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Saint Bonaventure
Ordre des Frères Mineurs, Cardinal-Évêque d'Albane
L'Arbre de Vie

Préface.
1. — Jésus engendré de Dieu.
II. — Jésus montré en figures.
III. — Jésus envoyé du haut des Cieux.
IV — Jésus né de Marie.
V — Jésus semblable aux anciens Pères.
VI. — Jésus manifesté aux trois Mages.
VII. — Jésus soumis aux lois.
VIII. — Jésus chassé de son royaume.
IX. — Jésus baptisé divinement.
X. — Jésus tenté par le démon.
XI. — Jésus admirable en ses miracles.
XII. — Jésus transfiguré.
VIII. — Jésus pasteur plein de sollicitude.
XIV. — Jésus baigné de larmes.
XV.—Jésus reconnu roi de l'univers.
XVI. — Jésus le pain de vie.
XVII. — Jésus vendu par trahison.
XVIIII. — Jésus prosterné contre terre.
XIX. — Jésus environné de la foule qui s'avance pour le prendre.
XX. — Jésus enchaîné.
XXI. — Jésus méconnu de ses proches.
XXII. — Jésus les yeux voilés.
XXIII. — Jésus livré à Pilate.
XXIV. — Jésus condamné à mort.
XXV. — Jésus méprisé de tous.
XXVI. — Jésus attaché à la Croix.
XXVII. — Jésus associé aux voleurs.
XXVIII. — Jésus abreuvé de fiel et de vinaigre.
XXIX. — Jésus soleil obscurci par la mort.
XXX. — Jésus percé d'un coup de lance.
XXXI. — Jésus arrosé de son sang.
XXXII. — Jésus mis dans le tombeau.
XXXIII. — Jésus triomphant dans sa mort.
XXXIV. — Jésus ressuscitant bienheureux.
XXXV. — Jésus splendeur suréminente.
XXXV. — Jésus préposé à l'Univers.
XXXVII. — Jésus, chef de l'armée bienheureuse.
XXXVIII. — Jésus élevé au-dessus des Cieux.
XXXIX. — Jésus donateur du Saint-Esprit.
XL. — Jésus source de pardon.
XLI. — Jésus témoin véridique.
XLII. — Jésus juge irrité.
XLIII. — Jésus vainqueur magnifique.
XLIV. — Jésus époux glorieux.
XLV, — Jésus Roi fils de Roi.
XLVI. — Jésus le livre scellé.
XLVII. — Jésus rayon de lumière inépuisable.
XLVIII. — Jésus la fin de nos désirs.

 
Préface.

 

Je sais attaché à la Croix arec Jésus-Christ . Le vrai adorateur de Dieu, le disciple sincère de Jésus-Christ, désireux de ressembler parfaitement au Sauveur des hommes crucifié pour son salut, doit s'appliquer principalement, par des efforts sans cesse réitérés, à porter en tout temps et partout, tant en son âme plie dans sa chair, la Croix de Jésus, et arriver à pouvoir ressentir en soi-même la vérité de cette parole de l'Apôtre. Mais celui-là seulement mérite d'éprouver les ardeurs d'une semblable affection, d'un pareil sentiment, qui, reconnaissant envers son Seigneur et conservant précieusement le souvenir de sa Passion, considère les travaux, les douleurs et l'autour de Jésus-Christ crucifié, avec un tel travail de sa mémoire, une telle application de son intelligence et une telle tendresse de sa volonté, qu'il peut véritablement s'écrier avec l'Épouse : Mon Bien-aimé est pour moi un faisceau de myrrhe; c'est sur mon sein qu'il tirera sa demeure (2).

Afin donc qu'un pareil sentiment puisse exister en nous, afin que la pensée en soit formée en notre âme et

 

1 Galat., 2. — Cant.

 

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que notre mémoire en reçoive l'impression, je me suis efforcé de recueillir dans la forêt glu saint Évangile, où l'on traite longuement de la vie, des souffrances et de la glorification de Jésus-Christ, je me suis appliqué, dis-je, à recueillir ce faisceau de myrrhe, et je l'ai composé de paroles peu nombreuses , bien coordonnées et formant un tout parfait, afin qu'il pût être confié plus facilement à notre mémoire. Les termes dont je me suis servi sont simples, ordinaires et sans apparat, afin que la curiosité n'ait rien à y voir, que la dévotion y trouve sa nourriture et que la piété s'y édifie sur les hases de la foi. Comme l'imagination est l'auxiliaire de l'intelligence, j'ai choisi parmi de nombreuses richesses un petit nombre d'objets, et, figurant un arbre à mon esprit, je les ai rangés et disposés de telle sorte que les rameaux inférieurs et les plus rapprochés de la terre me représentassent la naissance et la vie du Sauveur ; le milieu de l'arbre, sa Passion ; et le faite, sa glorification. An premier rang de ces rameaux seront placés des deux cités quatre petits titres, selon l'ordre de l'alphabet. Il en sera de même pour le second et le troisième rang. De chacun de ces titres pendra, semblable à un fruit, une tige unique , et de ces tiges se formeront douze rameaux produisant douze fruits, selon le mystère de l'Arbre de vie.

Représentez donc en votre esprit un arbre dont la racine soit arrosée par une source qui jaillit sans cesse et s'accroît jusqu'à devenir un fleuve rapide et immense, lequel se répand par quatre ouvertures, afin d'arroser le jardin de l'Église entière. Que douze rameaux se détachent du tronc de cet arbre chargés de feuilles, de fleurs de

 

 

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fruits. Que les feuilles soient un remède efficace contre tout genre de maladie; qu'elles soient un préservatif, aussi bien qu'une guérison, puisque la parole de la Croix est la vertu de Dieu qui apporte le salut à tous ceux qui croient (1). Que sa fleur brille de l'éclat de toute couleur, qu'elle exhale la suavité de tout parfum, en sorte qu'elle soit un attrait et un soulagement pour les coeurs agités qui soupirent après son odeur. Enfin, que son fruit soit compté douze fois, qu'il renferme en lui toutes délices et qu'il offre au goût toute suavité, afin qu'offert aux enfants de Dieu, ils puissent s'en nourrir et s en rassasier en tout temps saris jamais en concevoir de dégoût. C'est là ce fruit qui, ayant pris naissance dans le sein d'une Vierge, a acquis sa délicieuse maturité sur l'arbre de la Croix, aux ardeurs brûlantes du soleil éternel, c'est-à-dire au contact de la charité de Jésus-Christ. De là il a été placé dans le jardin du Paradis céleste, c'est-à-dire dans l'Église de Dieu, pour satisfaire aux besoins de ceux qui désirent s'en nourrir. Et c'est vraiment ce que nous indique la première inscription, conçue en ces termes :

« O Croix, arbre de salut , qu'une source d'eau vive arrose, ta fleur est un parfum, ton fruit l'objet de nos désirs. »

Ce fruit, il est vrai, est un et indivisible; cependant comme, suivant ses états, ses dignités, ses vertus et ses oeuvres, il comble de consolations très-diverses les âmes dévotes, et que ces consolations peuvent se réduire à douze, c'est pourquoi ce fruit de l'Arbre de vie est proposé en nourriture sur douze rameaux divers contenant douze

 

1 Rom., 1.

 

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saveurs différentes, et c'est ainsi qu'on le représente. Sur le premier rameau, l'âme dévouée à Jésus-Christ goûtera un parfum de sua dé, en se rappelant l'origine si glorieuse du Sauveur et sa naissance si pleine de charmes. Sur le second, elle recueillera la vie très-humble à laquelle son amour le lit descendre. Sur le troisième, elle découvrira la hauteur d'une vertu parfaite. Sur le quatrième, la plénitude d'une charité inépuisable et immense. Sur le cinquième, elle admirera la confiance qu'il eut en l'ace du péril de sa Passion. Sur le sixième, la patience qu'il montra au milieu des injures et des affronts qu'il eut à supporter. Sur le septième, la constance dont il fit preuve dans les tourments et les peines de sa Croix douloureuse. Sur le huitième, la victoire qu'il remporta dans son combat et sa lutte avec la mort. Sur le neuvième, elle verra la vie nouvelle de sa Résurrection, vie brillante de qualités admirables. Sur le dixième, la sublimité de son Ascension et la diffusion des dons spirituels. Sur le onzième, l'équité du jugement futur. Sur le douzième, l'éternité du règne de Dieu.

J'appelle fruits tous ces mystères, parce qu'ils comblent de délices et remplissent d'énergie l'âme qui les médite et qui les approfondit soigneusement l'un après l'autre, pourvu, toutefois, qu'elle ait en horreur l'exemple du prévaricateur Adam, qui choisit l'arbre de la science du bien et du mal plutôt que l'Arbre de vie.

Mais, pour éviter un tel malheur, il faut qu'à la raison on préfère la foi ; aux investigations téméraires, la dévotion ; à la curiosité, la simplicité ; enfin, il faut qu'à tout sentiment charnel, à toute prudence de la chair, on préfère la Croix sacrée de Jésus ; car c'est par elle que la charité

 

355

 

de l'Esprit-Saint s'entretient dans les coeurs pieux, et qu'elle s'y répand, à l'aide de la grâce, de sept manières diverses, selon qu'on le demande dans les deux inscriptions placées, en dernier lieu, au faîte de l'Arbre.

 
1. — Jésus engendré de Dieu.

 

Réveillez-vous donc, ô âme dévouée au Sauveur, et considérez avec l'empressement le plus vif tout ce que nous allons dire de votre Jésus. 31éditez attentivement et examinez longuement lorsque vous entendez dire que Jésus est engendré de Dieu. Prenez garde qu'aux yeux de votre esprit ne vienne s'offrir quelque chose de faible et empreint des idées de la chair. Mais plutôt croyez et,considérez, avec un regard pur comme celui de la colombe et élevé comme celui de l'aigle , que de celte lumière éternelle, immense et très-simple, très-brillante et souverainement secrète sort une splendeur co-éternelle , co-égale et consubstantielle. Cette splendeur est la vertu et la sagesse du Père qui engendre; c'est en elle que lu Père a réglé toutes choses dès le commencement, par elle qu'il a créé les siècles, qu'il les gouverne après les avoir créés, qu'il dispose tout pour sa gloire, soit par la nature, soit par la grâce, soit par la justice, soit par la miséricorde , mais de telle sorte qu'il ne laisse rien en

ce inonde qui ne soit établi dans un ordre parfait.

 

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II. — Jésus montré en figures.

 

Au commencement de la création du monde, nos premiers parents ayant été placés dans le Paradis terrestre, et ensuite, par la sévérité des décrets divins, en ayant été chassés pour avoir mangé du fruit défendu., la céleste miséricorde ne différa point de rappeler l'homme aux sentiers de la pénitence en lui donnant l'espoir du pardon. Et bien que , par ignorance et par ingratitude, une si grande condescendance de la part de Dieu dût être inefficace pour notre salut, il ne cessa point, durant les cinq âges de ce temps, de promettre et de figurer l'arrivée de son Fils, par les Patriarches , les Juges , les Prêtres, les Rois et les Prophètes, depuis Abel le Juste jusqu'à Jean-Baptiste, afin d'élever, pendant ces milliers d'années, par des oracles si grands, si admirables et si multipliés, nos esprits vers leur fin dernière et d'enflammer nos coeurs des plus vifs désirs.

 
III. — Jésus envoyé du haut des Cieux.

 

Enfin la plénitude des temps fut accomplie. De même que ce fut au sixième jour que l'homme fut formé par la vertu et la sagesse de la main de Dieu, de même ce fut au commencement du sixième âge du monde que l'archange Gabriel fut. envoyé à la Vierge ; et la Vierge ayant donné son assentiment, l'Esprit-Saint descendit en elle, comme un feu divin qui enflamma son esprit et conféra à sa chair une pureté ineffable. En même temps la vertu du Très-Haut la couvrit de

 

1 Gal., 4.

 

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son ombre, afin qu'elle fût capable de soutenir une ardeur semblable, et, sous l'action de cette vertu, en un moulent un corps fut formé , une âme créée, et a l'instant même l'un et l'autre furent unis à la Divinité en la personne du Fils, en sorte qu'il se trouva Dieu et homme, sans que les droits de l'une et l'autre nature eussent à en souffrir le plus léger préjudice.

Oh ! si vous pouviez concevoir un peu quelle fournaise ardente le Ciel allume en ce jour, quel rafraîchissement il envoie, quelle consolation il répand; si vous pouviez comprendre quelle est l'élévation de la Vierge devenue mère , l'ennoblissement du genre humain, la, condescendance de la Majesté suprême ; si vous pouviez entendre les chants de jubilation de Marie ; s'il vous était donné de gravir les montagnes à sa suite, de contempler l'embrassement de suavité de celle qui était stérile et de votre Souveraine, d'être témoin de ce qui se passa au moment où eut lieu leur salutation, alors que le petit serviteur reconnut son Seigneur, le héraut son Juge, et que la voix confessa le Verbe, oh ! je n'en doute pas, ce cantique sacré qui commence par ces paroles (1) : « Mon âme glorifie le Seigneur, » vous le chanteriez avec la Vierge bienheureuse au milieu des accords les plus mélodieux, et, vous unissant au petit enfant prophète, vous adoreriez, en tressaillant d'allégresse et de jubilation, le fruit admirable du sein virginal.

 
IV — Jésus né de Marie.

 

(2) Lorsque, sous l'empire de César Auguste, le silence

 

1 Luc., 1.— 2 Luc., 2.

 

538

 

d'une paix universelle eut calmé les siècles depuis longtemps agités , et que la tranquillité établie fut telle qu'un édit pût ordonner le recensement de l'univers entier , il arriva, par les soins de la Providence suprême, que Joseph, l'époux de Marie, conduisit en la ville de Bethléem celte jeune fille issue de la race royale, et en ce moment, sur le point de mettre au monde celui dont elle était enceinte. Neuf mois s'étant écoulés depuis le jour de sa Conception, ce Roi pacifique sortit du sein de la. Vierge , comme un époux de la chambre nuptiale, et de même qu'il avait été couru sans aucune impression de plaisir sensuel, de même il parut à la lumière sans causer aucune lésion au sein qui l'avait porte. il était grand et riche , et cependant il voulut pour nous se rendre petit enfant, naître pauvre, hors de sa demeure, dans un gîte ouvert à tout venant , être enveloppé de pauvres langes, être nourri du lait d'une vierge et être couché dans une crèche entre un boeuf et un âne. C'est alors que brilla pour nous le jour de la Rédemption nouvelle, de la réparation antique , de l'éternelle félicité ; alors que par tout l'univers les Cieux distillèrent la douceur du miel. O mon aine! contemplez donc maintenant cette crèche, collez vos lèvres aux pieds de cet Enfant et redoublez vos baisers. Ensuite repassez en esprit les veilles des bergers, admirez l'armée des Anges qui accourt, mêlez vos accords à leur céleste mélodie et chantez de bouche et de coeur: « Gloire à Dieu au plus haut des Cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté!»

 

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V — Jésus semblable aux anciens Pères.

 

Le huitième jour après sa naissance, l'Enfant est circoncis et reçoit le none de .Jésus. Cela arriva ainsi afin que , ne différant pas à répandre son sang précieux pour nous, il se montra le Sauveur véritable promis aux Pères tant en paroles qu'en figures, et assimilé à eux en tout, excepté l'ignorance et le péché. C'est pour cela qu'il a revu le sceau de la circoncision, de même qu'en naissant il était apparu en la similitude d'une chair de péché , afin de convaincre le péché d'injustice en sa personne (1) et d'être pour nous le salut et la justice spirituelle, justice ayant son origine dans l'humilité qui est la racine et la gardienne de toutes les vertus. Pourquoi donc vous enorgueillissez-vous, cendre et poussière? L'Agneau d'innocence, qui porte les péchés du monde, n'a point repoussé le cachet de la circoncision; et vous qui n'êtes que péché , vous aspirez à paraître juste, et ainsi vous rejetez le remède du salut éternel oà vous ne saurez jamais parvenir, à moins que vous ne consentiez à marcher à la suite de votre Sauveur humilié.

 
VI. — Jésus manifesté aux trois Mages.

 

(2) Le Seigneur étant né à Bethléem de Juda, une étoile apparut à trois Mages en Orient, et, s'avançant devant eux, elle les conduisit à sa clarté jusqu'à la maison de cet humble roi. Prenez garde, vous, de ne point vous soustraire à la splendeur de cet astre qui se

 

1 Rom., 8. — 2 Mat., 2.

 

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lève et qui vous précède; mais plutôt, devenez le compagnon inséparable de ces saints rois; recevez de la main des juifs cette écriture qui rend témoignage de Jésus-Christ, et sachez éviter la fourbe méchanceté du roi Hérode. Avec l'or, la myrrhe et l'encens , adorez Jésus, votre roi , et rendez-lui vos hommages, comme à un homme et à un Dieu. Uni aux princes des nations qu'il doit appeler à la foi, offrez vos adorations à ce Dieu humilié et couché dans les langes, confessez son nom et célébrez ses louanges, afin qu'averti en songe de ne point suivre l'orgueil d'Hérode, vous puissiez revenir en votre patrie en suivant les traces de l'humble Jésus.

 
VII. — Jésus soumis aux lois.

 

Ce n'était point assez pour le Maître de l'humilité parfaite, alors qu'il était égal en tout à son Père, de se soumettre à Marie, la plus humble des vierges, s'il ne se soumettait encore à la loi, afin de racheter ceux qui étaient sous cette loi, de les délivrer de l'esclavage de la corruption, et de les amener à la liberté glorieuse des enfants de Dieu (1) . C'est pourquoi il voulut que sa Mère, bien que très-pure, se conformât à la loi de la purification ; qu'on le rachetât lui-même, lui le Rédempteur de tous les hommes, comme un premier-né ordinaire; qu'on l'offrît à Dieu dans le temple et qu'on payât une victime pour son rachat, en présence des justes remplis d'allégresse. Tressaillez donc aussi de joie avec le bienheureux vieillard

 

1. Galat., 4.

 

541

 

Siméon et avec Anne, cette veuve si avancée en âge (1). Allez au-devant de la Mère et du petit Enfant. Que l'amour l'emporte sur la honte, que l'ardeur de votre âme éloigne toute crainte. Recevez l'enfant jésus dans vos bras et écriez-vous avec l'épouse dis Cantiques: « Je le possède, je ne le laisserai point aller (2)» Livrez-vous aux transports de la joie avec le vénérable vieillard Siméon, et chantez : « C'est maintenant, Seigneur, que vous laisserez cotre serviteur s'en aller en paix (3). »

 
VIII. — Jésus chassé de son royaume.

 

Mais il convient que la parfaite humilité soit embellie de l'entourage de trois vertus principales : de la pauvreté, qui fuit les richesses comme un foyer d'orgueil; de la patience, qui se manifeste par l'égalité d'âme dans les souffrances; de l'obéissance, qui consiste à se soumettre aux commandements des autres. Voilà pourquoi, par une disposition divine en rapport avec un dessein plus élevé, tandis que l'impie Hérode cherche l'Enfant-Roi afin de le faire mourir, on le transporte en Egypte, sur un avertissement du ciel, comme un pauvre et un étranger, en même temps qu'on le met à mort en la personne des enfants de son âge massacrés à cause de lui, et qu'on l'immole, pour ainsi dire, en chacun de ces enfants. Mais enfin, Hérode étant mort, on le ramène en Judée par un nouvel ordre de Dieu. C'est là qu'il vécut, croissant en âge et en grâce, habitant en la société de ses parents; et il leur était

 

1 Luc., 2. — 2 Cant 3. — 3 Luc., 2.

 

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tellement soumis que jamais il ne se séparait d'eux, même un instant, si ce n'est lorsque, âgé de douze ans, il demeura à Jérusalem, où il fut cherché non sans une douleur incroyable de sa Mère, et retrouvé avec un plaisir sans limites.

Gardez-vous bien de laisser sans escorte l'Enfant et sa Mère, dans leur fuite en Égypte. Ne cessez pas avec votre Bien-aimée de chercher votre Bien-aimé jusqu'à ce que vous l'ayez trouvé. Oh! avec quelle abondance couleraient vos larmes, si vous contempliez pieusement cette souveraine vénérable, cette jeune Vierge si digne d'intérêt, jetée dans l'exil avec un enfant si tendre et si beau ; si, d'une autre part, vous entendiez ce doux reproche de la Mère très-aimée de Dieu : « Mon Fils, pourquoi avez-vous agi ainsi à notre égard (1) ? » C'est comme si elle lui disait : mon Fils, continent. avez-vous pu donner un tel sujet de douleur à une Mère si aimée , à une Mère si remplie d'amour?

 
IX. — Jésus baptisé divinement.

 

Or, lorsque le Sauveur eut atteint la trentième année de son âge, voulant opérer notre salut, il commença par faire avant d'enseigner. Et d'abord, pour ouvrir sa carrière par la porte des sacrements et le fondement des vertus, il vint recevoir le baptême de Jean, afin de nous donner l'exemple d'une parfaite justice, et de conférer aux eaux, par le contact de sa chair très-pure, une vertu régénératrice. Pour vous,

 

1 Luc., 2.

 

543

 

accompagnez-le fidèlement, afin d'être régénéré en lui, et méditez profondément ses mystères, afin qu'au bord du Jourdain vous puissiez découvrir le Père dans la voix qui se fait entendre, le Fils dans la chair qui est baptisée, le Saint-Esprit dans la colombe qui apparaît (1).

 
X. — Jésus tenté par le démon.

 

(2) Jésus fut ensuite conduit par l'Esprit-Saint dans le désert pour y être tenté par le démon, et cela, afin de nous rendre humbles par cette sujétion humiliante aux attaques de l'ennemi, et courageux par le succès qu'il remporte dans le combat. Il embrassa aussi une vie chue et solitaire, afin d'exciter l'esprit des fidèles à la conquête de la perfection, et de les rendre forts à supporter tout ce qui peut être pénible.

Courage donc maintenant, ô disciple de Jésus-Christ ! Recherchez avec un maître si pieux les secrets de la solitude, et devenez le compagnon des animaux sauvages; rendez-vous imitateur et participant de son silence profond, de son oraison fervente, de son jeûne prolongé, de son triple combat avec l'ennemi trompeur des hommes, et apprenez à recourir à Jésus, au milieu des dangers de la tentation, vous souvenant que nous n'avons point un pontife tel qu'il ne puisse compatir à nos infirmités, puisqu'il a été soumis à toutes les tentations, pour nous servir de modèle, bien qu'il fût hors des atteintes de tout péché (3).

 

1 Luc., 3. — Mat., 3. — Marc., 1, — Joan., 1. — 2 Mat., 4. — 3 Hebr.,4

 

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XI. — Jésus admirable en ses miracles.

 

C'est Jésus, en effet, qui seul opère des merveilles ineffables; car c'est lui qui change les Cléments, multiplie les pains, marche sur les eaux, apaise les tempêtes, refrène et met en fuite les démons, purifie et guérit les lépreux, ressuscite les morts ; c'est lui qui rend la vue aux aveugles, l'ouïe aux sourds, la parole aux muets, l'usage de leurs jambes aux boiteux, la vigueur de leurs membres aux infirmes et aux paralytiques. C'est vers lui que crie toute conscience en proie au péché, en lui disant, tantôt comme le fidèle lépreux : « Seigneur, si vous le voulez, vous pouvez me guérir; » tantôt, comme le Centurion : « Seigneur, mon serviteur est en proie à une paralysie, et il souffre d'une manière étrange ; » tantôt, avec la Chananéenne : « Fils de David, ayez pitié de quoi ; » tantôt, avec celle qui est affligée d'une perte de sang : « Si je touche seulement la frange de son vêtement, je serai guérie ; » tantôt, avec Marthe et Marie : « Seigneur, celui que vous aimez est malade (1). »

 
XII. — Jésus transfiguré.

 

Afin de fortifier l'esprit des hommes par l'espérance de la récompense éternelle, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, leur découvrit le mystère de la Trinité, leur prédit sa Passion el, leur annonça dans sa transfiguration la gloire de sa Résurrection future, la Loi et et les Prophètes lui rendant témoignage en la personne.

 

1 Luc., 5. — Mat., 8-15-9 . — Joan., 11.

 

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de Moïse et d'Élie ; son Père et l'Esprit-Saint lui rendant également témoignage par la voix qui se fit entendre et la nuée qui environna ceux qui étaient présents (1). Or, tout cela arriva, afin que l'âme dévouée à Jésus-Christ, affermie dans la vérité et déjà élevée au sommet de la vertu, pût s'écrier sincèrement avec Pierre : « Seigneur, il nous est bon d'être ici. » C'est-à-dire : il nous est bon d'entendre dans le calme serein de votre douce contemplation, dans l'extase et les délices d'un sommeil céleste, des paroles secrètes qu'il n'est pas permis à un homme mortel de raconter (2).

 
VIII. — Jésus pasteur plein de sollicitude.

 

Quelle fut la sollicitude empressée et vraiment pastorale du tendre Jésus envers ses brebis errant hors de la voie, quelle fut sa clémence? Ce bon Pasteur lui-même nous l'indique par une pieuse figure dans la parabole du pasteur et de la centième brebis qui, s'étant perdue, est ensuite cherchée avec la plus grande ardeur, puis enfin retrouvée par son gardien et rapportée avec transport sur ses épaules dans le bercail (3). Il nous le fait connaître d'une manière expresse quand il nous dit (4) : « Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. » Aussi est-ce vraiment en lui que s'accomplit parfaitement cette parole du Prophète : « Il fera paître son troupeau comme un pasteur (5). » En effet, m'est pour cela qu'il a souffert les fatigues, les inquiétudes, les privations au milieu des embûches des Pharisiens

 

1 Mat., 17. — 2       II Cor., 12. —  3 Luc. , 15. —  4 Joan., 10. — 5 Ps. 40.

 

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et des dangers sans nombre de leur part; pour cela qu'il parcourait les vallées et. les campagnes en prêchant l'Évangile du royaume de Dieu; pour cela enfin qu'il passait les nuits à veiller dans la prière. Sans craindre les murmures et le scandale des Pharisiens, il se rendait affable aux Publicains, et affirmait que c'était pour ceux qui étaient malades qu'il était venu en ce monde. Il témoignait une tendresse vraiment paternelle à ceux qui se repentaient , et leur mourrait ouvert le sein de la miséricorde divine. J'en appelle en témoignage Matthieu, Zachée, la pécheresse prosternée à ses pieds, la femme surprise en adultère.

Maintenant donc, à l'exemple de Matthieu , attachez-vous parfaitement à un Pasteur si tendre, recevez-le dans votre demeure avec Zachée ; oignez ses pieds d'un parfum avec la pécheresse, arrosez-les de vos larmes, essuyez-les avec vos cheveux et couvrez-les de vos baisers ; enfin, méritez avec cette femme abandonnée à son jugement, d'entendre de sa bouche cette sentence de pardon : Personne ne vous a condamnée? ni moi, je ne vous condamnerai pas non plus. Allez-vous-en , et à l'avenir ne péchez plus. » (1).

 
XIV. — Jésus baigné de larmes.

 

Le bon Jésus, la source de toute miséricorde, afin de nous découvrir la douceur de sa souveraine tendresse, ne s'est pas contenté de pleurer une fois sur nos misères; il l'a fait en plusieurs rencontres. Il a

 

1 Joan.

 

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pleuré d'abord sur Lazare, ensuite il pleura sur Jérusalem ; enfin, sur la croix, des torrents de larmes coulèrent de ses yeux si doux pour l'expiation entière de nos péchés (1). Le Seigneur a pleuré largement, tantôt pour déplorer la misère de la nature humaine, tantôt sur l'aveuglement profond de nos coeurs, tantôt sur la perversité de notre endurcissement dans le crime. O coeur endurci ! coeur insensé et impie, coeur réellement digne d'exciter les pleurs, puisque tu es privé de la vie véritable ! la sagesse du Père pleure sur toi, et tu te réjouis, et tu ris comme un être sans raison au milieu de misères étranges ! Considère ton médecin baigné de ses larmes, et plonge-toi dans une affliction amère comme on fait à la mort d'un fils unique. Que tes larmes aussi coulent le jour et la nuit comme un torrent ; ne prends aucun repos, et que la paupière de tes yeux ne goûte plus aucun calme (2).

 
XV.—Jésus reconnu roi de l'univers.

 

Après la résurrection de Lazare et l'effusion des parfums sur la tête de Jésus, l'odeur de sa renommée s'étant répandue parmi le peuple, lui-même sachant que la foule viendrait au devant de lui, il s'avança monté sur un âne, afin de nous offrir l'exemple d'une admirable humilité, même au milieu des applaudissements des peuples qui étaient accourus, coupaient des branches d'arbres et couvraient la terre de leurs vêtements (3). Il n'oublia pas non plus sa

 

1 Joan., 11. — Luc., 19. — Hebr., 5. — 2 Jer., 6. — Thren., 2. — 3 Mat., 21. — Luc., 19.

 

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compassion habituelle, car, tandis que la foule chantait en son honneur un cantique de louange, il poussait des lamentations sur la ruine de la ville.

Levez-vous maintenant, ô âme servante du Sauveur, afin de contempler, avec les filles de Jérusalem, le roi Salomon au milieu des honneurs que lui rendit respectueusement sa mère, la Synagogue, comme un hommage offert., sans le savoir, à l'Église naissante (1); levez-vous et accompagnez, sans jamais vous en séparer, le Roi du ciel et de la terre, monté sur un ânon ; vos rameaux d'olivier seront les oeuvres de votre piété, et vos palmes, les triomphes de vos vertus.

 
XVI. — Jésus le pain de vie.

 

Parmi les merveilles opérées par Jésus-Christ et dont le souvenir doit être conservé, il est certain qu'il n'y a rien de plus digne d'avoir place en notre pensée que ce dernier festin de la cène sacrée (2). C'est là que non-seulement l'agneau pascal fut offert pour être mangé, mais encore que l'Agneau immaculé, qui porte les péchés du monde, se donna lui-même en nourriture sous l'apparence d'un pain renfermant en soi toutes délices et la saveur de toute suavité. C'est dans ce repas que la douceur admirable de la bonté du Sauveur brilla avec éclat, quand il mangea à la même table, au même plat avec ses pauvres Disciples et le traître Judas. C'est alors qu'eut lieu un exemple éclatant d'humilité, quand le Roi de gloire, ceint d'un

 

1 Cant. 3. — 2 Joan., 13.

 

549

 

linge, lava avec grand soin les pieds de pauvres pêcheurs et même de celui qui le trahissait. C'est alors que se manifesta la largesse ineffable de sa munificence, quand il donna à ses premiers prêtres, et par eux à toute son Église et au monde entier, son corps très-saint et son sang précieux pour être une nourriture véritable et un breuvage réel, afin que ce qui devait être bientôt un sacrifice agréable à Dieu et le prix inappréciable de notre rédemption, devînt aussi le viatique et. le soutien de notre vie. Enfin, ce fut alors que parut dans toute sa splendeur l'excès de son amour, quand, chérissant les siens jusqu'à la fin, il les affermit dans le bien par une exhortation si pleine de douceur, quand il avertit Pierre d'une manière spéciale afin de fortifier sa foi, et quand il offrit sa poitrine à Jean comme un lieu sacré où il pourrait se reposer délicieusement.

Oh ! que toutes ces choses sont admirables ! qu'elles sont enivrantes de douceur! mais elles sont telles pour l'âme seulement qui, appelée à ce glorieux banquet, y accourt avec tant d'ardeur qu'elle peut s'écrier avec le prophète : « De même que le cerf soupire après une source d'eau vive, ainsi mon âme soupire après vous, ô mon Dieu (1) ! »

 
XVII. — Jésus vendu par trahison.

 

A celui qui veut méditer pieusement la Passion du très-doux Jésus, ce qui s'offre d'abord, c'est la perfidie du traître et sa fourberie pleine d'une telle

 

1 Ps. 42.

 

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noirceur qu'il en vint jusqu'à trahir son Seigneur et son Maître. La flamme de son infâme cupidité s'était allumée à ce point, qu'il ne craignait pas de vendre à prix d'argent le Pieu très bon, et d'attacher une va-leur plus grande à une vile sommé qu'au sang très précieux de Jésus-Christ. Son ingratitude fut si révoltante qu'il s'acharna à poursuivre la mort de celui qui lui avait donné une confiance saris limites, et l'avait élevé à l'honneur, à la dignité, au sommet de la puissance apostolique. Enfin, sa dureté fut si inaccessible, qu'il ne put être détourné de ses projets pervers, ni par l'amour témoigné chaque jour à une table commune, ni par l'affabilité des services de son Maître, ni par la suavité de ses entretiens. O admirable bénignité du Maître envers un disciple endurci, et du tendre Seigneur envers un serviteur plein de scélératesse ! Oui ! il eût été vraiment avantageux à cet homme de n'être point né (1). Cependant, quelque inexplicable que soit l'impiété du traître, elle est surpassée si immensément par la mansuétude ineffable dont l'Agneau de Dieu a laissé un exemple à la terre, que l'amitié exaspérée par la trahison ne peut plus s'écrier : « Si mon ennemi eût versé sur moi la malédiction, je l'aurais souffert sans murmure, mais c'est vous qui viviez en un même esprit avec moi (2).» Car l'homme qui vivait en intimité avec Jésus-Christ, qui était un chef de sa famille, un confident de ses pensées ; l'homme qui mangeait à sa table et son propre pain, l'homme qui, dans

 

1 Mat., 26. — Marc.; 14. — 2 Ps.54.

 

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cette cène sacrée, a été rassasié d'une nourriture si délicieuse, est celui qui a fait éclater sa trahison contre lui. Et cependant cet Agneau plein de douceur ne refusa pas de coller sa bouche, où le mensonge n'eut jamais accès, sur cette bouche où la malice abondait., et de lui donner un baiser de tendresse au moment même de sa trahison, afin de faire briller aux yeux du coupable tout ce qui pouvait amollir la dureté d'un coeur perverti.

 
XVIIII. — Jésus prosterné contre terre.

 

Or Jésus, sachant tout ce qui devait lui arriver selon les dispositions secrètes de la volonté du ciel, s'en alla, après l'hymne d'actions de grâces, sur la montagne des Oliviers pour y prier son Père, ainsi qu'il avait accoutumé de le faire. Ce fut alors surtout qu'en présence du combat qu'il allait livrer avec la mort, en présence de la dispersion et de la désolation de ses brebis que ce pieux Pasteur aimait de l'affection la plus tendre, ce fut alors que l'image de la mort devint si horrible pour la partie sensible de la nature humaine dans Jésus-Christ, qu'il s'écria : « Mon Père, s'il est possible, que ce calice passe loin de moi (1) ! » Combien fut grande l'angoisse dont, pour diverses causes, est inondée en ce moment l'âme du Rédempteur ! Les gouttes de sueur de sang qui sortent de tout son corps et se répandent jusqu'à terre, nous le disent assez. Seigneur Jésus, Dominateur suprême, d'où vient cette affliction si profonde de votre âme? Pourquoi cette supplication

 

1 Mat., 26. — Luc., 22.

 

553

 

si pleine d'anxiété? Est-ce que le sacrifice offert par vous à votre Père ne fut point le sacrifice d'une volonté parfaite? Mais, je le vois, vous voulez nous montrer d'une manière infaillible qu'en vous se trouve la vraie nature de notre mortalité, et affermir notre esprit dans la foi ; vous voulez qu'au milieu des épreuves de la tribulation, notre coeur s'élève vers l'espérance et que l'aiguillon de notre amour pour vous devienne plus pressant. C'est pour cela que vous manifestez, par des marques évidentes en votre personne, l'infirmité naturelle de la chair, et aussi pour nous apprendre que vous avez porté réellement nos douleurs et que vous n'avez point été abreuvé de l'amertume des souffrances sans en ressentir vivement la peine.

 
XIX. — Jésus environné de la foule qui s'avance pour le prendre.

 

(1) Que l'esprit de Jésus ait été empressé à accepter sa Passion, c'est ce qu'il montra avec évidence, lorsque, la troupe des hommes altérés de son sang s'avançant conduite par le traître, avec des flambeaux, des lanternes et des armes , et cherchant à s'emparer de sa personne, il vint. lui-même à sa rencontre, se fit connaître et s'offrit à elle. Et, afin que notre présomption connût bien qu'elle ne pouvait rien contre lui qu'autant qu'il voulait bien le permettre lui-même, il renversa contre terre, d'une seule parole de sa. vertu toute-puissante, ces satellites d'iniquité. Mais en ce moment-là même sa colère ne fut. point un obstacle à sa miséricorde,

 

1 Joan., 18. — Mat., 26. — Marc., 14. — Luc., 22.

 

553

 

et sa charité, poussée jusqu'à la folie, ne cessa point de répandre la douce rosée de sa tendresse. Il guérit, par le contact. de sa main, la blessure faite par sou disciple à l'oreille d'un serviteur effronté, et il empêcha le zèle de son défenseur de se faire sentir à ceux qui s'emparaient de sa personne. Maudite soit la fureur de ces hommes, car elle alla, jusqu'à l'endurcissement, alors qu'elle ne put être comprimée ni par le miracle de la Majesté divine , ni par le bienfait de sa charité !

 
XX. — Jésus enchaîné.

 

Enfin, qui peut entendre, sans potasser des gémissements, comment à cette heure ces satellites barbares jetèrent leurs mains homicides sur le Roi de gloire, et comment, liant les mains innocentes du doux Jésus, de cet Agneau plein de mansuétude, ils le ramenèrent injurieusement comme un voleur qu'on conduit au supplice, sans qu'il proférât la moindre plainte? Quel glaive de douleur transperça le coeur des Apôtres, lorsqu'ils virent, leur Maître et Seigneur bien-aimé trahi par un d’entre eux, conduit pour être livré à la mort, les mains liées derrière le dos, connue un malfaiteur ; lorsqu'ils apprirent que cet impie Judas, touché de repentir, fui. rempli d’une telle amertume qu'il se donna lui-même la mort afin d'en finir avec la vie. Malheur cependant à cet homme! il ne revint pas, en agissant ainsi, à la source de la miséricorde conduit par l'espérance du pardon ; mais, effrayé par la grandeur énorme de son crime, il succomba au désespoir.

 

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XXI. — Jésus méconnu de ses proches.

 

(1) Enfin, le Pasteur étant pris, les brebis furent dispersées, et, voyant leur Maître arrêté, les Disciples prirent la fuite. Pierre cependant, comme le plus fidèle, le suivit de loin jusqu'à la cour du Prince des Prêtres, où, à la voix d'une servante, il assura et répéta jusqu'à trois fois, avec serment, qu'il ne le connaissait pas. Mais le coq ayant chanté, le tendre Jésus fixa sur ce disciple bien-aimé un regard de compassion et de miséricorde. Rappelé ainsi à lui-même, Pierre sortit dehors et pleura amèrement.

Oh ! qui que vous soyez, vous qui, à la voix d'une faible servante, je veux dire à la voix de votre chair, avez renié effrontément, par votre volonté ou vos actes, Jésus-Christ immolé pour vous ; qui que vous soyez, en vous rappelant la Passion de votre très-doux Maître, sortez dehors avec Pierre et pleurez sur vous-même avec une amertume sans limites, afin que celui qui a abaissé ses regards sur les larmes de son Apôtre, daigne aussi vous regarder. Enivrez-vous de l'absynthe d'une double amertume : de componction, pour vous, et de compassion, pour Jésus-Christ, afin que, purifié avec Pierre de la tache de votre crime, vous puissiez avec lui être rempli de l'Esprit de sainteté.

 
XXII. — Jésus les yeux voilés.

 

Jésus-Christ, notre Pontife suprême, ayant été présenté au conseil des Prêtres qui ne méditaient que l'iniquité , et ayant confessé la vérité, c'est-à-dire qu'il

 

1 Luc., 22.

 

555

 

était vraiment le Fils de Dieu, on le jugea digne de mort comme un blasphémateur, et on lui fit endurer des opprobres sans nombre. Ce visage vénérable aux hommes, désirable aux Anges, ce visage qui remplit tous les cieux d'allégresse, est souillé de crachats par ces bouches coupables, meurtri par ces mains impies et sacrilèges, et couvert d'un voile par dérision. Le Seigneur de toute créature est souffleté comme un esclave méprisable, alors qu'il se contente de reprendre avec douceur et bénignité, d'un air calme et d'un ton peu élevé, un des serviteurs du grand prêtre qui le frappait, alors qu'il se borne à lui dire (1) : « Si j'ai mal parlé, montrez ce que j'ai dit de mal : si, au contraire, j'ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ? »

O vrai ! ô doux et pieux Jésus ! quelle âme dévouée à votre amour peut, en voyant et en écoutant ces choses, retenir ses larmes et cacher la douleur profonde qu'elle ressent?

 
XXIII. — Jésus livré à Pilate.

 

L'impiété vraiment horrible cries Juifs ne put se rassasier par des injures aussi révoltantes; mais, en proie à une rage féroce , elle offrit à un juge infâme , comme à un chien furieux, l'âme du juste à dévorer. En effet les Princes des Prêtres conduisirent Jésus enchaîné devant Pilate, lui demandant qu'il condamnât au supplice de la croix celui dont il ignorait entièrement le crime (2) : Pour Jésus, semblable à l'agneau sous le ciseau de celui qui le tond, il se tenait devant

 

1 Joan., 18. — 2 Ps. 53.

 

556

 

le juge, calme et dans le silence, tandis que ces fourbes et ces impies objectaient des crimes inventés, poussaient des cris tumultueux pour que l'Auteur de la vie fût livré à la mort et que la vie fût accordée à un voleur homicide et séditieux, préférant ainsi , avec autant de folie que d'impiété, le loup à l'agneau, la mort à la vie, les ténèbres à la lumière. Doux Jésus ! qui sera assez dur pour entendre de ses oreilles ou rappeler en son esprit, sans gémir et se lamenter profondément, ces cris horribles : « Enlevez-le, enlevez-le, crucifiez-le ?

 
XXIV. — Jésus condamné à mort.

 

Pilate n'ignorait pas que la nation juive s'était soulevée contre Jésus, non par zèle pour la justice, mais par envie, puisqu'il assurait publiquement qu'il ne pouvait trouver en lui la cause la plus faible de mort. Cependant,vaincu par une crainte humaine, il abreuva l'huile du Sauveur d'amertume et soumit notre très-tendre Roi au jugement d'un tyran cruel, au jugement d'Hérode. Après qu'Hérode l'eut tourné en dérision et renvoyé à Pilate , celui-ci, par un commandement barbare, ordonna qu'il se tînt nu en présence de ses ennemis, afin que des bourreaux sans pitié déchirassent par la flagellation sa chair virginale et délicate, et lui infligeassent sans retenue plaies sur plaies, blessures sur blessures. Le sang précieux de cet innocent et très-aimable jeune homme coule à longs flots sur ses flancs sacrés sans qu'aucun crime puisse être reconnu eu lui. Et toi, homme perdu, toi, la cause

 

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de toute cette honte , de toutes ces meurtrissures , comment ne te répands-tu pas en larmes inépuisables ? Voilà que l'Agneau plein d'innocence a voulu, afin de te soustraire à la sentence d’une juste condamnation, être condamné par un jugement inique (1). Voilà qu'il a payé pour toi ce qu'il n'avait point ravi; et toi, âme méchante et impie, tu ne satisfais point à la dette de la reconnaissance par la ferveur de ta dévotion, et tu n'as pour lui aucun sentiment de compassion.

 
XXV. — Jésus méprisé de tous.

 

Après que Pilate eut prononcé qu'il accordait aux impies l'accomplissement de leurs voeux, il sembla à ces soldats sacrilèges quo ce serait peu de chose de crucifier le Sauveur, si auparavant ils n'abreuvaient son âme de toutes leurs moqueries La cohorte entière s'étant donc réunie dans le prétoire, ils le dépouillèrent de ses vêtements, le revêtirent d'une robe d'écarlate, étendirent sur ses épaules un manteau de pourpre, et, plaçant sur sa tête une couronne d'épines et en sa main droite un roseau , ils fléchirent par dérision le genou devant lui , le meurtrirent de soufflets , le couvrirent de crachats et frappèrent avec le roseau sa tête vénérable. Considère maintenant, ô orgueil du coeur humain, toi qui fuis les opprobres et soupires après les honneurs, considère quel est celui qui s'avance, ayant une ressemblance de roi, et néanmoins couvert de confusion , comme le dernier des esclaves! C'est

 

1 Ps. 68. — Mat., 27.

 

558

 

ton Roi , c'est ton Dieu qui vient d'être traité comme un lépreux , comme le plus méprisable des hommes, afin de t'arracher à la confusion éternelle, afin de guérir la maladie de ton orgueil (1). Malheur donc une fois, malheur deux fois à ceux qui, après un exemple si éclatant d'humilité, se laisseront élever par l'orgueil et rendront ainsi de nouveau l'objet de leurs mépris le Fils de Dieu , ce Fils de Dieu d'autant plus digne de recevoir des hommes tout honneur, quo pour eux il s'est soumis à tout ce qu'il y a de plus révoltant !

 
XXVI. — Jésus attaché à la Croix.

 

Enfin les impies se sont rassasiés des opprobres du Roi de toute mansuétude; on le couvre de ses vêtements pour l'en dépouiller bientôt encore; on le conduit au Calvaire , et il porte lui-même sa croix Là, on lui ôte de nouveau ses vêtements et on ne lui laisse autour du corps qu'un linge misérable; on le jette cruellement sur l'arbre de la croix, on l'y étend, on tire ses membres avec violence, on les allonge de côté et d'autre comme on ferait d'une peau, on le perce de clous aigus, et ses mains et ses pieds étant ainsi fixés à la croix et déchirés de la manière la plus cruelle on s'empare de ses vêtements, on se les partage, et sa tunique sans couture devient par le sort la possession d'un de ses bourreaux.

Vois maintenant, ô mon âme, comme le Dieu béni sur toute chose est plongé tout entier, depuis l'extrémité des pieds jusqu'à la tête, dans les eaux de la

 

1 Ps. 53. — 2. Joan., 19.

 

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tribulation. Vois comment, pour te soustraire à de semblables tourments, les torrents de la douleur ont envahi son âme (1). Il est couronné d'épines et on le contraint à courber ses épaules sous le fardeau de sa croix et à porter lui-même son ignominie. Il est conduit au lieu de son supplice, et là on lui enlève ses vêtements, afin que , les blessures et les plaies répandues par tout son corps par les coups de la flagellation venant à s'ouvrir de nouveau , il paraisse semblable à un lépreux; ensuite il est percé de clous , afin que tu puisses bien reconnaître que pour te guérir, ton bien-aimé a vraiment reçu blessure sur blessure. Ah! qui nie donnera que ma prière soit exaucée et que Dieu m'accorde ce que j'attends de lui? Je serais alors transpercé en mon âme et en ma chair et je serais attaché au gibet de la croix avec mon bien-aimé.

 
XXVII. — Jésus associé aux voleurs.

 

Afin d'accroître la confusion, l'ignominie, le déshonneur et le tourment de l'innocent Agneau, on le crucifie au lieu même où l'on exécutait les scélérats en un jour solennel, à l'heure de midi, au milieu de voleurs, en présence de ses amis baignés de larmes et de ses ennemis qui l'insultent, comme s'il eût été donné en spectacle. Ceux qui passaient branlaient la tête en signe de mépris; ceux qui l'entouraient l'accablaient d'injures, en disant qu'il avait sauvé les autres et que maintenant hie pouvait se sauver lui-même (2). L'un des voleurs ne s'abstint même pas de prendre part à ces dérisions, alors que cet Agneau plein de douceur priait,

 

1 Ps. 68, — 2 Mat., 27.

 

560

 

avec une tendresse ineffable, son Père en faveur de ceux qui le crucifiaient et se moquaient de lui, alors qu'il promettait, avec une charité si libérale, le Paradis à l'autre voleur qui confessait. son crime et en demandait le pardon.

O parole toute de douceur et de pardon : « Mon Père, pardonnez-leur ! » O parole toute d'amour et de grâce : « Aujourd'hui vous serez. arec moi dans le Paradis (1). » O mon âme, respire maintenant dans l'espérance du pardon, quelque coupable que tu puisses être, pourvu cependant que tu ne regardes pas comme indigne de toi de marcher sur les traces du Seigneur ton Dieu souffrant pour toi. Dans tous ses tourments, il n'a pas ouvert une fois la bouche pour exprimer, même avec douceur, un seul mot de plainte, d'accusation, de menace ou de malédiction contre ces chiens furieux et maudits. Au contraire, il a répandu sur ses ennemis une parole de bénédiction toute nouvelle, telle qu'on ne l'avait jamais entendue depuis l'origine du monde. Dis-lui donc avec une confiance sans limites : « (2) Ayez pitié de moi, mon Dieu, ayez pitié de moi, parce que mon rime amis sa confiance en vous. » Et peut-être qu'à l'heure de la mort tu mériteras d'entendre , comme le larron suppliant : « Aujourd'hui tu seras avec moi dans le Paradis. »

 
XXVIII. — Jésus abreuvé de fiel et de vinaigre.

 

(3) Ensuite Jésus, sachant que tout était consommé, s'écria, afin que l'Écriture fût accomplie : « J'ai soif. »

 

1 Luc., 23. — 2 Ps. 56 .— 3 Joan., 19.

 

561

 

Et aussitôt, au témoignage de Jean qui était présent, on lui offrit une éponge imprégnée d'un breuvage de fiel et de vinaigre. Alors il dit: « Tout est consommé ! » comme s'il eût voulu indiquer que la plénitude de sa Passion très-amère se trouvait accomplie par ce breuvage de fiel et de vinaigre. En effet, comme c'était en mangeant d'un fruit agréable et défendu qu'Adam s'était constitué prévaricateur et cause de la ruine de tout le genre humain, il était convenable et opportun de chercher dans une voie contraire le remède de notre salut. Alors que dans chacun des membres du Sauveur les traits des tourments les plus aigus se multipliaient pour augmenter sa peine et que leur fureur épuisait son esprit, il était convenable, dis-je, que la partie du corps qui sert d'instrument à la parole et à la nourriture, rie demeurât pas sans souffrance, et qu'en notre médecin se vérifiât cette parole du Prophète : « Il m'a rempli d'amertume, il m'a enivré d'absinthe (1). » il fallait aussi qu'en la Vierge glorieuse, sa Mère très-douce et très–aimante, cette autre parole reçût son accomplissement : « Il m'a plongée dans la désolation, il m'a accablée de chagrin durant tout le jour . »

Quelle langue pourra dire , quelle intelligence pourra comprendre, ô Vierge bienheureuse, tout le poids de vos désolations? Vous êtes spectatrice de tout ce que nous venons de dire, vous y participez sans réserve, et cette chair bénie et très-sainte que vous avez conçue avec tant de pureté, soignée avec tant de tendresse, nourrie de votre lait, reposée sur

 

1 Thren., 3. — Thren., 3.

 

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votre sein, si fréquemment couverte de vos baisers, contemplée de vos regards, maintenant vous la voyez mise en lambeaux par les fouets, déchirée par les épines, frappée avec le roseau, meurtrie par les soufflets et à coups de poings, percée de clous, attachée et pendante au gibet de la croix par de cruelles blessures, rassasiée d'opprobres, et enfin, abreuvée de fiel et de vinaigre. Et cette âme très-divine, vous l'avez considérée aussi des yeux de l'esprit, vous l'avez vue remplie du fiel de toute amertume, frémissante au-dedans d'elle-même, tremblante, accablée d'ennui, agonisante, pleine d'anxiété et de trouble, en proie à la tristesse la plus profonde, à la douleur la plus acerbe, soit par le sentiment très-vif des souffrances corporelles, soit par son zèle ardent pour l'honneur ravi à Dieu par le péché, soit par la tendresse de sa pitié envers les malheureux qui le faisaient mourir, soit par sa compassion envers vous, sa très-douce Mère, compassion qui avait pénétré, comme un glaive, le plus intime de son coeur, alors qu'il vous voyait présente sous ses yeux, qu'il abaissait sur vous des regards si tendres , et vous disait avec tant d'amour : « Femme, voilà votre Fils (1), » afin de consoler votre âme qu'il savait bien transpercée du glaive de sa Passion avec plus de rigueur que si vous l'eussiez endurée dans votre propre corps.

 
XXIX. — Jésus soleil obscurci par la mort.

 

Enfin, l'Agneau d'innocence, le vrai soleil de justice, avant été suspendu à la croix l'espace de trois

 

1 Joan., 19.

 

563

 

heures, et pendant ce temps le soleil qui nous éclaire, pour témoigner sa pitié envers son Créateur, ayant voilé les rayons de sa lumière, déjà tout étant consommé, à la neuvième heure, la source même de la vie se dessécha; car Jésus, Dieu et homme, ayant poussé un grand cri et versé des larmes en signe de sa vive compassion et aussi pour faire connaître la puissance de sa divinité, expira en remettant son âme entre les mains de son Père (1). A ce moment le voile du temple se déchira depuis le haut jusqu'en bas, la terre trembla, les rochers se fendirent et les tombeaux furent ouverts. Alors, le Centurion lui-même reconnut que Jésus-Christ était le vrai Dieu, et ceux qui s'étaient assemblés pour insulter au spectacle de ses souffrances, s'en retournèrent en se frappant la poitrine. Ce fut alors que le plus beau des enfants des hommes, fermant ses yeux à la lumière, laissant la pâleur se répandre sur ses traits, apparut sans beauté pour notre salut, et devint un holocauste d'odeur très-suave offert à la gloire de son Père afin de détourner sa colère de dessus nous.

Abaissez donc, ô Seigneur, Père très-saint, vos regards des profondeurs de votre sanctuaire et des hauteurs de votre céleste demeure ; abaissez-les, dis-je, sur la face de votre Christ. Considérez cette hostie très-sainte que vous offre notre grand Pontife pour nos péchés, et laissez-vous toucher de miséricorde pour pardonner à l'iniquité de votre peuple. Et toi, homme ainsi racheté, considère quel est

 

1 Hebr., 5. — Mat., 27. — Ps. 44.

 

564

 

celui qui est attaché pour toi à la croix, quels sont ses titres, quelle est sa grandeur, lui dont la mort rend la vie aux morts, lui dont le trépas plonge dans le deuil le ciel et la terre, et fait fendre les rochers les plus durs, comme s'ils cédaient aux impressions d'une compassion toute naturelle. O coeur de l'homme ! ta dureté surpasse la dureté des pierres si, au souvenir d'un tel sacrifice, tu n'es point frappé de terreur, si tu ne te déchires point. sous l'effort de ta douleur, si tu ne t'amollis point sous l'action de la piété.

 
XXX. — Jésus percé d'un coup de lance.

 

Or, afin que l'Église fût formée du côté de Jésus-Christ endormi sur la croix, afin aussi que l'Écriture fût accomplie, qui a dit : « Ils verront celui qu'ils ont percé (1),» il arriva, par une disposition divine, qu'un des soldats ouvrit son côté sacré en le perçant de sa lance. Alors, le sang du Sauveur coula mêlé d'eau; et ainsi fut versé le prix de notre salut, prix qui, venant à s'échapper du secret de son coeur comme d'une source, donna aux sacrements de l'Église la vertu de conférer la vie de la grâce, et devint pour ceux qui vivent en Jésus-Christ, un breuvage d'eau vive qui rejaillit jusque dans la vie éternelle. C'est maintenant que la lance de Saül, guidée par la perfidie d'un peuple réprouvé, du peuple juif, a porté un coup inutile à la muraille et que, par la miséricorde céleste, elle a fait une ouverture dans le creux de la pierre, un enfoncement dans cette

 

1 Zach., 12. — Joan., 19. — 2 I Reg., 18.

 

565

 

même muraille , pour y former la demeure de la colombe (1).

Levez-vous donc, ô âme amie de Jésus-Christ ! et, comme la colombe, bâtissez votre retraite à l'endroit le plus profond de l'ouverture ; fixez là votre demeure, comme le passereau (2), et ne cessez point de garder une vigilance parfaite; comme la tourterelle, cachez-y les fruits de votre chaste amour, et approchez votre bouche de ce canal sacré, afin d'y puiser les eaux qui s'épanchent des fontaines du Sauveur (3). C'est là, en effet, que se trouve la fontaine qui jaillit du milieu du Paradis, se divise en quatre branches, se répand sur les coeurs pieux, arrose et féconde la terre entière (4).

 
XXXI. — Jésus arrosé de son sang.

 

Le Seigneur Jésus fut tout couvert de son propre sang, d'abord par la sueur du jardin des Olives, ensuite par la flagellation, le couronnement d'épines, les clous, et enfin par la lance; et, en ces diverses circonstances, il le répandit sans réserve, afin qu'auprès de Dieu nous eussions une rédemption abondante. Sa robe de pontife en fut toute teinte , son vêtement apparut véritablement rouge et ses habits ressemblèrent aux habits de ceux qui foulent le pressoir (5). Ainsi le vrai Joseph ayant été jeté dans la vieille citerne, sa tunique fut trempée dans le sang du bouc, car il avait une chair semblable à une chair de péché, et elle fut envoyée à son Père , afin qu'il la

 

1 Cant., 2 — 2 Ps. 83. — 3 Ps. 12. — 4 Genes., 2.— 5 Ps. 63.

 

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reconnût et qu'il abaissât sur elle un regard de complaisance (1).

Reconnaissez donc, ô Père très-clément ! la tunique de Joseph, votre fils bien-aimé. Pareille à une bête féroce, t'envie de ses frères selon la chair l'a dévoré, leur fureur a foulé aux pieds son vêtement et elle en a souillé la beauté des dernières gouttes de son sang; car elle l'a abandonné couvert de cinq plaies lamentables. C'est là, Seigneur, le vêtement que votre enfant innocent a laissé de grand coeur entre les mains de la prostituée égyptienne (2), c'est-à-dire de la Synagogue, aimant mieux descendre dépouillé du manteau de sa chair dans la prison de la mort, que de chercher une gloire terrestre en acquiesçant aux voeux d'un peuple adultère. Car laissant de côté le bonheur dont il eût pu jouir, il souffrit la mort de la croix et méprisa la confusion qui y était attachée. Et vous aussi , très-miséricordieuse Souveraine , abaissez vos regards sur ce vêtement très-saint de votre Fils bien-aimé ; c'est vous qui l'avez tissu de votre chair immaculée et de votre sein virginal sous l'action de l'Esprit-Saint. Nous nous réfugions en la société de ce cher Fils, auprès de vous ; demandez pardon en notre faveur, afin que nous soyons trouvés dignes d'être soustraits à la colère à venir.

 
XXXII. — Jésus mis dans le tombeau.

 

(3) Le noble centurion Joseph d'Arimathie étant venu et ayant obtenu la permission de Pilate, détacha,

 

1 Gen., 37. — 2 Gen., 39. — 3 Luc., 93.

 

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aidé de Nicodème, le corps de Jésus de la croix, l'embauma avec des parfums précieux , le mit dans un linceul et le plaça en un sépulcre nouveau, qu'il avait fait creuser pour soi dans le rocher, en un jardin qui était proche. Or, le Seigneur étant ainsi déposé dans le tombeau et des soldats placés à la garde du sépulcre , ces saintes et pieuses femmes qui l'avaient servi durant sa vie, désireuses de lui prodiguer encore après sa mort les soins de leur active charité, s'en allèrent acheter des aromates afin d'oindre le corps sacré de leur Sauveur. Parmi elles se trouvait Marie-Madeleine, emportée par une telle ardeur d'amour, pressée par une telle tendresse de piété, attirée par de tels liens de charité, qu'oubliant la faiblesse naturelle à son sexe, elle ne pouvait être détournée de la visite du sépulcre, ni par l'épaisseur des ténèbres, ni par la dureté barbare des gardes. Bien plus, se tenant en dehors de ce tombeau et l'arrosant de ses larmes, elle demeurait là pendant que les disciples s'en retournaient. C'est qu'elle était embrasée du feu de la divine charité, c'est que le désir qui la consumait était tellement puissant, l'amour qui la blessait si violent, que rien ne lui était doux, si ce n'est de pleurer, et qu'elle pouvait en réalité s'appliquer ces paroles du Prophète: « Mes larmes me servent de nourriture le jour et la nuit, pendant que l'on me dit à chaque instant : Où est votre Dieu (1) ? »

O bon Jésus! mon Dieu ! accordez-moi, bien que j'en sois indigne et que je n'y aie droit en aucune

 

Ps. 41.

 

568

 

manière, accordez-moi, puisque je n'ai point mérité d'être en mon corps présent à vos souffrances, de ressentir, en les repassant en mon âme, ces sentiments de compassion que votre Mère innocente et Madeleine, votre pénitente, ont éprouvés pour vous au temps de votre Passion, ô Dieu crucifié et mort pour mon amour !

 
XXXIII. — Jésus triomphant dans sa mort.

 

Le combat de la Passion étant consommé, alors quo le Dragon sanguinaire , ce lion plein de rage, croyait avoir remporté la victoire sur l'Agneau mis à mort, la puissance de la Divinité brilla en ce même Agneau par la descente de son âme aux enfers, car notre Lion plein de courage, le Lion de la tribu de Juda se levant dans sa vertu contre le fort armé, lui arracha sa proie, brisa les portes de l'enfer, enchaîna le serpent, dépouilla les principautés et les puissances, et les amena hautement, comme en triomphe, après les avoir vaincues en lui-même (1). C'est alors que Léviathan fut enlevé avec un hameçon (2) et que sa mâchoire fut percée par le Christ, et que, pour s'être emparé sur le chef d'un droit qu'il n'avait pas, il perdit celui qu'il semblait posséder sur le corps. C'est alors que le vrai Samson anéantit, en mourant, l'armée des ennemis (3) ; alors que l'Agneau sans tache fit sortir, par le sang de son testament, d'un lac sans eau ceux qui y demeuraient captifs (4) ; alors que la lumière se leva sur ceux qui habitaient une région assise à l'ombre de

 

1 Colos., 2. — 2 Job., 40. — 3 Judic., 16. — 4 Zacli., 9.

 

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la mort, et que la clarté longtemps attendue d'une splendeur nouvelle brilla à leurs yeux (1).

 
XXXIV. — Jésus ressuscitant bienheureux.

 

Le troisième jour, qui est le huitième et le premier dans l'ordre de la semaine, s'étant levé sur le repos sacré du Seigneur en son tombeau, la Vertu de Dieu, la Sagesse du Très-Haut, Jésus-Christ, après avoir renversé l'auteur de la mort, vainquit la mort elle-même et nous ouvrit l'entrée de l'éternité en se ressuscitant lui-même d'entre les morts par sa puissance divine, afin de nous faire connaître les voies de la vie. Alors eut lieu un grand tremblement de terre. L'Ange du Seigneur descendit du Ciel, vêtu d'une robe blanche et portant en son visage l'éclat de la foudre, et se montra caressant envers ceux qui étaient bons, mais plein de sévérité envers les impies (2). Aussi sa vue épouvanta les soldats effrontés et fortifia les femmes tremblantes, à qui le Seigneur se montra lui-même après sa Résurrection, parce que l'ardeur de leur vive dévotion les rendait dignes d'une telle faveur. Il se montra ensuite à Pierre, aux Disciples allant à Emmaüs, à tous les Apôtres, à l'exception de Thomas, enfin à Thomas lui-même, auquel il offrit son corps à toucher et qui s'écria avec. une vraie sincérité : Vous êtes mon Seigneur et mon Dieu. Et pendant quarante jours, apparaissant différentes fois à ses Disciples, mangeant et buvant avec eux, il fournit par ces apparitions des lumières à notre foi, et éleva

 

1 Ps. 9. — 2 Mat., 28.

 

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par ses promesses nos cœurs vers l'espérance, afin de les embraser de son amour, après les avoir ainsi comblés de ses dons célestes (1).

 
XXXV. — Jésus splendeur suréminente.

 

Assurément cette fleur brillante de la tige de Jessé (2) qui a fleuri dans l'Incarnation et s'est flétrie dans la Passion, a repris son éclat dans la Résurrection pour être le modèle de toute beauté. En effet ce corps très-glorieux, doué de subtilité et d'agilité, ce corps plein d'immortalité a été revêtu d'une telle splendeur de lumière qu'il est vraiment plus brillant que le soleil, que c'est vraiment à l'image de sa beauté que les corps bienheureux devront ressusciter. Le Sauveur lui-même nous a dit en parlant de cette résurrection: « Alors les Justes brilleront comme le soleil dans le royaume de mon Père(3). » c'est-à-dire dans le royaume de l'éternelle béatitude. Mais si le Juste doit briller comme le Soleil, de quel éclat doit donc être revêtu le soleil de justice lui-même? Il est tel qu'il l'emporte sur la beauté du soleil et de l'incomparable armée des étoiles. Il est tel, dis-je, que , comparé à toute lumière, ce n'est pas sans raison qu'on l'appelle un éclat suréminent. heureux les yeux à qui il a été donné de le contempler ! Et vous aussi vous serez bienheureux s'il reste quelqu'un de votre race pour voir, tant intérieurement qu'extérieurement, cette splendeur, l'objet de tous nos désirs (4).

 

1 Luc., 24. — Joan., 20. — 2 Ps. 11. — 3 Mat., 13. — 4 Tob., 13.

 
XXXV. — Jésus préposé à l'Univers.

 

Or, le Seigneur apparaissant à ses Disciples en Galilée, leur assura que toute puissance lui avait été donnée par son Père, tant au ciel que sur la terre. C'est pour cela qu'il envoie ses Apôtres prêcher par le monde entier l'Évangile à toute créature, promettant le salut à ceux qui croiraient , menaçant de la damnation ceux qui ne croiraient pas. Le Seigneur coopère à leur prédication et il la confirme par les prodiges qui l'accompagnent, afin qu'en la vertu du nom de Jésus-Christ ils commandent à toute créature, à toute infirmité , et qu'il devienne évident pour l'Univers entier, que le Fils du Père glorieux, Jésus-Christ, comme un autre Joseph et un vrai Sauveur, est vivant et règne non-seulement sur la terre d'Égypte, mais encore en tous les lieux où s'étend la domination du Roi éternel. C'est de la prison de la mort et des profondeurs de l'abîme qu'il a été tiré pour être placé à la tête de l'empire du Dieu du Ciel; c'est après avoir déposé la chevelure de l'immortalité qu'il a échangé le vêtement de la chair contre la splendeur de l'immortalité; après avoir été arraché aux eaux de cette vie mortelle que, comme un vrai Moïse, il a anéanti l'empire de Pharaon , et qu'il a été tellement élevé en dignité, qu'à son nom tout genou fléchit au ciel, sur la terre et dans les enfers (2).

 
XXXVII. — Jésus, chef de l'armée bienheureuse.

 

Quarante jours s'étant écoulés depuis la Résurrection du Seigneur, non sans qu'un grand mystère fût

 

1 Mat., 28. — 2 Exod., 2. — Philip., 2.

 

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indiqué par cette période, le quarantième, jour, le charitable Maître, après avoir mangé avec ses Disciples, s'en alla sur la montagne des Oliviers. Là, en leur présence, il s'éleva dans les cieux, les mains étendues, et une nuée qui se forma l'ayant environné, il se cacha lui-même aux regards des hommes. C'est ainsi que , montant à travers l'espace, conduisant comme en triomphe une multitude innombrable de captifs, et ouvrant les portes du Ciel , il entra, montrant le chemin à ceux qui le suivaient ; qu'il introduisit les exilés dans leur patrie, les fit concitoyens des Anges, habitants de la maison de Dieu. C'est en ce jour qu'il répara les ruines des Anges, qu'il rendit au Père éternel tout l'honneur qui lui avait été ravi, se montra vraiment triomphateur et prouva qu'il était le Seigneur des armées (1).

 
XXXVIII. — Jésus élevé au-dessus des Cieux.

 

Au milieu des cantiques des Anges et des tressaillements d'allégresse des saints, le Dieu Seigneur des Anges et des hommes s'éleva au-dessus du ciel des cieux, vola sur l'aile des vents avec l'admirable agilité de sa puissance, et alla s'asseoir à la droite du Père, d'autant plus élevé au-dessus des Anges que le nom qu'il a reçu est plus excellent que le leur, et c'est là qu'il est sans cesse en présence de ce Père miséricordieux, afin d'intercéder en notre faveur. C'est un tel Pontife qu'il était convenable que nous eussions, un Pontife saint, innocent, sans tache, séparé des pécheurs

 

1 Act. 1.— Ps. 67.

 

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plus élevé que les cieux, et qui, assis à la droite de la Majesté suprême, pourrait offrir aux regards de son Père glorieux les traces des blessures qu'il a reçues pour nous (1).

O Seigneur, notre Père ! que toute langue vous rende grâces à cause de ce don inénarrable de votre excessive et abondante charité, vous qui n'avez point épargné le Fils unique de votre coeur, mais l'avez livré pour nous tous à la mort, afin de nous donner auprès de vous dans les Cieux un avocat aussi puissant et aussi fidèle (2).

 
XXXIX. — Jésus donateur du Saint-Esprit.

 

Déjà sept semaines s'étaient passées depuis la Résurrection. Or, le cinquantième jour, les Disciples étant assemblés dans un même lieu avec les saintes femmes et Marie, Mère de Jésus, on entendit tout-à-coup un grand bruit, comme d'un vent impétueux qui venait du ciel, et qui descendit sur ces cent vingt hommes réunis en ce lieu. En même temps, des langues de feu apparurent sur chacun d'eux, afin de montrer que la parole était communiquée à leurs havres, la lumière et l'intelligence à leur coeur. Tous furent remplis du Saint-Esprit, et ils commencèrent à parler diverses langues, selon que le souille de ce même Esprit le leur inspirait. Il leur enseigna toute vérité, les embrasa de toute charité, et les affermit dans toute vertu. Aussi, aidés de sa grâce, illuminés de sa doctrine, fortifiés par sa puissance, quoi-

 

1 Hebr., 1. — Id., 7. — 2 Rom., 8.

 

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qu'ils ne fussent qu'en petit nombre et des hommes simples, par leurs discours enflammés, leurs exemples de sainteté, leurs miracles étonnants, ils fondèrent la sainte Église dans l'univers entier. Et cette église purifiée, illuminée, rendue parfaite par la vertu de ce même Esprit, est devenue pleine d'amabilité pour son Époux et ses amis, à cause de sa beauté éclatante et de l'admirable variété de ses vêtements, tandis que, pour Satan et ses anges, elle est terrible comme une armée rangée en bataille (1).

 
XL. — Jésus source de pardon.

 

Or, en cette Église établie dans tout l'univers par l'ineffable coopération de l'Esprit-Saint, distincte par ses mille variétés, et une par l'union parfaite de ses membres, en cette Église préside Jésus-Christ, notre unique Pontife, comme un monarque suprême qui y dispense, avec un ordre admirable, ainsi que dans une ville toute céleste, les différents emplois, et y distribue les dons divers. C'est lui qui a mis en elle des apôtres, des prophètes, des évangélistes, des pasteurs et des docteurs, afin que les uns et les autres travaillent à la perfection des saints, à l'édification du corps mystique de Jésus-Christ (2). C'est lui aussi qui, selon la grâce de l'Esprit-Saint manifestée sous sept dons différents, a établi sept sacrements, comme autant de remèdes pour nos maladies, et a attaché à leur réception la grâce sanctifiante et le pardon des péchés, lequel pardon ne s'obtient jamais qu'avec la foi et en l'unité de cette sainte Eglise, notre mère.

 

1 Act. 1. — Cant. 6. — 2 Ephes.

 

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Mais, parce que c'est par le feu de la tribulation que nos péchés sont effacés, comme Dieu a exposé Jésus-Christ, le chef de l'Église, aux flots de l'affliction, de même, il permet que son corps, qui n'est autre que l'Eglise même, soit en butte aux peines, afin de l'éprouver et de la purifier de plus en plus. Ainsi, les Patriarches, les Prophètes, les Apôtres, les Martyrs, les Confesseurs, les vierges et tous ceux, en un mot, qui se sont rendus agréables à Dieu, n'ont gardé leur fidélité qu'en passant par de nombreuses tribulations. Ainsi devront y passer tous les membres choisis de Jésus-Christ jusqu'au jour du jugement.

 
XLI. — Jésus témoin véridique.

 

Au jour du jugement à venir, jour où Dieu prononcera sur les secrets des coeurs, le feu marchera devant la face du Juge suprême, les Anges seront envoyés avec la trompette, les élus seront rassemblés des quatre vents du ciel; tous ceux qui sont dans les tombeaux, ressusciteront par la vertu du commandement divin, et tous paraîtront devant ce tribunal où ils seront jugés. Alors seront illuminées les profondeurs des ténèbres, alors seront révélés les projets de tous les coeurs, alors seront ouverts les livres des consciences, alors sera manifesté au grand jour ce livre lui-même qu'on appelle le Livre de vie. Alors, en un moment et à la fois, les secrets de tous les hommes seront montrés à tous avec une telle lumière et une telle évidence, qu'en présence du témoignage de la vérité qui parlera en Jésus-Christ, en présence

 

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du témoignage de la conscience qui élèvera également la voix, tout désaveu deviendra réellement impossible, ainsi que toute défense, toute excuse, tout subterfuge; il faudra que chacun reçoive salon ses ouvres. Nous avons donc ici un motif impérieux d'agir en tout avec sagesse, puisque nous faisons toutes nos actions en présence d'un Juge à qui rien n'est caché.

 
XLII. — Jésus juge irrité.

 

(1) Quand le signe du Fils tout-puissant de Dieu apparaîtra dans les nues, et que les vertus des cieux seront ébranlées; quand les feux de tous les mondes concourront à la fois à l'embrasement total de l'univers; que les justes seront placés à la droite et les impies à la gauche, le Juge suprême de tous les hommes se montrera animé d'une telle colère contre les réprouvés, qu'ils crieront aux montagnes et aux rochers : « Tombez sur nous, et dérobez-nous aux regards de celui qui est assis sur le trône, à la colère de l'Agneau (2). » Eu effet, il prendra la justice pour cuirasse, et pour casque l'intégrité ale son jugement. Il aiguisera, comme une lance, sa colère inflexible, et tout l’univers combattra avec lui contre les insensés Alors, ceux qui se sont soulevés avec tant d'insolence contre l'Auteur de toutes choses, se verront, par un juste jugement de Dieu, en butte aux attaques de toutes les créatures. En haut apparaîtra le Juge irrité lui-même ; en bas, l'abîme épouvantable et l'Enfer

 

1 Luc., 21. — 2 Apoc., 6. — 3 Sup., 5.

 

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béant; à droite, les péchés qui les accuseront ; à gauche, une multitude de démons pour les entraîner dans le gouffre; enfin, à l'intérieur, la conscience qui fera sentir son remords dévorant. Ainsi environné, où pourra fuir le coupable? Assurément, il lui deviendra impossible de se cacher, et cependant, paraître au grand jour sera pour lui une chose intolérable. Si le juste est à peine sauvé, que deviendront les impies et les pécheurs (1) ? Ah ! Seigneur, n'entrez donc pas en jugement avec votre serviteur (2).

 
XLIII. — Jésus vainqueur magnifique.

 

La sentence qui condamne les réprouvés aux feux éternels étant portée, et tous les ennemis de Jésus-Christ liés comme un faisceau, la vertu toute-puissante de Dieu les livrera, tant en leur corps qu'en leur âme, à l'incessante voracité des flammes, en sorte que jamais ils ne se consumeront, qu'ils seront toujours en proie au feu, qu'ils endureront éternellement sa rigueur, et que la fumée de leurs tourments s'élèvera dans les siècles des siècles (3) . C'est alors que la bête et les faux prophètes, et ceux qui avaient reçu son image, seront jetés dans un étang de soufre et de feu préparé pour le démon et pour ses anges (4). C'est alors que les élus s'avanceront pour considérer ces cadavres sans vie, frappés non de la mort naturelle, mais de la mort du péché; alors que les justes laveront leurs mains dans le sang des pécheurs (5) ; alors

 

1 Petr.,4. — 2 Ps. 142.— 3 Apoc., 14. — 4 Apoc., 20.— 5 Ps. 57.

 

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que l'Agneau vraiment victorieux réduira ses ennemis à lui servir de marche-pied (1); quand les impies, entrant dans les profondeurs de la terre, seront livrés à la puissance du glaive et deviendront la proie des renards (2), c'est-à-dire des démons qui les auront séduits par leurs ruses trompeuses.

 
XLIV. — Jésus époux glorieux.

 

Enfin, la face du monde étant renouvelée et rendue plus pure, la lumière de la lune sera comme la lumière du soleil, et celle du soleil sera sept fois plus grande ; elle sera comme la lumière de sept jours ensemble. Alors Jérusalem, cette cité sainte qui était descendue du ciel comme une épouse ornée avec éclat, se trouvant à cette heure toute préparée pour les noces de l'Agneau et revêtue d'un double vêtement de gloire, sera conduite dans le palais du royaume céleste. Elle sera introduite dans ce sanctuaire glorieux, dans cette demeure inviolable, où elle s'unira à l'Agneau divin d'une union si intime que l'Époux et l'Épouse deviendront un même esprit. Jésus-Christ sera revêtu de toute la beauté de ses élus, comme d'un vêtement de couleurs diverses, qui le rendra brillant de tout éclat et resplendissant de la magnificence de toute pierre précieuse. Alors retentira ce doux cantique des noces de l'Agneau, et sur toutes les places de Jérusalem on chantera: Alleluia. Alors les vierges prudentes et préparées entreront aux noces avec l'Époux, et, la porte étant fermée, elles se reposeront dans la beauté de la

 

1 Ps. 109. — 2 Ps. 62.

 

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paix, dans les tabernacles de la confiance et dans un repos d'une abondance inépuisable.

 
XLV, — Jésus Roi fils de Roi.

 

Le royaume éternel de Dieu doit être estimé glorieux et plein de grandeur, d'après la haute élévation de celui qui y règne ; car ce n'est pas ici le roi qui emprunte son titre au royaume, c'est le royaume qui doit son origine à son Roi. Ce roi est Celui qui porte écrit sur son vêtement et sur sa cuisse : Le Roi des rois, et le Seigneur des seigneurs (1). Sa puissance est éternelle et elle ne lui sera point ravie, et son royaume ne sera point détruit. Tous les peuples, les tribus et les langues le serviront éternellement. Il est vraiment le Roi pacifique dont le ciel et la terre désirent contempler la beauté. Oh ! combien glorieux est le royaume d'un Roi si excellent! C'est là qu'avec lui règnent tous les saints. Sa loi, c'est la vérité, c'est la paix, la charité, la vie, l'éternité. La multitude de ceux qui sont élevés en ce royaume ne divise point son unité. La part qu'ils y obtiennent n'affaiblit point son intégrité ; le nombre n'y porte point la confusion; l'inégalité n'y amène point le désordre; un espace limité ne lui sert point d'enceinte; les vicissitudes y sont étrangères, et le temps n'est point la mesure de ses années.

 
XLVI. — Jésus le livre scellé.

 

Pour que la gloire d'un royaume soit parfaite, non-seulement il faut une puissance admirable, mais encore

 

1 Apoc., 17.

 

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une sagesse éclatante ; car alors les rênes du gouvernement ne sont point tenues selon le jugement d'une volonté indéterminée, mais selon les vives lumières des lois éternelles, lois émanées des splendeurs de la sagesse infaillible. Or, cette sagesse est écrite en Jésus-Christ, comme dans le livre de vie en qui Dieu le Père a caché tous les trésors de la sagesse et de la science. Ainsi, comme Verbe incréé, le Fils unique de Dieu est le livre même de la sagesse ; il est la lumière qui brille en l'esprit du Créateur suprême, lumière pleine de raisons vivantes et éternelles ; comme Verbe inspiré, il est la lumière qui illumine les intelligences angéliques et bienheureuses ; comme Verbe incarné, il est cette même lumière qui éclaire les esprits doués de raison et unis à la chair. De la sorte la sagesse de Dieu se montre en Jésus-Christ sous différentes formes. En lui elle se répand par tout son royaume, et elle apparaît comme en un miroir de splendeur qui reproduit la beauté de toutes les espèces et l'éclat de toutes les lumières, comme en un livre où toutes choses sont écrites selon les desseins impénétrables de Dieu.

Oh! s'il m'était donné de rencontrer un tel livre dont l'origine est éternelle, dont les caractères sont indélébiles, dont la contemplation est vraiment digne de nos désirs, la doctrine facile, la science pleine de douceur, la profondeur insondable, les paroles inénarrables, et où cependant le Verbe seul est toutes choses ! En vérité, celui qui a trouvé ce livre a troué la vie, et c'est dans le Seigneur lui-même qu'il puise le salut.

 

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XLVII. — Jésus rayon de lumière inépuisable.

 

Or, en ce royaume éternel, toute grâce excellente et tout don parfait descendent du Père des lumières avec libéralité et abondance, par celui qui est son rayon substantiel, Jésus-Christ (1). Car il est un et il possède tout pouvoir, et toujours immuable en lui-même, il renouvelle toutes choses. Il est une effusion toute pure de la clarté du Tout-Puissant, voilà pourquoi rien de souillé ne saurait troubler l'océan de ce rayon. Accourez donc à cette source de la vie et de la lumière, accourez avec un désir ardent, qui que vous soyez, ô âme dévouée à Dieu ! Et criez-lui de toute la force de votre coeur: « O ineffable beauté du Très-Haut! O clarté très-pure de la lumière éternelle! Vie inépuisable qui vivifiez toute vie, lumière qui illuminez toute lumière, et conservez toujours dans une splendeur sans cesse persévérante les astres divers qui brillent devant le trône de votre Divinité depuis l'origine des temps! O fleuve éternel et inaccessible, fleuve plein de douceur, d'éclat et de suavité, dont la source est cachée aux yeux de tous les mortels , fleuve dont la profondeur est un abîme , dont la hauteur est infinie, la largeur sans limites, la pureté à l'abri de toute tempête. C'est de là que sort ce fleuve qui verse une huile d'allégresse et réjouit la cité de Dieu ; de là que sort ce torrent dont. la force est semblable à celle du feu , ce torrent, dis-je, d'une volupté divine, qui remplit d'une ivresse de bonheur les habitants de la

 

1 Jac., 1.

 

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patrie céleste et met dans leur bouche l'hymne d'une jubilation sans lin. Daignez donc nous oindre de cette huile sacrée; daignez verser en nos coeurs desséchés quelques gouttes de ce torrent désirable , afin de calmer la soif qui les dévore. Nous aussi, nous vous chanterons des cantiques de louange; nous ferons retentir nos cris d'allégresse et les chants de notre joie, alors que nous saurons par expérience qu'en vous se trouve la source de la vie, et que c'est en votre lumière que nous verrons la lumière.

 
XLVIII. — Jésus la fin de nos désirs.

 

Il est certain que la fin de tous nos désirs, c'est la béatitude, qui est un état dont la perfection consiste en la réunion de tous les biens (1). Or aucun n'arrive à cet état que par une transformation dernière en celui qui est la source et l'origine de tous les biens, tant naturels que gratuits, tant corporels que spirituels, tant passagers qu'éternels. C'est lui qui a dit de lui-même : « Je suis l'Alpha et l'Oméga, le commencement et la fin (2). Parce que c'est par le Verbe uni à la chair que bout est réparé, gouverné et conduit à sa fin, et c'est pour cela qu'il est vraiment et proprement appelé Jésus. En effet aucun autre nom sous le ciel n'a été donné aux hommes, par lequel nous devions être sacrés (3). C'est donc vers vous, ô désiré Jésus! que je me porterai, comme vers la fin de toute chose, en croyant et en espérant en vous, en vous aimant de tout mon coeur, de tout mon esprit, de toute mon âme

 

1 Boet., de consid. Philosop., lib. 3. — 2 Apoc., 2. — 3 Act., 4.

 

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et de toutes mes forces. Vous seul me suffisez, vous seul apportez le salut à ceux qui cherchent et qui aiment votre nom, vous seul êtes plein de bonté et de suavité pour eux. Vous êtes le Rédempteur de ceux qui périssent, le Sauveur de ceux qui sont rachetés, l'espérance des exilés, la force de ceux qui sont dans la peine, le secours des opprimés , la douce consolation des coeurs en proie à la douleur; vous êtes la couronne et la gloire suprême de ceux qui triomphent, l'unique récompense et la joie des habitants de la sainte patrie, le Fils glorieux du Dieu très-haut, le fruit sublime du sein de la Vierge , la source abondante de toutes les grâces. C'est de votre plénitude que nous avons tout reçu (1).

Nous prions donc le Père de toute clémence, par vous, son Fils unique fait homme, crucifié et glorifié pour nous, nous le prions qu'il nous envoie de ses trésors l'Esprit de grâce, afin qu'il se communique à nous par ses sept dons, cet Esprit qui s'est reposé sur vous dans toute sa plénitude ; Esprit de sagesse, qui nous donnera du goût pour l'arbre de vie, qui n'est autre que vous-même, et pour ses fruits vivifiants ; Esprit d'intelligence, qui illuminera les yeux de notre âme; Esprit de conseil, qui nous fera marcher sur vos traces par de droits sentiers ; Esprit de force, qui nous rendra puissants à vaincre les efforts de nos ennemis acharnés contre nous ; Esprit de science, qui nous remplira des vives lumières de votre sainte doctrine et nous fera discerner le bien d'avec le mal; Esprit de

 

1. Joan., 1.

 

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piété, qui nous fera goûter les douceurs de la paix; Esprit de crainte, qui, nous éloignant de toute iniquité, nous affermira contre les dangers par un respect profond envers votre éternelle majesté. C'est là ce crue vous voulez que nous demandions dans cette prière sacrée que vous nous avez enseignée. Maintenant nous vous conjurons de nous l'accorder par votre croix et pour l'exaltation de votre très-saint nom, à qui soit, avec le Père et le Saint-Esprit, tout honneur, toute gloire, toute action de grâces, toute splendeur et toute puissance dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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TRADUITES PAR M. L'ABBÉ BERTHAUMIER, CURÉ DE SAINT-PALLAIS. - PARIS, LOUIS VIVÈS, LIBRAIRE—ÉDITEUR, RUE CASSETTE , 23 - 1854. Beaugency.
source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/bibliotheque.htm
www.JesusMarie.com