dimanche 19 août 2018

Père Onésime Lacouture - 3-25 - La charité fraternelle



VINGT-QUATRIÈME INSTRUCTION
LA CHARITÉ FRATERNELLE.

« Je vous donne un commandement nouveau: que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés ». J. 13-34.

Pour mieux comprendre la charité surnaturelle, il est bon d’examiner d’abord l’amour naturel pour ne pas les confondre. Nous devrions toujours expliquer les vertus naturelles avant d’expliquer les vertus surnaturelles correspondantes: autrement les fidèles mettent au compte de la vertu surnaturelle ce qui n’est que naturel. Parce que telle vertu est bonne en soi, ils pensent facilement qu’ils en auront du mérite dans le ciel, ce qui est loin d’être toujours vrai.

Cet amour naturel est basé sur les qualités extérieures du corps et sur des dons de l’esprit qui peuvent s’harmoniser avec les nôtres. Comme chacun a quelques affections particulières, dès qu’il rencontre chez un autre l’objet de ces affections, il se sent porté vers lui. Cet amour est bien fragile comme tout ce qui est humain. En peu de temps on découvre vite des affections et des qualités contraires qui choquent: voilà que nous commençons à nous chicaner! Dieu lui-même suscite ces contradictions justement pour détruire cet amour naturel qu’on avait. C’est là la cause de la plupart du trouble entre époux. Comme ils s’aiment souvent pour des motifs naturels, Dieu permet au démon de susciter des querelles entre eux pour qu’ils soient obligés de s’aimer uniquement pour l’amour de Dieu. Mais, comme les prêtres philosophes n’attaquent jamais les motifs naturels, les fidèles ignorent cette tactique de Dieu… et continuent de se quereller comme des païens selon leurs motifs naturels… et leur condition empire au lieu de s’améliorer s’ils savaient que Dieu envoie ces épreuves pour qu’ils cessent de s’aimer naturellement.

On reconnaît cet amour païen parce qu il est restreint à un très petit nombre d’amis avec du mépris souvent et de l’indifférence pour les autres. Comme cet amour est intéressé et égoïste, on garde ces amis tant qu’on peut tirer des avantages temporels ou personnels, puis on les abandonne pour d’autres que l’on peut exploiter comme on a fait pour les premiers. On profite de la moindre contrariété, le moindre manque d’égard pour briser cet amour qui ne « paie» plus, et il se change vite en haine: preuve qu’il ne venait pas de Dieu.

Que les affectueux se défient de l’amour qu’ils donnent si facilement aux autres: il est bien exposé à être tout naturel. Comme ils ont bons coeurs et sont généreux, ils peuvent prendre pour voulu de Dieu cet amour qui serait naturel.

D’autres n’ont pas de coeur par nature. Ces gens sont exposés à se féliciter de n’avoir pas d’affections naturelles, mais ils n’ont pas plus de coeur pour les affections surnaturelles! Nous n’avons qu’un coeur pour aimer les créatures et le Créateur! Celui qui en a peu pour les créatures en aura peu pour Dieu ordinairement.

LA CHARITÉ SURNATURELLE

Est bien différente de la charité naturelle du prochain. Ses motifs sont tous divins et se prennent en Dieu uniquement. Alors peu importe la personne ou ses qualités ou ses défauts, ma raison de l’aimer ne vient pas d’elle du tout, mais seulement de Dieu seul. Cette question n’est pas du luxe libre en perfection, mais une obligation stricte venant de J.-C. lui-même. « Je vous donne un commandement nouveau: que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés». C’est donc sous peine de damnation! Il vaut la peine d’être étudié dans le détail. Surtout comme il est contre nature et nos habitudes de juger, nous devons nous convaincre de son fondement et de sa nécessité.

SON FONDEMENT

NOTRE DESTINÉE SURNATURELLE à la vision béatifique l’exige. Comme cette fin dépasse la raison humaine, il faut prendre uniquement dans la foi nos motifs de pratiquer la charité fraternelle. Pour les faire entrer dans notre vie, il faut examiner les fondements de cette charité du prochain. Ils sont assez difficiles parce qu’il n’y a rien là pour les sens ou pour l’imagination. Notre esprit doit donc prendre toutes ces considérations dans ce que la foi nous enseigne, quoique nous puissions toujours prendre des exemples dans notre monde pour illustrer ce que la foi enseigne, ce que Jésus a constamment fait.

Ordinairement les enfants d’une même famille s’aiment parce qu’ils ont reçu de leurs parents la même chair et le même sang. Eh bien! À cause de notre destinée surnaturelle, nous avons tous reçu ou devrions recevoir la même vie divine que J.-C. a, ainsi qu’il l’explique dans la parabole de la vigne.

Par la grâce sanctifiante, chacun reçoit une participation créée de la vie ou de la nature divine, de sorte que nous devenons tous les enfants de Dieu, qu’il aime tous justement à cause de cette vie divine qu’il leur donne.

Or, au ciel nous aurons le même amour que Dieu a pour nous. Puisque lui nous aime tous, nous aussi nous devons tous nous aimer comme Dieu nous aime. Peut-on imaginer dans le ciel qu’un élu n’aime pas un autre élu. Chacun voit Dieu dans l’autre; ils s’aiment donc comme ils aiment Dieu pour le même motif. Eh bien, nous l’avons dit souvent: la mort ne fait qu’immortaliser ce qu’elle trouve en nous: donc, pour nous entraîner comme élus au ciel, il faut commencer à le faire sur la terre dans la foi et par la grâce de Dieu.

On comprend pourquoi Saint Jean dit: « Si quelqu’un n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas?». Chacun peut donc savoir un peu quel est son amour pour Dieu pour l’amour qu’il a de son prochain. S’il y a une personne au monde pour laquelle il n’a que cinq degrés d’amour, il peut être sûr que il n’a pas plus que cinq degrés d’amour de Dieu. C’est donc extrêmement sérieux que cet amour du prochain.

Dans cette destinée, de plus, Jésus dit que nous devons être une seule chose avec lui comme il l’est avec son Père. Il n y a pas la moindre opposition entre eux mais un amour infini. Il faut donc qu’il y ait la même union entre tous les élus pour faire une seule chose avec la Trinité. Eh bien, cette union doit commencer dans la foi pour se continuer dans la gloire.

Voici ce que notre foi nous enseigne: eh bien, qu’on le prenne et sérieusement. Qu’on sorte du naturel ou l’on trouve tant de causes de se haïr, de se mépriser les uns les autres comme on le voit si bien dans le monde. Nous ne sommes plus de ce monde, mais du monde divin. Alors, qu’on prenne là nos idées pour nous conduire sur la terre. Saint Jean dit que notre manière de vivre est comme dans le ciel.

Voici un homme qui vole ma montre: c’est bien naturel de lui en vouloir pour ce vol. Mais si je monte dans la foi où je suis de fait, c’est le bon Dieu qui m’avait donné une montre et c’est Dieu qui me l’enlève: je n’ai qu’à le bénir quand il la prend comme quand il me l’a donnée… et en plus récompenser mon voleur! Est-ce que Dieu ne continuera pas à lui donner ses repas, à le soutenir dans la vie? Eh bien, si je veux être une seule chose avec Dieu, je dois agir comme Dieu envers mon voleur. C’est le commandement formel de Jésus: « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent et qui vous persécutent, afin d’être les enfants de votre Père qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, etc.». C’est dur pour le naturel, mais il faut s’élever au-dessus du naturel pour agir divinement. Pensons donc plus aux biens éternels que nous méritons par la perte des biens temporels et ceux qu’on appelle nos ennemis deviendront nos meilleurs amis, puisqu’ils nous aident à devenir plus riches pour l’éternité. Enfin tout est possible avec la grâce de Dieu; qu’on la demande instamment.

NOTRE FILIATION DIVINE est la principale condition pour la vision béatifique, comme nous l’avons dit dans le point précédent. Ce point-ci n’est qu’un développement de l’autre, sous un autre angle. Ces matières sont si élevées qu’il nous faut les examiner dans le détail pour mieux les comprendre.

On a un bon exemple de l’amour qui découle de notre filiation de Dieu dans le livre de Tobie. Quand l’archange Raphaël dit à Raguel que ce jeune homme est le fils de Tobie, son cousin, Raguel se jette au cou du jeune Tobie, l’embrasse en pleurant de joie et lui dit: « Sois béni, mon fils, car tu es fils d’un homme de bien, du meilleur des hommes!».

Voilà comment nous devrions agir avec notre prochain, même comme Raguel avant de savoir si Tobie était bon ou non. Il l’aime parce qu’il est le fils du meilleur des hommes. Or, mon prochain est fils de Dieu en personne. Peu importe que cet homme soit bon ou méchant: il est l’enfant du bon Dieu: cela devrait suffire pour que je l’aime et même tendrement!

Mais Dieu a aimé ses fils adoptifs, même lorsqu’ils étaient en péché mortel: combien plus devrions-nous nous aimer les uns les autres, même si nous sommes des pécheurs.

Voici encore un exemple: supposons que j’arrive dans une famille que j’aime grandement et qui m’aime aussi. Mais un de leurs enfants se conduit mal. Comment agir envers lui? Comme ses parents qui l’aiment malgré ses fautes. Je leur ferais une immense peine si je détestais cet enfant.

Remarquons que notre motif d’aimer le prochain n’est pas en lui, mais en Dieu! Par conséquent, peu importe les qualités ou les défauts du prochain: je dois l’aimer parce qu’il est enfant du meilleur des Pères: de Dieu!

C’est pendant que nous sommes sur la terre que nous avons du mérite à nous aimer comme enfants de Dieu, mais sans le voir. Au ciel, nous le verrons mais alors sans mérite. Il faut donc nous aimer les uns les autres pendant que nous pouvons faire le contraire: là est notre mérite et la gloire de Dieu.

LE CORPS MYSTIQUE DE J.-C. est un autre fondement de notre amour du prochain. Au fond, c’est toute la même vérité; mais notre esprit a besoin de morceler les vérités pour les mieux saisir. Dans les points précédents, nous avons considéré nos relations avec le Père éternel: ici nous les considérons par rapport à J.-C. Notre filiation divine nous fait tous Frères de Jésus, puisque nous avons reçu la même vie divine que lui. Lui-même dit qu’il est le Cep et nous sommes les branches. Saint Paul dit que Jésus est notre chef ou notre tête et nous sommes ses membres mystiques. Alors il déduit que nous devons tous nous aimer comme on aime tous les membres de son corps malgré leur grande différence d’utilité et de beauté.

Quand Saül persécutait les chrétiens avant sa conversion, Jésus l’apostrophe sur le chemin de Damas: « Saül, pourquoi me persécutestu?». Car persécuter les membres de J.-C., c’était persécuter J.-C. en personne. Donc les chrétiens et Jésus forment donc un même corps, un seul tout. Si on m’écrasait un doigt, est-ce que je ne crierais pas: « Vous me faites mal!». Car ce doigt m’appartient, c’est une partie de mon corps que j’aime comme mon corps. Ailleurs Jésus dit: « Tout ce que vous faites au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le faites!». Donc s’il y a une personne au monde que je déteste, c’est J.-C. que je déteste! Qu’on y pense sérieusement!

Or, cette vie qui nous fait frères ne vient pas de la nature, mais de la grâce absolument invisible pour nous. Par conséquent, il faut ici suivre uniquement la foi. C’est pourquoi il nous faut faire toutes sortes de considérations pour faire pénétrer cette conviction au fond de l’esprit et du coeur, afin de la faire passer dans la vie pratique.

Il faut se dire que nous avons seulement deux actes à faire: un de l’intelligence, je sais que le prochain est mon frère et je veux le traiter en conséquence, parce que Dieu le veut ainsi. Est-ce qu’il est plus difficile de voir J.-C. dans une personne que dans une hostie consacrée? C’est le même Dieu qui nous dit qu’il est présent dans les deux. C’est plus difficile de voir Jésus dans une personne au point de vue naturel, parce qu’une personne peut être bien méchante, tandis qu’une hostie ne nous fait jamais de tort. Mais devant la foi, les deux nous dépassent, il faut la grâce de Dieu pour croire à la présence différente de Jésus dans ces deux choses-la. Traitons une personne comme une hostie consacrée sachant que c’est Jésus dans les deux cas. Cessons donc de juger les choses de ce monde selon les sens; jugeons-les selon la foi toujours et partout: Dieu le veut! C’est notre mérite et la gloire de Dieu que nous croyions à sa parole: il le mérite bien! Mais on a beau être convaincu, sachons que dans le surnaturel il nous faut absolument prier pour avoir la grâce de faire ce que nous croyons. Le Saint-Esprit seul peut produire nos actes surnaturels avec sa grâce. Prions-le!

Le bon Dieu a assigné à chaque membre du corps mystique une fonction particulière que lui seul connaît ordinairement et que nous devons respecter. Saint Paul tire de bonnes conclusions pratiques pour la charité fraternelle de l’exemple du corps humain.

Est-ce que l’oeil méprise le pied parce qu’il ne voit pas comme lui? Est-ce que ce ne sont pas les pieds qui conduisent l’homme au bien que les yeux lui montrent? Est-ce que les oreilles n’ont pas leur utilité bien précise quand même elles ne voient pas, ni ne marchent?

Eh bien! Dans la société humaine, Dieu a mis des personnes pour nous rendre toutes sortes de services. Les unes nous réjouissent par leur beauté et bonté, et d’autres nous feront jouir des biens célestes par les sacrifices qu’elles nous font faire en ce monde. Dieu a mis toutes sortes d’instruments de supplices pour nous faire partager la passion de J.C., afin que nous partagions son bonheur céleste. Or, le sacrifice dans notre vie est autrement utile et important que les joies. Jésus n’a jamais dit: « Bienheureux ceux qui se réjouissent, mais bienheureux ceux qui pleurent, qui souffrent persécution pour l’amour de moi». Eh bien! Un chrétien doit voir Dieu dans les personnes qui le font souffrir et donc les aimer… et les récompenser! Il faut donc que notre charité s’entende à tous les malcommodes et les méchants autour de nous.

Voici un exemple selon l’idée de Saint Paul. Supposons que j’aie un panaris au doigt. Est-ce que je n’aimerais pas ce doigt quand même il me fait souffrir horriblement? Comme je le défendrais contre ceux qui voudraient le frapper? J’y penserais jour et nuit, j’en parlerais à tout venant et je le soignerais de mon mieux. Eh bien! Jésus veut qu’on traite un pécheur comme son panaris! Malheur à ceux qui le frappent, qui le méprisent! C’est son membre à lui et ce qu’on fait à ce membre, on le fait à Jésus en personne. Faisons-leur tout le bien possible pour les améliorer devant Dieu et au moins pour eux. N’oublions pas que nous devons faire la même vie que Jésus. Or, il aime et prend grand soin de ses pécheurs: nous devons donc faire comme lui envers tous ceux qui nous font souffrir d’une façon ou d’une autre. Par conséquent, tout chrétien doit agir comme Dieu envers le prochain quels que soient ses défauts!

Saint Jean nous enseigne bien cette doctrine, 1 J. 4-7: « Aimonsnous les uns les autres, car la charité est de Dieu et quiconque aime, est né de Dieu et il connaît Dieu, car Dieu est charité. Voici en quoi a paru la charité de Dieu envers nous: c’est qu’il a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui. Et cette charité consiste en ce que ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais que c’est lui qui nous a aimés le premier et qui a envoyé son Fils comme victime de propitiation pour nos péchés. Mes bien-aimés, si Dieu nous a ainsi aimés, nous aussi nous devons nous aimer les uns les autres».

Après cet exemple, quelle excuse pouvons-nous avoir pour ne pas aimer notre prochain? Saint Jean dit: « Si quelqu’un dit: j’aime Dieu et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur ». « Comment celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas? ». Donc l’amour de Dieu et du prochain vont ensemble sous peine de damnation. La raison est que nous avons la même vie que Dieu et donc nous sommes une seule chose avec Dieu.

SA NÉCESSITÉ…

Est bien montrée par les paroles de Jésus que nous avons mises en tête de notre instruction: « Je vous donne un commandement nouveau: c’est que vous vous aimiez comme je vous ai aimés». Ce n’est donc pas une perfection libre et de conseil: c’est un précepte formel que tous doivent observer sous peine de péché. Ailleurs Saint Luc, 10, dit qu’il faut aimer son prochain comme soi-même. Comme on cherche constamment ce qui peut plaire, ce qui fait du bien à soi et qu’on se garde bien de se faire du mal ou de la peine ou ce qui blesse; eh bien! qu’on agisse de la sorte pour le prochain aussi. Comme on se pardonne facilement ses torts et ses défauts! Qu’on fasse de même pour le prochain. Qu’on fasse miséricorde aux malheureux comme le bon Samaritain.

Jésus dit que Dieu n’accepte aucune offrande faite par un homme qui a de la rancune ou de la haine pour son frère: il veut qu’il aille se réconcilier avec son prochain et ensuite son offrande sera acceptée par Dieu. Qu’on se rappelle cet enseignement de Jésus quand on va communier ou qu’on dit la messe: soyons bien sûrs de ne haïr personne ou de réparer les torts qu’on a pu faire au prochain.

C’est dans le Notre Père que les rancuniers prononcent leur propre sentence: « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offenses! ». S’ils ne pardonnent pas, ils ne le seront donc pas non plus. On entend dire parfois: Je lui pardonne, mais je ne veux plus le voir! Alors, si Dieu disait la même chose pour vous: Je lui pardonne, mais je ne veux jamais le voir dans mon ciel? Jésus dit carrément: Si vous ne pardonnez point aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos péchés! Vous serez jugés selon que vous aurez jugé les autres et on se servira envers vous de la mesure dont vous vous serez servis.

Pourquoi voyez-vous une paille dans l’oeil de votre frère et ne voyez-vous pas la poutre de votre oeil? Hypocrites, ôtez d’abord la poutre de votre oeil et alors vous verrez à tirer la paille de l’oeil de votre frère!

Enfin, Jésus résume son enseignement sur la charité fraternelle en disant: « Faites donc aux hommes tout ce que vous voulez qu’ils vous fassent; car c’est la Loi et les prophètes ».

Mais cet amour est un amour d’homme. Jésus demande plus: il veut que nous nous aimions comme il nous a aimés! C’est un amour de Dieu! Et Jésus veut que nous l’ayons. Comme Jésus ne met pas de limites à son amour pour nous, il faut donc que nous aimions notre prochain sans limite! Saint Jean va jusqu’à dire que puisque Jésus a donne sa vie pour nous, nous aussi nous devons être prêts à donner notre vie pour le prochain: nous ne pouvons donc pas aller plus loin!

Celui qui n’aime pas son prochain, ne peut pas rester dans le monde surnaturel. « Celui qui prétend être dans la lumière et qui hait son frère, est encore dans les ténèbres et il ne sait où il va parce que les ténèbres ont aveuglé ses yeux». On sait par plusieurs textes que le naturel est appelé ténèbres et le monde surnaturel est dit: lumière. Celui qui n’aime pas le prochain, est comme mort devant Dieu. « Nous savons que nous avons passé de la mort à la vie parce que nous aimons nos frères». Celui qui n’aime point, demeure dans la mort. Tout homme qui hait son frère, est homicide et vous savez que nul homicide n’a la vie éternelle résidant en lui».

Saint Polycarpe raconte que Saint Jean dans sa vieillesse disait si souvent la même chose: « Mes petits enfants, aimez-vous les uns les autres comme Jésus nous a aimés», que les chrétiens ennuyés lui dirent: « Pourquoi prêchez-vous toujours la même chose?». Il répondait: « C’est la loi du Maître et si on la pratique, elle suffit pour le salut».

Les Apôtres insistaient tellement sur cette vertu que les premiers chrétiens se distinguaient par leur amour fraternel. Ils s’entraidaient comme des frères et mettaient tout en commun pour l’amour des autres. Les païens le remarquaient si bien qu’ils disaient, voyez comme ils s’aiment! Ils étaient si charitables que les Apôtres ont dû instituer l’ordre des diacres pour distribuer les aumônes excessivement nombreuses. Ils vendaient leurs biens et en donnaient le prix aux pauvres.

Sainte Catherine de Sienne écrit ces paroles de la part de Notre Seigneur: « L’âme qui m’aime véritablement aime aussi son prochain, car l’amour qu’on a pour moi et l’amour du prochain sont une seule et même chose et la mesure de votre amour pour le prochain est celle de votre amour pour moi. Tel est le moyen que je vous ai donné de prouver et d’exercer votre amour pour moi… Vous ne pouvez m’être utile en rien, tandis qu’il vous est possible de venir en aide au prochain. L’âme amoureuse de ma vérité ne se lasse pas de se dépenser au service des autres». Il faut prendre cet enseignement au sérieux. Ce n’est pas du luxe en perfection, mais un devoir extrêmement strict pour tous les chrétiens au monde.

LA PRATIQUE

Cette vertu est tellement importante qu’il est bon de nous arrêter à sa pratique quotidienne dans la vie concrète. J.-C. nous dit qu’il fera le jugement général sur la pratique de cette charité fraternelle. « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’ai été malade et vous m’avez visité, etc.». Cela concorde bien avec la parole de Saint Jean que celui qui aime son prochain accomplit toute la loi et cela suffit pour être sauvé. Chaque fois que vous l’avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait!

Eh bien! Que je ne prenne pas cinquante ans pour me mettre à sa pratique. D’abord que les prêtres visitent plus et plus souvent leurs malades et qu’ils les fassent visiter par les fidèles. Après qu’ils auront commencé eux-mêmes, ils seront plus braves pour conseiller aux fidèles que c’est un devoir strict pour eux de visiter les malades et les pauvres et Jésus ne dit pas de visiter les parents seulement, mais son prochain. Evidemment il faut une grande délicatesse pour visiter des malades étrangers. Mais quand des fidèles y vont avec esprit de foi et une véritable charité, ils savent ne pas être importuns aux malades et même à se faire désirer. Tout cela s’applique à la visite des pauvres et de tous les affligés. Ce n’est pas la mode de le faire dans les grandes villes, eh bien, elle doit être introduite d’abord par les prêtres et ensuite par les fidèles eux-mêmes, justement parce que les pauvres et les malades sont souvent négligés justement parce qu’on ne se connaît pas dans les villes. Eh bien! Que les bons chrétiens aillent à la « chasse » des affligés de toutes sortes et qu’ils les secourent selon leurs besoins.

Comparons notre façon d’agir avec une personne et une hostie consacrée. Qui s’occupe de la forme de l’hostie? Si elle est bien ronde ou carrée, épaisse ou mince? Eh bien, le prêtre qui fait descendre Jésus dans l’hostie fait descendre la Trinité dans l’enfant qu’il baptise. Parce que l’hostie contient l’humanité sainte de Jésus avec sa divinité, l’Eglise veut qu’on adore cette hostie consacrée, mais elle ne veut pas qu’on adore une personne en état de grâce pour bien des raisons faciles à comprendre. La principale est qu’on ne sait jamais au juste si telle personne est vraiment en état de grâce. Cependant l’Eglise, d’après Jésus, veut que nous traitions toute personne comme si elle était J.-C. et avec le respect que nous avons pour une hostie consacrée.

Eh bien! Cessons donc de nous occuper des « espèces sensibles» des personnes! Qu’elles soient grandes ou petites, instruites ou ignorantes, pauvres ou riches, ne voyons que Jésus en toutes. Est-ce qu’une mère n’aime pas autant son petit enfant qui ne parle pas encore que ses autres qui parlent? Donnons donc notre amour à tous les membres du corps mystique de J.-C.

Ce qui choque dans les personnes en dehors du péché vient de Dieu comme on l’a montré souvent. C’est le bon Dieu qui nous opère avec ses scalpels pour enlever la gangrène du naturel libre en nous et pour nous faire expier nos péchés. Ce sont là des faveurs du ciel. Qu’est-ce qui empêche d’aimer ces instruments de Dieu? C’est Dieu qui les a faits tels qu’ils sont.

Il les a faits imparfaits d’abord pour lui aider à les améliorer et ainsi nous faire participants de son activité sur la terre comme il le veut pour nous dans le ciel. Puis, ensuite pour nous faire souffrir, afin de gagner du mérite.

C’est bien triste de voir comme nos prêtres philosophes insistent si peu sur le dévouement envers les autres sous toutes ses formes. Jésus dit qu’il fera le jugement dernier sur les oeuvres de miséricorde envers les autres, il dit qu’il est venu pour servir et non pour être servi; ce devrait être assez pour que tous les fidèles à la suite des prêtres s’occupent du prochain beaucoup plus qu’ils ne le font en général.

Comme si peu tirent des conclusions dans ce domaine, descendons dans des exemples insignifiants mais qui font la vie. Que chacun fasse son possible pour tenir la maison propre pour l’amour de Jésus dans les autres membres de la famille. Que de maris et grands garçons sont malpropres dans la maison, à table et dans leurs chambres… comme si leur mère et leurs soeurs étaient des esclaves! Ils laissent tout traîner, qu’ils serrent leurs chaussures, leurs habits et mettent en ordre leur chambre autant que possible: que ces sans-coeur le fassent pour l’amour de Dieu!

De même, combien de grandes filles laissent à leur mère une foule de choses qu’elles pourraient et devraient ranger, faire les lits, balayer les chambres, laver la vaisselle, etc. Ces sans-coeur passent des heures à feuilleter les catalogues ou les revues ou à niaiser pour leurs toilettes ou des bagatelles.

En campagne, que des maris sont trop paresseux pour essayer de rendre la vie de la famille plus facile! Que de saletés autour de la maison et des bâtiments! Pas d’eau dans la maison, pas de bois… tandis que les hommes fument leurs pipes en bavardant des heures de temps! Ce sont des sans-coeur et des sans-foi et des sans-amour de Dieu!

Dans tous les rangs de la société, comme les gens sont égoïstes, chacun cherche ses aises et laisse aux autres les corvées de toutes sortes qui se présentent dans toutes les familles et dans toutes les communautés. Tout chrétien devrait prendre pour lui les besognes les plus viles et les plus dures et laisser à « Jésus» les plus faciles; voilà ce que ceux qui ont un peu de foi et de coeur devraient faire pour leur prochain.

Dans les séminaires, les collèges et dans les communautés, comme cette charité fraternelle dans les oeuvres est chose rare! Ces gens appelés à donner le ton aux catholiques n’ont pas le coeur de pelleter la neige des patinoires, des galeries et des promenades ou de tondre le gazon, ratisser les allées, etc., etc. C’est le tout petit nombre qui se dévoue et toujours les mêmes: les autres regardent ces travaux avec dédain. Ils se croient trop hauts pour s’abaisser à ces travaux de serviteurs.

Quelle honte de plus en plus dans les communautés de voir les supérieurs obligés d’engager des hommes pour faire ces travaux que les étudiants devraient faire. Mais non, nos païens ne veulent que jouer au tennis ou à la balle ou s’amuser rien que pour s’amuser. Les autres travaux leur donneraient tout l’exercice dont ils ont besoin. Mais ces païens et sans-coeur disent que les jeux les distraient plus: évidemment parce qu’ils les aiment et qu’ils ne veulent pas faire les autres.

Dans le ministère des paroisses, comme les prêtres font le moins possible! On le voit quand il y en a un qui est bien charitable et dévoué, les autres lui laissent toutes les corvées pendant qu’ils niaisent à toutes sortes de vanités ou font simplement la paresse. Une façon de ne rien faire est de s’attacher aux groupes qu’on aime, par exemple les jeunes garçons. Des jeunes prêtres feront mal tout autre ministère pour qu’on les laisse s’occuper uniquement des garçons… et alors comme ils les aiment naturellement ils ne leur font aucun bien surnaturel mais perdent des heures à niaiser avec eux.

D’autres agissent de même pour avoir les groupes de filles ou de femmes qu’ils aiment naturellement. Ainsi chacun cherche ce qu’il aime et non ce que Dieu veut de lui. Voilà ce qui explique le fiasco de tant de prêtres dans le ministère. Ils se recherchent eux-mêmes au lieu de chercher des âmes et la gloire de Dieu.

Comme nos « païens» ont la tête dure, donnons des exemples. J’ai vu tout un champ de tomates mûres se perdre en grande partie pendant que les novices se faisaient un nouveau jeu de tennis et le supérieur assez simple pour enlever le Frère jardinier à ses tomates pour l’obliger à aider les novices à faire leur jeu de tennis quand ils en avaient déjà deux! Le pauvre Frère en pleurait! Le supérieur aurait dû plutôt envoyer les novices cueillir ces tomates qui ont pourri sur le champ… avec une communauté de plus de cent personnes à nourrir! Quelle bêtise et quel manque de charité fraternelle!
Pendant mes années de formation, que de fois j’étais seul à tondre les gazons, à ratisser les allées à l’Immaculée-Conception, tandis que des douzaines d’autres scolastiques s’amusaient à bavarder sur les galeries ou à jouer à la balle. Pour récompense, on entend des remarques comme celles-ci: il aime cela, qu’il le fasse! Il a été élevé pauvrement et habitué aux gros travaux.

Pendant ce temps-là, nos « intellectuels » discutent sur des questions de pure érudition, soit en littérature, soit en philosophie ou en théologie! Ils vont glorifier Dieu en l’épatant par leurs travaux intellectuels!

Pendant quatre ans de théologie, comme j’étais pratiquement le seul barbier, j’ai vu plusieurs scolastiques qui attendaient leur tour pour que je leur coupe les cheveux, pendant que j’imprimais à la gélatine nos cours de théologie donnés en classe: la plupart du temps, ils me laissaient faire ce travail tout seul pendant la récréation et c’était pour eux que j’imprimais ces feuilles! Après la récréation, ils allaient se reposer pendant que moi je faisais les cheveux des autres qui m’avaient regardé faire mes impressions sans m’aider! Evidemment, ce n’était pas mauvaise volonté: c’était tout simplement manque de coeur et donc manque de Foi!… Et combien continuent une fois prêtre de niaiser dans leurs fonctions! Ils n’ont pas plus de foi après des années de ministère que pendant leurs études.

En hiver, que de fois j’ai vu les scolastiques attendre que j’aie fini de pelleter la neige des galeries pour sortir se promener!

Les supérieurs qui sortent de ces groupes de « païens» ne s’aperçoivent même pas de ce manque de charité fraternelle dans les oeuvres.

Ils mettront trois de ces païens pour faire l’ouvrage d’un prêtre « catholique» et c’est tout! Mais un homme de coeur qui devient supérieur voit tout de suite comme ces gens sont paresseux. J’ai entendu un supérieur majeur se plaindre de ce que tant de religieux étaient habiles à ne rien faire! Combien refusent des postes trop onéreux pour leur païen! C’est à qui ferait le moins possible, tout en paraissant faire quelque chose. Combien se plaignent d’avoir trop d’ouvrage dans la peur qu’on leur demande des services! C’est pour avoir plus de temps pour écouter la radio, la télévision, aller voir des joutes de toutes sortes, enfin jouir des choses du monde!

Une femme me disait un jour qu’elle allait souvent aider sa soeur pour laver sa vaisselle. Eh bien, sa soeur laissait accumuler la vaisselle des jours de temps parce que sa soeur aimait à laver la vaisselle! Que de surnaturel il faut pour se dévouer pour les autres! Ils en profitent pour demander toutes sortes de services, pour nous surcharger d’ouvrage en croyant que nous travaillons par goût naturel! Rien de sanctifiant comme de se dévouer pour les autres! Que de vertus il faut exercer! Dieu dispose tout pour que nous travaillions uniquement pour l’amour de Dieu. On ne reçoit pas de reconnaissance des autres ou bien peu. C’est que Dieu ne veut pas de motifs naturels dans le dévouement, afin d’être toute notre récompense.

Combien plus difficile de pratiquer envers le prochain les oeuvres de miséricorde spirituelle! Que de charité et de tact il faut pour leur donner du surnaturel avec la grâce de Dieu! Personne ne veut s’améliorer ou bien peu dans ce domaine. Surtout les démons les préviennent contre nous et ils sont vite froissés si on essaie tant soit peu. Dieu veut que nous comptions uniquement sur son secours: c’est pourquoi il nous faut beaucoup prier et ne compter que sur Dieu. Mais, enfin, que tous s’efforcent de pratiquer plus de charité fraternelle: elle est aussi importante que la charité de Dieu: Jésus le dit carrément: « Faire plaisir au prochain, c’est faire plaisir à Dieu! ».

PRATIQUE DES VERTUS THÉOLOGALES


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