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Ni Mila ni Charlie : pour Ségolène Royal, la lâcheté plutôt que la laïcité
Ségolène Royal a déclaré qu'elle ne soutenait "absolument pas" Mila, adolescente menacée de mort pour avoir insulté l'islam.
Capture d'écran - France 3

Ni Mila ni Charlie : pour Ségolène Royal, la lâcheté plutôt que la laïcité

On rembobine

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Interrogée sur le cas de l'adolescente harcelée et menacée de mort pour avoir critiqué l'islam, l'ancienne candidate socialiste à la présidentielle a préféré critiquer le "manque de respect" de la jeune femme. Une prise de position anti-laïque finalement peu surprenante au regard du passif de Ségolène Royal.

Une débandade. Depuis le début de l'affaire Mila le 19 janvier, ce qui paraissait n'être au départ qu'un fait divers sert chaque jour un peu plus de révélateur : la classe politique, et notamment la gauche, apparaît profondément divisée et prête pour une partie à réhabiliter implicitement le délit de blasphème.

Rappel des faits : Mila, une adolescente de 16 ans, reçoit des insultes homophobes après avoir éconduit un jeune homme trop insistant sur les réseaux sociaux. Elle publie alors une courte vidéo dans laquelle elle critique violemment la religion musulmane, affirmant notamment qu'il n'y a "que de la haine" dans le Coran. S'ensuit une vague impressionnante de cyber-harcèlement contre Mila, accusée d'avoir "insulté l'islam" : injures, menaces de mort, divulgation d'informations personnelles. A ce jour, la jeune femme est toujours déscolarisée et ne peut pas reprendre ses études devant les menaces qui pèsent sur sa sécurité.

Depuis, plusieurs personnalités politiques, qui s'étaient tues au début de l'affaire, ont laissé planer le doute sur leur conception de la critique de la religion, qui ne connaît aucune limite légale en France. La ministre de la Justice Nicole Belloubet a ainsi créé une polémique en affirmant à tort que "l'insulte à la religion [était] évidemment une atteinte à la liberté de conscience". Mais on pourrait également citer Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste français, qui a jugé sur RMC que les "propos injurieux" de Mila n'étaient "pas admissibles". Ou encore Martine Aubry, maire socialiste de Lille, qui a invité à "faire preuve de retenue et éviter ce genre de propos, même si les menaces sont inacceptables". Et donc, Ségolène Royal.

La candidate socialiste à l'élection présidentielle de 2007, à qui l'on prête des ambitions pour 2022, était l'invitée de Dimanche en politique sur France 3 ce dimanche 2 février. Elle s'y est nettement désolidarisée de Mila : "Il y a une liberté de critiquer les religions, mais moi je refuse de poser le débat sur la laïcité à partir des déclarations d'une adolescente de quinze ans. Ce n'est pas à partir de comportements comme cela qu'on peut poser la question de la laïcité (...)". Le journaliste Francis Letellier relance alors l'éphémère ambassadrice des pôles pour lui demander si elle mettrait le hashtag #JeSuisMila, mot-dièse créé sur les réseaux sociaux en soutien à la jeune femme. "Absolument pas, répond Ségolène Royal. D'ailleurs, revenons à des choses sérieuses : une adolescente, peut-être encore en crise d'adolescence, si elle avait dit la même chose sur son enseignant, sur ses parents, sur sa voisine, sur sa copine, qu'est-ce qu'on aurait dit ? Un peu de respect. Critiquer une religion, ça n'empêche pas d'avoir du respect, de l'éducation, de la connaissance, d'être intelligent par rapport à ce qu'on dit. Certainement pas d'ériger une adolescente qui manque de respect comme le parangon de la liberté d'expression, sûrement pas."

Une anti-laïque de longue date

Une personnalité socialiste de premier plan refuse donc d'arbitrer entre l'exercice, certes vif, d'un droit (la liberté d'expression) et le harcèlement en meute assorti de menaces de violences physiques à l'encontre d'une adolescente. Surprenant ? En partie, mais un peu moins quand on connaît le passif de Ségolène Royal en matière de laïcité. La sexagénaire appartient à une deuxième gauche qui s'est considérablement éloignée de l'héritage laïque républicain et montre une déférence considérable envers les religions. En 2006, déjà, alors que la première polémique autour des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo éclate, celle qui est à l'époque candidate à la primaire socialiste prend position contre le magazine. Comme le révèle un article du Monde daté de juin 2006, Ségolène Royal, croyante et issue d'une famille catholique pratiquante, "trouve inadmissible qu'on insulte l'image sacrée du prophète musulman". Elle lance à son ami Jean-Pierre Mignard, avocat catholique de gauche et parrain de deux de ses enfants : "N'aie pas peur, Jean-Pierre ! Je ne laisserai pas insulter Dieu !"

Outre cette sortie, l'entourage de Ségolène Royal témoigne également de cette inclination hostile à la tradition républicaine. Jean Baubérot, l'universitaire de référence des tenants de la "laïcité ouverte" (une conception de la laïcité bienveillante à l'égard des religions qui vise en fait à démanteler la spécificité du modèle français pour l'aligner sur les paramètres du multiculturalisme), était ainsi conseiller auprès de Ségolène Royal de 1997 à 1998 lorsque celle-ci était ministre déléguée à l'Enseignement scolaire du gouvernement Jospin. L'un de ses disciples, le socialiste Jean-Louis Bianco, est également un soutien historique de l'ancienne compagne de François Hollande : Bianco était ainsi le porte-parole de Royal pendant la primaire socialiste de 2006, puis son codirecteur de campagne lors de la présidentielle, avant de la soutenir à nouveau aux primaires de 2011 puis d'être son conseiller spécial au ministère de l'Ecologie à partir de 2014. En récompense de sa fidélité, Jean-Louis Bianco a été nommé président de l'Observatoire de la laïcité en 2013. Cette instance officielle rattachée au gouvernement a depuis adopté une ligne angélique inspirée de la "laïcité ouverte", s'inquiétant en priorité de la liberté et de la visibilité des religions tout en fermant volontairement les yeux sur la progression des intégrismes. Interrogée sur la liberté de "blasphémer", Ségolène Royal s'est d'ailleurs référée sur France 3 à l'Observatoire de la laïcité, qui selon elle "répète toujours clairement les choses justes par rapport à la laïcité". Les initiés n'auront donc pas été surpris de la voir enchaîner avec une exhortation au "respect" des religions.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne