. Ils visitèrent Barthélemy qu'ils engagèrent à venir avec eux pour voir les miracles qu'opérait leur maître et l'entendre prêcher, et il les suivit. Jésus traversait alors un pays boisé et l'on avait placé sous des tentes à droite et à gauche du chemin de longues rangées de malades dont il guérit un très grand nombre en passant devant eux. Barthélemy vit ces miracles, il assista aussi à l'instruction que Jésus fit dans l'école : toutefois il ne lui parla pas encore et ne resta pas près de lui, mais retourna à Dabbeseth.

Lorsque Jésus, après la première fête de Pâques, partant de l'endroit où Jean baptisait près du Jourdain, traversa la Samarie avec ses disciples, Barthélemy vint trouver les disciples sur le chemin : André lui parla de Jésus, puis il alla au Seigneur lui-même et lui dit quelques mots de Barthélemy, car il lui proposait volontiers pour disciples des gens instruits. Comme Barthélemy passait devant Jésus, André le lui montra du doigt et Jésus dit : " Je le connais, il viendra " (tome II, page 90). Plus tard Barthélemy raconta cela à Thomas et ils parlèrent souvent ensemble de Jésus. Thomas avait un frère nommé Thaddée qui avait pris le commerce de bois de son père à Aphéké. Quant à Thomas lui-même, il étudiait et c'était un homme d'un caractère entier et opiniâtre. Ils avaient des relations fréquentes avec Dabbeseth par suite de leur commerce. Je vis une fois Thomas et Simon le Chananéen rendre visite à Barthélemy le jour du sabbat Ils allèrent près de la synagogue de Dabbeseth se promener dans un jardin de plaisance et leur entretien roula sur les miracles de Jésus et sur la captivité de Jean-Baptiste. Dabbeseth était un petit endroit commerçant : il y passait une route qui menait à la mer. On y fabriquait beaucoup de soieries et il y avait un grand nombre de couturières qui confectionnaient des franges, des galons, des habits sacerdotaux, des tapis et des ornements de toute espèce.

Un jour, Jésus étant venu dans la contrée de Dabbeseth, entra chez Barthélemy et l'admit au nombre de ses apôtres. Il lui donna sa bénédiction et lui imposa les mains.

Barthélemy quitta aussitôt son emploi qu'il transmit an frère de sa parente, et suivit Jésus. Il reçut le nom de Barthélemy parce que Jésus l'appelait toujours le fils de Tholmaï. Le nom qu'il portait auparavant était celui d'une des douze tribus d'Israel : il s'appelait Nephthali. Je crois qu'il fut le neuvième parmi les apôtres : car Matthieu, Thomas et Judas ne furent appelés qu'après lui.

Lorsque les apôtres et les disciples se. dispersèrent après l'arrestation de Jésus, Barthélemy se réfugia chez son père: il avait perdu sa mère. Après la séparation des apôtres, je l'ai vu d'abord à l'extrémité orientale de l'Inde, dans ce pays dont les habitants ont un si grand respect pour leurs parents. ils l'appelaient leur père et l'avaient accueilli avec la plus grande bienveillance. Il convertit un très- grand nombre de personnes et laissa derrière lui des disciples. il passa ensuite par le Japon où Thomas est allé aussi : cependant celui ci s'avança plus au nord dans l'Inde. Barthélemy traversa ensuite l'Arabie et passa de l'autre côté de la mer Rouge en Abyssinie où il convertit le roi du pays. Il s'appelait Polymius : il était blanc ainsi que ses courtisans et plusieurs de ses sujets : mais le peuple pris en masse était noir. Le père de ce roi était originaire de l'empire de Babylone et il avait divisé ses états entre ses trois fils. J'eus une vision touchant ce roi qui parcourut tous ses états pour les partager entre ses fils. il était de la race de ce prince qui avait si cruellement persécuté les derniers prophètes et qui ne régna que cinq ans. C'était un homme de bien et il voyagea, notamment, dans cette partie de l'Égypte où il y a de vieux édifices d'une énorme dimension et aussi dans Je pays où l'on a des maisons si hautes et ou l'on traite ses parents si respectueusement, ce qu'il vit avec beaucoup de plaisir. Ce roi adorait tous les malins le soleil levant. Je me souviens d'avoir entendu, dans toute cette vision et spécialement dans ce qui avait rapport an partage, prononcer les noms de Médie, d'Arabie, d'Égypte et d'autres semblables : j'entendis aussi nommer l'Abyssinie, si je ne me trompe. Il me semble que ce roi avait entendu parler du royaume du Christ, qu'il en avait dit quelque chose à ses fils et qu'un d'eux avait répondu qu'il désirait pour sa part ce royaume du Christ s'il pouvait l'obtenir. Après la mort du père, je vis les pays partagés entre les fils. Je vis Barthélemy arriver dans une contrée où Matthieu alla plus tard par un autre côté. Je le vis, dans une ville de ce pays qui était, je crois, l'Abyssinie, ressusciter un mort qu'on emportait. Je le vis aussi délivrer deux époux possédés du démon de l'impureté et chasser plusieurs démons d'une troupe de frénétiques.

Je le vis ensuite dans une autre ville qui n'avait pas de maisons auxquelles on pût donner ce nom, à l'exception du palais du roi et de quelques grands édifices : la plupart étaient des espèces de tentes et de légères constructions en branches tressées. Dans les temples d'une de leurs divinités il y avait beaucoup de malades qui autrefois étaient guéris par l'idole ; mais depuis que Barthélemy était arrivé, le faux dieu était devenu muet. Les prêtres en interrogèrent un autre qui leur dit qu'il y avait chez eux un serviteur du vrai Dieu qui forçait l'idole à se taire : en même temps il leur décrivit Barthélemy qu'ils cherchèrent et qu'ils trouvèrent, grâce à un possédé qui poussa des cris cri le voyant et dit que cet homme lui faisait souffrir le supplice du feu. Comme il criait ainsi, Barthélemy chassa le démon de son corps. Le roi du pays ayant entendu raconter la chose se fit amener Barthélemy afin qu'il guérît sa fille qui était énergumène et enchaînée. Barthélemy la fit venir devant lui et ordonna qu'on lui ôtât ses chaînes. On s'y refusa d'abord, car personne n'osait la toucher parce qu'elle se précipitait sur les gens pour les mordre. Mais Barthélemy insista, disant que le démon était lié. Ils lui ôtèrent donc ses liens : le démon fut forcé de se retirer et elle tomba sans connaissance : ensuite on l'emmena, et sur l'ordre de Barthélemy on lui fit prendre un bain. Elle en sortit parfaitement guérie, re-nonça à l'idolâtrie et se fit baptiser.

Je vis une maison remplie de femmes possédées, blanches et noires ; elles étaient couchées tout le long d'une grande salle, attachées au mur les unes par le bras, les autres par le pied ; elles avaient souvent de terribles accès de frénésie, se jetaient par terre et s'y démenaient. La fille de Polymius était seule dans la partie antérieure de cette maison. Les malades avaient des intervalles de calme : alors elles étaient conduites au dehors par les surveillants et on les attachait de nouveau quand leurs accès revenaient. Barthélemy les guérit toutes et je vis qu'elles lui furent amenées sur une place où il les instruisit et leur fit abjurer l'idolâtrie. Après cela il les baptisa près d'une grande fontaine jaillissante qui était devant le palais du roi. Il y avait un bassin très spacieux avec un couronnement en métal d'une forme très élégante d'où l'eau jaillissait par plusieurs ouvertures. Celles qui avaient été baptisées les premières devaient toujours imposer les mains sur celles que l'on baptisait après elles. Je vis le peuple dans l'admiration à la vue de ces miracles ; mais les prêtres des idoles étaient furieux.

Lé roi voulut faire à Barthélemy des présents magnifiques en or et en vêtements ; mais il se cacha et plus tard tout cela fut distribue aux pauvres sur sa demande. Je vis Barthélemy s'entretenir souvent et longtemps avec le roi Polymius qui l'interrogeait avec beaucoup de soin et le quittait souvent pour feuilleter divers écrits très volumineux. Mais l'apôtre avait avec lui un rouleau où était l'Évangile de saint Matthieu et il y prenait la réponse aux questions qui lui étaient adressées. Il dit aussi au roi que le démon qui était dans l'idole rendait d'abord les gens malades et les guérissait ensuite afin de les mieux asservir aux abominations de son culte. Mais maintenant, ajouta-t-il, le démon était lié par le nom de Jésus-Christ et ne pouvait plus opérer dans l'idole. L'apôtre offrit au roi de lui faire voir tout cela s'il consentait à consacrer le temple au vrai Dieu et à se faire baptiser avec son peuple. Le roi convoqua tout le peuple au temple, et comme les prêtres sacrifiaient, Satan leur cria par la bouche de l'idole de cesser leurs sacrifices parce qu'il était enchaîné par le Fils de Dieu. Barthélemy lui ordonna de confesser tout ce qu'il y avait d'illusoire et de mensonger dans ses guérisons, et Satan avoua tout. Ensuite Barthélemy prêcha en plein air devant le temple et ordonna à Satan de se montrer dans sa vraie forme, afin qu'ils vissent quel dieu ils adoraient. Ils virent alors un affreux monstre noir à figure humaine qui s'engloutit dans la terre devant eux. Là-dessus le roi fit détruire toutes les idoles, Barthélemy consacra le temple pour en faire une église et baptisa le roi avec sa famille et toute son armée. Il enseigna, guérit les malades et le peuple le prit en grande affection. Je le vis leur administrer le baptême. Il bénit la fontaine et les néophytes ranges en cercle courbèrent la tête sous le jet d'eau. Deux baptisés Imposaient les mains à chacun des nouveaux néophytes et l'apôtre les bénissait en récitant une prière.

Ce fut peu après que Barthélemy fut convoque par un avertissement d'en Haut à se rendre près de la très sainte Vierge. Pendant ce temps, les prêtres des idoles s'adressèrent à Astyage, frère de Polymius, et accusèrent Barthélemy de sortilèges. Lorsque celui-ci, après la nouvelle séparation des apôtres, voulut revenir dans le pays d'où il était parti, il ne put pas y arriver ; car il fut saisi par des gens apostés et mené devant Astyage qui lui dit : " Tu as séduit mon frère jusqu'à lui faire adorer ton Dieu : je vais t'apprendre à sacrifier au mien ". Barthélemy répondit : " Le Dieu qui m'a donné le pouvoir de faire voir Satan à votre frère et de le renvoyer dans l'enfer en sa présence, me donne aussi le pouvoir de briser vos idoles et de vous forcer a croire ". En ce moment, un messager apporta la nouvelle que l'idole du roi était tombée brisée en morceaux. Le roi furieux déchira ses vêtements et ordonna de flageller Barthélemy. Il fut attache à un arbre et écorché : mais il ne cessa de prêcher à haute voix jusqu'au moment où on lui enfonça dans la gorge une épée très courte. Les bourreaux l'écorchèrent de la tète aux pieds et lui mirent sa propre peau dans la main. Quand il fut mort, ils jetèrent son corps aux bêtes, mais il fut enlevé la nuit par de pauvres gens qu'il avait convertis. Je vis que le roi Polymius vint le prendre avec une suite nombreuse et qu'il lui donna la sépulture. Une chapelle fut construite au-dessus de son tombeau. Quant au roi païen et aux prêtres qui avaient livré Barthélemy, ils tombèrent treize jours après dans un état de folle furieuse, et coururent au tombeau de l'apôtre, criant au secours. Le roi se convertit, mais les prêtres des idoles moururent d'une mort affreuse. On doit avoir écrit quelque part sur tout cela, mais ces relations sont devenues inintelligibles et n'ont trouvé aucune créance par suite de l'ignorance de leurs auteurs touchant les pays dont il s'agissait et à cause des additions faites postérieurement par des gens mal renseignés. Les savants ne veulent pas y croire parce qu'ils ignorent que les miracles opérés chez les païens étaient d'une tout autre espèce et bien plus frappants que ceux qui étaient opérés chez les Juifs, parce que chez les premiers il s'agissait de lutter contre toute la puissance de la magie et contre les innombrables prestiges du démon. J'ai vu comment le roi qui était devenu chrétien tomba plus tard dans la pauvreté et comment, dans son délaissement, il se souvint du royaume du Christ qu'il avait demandé à son père pour sa part. Je le vis prier dans une église en même temps qu'une femme riche qui avait fait voeu de donner la moitié de ses biens au premier qu'elle rencontrerait. Ce fut ainsi qu'il sortit de la misère ; plus tard il fut ordonné prêtre et évêque par Matthieu qui vint dans le pays qu'il habitait. Je crois qu'il termina sa vie par le martyre.

Il me fut montré en outre que saint Barthélemy a reçu de Dieu un pouvoir spécial pour guérir les malades désespérés et, en particulier, ceux qui sont atteints de paralysie.

È

SAINT THOMAS

Les parents de Thomas demeuraient à Aphéké, ville située au bord d'une petite rivière entre Legio et Jezraël.

Les trois villes, par leur situation respective, figuraient comme une feuille de trèfle. Aphéké était traversée par une grande route sur laquelle passaient les marchands avec leurs chameaux. Le père de Thomas faisait le commerce et avait des intérêts dans la navigation des côtes de la mer Méditerranée ; il envoyait au loin par cette voie les marchandises qu'il achetait aux caravanes. Thomas avait un frère jumeau, et leur mère était morte en les mettant au monde. Leur père se remaria et ce second mariage donna à Thomas une soeur et deux frères. Après la mort du père, la veuve prit un autre époux. Ce nouveau ménage était encore fort jeune, et Thomas fut confié à un frère de son père qui faisait partie d'une secte et qui l'éleva durement. Par suite du commerce que faisaient ses parents et ses alliés, Thomas entra de bonne heure en rapport avec des étrangers, il se familiarisa avec Leurs usages et avec leurs langues, et c'est peut-être pour cela qu'il fut plus tard envoyé dans les contrées si lointaines de l'Inde. Son éducation lui avait donné beaucoup de confiance en lui-même et il voulait avoir des preuves sur toutes choses. Il changea souvent de profession ; il s'occupa de navigation, de commerce, et se livra aussi à la pêche sur la mer de Galilée, où il entra pour la première fois en rapport avec ceux qui devaient être dans la suite ses collègues dans l'apostolat. Plus tard, il commença a étudier à Saphet diverses branches des sciences enseignées en Judée, et il fréquenta les écoles des Pharisiens sans devenir Pharisien lui-même. Il mena ensuite une vie errante, résida tantôt chez lui, tantôt chez Barthélemy et chez Nathanaël, lesquels, à ce que je crois, lui procurèrent un emploi de scribe.

Thomas avait environ trois ans de plus que Jésus. Le Seigneur étant allé au temple vers sa vingtième année, Thomas y alla de son côté et vit Jésus sans pourtant lui parler. Ce voyage fut l'occasion d'un changement dans sa manière d'être, car Thomas entra alors en relations assez intimes avec Jacques le Mineur qui était Essénien et remarquable par sa piété : celui-ci lui raconta beaucoup de choses touchant Jésus, ce qui le porta à une vie plus sérieuse et plus pieuse. Lorsque Jésus atteignit sa trentième année, Thomas résidait à Arimathie où il exerçait un emploi de scribe : il entendit parler de Jésus et de Jean, toutefois il ne crut pas tout d'abord.

Trois ans après le voyage de Jésus dans le pays des rois mages, je vis Thomas arriver dans ce même pays avec l'apôtre Thaddée, les disciples Kaïsar et Silvain, le fils du centurion Achias de Giscala et deux autres encore : tous baptisèrent sur ce chemin que je vois Jésus parcourir dans mes visions actuelles. Il ne prit pas la route par laquelle Jésus était venu : il partit d'un point plus méridional. Je le vis dans le camp de Mensor. On lui fit une réception solennelle, mais moins pompeuse que celle qu'on avait faite à Jésus, car ces gens étaient devenus plus simples dans leurs moeurs. Je vis que tout était changé dans leur temple : il n'y avait plus d'idoles, plus de représentation du ciel étoilé : mais je revis la petite crèche et il y avait encore un âne à côté. Je revis aussi l'image de l'agneau de Dieu et l'autel avec le calice. Je vis la cérémonie du baptême de Mensor, de l'autre vieux roi et des principaux membres de leur famille : ils étaient douze environ. On avait placé un grand bassin devant le château de tentes sur la petite île de la fontaine et on y avait fait couler l'eau de la fontaine jaillissante. L'apôtre bénit cette eau ; ceux qui devaient être baptisés courbèrent la tête au-dessus et deux des compagnons de Thomas posèrent la main droite sur l'épaule de chacun des néophytes. Thomas tenait un bouquet de feuillage qu'il trempa dans le bassin et avec lequel il jeta de l'eau sur la tête des néophytes. Plus tard, lorsque plusieurs d'entre eux furent baptisés, ce furent eux qui imposèrent les mains aux autres.

Je vis baptiser successivement tous ceux qui habitaient cet endroit, y compris Cuppès et les autres femmes. Je vis pendant ce baptême l'Esprit saint planer ou descendre sur les nouveaux chrétiens, sous la forme d'un corps lumineux ailé qui tenait de la colombe et de l'ange.

NOTE : Anne Catherine vit la vie de saint Thomas, le 21 décembre 1820, pendant le cours des visions mentionnées plus haut touchant la vie de Jésus.

Je vis les corps des défunts, spécialement celui de l'un des rois, couchés dans leurs tombeaux comme auparavant. Je vis la branche plantée devant la porte du tombeau de ce dernier et la colombe perchée sur cette branche, comme je l'avais déjà vue. Il y avait bien douze ans qu'il était mort : car lorsque Jésus vint ici, j'entendis dire que sa mort remontait à neuf ans. Je vis Thomas entrer dans ce tombeau et, ce que je n'avais pas vu précédemment, l'apôtre retirer une espèce de masque blanc de dessus son visage qu'il lava avec de l'eau bénite. Je ne vis pas dans cette circonstance d'imposition des mains. La tète était encore recouverte d'une peau brunâtre.

J'ai encore vu cette nuit qu'après le baptême, on célébra un service d'actions de grâces, non pas dans le temple, mais en plein air devant cet édifice. J'ai su tous les noms et je les ai oubliés : je me rappelle seulement que Mensor reçut au baptême le nom de Léandre et Théokéno, le vieux roi infirme, celui de Léon. Je vis aussi que plus tard ils laissèrent leur résidence à d'autres qui n'émigrèrent pas avec eux, qu'ils partirent divisés en trois troupes et que celle où se trouvaient les gens les plus considérables arriva dans une île où Denys l'aréopagite résida quelque temps ainsi que Carpus.

Je vis Thomas baptiser sur toute la route et même dans la ville païenne de Cédar : toutefois on ne baptisa personne dans cet endroit de la Chaldée où se trouvait le jardin fermé, non plus que dans la ville où je vois Jésus maintenant (voir page 91). Je crois que Thaddée y donna le baptême plus tard, lorsqu'il alla en Perse après la mort de Marie. Quand Thomas fut au terme de son voyage, il envoya Thaddée avec une lettre au roi Abgare afin qu'il le guérît : le Seigneur lui avait fait connaître par une révélation la maladie de ce prince. Partout, sur son chemin, Thomas fit de grands miracles : il établit des catéchistes pour instruire les habitants des pays qu'il avait parcourus : il y laissa même un disciple. Lui-même continua son voyage et alla jusqu'en Bactriane. Il pénétra très avant dans le nord, au delà du point où la Chine touche à la Russie, et il trouva là des hordes tout à fait sauvages. On lui fit un bon accueil en Bactriane et chez les peuples qui suivent les enseignements de l'étoile brillante (Zoroastre). Il alla aussi dans le Thibet. Ce fut des contrées lointaines situées par delà la Bactriane que Thomas amena avec lui, lorsqu'il vint à Éphèse pour la mort de Marie, ce serviteur qui avait dans ses manières quelque chose de si nouveau pour moi, de si étrange, de si servile, mais en même temps de si docile et de si pieux. Le pays d'où il venait alors n'était pourtant pas le plus reculé de ceux où le conduisirent les courses apostoliques dont je parle maintenant.

J'ai toujours vu par la suite ce serviteur auprès de lui. Il pouvait porter des fardeaux énormes et il traînait de grosses pierres quand Thomas bâtissait une chapelle.

Plus tard j'ai vu Thomas non seulement dans l'Inde mais encore dans une île habitée par des hommes noirs et même au Japon, et je l'ai entendu faire des prédictions sur l'avenir de la religion dans ces pays.

Thomas avait quelque répugnance à partir pour l'Inde. Avant d'y aller, il avait eu souvent des songes où il se voyait bâtissant dans l'Inde de grands et beaux palais. Il ne comprit pas cela d'abord et n'en tint pas compte, se disant qu'il n'était point architecte. Cependant quelque chose lui disait toujours intérieurement qu'il devait aller dans l'Inde, qu'il y ferait beaucoup de conversions et y gagnerait beaucoup d'âmes à Dieu : c'étaient là les beaux palais qu'il devait bâtir. Il en parla à Pierre qui l'encouragea à partir pour l'Inde. Il longea la côte de la mer Rouge ; il alla même dans l'île de Socotora et y prêcha, mais il ne s'y arrêta pas longtemps.

Dans la deuxième ville de l'Inde que Thomas visita, il trouva qu'on faisait les préparatifs d'une grande fête. Il enseigna, guérit des malades, et le roi vint l'entendre ainsi que beaucoup d'autres personnes. Il se fit tant de partisans, qu'un jeune prêtre des idoles en conçut une grande haine pour lui et le frappa au visage pendant qu'il prêchait. Thomas se montra plein de douceur, tendit l'autre joue et le remercia. Cela toucha beaucoup le roi et tout le peuple : ils regardèrent Thomas comme un très saint homme et le prêtre des idoles lui-même se convertit. Sa main s'était couverte de lèpre, mais Thomas le guérit et il devint son plus fidèle partisan. Thomas convertit aussi la fille du roi et le mari de celle-ci qui était possédé du démon, après quoi il quitta ce pays et alla plus à l'est. La fille du roi ayant mis un enfant au monde, son mari et elles firent voeu de chasteté et donnèrent tous leurs biens aux pauvres. Le roi en fut très irrité et voulut Leur persuader que Thomas était un magicien : ils restèrent pourtant fidèles à leur résolution ; ils propagèrent partout la pure doctrine de Jésus-Christ telle qu'ils l'avaient reçue et convertirent beaucoup de monde. Le père lui-même finit par se laisser toucher et fit prier Thomas de revenir. Il revint, car, en prenant congé d'eux, il leur avait dit qu'il les reverrait bientôt. Le roi se fit baptiser avec une grande partie de son peuple : plus tard même il devint diacre et se rendit près des rois mages. Je crois qu'il reçut aussi la prêtrise. Son fils fit bâtir une église.

Je vis Thomas dans une autre ville qui était aussi au bord de la mer et je vis qu'il se disposait à revenir sur ses pas : je crois qu'il n'était pas loin du pays où alla par la suite saint François-Xavier. Mais Jésus lui apparut et lui ordonna de s'enfoncer plus avant dans l'Inde. Thomas n'obéit pas, prenant pour prétexte que ce peuple était trop grossier : alors Jésus lui apparut pour la seconde fois et lui dit qu'il fuyait de devant sa face comme autrefois Jonas, mais qu'il lui fallait obéir : il lui promit qu'il serait avec lui, que de grands prodiges s'opéreraient par lui et qu'au jour du jugement il serait à côté de son maître comme témoin de ce qu'il avait fait pour les hommes. C'est tout ce que je me rappelle de cette apparition.

Dans la ville où il se trouvait, on devait bâtir un palais, tout le monde était obligé d'y travailler. Je vis beaucoup de pauvres gens auxquels on ne donnait aucun salaire : ils étaient horriblement opprimés et vexés. Thomas prêcha devant cette grande multitude d'ouvriers : le roi aussi vint l'entendre plus d'une fois. Comme l'apôtre faisait entrer dans son enseignement de très belles paraboles touchant l'art de bâtir, le roi le prit pour un architecte très habile : il lui confia la construction du palais, lui donna pour cela une grande somme d'argent et partit pour un voyage. Thomas continua à enseigner et à convertir, et il donna l'argent aux pauvres qui auparavant mouraient presque de faim. Le roi tomba malade et voulut savoir où en était la construction du palais : mais on lui dit que les travaux avançaient peu, que l'étranger donnait tout l'argent aux pauvres, qu'il prêchait et baptisait. Thomas fut mandé près du roi qui lui fit de grands reproches, mais il répondit qu'il avait en réalité bâti un beau palais et qu'il en avait vu un pareil (il voulait parler de celui qu'il avait vu dans ses songes, lorsqu'il avait r es u pour la première fois l'ordre d'aller prêcher l'Évangile aux Indes) : il ajouta que le roi ne pouvait pas le voir parce qu'il était aveugle : " Rends-moi donc la vue ", dit le roi, et il demanda à Thomas de lui ouvrir les yeux en les touchant avec ses doigts. L'apôtre répondit qu'il s'agissait des yeux de l'esprit et que s'il voulait faire ce qu'il désirait, il lui ferait voir l'édifice. Alors Thomas décrivit la sainte Église et toute la doctrine de Jésus comme un magnifique édifice ; puis il ordonna au roi, au nom de Jésus, de se lever guéri et de venir avec lui à l'édifice qu'on construisait. Lorsqu'ils y arrivèrent, ils virent près de là un gros tronc d'arbre que la mer y avait déposé et qu'on avait vainement essayé d'enlever à grand renfort de chameaux. Thomas demanda que ce tronc d'arbre lui fût donné pour servir à la construction d'une église, s'il parvenait à l'enlever tout seul. Le roi y ayant consenti, Thomas prit sa ceinture, l'attacha à l'arbre et le traîna ainsi jusqu'à l'emplacement où l'église devait être construite. Ce prodige convertit beaucoup de gens et le roi lui-même se fit baptiser avec une grande partie de son peuple. On vit alors briller sur sa tête une lumière qui se répandit de là sur tous les assistants. Il eut aussi une vision dans laquelle il vit sous la forme d'un édifice les bonnes oeuvres opérées par Thomas. L'église que Thomas bâtit en cet endroit me rappela l'église de saint Jacques à Coësfeld : je trouvais qu'il y avait de la ressemblance.

Je vis Thomas partir de là accompagné de beaucoup de personnes, guérir, chasser des démons et baptiser près d'une fontaine. Il dit aux gens du pays de lui apporter leurs plus beaux pains : puis il les bénit et les distribua. Il y avait là un homme qui, lorsqu'il voulut en prendre sa part, fut attaqué d'une maladie soudaine et Thomas lui demanda quelle faute il avait à se reprocher. Il répondit qu'ayant entendu Thomas enseigner que les adultères n'entreraient pas dans le royaume de Dieu, il avait surpris sa femme en adultère et l'avait tuée : et qu'il avait cru se délivrer de son péché en mangeant de ce pain. Or ce n'était pas sa femme qu'il avait tuée, mais une personne avec laquelle il avait commerce ainsi que plusieurs autres et il lui avait donné la mort par jalousie. Thomas convainquit cet homme de mensonge et lui fit comprendre combien il s'était rendu coupable : puis il le guérit et lui fit faire pénitence : il ressuscita aussi la femme, sur quoi beaucoup de gens se convertirent.

Il vint aussi un personnage de distinction, très homme de bien et très savant qui vivait toujours au milieu des livres. Il pria Thomas de lui venir en aide. Sa femme et sa fille étaient possédées du démon et frénétiques. Elles vivaient auparavant dans le désordre et le mari les ayant maudites dans sa colère, le démon avait pris possession d'elles. Thomas suivit cet homme jusque dans sa maison où il trouva les deux femmes dans un état effrayant : elles firent mine de se jeter sur lui pour le déchirer : mais il leur lia les mains à un poteau avec sa ceinture, prit un fouet et les en frappa vigoureusement. Elles se tinrent alors parfaitement tranquilles et Thomas donna à cet homme l'autorisation de les soumettre chaque jour au même traitement. Plus tard lorsque les jeûnes et les flagellations les eurent rendues tout à fait maniables, l'apôtre chassa l'esprit immonde qui les possédait et les convertit.

Cet homme devint un disciple zélé de Thomas. Il avait une nièce admirablement belle et très riche qui était mariée à un cousin du roi. Elle avait entendu parler des miracles de Thomas et désirait vivement l'entendre. Elle pénétra jusqu'à lui à travers la foule et se jeta à ses pieds en le priant de la convertir. Thomas l'instruisit et la bénit : elle fut très touchée, fondit en larmes et dès lors elle s'adonna à la prière et à des jeûnes continuels. Son mari qui l'aimait tendrement s'en chagrina fort et voulut la distraire, mais elle le pria de la laisser libre encore quelque temps. Elle allait tous les jours entendre prêcher Thomas et elle devint une chrétienne très zélée. Cela irrita son mari qui se présenta devant le roi revêtu d'habits de deuil et porta plainte contre Thomas. Le roi fit flageller et emprisonner l'apôtre que le mari de la femme convertie lui avait amené lié avec des cordes. Ce fut le premier supplice qu'il eut a subir dans le cours de ses longs voyages et il en rendit grâces à Dieu.

La femme coupa ses cheveux, pleura, pria, donna tout son bien aux pauvres et renonça à toute espèce de parure. Les femmes de ce pays portaient les cheveux bouclés, mais celles qui se faisaient chrétiennes coupaient quelques boucles pour s'humilier. Pendant une absence de son mari elle gagna les gardes à prix d'argent et alla la nuit avec d'autres personnes se faire instruire par Thomas dans la prison. Sa nourrice l'accompagnait et elles demandèrent le baptême. Thomas leur dit de tout préparer à cet effet dans sa maison : il sortit de la prison pour aller les trouver et il la baptisa, elle et beaucoup d'autres. Les geôliers s'étaient endormis par un effet de la bonté divine. Thomas revint avant qu'ils se fussent réveillés.

Il y eut dans la famille royale elle-même des personnes qui changèrent de vie et se firent instruire par l'apôtre : alors le roi le fit amener devant lui. Thomas, l'ayant vainement exhorté à se convertir, lui demanda à prouver par le jugement de Dieu la vérité de ses enseignements. Le roi fit placer devant lui des épieux rougis au feu: Thomas marcha dessus sans en éprouver aucun mal et une source jaillit à l'endroit où on les avait mis. Thomas lui dit que lui-même avait eu des doutes, ce que du reste il racontait partout, qu'il avait vu pendant trois ans les miracles de Jésus et que pourtant il avait souvent douté : c'est pourquoi il croyait maintenant et avait pour mission d'annoncer la vérité aux infidèles. Il publiait partout sa faute. Le roi le fit ensuite renfermer dans une salle de bains remplie d'une vapeur brûlante (Anne Catherine décrit cette salle avec assez de détails) : il aurait dû y mourir étouffe, mais il n'y ressentit aucune chaleur et y respira un air toujours frais. Il voulut après cela le contraindre à adorer son idole et Thomas lui dit : " Si Jésus ne brise pas votre idole, je lui sacrifierai ". On fit alors les préparatifs d'une grande fête et tous se rendirent au temple avec un cortège de chanteurs et de joueurs d'instruments. L'idole était en or et assise sur un char, mais Thomas s'étant mis en prière, il partit du ciel comme un trait de feu qui fondit l'idole principale et en brisa plusieurs autres. Il s'éleva alors un grand tumulte dans le peuple et parmi les prêtres, et Thomas fut de nouveau jeté en prison.

Il fut délivré de cette prison comme Pierre l'avait été de la sienne, et il alla dans une île où il resta longtemps. Enfin il s'embarqua sur un navire, mais bientôt une tempête éclata et ils virent de loin un bâtiment japonais échoué sur un banc de sable et exposé aux plus grands dangers : il était couché sur le côté, hors d'état de marcher et déjà à moitié rempli de sable et d'eau. Thomas dit aux marins qui le conduisaient : " Il faut que nous allions porter secours à ces gens ". Ils s'y refusèrent pour ne pas s'exposer aux mêmes périls. Mais Thomas Leur dit : " Si vous voulez de bon coeur aller les secourir, mon maître que j'ai vu souvent commander aux flots nous frayera la route vers ce navire ". Quand ils eurent donné leur assentiment, Thomas pria et commanda aux vagues au nom de Jésus : alors la mer se calma devant eux et ils arrivèrent près du navire sans difficulté. Thomas travailla avec les autres à l'alléger, à le retirer du sable et à le remettre à flot. Il n'était pas gravement endommagé et quand tout fut remis en ordre, le commandant de ce bâtiment qui avait appris le miracle opéré par Thomas et la charité qu'il avait montrée, le pria de venir avec lui au Japon. Mais les gens de l'autre navire ne voulurent pas le laisser aller que le Japonais n'eût promis de le ramener lui-même. Thomas laissa dans le pays qu'il quittait des disciples chargés de continuer son enseignement, et il partit avec cet homme pour le Japon où il resta environ six mois.

Ils entrèrent avec leur bâtiment jusque dans l'intérieur d'une ville : elle est bâtie en triangle sur chaque rive du fleuve ou du canal qui la traverse et on peut en faire le tour par eau.

NOTE : Elle donna le nom de cette ville japonaise, mais sans en être bien sûre : ce nom serait Kivivia.

Derrière la ville s'élèvent au bord de l'eau des tours et des murailles ou remparts bâtis en pierres d'un noir brillant. Avant de se rembarquer, Thomas grava une prophétie sur ces murs : il se servit pour cela d'un instrument dont on faisait usage sur le navire et avec lequel on pouvait fendre la pierre. Les lettres étaient très grandes et chacune d'elles faisait tout un mot. C'était un abrogé de la doctrine chrétienne : il ajoutait qu'elle avait été prêchée dans cet endroit. mais qu'elle disparaîtrait sans laisser presque aucune trace : qu'ensuite un autre viendrait et la ferait revivre, mais qu'elle disparaîtrait de nouveau. Il disait aussi pourquoi les choses se passeraient ainsi et annonçait que les habitants du pays le fermeraient entièrement aux étrangers. Il devait toutefois y venir des gens à moitié chrétiens au moyen desquels il se conserverait quelques vestiges du christianisme : puis enfin les Japonais devaient recevoir de nouveau la doctrine de vérité. J'ai vu tout cela très en détail : des noms d'empereurs et des noms de lieux m'ont été montrés, mais je les ai oubliés. Cette inscription a été engloutie dans un tremblement de terre avec la croix qui était gravée au-dessus. Anne Catherine dit encore quelque chose du caractère des Japonais, et raconta qu'à cette époque ils étaient déjà très méthodiques, très curieux et très passionnés. Elle indiqua aussi les causes de l'apostasie, mais en termes peu clairs. Elle croyait que les Jésuites avaient été précédés au Japon par d'autres missionnaires, et elle parla assez vaguement de gens auxquels elle attribuait la ruine du christianisme dans le pays.

En racontant ce qui précède touchant le vaisseau japonais et son commandant, elle dit : " Ce n'est pas un marchand, il est seulement chargé du transport régulier des marchandises : il fait ce voyage tous les ans. Je l'avais oublié : mais maintenant je vois tout cela en même temps que le navire, l'inscription et la ville : c'est pourquoi j'en puis parler. "

Cet homme ramena Thomas à l'endroit d'où il était venu. Plusieurs membres de la famille royale se convertirent encore par la suite. Les prêtres étaient singulièrement irrités contre lui. L'un d'eux avait un fils malade qu'il pria Thomas de guérir : mais ensuite il étrangla ce fils et accusa Thomas de sa mort. Thomas fit apporter le cadavre et lui ordonna au nom de Jésus de dire qui l'avait fait mourir. Le mort se redressa et répondit : " C'est mon père " ; ce qui donna lieu à beaucoup d'autres conversions.

J'ai vu que Thomas priait habituellement devant la ville à une assez grande distance de la mer ; il s'agenouillait sur une pierre et ses genoux y avaient laissé leur empreinte. Il prédit une fois que lorsque la mer qui était pourtant fort éloignée arriverait jusqu'à cette pierre, il viendrait d'un pays très lointain un homme qui prêcherait, lui aussi, la doctrine de Jésus. Je ne pouvais pas me figurer que la mer dût venir jusque-là mais dans la suite saint François-Xavier débarqua dans cet endroit et y érigea une croix de pierre.

Je vis Thomas à genoux sur cette pierre où il priait, ravi en extase, lorsque les prêtres des idoles vinrent l'assaillir et le percèrent par derrière avec une lance. Son corps fut transporté à Édesse : j'y vis célébrer une fête en son honneur. Il resta pourtant au lieu de son martyre une de ses côtes avec la lance qui l'avait percé. Il y avait auprès de la pierre un jeune olivier qui fut arrosé de son sang : je vis qu'il en suintait de l'huile tous les ans le jour de son martyre et que, quand cela n'arrivait pas, les gens du pays s'attendaient à une année malheureuse. Je vis que les idolâtres essayèrent inutilement d'arracher cet l arbuste qui repoussait toujours, qu'on bâtit là une église l et que, lorsqu'on célébrait la sainte messe le jour de la fête de l'apôtre, l'arbrisseau avait un suintement d'huile. La ville s'appelle Méliapour : elle est aujourd'hui dans un triste état, mais le christianisme y refleurira.

J'ai su que Thomas était arrivé à l'âge de quatre-vingt-treize ans. Il était très brun, très maigre et il avait des cheveux rougeâtres. Au moment de sa mort le Seigneur lui apparut et lui dit qu'il siégerait à ses côtés au jour du jugement.

Il a passé par un coin de l'Allemagne : si je ne me trompe pas en ce qui touche ses nombreux voyages, il alla en Egypte aussitôt après la séparation des apôtres, puis en Arabie : avant d'arriver au désert, il avait envoyé un disciple à l'apôtre Thaddée pour lui dire d'aller visiter le roi Abgare. Il baptisa ensuite les rois mages, puis il alla en Bactriane, en Chine, au Thibet et jusque dans un pays qui fait aujourd'hui partie de l'empire russe : ce fut de là qu'il revint pour la mort de Marie. Il partit ensuite de la Terre-Promise pour aller en Italie, passa par un coin de l'Allemagne, traversa une partie de la Suisse et de la France, passa en Afrique, arriva à travers l'Abyssinie près du pays où réside Judith et gagna Socotora par l'Ethiopie. De là il se rendit dans l'Inde et à Méliapour où il fut délivré de sa prison par un ange ; alla par terre jusqu'en Chine dont il traversa une partie et pénétra jusqu'à l'extrême nord, aujourd'hui soumis à la Russie. Il passa de là dans la principale des îles du Japon au centre de laquelle s'élèvent des montagnes d'une hauteur extraordinaire. (Anne Catherine décrivit alors la configuration de l'île de Jesso ou Matsmai et indiqua la situation des autres îles et des pays environnants : elle en traça les contours avec le doigt sur la couverture de son lit, et cela on lignes aussi arrêtées que celles du patron le mieux découpé.)

Thomas avait une demi soeur qui s'appelait Lysia. Son frère aîné (lui-même était le cadet de deux jumeaux) faisait le commerce à Joppé : Pierre, lors du séjour qu'il fit dans celle ville après l'Ascension, le décida à se joindre à la communauté chrétienne ; il y réussit surtout en lui racontant l'incrédulité de Thomas et ce qui en avait été la suite. Après la mort du Sauveur, Thomas avait passé quelque temps dans sa famille : il lit de même avant son départ pour l'Inde.

Le frère de Thomas était un homme de grande taille ; il alla avec Pierre à Damas. Lysia ne se convertit qu'à l'époque du martyre d'Etienne. C'était une riche veuve : elle donna son bien à la communauté et se réunit aux saintes femmes à Jérusalem. Plus tard ses deux fils furent du nombre des disciples.

È

SAINT SIMON ET SAINT JUDE THADDEE

octobre 1820 .

Je vis de nouveau que Marie de Cléophas était fille de la soeur aînée de la très sainte Vierge. Lorsque Marie fut conduite au temple, cette nièce, qui était plus âgée: elle, assistait avec d'autres enfants en grande parure aux adieux qui se firent dans la maison de sainte Anne. Le père de Marie de Cléophas s'appelait Cléophas : son mari Alphée. Ses fils, Simon, Jude Thaddée, Jacques le Mineur et José Barsabas n'avaient point été compagnons d'enfance de Jésus, parce qu'ils n'habitaient pas la même ville que lui. Ils le connaissaient bien et l'avaient vu plus d'une fois lors des visites que se rendaient les parents.` Les compagnons d'enfance de Jésus étaient presque tous de Nazareth et ne lui restèrent pas fidèles pour la plupart.
Simon le zélé avait un emploi au tribunal de Tibériade l'ardeur avec laquelle il exerçait ses fonctions lui avait fait donner le nom de zélé (Chananéen). Je l'ai vu dans ce tribunal lorsque le Seigneur enseigna à Tibériade : son frère Jacques le Mineur entra et l'appela pour qu'il vînt voir le Seigneur. Il ne revint pas reprendre son poste, mais il quitta tout sur-le-champ et suivit le Seigneur : Je vis un autre prendre sa place.

Je vis assez longtemps après la mort de Jésus, Jude Thaddée envoyé près d'Abgare, roi d'Édesse, par Thomas, à la suite d'une vision. Je vis que la lettre écrite par Thomas était absolument conforme à ce que Jésus avait promis d'écrire à ce prince. Je vis Abgare couché sur un lit de repos lorsque Thaddée apporta la lettre : je vis, près de Thaddée, Jésus apparaître lumineux, et tel qu'il était sur la terre. Le roi ne regarda pas l'apôtre, ni la lettre, mais il s'inclina profondément devant cette apparition. Thaddée avait guéri quelqu'un dans la ville avant de se faire annoncer au roi. Ce prince, qui était un homme plein de droiture, était atteint de la lèpre. Après qu'il se fût entretenu avec Thaddée, celui-ci lui imposa les mains et il fut guéri. Thaddée guérit et convertit encore beaucoup de personnes. Je vis avec beaucoup de joie que Thaddée a parcouru, enseignant et baptisant, toutes les contrées que Jésus traverse maintenant : il était accompagné de Silas. l'un des jeunes gens qui étaient avec Jésus 2 . Je vis que, dans le pays où se trouve Jésus à présent, dans les montagnes voisines de Cédar et dans tous les environs presque tout le monde se fit baptiser, et que des villages entiers, sauf quelques vieillards infirmes, émigrèrent et allèrent former ailleurs des tribus de bergers chrétiens habitant sous la tente.

NOTES : 1 Comme Anne Catherine voyait ordinairement la vie des saints dans de grandes visions ou l'ordre chronologique n'était pas indiqué, elle vit ici Simon suivre Jésus immédiatement après le premier appel qui lui fut fait.
2 C'est ce même voyage qu'elle décrivit eu racontant la vie de l'apôtre saint Thomas qui avait entrepris cette course apostolique en compagnie de Jude Thaddée.

Je vis aussi que dans la suite la plupart moururent martyrs à la suite d'une invasion de peuples païens. Je vis Thaddée et Silas parcourir tout le chemin qu'avait suivi Jésus à travers l'Arabie jusqu'à l'Egypte. Je vis aussi l'apôtre chez des noirs : c'était, je crois, en Afrique : car je vis le pays où réside aujourd'hui Judith, c'est-à-dire les montagnes de la Lune. Il y eut une ville où les habitants le prirent tellement en amitié qu'ils se soulevèrent pour le tirer de la prison où l'avaient jeté les magistrats. Je vis un disciple qui était avec lui mourir dans cette prison ; je ne crois pas que ce fût Silas, car j'ai vu plus tard celui-ci près de Paul.

Après la séparation des apôtres, je vis les deux frères Simon et Thaddée aller ensemble avec leurs compagnons jusqu'à l'endroit où Jésus Christ avait maudit le figuier stérile dans son dernier voyage (Bétharan). Alors ils se séparèrent ; Simon alla du côté de la mer Noire et dans la Scythie, Thaddée se dirigea au levant. Après la mort de Marie à laquelle il était venu assister, celui-ci partit pour la Perse : il avait avec lui un disciple nommé Abdias et d'autres encore. Abdias devint évêque de Babylone et il a écrit des livres où se trouvent beaucoup de choses empruntées à des relations erronées et mensongères. Les deux frères ? après avoir parcouru des pays très éloignés les uns des autres, se rencontrèrent de nouveau, par une disposition de la Providence. dans un camp d'hommes de guerre.

'ai vu leur mort dans une grande vision sur la vie de Thaddée dont je ne me rappelle que ce qui suit. Je vis qu'au commencement il avait une houlette de berger comme tous les autres apôtres : mais lorsqu'il s'enfonça plus avant dans ces contrées, il portait un gros bâton que je remarquai pour la Première fois dans une courte vision où je le vis courir à travers le désert. Je les vis Simon et lui, amenés par une troupe d'hommes dans un camp formé d'une multitude de tentes. On voyait dans ce camp une grande diversité de costumes : beaucoup de gens portaient des vêtements longs et amples ; d'autres des habits courts et étroits : plusieurs avaient sur le derrière de la tête une coiffure garnie d'une longue crinière: beaucoup portaient une hache passée dans la ceinture. Lorsque Thaddée et ceux qui l'accompagnaient arrivèrent dans ce camp, je vis sortir précipitamment des tentes de petits personnages tout nus, noirs et basanés, avec des têtes crépues affreusement grosses et aussi larges que leurs épaules : je vis qu'ils s'éloignèrent du camp pour aller se cacher dans des endroits ténébreux, des marais, des murs en ruines et pour ainsi dire dans le sein de la terre. Je vis l'un d'eux s'élancer tout furieux vers Thaddée, lui faire en ricanant d'affreuses grimaces, puis s'enfuir en courant. Je me souviens que ces personnages travaillaient de toutes leurs forces à exciter les esprits contre Thaddée ; qu'ainsi par exemple ils tinrent aux gens qui entouraient l'apôtre des discours qui les rendirent furieux. Thaddée et ses compagnons furent conduits en divers endroits et amenés enfin devant l'homme le plus considérable du camp. Apres cette visite, on les traita mieux et on les conduisit dans un logement plus solidement construit et qui n'était pas une tente. Il y avait là plusieurs autres personnes. Après cela je vis encore divers individus qui n'étaient pas des soldats exciter les esprits au point qu'il y eut presque un soulèvement.

Je vis alors les deux apôtres se rendre, suivis d'une nombreuse escorte, dans une grande ville située au bord d'un fleuve (Babylone). Il y avait dans le pays de nombreux canaux, et dans la ville des édifices d'une grandeur démesurée, très spacieux et très massifs. Ils y furent bien traites et je vis plusieurs incidents que je ne me rappelle plus bien. Je me souviens seulement qu'il y eut en présence du roi une assemblée où les prêtres des idoles s'élevèrent fortement contre les apôtres et que, parmi ces prêtres, les uns tenaient des deux mains un paquet de serpents longs comme le bras, les autres en avaient quelques-uns dans chaque main. Ces serpents étaient ronds comme des anguilles, mais un peu plus minces : ils avaient de petites têtes arrondies et de leurs gueules ouvertes ils dardaient au dehors des langues pointues comme des flèches. On les lança contre les apôtres, mais je les vis revenir comme des traits rapides sur ceux qui les avaient apportés, se rouler autour d'eux et les mordre malgré leurs cris jusqu'au moment où les apôtres leur ordonnèrent de lâcher prise. Je vis beaucoup de gens de la ville et le roi lui-même embrasser le christianisme. J'ai quelque idée que le disciple qui accompagnait les apôtres (Abdias) resta dans la ville. Quant à eux, ils allèrent dans une autre grande cité et ils logèrent chez un homme qui était chrétien. Il y eut un soulèvement à leur occasion et je vis qu'ils furent conduits avec cet homme à un temple où il y avait des idoles d'or et d'argent placées sur des roues ou plutôt sur une espèce de trône que ces roues supportaient. Un peuple innombrable s'était rassemblé dans le temple et au dehors. Je me souviens que les idoles se brisèrent, qu'une partie du temple s'écroula et que les deux saints, sans opposer de résistance, furent traînés ça et là dans la foule, que le peuple et les prêtres les frappèrent avec toutes les armes qu'ils avaient sous la main et qu'ils furent ainsi mis a mort. Je vis l'un d'eux (c'était, je crois, Thaddée) dont la tête fut fendue en deux par une de ces haches que les gens du pays portaient à la ceinture. Je vis au-dessus des apôtres des apparitions célestes. Lorsqu'ils eurent expiré, je vis de nouveau les affreuses figures noires dont j'ai parlé plus haut se mêler parmi la foule.

Dans la scène des serpents les choses se passèrent ainsi : ces serpents furent posés par terre, les disciples les ramassèrent et les mirent dans les plis de leur manteau : d'autres qui étaient là, dressés sur leurs queues, devaient être pris par les prêtres des idoles, ils les prirent en effet, mais les serpents les mordirent et se pendirent à leurs mains, ce qui leur fit pousser des cris horribles.

È

SAINT MARC

25 avril 1821 .

Marc fut un des premiers disciples de Jésus. Il n'était pas du pays de saint Pierre : sa patrie était plus au nord. Il avait loué des pêcheries à Bethsaïde et se livrait encore à d'autres occupations. Il était grand et agile : il avait le front chauve, mais il lui restait par derrière quelques cheveux qui venaient se terminer en pointe sur le sommet de la tête. Ses sourcils se rejoignaient au-dessus de son nez qui était long et droit. Ses yeux étaient vifs ; ses joues maigres, colorées et couvertes, ainsi que le menton, d'une barbe d'un blond cendré. Sa taille était droite et ses allures promptes : il était leste, adroit et d'un naturel moins obéissant que Pierre. Il paraissait presque plus âgé que celui-ci.

Marc n'était pas toujours avec Jésus ; il était assez souvent absent : il était de ceux qui se scandalisèrent lorsque le Seigneur dit : " Celui qui ne mange pas ma chair n'aura pas la vie éternelle ". Peu de temps avant la Passion, il prit aussi en mauvaise part ce qu'avait fait Madeleine. Après l'arrestation du Seigneur, il se sépara des disciples pour retourner dans sa patrie et ne revint se joindre à eux que sur la montagne de Thébez où le Sauveur ressuscité leur apparut et où Pierre fit une longue instruction (voir plus haut, page 171). La femme de Marc résida un certain temps à Thébez et elle vint à Bethsaïde pendant les jours qui précédèrent l'Ascension. Elle était grande et longue, avait je visage très rouge et marchait courbée en avant : il y avait quelque chose de risible dans son extérieur. Dans la suite Marc accompagna souvent Pierre avec lequel il alla à Rome : il n'a rien écrit dans son Évangile que sous la dictée de Pierre. Il avait vu lui-même bien des choses, mais il n'était pas présent à la Passion du Seigneur. Pendant une épidémie qui eut lieu a Rome et où l'on mourait en éternuant, je vis la communauté chrétienne, sur la demande de Marc, ériger un chemin de la croix dans le genre de celui que Marie avait établi près d'Éphèse. Il y avait douze pierres dont chacune portait une inscription rappelant un des incidents de la Passion. Les chrétiens allaient d'une pierre à l'autre en priant et en récitant des litanies, et tous ceux qui faisaient ainsi étaient préservés du fléau. Lorsque les païens en eurent connaissance, beaucoup d'entre eux s'associèrent à cette dévotion et furent guéris eux aussi : ce miracle opéra un grand nombre de conversions. J'ai vu en outre que ces processions furent rétablies et reçurent de nouveaux développements sous le pontificat de Grégoire le Grand.

Je vis Marc aller en Égypte et propager le christianisme sur toute la route que Jésus-Christ avait parcourue. Je le vis d'abord dans la ville d'Alexandrie. Il y était venu avec quelque répugnance : il aurait mieux aimé prêcher tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre. Comme il était en route pour s'y rendre, il se fit une forte coupure à l'index de la main droite et il aurait perdu ce doigt s'il n'avait été guéri par une merveilleuse apparition dont il fut très effrayé, comme l'avait été saint Paul dans une occasion semblable. Il conserva jusqu'à la fin de sa vie une cicatrice rouge tout autour du doigt.

Lorsqu'il entra dans Alexandrie, sa chaussure se déchira et il la donna au cordonnier Anianus pour qu'il la raccommodât. Celui-ci se blessa à la main en y travaillant ; mais Marc guérit la blessure avec un enduit de terre et de salive. Là-dessus Anianus se convertit et Marc prit son logement chez lui : cet homme avait une grande maison, de nombreux ouvriers, une femme et dix enfants.

NOTE : Anne Catherine disait que saint Marc guérissait spécialement les coupures et les piqûres, et que la plante appelée Pinguicula vulgaris, lorsqu'on l'applique sur les blessures en invoquant le nom du saint, a une vertu très efficace pour les guérir, Elle-même avait souvent fait usage de cette plante.

Les premières réunions des nouveaux fidèles avaient lieu dans une pièce qui dépendait du logement assigné à Marc. Les apôtres ne célébraient la sainte messe dans une communauté nouvellement établie que lorsque ses membres étaient déjà affermis dans la foi et suffisamment instruits : ils avaient dès lors fixé le rite suivant lequel la sainte communion devait être donnée pendant le saint sacrifice.

Marc alla aussi à Héliopolis. L'oratoire qu'y avait la sainte Famille pendant son séjour en Egypte était devenu une église, et il y eut plus tard un petit couvent. En suivant Marc sur le chemin qui le conduisait là, je vis pendant un moment Marie résidant à Héliopolis. Je vis l'enfant assis dans une espèce de baquet qui était placé sur un tréteau élevé. Marie avait une corbeille près d'elle et tricotait avec de petits crochets : il y avait là trois autres femmes. — Les gens que Marc baptisa à Héliopolis étaient juifs pour la plupart. Il s'y trouvait un assez grand nombre d'Israélites pieux qui vivaient en anachorètes : on les appelait Thérapites. Il y en avait déjà quelques-uns en Égypte près des frontières de la Palestine, lorsque Jésus passa pas. là au retour de son voyage chez les païens. Je ne sais pas si je l'ai dit dans mon récit. Jésus visita un endroit où plusieurs d'entre eux vivaient réunis. C'est d'eux que sont sortis plus tard les nombreux anachorètes de l'Égypte.
Le cordonnier Anianus avait parmi ses enfants trois fils, qui devinrent prêtres par la suite. Le père succéda à Marc sur le siège d'Alexandrie et c'est aussi sa fête aujourd'hui.

Je vis Marc jeté en prison à Alexandrie et étranglé avec une corde. Lorsqu'il fut incarcéré, je vis Jésus lui apparaître tenant une patène sur laquelle était un petit pain rond qu'il lui présenta. Je vis aussi comment son corps fut transporté à Venise à une époque postérieure.

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SAINT LUC

18 octobre 1820.

Les parents de Luc appartenaient à la classe moyenne et demeuraient devant Antioche : il les perdit de bonne heure. Il était très intelligent et d'un caractère vif et gai. Je le vis, comme il n'avait encore que douze ans, chercher des fleurs dans les champs et faire toute espèce d'observations. Il apprit à peindre en Grèce : je le vis dessiner sur les murs de grandes figures d'hommes debout. Quand il fut plus âgé, je le vis dans une ville égyptienne étudier la médecine et l'astronomie. Je vis qu'il portait pendu à son côté un tube semblable à une longue vue et qu'il se réunissait souvent à de nombreux compagnons. Ils entraient dans l'intérieur de constructions en maçonnerie très élevées et montaient jusqu'en haut à l'aide de perches : il y avait là de petits sièges comme des chaises d'enfants, et ils regardaient à travers un tube qui était bien aussi gros qu'un tuyau de poêle. Dans la ville où Luc étudia la médecine, se trouvait une maison remplie d'animaux et d'oiseaux malades qu'on soignait comme dans un hôpital. On faisait des expériences sur eux avec le suc qu'on extrayait d'herbes de toute espèce. Je vis que Luc se servait uniquement de remèdes végétaux et qu'il observait les astres quand il avait des malades à traiter. Plus tard je l'ai vu guérir beaucoup de personnes. Il traitait des gens qui semblaient être sans connaissance en leur soufflant sur la bouche et sur le creux de l'estomac et aussi en leur faisant des frictions. A cette époque il n'était pas encore chrétien.

Je n'ai jamais vu Luc avec le Seigneur lorsqu'il était sur la terre. Peu après le baptême de Jésus, il reçut le baptême de Jean et assista aux prédications de ce dernier, mais ordinairement il allait d'un endroit à l'autre pour exercer sa profession de médecin, et il n'avait que par intervalles des relations passagères avec les disciples. Je le voyais toujours beaucoup écrire, notamment sur les plantes : il portait sur lui des rouleaux, et prenait souvent des notes.

Je ne le vis pas non plus au commencement avec les apôtres ; il était vis-à-vis d'eux comme un étranger et s'enquérait d'eux de temps en temps, mais de loin et sans se réunir à eux. Lorsque le Seigneur alla de Jéricho à Samarie avant la résurrection de Lazare, je le vis dans les environs de Samarie : étant arrivé à l'endroit où le Seigneur avait séjourné quelque temps chez des bergers (voir plus haut) et où étaient restés les trois jeunes gens qui avaient accompagné Jésus en Egypte, je le vis se faire raconter plusieurs choses. Je ne le vis pas venir à Béthanie lors de la résurrection de Lazare, mais prendre des informations à Jérusalem auprès de Nicodème et auprès de Joseph d'Arimathie qui était en secret disciple de Jésus, et qui avait été voir Lazare. Il eut aussi des rapports avec la mère de Jean Marc, et après la mort de Jésus, avec Simon de Cyrène qui s'était converti : je le vis surtout en relations intimes avec Cléophas qui lui-même ne fut ouvertement disciple du Seigneur que peu de temps avant sa mort. Luc douta longtemps, et ce ne fut qu'à la rencontre d'Emmaus que sa foi devint ferme et vivante. L'arrestation et le crucifiement du Seigneur l'avaient jeté dans de grands doutes et il s'était tenu plus à l'écart qu'avant. Je le vis aller à Emmaus avec Cléophas : je vis que, sans cesser la conversation, il cueillait ça et là sur le chemin des plantes médicinales et je méditais en même temps sur ce qu'il allait bientôt recevoir, de la main de Jésus que je voyais marcher derrière lui sans qu'il le sût, le remède par excellence, le pain de vie. Je vis toute la scène comme je l'avais déjà vue d'autres fois. Je vis que Marie Salomé les rencontra à leur retour et qu'ils se communiquèrent réciproquement ce qui leur était arrivé. Cette sainte femme était fille d'une soeur de sainte Anne.

Je ne me souviens plus si je le vis assister à l'Ascension de Jésus-Christ. Je le vis près de Jean lorsque celui-ci était à Éphèse et je le vis aussi près de Marie dans sa maison : je le vis ensuite avec André qui était venu d'Égypte pour voir Jean, et enfin dans sa patrie où il fit connaissance avec Paul qu'il accompagna.

Il écrivit son évangile par le conseil de Paul et parce qu'il courait des livres pleins de faussetés sur la vie du Seigneur. Il l'écrivit vingt cinq ans après l'Ascension et presque toujours, d'après des renseignements recueillis partout auprès de témoins oculaires. Je l'avais déjà vu à l'époque de la résurrection de Lazare visiter les lieux où le Seigneur avait fait des miracles et s'enquérir de tout. Barsabas était du nombre des disciples qu'il connaissait. J'ai appris que Marc aussi n'a écrit son Évangile que sur des relations de témoins oculaires et qu'aucun des Évangélistes n'a connu le travail des autres et n'en a fait usage pour le sien. Il m'a été dit aussi que, s'ils avaient tout écrit, ils auraient trouvé encore moins de créance, et que, pour ne pas allonger leur récit, ils n'ont pas mentionné les miracles qui se sont répétés fréquemment. Je vis encore que Luc étant devenu évêque fut martyrisé à Thèbes, Si je ne me trompe : je vis qu'on l'attacha à un olivier par le milieu du corps et qu'on le tua là à coups de lance. Une lance lui ayant traversé la poitrine, la partie supérieure du corps tomba en avant : alors les bourreaux le redressèrent, l'attachèrent de nouveau et le percèrent encore de plusieurs coups. On lui donna la sépulture en secret pendant la nuit.

Le remède dont Luc se servait principalement dans les derniers temps où il exerça la médecine, était du réséda mêlé d'huile de palme et bénit. Il faisait alors sur le front et la bouche des malades une onction en forme de croix : il employait aussi du réséda desséché avec une infusion d'eau. Je vis une fois Luc préparer cet onguent dans un jardin où il y avait toute une plate-bande de réséda à tige très haute et où s'élevaient aussi des palmiers. J'ai appris à cette occasion beaucoup de choses touchant le palmier, qui est un symbole de la chasteté parce qui les sexes y sont séparés et que la fécondation ne se produit que par la volonté de Dieu. Il me fut dit que le palmier se comporte modestement, qu'il ne fait pas parade de ses fleurs, mais les tient cachées, et que c'est pour cela qu'il est si fécond, tandis que d'autres arbres qui étaient leurs fleurs au grand jour, en laissent tomber la moitié à terre. Luc s'attacha beaucoup de personnes par ses guérisons. Le réséda axait un rapport avec Marie qui l'avait cultivé et en avait fait usage. Par son martyre subi contre un olivier, Luc a obtenu pour cet arbre et pour ses fruits une vertu curative liée à l'invocation de son nom. Employant l'huile fréquemment, il avait demandé à Dieu que sa mort sous l'olivier conférât à cet arbre de nouvelles vertus.

DES TABLEAUX PEINTS PAR SAINT LUC

18 octobre 1821.

J'ai vu Luc peindre plusieurs portraits de la sainte Vierge et quelquefois avec des circonstances miraculeuses. Un jour il travaillait à un portrait en buste de Marie : comme il ne pouvait pas en venir à bout, il pria, fut ravi en extase et quand il revint à lui il le trouva terminé. Ce portrait se conserve à Rome, à l'église de Sainte-Marie Majeure, sur l'autel d'une chapelle qui est à droite du grand autel. Mais ce n'est pas l'original : ce n'est qu'une copie. L'original est dans un pan de muraille auquel on a donné la forme d'un pilier : il a été caché là dans un moment de danger, avec d'autres objets sacrés parmi lesquels il y a des ossements de saints et des manuscrits d'une grande antiquité. Quand le prêtre dit Dominus Vobiscum à l'autel où est le portrait de Marie, sa main droite s'étend dans la direction du piller central où sont conservées ces reliques. Luc fit encore un portrait de la sainte Vierge dans son costume de fiancée : je ne sais pas ce qu'il est devenu. Il en fit un autre également en pied ou elle est en habits de deuil : je crois l'avoir vu dans l'église où est l'anneau nuptial de Marie (à Pérouse). Luc peignit aussi Marie allant assister a la descente de croix et cela se fit d'une façon merveilleuse. Lorsque tous les apôtres et les disciples eurent pris la fuite, je vis Marie se rendant près de la croix à la lueur du crépuscule : elle était accompagnée, je crois, de Marie de Cléophas et de Salomé. Je vis que Luc se tenait sur le chemin et que, tout ému de sa douleur, il présenta un linge en face d'elle comme elle passait, avec le désir que son image s'y imprimât. Je ne sais pas comment tout cela se fit : Luc ne fit pas toucher le linge à la sainte Vierge et je crois que l'image s'y montra sans qu'il en eut connaissance. Il y trouva plus tard cette image semblable à une ombre qui passe, et il fit d'après elle son tableau où il y avait deux figures, lui-même avec le linge et Marie qui passait. Vers ce même moment, peu d'heures après le crucifiement, plusieurs amis et disciples de Jésus contemplaient le suaire de Véronique où la face du Seigneur, avec toutes ses blessures et sa barbe ensanglantée, était reproduite en traits de sang épais et pourtant bien distincts. L'image imprimée sur le suaire était plus grande que la face elle-même, parce que le linge avait suivi tous les contours du visage. Luc se retira à la dérobée, tout plein d'angoisse et comme cherchant quelque chose : le linge qu'il tenait était, ainsi que le suaire, deux fois plus long que large. J'ignore ce qui poussa Luc à présenter son linge, si ce fut uniquement le désir que l'image de Marie s'y imprimât, ou s'il voulut suivre la coutume d'après laquelle on présentait un linge aux affligés ou remplir à l'égard de Marie l'office de charité exercé par Véronique envers Jésus.

J'ai vu l'image peinte par Luc existant encore chez une singulière peuplade habitant entre la Syrie et l'Arménie. Ce ne sont pas, à proprement parler, des chrétiens : ils croient à Jean-Baptiste et ils ont un baptême de pénitence qu'ils reçoivent chaque fois qu'ils veulent se purifier de leurs péchés. Luc prêcha l'Évangile dans leur pays et opéra beaucoup de miracles avec cette image. Ils le persécutèrent et peu s'en fallut qu'ils ne le lapidassent : mais ils gardèrent l'image. Luc emmena avec lui douze d'entre eux qu'il avait convertis. Ces gens habitaient dans le voisinage d'une montagne qui est à peu près à douze lieues à l'est du Liban : il y a un cours d'eau qui descend de cette montagne et qui coule autour : cette eau est trouble et fangeuse. Ils logent dans de mauvaises cabanes, comme j'en ai vu en Egypte : ils ne sont pas les maîtres du pays : ils y sont comme des esclaves et paient des redevances. J'ai entendu dans cette contrée dire quek1ue chose touchant Laodicée. A l'époque de saint Luc ils n'étaient guère plus de deux cents. Leur église est comme une grotte attenante à la montagne ; il faut descendre pour y entrer : on voit des coupoles dans le haut de même qu'on voit à la voûte d'une église les ouvertures pratiquées pour les fenêtres.

J'ai encore vu là à une époque postérieure l'image de Marie peinte par saint Luc ; je ne sais pas si c'est l'époque actuelle, mais cela est bien possible, car du temps de saint Luc tout était plus simple. L'église me parut plus grande : il me sembla aussi qu'on y faisait d'autres cérémonies : le prêtre étai t assis sous une arcade devant un autel ; l'image était suspendue à la voûte et plusieurs lampes étaient allumées devant elle. Elle était toute noircie et on ne distinguait plus rien. Ils reçoivent des grâces par le moyen de cette image et ils la révèrent parce qu'ils ont vu des miracles opérés par elle. Ils pratiquent la circoncision et croient que les âmes des morts passent dans d'autres corps, notamment dans ceux des enfants. Ils ne connaissent plus bien leur origine ; ils descendent d'esclaves qui étaient venus au baptême de Jean avec des caravanes arabes et qui étaient repartis sans avoir eu connaissance d'autre chose que de ce baptême. Des restes de paganisme doivent s'être conservés chez eux, car ils ont des livres secrets contenant une espèce de révélation. Ils se livrent aussi à diverses pratiques magiques : ainsi ils brûlent des objets appartenant à des gens qu'ils veulent par ce moyen ensorceler ou même faire mourir. Ils se placent au-dessus de la fumée pour se transporter ainsi dans des lieux éloignés. Leur prêtres se font sur la peau du bras des incisions en forme de croix : c'est peut-être parce que Jean Baptiste portait ordinairement un bâton surmonte d'une croix. Ils ont le plus souvent la poitrine nue et portent une pièce d'étoffe de poil de chameau jetée en travers sur les épaules. Ils ne savent pas les paroles que Jean annonçait en administrant le baptême ; ils disaient seulement : Je te baptise du baptême dont Jean baptisait. Je ne sais plus bien distinguer dans ce que je viens de raconter ce qui appartient au temps de saint Luc ou aux époques postérieures.

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LE FIANCÉ NATHANAËL

Le fiancé Nathanaël avait pour mère la fille d'une soeur de sainte Anne. Il avait un frère qui devint aussi disciple de Jésus. Étant enfant il assista à la fête donnée chez Anne, lorsque Jésus dans sa douzième année revint de Jérusalem après les fêtes de Pâques. Jésus alors fit allusion à de grands mystères : il raconta les futures noces de Cana sous forme de parabole et promit à Nathanaël qu'il irait à son mariage. Je vis qu'à cette occasion encore le Seigneur fit choix de Silvain pour son futur disciple. Les parents de celui-ci étaient de la race d'Aaron. Je vis les noces de Cana et le changement mystérieux de l'eau en vin : je vis qu'après ce miracle la fiancée et le fiancé se retirèrent dans une chambre séparée et firent voeu de chasteté. Nathanaël devint aussitôt disciple du Sauveur et sa fiancée se joignit aux saintes femmes. Elle tirait son origine de Bethléhem et de la famille de saint Joseph. Nathanael reçut au baptême un nom qui ressemble à Amandor. Plus tard il devint évêque d'Edesse ou saint Thaddée a guéri le roi Abgare. Il alla aussi en Crète avec Carpus puis en Arménie où il fit beaucoup de conversions ;il y fut mis en prison et ensuite relégué sur les bords de la mer Noire où il eut beaucoup à souffrir. Ayant recouvré sa liberté, il voyagea dans le pays du roi Mensor. Il fit là un grand miracle dont une femme fut l'objet : mais je l'ai oublié. Il s'était fait beaucoup aimer et il convertit un grand nombre de personnes. Je vis son martyre dans une île de l'Euphrate : le nom de l'endroit est quelque chose comme Acaïacula.

SAINT PARMENAS

Parménas, qui fut l'un des sept diacres, était allié au Sauveur du côté d'Élisabeth. Il était de Nazareth où ses parents possédaient une maison et un jardin de plantes aromatiques. Sa mère était soeur du second époux de Marie de Cléophas. Elle avait douze enfants et s'était mariée trois fois. Son troisième mari était un grec et Parménas fut le premier fils né de ce mariage : de là venait le nom grec qu'il portait. Il avait environ cinq ans de moins que Jésus il naquit, je crois, vers le temps où la sainte Famille revint d'Égypte. Il était l'un des compagnons d'enfance de Jésus et il lui resta toujours fidèle. Ses parents qui étaient des amis sincères de la sainte Famille et qui, lorsque Jésus se perdit à Jérusalem, aidèrent très activement à le chercher, se firent baptiser par Jean dès le commencement. Parménas lui-même fut baptisé le même jour que Jésus et vit le Saint Esprit descendre sur lui. Il fut toujours comme un serviteur parmi les apôtres et les disciples et ne voulut jamais être fait prêtre par humilité.

Lorsqu'Étienne eut été lapidé, il s'enfuit et résida un certain temps dans les environs d'Éphèse. Plus tard il fut avec Paul et il fit un voyage en Chypre avec Barnabé : je le vis aussi avec plusieurs autres, notamment avec Pierre. Il a converti beaucoup de monde par sa prédication et il était très avancé en âge lorsqu'il fut massacré dans une émeute à Philippes.

SAINT SATURNIN

Saturnin était né à Patras. Sa mère était de descendance royale et son père avait un rang équivalant à celui de comte. Il y avait au service de son père un homme d'un teint très brun, qui avait été dans le cortège du plus basané des rois mages et qui avait vu comme lui l'Enfant-Jésus. Il en parlait souvent et longuement, sans être converti lui-même, il prépara d'avance la conversion de beaucoup d'autres. Ses récits sur l'étoile vue par les rois, sur leur voyage et sur ce qu'ils avaient trouvé firent une vive impression sur Saturnin. Bientôt son père mourut laissant après lui une jeune veuve du nom de Cyriaca qu'il avait épousée en secondes noces et qui avait elle-même plusieurs enfants d'un premier mariage. Alors Saturnin qui était encore jeune partit pour Jérusalem afin d'avoir des informations plus précises sur tout ce qui lui avait été raconté C'était précisément le temps où Jean-Baptiste commençait sa prédication. Il alla le trouver, fut baptisé par lui, se fit circoncire et devint un des plus fidèles disciples de Jean et l'ami de coeur d'André : il tint le manteau de Jésus lors de son baptême, le suivit aussitôt après avec André et ils furent, l'un et l'autre, ceux des disciples que Jésus chargea le plus souvent d'administrer le baptême. Sa belle-mère vint environ six mois après lui à Jérusalem : plus tard il baptisa à Capharnaüm son oncle et ses beaux-frères : ceux-ci repartirent avec leur mère (tome III, page 208)

Lorsque Saturnin était encore enfant, je le vis un Jour couché au bord de la mer et appuyé sur le coude. Il eut une vision dans laquelle il vit un jeune garçon portant un bâton avec une banderole, qui venait à lui sur la mer. C'était Jean-Baptiste qui lui dit de venir le trouver dans le désert, lorsqu'il aurait atteint l'âge de seize ans. Il lui donna ensuite un bâton épiscopal et un livre qu'il devait remplir plus tard, puis il lui reprit ces deux objets et disparut. Anne Catherine raconta brièvement l'apostolat de Saturnin : son récit est parfaitement d'accord avec ce qu'on lit à ce sujet dans la Fleur des Saints. Il a fait beaucoup de miracles à Toulouse, il y a prêché et opéré des guérisons, après quoi il est parti pour l'Espagne : il a eu en France plusieurs disciples qui sont devenus des saints. Lorsqu'il fut revenu à Toulouse, on se saisit de lui et les prêtres des idoles l'attachèrent à un taureau furieux qui le traîna du haut en bas de la hauteur où était le temple.

Sa cervelle jaillit de tous les côtés : il ne resta de sa tête que les mâchoires attachées au tronc, une pieuse femme lui donna la sépulture. On mit une fois dans son tombeau un voleur que la terre rejeta : je l'ai vu. Il est mort soixante-dix ans après Jésus-Christ : il était parvenu à l'âge de cent sept ans : lors de la mort du Christ il en avait trente-sept.

Plus tard la relique du saint ayant été de nouveau mise près d'Anne Catherine, elle répéta ce qu'elle avait dit précédemment et ajouta ce qui suit : Saturnin était toujours appelé " le disciple fidèle " et tout le monde l'aimait à cause de sa docilité, de sa droiture et de sa simplicité. Les personnes de sa famille reçurent plus tard le baptême et s'établirent dans une grande ville près de Sarepta. Après la mort de Jésus-Christ, ayant été prêcher à Tarse, les habitants de cette ville le maltraitèrent cruellement et ils allaient le mettre à mort, mais un vent d'orage qui s'éleva leur jeta tant de sable dans les veux qu'il leur échappa. Anne Catherine l'a vu en plusieurs autres endroits, notamment à Rome près de Pierre qui l'envoya dans les Gaules. Il résida à Arles, à peu de distance de l'île de Pontitien sur le Rhône, à Nîmes et dans beaucoup d'autres lieux : il a guéri des malades, prêché et baptisé ; il a eu beaucoup de disciples et formé des catéchistes. Il a longtemps résidé à Toulouse où il a converti beaucoup de personnes, entre autres une femme qu'il a guérie de la lèpre après avoir prêché devant sa maison. De là il est allé ailleurs et il a eu beaucoup à souffrir, mais il est revenu à Toulouse et c'est là qu'il a été martyrisé. Elle a vu encore deux autres Saturnin, un diacre et un évêque qu'elle distingue de celui-ci qui est plus ancien.

Stimulée par une relique, Anne Catherine vit aussi la vie et le martyre de saint Saturnin, évêque de Toulouse, et voici ce qu'elle en raconta. Le saint évêque Saturnin a souffert le martyre sous l'empereur Maximin, à l'âge de quatre-vingts ans. Je ne puis pas comprendre comment on l'a confondu avec le premier, celui qui avait été disciple de Jean-Baptiste. Le premier Saturnin fut attaché à un taureau sur une éminence où était le temple. Le taureau fut lancé avec des aiguillons vers la partie la plus escarpée de la hauteur, en sorte qu'il entra en fureur, se précipita, trépigna et que la tête du saint fut bientôt brisée en morceaux. L'évêque postérieur, nommé aussi Saturnin, fut conduit sur une tour contre le mur de laquelle on avait disposé des crochets de haut en bas. Il fut jeté sur ces crochets et resta suspendu à chacun d'eux jusqu'à ce que, sa chair étant déchirée, il tombât sur celui qui venait après. Pendant qu'il subissait ce supplice, je l'entendis crier au peuple qui se tenait au pied de la tour : " Mon corps est suspendu en l'air, mais mon âme est sur la terre auprès de vous ". Il ne cessa d'exhorter ainsi le peuple jusqu'au moment où il tomba à terre, et, lorsqu'on lui eut percé la gorge pour l'achever, il récita un psaume tout entier. Son corps fut enseveli près des tombeaux des autres martyrs : lorsque plus tard saint Hilaire, si je ne me trompe, fit élever une chapelle sur le tombeau du premier Saturnin, on y réunit les corps de plusieurs autres saints, en sorte qu'avec le temps on finit par ne plus distinguer les deux Saturnin. La corruption des moeurs était si grande à Toulouse qu'on entendit une fois le saint évêque dire que les pierres de cette ville porteraient témoignage au jugement dernier contre les vices infâmes de ses habitants.

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SAINT ETIENNE

2 août 1820.

J'eus une vision touchant le martyre d'Etienne ; je vis qu'il resta comme insensible au supplice de la lapidation, ne pensant qu'à prier pour ses bourreaux et à regarder dans le ciel ouvert sur sa tête. Il fut lapidé devant une porte qui est au nord de Jérusalem, près d'un grand chemin. Il y avait la une espèce de place circulaire et au milieu une pierre sur laquelle le jeune homme s'agenouilla et pria, les mains levées au ciel. Il portait un long vêtement blanc serré par une ceinture et par-dessus lequel était passé sur le des et sur la poitrine une espèce de scapulaire avec une double attache transversale : je crois que ce scapulaire faisait partie de son vêtement sacerdotal. On procéda à la lapidation suivant un certain ordre : ceux qui y prenaient part étaient rangés en cercle et chacun avait auprès de lui un tas de pierres. Je vis aussi Saul qui était un homme d'une rigidité et d'un zèle extraordinaire. Il s'était occupé de tous les préparatifs du supplice, et ceux qui lapidèrent Etienne déposèrent leurs manteaux à ses pieds. Etienne priait les mains levées au ciel et restait immobile sous les coups de pierre : on eût dit qu'il ne les sentait pas, il ne faisait rien pour les parer, et ne tressaillait pas en les recevant. Il semblait ravi en extase ; il avait les yeux levés en l'air et le ciel était ouvert au-dessus de lui. Il voyait Jésus, et près de Jésus, Marie sa mère. Enfin une pierre le frappa à la tête et il tomba mort. C'était un grand et beau jeune homme, avec des cheveux bruns et lisses, Saul, malgré l'ardeur passionnée qu'il montrait dans cette circonstance, ne faisait pas horreur comme la plupart des autres qui étaient pleins d'envie et d'hypocrisie : quant à lui, il était poussé par un zèle aveugle, mais sincère pour le judaïsme : c'est pourquoi Dieu l'éclaira par la suite.

Je vis plus tard un homme d'un aspect vénérable, avec une robe blanche, une longue barbe et une petite baguette d'or à la main, apparaître la nuit à un prêtre qui reposait sur sa couche ; à droite de cette apparition étaient deux vases supportant deux pyramides de fleurs de hauteur inégale : deux vases semblables étaient à sa gauche : c'étaient des bouquets de forme pyramidale. Il dit que le bouquet rouge représentait Etienne, l'un des bouquets blancs Nicodème, l'autre, celui qui parlait (c'était Gamaliel) : le quatrième enfin fait de fleurs couleur de safran, son fils Abibon : les corps de tous les quatre étaient entrés dans cet endroit. Je vis qu'après cela on creusa à l'endroit indiqué et que les quatre corps furent trouvés dans les grottes d'un caveau sépulcral d'où on les retira. Le corps d'Etienne dont les ossements étaient rangés à leur place fut transporté à Jérusalem dans une église située sur la montagne où avait été le cénacle Je vis plus tard qu'on fit plusieurs parts des ossements, qu'ils furent portés en divers lieux et opérèrent beaucoup de miracles. Je me rappelle un aveugle qui fit toucher des fleurs à la châsse du saint et qui recouvra la vue au contact de ces fleurs. Je vis dans un autre endroit beaucoup de Juifs se convertir. Je vis, je ne sais plus ou, le démon, sous la forme d'un homme de haut rang, demander quelques parcelles des ossements de saint Etienne : mais l'évêque ayant prié Dieu de lui faire connaître si ce personnage était digne de les recevoir, le démon se manifesta sous une forme hideuse et s'enfuit en poussant des hurlements. Je vis beaucoup de miracles semblables : je vis aussi plusieurs ossements d'Etienne portés à Rome et placés auprès de ceux de Saint Laurent.

SAINT BARNABÉ

10 juin 1820.

Les parents de Barnabé avaient du bien en Chypre, et lui-même y était né. Il étudia à Jérusalem et accompagna Jésus en Chypre. Plus tard, il accompagna souvent Paul : il fit aussi une partie du chemin avec Thaddée lorsque celui-ci alla en Perse. Barnabé fut le premier qui prêcha l'Évangile à Milan. Il fut lapidé en Chypre par les Juifs et jeté sur un bûcher, mais son corps ne fut pas consumé et ses disciples lui donnèrent la sépulture. Lorsqu'on le retrouva, il avait sur la poitrine une partie de l'Évangile de saint Matthieu. Barnabé a aussi écrit quelque chose.

SAINT THIMOTHÉE

Le 24 janvier 1821, Anne Catherine qui, le jour précédent, était hors d'état de parler et semblait même au moment de succomber à une violente oppression de poitrine et à dés accès de toux convulsive, raconta ce qui suit au Pèlerin : " un saint évêque m'a secourue : il a été près de moi dès hier et toute la journée d'aujourd'hui. J'ai à côté de moi une relique de lui. Il résidait dans un endroit où a aussi résidé saint Jean ". Le Pèlerin lui répondit quelque temps après : " C'est aujourd'hui la fête de saint Timothée auquel saint Paul a ordonné de boire du vin ", sur quoi elle reprit : " Moi, je ne lui ai rien offert et pourtant il m'a secourue " ! Il se trouva qu'à cette occasion elle avait eu une vision sur toute la vie de saint Timothée, mais des dérangements extérieurs ne lui permirent d'en raconter que ce qui suit.

A l'époque où Jean fut exilé dans l'île de Pathmos, Timothée était en prison dans l'île de Chio. Tous les habitants l'aimaient et il en avait converti un nombre suffisant pour former une communauté : les soldats même qui le gardaient s'étaient attachés à lui. Il y avait dans le pays une femme de distinction qui était chrétienne, mais qui s'était rendue coupable d'un péché grave et qui avait en un prêtre pour complice. Un jour Timothée se préparait à célébrer dans une toute petite église le saint sacrifice de la messe, et il était déjà au pied de l'autel lorsqu'il vit en esprit cette personne s'approcher de l'église : il quitta alors l'autel pour aller se mettre sur la porte, reprocha à cette femme son crime et l'excommunia. Il résulta de là une persécution contre Timothée qui fut relégué en Arménie, à peu de distance du pays de Théokéno. Il fut rendu à la liberté avant que Jean eût recouvré la sienne : après cela, Paul dont il était disciple et qui l'avait fait circoncire, l'envoya en qualité d'évêque à Éphèse où Jean je visita lorsqu'il fut redevenu libre. Ce fut vers ce temps que Jean baptisa Fidèle, et, qu'accompagné des frères de celui-ci, il se rendit par Cédar en Perse où il écrivit son Évangile.

Quant à Paul, j'ai vu qu'il n'était pas grand, mais ramassé, robuste et très brun. Tout en lui annonçait la droiture, la fermeté et l'énergie, toutefois sans raideur et sans obstination. Après sa conversion il devint très doux et très affectueux, mais avec quelque chose d'austère, d'ardent et d'énergique.

Timothée fut massacré par les païens à Éphèse, lors d'une fête où ils parcouraient la ville, masqués et portants des idoles, parce qu'il avait prêché avec véhémence contre ces abominations.

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SAINT QUADRAT

10 mai 1821.

Quelques jours auparavant, Anne Catherine avait fait en esprit un voyage à Jérusalem avec un saint dont elle avait une relique à côté d'elle. Elle se souvenait seulement qu'il lui avait montré Jérusalem après la mort de saint Jacques le Mineur, d'où on pouvait conjecturer que ce devait être un contemporain des saints apôtres. Elle garda la relique près d'elle, et le 12 mai elle raconta ce qui suit.

Cette relique est de saint Quadrat, évêque d'Athènes. Dans sa jeunesse il s'appelait Ananie : ses parents étaient de la ville de Thèbes en Grèce. Lors de l'apparition du Seigneur sur la montagne voisine de Thébez, en Galilée, ils se réunirent à la communauté chrétienne. Quadrat était alors un enfant qu'on conduisait par la main, ses parents étaient encore jeunes. Lorsque Jésus, après la résurrection de Lazare, fit son voyage au pays des trois Mages, des gens qui lui étaient dévoués étant allés en Grèce pour leurs affaires ramenèrent avec eux les parents de Quadrat qui s'établirent en Galilée, dans les environs de la ville natale de Pierre. Ils y embrassèrent le judaïsme et l'enfant reçut à la circoncision le nom d'Ananie. Ils vécurent là fort retirés, et lors de l'apparition de Jésus sur la montagne de Thébez, ils se l'adjoignirent. A l'époque de la mort de Jésus, Quadrat était plus jeune que Siméon, le cinquième fils de Marie de Cléophas, qui avait alors dix Ans et avec lequel Je l'ai vu : il pouvait avoir neuf ans.

Voyez ci-dessus.

Je l'ai vu dans la suite à Éphèse près de Jean : il fut envoyé par celui-ci à Rome auprès de Pierre. Il fut aussi quelque temps avec Paul et connut sainte Thècle. Pierre l'envoya dans un endroit assez voisin d'Athènes, et plus tard il fut élu évêque de cette dernière ville. Les chrétiens y étaient opprimés et se tenaient cachés. s'étant rassemblés secrètement pour procéder à l'élection de leur évêque, ils résolurent de choisir celui sur lequel tous les suffrages se porteraient. Dans ce moment Quadrat entrait dans l'ég1ise inopinément, et tous s'écrièrent qu'ils voulaient l'avoir pour évêque. Je l'ai vu opérer beaucoup de bien. Je vis aussi l'empereur romain venir à Athènes où il avait à régler plusieurs affaires concernant le culte des idoles : on célébrait là des mystères où on se livrait à toute sorte d'infamies inspirées par le démon. Je vis plusieurs fois Quadrat et un autre encore parler à l'empereur et lui présenter des écrits. Il rendit par là de grands services à l'Eglise et la persécution se relâcha.

Je le vis plus tard quitter Athènes où il était persécuté de nouveau. Il alla dans un autre endroit dont j'ai oublié le nom et où il fonda une église. Il partit de là pour aller vivre en anachorète dans les environs d'Éphèse. J'ai vu que le chemin de la croix établi par Marie subsistait encore et que Quadrat je visita. Je l'ai encore vu vivre solitaire dans d'autres endroits, notamment dans le désert qu'avait habité Jean-Baptiste ; quelques compagnons s'y réunirent à lui. En dernier lieu, il se rendit à Jérusalem où il souffrit le martyre : j'ai oublié dans quelles circonstances. J'ai vu encore que ses ossements n'y restèrent pas et furent transportés ailleurs. Il atteignit, à ce que je crois, l'âge de cent neuf ans.

Le 26 mai Anne Catherine eut encore une vision sur toute la vie de saint Quadrat, mais elle n'en put rapporter que peu de chose. Elle dit entre autres choses : " il n'est pas arrivé à CIX ans, mais à IXC, ce qui veut dire cent ans, moins neuf ans. Il fut quinze ans évêque d'Athènes au milieu de nombreuses persécutions. Son prédécesseur se nommait Publius. Lorsque la persécution le força à quitter Athènes, une disposition de la Providence le conduisit dans l'île de Crète où Mensor, l'un des trois rois, s'était établi à une époque antérieure et avait bâti une église qui tomba en ruines après sa mort. Quadrat aussi y construisit une église dont il subsiste encore quelque chose. Il séjourna là sept ans. De l'île de Crète, il alla dans une solitude voisine d'Éphèse ou il resta quelques années avec plusieurs compagnons, parmi lesquels se trouvait le fils d'un pêcheur de Tibériade qui fut plus spécialement son disciple. Il mourut peu de temps avant saint Siméon, évêque de Jérusalem, qu'il alla visiter dans sa prison. Il m'a expliqué lui-même pourquoi saint Luc et saint Jean n'ont rien écrit touchant certains faits qui sont pourtant aussi véritables que toutes les autres choses qu'ils ont rapportées.

Siméon ne devint évêque de Jérusalem que cinq ans après la mort de Jacques le Mineur : jusque-là il n'avait que la qualité d'ancien disciple. Avant lui un cousin de Pierre qui s'appelait Joas ou Joïas, avait gouverné quelque temps l'Eglise de Jérusalem : celui-ci mourut peu après l'élection de Siméon. Siméon quitta Jérusalem avec les chrétiens avant la destruction de la ville. Il resta douze ans sans y rentrer : ensuite il fut martyrisé, quatre vingt-sept ans après la mort du Sauveur : Quadrat l'avait été trois ans avant lui.

SAINT CARPUS

12-13 octobre 1820.

C'était un homme de grande taille qui portait de longs vêtements : il était païen et natif de Troade : j'ai oublié beaucoup de choses qui le concernent. Lorsqu'il n'était pas encore baptisé, je le vis dans une grande perplexité par suite de ce qu'il avait entendu dire de la doctrine de Jésus-Christ : elle lui semblait trop difficile à pratiquer et trop au-dessus des forces humaines, et il était en proie à de grands combats intérieurs. Il était d'un naturel très passionné. Je le vis dans son impatience aller pendant la nuit sur une montagne, se dépouiller de ses habits et, revêtu seulement de son vêtement de dessous, appeler à grands cris Celui qui était la vérité, quel qu'il pût être. Pendant cette lutte intérieure et cette prière ardente, je le vis avoir une vision. Il descendit du ciel devant lui une échelle de lumière qui n'avait pas d'échelons : mais en même temps il vit sortir d'une nuée brillante un livre où était écrit en caractères lumineux ce qu'il lui fallait faire pour mettre des échelons à cette échelle où il lui semblait d'abord impossible de monter. Il lut aussi dans ce livre qu'il avait en lui-même deux ennemis à vaincre.

J'ai vu plus tard que Paul vint à Troade, le convertit et le baptisa. Je vis aussi que Paul le recommanda à Jean qui n'était pas alors à Éphèse, mais en Syrie et qu'il suivit à Jérusalem et en Perse : Jean avait avec 1ui plusieurs autres disciples. Je vis qu'il se sépara de ceux-ci et qu'ayant gal de Carpus avec lui, il s'enfonça plus avant dans la solitude. Je vis Jean écrire son Évangile, couché sous un arbre au bord du Tigre : un orage survint et Carpus ne voulait pas se séparer de lui : mais il l'envoya à Smyrne avec des recommandations par suite desquelles on le fit évêque. L'apôtre avait parlé de ce qu'il allait avoir bientôt à souffrir pour Jésus-Christ et il avait ajouté que Carpus, lui aussi, recevrait la grâce du martyre. Je vis encore beaucoup de choses touchant l'Évangile de saint Jean, comment il l'écrivit tout d'un trait et sous la dictée du Saint Esprit et comment il le reçut du Ciel sous la voûte du ciel. Je vis que la plupart du temps il ne rapporta pas les faits qui s'étaient répétés et qu'il laissa beaucoup de lacunes dans sa narration quant à l'ordre chronologique.

Je vis Carpus à Smyrne où, pendant une persécution, on l'attacha à une croix et on lui disloqua les membres avec des cordes : mais il survécut à ce supplice et alla de là à Éphèse. Il partit ensuite pour Rome ; mais il mourut dans une île, assassiné, je crois, par des ennemis secrets.

Je me souviens qu'il perdit tout son sang. J'ai oublié une partie de cette scène. J'ai vu encore Carpus avec Luc et avec Denys l'Aréopagite : je ris un échange de lettres entre lui et Paul. Il eut un très grand nombre de visions, une, entre autres, dans un moment où il était vivement irrité contre deux chrétiens qui avaient apostasié. Il vit Jésus entouré de ses anges, au-dessous de lui une fosse profonde pleines de bêtes hideuses et sur le bord les deux apostats que ces bêtes tiraient à elles pour les y faire tomber. Comme il se réjouissait de leur châtiment, il vit Jésus descendre du ciel et ses anges retirer de là ces malheureux ; puis le Seigneur lui dit : " Tu veux laisser tomber ces hommes dans la fosse, et moi je mourrais volontiers pour eux encore une fois " ! Ce qui modéra le zèle trop ardent de Carpus.

Je vis à cette occasion beaucoup de choses concernant tous les apôtres. Je vis aussi Luc dans une grande salle, couché sur un banc garni d'un dossier, près d'une table qui avait la forme d'un autel. Il peignait une tête de la sainte Vierge sur une plaque de métal jaune. C'était la face seule sans le cou : elle était peinte avec des couleurs assez pâles et avait beaucoup de ressemblance avec le portrait qui appartient au Pèlerin : c'étaient bien les mêmes yeux et la même bouche, seulement le nez me parut un peu moins long. Il me sembla aussi, lorsque je vis Luc peindre ce portrait, que celui du pèlerin sortait de mon armoire et venait à moi. Luc voulut aussi faire le portrait de Jésus ; mais comme il ne pouvait pas en venir à bout, il fut ravi en extase et, en revenant à lui, il le trouva achevé miraculeusement. Sur sa table, qui ressemblait à un autel, il y avait comme une espèce de tabernacle avec un couronnement surmonté d'une figure qui tenait quelque chose à la main : il y avait encore là une image brodée. Le tabernacle était fait de manière à pouvoir tourner sur lui-même et Luc y renfermait ses couleurs et son pinceau : c'était comme un faisceau de baguettes formant éventail. Il avait aussi sur cette table tout ce qu'il fallait pour écrire.

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SAINT CLÉMENT DE ROME

22 novembre 1819

Je vis saint Clément, qui alors était pape, peu avant la persécution dont il fut victime. Il était extraordinairement pâle et défait : il y avait sur son visage une expression de souffrance qui me rappela Notre Seigneur portant sa croix : ses joues étaient creuses et sa bouche contractée par la tristesse que lui causaient l'aveuglement des hommes et leur duplicité. Je le vis enseigner dans une salle : il était assis sur un siège et ses auditeurs étaient affectés très différemment. Les uns étaient tristes et émus ; quelques-uns feignaient seulement de l'être et ressentaient une joie secrète à la pensée des maux qui le menaçaient ; d'autres étaient hésitants et incertains. Je vis alors entrer des soldats romains qui se saisirent de Clément. Ils le traînèrent hors de la maison et le placèrent sur un chariot qui avait une tout autre apparence que les nôtres. Il était long et bas, les roues étaient comme des rondelles coupées dans un tronc d'arbre et extraordinairement épaisses : elles ressemblaient aux roulettes d'un chariot d'enfant et étaient percées de quatre ouvertures. Il y avait sur le derrière un siège couvert et sur le devant plusieurs sièges découverts. Le saint était assis par derrière : cinq à six soldats montèrent avec lui ; d'autres en plus grand nombre marchaient à côté du char. Les chevaux étaient plus petits et plus ramassés que les nôtres et tout autrement harnachés : il n'y avait pas dans leurs harnais une aussi grande quantité de courroies. Je vis le saint voyager jour et nuit : il était triste, mais plein de résignation. Quand ils furent arrivés au bord de la mer, on le fit monter sur un navire et le chariot s'en retourna. Le pape saint Martin fut aussi emmené sur un navire, avec cette différence qu'il ne fut pas mis sur un chariot, mais qu'il fut porté en litière jusqu'au bord de la mer.

C'était une contrée pauvre, déserte, stérile : on y voyait beaucoup de fosses profondes semblables à nos tourbières : tout y était triste et même On rencontrait par intervalles de rares emplacements cultivés sur lesquels étaient aussi quelques habitations. Je vis beaucoup d'excavations dans la terre, comme s'il y eût eu là des mines qu'on exploitait. Clément fut conduit dans un bâtiment composé de deux corps de logis dont l'un partait du milieu de l'autre. Tous deux étaient entourés d'une galerie soutenue par des colonnes. Clément fut conduit par une de ces galeries, d'abord dans le corps de logis où demeuraient les surveillants, puis dans celui où étaient les détenus. Ce dernier avait dans la partie supérieure des ouvertures par où il recevait l'air et la lumière et qui donnaient sur un péristyle où étaient rangées des figures nues dans diverses attitudes. Je vis souvent des gens qui priaient dans ce péristyle. Ces Figures, malgré leur nudité, n'avaient rien de choquant ; cependant le démon y résidait. Quelques unes avaient le bras relevé sur la tète, d'autres étendaient les deux bras en avant : il y en avait une qui tenait à la main un globe ou une espèce de pomme, d'autres avaient une coiffure surmontée d'un cimier élevé. Leurs poses étaient très naturelles et n'avaient rien de raide. Sur les côtés du corps de logis où habitaient les détenus la galerie était murée : il me sembla qu'il y avait là un amas de débris et aussi des ossements. L'édifice était dans n fond et les alentours étaient tristes et déserts. La mer était à une certaine distance.

J'eus une autre vision sur le tombeau de saint Clément. C'était comme un rocher que les eaux avaient découvert en se retirant. Il était au bord de la mer. mais à quelque distance. Il y avait une entrée conduisant dans une chambre intérieure où se trouvait un cercueil de pierre. Je ne vis pas s'il y avait encore des ossements. Quand la mer arrivait jusqu'à la plage, on voyait à peine la partie supérieure du rocher. Je ne sais pas si cette dernière vision ne se rapportait pas à un temps postérieur : tout était du reste comme if, l'avais toujours vu. J'eus aussi le pressentiment qu'un autre saint reposait de l'autre côté de l'île (le pape saint Martin).

(1820) Hier et aujourd'hui lorsque je partis de l'Arabie où était Jésus pour visiter le pays ou saint Clément avait souffert le martyre, j'allai toujours en descendant dans la direction du nord. Je vis saint Clément prier dans un désert et demander à Dieu de lui faire trouver de l'eau. Il partit alors du ciel un rayon qui s'étendit en forme de porte-voix : il en sortit un petit agneau qui semblait présenter avec l'une de ses pattes un bâton terminé par une pointe aiguë comme une flèche. Plus bas un autre agneau était couché par terre. Clément prit le bâton et en frappa le sol d'où jaillit une source. Les deux agneaux disparurent aussitôt. Clément avait adressé sa prière au très saint Sacrement de l'autel. tous ceux qui buvaient de l'eau de cette source se sentaient vivement attirés vers la sainte eucharistie. Clément convertit et baptisa beaucoup de personnes.

Lors de son martyre je le vis jeté au bord de la mer dans une fosse pleine de serpents ou l'on fit entrer de l'eau : mais il en sortit au moyen d'une échelle. Je vis qu'on le mit sur un poteau d'où on le précipita dans la mer, après lui avoir attaché une ancre au cou. Son corps tomba sur un fond de rocher qui se creusa et forma un tombeau que la mer laissa à découvert en se retirant. Les chrétiens firent du rocher où était le tombeau une chapelle que les eaux couvraient souvent.

Je n'ai pas vu Clément en compagnie de Paul, mais je l'ai vu souvent avec Barnabé, avec Timothée, avec Luc et avec saint Pierre. Il était romain, mais ses ancêtres étaient des Juifs de la frontière d'Égypte. Il était marié, mais avant son mariage, il reçut d'en haut l'ordre de vivre dans la continence ainsi que sa femme, qui, à ce que je crois, fut aussi martyrisée plus tard. Il fut le troisième pape après saint Pierre.

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SAINT IGNACE D'ANTIOCHE

4 août 1820.

J'ai eu une vision de saint Ignace de Loyola qui me dit que je devais aussi honorer son patron, le saint martyr Ignace dont il y avait une relique près de moi : je vis alors cette relique et toute la vie de ce bon saint dont je me rappelle encore quelque chose.

Je vis, comme je l'avais déjà vu, Jésus dans une petite ville (Capharnaüm) (voir tome IV, page 278). Il se tenait avec ses disciples sous une galerie, devant une maison, et il envoya l'un de ses compagnons dans une autre maison située vis-à-vis pour dire à une femme qui l'habitait de venir le trouver avec son enfant : cette femme vint en effet, portant dans ses bras le petit garçon qui pouvait avoir trois ou quatre ans. Lorsque l'enfant fut devant le Seigneur, le cercle formé par les apôtres, qui s'était ouvert pour le laisser passer, se resserra autour de Jésus. Jésus parla de lui, lui posa la main sur la tête, le bénit et le serra dans ses bras. La mère s'était retirée et on le lui ramena. Cet enfant était le futur martyr saint Ignace.

Je vis des scènes de sa jeunesse qui me touchèrent beaucoup. C'était un excellent enfant que la bénédiction de Jésus avait comme transformé. Je le vis souvent aller en secret à l'endroit où Jésus l'avait béni, baiser la terre et dire : " C'est ici qu'était le saint homme. "Je le vis dans ses jeux avec d'autres enfants choisir des apôtres et des disciples, aller de côté et d'autre, faire des instructions enfantines, enfin imiter le Seigneur à sa manière. Je le vis réunir les autres enfants à l'endroit où la bénédiction lui avait été donnée leur raconter ce qui s'était passé et leur faire aussi baiser la terre. Son père et sa mère vivaient encore ; je vis que la manière d'être de l'enfant fit impression sur eux et que plus tard ils devinrent chrétiens ; j'ai vu beaucoup de choses semblables de la jeunesse d'Ignace, et j'en fus singulièrement touchée. Je le vis lorsqu'il eut atteint l'âge d'homme, s'associer aux disciples du Seigneur ; il s'attacha surtout très étroitement à Jean qui l'ordonna prêtre. Lors des premières épreuves que Jean eut à subir, Ignace l'accompagna et ne voulut pas les quitter.

Il succéda sur le siège d'Antioche à Évodius qui lui-même avait succédé à Pierre, et il fut sacré évêque dans cette ville par Jean ou par Pierre lui-même, à ce que je crois. Je vis un empereur passer par Antioche : on amena saint Ignace sur son chemin et il lui demanda si ce n'était pas lui qui, comme un esprit malfaisant, excitait tant de troubles dans la ville ; Ignace lui demanda à son tour comment il pouvait traiter de démon celui qui portait Dieu en lui, qui portait Jésus dans son coeur. J'entendis encore l'empereur lui demander s'il savait à qui il parlait, et le saint lui répondre qu'il était le premier que l'esprit malin eut envoyé pour outrager le serviteur de Jésus. Alors l'empereur le condamna à être martyrisé à Rome et Ignace l'en remercia plein de joie. Je le vis conduire chargé de chaînes dans une autre ville, où on l'embarqua sur un navire. Il y avait près de lui des soldats qui le tourmentaient beaucoup. Je le vis aussi débarquer : dans les endroits par où il passait, beaucoup d'évêques et de chrétiens venaient au devant de lui, le saluaient et lui demandaient sa bénédiction. Je le vis à Smyrne chez l'évêque Polycarpe qui avait été son condisciple : ils eurent une grande joie de se retrouver ensemble et Ignace exhorta et consola tous les fidèles. Je vis que dans ses discours et ses lettres il leur demandait de prier afin que les bêtes féroces le broyassent et fussent pour lui comme un moulin, où il serait moulu ainsi que du froment pour être offert en sacrifice comme le pain très pur de Jésus-Christ. Je le vis ensuite conduire à Rome : les chrétiens, là aussi. vinrent à sa rencontre, s'agenouillèrent devant lui en pleurant et lui demandèrent sa bénédiction. Il répéta qu'il voulait être broyé et offert en sacrifice au Seigneur. Toute sa marche fut comme une marche triomphale. Aussitôt après son arrivée, on le conduisit au lieu du supplice où il demanda à Dieu que les lions le laissassent prier quelque temps. qu'ensuite ils le dévorassent tout entier, n'épargnant que son coeur et quelques ossements qui pourraient encore faire quelque chose sur la terre pour le service de Jésus-Christ. Il me fut parle à cette occasion de l'importance et de la valeur de ses reliques. Les choses se passèrent comme il l'avait demandé dans sa prière : à peine fut-il arrivé au lieu du supplice qu'il s'agenouilla et pria : bientôt les lions se précipitèrent sur lui pleins de fureur et sa mort fut très prompte. Ils le dévorèrent en quelques moments et léchèrent son sang : il ne resta de lui que quelques gros ossements et son coeur. On emmena les lions, et les spectateurs se retirèrent : mais les chrétiens accoururent et se disputèrent vivement ses ossements. En regardant son coeur ils y virent les lettres du nom de Jésus, comme sur l'écriteau de la croix, indiquées par des espèces de nerfs ou de veines de couleur bleuâtre.

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LES SAINTE MARTHE ET MARIE MADELEINE

22 juillet 1820.

J'ai Eu une grande vision touchant Marie-Madeleine. J'ai vu encore cette fois, comme je l'avais toujours vu, que Marie-Madeleine la pécheresse et la femme qui versa trois fois des parfums sur Jésus sont une seule et même personne, soeur de Marthe et de Lazare. Je l'ai vue d'abord à Béthanie dans la maison de Lazare qui était la plus grande et la plus belle de l'endroit : c'est la même que celle où j'ai vu le Seigneur prendre un repas avant d'aller pour la dernière fois à Jérusalem et où beaucoup de personnes mangèrent dans la cour et sous des galeries. Cette maison était un héritage que Lazare tenait de son père.

Je vis cette nuit le frère et les deux soeurs vivant encore ensemble. Lazare et Marthe menaient une vie très simple et faisaient beaucoup d'aumônes : Madeleine au contraire vivait dans l'oisiveté et étalait un luxe scandaleux, ce qui leur donnait beaucoup de chagrin. Elle habitait à l'étage supérieur : elle avait deux suivantes et deux serviteurs. Je la vis extraordinairement occupée de sa toilette : elle cherchait toujours à attirer les regards du public et rougissait de son frère et de sa soeur. Elle avait un siège couvert de tapis qui ressemblait à un petit trône : elle le faisait porter sur le toit en terrasse de la maison et s'asseyait là en grande parure pour recevoir des visiteurs parmi lesquels étaient plusieurs hommes et plusieurs femmes de Jérusalem. Elle était grande et forte, avait des cheveux blonds très longs et très épais, de très belles mains et un très beau teint.

Sa toilette était extraordinairement compliquée et surchargée d'ornements. Je la vis une fois assise sur cette plate-forme : elle avait sur la tète une coiffure garnie de perles et faite d'une étoffe d'un gris jaunâtre qui ressemblait à de la dentelle ; tout cela entremêlé de perles, d'objets brillants et de boucles de cheveux artistement frisés. Du haut de cette coiffure tombait par derrière jusqu'à terre un long voile transparent. Elle avait autour du cou une collerette très ouvragée dont les plis montaient jusqu'au menton. Sa poitrine était serrée dans une espèce de corset d'une étoffe luisante brochée de fleurs rouges et blanches : la jupe de même étoffe était plissée transversalement. Elle portait en outre une robe de dessus à fleurs d'or, qui ne fermait que sous la poitrine. Les manches froncées aux épaules, étaient attachées au-dessus et au-dessous du coude par de larges fermoirs de perles : enfin aux coudes et aux poignets pendaient de longs festons dont la couleur tirait sur le jaune et qui avaient l'air de dentelles. La robe avait une longue queue. Dans cet attirail qui lui permettait à peine de se mouvoir, Madeleine; elle avait tout l'air d'une poupée.

Peu après l'ascension de Jésus-Christ, Madeleine s'était retirée dans le désert, un peu au delà de l'endroit où avait résidé Jean-Baptiste. Au commencement elle s'arrêtait dans des lieux où il y avait quelques cabanes dont les habitants lui procuraient des aliments. Elle avait des vêtements qui l'enveloppaient tout entière. Ensuite elle s'enfonça plus avant dans un, contrée sauvage hérissée de rochers et vécut loin des hommes dans une grotte : je vis alors que Satan cherchait à l'effrayer en lui apparaissant sous la forme d'un dragon et qu'il vomissait des flammes sur elle, mais elles se retournaient toujours contre lui et il était obligé de se retirer. Dans les premiers temps la Mère de Dieu résida à Béthanie près de Marthe et de Lazare. Lazare se tenait caché le plus souvent et ne se montrait que la nuit. Personne ne s'attaquait à la sainte Vierge Marie. Plus tard elle alla à Éphèse. Lazare s'était tout à fait adjoint aux disciples. Trois ou quatre ans après la mort du Sauveur, Marthe et lui furent mis en prison par les Juifs : Madeleine ayant voulu leur rendre visite pendant la nuit, on se saisit aussi d'elle sur le chemin. Avec Lazare qui avait été ordonné prêtre, on arrêta encore un jeune homme nommé Maximin et un autre dont j'ai oublié le nom, puis Marcelle, ancienne servante de Madeleine et la servante de Marthe. Ils étaient sept : trois hommes et quatre femmes. Je vis les Juifs les conduire au bord de la mer, avec toutes sortes de mauvais traitements, et les faire monter dans une petite embarcation dont les planelles étaient toutes disjointes et qui n'avait ni voiles, ni rames. On l'amarra à un plus grand navire qu'on conduisit en pleine mer et là on la détacha. Je vis cette barque, pendant que Lazare et ses compagnons priaient et chantaient des cantiques, aborder sur les côtes de France dans un endroit où les flots venaient mourir doucement sur la plage. Ils débarquèrent et repoussèrent loin du bord leur petite embarcation. Je les vis faire plus d'une lieue avant d'arriver à une grande ville où ils entrèrent. Leur traversée s'était faite avec une vitesse miraculeuse. Ils n'avaient avec eux que quelques unes de ces petites cruches qu'on porte ordinairement sur soi dans la Palestine et où ils trouvèrent de quoi se désaltérer. Je les vis arriver dans la grande ville de Massilia. Personne ne les molesta : on les regarda, mais on les laissa passer. Je vis qu'on célébrait la fête d'une fausse divinité et que les sept étrangers s'assirent sous le péristyle d'un temple situé sur une grande place. Ils restèrent là longtemps, et quand ils se furent un rafraîchis à l'aide de leurs petites cruches, Marthe, la première, adressa la Parole au peuple qui se rassemblait autour d'eux, raconta comment ils étaient venus et dit aussi quelque chose de Jésus. Son discours fut très animé et très vif. Je vis plus tard que le peuple leur jeta des pierres pour les chasser de là : mais les pierres ne leur firent aucun mal et ils restèrent tranquillement assis à la même place jusqu'au lendemain matin. Les autres aussi s'étaient mis à parler et déjà plusieurs personnes leur montraient de la sympathie. Le lendemain, je vis sortir d'un grand édifice qui me fit l'effet d'une maison de ville, des gens qui vinrent leur adresser diverses questions : ils restèrent encore toute la journée sous le péristyle et s'entretinrent avec les passants qui se rassemblaient autour d'eux. Le troisième jour on les conduisit à cette maison devant le magistrat : je vis alors qu'on les sépara. Les hommes restèrent près du magistrat ; les femmes se rendirent dans une maison de la ville : on leur fit un bon accueil et on leur donna à manger. Je vis qu'ils prêchaient l'Evangile là où ils allèrent et que le magistrat fit notifier par toute la ville qu'on ne les maltraiter en rien. Je vis que bientôt beaucoup de personnes se firent baptiser : Lazare baptisa dans un grand bassin qui se trouvait sur la place, devant le temple, et le temple ne tarda pas à être fort délaissé. Je crois que le premier magistrat de la ville fut de ceux qui reçurent le baptême. Je vis aussi qu'ils ne restèrent pas longtemps réunis dans cette ville où Lazare continua à prêcher l'Évangile en qualité d'évêque.

Madeleine se sépara de tous les autres et se retira dans une solitude assez éloignée : elle y avait une grotte pour demeure.

Marthe se retira avec Marcelle et l'autre servante dans une contrée sauvage, couverte de rochers et située plus à l'est. Il y avait là plusieurs femmes qui s'étaient bâties de petites cabanes adossées à des cavernes. Elle y reçut d'elles un très bon accueil et dans la suite il s'établit là un couvent.

J'ai vu aussi où étaient allés les hommes qui étaient avec Lazare, mais je l'ai oublié. J'ai vu plusieurs fois Madeleine aller à moitié chemin de sa retraite à la rencontre de l'un d'eux (c'était je crois, Maximin), qui lui donnait la sainte communion. Marcelle avait été au service de Madeleine pendant qu'elle menait encore une vie mondaine. Les femmes auxquelles Marthe se joignit étaient, comme elle, des personnes bannies de leur pays.

Le troisième des hommes qui étaient venus avec Madeleine s'appelait Chelitonius : c'était l'aveugle né guéri par Jésus ; Il était resté constamment avec les disciples, une vision touchant sa guérison m'a fait savoir qui il était. J'entendis prononcer son nom.

Je vis sainte Marthe lorsqu'elle eut quitté Massilia : accompagnée de Marcelle, de l'autre servante et de quelques femmes qui s'étaient attachées à elles, elle était arrivée dans une contrée sauvage, d'un accès difficile, où plusieurs femmes païennes habitaient des cabanes adossées aux autres des rochers. C'étaient des captives que les gens du pays avaient enlevées pendant une guerre et qu'ils avaient établies là : elles étaient soumises à une surveillance particulière. Marthe et ses compagnes s'établirent dans leur voisinage : elles se construisirent d'abord de petites cabanes près des leurs : plus tard elles bâtirent un couvent et une église. L'église, au commencement, n'avait que les quatre murs avec une toiture en branches tressées recouvertes de gazon : toutes y travaillèrent. Elles convertirent d'abord les captives dont quelques-unes s'adjoignirent à elles : d'autres au contraire leur donnèrent beaucoup de chagrins et par des dénonciations perfides attirèrent sur elles des persécutions de toute espèce de la part des habitants du pays.

Il y avait dans le voisinage une ville qui s'appelait Aquae à ce que je crois. Il semblait avoir là des sources d'eau chaude, car on voyait de ce côté s'élever continuellement des masses de vapeur.

NOTE : Aquae Sextia, aujourd'hui Aix.

J'ai vu Marthe près d'un fleuve très large, faire périr un monstre qui se tenait dans ce fleuve et qui faisait beaucoup de ravages. Il renversait les barques ; souvent aussi il venait à terre et dévorait des hommes et du bétail. C'était comme un porc d'une grandeur démesurée : il avait une tête énorme, des pattes très courtes, semblables à celles d'une tortue, la partie inférieure du corps comme celle d'un poisson, et des ailes membraneuses garnies de griffes. Marthe le rencontra dans un bois sur le bord du fleuve, comme il venait de dévorer un homme. Il y avait plusieurs personnes avec elle. Elle dompta le monstre en lui jetant sa ceinture autour du cou au nom de Jésus, puis elle l'étrangla. Le peuple l'acheva à coups de pierres et d'épieux. Je la vis souvent prêcher l'Évangile devant un nombreux auditoire, soit en plein champ, soit au bord du fleuve. Elle avait coutume alors, avec l'aide de ses compagnes, d'élever avec des pierres une espèce de tertre sur lequel elle montait. Elles disposaient ces pierres en forme de degrés : l'intérieur était creux comme un caveau : elles plaçaient en haut une large pierre sur laquelle Marthe se tenait. Elle faisait ce travail mieux qu'un maçon de profession, grâce à son activité et à son adresse extraordinaire.

Je la vis un jour prêcher au bord du fleuve du haut d'un de ces amas de pierres : un jeune homme qui était sur l'autre rive voulut traverser la rivière à la nage pour venir l'entendre : mais le courant l'emporta et il se noya. J'eus alors une vision où je vis les gens du pays lui adresser force injures à ce sujet et lui reprocher en outre d'avoir converti à sa foi les femmes esclaves. Je vis aussi le père du jeune homme noyé retrouver son corps le lendemain, l'apporter devant Marthe en présence d'une foule nombreuse et lui dire qu'il croirait à son Dieu si elle rendait la vie à son fils. Je vis alors Marthe lui ordonner au nom de Jésus de revenir à la vie : il ressuscita en effet et se fit chrétien ainsi que son père et plusieurs autres : toutefois il y eut des gens qui traitèrent Marthe de magicienne et la persécutèrent. Je vis aussi qu'un de ceux qui étaient venus de la Palestine avec elle (c'était je crois, le disciple Maximin), s'était établi dans le voisinage : il visitait Marthe en qualité de prêtre et lui donnait la sainte communion. Marthe travailla beaucoup à propager l'Evangile et opéra un très grand nombre de conversions.

Madeleine était plus à l'ouest dans une grotte presque inaccessible et elle faisait une rude pénitence. Lazare était encore à Marseille. J'ai vu que Madeleine mourut peu de temps avant Marthe. Sa grotte était dans une montagne sauvage dont les sommets faisaient de loin l'effet de deux tours penchées. Cette grotte s'appuyait sur des piliers formés par la nature et il y avait dans les parois des trous où l'on pouvait placer divers objets. Il s'y trouvait un autel de gazon surmonté d'une grande croix formée naturellement par des branches qui avaient poussé là. Il n'y avait pas d'image du Sauveur : une couronne était suspendue au milieu. La couche de Madeleine n'était pas dans la grotte, mais à coté dans une paroi de rocher ou elle l'avait taillée elle-même. C'était comme un tombeau pratiqué dans la montagne et on pouvait la fermer avec une porte en clayonnage. Elle n'était pas facile à trouver.

Je vis Madeleine étendue sur cette couche après sa mort. Elle était couverte d'un vêtement de feuilles et portait sur la tête une sorte de bonnet fait aussi avec des feuilles. Ses cheveux étaient roulés autour de sa tête une partie seulement retombait sur le derrière du cou. Elle était couchée s~ le des et tenait une croix entre ses bras qui étaient croisés sur sa poitrine. Elle n'était pas maigre, elle avait plutôt de l'embonpoint, seulement sa peau était brunie et durcie par les intempéries de l'air. Il y avait par terre auprès d'elle deux petits plats d'argile fort propres. La porte qui fermait la couche avait été retirée. Je vis arriver deux ermites portant des bâtons entre lesquels une grande couverture était assujettie avec des cordes. Ils enveloppèrent décemment le corps et le portèrent assez loin delà au couvent de sainte Marthe. Madeleine avait encore une couverture de couleur brune.

Anne Catherine raconta en outre qu'elle avait vu une église bâtie par Maximin conservait des reliques de Madeleine : sa tête à laquelle il manquait une mâchoire et où il restait encore un peu de chair d'un côté, un de ses bras, des cheveux et aussi un vase avec de la terre : mais elle ne savait pas ce que c'était que cette terre. Elle avait vu d'autres endroits où il y avait de ses reliques.

Madeleine aussi a dompté un dragon qui s'était placé devant sa grotte comme s'il eut voulu y entrer. J'ai vu souvent des dragons. Ils sont autrement conformés que les lézards ailés ou les crocodiles leur corps est plus arrondi : il a une croupe recourbée et quelque ressemblance avec celui du cheval. Ils ont le cou épais, sans être court, la tête large et longue ; leur gueule est effrayante, et s'agrandit beaucoup lorsqu'elle s'ouvre, car elle est garnie des deux côtés d'une large peau plissée et pendante. A la jonction des épaules et de la poitrine sont attachées des ailes membraneuses semblables à celles de la chauve-souris. Leurs jambes ne sont pas plus grosses qu'une jambe de vache : la partie supérieure en est courte : ils ont de longues griffes et une longue queue. Lorsqu'ils volent ils replient leurs pieds de devant sous le ventre et étendent les pieds de derrière. Ils volent ordinairement droit devant eux : je les ai vus pourtant s'enlever par-dessus de grandes forêts de cèdres.

Ces animaux ont quelque chose d'affreux, de diabolique. Je ne les ai jamais vus en grand nombre : je n'ai pas vu non plus de nids où ils eussent leurs petits. Je ne les ai vus que dans des contrées tout à fait sauvages et désertes, au milieu de rochers affreux et dans de grandes cavernes ; quelquefois aussi au pied de vieux arbres ou au bord de fleuves et de lacs solitaires. Les plus grands que j'aie vus avaient la grosseur d'un poulain : d'autres celle d'un porc. Ils n'attaquaient que les hommes isolés. Je vis souvent sortir de leur gosier comme un trait de feu qui tombant à terre se changeait en une noire vapeur.

Dans les temps anciens, surtout avant Jésus-Christ, le règne animal produisait parfois des êtres différents de ceux que nous connaissons. Dans les temps plus rapprochés de nous, je n'en ai vu aucun.

È

SAINTE VÉRONIQUE

4 février 1821.

Le nom de Véronique était Séraphia. Elle était fille d'un frère de Zacharie d'Hébron. Elle avait en outre des rapports de parenté avec le vieux Siméon et connaissait les fils de celui-ci, lesquels tenaient de leur père une inclination pour le Messie qui restait toujours un secret entre eux. Véronique n'était plus une enfant lorsque Jésus, à l'âge de douze ans, resta dans le temple à Jérusalem : toutefois elle n'était pas encore mariée. Les parents de l'enfant Jésus le cherchèrent pendant deux jours parmi leurs proches et leurs amis : il était resté à Jérusalem avec quatre jeunes gens plus âgés que lui, et quand il n'était pas au temple, il se tenait dans cette maison située devant la porte de Bethléhem, où Marie, avant la purification, avait passé avec lui un jour et deux nuits chez de vieilles gens. Je vis Véronique lui faire porter là à manger. Cette petite hôtellerie était une espèce de fondation : elle se trouvait à l'est de la montagne des Oliviers. Jésus et les disciples y trouvaient souvent un asile. Je vis que Jésus, lorsqu'il enseigna dans le temple pendant les jours qui précédèrent sa Passion, y fut souvent nourri en secret par Véronique : cette maison était habitée par d'autres personnes.

Le mari de Véronique s'appelait Sirach et descendait de la chaste Suzanne. Au commencement il était opposé aux chrétiens et enfermait souvent Véronique lorsqu'il s'apercevait des soins qu'elle se donnait pour leur venir en aide. Ils avaient trois enfants dont deux furent du nombre des disciples. Sirach fut converti par Joseph d'Arimathie.

Quant au saint suaire, j'ai vu que c'était un de ces linges comme on en portait autour du cou et comme on en avait souvent un second sur les épaules. Véronique en avait un sur les épaules lorsque Jésus passa portant sa croix. On présentait un de ces linges à quelqu'un pour lui témoigner sa sympathie, la part qu'on prenait à son affliction. Lorsque Véronique vit le Seigneur si défiguré et sa face ensanglantée, elle courut à lui en toute hâte et lui essuya je visage qui s'imprima sur un côté du linge avec les marques sanglantes des plaies qui couvraient son front et tout son visage. Véronique n'est jamais allée à Rome. Le suaire resta en la possession des saintes femmes ; lorsque Marthe et Madeleine furent bannies de la Palestine, il passa e litre les mains de la mère de Dieu, puis il fut porté à Rome par les apôtres. Pendant cette persécution qu'eurent a subir Lazare et ses soeurs, Véronique qui était une grande femme de belle apparence, eut aussi beaucoup à souffrir. Ils prirent la fuite, mais on se saisit d'eux, et Véronique mourut de faim en prison.

SAINTE THECLE

22-23 septembre 1820 et 23 septembre 1821.

Lorsque je reçus hier la relique de Sainte Thècle, je vis la sainte descendre d'en haut vers moi : elle était comme revêtue de lumière et portait à la main une branche couverte de fleurs d'un blanc jaunâtre qui étaient fermées. Elle me dit en montrant la relique : " C'est une parcelle de mes ossements ". Je vis après cela jusqu'au soir diverses scènes de sa vie, et ce matin tout son martyre me fut montré dans une vision qui dura à peu près une heure.

Je vis d'abord Thècle dans la maison de ses parents à Iconium : elle était de taille moyenne, ses cheveux étaient bruns. Son visage était grave et beau : elle n'avait pas le teint fleuri, mais brun. Son front et son nez formaient presqu'une ligne droite. Elle avait dans toute sa personne quelque chose de pieux et de grave et portait une longue robe de laine blanche avec une large ceinture dont les extrémités étaient courtes par devant : cette robe était relevée par endroits et formait des plis nombreux. Ses manches étaient larges et attachées avec des rubans cannelés au milieu et garnis de perles sur les bords. Ses cheveux partagés en trois parties et entremêlés d'une étoffe transparente qui brillait comme de l'argent, étaient masses à droite, a gauche et sur le derrière de la tête.

Je la vis d'abord dans la maison de ses parents avec son père, sa mère et son fiance qui était un grand homme de très bonnes manières. Elle avait avec lui les façons les plus amicales. La maison était comme celles de l'ancien temps, bâtie autour d'une cour avec des galeries soutenues par des colonnes. Devant la maison il y avait encore une autre cour entourée d'un mur au haut duquel était une terrasse avec une balustrade à hauteur d'appui. Au-dessus de cette terrasse étaient tendues des tapisseries pour préserver du soleil.

Paul était à Iconium avec un disciple : ce n'était pas Barnabé, autant que je m'en souviens. Il y avait dans la ville une synagogue : mais Paul enseignait aussi publiquement dans des maisons où il avait des amis et même au dehors. Ce fut ainsi qu'il prêcha sur une extrade à l'entrée d'une maison qui faisait face à celle de Thècle. Il avait un nombreux auditoire parmi lequel se trouvaient des jeunes filles. Il enseigna sur le mariage et dit entre autres choses : " Celui qui se marie ne pèche pas, mais celui qui ne se marie pas, fait mieux ; etc ". Thècle était assise sur la terrasse et elle entendit ces paroles de l'autre côté de la rue. Les jeunes filles de la ville venaient souvent s'asseoir ainsi sur leurs terrasses, parées de toute espèce d'atours, innocemment ou à mauvaise intention. Thècle fut très émue des paroles de l'apôtre. Après ce discours, Paul fut mis en prison.

Je vis qu'on préparait les présents de noces de Thècle, qu'un envoyé de son fiance la visita et qu'elle renonça à lui. Je la vis une fois seule dans sa chambre : elle avait un rouleau d'écritures de l'épaisseur du doigt dans lequel elle lisait : c'était un écrit de Paul dans lequel il était question du mariage et de la virginité. Cette lecture l'émut beaucoup. Elle joignit les mains et pria, prit sur sa poitrine un bijou qu'elle avait reçu de son fiancé, puis en prit un autre sur son épaule droite ou à son oreille c'était comme une pierre blanche avec un petit orne ment dessus. Elle mit tout cela dans une cassette où étaient renfermés plusieurs autres joyaux. Vers le soir je la vis, ayant sur le bras un voile de couleur sombre, quitter la maison et aller dans la ville à la recherche de quelqu'un. Elle rencontra un homme qu'elle connaissait, auquel elle remit ses bijoux. Lorsqu'elle fut de retour chez elle, cet homme vint lui apporter de petites plaques de métal carrées. Je la vis, accompagnée d'un serviteur, se glisser dans l'obscurité jusqu'à la prison de Paul. Elle avait la tête enveloppée d'un voile brun ; elle longea des murs épais et passa sous des arcades. Il y avait là des gardes auxquels elle ne parla pas : mais elle rencontra un homme qui semblait être le geôlier en chef et auquel elle donna de l'argent. Je vis celui-ci prendre une lampe et conduire Thècle dans la prison : il resta sur le seuil de la porte pour l'éclairer. Saint Paul n'était pas enchaîné : il était enveloppé dans un grand manteau. La prison était spacieuse : Paul avait près de lui des rouleaux d'écritures. Thècle s'entretint avec lui, lui exposa sa situation et les pensées qui l'agitaient. L'apôtre lui donna plusieurs explications : puis elle s'agenouilla et il la baptisa avec l'eau d'un flacon qu'il portait dans les plis de sa robe. Alors une lumière descendit d'en haut et les environna tous les deux. Le geôlier vit cela, et plus tard lui aussi se fit chrétien. Je vis Thècle quitter la prison et rentrer chez elle : j'eus alors des visions où je la vis renoncer à toute espèce de parure, se voiler entièrement et déclarer à ses parents et à son fiancé qu'elle était chrétienne et voulait rester vierge. Je vis là-dessus sa mère hors d'elle-même : Thècle fut conduite dans la maison d'une femme qui devait, à ce qu'on espérait, la faire changer de sentiment, mais elle n'y réussit pas Cette femme s'appelait Tryphène Je vis ensuite Thècle traduite devant le tribunal comme chrétienne sur l'accusation de sa Propre mère, puis interrogée, condamnée, jetée en prison et enfin conduite au lieu du supplice. On l'avait dépouillée de tous ses vêtements. mais un nuage vint l'entourer et lui servir de voile : on la fit passer au milieu d'un cercle de valets de bourreaux qui la frappèrent à coups de verges jusqu'à ce qu'elle tombât par terre. Je la vis plus tard attachée à un poteau et déchirée avec des ongles de fer : ses longs cheveux pendaient autour de son corps ensanglanté. On alluma un bûcher : quand on l'eût détachée du poteau, elle y sauta d'elle-même et resta les bras étendus au milieu des flammes qui l'environnaient sans lui faire de mal et qui bientôt s'éloignèrent d'elle. Puis la pluie se mit à tomber si abondamment que tout le monde s'enfuit du lieu du supplice et que le feu s'éteignit. Thècle pouvait s'enfuir : elle n'en fit rien et se laissa ramener en prison. Beaucoup de gens se convertirent. Je la vis priant la nuit dans son cachot : je Vis aussi saint Paul lui apparaître, la consoler et guérir toutes ses blessures. Paul alors n'était plus prisonnier : on avait écrit à Rome, je crois, à son sujet et il avait été mis en liberté.

Je vis de nouveau conduire Thècle de la prison au tribunal et de là dans une enceinte circulaire où elle devait combattre contre les bêtes féroces. On la dépouilla encore de ses vêtements et sa pudeur fut encore protégée miraculeusement. On attacha à ses côtés avec des chaînes un ours et une lionne. Elle avait une chaîne de chaque côté du corps et une à chaque bras, et ces quatre chaînes retenaient près d'elle les deux bêtes féroces. Une secousse violente qu'elles lui donnèrent la fit tomber a la renverse. Alors la lionne brisa les chaînes sans faire aucun mal à la sainte : elle marcha dessus et passa sa tête au-dessous en sorte qu'elles se rompirent. L'ours était assis à quelque distance, plein de rage, mais intimidé : la lionne se jeta sur lui et l'étrangla, puis, comme un chien caressant, elle revint à Thècle qui s'était débarrassée de ses chaînes et se mit à lui lécher les pieds, pendant que la sainte la dressait et lui passait la main sur la tête et même dans la gueule. Tout le peuple cria au miracle, le juge déclara qu'il ne ferait plus rien contre elle et se convertit.

Mais d'autres conduisirent Thècle couverte d'une souquenille brune dans le voisinage d'un cours d'eau. Il y avait là une profonde citerne revêtue en maçonnerie au fond de laquelle il y avait de la vase toute remplie d'affreux serpents. Les valets du bourreau s'étant saisis de la sainte pour l'y précipiter la tête la première, elle s'échappa de leurs mains, fit le signe de la croix sur la citerne et sauta dedans : mais les serpents se retirèrent devant elle et se serrèrent contre les parois. Alors les bourreaux ouvrirent une écluse et la citerne se remplit de l'eau de la rivière voisine ; mais Thècle s'éleva avec l'eau sans quitter la position verticale et n'en ayant que jusqu'à mi-corps. Les serpents de leur côté grimpèrent contre les parois sans se rapprocher d'elle et l'on fut obligé d'arrêter l'eau, car autrement ils seraient sortis et se seraient jetés sur le peuple. La pieuse vierge qui n'avait eu aucun mal rendit grâce à Dieu : on la retira de là et il y eut beaucoup de conversions. Elle fut alors ramenée chez Tryphène qui se convertit, elle aussi.

Comme après tout cela beaucoup de personnes et surtout de jeunes filles venaient se joindre à Thècle, on la bannit de la ville et je la vis parmi des rochers dans une grotte couverte de gazon. Plusieurs femmes et jeunes filles l'avaient suivie. Elle était tout enveloppée dans un vêtement de couleur brune : elle avait sur la tête un capuchon qui lui couvrait le cou et la poitrine et qui faisait des plis quand elle tournait la tête. La grotte était dans un lieu très retiré. Je la vis errer dans les environs et mendier sa subsistance. Elle instruisait les gens du voisinage sans faire d'éclat, priait auprès des malades et les guérissait par l'imposition des mains. Elle faisait tout cela très simplement et sans s'attribuer aucune autorité, mais comme une personne pieuse favorisée de grands dons sur naturels. Plus tard je la vis à Séleucie chez cette même Tryphène dont il a déjà été parlé. Elle partit de la pour aller rejoindre saint Paul et elle fit des prédications ; mais il la renvoya, disant que cela n'était pas convenable. Une fois pourtant il lui fit une visite.

23-24 septembre. — Je vis cette nuit sainte Thècle avec environ sept autres femmes et jeunes filles établie près de Séleucie dans un ermitage très bien arrangé. Plusieurs cellules très propres avaient été pratiquées dans des rochers formant une enceinte semi-circulaire. Au milieu de cette enceinte était une colonne hexagone ou octogone soutenant un toit qui abritait tout l'espace compris entre la colonne et les cellules : il était couvert de gazon et de verdure. La partie antérieure était fermée par des arbres et des rochers : il y avait des deux côtés une entrée étroite. Le toit s'appuyait sur ces arbres et s'engageait dans leurs branches. La lumière arrivait dans l'enceinte couverte et dans les cellules par des ouvertures pratiquées dans le haut du toit. Tout cet ensemble avait beaucoup de grâce, d'élégance et de distinction. Les cellules étaient taillées dans des roches veinées de diverses couleurs : il y avait dans chacune un banc recouvert de mousse sur lequel ces femmes dormaient : on y avait aussi pratiqué des niches où se trouvaient des croix de bois ayant cette forme \I/ : quelques-unes portaient une image du Christ qui semblait découpée dans du parchemin ; sur d'autres c'était une image faite à l'aiguille ressemblant un peu à une poupée. Ces niches se fermaient au moyen de trappes, qui en s'abaissant, présentaient une petite table devant l'image. Je vis en outre chez les habitantes de l'ermitage des verges et des cordes de crin dont elles se servaient pour se mortifier. Je vis des petits plats bruns qui semblaient façonnes avec de la terre, mais pas de foyers pour faire du feu : je crois qu'elles ne mangeaient que des fruits et des aliments crus. Les portes des cellules étaient en clayonnage. Il y avait une source devant l'ermitage. Autour de la colonne centrale régnait un ressaut formant une espèce d'autel : elle était entièrement revêtue de tapis sur lesquels étaient brodées à l'aiguille des figures d'un travail fort simple, représentant entre autres certains apôtres et la sainte Vierge. Il me parut aussi qu'il y avait à l'intérieur de cette colonne comme une espèce d'armoire : je ne me rappelle plus ce qu'on y renfermait. Thècle et ses compagnes priaient ensemble autour de cette colonne. Une de leurs occupations était de tresser des couvertures.

Je vis Thècle, qui n'avait que dix-sept ans à l'époque de son martyre, couchée ici sur son lit de mort à l'âge de quarante. Ses compagnes étaient agenouillées autour d'elle et un prêtre, qui me parut aussi être un anachorète, lui donna la communion. Il portait la sainte Eucharistie dans une boîte oblongue de forme quadrangulaire, laquelle s'ouvrait à moitié. C'était un morceau de pain de forme ovale enveloppé dans un linge. Le prêtre avait une longue barbe et le corps ceint d'une corde. Thècle ne mourut pas tout de suite ; avant d'expirer elle resta longtemps encore étendue sur sa couche, silencieuse et immobile comme la sainte Vierge Marie au moment de sa mort. Plus tard j'eus une vision touchant ses funérailles. Ses compagnes l'enveloppèrent entièrement avec des bandelettes, comme on le faisait pour les morts dans ce pays. On la coucha sur une planche et celle-ci fut placée sur une autre qui était garnie de poignées pour l'aider à la porter. On déposa ensuite le corps dans une grotte sépulcrale où plusieurs autres reposaient déjà. Je crois que par la suite on bâtit là une chapelle.

Je me souviens encore que, me trouvant dans une chapelle près de son tombeau, la sainte m'apparut, me revêtit d'un vêtement blanc et me mit notamment sur la tête une coiffe blanche, très belle quoique fort simple et semblable à un capuchon qui recouvrait aussi la poitrine : elle était élégamment plissée et cachait presque entièrement je visage. J'ai oublié pourquoi Thècle m'habillait ainsi, mais je crois qu'il s'agissait d'une mission que je devais remplir quelque part dans ce costume pour n'être pas reconnue.

La pieuse Anne Catherine avait vu toute la vie de sainte Thècle, mais elle ne put communiquer que ce qui précède. Il lui fut dit encore que sainte Thècle, en qualité de première martyre, avait été comparée à la sainte Vierge par des Pères de l'Église.

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L'INVENTION DE LA SAINTE CROIX PAR SAINTE HÉLÈNE

2 mai 1820.

J'ai vu souvent cette scène dans le cours de ma vie, spécialement dans ma jeunesse : je voyais à cette occasion tous les lieux et tous les chemins avec les changements qu'ils avaient subis : mais je ne m'en rappelle plus que peu de chose. J'étais alors tellement occupée du chemin sacré de la croix et du saint Sépulcre que, par un effet de la bonté de Dieu, je les voyais habituellement dans le plus grand détail. Le jardin du saint Sépulcre descendait en pente douce, à partir de l'éminence qui renfermait le caveau sépulcral. Je vis un jour raser cette éminence et jeter dans le jardin la terre qu'on en avait retirée : tout fut comblé et obstrué par de nouvelles constructions. Cette nuit encore j'ai vu en vision tous ces saints lieux : la montagne du Calvaire et le tombeau avaient subi des changements qui les rendaient méconnaissables : beaucoup de chemins étaient encombres et coupés par d'autres. La montagne du Calvaire, autour de laquelle s'élevaient jadis d'autres collines entremêlées de sites agréables était notablement abaissée et la plate-forme qui la terminait très élargie. Je vis sur l'emplacement du saint Sépulcre un temple dans le haut duquel étaient pratiquées des ouvertures rondes. Les chemins qui conduisaient là n'étaient plus les mêmes : en quelques endroits les pentes douces étaient coupées à pic et l'on voyait du sable blanc et des pierres blanches. Il y avait aussi à l'entour de méchantes cabanes et des constructions élevées terminées en pointe. Je vis aujourd'hui tout cela au commencement de la vision : mais plus tard quand je vis Hélène faire faire des fouilles pour retrouver la croix, le temple était démoli. Je me souviens d'après une vision antérieure que lors de cette démolition je vis un vent d'orage déjouer la mauvaise volonté des ouvriers employés à ce travail, en balayant par-dessus leur tête d'énormes nuages de poussière et de débris et en déblayant ainsi ces saints lieux qu'ils auraient volontiers laissés enfouis sous les décombres.

J'ai aussi vu le saint Sépulcre dans d'autres circonstances très diverses : à une certaine époque il n'y avait au-dessus qu'une petite coupole ronde. Je le vis déjà en honneur lorsque l'entrée était encore comme dans le principe en face de la couche où avait reposé le corps. Plus tard je vis cette entrée murée : on y avait adossé une petite construction où étaient déposés des objets sacrés. Maintenant l'entrée n'est plus la même qu'autrefois : on entre du côté où reposait la tête de Notre Seigneur.

Cette nuit, hier au soir et même déjà dans la journée, je vis une grande femme d'un port majestueux, très verte encore quoiqu'avancée en âge, et portant sur la tête un voile qui recouvrait une petite couronne, visiter les unes après les autres, comme pour y faire des recherches, de misérables habitations et des caves obscures attenantes au mur d'enceinte de Jérusalem. Je vis aussi un vieux Juif à longue barbe, petit et maigre, tout enveloppé dans une fourrure parsemée de longues queues d'animaux, se glisser successivement de l'une de ces maisons dans l'autre pour échapper aux recherches de cette femme. Je la vis une autre fois convoquer toute une assemblée de Juifs. J'eus encore, au milieu des tourments de cette nuit sans sommeil, une vision où je vis cette même femme, accompagnée du vieux Juif et de deux hommes qui portaient un instrument à forer de très grande dimension, se rendre au lieu où était enfouie la sainte croix. Le temple paien était déjà démoli. Le vieux Juif ne savait pas bien exactement où il fallait fouiller : on sonda d'abord en décrivant un cercle, et puis en se rapprochant de plus en plus du centre jusqu'au moment où l'instrument donna une indication dont je ne me souviens plus. Ce fut là qu'on commença les fouilles. Je vis l'impératrice Hélène lorsqu'elle arriva à cet endroit, déposer sa couronne et laisser flotter ses cheveux : elle retira aussi quelque chose de son cou et de sa poitrine, ôta sa chaussure et déposa tout cela sur une pierre blanche très propre qui se trouvait là. Il leur fallut creuser profondément avant de rien rencontrer. Ils trouvèrent d'abord la croix d'un des larrons, puis à peu de distance la croix de Jésus-Christ, puis enfin une autre croix. Je n'ai jamais pu comprendre qu'on raconte qu'ils ne purent pas distinguer la sainte croix des deux autres, car j'y ai toujours vu une grande différence Les croix des larrons étaient faites de pièces de bois rondes : les traverses étaient assujetties par un coin en bois qui faisait saillie. La croix du Christ, au contraire, était faite d'une pièce de bois régulièrement équarrie, et qui avait un peu plus de largeur que d'épaisseur : on y avait ajusté des bras qui s'élevaient obliquement en forme d'y. Il y avait en outre une planchette pour les pieds, fixée par un gros clou qui était je crois rivé par derrière. Lors de l'invention de la croix, je vis cette planchette retournée. Ils dressèrent la sainte croix et Hélène l'embrassa. Je vis qu'ils démontèrent les deux autres croix, et les laissèrent là comme du bois mutile : je me disais alors dans ma simplicité qu'ils auraient bien du conserver celle du bon larron. Je ne me souviens pas d'avoir vu trouver aujourd'hui l'écriteau ni les clous : mais cette vision a été interrompue par trop de souffrances pour que j'aie pu tout remarquer. Ce dont je me souviens encore, c'est que le peuple accourut en foule et qu'on plaça sur le chemin des soldats chargés de maintenir l'ordre. Je vis aussi transporter la croix en grande pompe : on amena sur son passage des boiteux et des malades qu'on soutenait sous les bras ou qu'on portait sur des civières, ils furent guéris par son attouchement. Je crois qu'on a considéré ces miracles comme servant à constater que c'était bien la vraie croix, mais non comme un moyen de la distinguer des deux autres.

Le 18 août 1820, jour de la fête de sainte Hélène, Anne-Catherine eut la vision qui suit :

Je vis beaucoup de choses touchant cette sainte impératrice : Je raconterai ce dont je me souviens encore. Je la vis dans la ville principale d'une contrée assez déserte où il n'y avait pas beaucoup d'autres villes : : elle habitait une maison bâtie en pierre, mais fort simple : son père s'appelai Cléol ou Cloel : je crois que le pays en question était la Dacie. Je vis que l'empereur Constance, étant en voyage, passa par là et logea dans un palais peu éloigné de la maison d'Hélène. Il vit Hélène qui était belle, intelligente et de manières agréables. Il alla chez elle plusieurs fois et elle consentit à l'épouser avec l'agrément de son père. Il la quitta bientôt, lui laissant beaucoup d'argent et de bijoux. Je vis qu'alors elle s établit dans une maison de plus d'apparence, mena une vie conforme à son rang mit au monde un fils qui reçut le nom de Constantin. Je vis que, quand cet enfant eut deux ans, on le conduisit a une cour où il devait être élève. Hélène et ses parents continuèrent à vivre dans l'abondance. Mais elle resta dans son pays et n'alla pas rejoindre son mari qui venait quelquefois la voir. Je vis qu'elle avait de l'aversion pour l'idolâtrie et qu'elle frayait beaucoup avec des Juifs : elle croyait que ce peuple pour lequel Dieu avait tant fait devait être le premier peuple du monde. J'eus des visions où je vis que Constance était un homme excellent et qu'il traitait avec bonté ; les chrétiens eux-mêmes. Il était grand, il avait de l'embonpoint et le visage très pâle. Il semblait exercer l'autorité suprême dans le pays d'Hélène.

Je vis ensuite comment Constantin devint empereur après la mort de son père et comment il alla à Rome après sa seconde campagne. Il y embrassa le Christianisme et il fit venir sa mère près de lui. Par suite de plusieurs apparitions il avait une grande confiance dans le signe de la sainte croix et il le faisait porter avec de grands honneurs devant son armée comme un étendard mais il agissait ainsi par pure superstition, comme font bien des gens de notre temps qui portent des amulettes sans être pieux. Il croyait que ce signe avait une vertu : il n'avait du reste que des idées grossières sur le Christ qu'il regardait comme un Dieu semblable aux autres dieux. Aussi, quoique souvent bien intentionné, il faisait beaucoup de mauvaises choses, persécutait souvent les chrétiens parce qu'on le trompait sur leur compte et il se contentait d'honorer la croix comme un signe de victoire qui portait bonheur. Le pape Sylvestre et beaucoup de prêtres s'enfuirent de Rome pour échapper a ses poursuites et se cachèrent dans les flancs d'une montagne. Il en fit tant que Dieu le châtia : il fut atteint de la lèpre et les prêtres des idoles lui dirent qu'il guérirait en se baignant dans du sang de petits enfants. Ce conseil lui avant fait horreur, il se fit amener le pape Sylvestre qui l'instruisit dans la religion chrétienne. Il fit pénitence pendant sept jours, et j'ai vu le pape Sylvestre lui donner le baptême. Il se plongea entièrement dans l'eau et en sortit parfaitement guéri. voyant alors ce que c'était que le christianisme, il envoya à sa mère par un homme de confiance une lettre ou il lui disait qu'il avait été guéri en se faisant chrétien et où il l'engageait à venir le joindre et à se faire chrétienne. Or Hélène, sa mère, connaissait fort peu le christianisme. Elle avait une certaine vénération pour le Messie ; on lui avait dit que le Fils de Dieu était venu dans le monde pour les Juifs, et c'est pourquoi elle les regardait comme un peuple d'élite et avait de fréquents rapports avec des Juifs instruits. Lorsqu'elle leur dit que l'empereur avait embrassé la religion chrétienne, ils accueillirent cette nouvelle par des exclamations bruyantes et furent saisis d'un grand effroi. Elle écrivit alors à son fils, que, voulant renoncer au paganisme, il aurait mieux fait d'embrasser la religion des Juifs. L'empereur ayant parlé de cela au pape, celui-ci l'engagea à faire venir sa mère à Rome avec des docteurs juifs et à assister à une conférence entre eux et lui. Constantin lui écrivit en ce sens : elle chercha partout des Juifs savants et vint à Rome avec les deux plus instruits qu'elle était pu trouver. La conférence eut lieu en présence de plusieurs autres Juifs et de deux philosophes païens choisis comme arbitres. Je vis Sylvestre réfuter victorieusement toutes les objections de ses adversaires : les deux Juifs se convertirent et je vis l'impératrice Hélène partir avec eux pour Jérusalem à la recherche de la sainte croix. Les deux convertis laissèrent croire qu'ils n'avaient pas changé de religion et ils obtinrent des Juifs de la ville les renseignements nécessaires sur l'emplacement du tombeau du Christ et du Calvaire. L'impératrice trouva au-dessus du saint Sépulcre un temple de Vénus orné de statues païennes ; l'idole d'Adonis avait été placée au haut de la montagne du Calvaire. Cependant les Juifs ne voulaient pas dire où était enfouie la croix du .Christ et ils renvoyaient ceux qui les interrogeaient à ce vieux Juif que j'ai vu à l'invention de la sainte croix. Je ne sais plus comment on finit par décider celui-ci à donner les renseignements qu'on voulait avoir. Lorsqu'on eut creusé à l'endroit désigné, on trouva les bras de la croix séparés de la pièce principale, mais ranges à côté : l'écriteau, sur lequel était cloué un parchemin portant l'inscription, était enfoui à quelque distance. Les trois clous étaient placés les uns à côté des autres, sur l'un des bras de la croix : celui qui avait traversé les pieds était long d'une palme et demie, les deux autres d'une palme seulement. Hélène envoya le grand clou à son fils. Je vis aussi déterrer les croix des larrons qui étaient plus grossièrement travaillées.

Le vieux Juif aussi devint chrétien et grand zélateur de la croix : il portait toujours une croix figurée sur le côté droit de sa robe. Il est devenu plus tard évêque de Jérusalem. Je vis qu'Hélène se fit baptiser à Jérusalem. Je vis aussi qu'elle fit démolir les temples d'idoles élevés sur l'emplacement du saint Sépulcre. Au commencement les Juifs ne voulaient pas s'y employer sérieusement, mais il s'éleva un orage terrible, le vent balaya tous les décombres et renversa de fond en comble plusieurs habitations juives qui recouvraient tout le terrain d'alentour. Les Juifs furent saisis de terreur et ils se mirent au travail avec une ardeur incroyable. L'entrée primitive du saint Sépulcre était fermée. mais on y entra par un des côtés: Hélène avait alors plus de cinquante ans : c'était une grande et belle femme, pleine encore de vigueur et d'agilité. Je la vis plus tard occupée à faire bâtir là une grande église. Les chrétiens à cette époque avaient encore la leur sur la montagne de Sion à l'endroit où avait eu lieu l'institution de la sainte Eucharistie.

SOURCE: http://www.jesusmarie.com

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