La Croix : Qu’est-ce qui vous a poussée à raconter cette histoire qui vous est très personnelle ?

Sarah Suco : C’est un film « d’après » une histoire personnelle. C’est important pour moi que les spectateurs comprennent que l’on est dans une fiction. Ce que j’ai vécu dans cette communauté pendant dix ans a été bien pire et bien plus intense. Si j’ai attendu autant pour le faire, c’est justement pour ne plus être dans la haine. Ce n’est ni un film contre l’Église catholique ni contre les communautés. Il aborde, c’est vrai, un réel sujet de société, celui des dérives sectaires et de la maltraitance des enfants et aura sans doute des vertus pédagogiques. Mais ma première envie était de faire du cinéma.

C’est pour ça que vous avez choisi d’en faire une fiction plutôt qu’un documentaire ?

S.S. : Je viens de là. Je suis comédienne, j’écris des sketchs et des pièces de théâtre. Je me suis rendu compte qu’écrire permettait de sortir des choses de soi. Mais je ne suis pas une porte-parole des associations de victimes. Je me suis documentée, j’ai beaucoup lu, notamment sur les nouvelles sectes – les pires aujourd’hui, ce sont les nouvelles thérapies où, sous le couvert du développement personnel, on embrigade les gens. Je voulais que mon film fasse écho à tout ça. Ce que je raconte aurait pu se passer n’importe où.

On sait cependant d’emblée qu’on se trouve dans une communauté catholique…

S.S. : Parce que c’est mon expérience, et je voulais qu’il y ait une forme de justesse dans le détail. Je ne nommerai pas celle où j’ai grandi mais je connais bien les communautés charismatiques, j’en ai croisé beaucoup à Lourdes et à Paray-le-Monial où nous passions nos vacances. Il y en a de formidables, on y rencontre des gens souriants, prévenants, gentils. Il n’y a pas que de la déviance. Mais il y a aussi des drames, comme les abus sexuels commis au sein des Béatitudes, et il n’y a que les drames qui stoppent ces dérives. Nous sommes dans un état laïque, et il n’y a aucune raison que l’État couvre tout ça.

Pourquoi avoir appelé votre film Les Éblouis ? Est-ce une façon de décrire la complexité des mécanismes d’emprise ?

S.S. : C’est avant tout l’histoire d’une famille. La première éblouie dans ce film, c’est la jeune Camille. Elle est d’abord éblouie par l’amour pour ses parents. Elle vit un conflit de loyauté et va décider de devenir adulte, d’être une mère pour ses frères et sœurs, quand ses parents redeviennent comme des enfants au sein de la communauté. Pour moi, les mécanismes d’emprise commencent au sein de la famille.

En juxtaposant plusieurs affaires ayant eu lieu dans ces communautés, le risque n’était-il pas de faire un film à charge ?

S.S. : Croyez-moi, le film est en deçà de la réalité. Je l’ai fait pour me délester de mon histoire, et je l’ai voulu avec de l’humour, en montrant la cocasserie de certaines situations et surtout le bonheur de la fratrie. Parce que c’est ce qui nous a fait tenir. Quand vous êtes enfants et que vous vivez cela, les seules armes dont vous disposez, ce sont l’humour et la solidarité. Bien sûr, le film est lourd mais il a été fait dans la résilience. Et dans tous les débats organisés autour de sa sortie, des personnes sont venues me remercier car elles se reconnaissent dans ce qui est décrit. Je n’ai rien contre les religions, ce qui me dérange c’est la dérive et l’embrigadement des enfants.