Un calendrier serré pour suivre l’agenda du Vatican, le rapport choc de la Ciase sur les abus sexuels commis dans l’Église de France, la campagne présidentielle confirmant des fractures profondes au sein du catholicisme de l’Hexagone : les freins conjoncturels étaient nombreux. Pourtant, partout dans le pays, des groupes de fidèles se sont rassemblés, depuis le mois d’octobre, pour réfléchir à l’avenir de l’Église dans le cadre du Synode sur la synodalité, qui s’achèvera à Rome en octobre 2023.

Alors que les diocèses, mouvements, associations et congrégations ont jusqu’au dimanche 15 mai pour faire remonter leurs contributions à l’équipe nationale accompagnant le processus synodal, La Croix dresse un premier bilan de cette phase de terrain.

Un élan national

L’actualité ecclésiale aurait pu entraîner un désintérêt de catholiques découragés à l’aune des révélations entachant l’institution. Les chiffres démentent plutôt ce scénario. Au mardi 10 mai, « nous avions recensé 103 000 participants pour 63 diocèses, ce qui confirme une projection à 150 000 pour l’ensemble de la France, tous diocèses, mouvements et groupements confondus », explique Guillaume Houdan, diacre à Yvetot (Seine-Maritime) et membre de l’équipe nationale accompagnant le Synode en France.

« Cela témoigne d’une belle participation », commente Mgr Alexandre Joly, évêque de Troyes (Aube) et coordinateur de cette équipe au sein de la Conférence des évêques de France (CEF). « Il y a certes des biais, mais cela pourrait revenir à considérer que jusqu’à 10 % des catholiques pratiquants ont pris au sérieux cette démarche. Cela donne un reflet intéressant de l’état de notre Église en France, poursuit Guillaume Houdan, le fait que tous les diocèses aient participé, de manière plus ou moins intense, est aussi une satisfaction. »

Parmi eux, certains se sont montrés particulièrement actifs. Lyon, Paris, Bayeux-Lisieux, Limoges… L’Église de Toulouse, l’une des premières à avoir publié sa synthèse diocésaine, a recensé « près de 300 groupes synodaux locaux » et reçu 450 contributions « pour 2 200 personnes ». « Des paroissiens de différents villages se sont retrouvés, ainsi qu’une grande variété de personnes issues de mouvements d’Église, de diverses confessions chrétiennes, éloignées de l’Église ou agnostiques », précise le texte.

« À Paris, nous avons eu plus de 600 contributions, à partir d’ateliers qui ont réuni plus de 7 000 participants », expliquent Aurélie et Nicolas Bauquet, membres de l’équipe diocésaine. Dimanche 22 mai, cette dernière publiera, en complément de sa synthèse, une carte de la participation. « Toute la capitale a été balayée, avec un intéressant brassage sociologique », précise le couple. Au sein de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref), l’équipe de travail a reçu « plus de 180 pages de retours ».

Synode sur la synodalité, les fidèles ont répondu à l’appel en France

Neuf groupes ont aussi travaillé sur ces enjeux au sein de Promesses d’Église, collectif d’organisations catholiques désireuses de s’engager dans la transformation ecclésiale appelée par le pape. « Nous avons aussi demandé à nos cinquante mouvements de nous faire remonter jusqu’à trois propositions à porter ensemble », indique Dominique Rouyer, membre de l’équipe d’animation et secrétaire nationale du CCFD-Terre solidaire. « Il y a eu une réelle volonté de chercher ce qui pouvait être commun, en faisant droit aux propositions singulières. La synthèse sera l’expression de ce consensus différencié », explique Louis-Étienne de Labarthe, directeur de la communication de la communauté de l’Emmanuel.

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Des déceptions semblent toutefois émerger. « Il n’a pas été facile de mobiliser les jeunes dans le Synode, même si certains diocèses sont parvenus à aller les chercher », relève Guillaume Houdan. Ce fut le cas dans le diocèse de Troyes, « notamment grâce aux réseaux de l’enseignement catholique, se réjouit Mgr Joly. Le point de vue des jeunes est intéressant, car ils ont une sensibilité différente, par exemple sur l’écologie ».

Toutes les sensibilités catholiques ont-elles été représentées ? Si beaucoup ont loué la possibilité d’avoir des « espaces d’échanges » jusque-là inexistants pour débattre au-delà des clivages ecclésiaux, les fidèles traditionalistes se sont moins impliqués dans le processus. « Je pense en particulier à ceux qui ont souffert de la parution du motu proprio Traditionis custodes, poursuit Guillaume Houdan. Nous sentons qu’ils ont eu du mal à croire en cette démarche. »

Une foule de propositions

La majorité des diocèses et mouvements préfèrent attendre la parution de leurs synthèses pour évoquer les grandes lignes de celles-ci. Mais des constats reviennent dans les centaines de remontées de groupes locaux consultées par La Croix. Au premier chef desquels le souci d’une Église « plus fraternelle », « moins dans l’entre-soi », plus attentive « aux périphéries » et « à la voix des plus pauvres ».

Dans sa synthèse, Toulouse déplore ainsi que beaucoup se sentent « peu accueillis » au sein d’une institution « perçue comme coupée de la réalité », gangrenée par « une certaine rigidité, des cloisonnements, une morale culpabilisante, procédurière », mais aussi par « un certain sentiment de supériorité sur le monde » et par « la place donnée à ceux qui savent, à certains pratiquants, au détriment des invisibles ».

« Pointant notamment le cléricalisme, nous avons senti un réel désir de synchroniser l’Église avec le message de l’Évangile », décrypte le père Arnaud Franc, vicaire des ensembles paroissiaux de Castanet-Tolosan et de Saint-Orens (Haute-Garonne), et membre de l’équipe de relecture. Fait notable, il indique ne pas avoir eu « de grandes surprises » à la lecture des contributions : « Pour moi, c’est une sacrée bonne nouvelle. Mais cela montre qu’il y a des choses que nous traînons comme des boulets depuis des années, voire des siècles… Il y a un écart que l’Église a laissé grandir, et aujourd’hui les communautés ont soif de vérité. »

Synode sur la synodalité, les fidèles ont répondu à l’appel en France

Les questions de gouvernance ont occupé une place centrale. Appel au « renforcement de la collégialité » à tous les échelons – en déléguant plus de responsabilités « aux laïcs et aux femmes » –, demande de « plus de transparence » dans les prises de décisions… Sans s’arrêter à ces constats, les catholiques ont forgé des propositions pour engager des transformations. À Toulouse est envisagée la « création d’instances dédiées à la synodalité, avec clercs et laïcs, des moyens et des lieux de dialogue, de décisions, avec recherche de consensus, vote à bulletins secrets, transparence (…) ainsi que des espaces de gestion des conflits, avec appel à une médiation si nécessaire ».

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Dans les Yvelines, certains ont réfléchi à la possibilité « d’homélies en forme de témoignages, faites par des laïcs », ou d’échanges « par banc, en petits groupes et pendant dix minutes » pour renforcer la dimension communautaire de la messe. En Normandie, d’autres prônent la nécessité de s’associer aux forces – politiques, associatives… – existantes pour « faire davantage entendre la voix de l’Église ».

Des points de tension

Si la très grande majorité des rencontres s’est déroulée dans un « climat très bienveillant, constructif, d’écoute », le ton est par endroits monté. « La question de la liturgie a pu être un lieu de tensions, mais il y a un attachement commun à la beauté de la liturgie qui ressort », retrace Guillaume Houdan. Des propositions dépassant les prérogatives de l’Église de France ont été évoquées sur des sujets sensibles : ordinations presbytérales d’hommes mariés, de femmes…

« Dans ma paroisse, il y a eu des échanges musclés avec certains qui voulaient faire de ces questions l’enjeu principal du Synode. Ils ont fini par se braquer… », témoigne Alexandre, 62 ans, engagé dans un groupe synodal d’Île-de-France. Autre point délicat, la remise en cause – non sans reconnaître, par ailleurs, la lourdeur des tâches qui leur incombent – de la manière dont des évêques ou prêtres exercent leur ministère a pu susciter de la tristesse, de l’incompréhension dans les rangs du clergé.

« Les prêtres se défient souvent des initiatives des laïcs, certains sont carrément dans l’abus de pouvoir, fait état la synthèse de Toulouse, leur autorité, parfois considérée comme sacrée, s’exerce souvent plus dans l’organisationnel que dans le spirituel, dont ils paraissent parfois déconnectés, soucieux surtout de remplir leur église. »

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« Des prêtres ont pu se sentir peinés, surpris, interpellés par des mots d’une certaine violence, précise le père Arnaud Franc, soulignant que le document devait être discuté début mai lors d’une assemblée de prêtres. Il va falloir opérer un discernement, car cette colère dit quelque chose de juste qu’il faut aussi entendre. Il y a beaucoup de délicatesse à cultiver entre prêtres, et entre les prêtres et les laïcs… »

Dans le sud de la France, Chantal, 75 ans, fustige la façon dont son diocèse « verrouille la parole » : « Il y a eu très peu de communication sur le Synode, et quand des laïcs ont pris les choses en main, nous avons senti des blocages. Nous voyons que certains s’inquiètent que le pape donne la parole à tous… Cette expérience de Synode a été riche, mais douloureuse. Pour moi, cela a été un combat spirituel. »

Des attentes pour la suite

Après avoir reçu toutes les contributions des diocèses (1) et autres structures, l’équipe nationale doit se réunir, du vendredi 20 au dimanche 22 mai, pour travailler sur un premier projet de synthèse. Celui-ci sera débattu, amendé et validé lors d’une Assemblée plénière exceptionnelle des évêques organisée en présence d’invités – de tous états de vie – les mardi 14 et mercredi 15 juin, à Lyon. Le texte final sera publié sur le site de la CEF et envoyé au Vatican.

Déjà, les acteurs du processus témoignent des fruits, au niveau local, de la démarche. « Cela nous a permis de voir comment cette synodalité est à vivre dans nos conseils, congrégations, assemblées », cite le père Pierre-Yves Pecqueux, secrétaire général adjoint de la Corref. Ces derniers mois, certains ont exprimé la crainte que la synthèse de l’Église de France ne soit « lissée » dans sa version finale. « Nous espérons qu’il y aura de grandes convergences empêchant cela, ose une fidèle du milieu associatif, mais rien ne sera de toute façon perdu ; comme l’a souligné le pape, le chemin est aussi important que le texte. »

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Le calendrier du Synode

► 15 mai. Date limite en France pour le retour des synthèses diocésaines à l’équipe nationale, qui en rédigera un projet de synthèse.

► 14 et 15 juin. Assemblée plénière extraordinaire des évêques à Lyon pour discuter, amender et valider la synthèse qui sera envoyée à Rome.

15 août. Date limite de remise des contributions des conférences épiscopales au Vatican.

De septembre 2022 à mars 2023. Premier instrument de travail de la Secrétairerie générale du Synode, et examen de celui-ci par des assemblées ecclésiales continentales qui en produiront des documents finaux.

► Juin 2023. Deuxième instrument de travail.

Octobre 2023. Synode des évêques à Rome sur ce document, en vue d’une exhortation post-synodale du pape.

(1) Publiées sur le site de ces derniers, et prochainement sur celui de la CEF via une carte.