L’ANNÉE MARIALE par la Mère de Chaugy

Ainsi qu’il a parlé à nos pères, à Abraham et à sa race pour toujours : Sicut locutus est ad Patres nostros, Abraham et semini ejus in saecula. En ce dixième et dernier couplet du cantique de Marie dans la Visitation, la Sainte Vierge veut élever nos cœurs à la foi de la parole de Dieu, à la confiance et à l’espérance en ses divines promesses. L’évangéliste saint Mathieu commence la génération du Verbe incarné par le père des croyants, Abraham, et la Sainte Vierge finit son cantique par l’assurance que les divines promesses, faites à ce grand ami de Dieu, auront leur effet. Ce saint père Abraham était autrefois dans une telle estime parmi le peuple choisi que, quand on réclamait les divines miséricordes, on invoquait la divine Bonté par ce titre d’honneur : Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ; elle-même s’en glorifiait. – Vierge sacrée, en notre loi de grâce, il me semble que mon âme doit dire : Ô Dieu éternel, Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ! nos cœurs s’élèvent à vous, par une nouvelle grâce, qui nous convie d’invoquer vos sainte miséricordes, par Jésus, Marie, Joseph.

Voyez aujourd’hui que le Cantique de la Sainte Vierge étant fini, elle rentre dans le silence, et l’Évangile, qui ne nous avait encore montré cette Vierge parlant qu’avec les Anges, ne nous veut dire mot des discours qu’elle a faits selon la nécessité, pendant les trois mois qu’elle demeura en sa visitation de Judée. Nous pouvons penser que ces trois mois furent employés à la contemplation la plus pure et la plus élevée qui se fera jamais, puisqu’on possédait dans la maison de Zacharie le Dieu du Paradis et la Reine des Anges. Après les trois mois de conversation et d’opération inconnue, l’Enfant de grâce ayant paru au monde, le grand Prêtre parla, et, reconnaissant dans ce miracle un effet de la compagnie qui était chez lui, il entonna devant tout le peuple le second Cantique de la Visitation : Béni soit le Dieu d’Israël, de ce que, par sa visitation, il a fait la délivrance de son peuple... Ah ! Sainte Vierge, notre Père saint François de Sales me l’a bien enseigné que c’est par votre secrète visitation que vous m’avez délivrée du monde. Daignez visiter mon pauvre cœur pour lui donner l’onction de l’esprit de votre sainte Visitation !

Tandis que la Vierge se tait, apprenons aujourd’hui de sainte Élisabeth à saluer Marie ; car c’est dans le maison de la Visitation qu’on apprend véritablement à saluer la Sainte Vierge, à recevoir les visites de Marie et leurs effets. L’Évangéliste dit que la Sainte Vierge, faisant la Visitation, salua Élisabeth ; mais cet aimable secrétaire ne dit point de quelles paroles elle se servit pour cette salutation, et il rapporte tout au long les réponses que lui fit sainte Élisabeth dans son enthousiasme, dans son extase et dans sa joie. Ô Vierge sacrée ! vos paroles n’étaient-elles pas plus dignes d’être remarquées que celles de votre inférieure ? Je crois que c’est ici un mystère de vie intérieure et spirituelle que notre Père saint François de Sales a découvert et qu’il nous a enseigné, lorsque, dans la Constitution XXXIII^e, il dit que Notre-Seigneur, par son inspiration et vocation, et Notre-Dame par une secrète visitation de laquelle elle a visité les cœurs des filles appelées à la Visitation, les a jointes et unies ensemble afin que jamais elles ne fussent séparées d’amour et de dilection, ains qu’elles demeurassent en unité d’esprit par le lien de la charité, qui est le lien de perfection. Visitation secrète, parole cachée et qui correspond en quelque façon à ce que dit l’Évangéliste saint Jean, qu’un nom sera donné à chaque âme, que nul ne connaîtra que celui qui le recevra. Il y a certains mouvements si secrets dans la vocation de la Visitation, qu’en vérité le ressort en est caché. On voit le mouvement sans voir ni savoir qui le meut. C’est cette visitation secrète de Marie, c’est cette main sacrée de la Mère de Dieu qui lie les cœurs à son Fils ; nous le voyons dans la sanctification de saint Jean. Préservez-moi, ô sainte et sacrée Vierge ! de défaire jamais l’ouvrage de la sainte visite que vous faites de nos cœurs dans cette vocation !

Voyez aujourd’hui que c’est véritablement dans la Maison de la Visitation qu’on apprend à louer la Sainte Vierge. La bonne sainte Élisabeth, recevant le salut et les premières approches de la Visitation de sa cousine, s’écria à haute voix, dit l’Évangile : Ô Marie ! tu es bénie entre toutes les femmes et béni est le fruit de tes entrailles. Considérez que cette salutation est tellement correspondante à celle de saint Gabriel que vous diriez que cet Ange l’a révélée à sainte Élisabeth. Ah ! que je dois aimer la Visitation ! Une partie de l’Ave Maria y a été composée, pour nous enseigner que c’est véritablement dans la Maison de la Visitation que nous devons apprendre à servir et à honorer Marie. Je ferai aujourd’hui résolution de ne recevoir ni faire jamais visite sans dire quelque chose en l’honneur de la Sainte Vierge, Mère de Dieu.

Considérez aujourd’hui que la présence de la Sainte Vierge fait tout le bonheur et la bénédiction de la Maison de la Visitation. Écoutez la bonne et sainte Élisabeth, qui s’écrie à haute voix : Ah ! d’où me vient ce bonheur que la Mère de mon Dieu vienne à moi ? Aussitôt que votre voix a frappé mon oreille, l’enfant qui est dans mon sein a tressailli de joie ! Voyez aujourd’hui les grandes instructions qui sont renfermées dans ces paroles. Hélas ! Sainte Vierge, assurément je sais bien que nous ne devons pas prétendre à votre présence réelle, comme sainte Élisabeth, mais nous pouvons et nous devons prétendre à votre présence spirituelle dans la perpétuelle présence de Dieu, que saint Paul et saint François de Sales recommandent si fort. C’est de la présence intérieure de Marie que nous pouvons avoir que saint François de Sales parlait, quand il dit : « Ma fille, ne quittez point de vue la Sainte Vierge, votre sainte Dame ; ayez-la toujours présente, non par imagination, qui tyrannise votre tête ; mais par affection, qui dilate votre cœur, et par mémoire, qui occupe saintement votre âme. » Toutes les Supérieures de la Visitation doivent, à l’exemple de sainte Élisabeth, établir dans leur famille la ferveur, révérence et dévotion à la Sainte Vierge. Ce sera un moyen extérieur pour cela d’avoir plusieurs images de cette sainte Mère de Dieu par le Monastère.

Dieu a fait la grâce à une Supérieure d’en établir cinq très-dévotes, en relief et en bosse, dans notre premier Monastère d’Annecy : premièrement, une de Toute-Aide ; deuxièmement, une autre, nommée Dame de Pitié ; troisièmement, une autre nommée Notre-Dame de Grâce ; quatrièmement, Notre-Dame de Liesse, et cinquièmement Notre-Dame de Bonne-Nouvelle. De quelque côté que l’on descende ou que l’on monte, on trouve une sainte Vierge en son passage, et c’est sans y comprendre l’oratoire de Nazareth, qui est au milieu du grand enclos, pour honorer Jésus, Marie et Joseph, qui ont véritablement donné cette possession à ce Monastère.

Honorez aujourd’hui l’admirable retenue de la Sainte Vierge dans tout le temps de sa Visitation ; il n’est point fait mention qu’elle entra dans la maison d’aucune autre de ses parentes et amies, que de sa seule cousine Élisabeth. On ne remarque point qu’elle attirât la compagnie ni le beau monde chez sa cousine, comme c’est la coutume des grandes dames, quand elles sont quelque part. Ah ! sainte Mère de Dieu ! que vous m’apprenez bien ici la grande leçon du renversement de l’esprit mondain et séculier ! Je dois, à votre exemple, ne me produire en façon quelconque, sinon selon l’obéissance due aux mouvements divins, demeurant humble et cachée dans l’enclos de mon devoir.

Considérez aujourd’hui que la Maison de la Visitation a été la Maison de la sainte conversation, du parfait et cordiale voisinage. L’évangéliste saint Luc dit que la Sainte Vierge demeura trois mois avec sa cousine sainte Élisabeth et que tous les parents et voisins, ayant su la naissance de saint Jean, et que Notre-Seigneur avait amplement déclaré sa miséricorde envers cette Maison de la Visitation, vinrent s’en réjouir avec elle. Ô Sainte Vierge ! quelle miséricorde de vous garder trois mois ! quelle divine grâce à l’Enfant de grâce de naître entre vos bras ! N’est-ce point pour Lui que votre Prophète a dit : Vous m’avez reçu au sortir des entrailles maternelles ! Apprenons ici à bénir Dieu des prospérités de notre prochain, à nous en réjouir sincèrement, à accroître sa joie par nos modestes et véritables congratulations de ses bonnes fortunes.

Finissez ce mois de la Visitation en congratulant la Sainte Vierge et toute la maison où elle a fait sa visite, du contentement sacré qu’ils eurent tous, de voir la très-sainte trémeur que Dieu répandit dans tout le pays des montagnes de Juda. Lorsque ce peuple entendit raconter les merveilles cachées et reconnues, la parole recouvrée de Zacharie, il mit ces choses dans son cœur et dit : « Oh ! que sera-ce de ce petit enfant ? La main du Seigneur est avec lui. » Sainte Vierge ! c’est un privilège de votre Visitation, d’honorer les dons que Dieu fait par vos intercessions au prochain. Saint François de Sales a voulu que cette pratique s’établit particulièrement dans son Institut, qu’on n’y jalousât personne, mais qu’on s’y réjouit de la bonne fortune de tout le monde, singulièrement des Maisons religieuses, de quelque ordre qu’elles fussent.

Destinez ce mois à honorer la consommation de la grâce et de la gloire en la Sainte Vierge.

Commencez ce mois avec une nouvelle ardeur d’honorer la Sainte Vierge ; car il semble qu’entre tous les mois de l’année, celui-ci est notable pour honorer cette sainte Mère de Dieu, puisque c’est le dernier des mois de sa sainte vie, la fin de ses travaux, le terme de son pèlerinage, la consommation de sa grâce, son entrée dans sa gloire. Vous saviez bien, Sainte Vierge, quand vous avez commencé ce mois, que vous n’en verriez pas la fin ; vos préparations à la mort n’ont été qu’une tranquille attente des volontés de votre Fils, des redoublements d’amour et de charité. Hélas ! sainte Mère de Dieu, jetez les yeux de votre bonté maternelle sur moi, qui suis si lâche, si imprudente dans mes affaires, que je ne fais point de réflexion sur mon ignorance du temps et de l’heure de ma mort ! Et non-seulement je ne sais pas si je n’ai plus que ce mois à vivre, mais je ne sais pas si le moment présent sera le moment décisif de mon éternité. Ô Jésus, Marie, Joseph ! soyez mon attention et ma préparation pour mon heure dernière !

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& PAROLES de ces LITANIES de la BONNE MORT)