Dommage qu'il faille rectifier les attaques de l'Abbé Pagès, dont on peut quand même admirer le zèle apologétique à l'égard de l'islam, mais certes pas sa théologie qui se réduit souvent à la répétition de formules dogmatiques qu'il ne comprend pas bien.
Bien sûr, il n'a pas bien lu le livre de Françoise Breynaert (FB) qu'il critique, et il ne connaît ni St Irénée ni correctement le NT, que FB cite constamment, à la différence de la plupart des théologiens actuels et même d'un passé récent.
En particulier, il ne sait pas que la formule "le Royaume des justes" n'est pas de FB mais de St Irénée, évêque de Lyon et martyr (2e siècle), originaire d'Orient.
La formule qu'il oppose, "juger les vivants et les morts" est un raccourci-résumé du credo qui manque d'intelligibilité en soi car il mélange plusieurs choses. Autrement plus claire est par exemple la formule de l'Anaphore (= prière eucharistique) de St Jacques, utilisée par les Orientaux, et qui parle de la Venue de Jésus pour "juger la terre habitée". C'est-à-dire en particulier pour faire le tri entre l'Antichrist et ceux qui lui auront vendu leur âme, et les autres qui ne disparaîtront pas, les premiers ne supportant pas sa Venue-Présence (le mot grec technique Parousia dit les deux).
Le problème, c'est que nous avons perdu le sens révélé de l'histoire. La théologie chrétienne occidentale l'a noyé sous des formules abstraites et des jeux de concepts. Il est à retrouver auprès de ceux qui ne l'ont pas perdu, les chrétiens d'Orient que l'Abbé Pagès n'aime pas (quoique beaucoup soient unis au Pape de Rome - qui il soit). Bien sûr, il pourra trouver des citations de vieux Occidentaux qui vont en son sens, mais quelle valeur peuvent-elles avoir quand elles nient 1Co 15,22-28 - un résumé de la profession de foi de saint Paul qui commence au verset 3 ? Il y est clairement question de trois étapes successives (comme dans l'Apocalypse). Seulement, voilà : des exégètes idéologues ont sciemment tronqué le texte (ici texte liturgique AELF) :
22 En effet, de même que tous les hommes meurent en Adam, de même c’est dans le Christ que tous recevront la vie, [saint Paul va développer là la puissance de la Résurrection à l'oeuvre :]
23 mais chacun à son rang : en premier, le Christ, [étape 1]
et ensuite, lors du retour du Christ, ceux qui lui appartiennent [étape 2],
24 [Et] Alors, [dans tous les mss grecs ou araméens, il n'y a pas "alors" qui suggère une simultanéité, mais bien ensuite] tout sera achevé, quand le Christ remettra le pouvoir royal à Dieu son Père, après avoir anéanti [il s'agit donc clairement d'un temps de préparation à l'éternité, comme dit St Irénée], parmi les êtres célestes, toute Principauté, toute Souveraineté et Puissance.
25 Car c’est lui qui doit régner jusqu’au jour où Dieu aura mis sous ses pieds tous ses ennemis.
26 Et le dernier ennemi qui sera anéanti, c’est la mort, ... 28 Et, quand tout sera mis sous le pouvoir du Fils [à la fin de cet temps], lui-même se mettra alors sous le pouvoir du Père qui lui aura tout soumis, et ainsi [étape 3], Dieu sera tout en tous.
Certes, la théologie universitaire conceptuelle et moraliste, déjà au Moyen-Âge, ne comprend pas l'histoire, car elle ne peut pas la conceptualiser (Pagès non plus). Donc, elle a décrété que l'étape 2 et l'étape 3, c'était la même chose (et idem dans l'Apocalypse, sans parler de bien d'autres passages du NT qui deviennent dès lors incompréhensibles). Et donc, pour mieux tromper le peuple chrétien, on est allé jusqu'à changer le texte sacré (en remplaçant ensuite par alors).
Le moralisme né de l'augustinisme universitaire, c'est : nous sommes sur terre pour gagner notre Ciel, on s'en f... de ce que la création deviendra, de toute façon Dieu la détruira. Les Protestants expliqueront que, vu qu'elle est irrémédiablement corrompue, le mieux que Dieu aura à faire est de la détruire et d'un refaire une autre purement spirituelle. C'est aussi la position de l'Abbé Pagès.
Est-il permis de lui suggérer de lire www.eecho.fr/antichrist-et-monde-apres-la-venue-glorieuse-discussions ou encore http://www.eecho.fr/venue-glorieuse-difficulte-factice-et-comparaisons-eventuelles, des pages qui ont été écrites pour lui et pour les répétiteurs des erreurs du passé qui ont conduit à Vatican II.
Car il a oublié un principe universel : la nature a horreur du vide.
Si les chrétiens occidentaux trompés par le rationalisme de leur théologie ont oublié le sens révélé de l'histoire, celui-ci n'a pas été perdu pour tout le monde. Et ce vide a fait le lit de Teilhard de Chardin.
Le Royaume de Dieu à venir est alors pensé comme un accomplissement du temps actuel. Alors, le but de l’Eglise devient d’établir la société idéale sur la terre. Toutes les dérives messianistes découlent de cette idée, en particulier au 20e siècle, le communisme et le nazisme. Et c'est exactement la pensée du Pape officiel actuel (mais ce n'est pas complètement nouveau).
Le problème de l'Abbé Pagès, c'est qu'il jette le bébé avec l'eau du bain. Et qu'il ne connaît pas le bébé.
Henri de Lubac, qui a adoré Teilhard, a brûlé son idole dans le dernier livre qu'il ait réellement écrit (après, il a juste collaboré à des mémoires). En 1981, dans les petites éditions jésuites de Namur (Belgique), paraissait en 2 tomes La postérité spirituelle de Joachim de Flore. Ce livre a été passé sous silence durant 30 ans parce qu’il contredisait les positions antérieures de l’auteur. En fait, de Lubac s’est rendu compte, à la fin de sa vie, que toutes les visions « théologiques » qui annonçaient un accomplissement de l’histoire ne menaient qu’aux horreurs communistes et nazies, et c’est ce qu’il montre dans ce livre : les camps d’extermination sont potentiellement dans la pensée de Joachim de Flore, que certains Cardinaux et mauvais théologiens de son temps considéraient comme un saint. Alors que c’est un véritable hérétique, et de Lubac le montre !
Evidemment, le rêve d’une société spirituelle et parfaite sur la terre n’a pas commence au 12e siècle avec Joachim de Flore : de Lubac a pris ce point de départ parce qu’il pouvait ensuite en suivre toute la postérité. Ce rêve a commencé avec les messianistes judéonazaréens (à la fin du temps des apôtres)... dont des descendants endoctrineront les futurs musulmans. Là clef du proto-islam est là. Malheureusement, M. L'Abbé Pagès n'a pas bien compris cela, et c'est dommage quand on veut parler aux musulmans.
Mgr Dominique Rey a écrit une préface nouvelle au livre La Venue Glorieuse du Christ, véritable espérance pour le monde, de Françoise Breynaert (voir ici).
Mais peut-être que l'Abbé Pagès le considère comme un hérétique (= quelqu'un qui ne pense pas comme lui) ?