JLR4

Sœur de la Nativité – Jeanne Le Royer

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(Mise-à-jour: 2019-06-12)

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    Pour précéder la transcription du Tome-4 ci-dessous, une petite parenthèse pour mettre en lumière un sujet en lien avec l’époque du Jugement, particulièrement les pages 125 à 126 du Tome-4.

    Le tout aide à mieux comprendre un point important du message de Fatima tombé aux oubliettes depuis l’an 2000, lorsqu’il est dit que la Grande, grande guerre tombera dans la 2′ moitié du 20′ siècle… Nous sommes rendu au 21′ siècle et toujours rien… En l’an 2000, le pape Jean-Paul II était content de voir l’humanité y arriver saine et sauve… C’était vite oublier ce que Jeanne Le Royer en disait par rapport au siècle commençant par 2000 ! (Vu dans la lumière de Dieu) Lisez et vous comprendrez.

    Les 6 pages ci-dessous proviennent du livre Le Troisième Secret de Fatima, de Daniel Réju, publié en 1981. Notez que même Mgr Corrado Balducci en cita quelques extraits sur France 2 le 27 décembre 1995 ! On disait alors à la télévision; Le Troisième Secret de Fatima enfin révélé ! Puis en juin 2000, le Vatican présenta autre chose… la vision de l’évêque vêtu de blanc, vision datée du 13 juillet 1917. Mais ce qui suit est un vrai message. Il ressemble beaucoup au message de La Salette (1846) et de Akita (1973). Ce message de Fatima est daté du 13 octobre 1917. La Vierge Marie l’a donné à Lucie immédiatement après le Miracle du Soleil dont il y a eu 70,000 témoins sur place ce jour là:

(Cliquez sur les images pour les grossir, ou pour mieux les enregistrer dans leur pleines dimensions, suffisamment grandes pour bien les lire.)

p-173 p-174 p-175

Puis une autre version, presque identique:

p-177 p-178 p-179

(Transcription des pages 177, 178 & 179)

TROISIÈME PARTIE DU SECRET SELON LE CENTRE MARIAL

     Il s’agit seulement d’un extrait diffusé par sa Sainteté le pape Paul VI et confirmé par Mgr l’évêque de Fatima, comme étant un « fidèle mais pâle reflet du secret effrayant renfermé au Vatican ».

    « C’était le 13 octobre. Ce jour-là, la Sainte Vierge s’est montrée pour la dernière fois aux petits voyants Jacinte, François et Lucie à la fin d’une série de six apparitions en tout. Après la manifestation du miracle solaire, la Mère de Dieu révéla à Lucie un message spécial dans lequel il est dit notamment :

    « Ne t’inquiète pas, chère enfant, Je suis la Mère de Dieu qui te parle et qui te prie de proclamer, en mon nom, le message suivant au monde entier. Tu t’attireras, ce faisant, de fortes hostilités. Écoute et retiens bien ce que Je te dis :

    « Les hommes doivent devenir meilleurs. Ils doivent implorer la rémission des péchés qu’ils ont commis et qu’ils continuent de commettre. Tu me demandes un signe miraculeux, afin que tous comprennent mes paroles, que, par toi, j’adresse à l’humanité. Ce miracle, tu viens de le voir à l’instant. C’était le grand miracle du soleil! Tous l’ont vu, croyants et incroyants, paysans et citadins, savants et journalistes, laïcs et prêtres. Et maintenant proclame en mon nom :

    « SUR TOUTE L’HUMANITÉ VIENDRA UN GRAND CHÂTIMENT, pas aujourd’hui, ni même demain, mais dans la DEUXIÈME MOITIÉ DU VINGTIÈME SIÈCLE. Ce que J’ai fait connaître à la Salette par les enfants Mélanie et Maximin, Je le répète aujourd’hui devant toi. L’humanité n’a pas évolué comme Dieu l’attendait. L’humanité a été sacrilège et elle foule aux pieds les dons qu’elle a reçus.

    « L’ordre ne règne plus nulle part, même aux postes les plus élevés, c’est Satan qui gouverne et décide de la marche des affaires. Il saura même s’introduire jusqu’aux plus hauts sommets de l’Église. Il réussira à semer la confusion dans l’esprit des grands savants qui inventent des armes avec lesquelles on peut détruire la moitié de l’humanité en quelques minutes. Il soumettra les puissants des peuples à son emprise et les amènera à fabriquer des armes en masse. Si l’humanité ne s’en défend pas, je serai forcée de laisser tomber le bras de mon fils. Si ceux qui sont à la tête du monde et de l’Église ne s’opposent pas à ces agissements, c’est Moi qui le ferai et Je prierai Mon Père de faire venir Sa Justice sur les hommes.

    « C’est alors que Dieu punira les hommes plus durement et plus sévèrement qu’Il ne les a punis par le déluge, et les GRANDS ET LES PUISSANTS Y PÉRIRONT tout autant que les petits et les faibles.

    « Mais aussi, IL VIENDRA POUR L’ÉGLISE UN TEMPS DES PLUS DURES ÉPREUVES. Des cardinaux seront contre des cardinaux et des évêques contre des évêques. Satan se mettra au milieu de leurs rangs. À Rome aussi il y aura de grands changements. Ce qui est pourri tombe et ce qui tombe ne pourra être maintenu. L’Église sera obscurcie et le monde plongé dans le désarroi.

    « LA GRANDE, GRANDE GUERRE SURVIENDRA DANS LA DEUXIÈME MOITIÉ DU VINGTIÈME SIÈCLE. Du feu et de la fumée tomberont alors du ciel et les eaux des océans se transformeront en vapeur, crachant leur écume vers le ciel, et tout ce qui est debout se renversera. Et des MILLIONS ET D’AUTRES MILLIONS D’HOMMES PERDRONT LA VIE D’UNE HEURE A L’AUTRE, et ceux qui vivront encore à ce moment-là envieront ceux qui sont morts. Il y aura tribulation partout où l’on porte le regard et misère sur toute la terre et désolation en tous pays. Le temps se rapproche toujours plus, l’abîme s’approfondit toujours plus et il n’y a plus d’issue, les bons mourront avec les mauvais, les grands avec les petits, les princes de l’Église avec leurs fidèles, les souverains du monde avec leurs peuples; partout règnera la mort élevée à son triomphe par des hommes égarés et par des valets de Satan qui seront alors les seuls souverains sur terre.

    « Ce sera un temps qu’aucun roi ni empereur, AUCUN CARDINAL NI ÉVÊQUE n’attend et il viendra quand même selon le dessein de mon Père pour punir et venger. Plus tard cependant, lorsque ceux qui survivront à tout seront encore en vie, on invoquera de nouveau Dieu et sa magnificence, et l’on servira de nouveau Dieu comme naguère lorsque le monde n’était pas encore aussi corrompu. J’appelle tous les vrais imitateurs de mon Fils Jésus-Christ, tous les vrais chrétiens et les apôtres des derniers temps! Le temps des temps vient et la fin des fins, si l’humanité ne se convertit pas et si cette conversion ne vient pas d’en haut, des dirigeants du monde et des dirigeants de l’Église. Mais malheur si cette conversion ne vient pas et si tout reste tel que c’est, oui, si tout devient pire encore. Va, mon enfant, et proclame-le! Je me tiendrai pour cela toujours à tes côtés en t’aidant. »

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    Dans l’œuvre de Sœur de la Nativité – Jeanne Le Royer, Tome-4, les pages 125 & 126 éclairent beaucoup sur la question de la Grande, grande guerre qui devait tomber dans la 2′ moitié du 20′ siècle, la réponse s’y trouve ! Comme je disais, ce message de Fatima est tombé aux oubliettes depuis l’an 2000 comme si ce message devenait caduque depuis ce temps… Et bien non !!! Un source de beaucoup antérieure nous informe que nous ne sommes pas au bout de nos surprises… Sœur de la Nativité l’a bien vu dans la lumière de Dieu, en rapport avec le siècle qui commence par 2000…

Soeur-de-la-Nativité-p_125 Soeur-de-la-Nativité-p_126


Et puis cette partie du Tome-1

Tome-1 (2′ édition), page 325 et suivantes:

Chapitre: Nouveaux signes avant-coureurs du jugement dernier:

   « Alors, mon Père, on verra redoubler les tremblements de terre ; des ténèbres épaisses se répandront sur sa surface, qui n’aura plus de stabilité, mais s’ouvrira en mille endroits sous les pieds de ses habitants; des villes, des châteaux, des hommes innombrables seront engloutis dans ces ouvertures; les éléments confondus se choqueront épouvantablement, et les vertus des cieux en seront ébranlées…… Le feu, lancé du ciel et vomi des entrailles de la terre, se joindra aux tonnerres et aux éclairs, dont l’air sera continuellement agité et embrasé; la mer en courroux, menaçant d’inonder le monde, franchira ses bornes et élèvera jusqu’au ciel ses flots écumants…..

    « À la vue de tant de désastres, les nations sécheront de terreur. Cependant, mon Père, je vois en Dieu que les pécheurs même ne seront détruits que séparément. Dieu les attendra jusqu’au dernier moment, et la punition des uns donnera lieu, par la crainte, à la conversion des autres; et par un accord merveilleux de la justice et de la miséricorde, ce qui consommera la perte des premiers servira au salut des seconds. Ils ouvriront les yeux, feront pénitence et reviendront à Dieu, tandis que l’enfer se remplira des malheureuses victimes que la guerre et les autres fléaux auront moissonnées…. Ah! mon Père, je les y vois tomber en aussi grand nombre que la grêle tombe sur une campagne lorsqu’elle est précipitée par un orage violent et furieux !… »

Et un court extrait du Tome-4, p. 460

    « Ce que je sais, c’est que Rome périra entièrement, que le Saint-Père le Pape souffrira le martyre, et que son siège sera préparé pour l’antéchrist. Mais je ne sais pas encore si cela sera fait un peu avant l’antéchrist par ses complices, ou bien par l’antéchrist lui-même, au moment où il entrera dans le cours de ses victoires. »

Note: Le secret de La Salette (1846) contient aussi cette information !

Le Tome-4 au complet est transcrit ci-dessous. Les liens en haut de page réfèrent aux autres Tomes. Bonne lecture !


Tome-1 (2′ édition), pages 313 & 314:

Tome-1 - P.313  Tome-1 - P.314

(Transcription ci-dessous)

Calamités de tout genre qui précéderont le règne de l’Antéchrist.

    « Sans profiter en rien de ce que l’Écriture nous dit des signes avant-coureurs du jugement général, et ne parlant que d’après la lumière qui m’éclaire, je vois en Dieu que longtemps avant que l’antéchrist arrive, le monde sera affligé de guerres sanglantes; les peuples s’élèveront contre les peuples, les nations contre les nations, tantôt unies et tantôt divisées, pour combattre pour ou contre le même parti; les armées se choqueront épouvantablement, et rempliront la terre de meurtres et de carnage. Ces guerres intestines et étrangères occasionneront des sacrilèges énormes, des profanations, des scandales, des maux infinis, par les incursions qu’on fera dans la Sainte Église, en usurpant ses droits, dont elle recevra de grandes afflictions…….. Outre cela, je vois que la terre sera ébranlée en différents lieux par des tremblements et des secousses épouvantables. Je vois des montagnes qui se fendent et éclatent avec un fracas qui jette la terreur dans les environs. Trop heureux si on en était quitte pour le bruit et la peur ! Mais, non : je vois sortir de ces montagnes, ainsi séparées et entrouvertes, des tourbillons de flammes, de fumée, de soufre et de bitume, qui réduisent en cendres des villes entières. Tout cela et mille autres désastres doivent précéder la venue de l’homme de péché…….. »


VIE ET RÉVÉLATIONS

DE LA SŒUR DE LA NATIVITÉ,

JEANNE LE ROYER Soeur de la Nativité - Jeanne-Le-Royer 1731-1798-b

(1731-1798)

Religieuse converse au couvent des Urbanistes de Fougères.

Écrites sous sa dictée par le Rédacteur de ses Révélations.

SECONDE ÉDITION,

Ornée du portrait de la Sœur, et augmentée d’un
volume qui contient tout ce qu’elle a fait écrire
peu de temps avant sa mort.

Confiteor tibi, Pater, Domine cœli et
terrae, quià abscondisti hœc à sapien-
tibus et prudentibus , et revelasti ea
parvulis.
Math. 11, 25 ; Luc. 10, 31.

TOME QUATRIÈME

PARIS,

BEAUCÉ, Libr. de S- A. R. Mgr duc d’ Angoulême,

rue Guénégaud.

MDCCCXIX. (1819)

493b

494b

495b

496b

497b

498b

499b

AVIS DE L’ÉDITEUR

SUR CE QUATRIÈME VOLUME

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    La Sœur de la Nativité, comme on l’a vu au troisième volume, fit écrire, sur la fin de sa vie, dans un temps où elle ne pouvait plus avoir de correspondance avec son Directeur, deux gros cahiers d’addition, ou de supplément aux trois volumes précédents. M. Genêt, à qui ces écrits furent remis en 1802, à son retour d’Angleterre, par les religieuses confidentes de la Sœur, morte quatre ans après en odeur de sainteté, dit, en parlant de ce supplément, qui lui restait à rédiger, que c’est une espèce de Deuteronome en deux cahiers, où la Sœur repasse beaucoup de choses qu’elle avait déjà dites, et que par conséquent il sera obligé d’abréger beaucoup, en conservant toutefois les idées neuves avec les développements qui lui ont paru les plus dignes d’être conservés (1).


    (1) Huit dernières années de la Sœur, quatrième époque, 3e vol. , pag. 452.


    Il était naturel de conclure de ces paroles de M. Genêt (qui n’est mort qu’en 1817, c’est-à-dire quinze ans après son retour d’Angleterre), qu’il avait réellement effectué son projet, et qu’il avait ajouté à son ouvrage une rédaction abrégée de ces cahiers additionnels. Mais quelle qu’en ait été la cause, il est certain qu’il ne l’a pas fait. Toutes nos recherches à ce sujet ont été inutiles.

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(II)

    Nous avons entre nos mains ces cahiers, mais non rédigés, et tels qu’ils ont été dictés par la Sœur de la Nativité. Nous les tenons du dépositaire des papiers de M. Genêt, qui nous les a remis comme faisant partie de l’ouvrage entier, devenu notre propriété. De plus, madame de Sainte-Magdeleine (Supérieure et l’une des deux religieuses confidentes de la Sœur de la Nativité), nous en a envoyé une seconde copie, qu’elle certifie exacte et véritable, comme on le verra à la fin de ce volume.

    À cette pièce importante, dont l’authenticité ne peut être révoquée en doute (1), est joint un acte non moins authentique, qui nous est venu de la famille de M. Binel (2), dans laquelle la Sœur de la Nativité a fini ses jours, et qui exprime ses dernières volontés par rapport a ces cahiers supplémentaires. Voici cet acte mot à mot, tel qu’il nous à été envoyé.

    « La veille de sa mort (de la Sœur de la Nativité), ou deux jours auparavant, une demoiselle qui avait sa confiance, l’étant allé voir, elle lui dit en particulier ce qu’elle avait déjà confié à madame des Séraphins, afin que ces deux témoins en fissent part à M. Genet à son retour.

     » Le Seigneur, lui dit-elle, m’a fait connaître sa volonté sur ces derniers cahiers non rédigés. Sa volonté donc est qu’ils soient remis à M. Genet, ou à son défaut, à tout autre ministre du Seigneur rempli du même esprit, afin qu’il les rédige et qu’il y retranche tout ce qu’il trouvera de défectueux, soit dans les termes, soit dans les expressions, que je n’entends souvent pas, soit enfin dans la langue française, que je n’ai jamais apprise.

    » À l’Église seule, c’est-à-dire à ses ministres, ils doivent être remis. La volonté du Seigneur est qu’ils ne paraissent pas tels qu’ils sont, mais qu’ils soient rédigés dans le même esprit que l’ouvrage.

    » Comme je n’ai point d’autre volonté que celle de Dieu, et que je veux mourir fille soumise de l’Église Catholique, Apostolique et Romaine, telles sont donc mes volontés dernières, que je prie en, grâce de transmettre à l’Église, c’est- à-dire à ceux de ses ministres remplis de son esprit, ne voulant point qu’il paraisse rien de moi, (ou plutôt de Dieu, qui ne se sert d’un instrument si faible, que pour en tirer sa gloire ), qui ne soit approuvé par cette Église sainte. »

    D’après ces dernières volontés de la Sœur de la Nativité, nous avons pensé qu’il était avant tout de notre devoir de faire examiner les cahiers dont il s’agit. En conséquence, nous nous sommes empressés de les communiquer à plusieurs Ecclésiastiques distingués par leurs talents, par leurs vertus et par leurs, connaissances théologiques.

    Après un mûr examen il a paru qu’outre le danger d’altérer le sens de l’auteur, en essayant de retoucher ou de rédiger un écrit de cette nature, il serait, d’une part, plus conforme à la vérité, et de l’autre plus agréable au lecteur, de laisser parler la Sœur elle-même ; et que si son humilité la portait à vouloir se couvrir et se cacher sous la forme d’une rédaction empruntée, la gloire de Dieu demandait qu’on présentât au public ses pensées sans aucune enveloppe étrangère. D’ailleurs la Sœur demande à être jugée par les ministres du Seigneur et par l’Église. Pour cela il faut qu’elle soit entendue elle-même ; et ces derniers écrits, qui sont proprement les siens, aideront à prononcer un jugement sur tout l’Ouvrage : peut-être même que c’est à dessein que Dieu a voulu qu’ils, soient restés si longtemps dans l’oubli sans être rédigés.

    On a donc jugé qu’ils ne le seraient pas. Ainsi, on s’est borné à ce qui était absolument nécessaire, pour pouvoir les livrer a l’impression.

    1°. Outre les fautes d’orthographe en grand nombre, comme on le pense bien, on a corrigé quelques expressions trop choquantes contre la langue, quelques constructions vicieuses, quelques mots transposés, oubliés, ou répétés inutilement, peut-être plus par la faute des secrétaires que par celle de la Sœur.

    2°. Les matières éparses dans les cahiers, et dictées par la Sœur, selon qu’elles se présentaient à elle, ont été réunies dans plusieurs articles divisés par paragraphes, avec des titres et avec des notes marginales.

    Mais ces légères corrections et ce rapprochement des matières dans un même article n’ont rien changé au style de la Sœur, qu’on trouvera, il est vrai, souvent innocent et même diffus (comme doit l’être celui d’une pauvre villageoise de Bretagne, qui dit elle-même qu’elle n’a jamais appris la langue française), mais qui plaira au lecteur, tant par sa vivacité, sa naïveté et sa simplicité, que par sa force, son énergie et même sa sublimité, surtout lorsque la Sœur essaie de dévoiler ce qu’elle découvrait dans la lumière de Dieu.

    Ainsi, dans ce dernier volume, la Sœur de la Nativité se montrera telle qu’elle est, sans voile et sans nuage; on l’entendra parler sans interprète et sans trucheman ; on la connaîtra ; on la jugera.

    Nous terminerons ce recueil par quelques lettres que la Sœur a fait écrire et adresser à ses confesseurs dans les dernières années de sa vie, et qui renferment des choses importantes.

    Enfin, nous ne garantissons tout ce qui est contenu dans ce volume, qu’en ce sens, que nous assurons qu’il est exactement conforme aux cahiers manuscrits qui restent entre nos mains, et que nous sommes prêts à communiquer à ceux de Messieurs les Ecclésiastiques qui voudraient les consulter. Du reste, nous nous abstenons de porter aucun jugement sur ces manuscrits. Nous les donnons au public comme liés nécessairement à l’ouvrage de M. Genet, et comme une partie très intéressante des écrits de la Sœur de la Nativité. Nous croyons avoir suffisamment rempli ses dernières volontés; et avec elle nous abandonnons ce supplément, comme les volumes précédents, à l’examen des Théologiens et au jugement de l’Église.

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(1-5)

VIE ET RÉVÉLATIONS

DE

LA SŒUR DE LA NATIVITÉ.

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SUPPLÉMENT.

DERNIERS ÉCRITS DICTÉS PAR LA, SŒUR DE LA NATIVITÉ, PEU DE TEMPS AVANT SA MORT.

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ARTICLE PREMIER.

Traits remarquables de la vie de la Sœur, racontés par elle-même.

§. Ier.

Lumière extraordinaire que la Sœur reçoit de Dieu dès sa plus tendre, enfance. Impressions que font dans son âme les premières instructions de sa mère.

    Je reviens sur une matière que je crois n’avoir expliquée que très légèrement dans l’autre volume, et je vais rapporter ce que Dieu me manifesta. Je le fais dans le dessein de me faire connaître à l’Église, afin qu’elle juge si je ne suis point trompée dans toutes les lumières extraordinaires que je suis obligée de faire écrire.

À deux ans et demie elle se trouve à la conversation de trois hommes attachés à la vie présente.

    Voici la première lumière extraordinaire que Dieu me donna, étant enfant, à l’âge de deux ans et demi et quelques semaines, ainsi que me la dit Notre-Seigneur, parce que je ne savais pas quel âge j’avais. J’étais privée de la raison, de sorte que je ne connaissais aucunes choses de Dieu, ni en Dieu ; je ne savais pas qui m’avait créée et mise au monde.

    Voici ce qui m’arriva dans la maison paternelle, où j’étais seule d’enfant. Il s’y trouva un jour trois hommes que je ne connaissais point du tout ; je n’y vis ni mon père ni ma mère: ces trois hommes étaient à table; ils buvaient, riaient et se divertissaient. Au milieu de leur conversation un des trois dit: Ah ! que nous serions heureux si nous ne mourions point! J’étais auprès du banc, proche de l’un de ces hommes, qui était assis sur le banc, et les deux autres vis-à-vis.

Dieu se manifeste à elle sous la forme d’un globe de feu.

    J’écoutais par une lumière surnaturelle ce que ces nommes disaient: en même temps je vis des yeux du corps, et encore mieux des yeux de l’âme, paraître dans la maison un globe de feu aussi gros qu’un tonneau. Il était suspendu en l’air, et il en rejaillissait des rayons si purs et si doux, qu’ils paraissaient avoir du rapport avec un arc-en-ciel. Dans ce moment, Dieu me parla du milieu de ce globe de lumière dont il était environné; alors je tournai le dos aux trois hommes, je me mis droit vis-à-vis de la voix qui me parlait, et qui me disait : « Écoute, mon cher enfant, ce que disent ces hommes; ils parlent comme des insensés. Je suis le Créateur du ciel et de la terre; j’ai tout créé: j’ai créé un beau royaume pour leur en donner la possession; je les ai adoptés pour mes enfants, et ils ne veulent pas mourir pour venir à moi qui les comblerais de mille délices ! »

    Je compris, par ce peu de paroles, que c’était mon Dieu, mon Créateur. En cette Divinité suprême et souveraine, je reconnus ce vaste univers peuplé de créatures que Dieu avait tirées du néant et adoptées pour ses enfants. Je vis que tous les êtres raisonnables lui doivent honneur, gloire, adoration, amour et reconnaissance ; qu’ils doivent lui payer le tribut de cette vie temporelle que nous avons ici-bas, afin d’aller nous unir à lui par son amour dans l’heureuse éternité, où nous serons comblés de félicités éternelles avec lui dans son royaume. Je connus que tel serait le partage de ceux qui lui seraient fidèles, et que ceux qui lui seraient infidèles et qui ne correspondraient pas à son amour, seraient séparés de lui, et n’auraient point de part avec lui dans son royaume pendant toute l’éternité. Je ne savais point alors que Dieu avait créé l’enfer pour les méchants; je croyais qu’ils seraient assez punis d’être rejetés de Dieu pendant l’éternité.

    Tandis que j’étais dans l’étonnement et l’admiration de tant de merveilles, Dieu continuant de me parler, me dit d’un amour tendre et affectueux : « Et toi, mon enfant, ne veux-tu pas bien mourir pour venir t’unir à moi dans mon amour, en la félicité de mon royaume? » Dans ce moment Dieu éclaira mon entendement et tout mon intérieur d’une si vive lumière et d’un amour si pur et si tendre, que je me sentais attirée et comme portée dans sa Divinité, par des désirs ardents et extrêmes de vouloir mourir sur l’heure pour m’unir toute entière à mon Dieu.

Son désir de mourir pour s’unir à Dieu.

    Je ne répondis point par des paroles articulées, mais seulement par les mouvements et les désirs de mon cœur , qui s’exprima ainsi: « Mon Seigneur et mon Dieu, point de délai : tout-à-l’heure. Je me donne et me consacre tout à vous, et telle que je suis dans l’être que vous m’avez donné; je vous en fais le sacrifice avec ma vie, prête a y mourir à l’instant pour votre amour et pour m’unir à vous. Je prononçai ces mots avec une ardeur véhémente, et je croyais que Dieu, qui est si bon, allait dans le moment exaucer mes désirs; mais, hélas ! Dieu me fit connaître que l’heure n’était pas encore venue; qu’il m’accorderait ma prière; mais

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(6-10)

qu’il fallait auparavant être fidèle à ses grâces et me résigner à sa volonté.

    O Dieu ! quel sacrifice j’eus à faire, en voyant que Dieu voulait encore me laisser vivre! Comprenant bien que la Divinité allait disparaitre à mes regards, je me résignai à cette grande croix pour l’amour de Dieu, m’abandonnant entièrement à lui dans toutes choses, et déterminée à vivre autant qu’il lui plairait. Aussitôt la Divinité disparut aussi rapidement que l’éclair. Dieu laissa cependant dans mon intérieur une lumière qui me portait presque continuellement vers lui avec des désirs tendres et affectueux.

    J’eus occasion de reconnaître plusieurs fois, dans le cours de ma vie, que Dieu m’avait fait, dès ce temps-là, des grâces qu’on appelle grâces gratuites. C’est cette lumière dont il éclaira mon intérieur, c’est elle qui m’a toujours conduite, et c’est en elle que J. C. m’apparut un grand nombre de fois, me parla, me montra, m’expliqua et me commanda de faire écrire. Moi, pour obéir à Dieu, je fais écrire tout ce que Dieu me dicte lui-même dans sa lumière divine.

Son zèle pour la gloire de Dieu et le salut des âmes.

    Cette lumière agissait en moi, quoique faible enfant : elle a pour principe la gloire de Dieu et le salut des âmes. La gloire de Dieu me faisait tant d’impression dès ma tendre enfance, que j’eusse voulu et désiré, pour la gloire de Dieu et son amour, mourir chaque jour par mille espèces de tourments, et que Dieu, par sa puissance, m’eût ressuscitée le même jour, pour que, le lendemain, j’eusse de nouveau souffert les tourments et la mort, tant étaient insatiables les désirs que j’avais pour la gloire de Dieu. Je m’écriais : Bon Dieu! mon Dieu! non point pour un jour ni pour deux, mais jusqu’à la fin de ma vie, Seigneur, ou plutôt jusqu’à la fin du monde.

    Voici encore un autre désir que j’eus, désir qui tendait au zèle du salut des âmes (le principe était l’amour de Dieu) que Notre-Seigneur avait rachetées par son sang précieux ; je souhaitais que mon corps eût été coupé par morceaux, et que le bon Dieu les eût changés en autant de langues, qui, eussent été enlevées et dispersées dans tout l’univers, pour crier à haute voix: Faites pénitence, ou vous périrez tous!

Premières instructions de sa mère; effets qu’elles produisent dans son âme.

    À l’âge de trois ou quatre ans, je ne puis pas dire précisément lequel des deux âges, ma mère, qui était une bonne chrétienne, commença à m’apprendre mes prières. Quand elle me faisait dire Notre Père, qui êtes dans les cieux, je me disais en moi-même: c’est celui que j’ai vu et qui me parle quelquefois. Je demandais à ma mère ce que cela voulait dire, et s’il était notre père; ma mère prenait de là occasion de me rapporter le mystère adorable de la très-sainte Trinité et de l’unité des trois Personnes distinctes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Elle m’instruisait des mystères de notre sainte religion, en me faisant connaître que le Fils était la seconde personne de la très-sainte Trinité ; qu’il s’était incarné dans le sein de la très-sainte Vierge; qu’il s’était fait homme et petit enfant comme nous autres; que c’était un homme dieu et un dieu homme ; enfin elle m’instruisait sur toute la doctrine du Catéchisme des petits enfants. Je trouvais cette doctrine admirable, et je voyais, par la lumière que je possédais en moi-même, que tout cela se rapportait au Dieu qui m’avait parlé.

    Ma mère m’apprit qu’il y avait un enfer, des supplices, et des démons qui tourmentaient les réprouvés, et qu’il y avait un paradis rempli de toutes sortes de délices, où on jouissait de Dieu, éternellement. Elle me fit aussi connaître que ce seraient les bons qui seraient reçus dans ce lieu de délices, particulièrement ceux qui auraient aimé Dieu de tout leur cœur.

Crainte qu’elle a d’être damnée.

    Lorsque ma mère m’eut expliqué les différents péchés mortels et véniels, particulièrement sur les commandements de Dieu et de l’Église, je trouvais très malheureux que malgré une bonne volonté on fût sujet capable d’offenser Dieu, de se perdre et de se damner: cela m’attrista dans mon petit intérieur, et ce fut d’après cette tristesse que le Diable commença sa première attaque contre moi en me suggérant par de fortes impressions que je n’avais que faire de me tant réjouir dans l’attente de voir Dieu; que jamais je ne le verrais , et que je commettrais tous les péchés qu’on m’avait expliqués. Comme la lumière de la foi sur les vérités évangéliques ne se découvrait à moi qu’à mesure que les mystères m’étaient expliqués, dans le temps que le démon me séduisait par ces craintes, je ne savais pas que le bon Dieu avait établi dans la sainte Église des sacrements, et particulièrement celui de la pénitence qui réconcilie le pécheur avec Dieu quand il a le cœur contrit et humilié. C’est pourquoi dans cette grande peine je ne trouvais rien de solide pour me consoler. Sans cesse j’étais rebattue de cette menace : Tu seras damnée, tu ne verras jamais Dieu!

L’instruction de sa mère sur le jugement général augmente ses frayeurs.

    Dans cette peine, il se trouva que ma mère m’instruisit que l’âme, à l’heure de la mort, paraissait au jugement de Dieu, qui la jugeait selon qu’elle avait. bien ou mal fait. Dans l’excès de mes peines, je saisis cette occasion, et je me dis à moi-même : Certainement,

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(11-15)

puisqu’après la mort on paraît devant Dieu, je le connais, je sais bien qu’il m’aime, je me jetterai à ses pieds, je lui demanderai pardon de si bon cœur, je le forcerai tant, qu’il ne me séparera point de lui, et qu’il m’attirera avec lui dans son royaume. Je ne m’apercevais pas que je tombais dans l’erreur, parce que je n’étais pas encore instruite, et que ma raison n’était pas encore assez avancée. Cette pensée me consola et me donna un fort appui contre le démon. Quand j’eus reçu des instructions plus amples, je reconnus mon erreur, j’en demandai très humblement pardon à Dieu, et je m’en confessai.

Son épouvante et sa terreur lorsque le tonnerre grondait.

    Voici ce qui m’est arrivé pendant le cours de cette peine : comme ma mère m’avait parlé du jugement général et des signes qui devaient le précéder, des tonnerres et des tremblements de terre à la suite desquels Dieu paraîtrait visiblement pour juger les hommes; et comme le démon m’avait imprimé une grande terreur dans l’âme à l’égard de Notre-Seigneur, en me donnant à entendre sans cesse qu’il me damnerait; tout cela fut cause que quand il faisait du tonnerre et des éclairs, j’étais transie de peur; je me disais à moi-même : Voilà le jugement général ! voilà le bon Dieu qui va paraître pour me juger et peut-être me séparer à jamais de lui !.. Tout l’été, j’éprouvais des frayeurs si grandes, lorsque le tonnerre grondait, que j’allais me retirer pendant l’orage dans un petit coin de la maison, attendant le Seigneur; je regardais par la porte ou par la fenêtre, demi-transie, si je ne verrais pas Notre-Seigneur venir, mes yeux étant continuellement fixés vers le firmament. Quand l’orage était passé, et que le temps était devenu serein, je faisais de petits sauts, en me réjouissant et en disant en moi-même : Ce ne sera pas encore pour aujourd’hui ; ce sera pour une autre fois.

    Avec le temps et la raison cette frayeur se dissipa à mesure que je devenais plus instruite et que ma mère eut commencé à me mener avec elle à la messe et au catéchisme. Ce fut ainsi que la raison et la lumière de la foi prirent de plus en plus le dessus, et me délivrèrent de toutes les terreurs mal fondées de l’enfance, pour me faire entrer dans des vérités plus solides.

    Je fais écrire ceci pour savoir de ceux qui me conduisent si je ne suis point trompée du démon.

§. II.

La Sœur, après avoir longtemps tenu secret tout ce que Dieu opérait en elle, est obligée de le découvrir et même de le faire écrire. Ses premiers écrits sont brûlés, et après une longue persécution qu’elle souffre à ce sujet, elle fait écrire de nouveau.

    Je traite ici des secrets inviolables que j’ai gardés depuis mon enfance jusqu’au temps où Dieu voulut que je découvrisse mon intérieur à mon confesseur ; je traite encore des peines qui m’ont été causées par plusieurs religieuses, principalement par une supérieure et deux confesseurs.

La Sœur garde un profond secret sur son intérieur.

    Je dirai ici que c’est comme un miracle, qu’un enfant de deux ans et demi ait pu garder un perpétuel secret sur tout ce qui se passait en lui, et sur tout ce qu’il voyait en Dieu, même sur plusieurs apparitions que me fit notre divin Sauveur à l’âge de sept à huit, ou de huit à neuf ans. Je ne puis pas fixer précisément l’âge; mais ce que je sais bien, c’est que c’était dans mon enfance. Jamais je n’en parlai à qui que ce soit. Je n’en paraissais pas plus émue ni différente des autres enfants. J’ai gardé le secret à un tel point, que je n’en disais pas un seul mot à mon confesseur, a moins que je n’eusse reconnu avoir offensé le bon Dieu sur quelque sujet relatif à ces choses extraordinaires.

    Pour bien faire connaître comment j’en suis venue à rendre compte de mon intérieur jusqu’au point de pouvoir faire écrire ce qui se passait en moi, je dois dire qu’un an ou deux après que j’eus prononcé mes vœux de religion dans notre communauté, je croyais encore qu’il ne fallait dire au confesseur que ses péchés. J’aurais cru mal faire si je lui avais rendu compte de ma conscience, d’autant plus que je croyais que tout le monde était conduit par les mêmes lumières que moi ; mais quand l’heure fut venue, Dieu trouva bien le moyen de me faire connaître à mon confesseur.

Elle est obligée de faire connaître ce que Dieu opère en elle.

    Une veille de la fête de l’Ascension de Notre Seigneur je me présentai pour être à confesse. Le confesseur, contre sa coutume, m’arrêta un instant pour me prêcher sur le triomphe de Notre Seigneur. Les discours des ministres de Dieu me faisaient toujours beaucoup d’impression. Quand il eut cessé de parler, moi, sans savoir ce que j’allais dire, et sans même vouloir parler, je repris sur le même sujet qu’il avait entamé, et je commençai à parler avec un mouvement d’admiration des triomphes et des réjouissances que causait Notre Seigneur quittant la terre pour monter au ciel. Le prêtre m’écoute pendant quelque temps, puis il me dit: Ma Sœur, je veux que vous reveniez me trouver un tel jour, pour me rendre compte de votre conscience. Moi, qui ne l’avais jamais encore fait, je fus fort étonnée. Cependant, me souvenant qu’il fallait obéir, je me retirai en recommandant

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cette affaire à Notre Seigneur, qui me fit entendre que c’était sa volonté.

    Je me rendis donc au temps marqué auprès de mon confesseur; je lui rendis compte de tout ce que le bon Dieu m’inspira de lui dire. Comme je m’en allais, mon confesseur me dit qu’il fallait revenir peu de temps après. Je lui fis beaucoup de difficultés, alléguant plusieurs prétextes qui m’étaient suggérés par l’artifice du démon, qui ne voulait pas que j’allasse à confesse pour ce sujet, prétendant que ce serait la cause de ma damnation. Quand mon confesseur vit que je raisonnais, il me l’ordonna. Je me retirai avec peu de satisfaction. Le démon me fit souffrir plus qu’auparavant. Qu’importe? je retournai faire l’obéissance, je rendis à mon confesseur un compte tel que Dieu le demandait. Avant de me retirer, je le priai avec instance de me relever de son ordonnance, afin de n’être plus obligée de lui rendre compte de ma conscience; cela me causait trop de peines de la part des démons dans mon intérieur. Ce bon confesseur m’accorda ma demande, ce qui me procura de la satisfaction. Les démons cessèrent leur opiniâtreté à me combattre. Je me trouvai plus en paix avec moi-même. Cela dura environ deux mois, au bout desquels Notre Seigneur, à ma communion, m’ordonna étroitement d’aller rendre compte de ma conscience à mon confesseur, autant qu’il le jugerait à propos, et de lui dire de sa part qu’il me l’avait ordonné. Il me reçut avec bonté, et me fit entendre que cela était absolument nécessaire pour la gloire de Dieu et le salut de mon âme; qu’il fallait que je fusse conduite par mon confesseur, de crainte que je ne fusse trompée par le démon. Depuis j’ai toujours obéi sous la conduite de mes confesseurs.

    Avant de me retirer, mon confesseur me dit qu’il ne me gênerait que le moins possible, à cause des travaux de la communauté; qu’il fallait aller à confesse les dimanches ou les fêtes, et il ajouta que si j’avais su écrire, il m’aurait obligé de le faire..

    Pendant dix à onze ans qu’il fut directeur de nôtre communauté je lui rendis compte de ma conscience. Il nous fut retiré par Monseigneur notre Évêque pour être recteur. Avant de me quitter il m’ordonna de rendre compte de ma conscience à celui qui viendrait le remplacer, et de même à tous les autres après lui.

Un de ses confesseurs l’oblige de faire écrire ce que Dieu lui communiquait intérieurement.

    Ce premier confesseur s’étant donc retiré, je m’adressai à celui qui vint a sa place. Peu de temps après, il m’ordonna de venir le trouver en secret, pourvu que j’en obtinsse la permission de ma supérieure, parce qu’il voulait écrire l’a reddition de compte de ma conscience; mais hélas ! cela ne fut pas long. Je ne rapporterai pas ici tous les obstacles, toutes les difficultés causées de part et d’autre, et les contrariétés qui survinrent. Je voyais en Dieu qu’ils ne m’étaient suscités que par les démons. Dieu m’ordonna aussi de continuer de faire écrire, parce que c’était sa volonté. Nous fûmes obligés de cesser pendant quelque temps nos entretiens. Dans cet intervalle il vint un Missionnaire nous faire une retraite. Mon confesseur me mit entre ses mains pendant cette retraite, et me fit un commandement de lui rendre compte de ma conscience. De son côté il n’omit rien de ce qui pouvait l’instruire de tous les troubles et de toutes les difficultés qui s’élevaient dans la communauté, quand elle s’apercevait que j’étais trop long au confessionnal ; et il lui montra le commencement des écrits que nous avions faits ensemble.

    À la fin de la retraite le Missionnaire me dit : Je veux absolument que vous fassiez écrire, et je vous l’ordonne. Si votre supérieure vous commande le contraire, ne lui obéissez pas, parce que mon commandement est au-dessus du sien. Je lui représentai avec humilité qu’il y avait des religieuses qui s’en apercevraient, et que cela causerait encore des troubles dans la communauté. Le Missionnaire me répondit qu’il fallait aller le soir, après les travaux de la communauté, et lorsque les religieuses se seraient retirées dans leurs cellules, ce qui arrivait à huit heures du soir. Il me donna la permission depuis huit heures jusqu’à dix seulement.

Persécution qu’elle éprouve à cette occasion.

    Mais hélas ! que le diable fit de ravage! il suscita six a sept religieuses pour me veiller et surveiller par plusieurs endroits des alentours du confessionnal. D’un autre côté, les démons me remplissaient l’esprit et l’imagination de craintes et de terreurs, en m’insinuant que j’offensais le bon Dieu, et que je donnais occasion de l’offenser. Mon confesseur me faisait toujours continuer, et le démon travaillait de son côté à empêcher d’écrire.

    Les démons, par leurs artifices, se servirent de plusieurs religieuses inquiètes et curieuses qui, comme je l’ai dit, se joignirent à quelques anciennes dont le caractère était singulier. Le malheur était que le mien leur était contraire. Les démons triomphaient alors de voir une si belle cabale travailler à leur profit, et ils ne purent s’empêcher de m’en témoigner leur satisfaction par leurs moqueries.

    Un jour que je venais de faire écrire,

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en sortant de la première chambre du confessionnal, je rencontrai deux ou trois démons à la porte, qui étaient en embuscade tout comme les religieuses quand elles venaient m’écouter. Quand je vis les démons je fus bien surprise. Je m’arrêtai devant eux pour voir ce que cela allait devenir. Ils commencèrent à me dire : Tu as beau faire, tu es découverte et nous te ferons cesser d’écrire. C’est une telle, dont nous nous servons, qui vient t’écouter. Alors ils se mirent à rire de moi à gorge déployée et avec tant de force qu’ils s’en roulaient les uns sur les autres. Je me retirai de devant eux avec mépris et disant en moi-même qu’ils étaient des menteurs et que ce qu’ils faisaient n’était que pour m’effrayer.

Ordre de cesser d’écrire.

    Je racontai tout cela à mon confesseur, qui me dit qu’il fallait toujours continuer. Les religieuses dont j’ai parlé écrivirent une lettre dans le style de leur caractère et à l’insu de la Supérieure, et cette lettre fut envoyée au Supérieur majeur. Un jour, avant que la réponse fût arrivée au confesseur, je rencontrai l’ancienne religieuse qui conduisait la cabale et que le démon m’avait nommée comme étant celle qui m’écoutait. Je le dis à mon confesseur, qui me répondit : Ma Sœur, cessons d’écrire; je vais envoyer une lettre au Supérieur majeur. Dans ces, entrefaites mon confesseur reçut ordre de cesser d’écrire; pour lors tout fut abandonné.

    Quoique je fusse un objet de raillerie et de dérision pour les religieuses, dont j’ai parlé, j’étais ravie et je croyais fermement que tout cela était fini pour toujours. Mon confesseur fut attaqué dangereusement d’une maladie de langueur; je craignis que les papiers qu’il avait entre les mains, ne tombassent dans celles de ses parents, qui étaient des gens du monde, me souvenant qu’il y avait quelques passages dans ces écrits qui ne convenaient nullement à des personnes séculières.

Matières contenues dans les écrits. Ils sont brûlés.

    Il pouvait y avoir deux mains de papier ou plus d’écrites, qui renfermaient plusieurs choses sur les affaires présentes. Il y avait aussi plusieurs choses qui regardaient notre mère la sainte Église, et qui intéressaient les ministres du Seigneur en particulier. Il y avait encore un traité de l’amour de Dieu, qui expliquait la différence du pur amour de Dieu et de sa pure gloire d’avec la gloire et l’amour de soi-même. Le pur amour de Dieu avait quelque rapport avec le Cantique des cantiques.

    Un jour, me trouvant avec mon, confesseur, je lui fis part de mes craintes, en lui disant : Mon Père, je crois qu’il vaudrait mieux brûler ces écrits. Il me répondit qu’il l’avait pensé comme moi, et dès le soir même il les mit tous au feu. Peu de temps après il mourut.

    Il y avait un prêtre de notre ville qui avait connaissance de ces écrits parce que mon confesseur les lui montrait. Quand il eut appris que tout était brûlé, il eut un chagrin que rien ne peut exprimer. Il comptait s’en emparer après la mort de mon confesseur.

Ce que la Sœur souffre à ce sujet de la part des religieuses, de sa Supérieure et des confesseurs.

    O mon Dieu! est-il possible de pouvoir expliquer les croix, les mortifications et les humiliations que j’ai eu à souffrir, tant de la part de la communauté que de celle des confesseurs. Il vint ensuite un jeune prêtre pour Directeur de la Communauté. La Supérieure de ce temps-là l’avait demandé à monseigneur l’Évêque. C’était celle qui avait entretenu, la menée dont, j’ai parlé ci-dessus, et qui avait écrit au Supérieur majeur pour faire cesser d’écrire. Elle imprima de bonne heure des sentiments contre moi à ce nouveau confesseur, suivant l’opinion qu’elle en avait elle-même.

    Un jour que j’avais veillé une malade dans l’infirmerie, cette Supérieure m’engagea à me coucher dans un lit de cette infirmerie. Elle croyait que je dormais, et malheureusement il n’en était rien. Il n’y avait avec elle que les adjointes du temps passé, qui m’avaient écoutée au confessionnal, et le nouveau confesseur, qui était venu pour assister l’agonisante. J’eus le malheur d’entendre mon apologie. Chacune d’elles rapportait son histoire d’après ce qu’elles avaient vu ou entendu ; mais la Supérieure en savait encore davantage, quoiqu’elle ne sût rien de véritable et de réel sur ce qui regardait l’intérieur de ma conscience, parce que Dieu me l’avait défendu. J’entendis toute la conversation; mais ce qui fut plus sensible à mon cœur, j’entendis ma Supérieure raconter ce qu’elle avait appris sur mon compte, malgré que je l’eusse priée de grâce, à deux genoux, la face contre terre, de garder le secret de ce qu’elle avait entendu. Si le confesseur eût été seul présent, cela ne m’aurait pas été aussi sensible que de l’entendre répéter à cinq ou six religieuses, qui toutes ensemble en faisaient un sujet de dérision. La Supérieure insinuait au confesseur qu’il ne fallait pas me conduire de la même manière ni sur le même pied que l’ancien confesseur, et qu’il ne devait m’écouter que pour me confesser; ce que le confesseur mit fort bien en pratique. Après avoir entendu tous ces discours j’étais bien éloignée de lui ouvrir mon intérieur, à moins d’une grande nécessité.

    Je restai douze ans dans cette position, sans avoir la moindre confiance ni en confesseur ni en Supérieure, et

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tourmentée sans cesse par les démons, qui semblaient me jouer à la ballotte. Il n’y a que Dieu qui sache ce que j’eus à souffrir de plusieurs religieuses, particulièrement tandis que j’ai été sous la conduite de cette Supérieure. Mais ce qui m’était le plus pénible, c’était les reproches des confesseurs et la confusion dont ils m’accablaient : il semblait que mon divin Sauveur était lui-même de la partie, en me donnant des ordres sur différentes choses qu’il me faisait connaître. Allez, me disait le Seigneur, je vous ordonne de rendre compte de cela à votre confesseur. J’étais très persuadée que j’allais être très mal reçue, et qu’il ne m’écouterait pas de bon cœur : qu’importe? j’allais. Le confesseur m’écoutait puis il me disait : Allez dire cela à votre confesseur extraordinaire. C’était le confesseur d’une Communauté de religieuses : il était rude comme un chardon, soit en confession soit lorsque je lui rendais compte de mon intérieur; ce qui affaiblit beaucoup la confiance que j’avais en lui ; je ne m’adressais à lui que par raison et par pure foi. Les démons me tourmentaient sans cesse pour le quitter, me disant que les confessions que je lui faisais étaient mauvaises. Si je consultais Dieu, je voyais que je ferais mal de le changer; qu’il connaissait parfaitement les âmes; que c’était un prêtre d’exemple par sa piété, et qu’il avait dû savoir et de l’expérience. C’est pourquoi, malgré les contradictions et malgré les tentations du démon, je passai par-dessus tout, et je continuai d’aller à lui jusqu’au temps où Dieu en ordonna autrement.

Notre Seigneur l’oblige à annoncer à son confesseur la révolution française et les outrages qu’on devait faire à notre St-Père le Pape.

    Voici maintenant ce qui m’arriva de plus particulier. Notre-Seigneur me fit connaitre l’état ou serait réduite la France par la nation, et l’oppression dans laquelle elle tiendrait notre saint Père le Pape, jusqu’à lui ôter ses pouvoirs. Notre-Seigneur m’obligea d’en aller rendre compte à mon confesseur, qui, après avoir entendu deux ou trois paroles, me dit : ma Sœur, allez faire part de cela à votre confesseur extraordinaire, qui doit venir tel jour ici.

Le confesseur la rebute ; elle se croit Janséniste; elle fait une confession générale.

    Je me rendis au jour marqué, et je parlai si ce confesseur de la désolation de la France : mais quand j’eus fait mention de l’oppression du saint Père, auquel la nation ôterait ses pouvoirs, il s’écria d’une manière à m’épouvanter : Retirez-vous, vous n’avez que des choses sinistres à me rapporter. En réfléchissant sur ce qu’il m’avait dit, savoir, que je ne lui annonçais que des choses sinistres, je ne compris pas bien ce terme de sinistre, et je crus qu’il me disait que j’étais janséniste. Je fis donc un examen de toute ma vie et de ma conduite dans les voies extraordinaires, et je les regardai comme les voies des jansénistes, sans néanmoins me décourager. Cependant je me regardai comme une personne trompée, et qui était, sans le vouloir, dans la voie des jansénistes. Eh. bien! me disais-je, le bon Dieu aura pitié de moi. Voilà ma tromperie à découverte, je la reconnais; je m’en vais faire une confession générale de toutes les fausses lumières qui ont égaré mon esprit ; je vais y renoncer, et en faire pénitence le reste de ma vie. J’allai trouver le confesseur qui était si rude et si sévère, et qui m’avait tant grondée pour lui avoir annoncé des choses sinistres. Je lui dis que je voulais faire une confession générale, parce que je croyais être trompée. Il y consentit volontiers. Je m’accusai, selon ma croyance, de toutes les fausses lumières, de toutes les choses extraordinaires, et de tout ce que je croyais être erreur en moi, bien résolue de renoncer à toutes choses extraordinaires.

Dieu lui communique de plus grandes lumières.

    Voici ce qui m’arriva après une confession générale; mais que peut la créature quand le Créateur ordonne et qu’il la gouverne ! Après ma confession faite, il semblait que Dieu prenait plaisir à me donner de plus douces impressions de sa présence, et à me faire voir encore plus clair sur toutes les choses qu’il voulait faire connaître.

    Notre divin Sauveur sut bien chasser de ma mémoire toutes les résolutions que j’avais prises dans ma coufession, et toutes les pensées que j’étais trompée par ces voies extraordinaires. Lorsque ce divin Sauveur venait, par un effet de son tendre amour, m’appeler son enfant, cela me touchait si vivement, que je me donnais toute entière à lui y pour agir et pour souffrir tout ce qui lui plairait. Cette pensée me poussait si fortement en Dieu, que je me trouvais comme toute à Dieu, et Dieu se donnait tout à moi.

Après douze ans de souffrance, tout change au sujet de la Sœur. Elle fait écrire de nouveau.

    Pendant les douze ans qui se passèrent sous la conduite de ces deux confesseurs, l’un doux et l’autre rude, je fus toujours dans les souffrances et les combats, n’ayant point à qui faire part de mes peines, et n’osant les déclarer: ni à mes confesseurs, ni à mes supérieures. Mais tout-à-coup Dieu changea les choses à mon sujet. D’abord, je me trouvai entre les mains d’une supérieure en qui j’avais beaucoup de confiance. De nos deux confesseurs l’un nous quitta, et l’autre tomba malade et mourut. Il vint pour directeur de notre communauté un missionnaire qui avait beaucoup de science, de doctrine et d’expérience: ma supérieure m’engagea à lui donner ma confiance et à me faire connaître à lui. Je n’eus pas de peine à le faire, parce que Dieu me fit

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sentir que c’était sa volonté, et que c’était, pour ainsi dire, celui que Dieu avait réservé pour moi. Je ne tardai pas, après son arrivée, à me faire connaître a lui. Plus je lui parlais, plus j’éprouvais une certaine facilité à lui ouvrir mon cœur, et à lui dire tout avec la plus grande confiance. Il voulut d’abord me faire faire une confession générale. Je lui représentai que je ne sentais pas en avoir besoin. Il me répondit qu’elle était nécessaire pour lui, afin de mieux me connaître. Ma confession faite, il m’ordonna de lui rendre compte de ma conscience, parce qu’il voulait écrire tout ce que je lui dirais, et il ajouta que je n’eusse pas d’autre soin que d’obéir. Ah ! je reconnus alors que c’était l’heure que le Seigneur s’était, réservée pour faire son ouvrage (1), Dieu se déclara plus ouvertement qu’il ne l’avait fait par le passé, en me rendant, dans mon intérieur des lumières plus claires, plus pures, plus nettes et plus distinctes sur les matières qu’il voulait que je fisse écrire.


    (1) Ceci est à-peu-près l’histoire de M. Genêt, rédacteur des trois premiers volumes. Il sera agréable au lecteur d’entendre la Sœur la raconter elle-même.


    J’allais presque tous les jours trouver mon confesseur pour avancer notre ouvrage; il ne faisait que tirer des notes de ce que je lui disais; après quoi, soit le jour, soit la nuit, il écrivait et rédigeait les matières que je lui avais expliquées. Nous allions à grands pas, malgré les vents et les orages qui s’élevèrent contre nous, et que le diable suscita par le moyen de deux ou trois sœurs converses, qui se donnaient main-forte pour m’examiner et me suivre partout. Une d’elles surtout en aurait bien perdu la tête par jalousie et par curiosité de savoir ce que j’allais faire ou dire au confesseur. De plus, elle m’épiait quand j’allais chez la supérieure. Tout cela était pour elle des griefs terribles, qui la portaient à me faire des décharges de cœur, non seulement en particulier, mais encore en public. Elle vomissait contre moi tout ce que le démon lui suggérait dans l’âme; mais qu’importe! j’allais toujours mon train par obéissance, et soutenue de mon confesseur et de ma supérieure. Quand j’allais trouver le soir mon confesseur, ma Supérieure me conduisait et restait à la porte du confessionnal, de peur qu’on ne vînt m’écouter; si quelque affaire l’en empêchait, elle mettait à sa place une religieuse de confiance qui était dans le secret.

Le confesseur est obligé de s’enfuir. L’ouvrage est interrompu ; mais on lui fait passer les écrits que la Sœur dictait à une religieuse de confiance.

    En moins de sept à huit mois notre besogne s’en allait presque faite; mais hélas! les bouleversements de la nation obligèrent notre confesseur de s’enfuir. Il resta encore quelque temps en France, et il m’ordonna de faire écrire par une religieuse de confiance, et par l’ordre de ma supérieure ; ce que nous fîmes. Quand nous avions écrit une certaine petite quantité, nous le lui faisions passer dans l’endroit où il s’était retiré.

    La nation l’ayant chassé de France, il passa en Angleterre, où nous lui fîmes parvenir nos écrits, tant que nous en trouvâmes les moyens; mais il arriva bientôt qu’on ne pouvait plus rien faire passer, et on nous fît dire de ne plus rien envoyer. Ayant alors un petit paquet tout prêt, notre mère me dit : ma Sœur, je ne me chargerai point de ce paquet, j’ai trop grande peur des recherches et des fouilles de la nation, brûlez-le, ou gardez-le, faites-en ce qu’il vous plaira. Je le gardai.

    Voici une chose particulière, qui fit voir que Dieu protégeait l’ouvrage. Quinze jours ou trois semaines après, un samedi matin que j’étais devant le Saint-Sacrement, Notre Seigneur me dit d’une voix ferme : Allez prendre votre paquet, et envoyez-le sur le champ. Je quitte à l’instant, je prends les écrits, je m’en vais à ma Supérieure, en lui disant : Ma mère, le Seigneur m’a dit telle chose; voilà le paquet, je vous prie de l’envoyer. Ma Supérieure accomplit sur le champ ce que le Seigneur avait dit. Le paquet passa si heureusement, qu’ayant marqué à notre confesseur qu’il y avait dans l’envoi quelques feuillets qu’il nous ferait plaisir de renvoyer quand il les aurait transcrits, quelque temps après les feuillets que nous lui avions demandés arrivèrent sans avoir rencontré aucune difficulté dans le passage.

    Voyant que cela avait si bien réussi, nous dîmes : Il faut encore écrire ce que nous fîmes effectivement. Huit jours après nous renvoyâmes un autre cahier; mais nous apprîmes que les navigants avaient été obligés de jeter à la mer beaucoup de paquets de lettres, et d’autres papiers de conséquence. Malheureusement notre cahier était du nombre : le confesseur nous écrivit qu’il n’avait rien reçu. D’après cet avis nous n’écrivîmes plus.

§. III.

Notre Seigneur apparaît à la Sœur de diverses manières et sous différentes formes.

    Je rapporte ici comment Notre-Seigneur m’apparut de différentes manières et sous diverses formes, sans faire paraître presque rien aux sens extérieurs.

    Je reviens encore à ma tendre enfance, pour faire mieux connaître à l’Église de quelle manière je fus conduite.

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De quelle manière Notre Seigneur apparaissait à la Sœur.

    Quand Notre Seigneur m’apparut à l’âge de deux ans et demi, cette apparition fut visible aux sens extérieurs aussi bien qu’à l’âme. Je ne vis point distinctement Notre Seigneur : je n’aperçus par les sens extérieurs que le globe de lumière qui environnait la Divinité. Dans toutes les apparitions, même dès ma plus tendre enfance, dans tout ce que Notre Seigneur m’a dit, ou fait en tendre, lorsqu’il m’a transportée en esprit avec lui çà et là, et généralement dans tout ce qui m’est arrivé d’extraordinaire, les sens pour l’ordinaire n’y ont eu aucune part, ou du moins très peu. Par exemple, quand je vis Notre Seigneur, ce ne fut point des yeux du corps. Quand il m’a parlé, ce ne furent point les oreilles du corps qui l’entendirent, c’étaient mon âme et mon entendement, enfin, tout mon intérieur.

Il lui a apparu souvent sous la forme d’un prêtre.

    Je vais dire aussi les formes sous lesquelles Notre Seigneur m’a apparu plusieurs fois. Par exemple, lorsque le démon m’attaqua dans mon enfance, Notre Seigneur m’apparut plusieurs fois sous la figure d’un prêtre revêtu d’une aube et ceint d’un cordon, L’étole croisée sur la poitrine, enfin comme un prêtre qui s’habillerait pour célébrer la sainte Messe. Aussitôt que je le voyais, je me lançais vers lui. Ses vêtements étaient d’une telle finesse et d’une telle blancheur, qu’ils répandaient autour de lui une grande clarté. Notre-Seigneur me parlait des combats que j’avais et que j’aurais à soutenir contre les démons. Il m’avertissait, et me disait: « Élevez votre cœur et votre esprit vers moi, les démons ne vous feront point de mal. Ayez recours à moi, mon enfant, je vous protégerai et vous soutiendrai dans les combats. »

    Je l’ai vu plus de vingt fois sous la figure d’un prêtre, comme je viens de le dire. Cela était significatif. Ce fut pour m’inspirer, ce qui arriva en effet, une grande estime, un profond respect et une singulière vénération pour les ministres du Seigneur; et comme Notre Seigneur savait que j’aurais plusieurs affaires à traiter avec eux, il voulut que je fusse préservée de toute affection humaine et de tout respect humain, je ne dis pas seulement à la confession, mais surtout dans les entretiens que je serais obligée d’avoir avec eux seul à seul. Dieu voulait que je n’y portasse jamais rien d’humain, mais que je les visse en Dieu, et Dieu en eux.

Il lui a souvent apparu dans sa forme naturelle, et plus souvent encore, il lui a parlé sans se montrer à elle.

    Notre Seigneur m’a souvent apparu sous sa figure naturelle, et telle qu’il était en sa vie mortelle avec ses Apôtres. Il m’a encore bien plus souvent, parlé, sans m’apparaître et sans que je visse rien, ne faisant qu’entendre et sentant dans mon cœur l’approche de sa présence sensible, comme on sent, par exemple, la présence d’un ami qui aime entièrement et tendrement, et qui vient vous visiter de nuit. Vous n’avez ni feu, ni chandelle, ni votre ami non plus. Vous reconnaissez votre ami à l’accent de sa voix, quoique vous ne le voyiez pas. Aussitôt vous l’appelez par son nom, et l’amour que vous lui portez se répand dans votre cœur et vous réjouit, parce que vous sentez que votre ami est présent, quoique vous ne l’aperceviez pas. Voilà ce qui m’est arrivé à l’égard de Notre Seigneur, dans quelques apparitions qui ressemblaient à peu près à l’exemple que je viens de citer.

Apparition d’une croix brillante, et ensuite de Notre Seigneur dans l’état où il fut présenté au peuple par Pilate.

    Mais voici quelque chose de plus particulier. Vers l’âge de sept à huit ans, j’étais ordinairement seule à garder les vaches dans les champs et les bruyères. Un jour je me trouvai dans un vaste champ ; je vis tout-à-coup sortir du firmament une grande croix comme pourrait être celle où Notre Seigneur fut crucifié. Elle me parut toute d’or, d’un or si pur et si brillant, qu’il en rejaillissait des éclairs qui étaient comme des étoiles. Cette croix commença à quitter le firmament et à descendre sur la terre comme portée par un ange. Elle s’abaissa dans le coin du champ où j’étais. Je courus en étendant mes deux bras en haut, comme si j’avais voulu la recevoir, et en m’écriant à haute voix et de toutes mes forces : O la belle croix ! ce que je répétai plusieurs fois, jusqu’à ce que je fusse au lieu où je l’avais vu déposer par l’ange ; mais quand je fus dans cet endroit, ce n’était plus une croix : je vis un tableau de la grandeur d’un homme, où Notre Seigneur était dans l’état où Pilate le présenta au peuple, en disant : Ecce homo, voilà l’homme. L’ange tenait le tableau debout, vis-à-vis de moi. Je demeurai comme une personne qui est jugée, condamnée, et qui a presque perdu la vie, en ne voyant sur le corps adorable de mon Sauveur que des plaies et son sang qui ruisselait : ce n’était que meurtrissures et grosses tumeurs noire ; son adorable chef était tout plombé et livide. Accablée de tristesse à ce spectacle, je connus que c’était les péchés qui l’avaient réduit dans cet état. Tout-à-coup, et sans savoir comment, le tableau disparut et l’ange aussi ; je ne vis plus rien du tout : je me retirai, bien affligée, vers l’autre côté du champ d’où j’étais partie quand j’aperçus la croix.

Apparition de Notre Seigneur dans le cœur de l’âme fidèle.

    Arrivée à ma première place, je vis paraître tout-à-coup devant moi une troupe d’anges revêtus de robes blanches

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comme la neige, avec des ceintures d’or et des bandoulières sur lesquelles étaient écrits des chiffres. Ces anges, arrangés comme en rond, soutenaient un cœur de la grandeur d’un homme, dans lequel paraissait une ouverture, où Notre Seigneur était assis comme sur un trône, les pieds vers la pointe du cœur. Il était revêtu d’habits royaux, ayant sa couronne royale sur la tête et le sceptre sur le bras droit. Mon attention était toute entière à considérer Notre Seigneur dans ce cœur. Une sérénité si douce et si agréable était répandue sur son visage, qu’elle inspirait la paix et la plus douce consolation. ll avait les yeux baissés et gardait un profond silence, comme un Roi de majesté; il était assis sur son trône royal : les anges le portaient en triomphe en chantant des hymnes à sa louange et à sa gloire. J’étais fort surprise de tout cet appareil. Je demandai aux Anges ce que signifiaient toutes ces choses ; ils me répondirent à haute voix : « C’est notre Roi qui habite dans le cœur de l’âme véritablement fidèle. Voyez et considérez, il y est comme un Roi qui gouverne et qui régit toutes les puissances de l’âme; il y est comme sur son trône; il ordonne à ses anges de venir à la garde de cette âme. Là, il repose en paix, il y prend ses plus chers délices. » Les anges s’arrêtèrent avec Notre Seigneur pour me faire entendre ces choses, et, quand ils eurent parlé, tout disparut dans un clin-d’œil.

Apparition de Notre Seigneur sous la forme d’un Souverain Pontife.

    Je passe encore à une autre apparition, c’est la dernière que je rapporterai. Je n’aurais jamais fini, s’il fallait, dans le cours de ma vie, raconter seulement la dixième partie de toutes les apparitions que j’ai eues de Notre Seigneur.

    Un jour, me trouvant seule dans un appartement, je vis paraître aussitôt devant moi, au milieu de cet appartement, un Souverain Pontife assis dans un fauteuil. Je ne le connaissais point. Ce n’est que depuis que j’ai remarqué dans des tableaux les habits pontificaux du Saint-Père. Je vis cette Divinité revêtue de cet habit inconnu pour moi. Je demeurai toute surprise. Ce n’étaient point les habits d’un simple prêtre; il avait sa tiare sur la tête; sa face était majestueuse, blanche et vermeille ; ses yeux brillants d’un doux éclat imprimaient l’amour jusqu’au fond de l’âme. Comme il était revêtu de ses habits pontificaux, je ne faisais que le regarder sans oser approcher.

    Ce Souverain Pontife commença à jeter les yeux sur moi, puis me dit d’un air de bonté : Venez à moi, mon enfant. A cette parole je vais ; mais à l’instant une voix touchante et terrible se fit entendre au-dessus de ma tête. Humiliez-vous ! humiliez-vous ! criait-elle, et elle ne cessa de crier jusqu’à ce que je fusse aux pieds du Souverain Pontife. Je me mis à genoux à ses pieds; je me prosternai, je l’adorai, et puis je me relevai.

    Ce Souverain Pontife me voyant tremblante et saisie de crainte, commença à me prendre les mains et à me caresser comme un bon père caresse son enfant. Comme j’entendais ce héraut qui crioit toujours, humiliez-vous! je retirai mes petites mains d’entre les siennes pour me prosterner à ses pieds, que je baisai avec un amour respectueux. Ce Souverain Pontife me dit de me relever, et commença à me caresser encore plus tendrement en me frottant les joues de ses mains sacrées, et en me prenant par le menton. Cela imprimait dans mon âme une si grande tendresse d’amour, que j’aurais eu de la peine à la soutenir, si Dieu ne m’eût soutenue lui-même.

    Je fus longtemps aux pieds du souverain Pontife, et je m’y étais prosternée plusieurs fois, comme je l’ai déjà dit. J’avais un désir extrême de savoir laquelle des trois personnes de la Sainte Trinité était avec moi : je me doutais que c’était le père ; mais la crainte et le respect m’empêchèrent de le demander ouvertement. Cependant la familiarité et les caresses que Dieu me faisait, me donnèrent un peu de liberté. Je dis d’une voix demi-basse et craintive, comme une personne qui n’ose parler: Qui êtes-vous ? Le Souverain Pontife me répondit : Je suis de vos amis. Je n’étais pas pleinement satisfaite, et je repris: êtes-vous la Sainte-Vierge? Le Souverain Pontife me répondit avec une douceur admirable : Je ne suis pas la Vierge, mon enfant, je suis de vos amis, et vous connaîtrez un jour qui je suis. En prononçant ces paroles, il disparut: je ne vis plus rien. Je ne faisais plus qu’entendre le héraut qui criait encore Humiliez-vous ! Je m’adressai à cette voix sans savoir à qui je parlais, et lui dis: Quel est celui qui était avec moi, et qui vient de disparaître? Cette voix me répondit d’une voix encore plus forte: Ah! qui est-ce ? c’est la sagesse du père Éternel. Cela dit, la voix cessa, et tout finit.

    Voici ce que notre Seigneur me fit connaître après cette apparition, dans laquelle il se montra à moi sous la figure d’un Souverain Pontife revêtu de ses habits pontificaux. Cette forme marque que notre saint Père le Pape représente véritablement notre Seigneur Jésus-Christ; ce héraut qui criait sans cesse Humiliez-vous, marque la crainte et le respect, qui doivent aller jusqu’à

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l’anéantissement, avec lesquels nous devons obéissance, amour et respect au chef de la sainte Église, et à l’Église, comme à J. C. même. J. C. est dans l’Église, et l’Église en Dieu. Il faut écouter la parole de l’Église comme si c’était la parole de Dieu même.

    Dans l’apparition dont je viens de parler, notre Seigneur mêlait quelquefois sa voix à celle du héraut, en me disant, humiliez-vous ; ce qui marque que la voix du Souverain Pontife est celle de Dieu, et que tout cela n’est qu’un. Qui contredit l’Église, contredit à Dieu; qui désobéit à l’Église, désobéit à Dieu; qui ne veut point reconnaître l’Église, méconnaît Dieu; et qui se sépare de l’Église, se sépare entièrement de Dieu.

§. IV.

Les démons apparaissent aussi à la Sœur de diverses manières. Différence entre les apparitions du démon et celles de Notre Seigneur.

    Je vais encore faire connaître ici les machinations des démons à mon sujet, les tentations, les suggestions, les fantômes et les chimères dont ils troublèrent mon imagination; ce qui arrivait assez fréquemment, c’est-à-dire lorsqu’ils m’attaquaient en m’apparaissant visiblement, et en m’obscurcissant en même temps l’esprit de vapeurs noires, mais l’époque où ils me causèrent le plus de peine, ce fut le jour de ma profession religieuse, Pendant les cérémonies qui se firent au chœur, ce monstre effroyable ne sachant plus que faire, me suivait partout; il se trouvait sous mes yeux pour m’effrayer et pour m’épouvanter. Sous la figure d’un ours, il s’arrêtait devant moi en faisant des contorsions même indécentes. Il me disait : C’est pour moi que tu vas faire tes vœux. Il me donnait des craintes, des troubles et des frayeurs dans l’imagination, qui me firent beaucoup de peine. Comme on chantait le Suscipe, il m’accompagna tout le long du chœur; et comme je revenais du bas du chœur vers la grille, il se plaça à côté de ma Supérieure, qui était assise sur un siège, où elle m’attendait pour recevoir mes vœux. Lorsque j’approchai d’elle à la fin du Suspice, je dis à haute voix, suivant l’usage prescrit : Recevez-moi, mon Dieu, selon votre parole, et ne me confondez pas dans mon attente, mon désir et mon espoir. En faisant cette prière, mon intention, au milieu de mes combats, était de me jeter, comme à corps perdu, entre les bras de la miséricorde de Dieu, espérant de sa bonté infinie qu’il m’assisterait dans les pratiques de la nouvelle consécration que j’allais lui faire par mes vœux. Dans ce moment le démon disparut. Je me prosternai aux genoux de ma Supérieure, où je prononçai mes vœux avec une grande confiance et un grand courage.

Apparition des démons au moment de la confession.

    La veille d’une grande fête, me trouvant au confessionnal, je vis sur un petit autel trois ou quatre démons qui dansaient et se réjouissaient entre eux. Je connus en Dieu que les démons étaient venus là exprès pour faire faire de mauvaises confessions. Chaque démon avait son office: les uns étaient chargés de faire entamer des conversations pour empêcher de se préparer à la confession ; les autres devaient exciter des disputes entre les sœurs, à qui passerait devant les autres. Quelques-uns avaient la fonction de porter à l’impatience les religieuses à la vue de leurs sœurs qui étaient trop longtemps à confesse. La plus grande satisfaction des démons était de voir des religieuses se retirer avec impatience du confessionnal, en disant : Je ne reviens pas à confesse. Le diable était alors au comble de sa joie.

    J’observe ici la différence que j’ai ressentie entre les apparitions de Notre Seigneur et celles du démon. ll est facile de s’y méprendre, le démon sachant bien contrefaire l’ange de lumière.

Illusions et tromperies du démon. Fausses visions et fausses dévotions.

    Le démon a ses dévots et ses dévotes; il sait fort bien contrefaire les extases et certains gestes qui paraissent au-dehors, et en public les signes d’une véritable dévotion. Depuis que je suis sur la terre, Dieu m’a fait connaître plusieurs personnes qui avaient été trompées par le démon sans le savoir. Dieu m’obligea de les avertir et d’en prévenir leur confesseur, ce que je fis, entre autres, par rapport à l’une d’elles, qui, sans s’apercevoir qu’elle était le jouet du démon, était si fort attachée à ses prétendues révélations, à ses illusions, à ses ravissements et à ses extases, qu’elle ressemblait à ces femmes mondaines, qui ne nourrissent leur cœur que des plaisirs sensuels et des maximes du monde: quand elles sont à leur toilette pour se parer de leurs habits mondains , elles se tiennent devant une glace pour se voir et s’ajuster à la mode» Si elles ont pu réussir à se parer à leur gré, elles en ont le cœur tout, bouffi de joie; elles se présentent bien cent fois devant la glace, ou plutôt elles y restent très longtemps à s’admirer et à se contempler. Telles sont ces pauvres créatures qui sont trompées et qui se trompent elles-mêmes; car le démon ne peut nous tromper sans notre participation.

    Quand il trouve un cœur disposé à se nourrir des plaisirs sensuels et illicites,

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c’est alors qu’il jette ses amorces, et ce cœur avide de plaisirs s’y laisse prendre rapidement, ce qui arrive pour l’ordinaire au sexe féminin ; et, comme notre mère Eve, toujours curieuses de savoir et d’apprendre de nouvelles choses, ces pauvres créatures s’enivrent, pour ainsi dire, de leurs belles dévotions, et se regardent sans cesse dans leur intérieur où le diable a élevé son trône. C’est de là que, selon leur fantaisie et selon leurs désirs, il leur imprime toutes sortes d’illusions et de visions imaginaires qui leur remplissent l’esprit et le cerveau, d’où viennent ces pensées fantastiques dont elles sont si fort occupées. Une vapeur monte au cerveau, et aussitôt voilà la prétendue sainte qui tombe en extase, mais en une extase diabolique et sans aucun fruit : elle ne ressemble point à celle de la belle Esther, qui, par sa défaillance extatique, délivra son peuple; mais, au contraire, ces personnes trompées perdent leur âme et la mettent sous la captivité et sous la puissance du démon ; car le démon n’a pas de peine à leur persuader qu’elles sont saintes : elles le croient fermement, elles se nourrissent de tous ces plaisirs que le diable peint dans leur imagination, qui devient comme un tableau de toutes ces choses extraordinaires dans lesquelles elles se regardent, se contemplent et se mirent à leur grand contentement. Plus on approchera du jugement général, plus le démon suscitera de faux dévots et de fausses dévotes.

Différence entre les apparitions de Dieu et celles du démon.

    Il y a cette différence entre les apparitions de Dieu et celles du démon, que l’apparition de Dieu porte avec elle une touche de son amour et de sa majesté, qui porte droit à une douce motion d’amour dans l’âme, qui se trouve remplie d’une grande connaissance dans la majesté de Dieu. Cette suprême majesté remplit l’âme d’amour et de confusion : Dieu fait voir sa grandeur à l’âme, à qui il découvre en même temps sa bassesse et son néant. Enfin elle n’a garde de se croire une sainte; quand tout le monde et même son confesseur le lui diraient, elle n’y ajouterait pas foi. La raison en est que, plus une âme s’approche de Dieu, et plus Dieu s’unit à elle; plus aussi elle devient humble par la connaissance de sa bassesse et du vil néant de la créature. Elle est donc non seulement humble, mais encore elle est comme anéantie en elle-même devant Dieu, toutes les fois qu’elle pense à Dieu.

    Dans les apparitions du démon c’est tout le contraire; car le démon ne porte jamais les âmes qu’il trompe à aimer Dieu, cela lui est impossible. Il ne sait ce que c’est que l’amour de Dieu. Jamais il ne l’a aimé, et jamais il ne l’aimera. Si ces personnes trompées croient aimer Dieu, elles sont dans une véritable erreur. Elles peuvent bien éprouver, à la vérité, par l’artifice du démon, je ne sais quel enthousiasme d’amour d’elles-mêmes et de leur propre excellence; quant à l’humilité, elles en sont bien éloignées : au contraire, il n’y a en elles que feinte, déguisement et duplicité dans leurs paroles, dans leurs actions, et surtout dans leur conduite. Par là même elles peuvent tromper, les confesseurs; car leur superbe les porte jusqu’au point de s’humilier en public, mais d’une humilité hypocrite et feinte, et sans aucun fruit, n’ayant pour but et intention que de paraître humbles aux yeux des hommes et de leurs confesseurs, pour s’attirer de l’estime et de la réputation, et pour être honorées comme des saintes. Leurs austérités et, leurs mortifications corporelles sont quelquefois plus grandes et plus cruelles que ne le seraient celles des vrais disciples de J.C., et tout cela n’est que l’effet de l’ambition et d’une passion désordonnée de paraître, pour satisfaire leur orgueil.

Moyens d’éviter les illusions du démon.

    Une personne conduite par l’esprit de Dieu n’est pas toujours à l’abri des attaques de Satan; mais à mon avis , et d’après l’expérience que j’en ai faite moi-même, voici pour l’ordinaire les armes qu’une âme, qui ne cherche que la gloire de Dieu et son amour, qui ne veut que mourir au monde, à toutes les créatures et à elle-même pour l’amour de Dieu et qui enfin ne veut plaire qu’à son Dieu, et ne servir que lui seul, doit opposer à son ennemi, qui quelquefois ne sait par où l’attaquer, parce qu’il la craint et qu’il tremble d’être vaincu : cette âme qui est dans ces dispositions et dans la pratique de ces vertus, lorsque Dieu s’approchera d’elle, et qu’il lui parlera, certainement le reconnaîtra ; car il y a je ne sais quoi, qu’on ne peut comprendre, et qu’on ne peut expliquer, qui sort de cette voix divine, pénètre le cœur, et fait tressaillir l’âme d’une douce allégresse. Elle s’écrie alors en elle-même et sans bruit : O voici le Dieu de mon cœur, l’unique objet de tous mes désirs, et celui que mon cœur aime! Pour lors, si Dieu lui demande quelque chose, elle l’écoute avec un saint respect mêlé de crainte et d’anéantissement. Elle s’offre à lui, soit pour agir, soit pour souffrir, pour vivre ou pour mourir; son plus grand attrait est de se sacrifier entre les mains du Seigneur, selon l’intérêt de son plus pur amour et de sa plus grande gloire.

    Lorsque mon ennemi m’attaquait et voulait me faire entendre qu’il était le Seigneur, ma pauvre âme ne pouvait le reconnaître; au contraire, elle

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tremblait de frayeur par la crainte de se tromper. Elle se trouvait troublée et attaquée de plusieurs choses qu’elle ne pouvait comprendre. Pour lors, par une vive confiance en Dieu je m’élevais vers lui de toute l’affection de mon cœur et de mon amour. Venez, mon Seigneur et mon Dieu, lui disais-je, accourez promptement à mon aide, et hâtez-vous de venir me secourir. J’abandonnais ainsi le parti de Satan, qui disparaissait comme une fumée. Voilà ce que j’ai éprouvé plusieurs fois.

    J’ajouterai encore ici deux ou trois avis fort utiles pour combattre l’ennemi. C’est de ne point s’attacher du tout aux consolations, quoique moralement on les croie de Dieu; de ne point s’attacher, non-seulement aux consolations extraordinaires, mais même ordinaires. Si une âme veut plaire uniquement à Dieu, elle doit se détacher généralement de tout ce qui n’est point Dieu, du spirituel comme du temporel, et même des bonnes créatures comme des mauvaises, regarder Dieu dans toutes les créatures et dans la charité de J- C, et voir toutes les créatures en Dieu. Parmi ceux qui liront ceci, il y en a qui croiront cela impossible; mais je réponds que nous pouvons tout avec le secours de la grâce. On n’a pas besoin pour cela de grâces extraordinaires, les vérités seules de la foi suffisent ; et vous pouvez faire cela dans le secret de votre cœur, entre Dieu et vous sans le secours de personne. Quand il s’agirait même de vos plus proches parents, vous pouvez transporter en Dieu l’amitié que vous avez pour eux, et aimer Dieu en eux. O l’heureuse pratique pour ceux et celles qui y persévéreront jusqu’à la fin ! On peut dire qu’ils ont trouvé le paradis sur la terre, ou plutôt qu’ils ont commencé à aimer Dieu sur la terre, ainsi que le prochain, comme ils le feront éternellement dans le ciel dans la félicité des bienheureux.

§. V.

Combats de la Sœur contre les passions et les inclinations naturelles du cœur, peu de temps après sa profession religieuse.

    J’avais vingt-quatre à vingt-cinq ans quand j’eus le bonheur de faire mes vœux de religion. Dieu m’avait donné une parfaite santé et une grande force de tempérament, dont les religieuses furent charmées, dans l’espoir que je serais capable de rendre service à la communauté. Avec cela le bon Dieu m’avait donné une bonne vocation avec une bonne volonté de remplir les devoirs de mon état, et de rendre, pour l’amour de Dieu et par reconnaissance pour la communauté, tous les bons services et assistances que je pourrais à toutes les religieuses, et particulièrement aux infirmes, et à celles qui avaient plus besoin d’aide; ce qui m’occasionna avec plusieurs une amitié trop naturelle, qui était contraire à la charité commune qu’on se doit mutuellement.

Amitiés trop naturelles de plusieurs religieuses pour la Sœur; ce qu’elle souffre à cette occasion.

    Cela souleva des esprits jaloux, et me causa de très grandes peines dans mon intérieur, tant d’un côté que de l’autre. Je voyais bien en Dieu que tous ces excès venaient du démon; et pour ce qui me regardait, comme je savais par expérience que cet ennemi me poursuivait presque toujours, et qu’il avait fait tout son possible, tant du côté des créatures que du mien, pour m’empêcher d’être religieuse, je vis bien que j’allais encore être livrée à des combats. Je pris mon parti selon ce que je voyais dans la volonté de Dieu. J’allai trouver ma Supérieure, et la priai, lorsque quelques religieuses lui demanderaient la permission de me donner quelque chose, de les refuser, et de leur dire que je n’en avais pas besoin, et que je m’en trouverais la conscience gênée à cause de mon vœu de pauvreté. Les religieuses, malgré cela, m’apportaient dans notre cellule de tout ce qu’elles avaient, pour me faire plaisir. Quand je le trouvais, je le portais chez la Supérieure. Aussitôt qu’elles l’apprenaient, elles se fâchaient contre moi, et j’en étais bien aise, parce que cela faisait plaisir à d’autres, qui m’étaient contraires. Aussi, tout ce que je pouvais faire sans que Dieu fût offensé, je le faisais pour adoucir leur humeur. Quelquefois, lorsqu’elles me trouvaient seule, elles vomissaient contre moi tout ce que le démon leur suggérait. J’avais une grande compassion de les voir tant souffrir à cause de moi. Lorsqu’elles étaient deux malades à l’infirmerie, dont l’une m’aimait, et l’autre m’était contraire, je me faisais violence pour l’amour de Dieu. Je faisais bonne mine à cette dernière, et même je marquais plus d’attention à la bien servir, même au préjudice de la première ; ce qui causait un certain refroidissement et mécontentement à celles qui paraissaient être mes prétendues amies, et ce qui faisait beaucoup de plaisir aux autres. Dans mon intérieur je me conduisais selon ce que je voyais en Dieu être le plus parfait à l’égard de ces deux partis contraires. Quand je rendais service à celles qui m’étaient contraires, je croyais que Dieu l’avait pour agréable, et mon intention était purement pour sa gloire. À l’égard des autres, quand je leur rendais

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service, j’éprouvais une certaine répugnance que je ne leur faisais pas paraître, je craignais que dans la plupart des services que je leur rendais mon temps ne fût perdu devant Dieu. C’est pourquoi je ne cessais de renouveler mes bonnes intentions de ne le faire que pour le pur amour de Dieu.

Pendant son noviciat, elle est traitée durement par la dépensière.

    Dans le temps que j’étais postulante et novice, j’étais toujours sous les yeux d’une religieuse qui était dépensière. Je la regardais comme une véritable amie selon l’esprit de Dieu. Elle me reprenait de toutes mes fautes, et travaillait à m’en corriger avec douceur et charité. Elle m’enseignait ce que je devais faire pour cela ; mais quand elle était en public, et particulièrement devant certaines religieuses qui étaient contre moi, elle me querellait d’importance, et rapportait toutes les fautes que j’avais faites à la cuisine ; elle me disait que j’étais une bête, et que je n’apprenais point à bien faire la cuisine: en un mot, elle paraissait agir durement avec moi de toutes les manières.

Elle éprouve pour cette religieuse une affection trop naturelle qu’elle se hâte de réprimer.

    C’était pour elle que je me sentais le plus d’inclination, parce que je voyais en Dieu que tous ses avis et sa manière d’agir envers moi, n’était que pour mon bien. Après ma profession, elle cessa de me quereller en public ; mais le démon, qui veillait toujours à ma ruine, s’aperçut que je l’accostais, et que je lui rendais service d’une manière affable et reconnaissante. Effectivement, j’éprouvais dans mon intérieur un certain penchant pour elle, que je ne sentais pas pour les autres. Quand je me trouvais seule avec elle, je me laissais aller à quelques petites familiarités, comme à celle de lui prendre les mains. Cette bonne mère les retirait aussitôt, et me faisait une charitable remontrance, en me disant qu’il ne convenait pas entre des religieuses de se prendre les mains par familiarité ou amitié naturelle; que j’étais religieuse, et que je ne devais aimer que Dieu et ne m’attacher qu’à lui seul. Tout ce qu’elle me disait me portait à avoir pour elle de l’estime et de l’amitié, voyant que Dieu me l’avait donnée pour combattre mes défauts.

  De plus, à cette amitié trop tendre que j’éprouvais à son égard, le démon joignit une forte tentation d’amitié déréglée. Dans tout ce que je faisais pour elle, je ressentais un certain amour pour elle qui l’emportait toujours : cela alla si avant, que j’en éprouvai de la jalousie. Lorsque je m’aperçus de cette impression, j’en eus horreur: rentrant en moi-même, je dis au Seigneur: Ayez pitié de moi; voilà de quoi je suis capable. Je pris la résolution d’aller à confesse, et de m’accuser de tout ce dont je me trouvais coupable, et particulièrement à cette occasion. Je pris la résolution de parler en particulier à la religieuse qui était l’objet de ma peine. Je lui dis: Ma mère, priez Dieu pour moi. Je lui avouai ingénument tout ce que je ressentais pour elle dans mon intérieur ; et pour la prévenir, je la priai de ne point me faire tant de peines, lui assurant que j’étais résolue, moyennant la grâce de Dieu, de combattre cette passion toutes les fois qu’elle se ferait sentir. Je lui promis que je ne lui ferais aucune prévenance, et que même je ne la regarderais ni ne la saluerais, voulant que lorsqu’elle aurait affaire à moi, ou besoin de quelque chose, elle me le demandât. Malheureusement nous avions souvent affaire ensemble, elle étant dépensière, et moi sœur de cuisine. Je me mis à genoux, et la conjurai de me pardonner, et de prier le Seigneur de me faire remporter la victoire. Cette bonne mère me promit qu’elle le ferait, et me dit d’agir à son égard comme le bon Dieu m’inspirerait, en m’assurant qu’elle n’en aurait aucune peine.

    Pour lors nous nous quittâmes; je ne lui parlai plus ensuite que lorsqu’il y avait nécessité. Je n’osais pas même lever les yeux pour la regarder en lui parlant ; je me faisais tant de violence, que j’en tremblais. Malheureusement elle se trouva fort incommodée d’une douleur de côté, sans cependant être alitée. Elle vint un matin à la cuisine, en se plaignant des douleurs qu’elle ressentait; mais, ô Dieu ! quelle peine j’éprouvais moi-même en voyant que mon devoir était de la prévenir et de lui offrir un bouillon, comme les sœurs avaient coutume de le faire aux religieuses malades. Cette bonne mère eut l’humilité de m’en demander un. Je le lui donnai aussitôt avec une grande satisfaction, et remerciai Dieu de n’avoir pas manqué à ma promesse.

Combat de la Sœur pour se vaincre. Moyens qu’elle prend. Sa victoire.

    Mes peines, par rapport à cette passion, ne diminuèrent point, malgré tout ce que je faisais pour la vaincre. J’étais tourmentée le jour et la nuit, toujours occupée d’elle, inquiète comment elle se portait, avec des désirs extrêmes d’être auprès d’elle. Quand j’y étais, j’étais obligée de garder les promesses que j’avais faites à Dieu, de ne point la regarder, de ne point lui parler, ni de lui faire aucune prévenance. Il semblait que toutes ces précautions ne servaient qu’à me faire souffrir.

    Un jour cette religieuse me dit : Ma sœur, ce soir, quand vous serez dans votre cellule, dites votre chapelet pour moi. A peine y fus-je entrée que je commençai à dire en moi-même avec chagrin, contre cette religieuse : Je

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serais bien bonne de dire mon chapelet pour elle ! je souffre tant à son sujet! Je fus presque déterminée à n’en rien faire. Cependant, à la réflexion, je pensai que peut-être le bon Dieu aurait pitié de moi; je dis mon chapelet à l’honneur de la très-Sainte-Vierge pour qu’elle m’obtînt de son cher Fils la délivrance de cette passion. Quand il fut dit, toutes ces peines me furent enlevées dans le moment même, et toutes ces pensées s’évanouirent si vivement, que je n’y songeai plus que le lendemain vers midi. Cette maudite passion si fort augmentée par le démon, dura un mois juste. Ce temps me parut plus long que si j’eusse souffert plusieurs années. Le désastre de mon intérieur m’était devenu insupportable par la crainte d’offenser Dieu et de me laisser aller à la faiblesse de la nature, et j’avais peur que cela ne durât toute ma vie. Je disais en moi-même : Si je n’avais pas fait profession dans cette communauté, je ne me déterminerais jamais à la faire, tant que je sentirais en moi ce mouvement de passion pour cette religieuse. Dans ma peine, qui était extravagante, j’aurais voulu être religieuse à plus de cent lieues d’elle.

    Voici comment je me comportai pendant ce mois. J’obéissais en aveugle à mon confesseur dans tout ce qu’il me disait de faire, en lui soumettant mon propre jugement et ma raison. J’aurais bien voulu ne point communier, à cause des épaisses ténèbres dont mon âme était environnée. Je craignais, en communiant, de faire des sacrilèges, dans la pensée que Dieu était grandement fâché contre moi, parce qu’il m’avait soustrait cette belle lumière dont j’ai parlé ailleurs, et qu’il m’avait tellement abandonnée et laissée dans les ténèbres, que je n’y voyais plus goutte pour me conduire. La foi me dirigeait sans aucune dévotion sensible, et même tout le sensible était suspendu dans ce qui regarde la dévotion. Cependant je renonçais à mon propre jugement pour suivre en tout celui de mon confesseur. Il voulait que je fisse toutes les communions, et que je n’allasse à confesse que tous les huit jours.

    Le bon Dieu me fit la grâce de lui obéir. Je pus rendre compte à ma maîtresse et lui dire tout ce qui se passait à l’égard de la religieuse, que je lui nommai. J’en reçus beaucoup de consolations, et elle me dit que c’était purement une tentation. Comment, ma sœur, ajouta-t-elle, pouviez-vous vous attacher à une religieuse qui vous a tant grondée, et qui a été si rude à votre égard? Ma maîtresse voulait aussi que je fisse toutes les communions.

    Voici encore ce qui m’arriva pendant ce mois. J’étais presque tout le long des jours en silence, même avec les autres religieuses, qui voyaient bien que j’avais quelque chose. Elles venaient pour me consoler, et cherchaient à me sonder pour savoir ce que j’avais; mais je tenais ma peine trop secrète pour en parler à d’autres qu’à mon confesseur et à ma maîtresse. Les religieuses voyaient bien que je ne me comportais pas comme à l’ordinaire; et moi, craignant de m’attacher à elles comme je m’étais attachée à l’autre dans tout le cours de ce mois, je n’osais, quand elles me parlaient, lever les yeux sur elles pour les regarder en face. Je ne leur répondais que ce qui était nécessaire, et je les quittais promptement, les priant de m’excuser, parce que j’avais à travailler. Les religieuses dirent à mon confesseur que je perdais la tête, que je ne me conduisais point comme de coutume, que je ne leur parlais presque pas, et qu’à peine les regardais-je. Il m’avoua qu’elles avaient fait des plaintes de moi. Il me gronda et me dit que je poussais les choses trop loin. Ce fut pour moi un surcroît de peines qui me fit entendre que cela ne venait point de Dieu, puisque mon confesseur le désapprouvait; qu’ainsi il fallait renoncer à ces mortifications pour obéir, et que je m’en trouverais bien. Cependant je me soutins par la grâce de Dieu dans ce que j’avais entrepris, parce que mon confesseur ne m’avait pas dit ouvertement ne le faites pas.

    Après ma confession, les religieuses observèrent que je continuais mon silence et ma manière d’agir ordinaire. Il y en eut une en particulier qui vint un jour me trouver à la cuisine, et qui, en présence de plusieurs religieuses, me jeta son feu et dit contre moi tout ce qu’elle avait dans l’imagination. J’étais fort occupée; je ne lui répondis rien du tout. Elle me rapporta plusieurs des paroles que mon confesseur m’avait dites en particulier : Que je perdais la tête et que je devenais folle. Cela circula dans la communauté : les religieuses me regardaient comme une personne qui perdait l’esprit.

    Le bon Dieu me délivra de cette passion, comme je l’ai dit plus haut. La religieuse dont il est question ne me rapporta rien de ce qu’on disait de moi dans la communauté; mais aussitôt que je m’aperçus que j’étais entièrement délivrée de cette peine, je lui fis connaître, en agissant avec elle comme je le faisais auparavant, la prévenant en tout et lui rendant service avec plaisir et reconnaissance. Comme j’avais été si bien châtiée par cette passion, je priai le Seigneur de me faire mourir

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entièrement à cet amour naturel, pour ne voir les créatures qu’en Dieu, et ne les aimer que dans la pure charité du cœur de Jésus. Ce Dieu de bonté me remplit de tant de grâces, qu’il me semblait être sortie de l’enfer pour rentrer dans la jouissance de la présence de Dieu et de ses divines lumières.

§. VI.

Autres combats de la Sœur contre les passions, et surtout contre celle de l’orgueil.

    Le bon Dieu m’avertit qu’il fallait renoncer à la grille, mourir à mes parents et au monde, et me fit connaître ce que je souffrirais du démon, de mes passions et du monde. Il me dit : « Mon cher enfant, il faut que vous renonciez entièrement au monde, à vos parents, en faisant le sacrifice de ne plus aller à la grille que par obéissance. Parlez de cela à votre confesseur et à votre Supérieure, et faites ce qu’ils vous ordonneront. »

Résolution qu’elle prend de n’aller plus au parloir que par obéissance. Murmures dans la communauté contre elle.

    J’allai trouver mon Confesseur et ma Supérieure; je leur déclarai le dessein que j’avais formé pour la gloire de Dieu et le salut de mon âme. Ils approuvèrent l’un et l’autre ma résolution. Ma Supérieure me dit : Ma Sœur, il ne faut pas en faire de vœu, parce que dans un cas de nécessité je pourrais juger à propos de vous y faire aller. Mais, ô mon Dieu! ce fut encore pour moi, à l’égard de plusieurs religieuses, et particulièrement d’une d’entre elles, un nouveau surcroît de peines. Les unes disaient que c’était une espèce d’hypocrisie de ma part, que je voulais me faire remarquer en faisant quelque chose de singulier, pour en imposer aux autres; d’autres prétendaient que c’était par bêtise ; qu’aussi bien je n’avais pas l’esprit de parler aux personnes du monde. Il y en eut quelques-unes qui me prirent en particulier pour me faire leur décharge de cœur, et qui me donnèrent un savon d’importance. Ce que j’avais de bon, c’est que le Confesseur et la Supérieure étaient pour moi, ce qui fit passer l’orage.

Une de ses sœurs veut absolument la voir. Réponse qu’elle lui fait.

    Mais le diable voyant que son coup était manqué, se tourna du côté de mes parents, qui devinrent furieux du parti que j’avais pris; ils voulaient absolument me voir, et particulièrement une de mes sœurs, qui alla jusqu’au confesseur et le pria de me faire venir pour qu’elle me vît à la grille du confessionnal qui donnait dans la chambre du confesseur. Il demanda la Supérieure et lui dit d’aller me chercher pour cette fois-là, afin que ma sœur et moi nous pussions nous entrevoir. Ma Supérieure vint me chercher, et, me prenant par la main, elle me conduisit au confessionnal, oh je trouvai ma sœur qui m’attendait. Le premier bonjour qu’elle me dit fut de m’accabler de reproches, et elle déchargea tout ce qui lui tenait au cœur, en présence du Confesseur et de la Supérieure, qui ne me quittèrent point. Quand elle eut tout dit, voici la réponse que je lui fis : Restez, ma sœur, à votre ménage, et veillez à vos affaires ; ne venez point ici me troubler dans ma chère solitude, où je me suis renfermée pour l’amour de Dieu. Je lui fis entendre que j’étais entièrement résolue à ne plus aller à la grille pour qui que ce fût, à moins que l’obéissance ne me le prescrivît.

Visites de personnes du monde. Comment la Sœur vint à bout de s’en délivrer.

    Je jouis d’un peu de repos pendant quelque temps; mais voici une nouvelle bourrasque, pire que les autres. Le diable me donna une fausse réputation dans l’esprit des personnes du monde, et leur inspira une vaine estime pour moi. Il les faisait venir me demander à la grille, quoique je ne leur fusse rien. Quelquefois, c’était même les premiers de la ville. Ma Supérieure voyant que ces personnes me demandaient comme par curiosité, me fit aller à la grille, et plusieurs fois je fus contrainte de le faire par obéissance, ce qui me causait beaucoup de peine. Je m’aperçus du stratagème que le démon faisait avec le monde pour me porter à la vaine gloire et pour me perdre. Réfléchissant sur ce que je devais faire, je trouvai une invention pour quand l’occasion fatale se trouverait d’aller à la grille, n’importe qui, que ce fût des gens du monde qui me demandât : ce fut de faire l’innocente sur tout ce qu’ils me diraient, particulièrement sur certaines questions extraordinaires, et de ne leur faire d’autre compliment que de leur dire que je n’allais à la grille que par obéissance. Quand des personnes du monde venaient voir leurs parentes religieuses, elles me demandaient aussi : je les refusais net. Cette manière d’agir me réussit très bien, et pendant quelque temps je n’allai plus à la grille du tout.

Le démon la tente par l’orgueil. Ses combats.

    Mais le démon m’attaqua par ma passion dominante, qui est l’orgueil, et il y joignit de fortes tentations de complaisance. Il fallut bientôt combattre avec armes blanches contre moi-même et contre l’ennemi qui se présentait sans cesse à mon imagination et à mon esprit. Regarde, me disait-il, la belle réputation que tu as maintenant dans le monde et dans la religion; presque tout le monde te regarde et t’estime comme une sainte. Il me rappelait à la mémoire toutes les différentes paroles qui m’avaient été adressées soit à la grille, soit dans la communauté. Je n’avais d’autre ressource qu’en la grâce de J. C.; je voyais parfois

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que j’étais près d’être submergée dans l’abîme; il semblait que tout me portait à l’orgueil et servait d’armes au démon pour me combattre. Je m’humiliais dans les chapitres devant la communauté : tout cela ne servait qu’à me faire ressentir plus de peines.

Elle demande au Seigneur des humiliations et des souffrances. Elle est exaucée.

    Un jour qu’au milieu de mes peines je me voyais combattue à outrance de toutes parts, j’élevai mon cœur et mon esprit au ciel, en disant: « Seigneur, vous qui voyez l’état violent où je suis parmi mes ennemis, qui me font sans cesse la guerre, venez à mon secours, il n’y a que vous qui puissiez remporter la victoire. Envoyez-moi, s’il vous plaît, ô mon Dieu, quelque grande maladie, des infirmités et des humiliations, qui attaquent ce corps et cette santé si parfaite que vous m’avez donnée dans ma jeunesse, et qui ne servent que d’appât à mes passions, et de moyen de m’élever devant les créatures, et même devant la communauté, qui est si satisfaite et si contente de m’avoir mise en religion. »

    Ce n’était à mon sujet qu’applaudissements et jubilations, qui causaient toujours, à mon égard, deux partis dans la maison, l’un d’amies, et l’autre de jalouses. À cette occasion, je priai le Seigneur de frapper ce corps audacieux, et je me donnai toute entière à lui pour souffrir tout ce qui lui plairait afin d’être humiliée devant les créatures, plutôt que de perdre mon âme….. O mon Dieu ! jamais demande ne m’a été si promptement accordée. Comme je faisais cette prière à Dieu, je sentis un rude assaut de la nature, qui se soulevait contre moi en me faisant entendre: Que demandes-tu ? Sais-tu quelles peines et quelles souffrances tu auras à supporter dans une communauté qui te gardera peut-être avec autant de peine dans la maladie, qu’elle a eu de plaisir à te posséder dans la santé? Je me trouvais accablée sous le poids de l’affliction, me voyant en combat contre moi-même. Sans me dédire de ma prière, je me soumettais à la volonté de Dieu, espérant que ma prière ne l’offenserait pas, parce que je la faisais pour son pur amour et pour mon salut.

    Je ne fus pas plus de huit jours, autant que je puis m’en souvenir, sans ressentir les effets de ma demande. Ce divin Sauveur, très libéral et amoureux des souffrances pour notre amour, m’a honorée du précieux don de sa croix, par toutes sortes d’infirmités habituelles et perpétuelles, et d’humiliations devant Dieu et devant les hommes. Ce fut un grand moyen pour combattre et abattre mes passions avec le secours de la grâce. Mais hélas ! la superbe ne men jamais qu’avec nous-mêmes. Et je vais encore raconter un assaut cruel que le démon me livra à l’occasion des faveurs et des grâces que Dieu me donnait même quelquefois dans les plus grandes douleurs.

Dieu la soutient par une grâce extraordinaire dans une opération très douloureuse.

    Un jour j’étais entre les mains d’un chirurgien, et j’avais à souffrir de cruelles douleurs par l’extirpation d’une loupe à un genou, de la grosseur de la tête d’un enfant. Il avait à couper plusieurs reprises. Ce Dieu de bonté me favorisa de sa grâce dans le moment de cette opération, qui dura environ un quart d’heure. J’étais assise dans un fauteuil, sans être tenue, ni liée, présentant mon genou librement et sans broncher, et cela au grand étonnement et admiration des assistants, et même du chirurgien, qui disait que, s’il avait été à ma place, il aurait fallu le lier fortement. Mais hélas ! si l’on savait comment tout cela se passait dans mon cœur par le feu du divin amour et la présence de la Très-Sainte-Trinité, dont les entretiens étaient si doux, qu’ils enchantaient toutes mes plus vives douleurs! Mon cœur, animé de ces douces flammes, ne pouvait dire autre chose à chaque morceau de chair qu’on me coupait, encore plus, mon Dieu, encore plus! et mon cœur désirait que c’eût été à lui-même qu’on eût fait ces incisions, pour être victime du divin amour qui l’embrasait. Mais hélas ! la faveur de Dieu ayant disparu vers le soir mon ennemi capital ne manqua pas son coup. Il vint me séduire par une forte tentation, en représentant à mon imagination toute la vaine estime qu’on avait eue de moi, particulièrement dans cette circonstance. Te voilà une sainte, m’insinuait-il. Toutes celles qui ont été spectatrices de l’opération, l’ont divulguée dans la communauté et dans le monde, et tu leur es en vénération de sainteté.

La crainte de la vanité lui fait demander à Dieu de vives douleurs sans aucunes faveurs sensibles. Elle est exaucée.

    Dans ce moment j’eus recours à Dieu de toutes mes forces, en disant: « Seigneur, voilà l’état ou je suis, et comment mon ennemi s’arme contre moi! je vous supplie, ô mon Dieu, de me donner des douleurs vives, qui correspondent à celles que j’ai souffertes dans l’opération. Mettez-moi en confusion avec moi-même et avec mon amour-propre, en me soutenant par votre patience, mais sans aucunes faveurs sensibles. » Ce Dieu de bonté m’accorda ma demande.

Vives douleurs de la Sœur. Sa patience.

    Quelque temps après, il me survint une humeur maligne et piquante dans l’intérieur du corps, et elle se plaça dans des endroits très sensibles. De là il partait des élancements si vifs, que je puis dire qu’ils égalaient les incisions de l’opération. Il s’y joignit une rude colique.

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    Dans le fort de ces douleurs, qui durèrent environ une demi-journée sans aucune consolation sensible, j’étais toujours prête à m’impatienter. Je l’aurais fait cent fois pour une, si j’avais un instant perdu de vue Notre-Seigneur dans sa passion. Je lui disais sans cesse : Patience de J. C., ayez pitié de moi! ô mon Dieu ! que vous êtes bon et aimable de donner si promptement les remèdes qui conviennent aux grands maux que font les passions, particulièrement la superbe!

Danger de l’orgueil. Nécessité de combattre cette passion.

    O superbe diabolique et abominable! que tu moissonnes d’âmes pour l’enfer ! qu’est-ce que l’homme? C’est une vapeur de fumée qui se dissipe en l’air. O que tous ses projets, fussent-ils même pour la dévotion et même pour le salut des âmes, sont inutiles, si l’intention n’est pure, et pour le seul intérêt de la gloire de Dieu, en ne cherchant pour soi-même rien que son salut et la volonté de Dieu ! Tel commencera bien par l’esprit de Dieu et par l’humilité, et finira par la superbe et l’orgueil. Alors tout l’édifice est renversé, et s’écroule en enfer.

    Je tremble et frémis mille fois en pensant aux ruses artificieuses de cette bête féroce qui tue et écrase, en flattant et en donnant au cœur des plaisirs illicites. Quelle est cette bête dont je parle? Elle n’est point autre que nous-mêmes. Quand je me considère selon la corruption des passions, et surtout de celle de l’orgueil, je pense qu’il n’y a rien au monde qu’il ne fallût souffrir, éviter et sacrifier, pour combattre et détruire ses passions; qu’il faut toujours avoir les armes à la main sans lâcher prise jusqu’au dernier soupir de sa vie; car il n’est personne plus en péril que celui qui croit être en paix avec ses passions, et les avoir réduites au néant. C’est à-dire, il faut que le serviteur de Dieu veille continuellement sur lui-même, et soutienne un combat perpétuel contre ses ennemis. S’ils lui donnent quelque apparence de paix, hélas! c’est une fausse paix. Ils se cachent, ces ennemis rusés, pour mieux nous surprendre. Les soldats de J. C. sont toujours prêts à combattre. Ils ne cherchent que la paix de l’âme, et la paix avec J. C., qui est le roi des combattants.

Sentiment d’humilité de la Sœur.

    Si je me demande à moi-même comment il faut faire pour s’humilier d’une humilité qui soit agréable à Dieu, hélas! je ne sais comment faire, ni comment m’y prendre, parce que je ne trouve dans ce foyer de corruption que vanité. Plus je me considère, plus je trouve que sans le secours de la grâce de Dieu, je ne suis capable que de vanité, et en cela je suis semblable au démon qui n’est capable d’aucun acte d’humilité qui plaise à Dieu, et qui ne peut faire valoir que la superbe. Hélas ! ô mon Dieu! prosternée à vos pieds, couverte de confusion de ce que je ne puis m’humilier, je ressemble en cela au démon. O mon Dieu, je m’humilierai de ce que je ne puis m’humilier. O sainte humilité de J. C., mon modèle ! c’est vous qui, par votre grâce, me communiquez tous les remèdes propres à guérir mes maux. C’est de vous que j’attends secours et assistance; car enfin j’ai remis mon salut entre les mains de votre miséricorde infinie. Malgré l’enfer, le monde et mes passions, je mets tout mon espoir en vous, et j’espère avec foi contre toute espérance, en m’appuyant sur votre bonté, et sur les mérites infinis de mon Sauveur, que par sa sainte miséricorde, malgré mon indignité, il ne me perdra pas sans ressource, et ne me condamnera pas.

    Je n’aurais jamais fini si je voulais faire connaître à mes confesseurs tous les combats que mes différentes passions, jointes aux tentations du démon, m’ont fait souffrir. Elles m’ont attaquée dès mon enfance, et je prévois qu’elles ne me donneront point de trêve jusqu’à ma mort.

    Ce que j’ai fait écrire ci-dessus au sujet de mes passions, est pour faire connaître à ceux qui me conduisent, dans quel sens et de quelle manière je les combats, et pour apprendre d’eux si je ne suis point trompée du démon dans toutes les affaires de ma conscience. Je m’expliquai bien plus au long, il y a quelques années, et même je me fis connaître à mon confesseur, qui me faisait écrire toutes les lumières et les connaissances que Dieu m’avait données. Je lui fis aussi une confession générale, afin qu’il connût par lui-même mes péchés et la corruption de mes mœurs.

ARTICLE II.

Développements et instructions sur divers sujets déjà traités dans les volumes précédents, l’enfer, la pénitence, la bonté de Dieu envers les pécheurs sincèrement convertis, le grand nombre des réprouvés, et le jugement dernier.

§. I.

Détails sur les supplices réservés dans l’enfer pour les âmes mondaines et sensuelles. Corruption d’un cœur gâté par l’esprit du monde.

Dans une grande maladie, la Sœur est conduite en esprit dans l’enfer.

    Mon père, je vais vous rendre compte de ce qui m’est arrivé dans une grande maladie, où notre Seigneur me fit descendre en esprit avec lui en enfer.

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    Le bon Dieu m’a favorisée tous les jours de sa sainte croix, par une fièvre continue, avec des redoublements violents et une toux importune, qui durait quelquefois des heures et demie de temps. Cependant voici quelque chose de bien surprenant : dans le moment où la nature était de toutes parts dans la gêne et dans la douleur, Dieu semblait s’emparer de la partie supérieure de mon âme, comme pour m’attirer toute à lui. En cet état, ce divin Sauveur me conduisit dans les lieux profonds des abîmes infernaux. Je ne puis pas m’expliquer ici sur les différentes choses terribles et épouvantables que Dieu me fit connaître : je m’étendrai plus au long par la suite, si Dieu m’accorde quelques jours pour pouvoir le marquer par écrit.

    Je dis ici seulement deux ou trois mots sur ce que Dieu me fit voir, et sur la haine implacable qu’il porte à tous les mondains et à toutes les mondaines. Il me fît connaître comment il fouillerait jusques dans les plis et les replis du cœur, pour voir s’il n’était point taché ou gangrené de cet esprit du monde. Ensuite, Dieu me montra, dans ce lieu ténébreux, comme un certain espace à-peu-près tiré sur un roc, et me fit entendre qu’il m’ôtait, pour le présent, la vue horrible de l’enfer; de sorte que je ne vis pas une âme souffrir, et que je n’aperçus point les démons.

Notre Seigneur lui fait voir dans l’enfer un lieu destiné aux âmes mondaines après le jugement général.

    La volonté de notre Seigneur était de me faire voir l’horrible châtiment dont seront punis les mondains, s’ils meurent sans une véritable conversion et sans pénitence. Notre Seigneur me parlait toujours comme si nous étions, près du jugement. « Voyez, me dit-il, ce roc si raboteux et si mal construit. Après mon jugement, le bras vengeur de ma justice moissonnera toutes les âmes mondaines unies à leurs corps. Je les presserai les unes sur les autres, plus fortement que ne le sont les briques dans le fourneau. Alors, Dieu me fit voir de quelles ardeurs étaient les flammes dévorantes dont elles seraient embrasées les unes sur les autres pendant toute une éternité.

Elle voit un autre lieu réservé pour les hérétiques, les schismatiques, les idolâtres et les âmes sensuelles.

    Dieu me fit encore voir d’autres lieux profonds où était réservé comme un abîme d’eau bourbeuse qui bouillait sans cesse à gros bouillons en s’élevant en haut. Notre Seigneur me dit alors: « Voilà les lieux malheureux où seront précipitées les âmes qui se sont livrées en ce monde à toutes sortes de passions et de plaisirs sensuels. » Je connus que ce lieu était pour toutes les âmes hérétiques, schismatiques et idolâtres, et enfin pour tous ceux qui commettent des vices de tout genre, ou qui se livrent, selon leur gré, à tous leurs plaisirs, comme s’ils voulaient braver la toute-puissance et la majesté de Dieu.

    C’est alors que notre Seigneur me dit : « Dans cette profonde varvassière (1), que vous voyez bouillir par la fureur de ma colère, ils seront foulés et pétris sous le pressoir de ma vengeance. » Je remplirai ce lac de toutes sortes de souffrances inventées par ma justice. » Je connus qu’il y aurait dans ce précipice ardent comme le feu, et bouillant de corruption, un assemblage d’infection, dont les âmes avec leurs corps boiront à longs traits pendant toute une éternité.


(1) Espèce de chaudière vaste et profonde.


    Voici encore d’autres détails sur les matières dont j’ai précédemment parlé, lorsque notre Seigneur me fit descendre en esprit dans l’enfer, où il me fit voir plusieurs choses particulières sur les tourments des réprouvés.

Corruption du cœur des âmes mondaines.

    Notre Seigneur, en se lamentant sur les mondains, qui, malgré son amour et toutes ses recherches, vont se précipiter dans l’enfer, me montra plusieurs cœurs animés et comme vivants, et qui étaient de chairs, et me dit : « Voyez et considérez de quelle gangrène sont atteints ces cœurs, il n’y a presque rien de sain. » Je commençai à regarder et à considérer les plus gâtés; j’aperçus une gangrène noire et plombée qui avait pénétré dans l’intérieur du cœur. Notre Seigneur me dit: « Ouvre ce cœur. » Il était enveloppé d’une peau qui lui faisait prendre et conserver la forme de cœur. Comme j’allais pour l’ouvrir, il s’ouvrit de lui-même; il était tout pourri au-dedans, et il faisait la plus grande horreur à voir. Je ne voyais qu’un sang noir et caillé, qu’une chaire pourrie et en limon. « Voilà, mon enfant, me dit le Seigneur, la ressemblance de ces âmes mondaines; au-dehors elles paraissent vivantes et animant leurs corps, en vivant et se nourrissant des plaisirs mondains et sensuels; mais elles sont mortes à mes yeux, et pour les félicités éternelles que je leur avais préparées; elles me sont plus odieuses par les crimes qu’elles commettent tous les jours, que n’est l’horrible infection que je vous ai fait voir dans ce cœur pourri. Voilà, me dit encore notre Seigneur, dans ce premier cœur, la ressemblance de toutes les âmes mondaines qui se sont livrées entièrement à tous les plaisirs sensuels, et qui ne peuvent vivre autrement. Comment voulez-vous, ajouta-t-il, que je prenne pour

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moi une âme ainsi souillée, si elle ne se convertit parfaitement à moi, et si elle ne fait une sincère pénitence ? Regardez et considérez l’état où sont les autres cœurs. »

Divers degrés de corruption.

    Je commençai à les observer. Il y en avait que la gangrène avait entamés; elle avait pénétré si avant, qu’elle allait jusqu’au centre du cœur. J’en vis d’autres sur qui la gangrène s’imprimait et creusait dans la chair vive. Le dernier que je considérai n’avait de gangrène qu’à fleur de peau, de sorte qu’il était facile de l’enlever et de le guérir. Notre Seigneur m’expliqua ce que signifiait ce que j’avais remarqué dans ces cœurs; à l’égard du second, il me dit : « Celui-là est presque semblable au premier. Son âme éprouve encore un peu de peine à se livrer à tous les plaisirs mondains; mais, hélas ! sa peine s’évanouira bientôt. Le cœur que vous y avez vu, et où la plaie ne faisait encore que creuser dans la chair, représente, me dit Notre Seigneur, les âmes qui commencent à se livrer de bon cœur au monde. Quant au dernier, qui avait la gangrène à fleur de peau, il représente les âmes qui haïssent le monde, et qui font tout ce qu’elles peuvent pour s’en séparer, mais qui, par une malheureuse nécessité, y sont engagées quelque fois comme malgré elles. De même qu’on ne peut mettre le doigt dans le feu sans se brûler, de même aussi ces pauvres âmes ne peuvent converser avec les mondains, sans en recevoir des taches. »

Danger du commerce avec le monde pour les personnes consacrées à Dieu.

    Notre Seigneur ajouta : « Il y a un autre genre de personnes (telles sont, par exemple, des personnes d’église, ou des personnes consacrées à Dieu par des vœux solennels) qui se rencontrent par hasard avec des personnes du monde, soit parents ou amis, qui ne les entretiennent que des choses mondaines, ou de leurs vains plaisirs. Si ces personnes consacrées à Dieu écoutent avec plaisir, et entretiennent la conversation, elles pécheront beaucoup plus que des personnes de famille, qui sont comme contraintes de temps à autre de se voir en famille, et d’entendre des discours quelquefois plus mondains qu’autrement. Ces personnes haïssent le monde et ses maximes.

Conduite des âmes qui haïssent le monde en vivant au milieu du monde.

    Bien loin d’y prendre plaisir, elles bouchent leurs oreilles à la voix des serpents enchanteurs de l’enfer, et au lieu du plaisir, elles ressentent une tristesse amère dans leurs cœurs. Si elles peuvent se retirer adroitement sous quelque prétexte, ou changer cet entretien funeste en un autre indifférent, dans lequel Dieu n’est point offensé, elles s’empressent d’en profiter. »

Facilité d’ôter la tache contractée par le commerce du monde.

    Notre Seigneur me dit que c’étaient ces derniers qui avaient la gangrène à fleur de peau, et qu’il fallait très peu de chose pour en guérir : et voici comment il m’expliqua ce qu’il fallait entendre par ce peu de chose. Les bons chrétiens qui craignent d’offenser Dieu, et qui haïssent le monde, ses maximes et ses consolations, jusque dans leurs parents même, n’ont besoin que d’une bonne confession et d’une revue dans leur intérieur, avec un acte de contrition. Voilà cette gangrène à fleur de peau enlevée, et le cœur purifié.

Nécessité de fuir le monde.

    Mais, dira quelqu’un, ces âmes que vous dites avoir la gangrène à fleur de peau, n’ont point péché; elles se sont comportées comme des saintes; d’autres ajouteront : et même jusqu’au scrupule. Eh bien ! je suppose que cela soit comme vous le dites, et qu’elles n’ont point péché dans la conversation qu’elles ont eue avec les personnes du monde : elles ont néanmoins toujours péché, quoique ce soit avec répugnance, soit en prenant des repas chez ces personnes, soit en retournant dans leurs familles, où elles étaient certaines de trouver des personnes remplies de l’esprit du monde. Notre Seigneur n’a aucun égard à ces civilités mondaines; au contraire, il nous crie toujours : fuyez le monde. Hélas! l’on croit être excusable par cette nécessité d’aller voir des parents ou des amis, sans considérer quel est l’esprit qui les possède. On va chez eux; il faut ensuite les recevoir chez soi : est-ce là observer la parole de Dieu? Au lieu de fuir les compagnies mondaines, on les introduit dans sa propre maison. Tous ceux qui ne trouveront point de péché à cette conduite, je les appelle au jugement de Dieu, et ils verront s’ils seront écoutés.

Danger des repas et des assemblées du monde, surtout pour les personnes d’Église. Plaintes de J. C. à ce sujet.

    Si Notre Seigneur trouve du péché dans les personnes séculières, même dans celles qui haïssent le monde, que sera-ce des personnes d’église qui se trouvent dans des repas, dans des assemblées du monde, et qui ensuite en font chez elles de somptueux, où elles sont obligées de recevoir tous les gens du monde? Si je parle des personnes d’Église, j’en parle en général, sans en connaître aucune en particulier ; je n’en sais que ce que Dieu m’en a fait connaître, et c’est lui qui m’oblige d’en parler.

    Plût à Dieu que tous ceux ou celles qui sont consacrés à Dieu, et qui ont commis des fautes en s’attachant à l’esprit mondain, puissent entendre les plaintes que J. C. répand sur la perte de leurs âmes ! Voici ce qu’il dit : « J’ai nourri et élevé des enfants, que je traitais en favoris; je les ai tirés de

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cette masse du monde qui est la voie de perdition ; je les ai nourris et engraissés à ma table; je veux dire que je leur ai donné grâce sur grâce, et que je les ai enrichis de toutes parts de mes bienfaits et de mes faveurs : je leur ai confié et j’ai mis Israël sous leur garde, afin qu’ils veillent avec soin sur ma vigne; mais les ingrats m’ont tourné le dos; ils se sont rangés du côté de mes ennemis, et combattent avec eux contre moi. Les colonnes que j’avais élevées pour soutenir mon église sont ébranlées et abattues. Est-ce là la fermeté que j’attendais, après tant de grâces que je leur avais données? Israël, mon peuple chéri, tu es pillé et ravagé par ceux-mêmes que je t’avais donné pour appui : ah! malheur à ces ministres d’iniquité, qui, au lieu de sauver les âmes que je leur avais données en garde, les précipitent en enfer par leurs mauvais exemples, leurs scandales et leurs mauvais conseils! »

    Notre Seigneur me fît entendre que ses plaintes s’adressaient à toutes les personnes qui étaient dans des fonctions où il y a charge d’âmes ; qui donnent malheureusement mauvais exemple; qui, par leur conduite, scandalisent les petits et les grands, et qui s’oublient eux-mêmes sur les devoirs de leur état.

§. II.

Craintes et frayeurs de conscience que le démon inspire à la Sœur pour la porter au désespoir. Consolations et instructions qu’elle reçoit de Notre Seigneur.

Satan essaie de porter la Sœur au désespoir. Elle en triomphe.

    Mon Père, voici une autre peine que j’ai éprouvée par la persécution du démon. Lorsque, par la volonté de Dieu, je fus sortie de ce lieu de ténèbres, ce monstre infernal, notre ennemi commun, était transporté de rage contre moi, en voyant ce que le Seigneur m’avait montré, et sachant ce qu’il demandait de moi: Le voilà donc, ce fort armé,
qui s’élance contre moi; accablée sous le poids des souffrances et des douleurs les plus aiguës, et presque tous les jours réduite aux abois, j’essuyais alors les combats d’une nature ennuyée, fatiguée de souffrir, et poussée à bout; elle se rangeait du parti de mon ennemi pour me combattre. Ce monstre infernal me remplissait l’esprit de ses vapeurs malignes et empestées, en me noircissant l’imagination d’épaisses ténèbres, et en me faisant souvenir de cent choses dont je n’aurais pas dû m’occuper par devoir de charité. Dans le fort des transports de ma fièvre, il me jouait à la ballotte en me tournant et me retournant comme il voulait; mais quand le bon sens me revenait, je m’examinais pour demander pardon à Dieu. Alors il redoublait tous ses efforts pour me jeter dans le précipice, me faisant entendre que j’étais sur le point de mourir, et qu’il n’y avait point d’apparence de pouvoir aller à confesse. Je sentais ma confiance en Dieu s’affaiblir, et un mouvement qui me portait au désespoir en me voyant précipitée dans le bourbier effroyable de mes péchés. Alors, au milieu de mes ténèbres, j’eus recours au Dieu bon et à la Sainte-Vierge; je la priai de tout mon cœur qu’elle ne souffrît pas que je mourusse sans confession.

    C’est ici que je ne puis trop admirer la bonté et la miséricorde de mon Dieu. En moins de vingt-quatre heures arrive un digne ministre du Seigneur, qui m’administre et me donne le saint Viatique. Par les mérites et la grâce du sacrement, par les lumières et les avis du confesseur, Dieu, par sa sainte visite, enleva tous mes doutes et toutes mes peines, dissipa mes ténèbres, et me rendit cette douce paix et cette tendre confiance d’un enfant envers son bon père. Il me redonna surtout cette belle lumière qui éclaira tout mon intérieur, et qui en chassa les ténèbres.

Nouvel assaut du démon. Il jette le trouble dans sa conscience.

    Cependant Satan, ce fort armé, étudiait et examinait par quels moyens il pourrait encore me troubler. Pour moi, dans l’ignorance où j’étais que ce cruel ennemi veillait pour ma ruine, je passai trois ou quatre jours en actions de grâce des bienfaits que j’avais reçus de mon Dieu. Un matin, tout-à-coup, commença le combat par un mouvement dans la partie inférieure qui se porta avec trouble à un examen sur moi-même. Ma conscience inquiète me disait : Tu te rends insupportable par tes plaintes, tu mal-édifies celles qui te servent, tu leur deviens à charge et ennuyeuse, tu leur donnes occasion de se fâcher : tu porteras tout cela devant Dieu. En même-temps il me lance une vapeur noire, je veux dire pleine de ténèbres qui offusquaient mon entendement. Alors je reconnus que c’était ce monstre infernal qui voulait encore m’attirer dans ses pièges. Dieu me fit la grâce de recourir promptement à lui, et de crier de toutes mes forces pour implorer son secours : Seigneur, disais-je, venez à mon aide, accourez promptement; ne tardez pas, parce que je vais périr! Pendant quelques minutes il plut à Dieu de me laisser crier et me battre contre mon ennemi.

Notre Seigneur lui apparaît. Il la console et l’instruit.

    Mais enfin, après plusieurs élans vers Dieu, et plusieurs cris redoublés, voici que tout-à-coup cet aimable Sauveur (non par une grâce ordinaire, c’est-à-dire par un mouvement divin, ou par la vertu de la foi, non jamais par une grâce extraordinaire de ce Dieu de bonté)

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m’apparut visiblement comme un conquérant triomphant, et un fort armé qui en chasse un autre qui est au-dessous de lui.

    Voici les paroles que Notre Seigneur adressa à mon âme alarmée : « Que crains-tu, ma fille? pourquoi l’affliges-tu? je ne t’impute pas la moindre faute dans tout ce qu’on te reproche; je l’ai tout pardonné; je ne suis point fâché contre toi. » O Dieu! qui pourrait concevoir l’abondance de consolation et de lumière intérieure dont ces paroles sacrées me remplirent ! Je ne pouvais trouver d’expressions suffisantes pour m’humilier devant Dieu, lui demander pardon et lui rendre grâce. Mon adorable Sauveur, par sa pure bonté, et par sa grande humilité, resta quelque temps avec moi pour m’instruire de toutes les ruses du démon, et des stratagèmes qu’il insinuait dans l’esprit des personnes qui avaient la bonté et la charité de me servir.

Les pratiques de charité mutuelles déplaisent beaucoup au démon. Il fait effort pour les empêcher.

    Notre Seigneur m’avertit de me donner de garde de la plupart des personnes qui m’approchaient, tant de celles du dedans que de celles du dehors, parce que le démon était sans cesse aux aguets pour leur faire mettre dans leurs discours quelque chose propre à porter le trouble dans mon inférieur; aussi Notre Seigneur me dit de prévenir de sa part mes mères, que le démon leur en voulait; premièrement, à cause de la paix et de l’union dans la charité de J. C., que nous avions toutes les trois ensemble, et qu’il avait résolu de rompre cette paix et de jeter parmi nous la discorde et la division, si contraires à la charité, et qui déplaisent tant à Dieu; que ce qui déplaisait beaucoup au démon, c’étaient, secondement, les avertissements charitables et fraternels que nous nous donnions mutuellement; et troisièmement, enfin, les dispositions et les préparations que nous faisions, pour rentrer en grâce avec Dieu.

Règle à suivre dans les conversations prescrites à la Sœur par Notre Seigneur.

    Voici ce que Notre Seigneur me recommanda en mon particulier pour me mettre en garde contre les embûches du démon.  « Dans les conversations, me dit-il, et dans tous vos discours, ne parlez précisément que de ce qui est nécessaire et de ce qui peut servir à ma gloire, à la charité et à l’instruction du prochain. Vous parlez trop dans les choses indifférentes, particulièrement où vous croyez qu’il n’y a point de mal. Taisez-vous. Lorsqu’on parlera beaucoup en votre présence, fermez les oreilles de votre intérieur, humiliez-vous devant moi, et ne cherchez point à examiner si les discours sont bons ou mauvais, ou s’ils m’offensent ou non ; mais laissez tomber tout cela comme un tourbillon de vent qui passe »

Il n’y a point de péché à se plaindre quand on souffre. Notre Seigneur tient compte de tout quand le cœur est tout à lui.

    Notre Seigneur me fit connaître, à l’égard des plaintes de la nature, que le démon m’imputait à pécher, qu’il n’y avait point de mal, parce qu’il est naturel de se plaindre.

    « Si je voulais, me dit-il, je pourrais vous favoriser d’une grâce que j’ai donnée à mes saints, et en particulier à mes martyrs, qui, au milieu de leurs vives douleurs, triomphaient de la nature et de toutes ses plaintes. Ils ne l’auraient pas pu faire sans une grâce particulière. Pour vous, si je vous avais donné cette grâce, et que vous eussiez souffert vos douleurs dans le silence et sans aucune plainte de la nature, le démon vous aurait tenté de vaine gloire et d’ostentation. C’est pourquoi, mon enfant, je sais ce qui est bon à chacun, même dans la distribution de mes grâces. Tout profite à celui qui m’aime. Quand un cœur s’est entièrement consacré à mon amour, j’ai égard à toutes les souffrances du corps et de l’esprit, à tous les soupirs et à toutes les plaintes entrecoupées que cause la défaillance de la vie du moribond : tout cela est compté et plaît à mon amour. »

    Notre Seigneur me dit : « Imite mes âmes fidèles, qui ne peuvent arrêter les plaintes d’une nature toujours sensible : elles m’offrent le nombre de ces plaintes à la place du nombre des actes de mon pur amour que leur cœur désire sans cesse me faire. Il est bon aussi d’y joindre des actes d’une véritable contrition, qui parlent de mon amour. C’est une méthode fort méritoire pour vaincre l’ennemi. Voici les armes que je vous donne pour le combattre : Veillez et priez. Le moyen pour triompher de ce lion, c’est de s’attacher inviolablement à moi et à mon amour; de tendre de tout son cœur et de toute son âme à m’aimer plus parfaitement, et de joindre au divin commandement de mon amour la charité parfaite pour le prochain. »

    Voici ce que Notre Seigneur me dit: « Ne craignez point, ma fille, je vous assisterai de ma grâce; mais je veux que vous travailliez avec elle et par elle de tout votre pouvoir. »

§. III.

Questions sur la Confession. Ministère divin, des Prêtres au tribunal de la pénitence. Bonté et amour de Dieu pour les pécheurs vraiment pénitents.

    Mon Père, je vous rends compte de ce que j’ai éprouvé dans mon intérieur,

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à l’occasion de plusieurs questions sur la confession.

Au défaut d’un prêtre à l’article de la mort, on n’est pas obligé, et même il ne convient pas de confesser ses péchés à un séculier.

    Je me trouvai un jour dans une compagnie où l’on disputait sur la confession. On me dit : Ma Sœur, si vous étiez à l’article de la mort, et que vous ne pussiez aller à confesse à un prêtre approuvé, il faudrait vous confesser à un séculier, et accuser vos péchés avec humilité. Dieu l’aurait pour agréable, quoique le séculier n’eût pas le pouvoir de vous donner l’absolution. Je rejetai cette proposition, en disant que cela n’était point du tout à faire: que, dans ce cas, je me confesserais à Dieu, et que je lui demanderais pardon de tout mon cœur.

    Quand je me trouvai seule, je rentrai dans mon intérieur entre Dieu et moi, et je considérai les discours qu’on m’avait tenus. Voici ce que Dieu me fît connaître: Cette action n’est pas du tout bonne à faire, parce que ses suites tendraient à l’erreur et à tromper les âmes. Dieu ne veut point d’humilité de cette façon. Notre Seigneur me dit que depuis le commencement de son Église jusqu’à présent, le démon cherchait à détruire la confession que les fidèles font à ses ministres; que, pour cela, il employait toutes sortes d’artifices et de faux prétextes pour les faire tomber dans l’hérésie.

Un moribond peut, et même doit découvrir à un ami tout ce qui est nécessaire pour mettre ordre à ses affaires de famille, réparer ses injustices, etc.

    Voici cependant une circonstance que je vis en Dieu et que Dieu approuve : par exemple, de deux amis qui sont unis par les liens de la charité dans la foi catholique, l’un se trouve surpris à l’article de la mort, sans pouvoir avoir aucun secours de bons prêtres; ce pauvre moribond sent sa conscience alarmée et inquiète sur plusieurs affaires de famille : c’est alors qu’il peut, selon ce que je vis dans la volonté de Dieu, découvrir les affaires de sa conscience à son intime ami. Dieu me désigna celles qu’il pouvait lui confier : les procès, les charges de mineurs, les restitutions, enfin, généralement toute affaire où la conscience est engagée, et qu’il est de nécessité de découvrir à autrui; mais ce que Dieu défend à ce moribond, c’est d’avoir aucune intention de se confesser ou de s’accuser de ses faute comme ferait un pénitent aux pieds d’un prêtre. S’il a volé, il ne doit pas énoncer ainsi ce péché, mais seulement dire : Je dois tant à telle personne; je vous prie de la satisfaire de mon bien; et, par exemple, s’ils ont fait le vol ensemble, il peut et doit le lui dire, en l’exhortant à restituer avec lui. Si ce même moribond a calomnié quelques personnes, et contribué par là à la perte de leur réputation, il doit pareillement découvrir sa faute à son ami, en lui protestant que ce qu’il a dit de ces personnes est faux, et le charger de les justifier de sa part dans toutes les occasions qu’il pourra trouver.

    Mais tous les péchés cachés que ce moribond a commis en secret, il n’en doit point parler à son ami, ni à aucun séculier, quelque saint qu’il soit. Il doit s’exciter à une grande contrition, se confesser et s’accuser, dans le secret de son cœur, à Dieu, et lui demander pardon, dans l’amertume de son âme, de tous les péchés de sa vie, particulièrement de ceux dont il se sent coupable depuis sa dernière confession avec un vrai désir de s’en confesser à un prêtre approuvé, si l’occasion s’en présente ; et avec une ferme résolution, si Dieu lui rend la santé, de changer de vie, plus pour l’amour de Dieu que par la crainte de l’enfer. Je vois en Dieu qu’à l’égard de toutes les personnes qui meurent dans ces saintes dispositions, dans une vraie foi, amour et confiance dans les miséricordes de Dieu, ce Dieu de bonté les reçoit à miséricorde, et leur tient compte de leurs bons désirs, comme s’ils étaient effectués.

Mal que commettrait un homme qui, sans une grande nécessité, découvrirait ses péchés secrets à un autre homme.

    Dieu m’a fait connaître le mal que mal que commettrait un homme qui découvrirait ses péchés secrets à un autre homme, sans une grande nécessité, comme je l’ai expliqué ci-dessus. Je suppose que ce moribond ait commis un adultère, qui n’est connu que de Dieu; s’il le découvre à son ami, il le scandalise, et se perd de réputation. Voici ce que me dit Dieu : Il y a autant de mal, et encore plus, de perdre sa réputation avec scandale, que de perdre celle du prochain. Dieu me fit connaître qu’il rejetait cette humilité; mais voici quelque chose au sujet du scandale:

La Sœur ferme la bouche à un impie qui parlait contre la confession.

    Je me trouvai dans une compagnie où il y avait quelqu’un sans religion, qui tenait le langage des impies. II ne cessait de calomnier les bons prêtres, sans que personne osât l’interrompre; il prétendait, dans ses méchants discours, que se confesser à ces sortes de prêtres, c’était se perdre de réputation; que ces hommes étaient sujets à toutes sortes de défauts comme les autres : il déclarait nettement ses sentiments, et montrait l’éloignement qu’il avait de se confesser à eux. Ensuite il tourna son discours sur les anges, et dit qu’il se confesserait bien à un ange, parce qu’ils étaient d’une nature spirituelle; il semblait, par son ton, vouloir reprocher à Dieu de ne nous avoir point donné d’anges pour nous confesser.

     Moi qui souffrais dans mon intérieur d’entendre de tels discours, je l’interrompis d’un ton hardi; et animée de ce zèle dont je ne puis me corriger, quand il s’agit particulièrement de la gloire

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de Dieu et du salut des âmes, je lui dis: À qui des anges, même des séraphins, Dieu a-t-il dit : Ceux à qui vous remettrez les péchés seront remis, et ceux à qui vous les retiendrez seront retenus? Dieu me fit la grâce qu’une si puissante vérité lui ferma la bouche; et sans oser répliquer un seul mot, il changea de discours.

Dignité, grandeur et pouvoir divin du prêtre au tribunal de la pénitence.

    Mon père, au sujet de la confession, voici ce qui m’est arrivé par une lumière surnaturelle, ou plutôt par le flambeau de la foi, par lequel Dieu éclaira mon esprit et mon entendement à l’égard de ses ministres. Au moment de là confession, je les vis comme transformés en Dieu, je veux dire par la puissante autorité toute divine dont Dieu les avait revêtus dans leur ministère de juridiction. Ils représentaient positivement la personne de notre Seigneur J. C. dans leur tribunal de souverain juge, tenant dans leurs mains la balance de la justice et de la miséricorde de Dieu, pour examiner et peser tous les péchés qu’ils entendent; ce qui s’appelle le poids du sanctuaire. Que font ces dignes ministres? Ils renvoient ou absolvent les pénitents, selon les bonnes ou les mauvaises dispositions qu’ils reconnaissent ou qu’ils découvrent en eux. Mais, ô mon Dieu ! quel miracle je vis alors! Dieu me montra les ministres au moment de l’absolution; ils sortent comme hors d’eux-mêmes pour agir en Dieu, par toute son autorité et sa puissance infinie; ils remettent les péchés en Dieu; et comme Dieu, je m’écriai alors dans mon intérieur : O conseils et discours des scélérats et des impies! ouvrez les yeux à la foi et à la religion catholique, et vous verrez tant de miracles et de merveilles dans tous nos sacrements et nos adorables mystères ! Notre Seigneur me fit connaître que cette race impie est plus incrédule que ne l’étaient les Pharisiens; ils prennent la lumière pour les ténèbres, et les ténèbres pour la lumière.

Changement subit que la bonté de Dieu opère dans les âmes au moment de l’absolution du prêtre au tribunal de la pénitence.

    Mon Père, voici quelque chose qui regarde la confession, et la miséricorde envers les bons pénitents au tribunal de la pénitence. L’esprit du Seigneur me conduisit sur une haute montagne; là, je vis un bûcher plein de bois qui était très-sec, pour être pris de feu. Il était préparé à la façon qu’on le préparait dans l’ancien Testament pour consumer les victimes. Ensuite je connus en Dieu le père les vengeances de sa justice et de sa colère, qui se mirent à éclater comme des coups de foudre, de feu et de tonnerre, qui se répandaient ça et là autour du bûcher. Nous étions alors un petit nombre de personnes à genoux, peu éloignées du bûcher; nous avions les bras en croix, élevant les mains au ciel, et criant: Miséricorde, Seigneur ! miséricorde, mon Dieu! Mon Dieu, nous vous demandons pardon pour nous et pour tout votre peuple; ayez pitié de nous! Nous n’attendions que la mort, dont l’instant était marqué par celui où le feu de la colère de Dieu tomberait sur le bûcher pour le consumer en un moment, et nous croyions que nous serions tous consumés à l’instant même.

    Mais, ô Dieu ! quel changement! nous vîmes aussitôt paraître un petit agneau, âgé comme d’un an, qui était tout blanc, sans tache. Il parut sur le haut du bûcher, exposé comme une victime sur la croix. Aussitôt les foudres et les tempêtes cessèrent; nous vîmes la colère du juge changée en l’amour d’un cœur de père, qui, du haut du ciel, comme une douce influence, et comme un feu sacré et bénin, se répandit sur le bûcher autour de l’agneau. Aussitôt, à la vue d’un changement si grand et si peu attendu, nous ressentîmes dans nos cœurs une douce paix, une vive allégresse, et une grande consolation.

    Alors je m’adressai à Dieu, en lui disant: Mon Dieu ! que signifient toutes ces choses? Nous croyions être perdus, et tout-à-coup votre bonté et votre miséricorde l’ont emporté sur votre justice. Dieu me répondit: « Les crimes des pécheurs ont monté jusqu’à mon trône, et j’eusse tout abîmé par ma justice, sans les mérites du doux agneau qui a paru sur ce bûcher, et qui a uni à ses mérites et à son sacrifice le sacrifice de plusieurs cœurs contrits, humiliés et véritablement pénitents, qui, à l’exemple du roi David, se trouvent au tribunal de la pénitence; comme des victimes prêtes à souffrir et à être immolées pour mon amour. Mon fils est venu aussitôt à leur secours par le ministère des prêtres qui les ont absous. Ce changement subit que vous avez vu, s’opère au tribunal de la pénitence dans les cœurs qui, véritablement repentants, veulent se convertir. Vous avez vu, ajouta le Seigneur, mes foudres s’élancer çà et là autour des bûchers; voilà la manière dont je fais la guerre aux pécheurs. Je les épouvante, je les fais craindre, trembler et frémir; je fais retentir au fond de leurs cœurs mes foudres et mes tonnerres, et je leur dis que s’ils ne font promptement pénitence, ils périront tous. Je ne lance pas tout-à-coup ma foudre sur eux; ils voient voler autour deux les flèches » de ma colère, et j’attends, pour voir s’ils se retourneront vers moi en criant miséricorde…. »

Quel genre de confession doit faire à l’article de la mort un pécheur scandaleux qui ne peut se procurer un prêtre approuvé.

    Mon Père, voici une autre espèce de confession que Dieu m’a fait connaître pour des pécheurs qui se sont adonnés

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pendant leur vie à toutes sortes de crimes dont le public a été scandalisé. Si un pécheur de cette sorte se trouve, à l’article de la mort, sans aucun secours d’un prêtre approuvé, et qu’il soit touché par une grâce extraordinaire de la pure miséricorde de Dieu, il doit s’exciter à une amère contrition, et à une vive douleur de tous les crimes qui lui déchirent le cœur; et dans l’impossibilité de pouvoir se confesser à un prêtre, il doit, ainsi que Dieu me l’a fait connaître, faire ainsi sa confession publique : Il réunira autour de lui quantité de personnes de tout sexe, de tout âge, et devant eux il se prosternera de corps contre terre; s’il ne le peut pas, au moins de cœur et d’esprit. Dans cette posture, ayant intention de se confesser au Père Tout-Puissant, et non pas aux créatures qui l’environnent, et animé de l’esprit de la foi, s’appuyant sur les mérites de J. C., et dans l’esprit de l’Église, il doit dire à haute voix : Je me confesse à Dieu, le Père Tout-Puissant; je m’accuse à lui de tous les crimes de ma vie, en la présence du ciel et de la terre, et de toutes les personnes qui m’entendent. Je les supplie de prier Dieu pour moi. Il doit ensuite expliquer, autant qu’il pourra, tous les crimes publics de sa vie, même les plus grands, aux yeux des assistants, en faisant une réparation publique de tous les scandales qu’il a donnés, et en restituant tous les torts qu’il a faits au prochain. Voici ce que Dieu m’a fait connaître: Ce pécheur ne doit pas, pendant sa confession, perdre de vue l’intention, ni l’attention que c’est à Dieu seul qu’il se confesse et qu’il s’accuse, en la présence de toutes les créatures.

    Si ce pauvre moribond, ayant satisfait à tout ce qui lui a été possible, passe le peu de jours, et peut-être quelques heures qui lui restent à vivre, en demandant continuellement pardon à Dieu, dans les larmes d’une amère contrition, j’ai connu en Dieu que malgré sa méchante vie, il doit espérer dans la miséricorde du Seigneur, et que Dieu lui pardonnera par les mérites de J. C. Oui, Dieu aura égard à sa confession publique ; il la recevra, quand ce serait le plus grand schismatique, pourvu que dans sa confession générale il ait fait toutes les rétractations et les réparations, que demande l’Église.

§. IV.

Grand nombre de mondains qui se précipitent tous les jours dans l’enfer. Nouvelles grâces de conversion que Dieu accorde aux pécheurs, en les faisant surtout avertir que son jugement approche. Mort impénitente des mondains.

    Il peut se faire que dans le monde il y ait des personnes qui ne soient ni tout-à-fait mondaines, ni tout-à-fait bonnes chrétiennes : par exemple, quelqu’un qui aime passionnément les plaisirs du monde, écoutera un sermon, quelquefois une bonne lecture ; ce sera aussi un bon confesseur qui lui montrera la voie du salut. Cette personne voit qu’elle se damne si elle continue à suivre le monde dans ses débordements. Quitter entièrement le monde sans y retourner et lui dire le dernier adieu, cela lui est impossible. Ah! que dira-t-on, se dit-elle à elle-même, que dira-t-on, si je ne retourne plus au bal, et si on ne me voit plus à la comédie? Le qu’en dira-t-on et le respect humain l’arrêtent; elle trouve un certain milieu dont elle s’accommode; elle n’ira que de temps à autre dans le monde, et pourvu qu’elle n’y aille que trois ou quatre fois l’an, elle fera taire le monde, mais elle portera toujours dans son cœur l’attache et l’amour pour le monde. Elle ira à confesse; le confesseur voyant que cette personne a beaucoup diminué le nombre de ses visites dans le monde croit que c’est tout de bon qu’elle s’en éloigne, et que son cœur veut s’en détacher. Il lui donne l’absolution et la fait communier. On la regarde comme une âme bien chrétienne qui fait son salut ou qui veut le faire. Mais, hélas! hélas! je laisse au jugement de Dieu à décider ce qu’il en sera.

Vision d’animaux qui représentent ceux qui n’ont d’affection que pour les biens de la terre.

    Le Seigneur me conduisit dans une grande prairie où il y avait de beaux pâturages et une grande quantité de chevaux, de mules et de mulets, qui broutaient et pâturaient l’herbe comme en la dévorant. J’étais inquiète de ce que cela voulait dire. Dieu me fit connaître que sous la figure de ces animaux étaient représentés les avaricieux de la terre, qui, dans leurs passions, semblables à ces bêtes brutes qui dévorent l’herbe, ne s’attachent qu’à la terre, et à amasser de l’or et de l’argent avec la même vivacité que je voyais dans ces bêtes qui broutaient l’herbe.

Voie large de perdition; grand nombre de ceux qui y marchent.

    Après cette vision, Dieu me conduisit par de petites routes peu battues, sur le bord d’un grand chemin dans lequel il me fut défendu d’entrer. On m’arrêta sur le bord pour me faire voir et considérer les passants. C’était un très beau chemin, plus grand que les chemins ordinaires, et beaucoup mieux construit; il était droit, il n’y avait ni creux, ni hauteur, ni cailloux, ni rien qui pût faire heurter le pied. Il n’y avait que du plaisir pour la nature à marcher par ce chemin. Moi, qu’on faisait marcher par de petits sentiers souvent remplis de ronces et d’épines, je demandai à aller par cette route. Celui qui me servait de guide me répondit : savez-vous

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bien où elle conduit? Elle conduit à l’enfer ; elle s’appelle la voie grande et large; et le chemin qui conduit au Paradis est la voie étroite et parsemée de ronces et d’épines.

    Au même instant je vis une grande bande de passants, et une grande confusion de personnes de l’un et l’autre sexe, des chariots, des carrosses, et des voitures de toutes les espèces qui peuvent servir à l’homme pour voyager. Il y en avait à cheval; la plus grande partie étaient à pied ; il y en avait tant, que le chemin en était rempli ; je ne voyais que monde. ll y en avait de tous les états, de toutes les professions, et de presque tous les âges. Il y avait des prêtres, des religieux, des religieuses, et jusqu’à des enfants comme de l’âge de neuf à dix ans. On y remarquait des pauvres, mais en petite quantité, à-peu-près semblable à la petite quantité des prêtres. La plus grande partie de cette malheureuse foule était de gens riches, de mondains et de mondaines, enfin de tous ceux qui étaient attachés de cœur et d’esprit aux maximes du monde.

    Voici leur manière d’aller: les carrosses et tous les équipages allaient avec une si grande vitesse, qu’ils faisaient un bruit effroyable. Ceux qui étaient à cheval galopaient à perdre haleine; ceux qui allaient à pied marchaient de toutes leurs forces. Tout cet appareil brillait comme dans le monde. Je vis paraître une pompe magnifique, carrosses devant et derrière, et à côté de ces voitures quantité de gens, du monde dans la magnificence de leurs ajustements, et s’avançant avec la même pompe avec laquelle ils vont aux bals et aux assemblées. Cela faisait un coup d’œil charmant, et leur multitude couvrait presque tout le chemin. On ne voyait que choses brillantes de toutes parts; mais ce n’était que ceux qui n’étaient ni mondains ni mondaines qui les voyaient.

    Je demandai quels étaient ces gens-là, et où ils couraient si fort ? Notre Seigneur me dit que ces gens-là couraient en enfer; qu’il semblait, à voir agir ces mondains pendant leur vie, et à les voir courir après les plaisirs du monde qui conduisent en enfer, qu’ils se hâtent de courir à leur malheur, comme s’ils avaient peur de ne pas y arriver assez tôt, ou comme s’ils craignaient que l’enfer ne leur échappât.

    « Je vous ai fait voir, ajouta le Seigneur, les tourments qui les attendent dans ce feu horrible : avez-vous remarqué dans cette grande voie comme tous les pécheurs vont du même côté? Vous n’en avez pas vu un qui revienne de l’enfer; mais tous y vont sans revenir. »

Nouvelles grâces que Notre Seigneur accorde au monde pour préserver les âmes de tomber en enfer.

    Voici ce que le Seigneur me dit : « J’accorde au monde, aux mondains, et à tous mes peuples, de nouvelles grâces pour les délivrer de la fureur de mes châtiments, c’est pour cela que je vous ai donné plusieurs visions, que je vous ai révélé plusieurs choses, et que je vous ai choisie pour publier tout ceci afin de le faire connaître à mon Église ; c’est pour ces raisons que je vous ai obligée de le faire écrire. »

La Sœur choisie de Dieu, dès son enfance, pour avertir les pécheurs de l’approche du jugement général.

    « Je vous ai choisie dès votre enfance, et cela par égard pour les pécheurs, afin d’en arrêter la multitude qui tombe tous les jours en enfer. Il y en a qui s’étonneront de tout ce que je leur annonce, et des avertissements que je leur fais donner. Qu’ils ne s’en étonnent point; voici encore un nouvel avertissement : le jugement général est proche, et mon grand jour arrive. Je fais donner ces avertissements aux pécheurs afin qu’ils se convertissent, et c’est pour cette raison que je fais paraître ceci. Je vous redis donc encore : Oui, le jugement approche; hélas! hélas ! hélas! que de malheurs à son approche ! que d’enfants périront avant que de naître! que de jeunes gens de l’un et l’autre sexe seront écrasés par la mort au milieu de leur course ! Les enfants à la mamelle périront avec leur mère. Malheur alors aux mondains, malheur aux personnes de mauvaise vie, enfin malheur à tous les pécheurs qui vivront encore dans le péché sans en avoir fait pénitence! »

    Quand Notre Seigneur dit que le jugement est proche, c’est que tout est proche devant Dieu ; et quand il dit que son grand jour arrive, ce n’est pas qu’il arrive si brièvement; mais voici ce que j’ai connu en Dieu sur le jugement dernier.

    Je me trouvai en la présence de Dieu. J’entendis une voix tonnante qui disait : Malheur, malheur, malheur au dernier siècle ! Je compris, par cette voix puissante, que ces malheurs étaient ceux qui arriveraient aux approches du jugement, et au jugement même. Je ne dis mot; et comme le Seigneur m’a fait connaître que nul homme sur la terre ne saura positivement quel jour ni quelle année le fils de l’homme descendra sur la terre pour juger tous les hommes, je n’en demandai pas davantage.

La Sœur juge, dans la lumière de Dieu, dans quel temps à-peu-près arrivera le jugement général.

    Mais voici ce que Dieu voulut bien me faire voir dans sa lumière. Je commençai à regarder dans la lumière de Dieu le siècle qui doit commencer en 1800; je vis par cette lumière que le jugement n’y était pas, et que ce ne serait pas le dernier siècle. Je considérai, à la faveur de cette même lumière, le siècle de 1900, jusque vers la fin,

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pour voir positivement si ce serait le dernier. Notre Seigneur me fit connaître, et en même temps me mit en doute si ce serait à la fin du siècle de 1900, ou dans celui de 2000. Mais ce que j’ai vu, c’est que si le jugement arrive dans le siècle de 1900, il ne viendra que vers la fin; et que s’il passe ce siècle, celui de 2000 ne passera pas sans qu’il arrive, ainsi que je l’ai vu dans la lumière de Dieu.

Les pécheurs qui seront peu touchés de l’annonce du jugement, parce qu’il est encore éloigné, sont rappelés, par la Sœur, au moment de leur mort qui est plus proche.

    Les pécheurs se consoleront, en voyant que le jugement paraît encore un peu éloigné, et en disant : nous ne verrons pas ces temps-là; nous serons délivrés des malheurs qui doivent les précéder. Pauvres malheureux pécheurs qui ne pensez presque jamais aux malheurs de l’éternité, et qui avez si grand peur de ceux du temps, hélas ! si vous mourez avant que de quitter les plaisirs mondains, et avant que de faire une bonne confession, quelle espérance pouvez-vous avoir à la mort? Ce n’est pas le monde ni le péché que vous quittez, c’est le monde et le péché qui vous quittent. En ce moment, vous sentez, il est vrai, s’amortir et disparaître cet amour et le plaisir que vous avez dans le cœur. Mais est-ce par une amère contrition? est-ce par amour de Dieu? Non. Ce chagrin vient de la terreur de la mort que les pécheurs voient approcher malgré eux. Pour lors ils désespèrent de pouvoir désormais satisfaire leurs plaisirs, et c’est le souvenir de ces plaisirs passés qui les fait entrer en désespoir. Tout ce qu’ils voient sur la terre n’est propre qu’à leur mettre la rage dans le cœur, parce que tout leur devient contraire.

Portrait d’un mondain au lit de la mort.

    Sera-ce un mondain, intime ami du malade, et son complice, ou même plusieurs amis de ce genre, qui viendront entourer le lit de ce pauvre moribond pour le consoler? Mais voici le langage qu’ils tiennent au sujet de leur pauvre ami : Il ne faut pas, disent-ils, lui parler de la mort, ni l’avertir qu’il se meurt, parce que cela le chagrinerait trop. Voilà ce qui arrive, et ce maudit langage se tient entre les proches parents même. Hélas! ils n’ont pas besoin de l’avertir qu’il se meurt, il ne le ressent que trop bien. Il faut donc réjouir ce pauvre moribond, il faut le récréer. Ils vont donc lui parler les uns et les autres de ce qu’ils savent lui avoir fait plaisir pendant sa vie, de bals, de fêtes, enfin de tout ce que leur suggère l’imagination, ou plutôt le malin esprit. Pour ce moribond, tous les plaisirs qu’ils lui racontent sont autant de glaives qu’ils lui lancent dans le cœur; la douleur qu’il en éprouve ne vient point d’une contrition amère des péchés qu’il a commis, mais du regret des plaisirs du monde qu’il quitte. Lorsque ses forces l’abandonnent, et que la faiblesse l’accable, il commence à sentir fréquemment les défaillances de la mort; sa tête se brouille, et il dit quelques mots qu’il a peine à articuler. Alors tous ses amis et ses compatriotes l’abandonnent et ne reviennent plus.

    Les parents font venir un prêtre pour le confesser : mais le ministre du Seigneur en tire quelques paroles qu’il a bien de là peine à comprendre; enfin il fait un acte de contrition, que le prêtre lui fait prononcer comme il peut; ensuite, comme il a peur qu’il ne passe, il lui donne l’absolution et la communion, derniers sacrements qui sont le soulagement et la consolation des âmes pénitentes, mais qui ne deviennent pour lui, et les pécheurs qui lui ressemblent, que trouble et désespoir.

Désespoir du pécheur mourant.

    Ce désespoir commence à la vue du prêtre qui vient lui annoncer la parole de Dieu. Ce ministre cherche à lui insinuer dans l’esprit et dans le cœur la foi, l’amour de Dieu, l’espérance dans ses miséricordes, et une amère contrition. Mais, hélas! il n’est rien de tout cela; c’est tout le contraire. Le moribond commence dès ce moment son enfer par une rage de désespoir qui se ranime encore par la frayeur qui révolte ses sens au seul mot d’amour de Dieu, car il voit en lui-même sa conscience chargée de tous les crimes, qui le condamne à un malheur éternel; il lui semble sentir et entrevoir les démons autour de son lit, qui l’accusent, et qui lui font connaître des péchés auxquels il n’avait jamais pensé. Il lui semble qu’ils attendent son âme criminelle, qui est bien à eux, pour l’emporter dans l’enfer.

56b

    Pour l’ordinaire, ces terribles approches des démons n’ont lieu que lorsque l’âme va bientôt sortir du corps; le diable alors lui lance son plus grand venin pour l’empêcher de retourner vers Dieu. Ce pauvre moribond, au milieu de ses peines, n’a presque plus qu’un soupir : il fait un effort pour s’élever vers son Dieu; mais, que dis-je? hélas! il n’est plus son Dieu; c’est un Dieu vengeur qui arme contre lui les foudres et les carreaux de sa justice, et qui est prêt à le condamner!

    Pauvre âme ! à qui auras-tu recours, puisque l’auteur de tout secours et de toute assistance t’abandonne? Ce moribond voit qu’il n’y a plus de remède à sa perte, et, comme s’il n’était pas assez damné, il se damne encore davantage: il entre en haine et en animosité contre Dieu même, et, semblable aux démons, il blasphème contre lui, et, s’il ne peut le faire de bouche, il le fait de cœur. De désespoir il se donne de nouveau au

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démon, et consent qu’il emporte son âme quand elle sortira de son cadavre; il se livre à lui pour être à jamais avec lui dans l’enfer.

    L’heure de cette pauvre âme est venue; il n’y a plus de temps pour elle, plus d’espérance, plus de miséricorde. Elle sort de son corps dans l’impénitence finale, et elle est portée par les démons devant le souverain Juge, qui lui dit d’un ton foudroyant : Retirez-vous de moi ; allez au feu éternel, qui a été préparé pour les démons et pour ceux qui les ont servis.

La Sœur exhorte vivement les pécheurs à profiter de cet exemple et à ne pas attendre à la mort pour se convertir.

    Considérez à présent, âmes mondaines, et vous, pécheurs attachés à vos passions criminelles, et qui vivez dans l’impénitence, considérez toutes ces choses et les méditez. Vous vous consolez sur un bon peccavi à l’heure de la mort; la mort est arrivée, et le bon peccavi, où est-il ? Ne pouvez-vous pas mourir en réprouvés, comme ce pauvre moribond dont je viens de vous raconter la triste fin? Ah! prenez garde à vous! si vous vivez en réprouvés, vous courez le risque de mourir en réprouvés, et de recevoir, au jugement de Dieu, la même sentence qui a frappé les réprouvés.

57b

    Où est présentement la consolation que vous avez, de n’être point les témoins des signes terribles qui doivent précéder le jugement général ? hélas ! en êtes-vous plus assurés de votre salut? êtes-vous plus à couvert des malheurs effroyables qui précéderont ce jugement général ? Considérez les frayeurs et les maux de ce pauvre moribond: outre les peines de son intérieur, dont j’ai parlé, et qui lui sont causées par la vue des démons, il voit à l’extérieur tous ses amis et ses parents les plus proches, qui l’abandonnent; tout ce grand univers, tous ses plaisirs, la clarté même du jour, s’évanouissent, et ses yeux obscurcis ne lui découvrent plus que d’épaisses ténèbres : il ne peut plus parler avec personne; ses oreilles même ne peuvent plus entendre. Hélas ! dites le-moi, tous ces accidents, tous ces malheurs, réunis ensemble dans une seule personne, ne valent-ils pas bien, ou même ne sont-ils pas plus terribles que ceux qui précéderont le jugement? Ce mourant ne peut-il pas dire avec vérité : Me voilà à la fin du monde! me voilà à la mort ! me voilà au jugement! S’il n’est pas général, il n’en sera pas plus favorable pour celui qui meurt en réprouvé.

    Que vous servira d’être cinquante ans ou deux siècles en enfer, en attendant le jugement général? vous ne ferez qu’en souffrir davantage, et vous ne serez pas pour cela exempt des frayeurs de ce jugement. C’est des réprouvés qu’il est dit : Rochers, montagnes, tombez sur nous, écrasez-nous, afin que nous ne paraissions point devant le souverain Juge de l’univers.

ARTICLE III.

Sur la perfection et les vertus chrétiennes, particulièrement sur la foi et l’amour de Dieu, vertus fondamentales du salut.

§. I.

Vision dans laquelle la Sœur apprend en quoi consiste la véritable perfection.

    Voici un exemple que m’a fait voir le Seigneur pour les personnes qui veulent tendre à la perfection.

L’ange gardien de la Sœur est chargé de la conduire où Dieu a dessein de la fixer.

    Un jour, Notre Seigneur me dit : « Voilà votre Ange gardien qui va vous conduire jusqu’à l’endroit où je veux que vous alliez : obéissez-lui. » Cet ange m’apparut sous la forme d’un jeune homme comme âgé de quinze à seize ans. Il avait un air tout céleste, et rempli d’une grande douceur, charité et bienveillance à mon égard. Il me dit : Suivez-moi.

Divers endroits par où elle passe.

    Il me conduisit par des chemins et dans des pays tout-à-fait inconnus. Nous trouvâmes une communauté; je voulus voir les religieuses; elles me plurent beaucoup. Je voulus rester là : mon bon Ange s’y opposa fortement, en disant : Ce n’est pas là où Dieu vous veut. Je continuai de le suivre. Dans notre chemin nous rencontrâmes des dévotes, qui m’engagèrent à aller demeurer avec elles. Mon bon Ange s’y opposa encore. Nous allâmes plus loin par des lieux déserts. Là, il y avait un ermitage d’hommes et un ermitage de filles éloigné de celui des hommes. Je voulus entrer dans l’ermitage des filles et voir leur demeure. Elles avaient une petite chapelle qui était ornée de toutes sortes de dévotions, même curieuses, et tapissée d’images représentant la vie et la mort de Notre Seigneur. C’était comme un petit paradis. Je me plaisais beaucoup là, et je dis à mon bon Ange: Je vais rester ici; mais il me dit encore : Non; ce n’est pas la volonté de Dieu. Je le suivis donc encore.

L’ange la laisse seule dans un désert et lui donne un livre à méditer.

    Il me conduisit dans une sombre forêt qui n’avait rien d’agréable que le silence et la paix; elle était si remplie de bois, qu’en plein midi il y faisait noir ou très peu de jour. Dans un petit endroit de la forêt, où le bois avait été abattu, et qui n’était pas plus grand que l’emplacement d’une maison, mon bon ange me dit : Restez là, c’est ici que Dieu vous veut. Je me mis à genoux; il me donna un livre et me dit : Voilà ce que Dieu vous donne à méditer dans ce désert; méditez-le bien. Et au même moment il disparut.

Contenu du livre. Conduite de la Sœur et instruction de Notre Seigneur.

    Quand je me vis seule, sans savoir où j’étais, et sans connaître personne, je lus dans un chagrin et une peine extrêmes : Un moment après je dis en moi-même : Il faut que je lise mon livre; il

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sera ma consolation: il vient de Dieu ; il y aura de belles choses. J’ouvris le livre. Au haut de tous les feuillets il y avait : Dieu seul, et rien que ces mots, Dieu seul. Tout le reste était en blanc.

    La nuit approchait, ce qui me faisait frémir de peur et d’effroi. Alors j’eus recours à Dieu par des pleurs et par des gémissements. Seigneur, disais-je, ayez pitié de moi; voyez l’état ou je suis! Notre Seigneur vint a mon secours, et me dit : « Mon enfant, mais lisez votre livre. » — Seigneur, il n’y a presque rien à lire. Notre Seigneur me répondit : « Il y a beaucoup ; méditez seulement ces deux mots; il y en a plus que vous n’en observerez. Cependant vous le pouvez avec le secours de ma grâce. Ne vous attachez qu’à moi; quittez toutes les créatures, aussi bien les bonnes que les mauvaises : ne tenez à rien, pas même à ce livre, ni à une image, ni à quoi que ce soit de dévotion. »

§. II.

Importance de la foi. La Sœur prend dès son enfance la pure foi pour règle de sa conduite.

    La foi est de la dernière conséquence. Hélas! hélas! cette vertu est la plus négligée ! car la plus grande partie des créatures s’attachent aux choses vaines, pour ne pas dire criminelles, du monde; oublient et méprisent la foi et la religion catholique, apostolique et romaine : c’est à elle cependant qu’il faut s’attacher, être ferme et inébranlable contre toutes les puissances de l’enfer, par qui elle est toujours combattue

Conduite de la Sœur par la pure foi.

    C’est cette précieuse foi qui m’a toujours soutenue dans le cours de ma vie. Dès mon enfance, et aussitôt qu’on m’eut appris que j’étais enfant de Dieu et de la sainte Église catholique, je m’attachai à elle comme à Dieu même; et m’y tenant ferme comme à une colonne inébranlable, je mettais de côté toutes les consolations extraordinaires, et même les ordinaires, c’est-à-dire que je n’en usais que pour les fins pour lesquelles Dieu me les communiquait, et que je ne les regardais, et que je ne les examinais que dans la lumière de la foi. Si je découvrais quelque chose qui fût contraire à la foi, aussitôt que je l’apercevais je le rejetais loin de moi pour ne plus jamais y penser, vivement persuadée que tout ce qui est contraire à la foi est contraire à Dieu. Je préférais m’entretenir avec Dieu, soit par prière mentale, soit par prière vocale, et toujours sur les vérités de la foi évangélique, les maximes et les mystères de la sainte religion. Je n’avais point de plus douce consolation que lorsque Dieu laissait dans mon intérieur la pratique pure de la foi, et lorsque je ne goûtais ni ne ressentais aucune consolation sensible que celle d’une foi nue.

    Dieu m’a fait la grâce de me favoriser, dans presque tout le cours de ma vie, de la pratique de cette foi pure; et si Dieu a voulu me faire connaître plusieurs choses extraordinaires, c’était pour les fins qu’il me faisait voir : ces lumières ne s’imprimaient en moi que pour exécuter les choses que Dieu m’avait commandées, et pour obéir. L’obéissance faite, je ne m’attachais plus du tout aux visions, ni aux révélations; cela sortait de ma mémoire et de mon esprit, comme si rien ne m’était arrivé, et je me retrouvais dans cette heureuse pratique de la foi, pratique que j’espère conserver, moyennant la grâce de Dieu, et dans laquelle je veux vivre et mourir.

    Comme je crois que c’est par la foi et l’amour que l’on gagne le cœur de Dieu, c’est aussi par la foi et l’amour qu’on vient à bout de surmonter les peines les plus dures et les tentations les plus dangereuses, toutes les afflictions de l’esprit, de l’âme, et même du corps, puisqu’il est de foi que c’est sa sainte Providence qui nous ménage et qui nous donne en temps et lieu toutes les croix qu’il nous a destinées dans tout le cours de notre vie.

La Sœur tombe dans une grande aridité et croit ne pas aimer Dieu.

    Je vais rapporter ici une peine qu’il plut a Notre Seigneur de m’envoyer, Après que j’eus renoncé à la grille, et qu’ensuite, par un acte volontaire, j’eus aussi, pour l’amour de Dieu, renoncé à toute affection naturelle pour les créatures, ne voulant les aimer qu’en Dieu et pour Dieu dans l’union de la charité de J. C., afin de m’attacher uniquement à Dieu, je ressentis une si grande sécheresse dans mon intérieur pour tout ce qui regardait Dieu, et avec cela une telle nudité de la foi, qu’il fallait que je me rappelasse les vœux de mon baptême et les premières vérités de ma religion, pour me ranimer et me fortifier dans les pratiques chrétiennes et religieuses que j’avais à remplir dans ma communauté. Oh! que cette peine était à charge et fatigante! Je ne me soutenais que par le pur esprit de foi; il semblait même que la foi me manquait, ou que je n’y tenais plus que par un fil. Quant à l’amour de Dieu, je m’étais promis qu’après m’être dégagée de toutes les affections terrestres et humaines, je ne trouverais plus aucun empêchement pour aimer parfaitement Dieu; et en cela je me croyais encore frustrée de tout ce

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que j’avais espéré; mais je me rappelais sans cesse à la foi; il n’y avait qu’elle qui pût me consoler; car, comme je me disais à moi-même, il est de foi véritable que Dieu est partout, que Dieu me voit et me connaît dans la disposition où je suis. Je faisais de cette pensée mon seul appui et ma seule consolation. Quelquefois il me venait des pensées très-chagrinantes: Eh bien! voilà que tu as quitté le monde, renoncé aux amitiés naturelles, ce qui fait la consolation et le plaisir des sociétés: tu as fait cela pour mieux aimer le bon Dieu; vois si tu l’aimes davantage. Au contraire, tu n’aimes ni Dieu, ni les créatures; tu es comme un membre mort qui n’a plus aucune action de vie.

Dans cette grande peine la Sœur a recours à la pure foi.

  Ces reproches semblaient me porter la mort au cœur en pensant que je n’aimais pas Dieu, et que tout ce que je faisais ou que je pensais pour Dieu n’était que des œuvres mortes. De me retourner du côté des créatures, j’en étais trop dégoûtée, et je reconnaissais trop l’abus, le néant de cet amour purement naturel. Je me retournai donc alors du côté de Dieu en disant : Seigneur, vous savez l’état misérable où je suis de ne pouvoir vous aimer; mais, mon Dieu, la foi me l’apprend, vous êtes un Dieu puissant en vous-même, un Dieu rempli de gloire et de majesté, que les anges et les saints adorent et aiment infiniment. Vous serez éternellement un Dieu glorieux et rempli de félicités éternelles….. À ces mots je disais: O mon Dieu! avec un grand désir de vous aimer, j’ai le malheur de ne vous pas aimer; mais, ô mon Dieu! vous êtes, et cela me suffit. Dans mon affliction, je répétais plusieurs fois de suite : Dieu est, et cela me suffit. Je changeais quelquefois en disant : Dieu est éternel, et répétant : Dieu est éternellement heureux ; je veux l’aimer en lui-même et pour lui-même. Pour moi, je deviendrai tout ce qu’il lui plaira. Je voulais dire par ces sentiments-là que je mettais toute ma force, toute ma félicité, même mon paradis, dans l’Être éternel de Dieu ; et en cela mon âme tressaillait de joie et d’allégresse, disant de tout mon cœur: Dîeu est, et cela me suffit.

    Quand le démon venait m’importuner et me faire entendre : Tu seras damnée, toutes tes actions sont perdues devant Dieu, parce que tu ne l’aimes pas, je ne trouvais rien à dire, sinon d’élever mon esprit en Dieu, et de considérer toutes ses admirables perfections. Mon cœur en ressentait une si grande consolation, que , m’oubliant moi-même, je disais : Dieu est, et cela me suffit.

Sa foi généreuse et désintéressée.

    Une fois, pendant que j’étais dans cette peine, une religieuse me parla de l’affaire de mon salut, et me dit que cette affaire était l’unique que nous avions à faire dans ce monde, et qu’il fallait la prendre fortement à cœur. Moi, je pensai que je n’aimais point le bon Dieu, et que mon salut était bien en danger. Là-dessus je lui répondis: Ma sœur, j’ai abandonné mon salut entre les mains de Dieu, de manière que je ne veux et ne cherche que la pure gloire de Dieu : que le bon Dieu fasse de moi tout ce qu’il lui plaira. Supposons que Dieu me fasse connaître qu’il a uni une âme à la mienne, qu’il me fasse aussi connaître que l’une ou l’autre doit être damnée, et que, même, Dieu, laissant la chose à mon choix, me dise: Je te donne le choix; si tu veux, ce sera toi qui viendras dans mon royaume, et cette autre sera damnée. Cependant, si celle-ci venait dans mon royaume, elle me glorifierait beaucoup plus que toi. Dans cette supposition, parlant à la religieuse, je lui répondis hardiment que je sacrifierais mon salut pour la gloire de Dieu, et pour cette âme qui le glorifierait plus que moi dans le paradis.

Son impuissance dans l’oraison.

    Cette peine dura plusieurs années; je ne puis en dire positivement le nombre. Ce qui m’affligeait davantage, c’était que je perdais entièrement le temps à l’oraison. Quand j’étais avec la communauté devant le Saint-Sacrement, et qu’on lisait le point d’oraison, je me disais à moi-même: je vais bien m’appliquer, afin de retenir la lecture pour tâcher de bien faire mon oraison. Quand la lecture était faite, je ne pouvais pas plus me ressouvenir du dernier mot que du premier. Je passais beaucoup de temps à chercher sur quel sujet la lecture avait été faite. Quand je trouvais quelque chose, je le saisissais, croyant le tenir; c’était en vain, cela passait comme un éclair, et je ne trouvais rien du tout à quoi je pusse m’appliquer. Quand je voyais cela, je restais en la présence de Dieu devant le Saint-Sacrement, et je m’arrêtais là sans rien dire, car je ne me ressouvenais de rien. Quand la supérieure donnait le signal pour finir l’oraison, je me levais comme les autres ; je disais à notre Seigneur: Eh bien ! mon Seigneur, je m’en vais comme je suis venue; j’ai perdu tout le temps à l’oraison.

Sacrifice héroïque de la Sœur, qui la délivre enfin de cette longue peine.

    D’autres fois, dans l’oraison, je faisais des espèces de reproches au bon Dieu, disant : Seigneur, il est cependant bien triste pour moi de ne pas vous aimer! Je renonce pour l’amour de vous, et pour vous plaire, à tout l’amour naturel des créatures, et je ne veux pas m’en dédire ; je ne veux les aimer que dans la pure charité. Eh bien, Seigneur,

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je vous fais un sacrifice du bonheur que j’aurais à vous aimer; je vous offre les peines que me causent les désirs que j’ai de vous aimer et de ne le pouvoir. Mon Dieu, je me soumets à passer le reste de mes jours dans la peine où je suis, et je ne retournerai jamais vers les créatures; leurs amitiés, les plaisirs qu’on y goûte sont trop fades et trop amers. Si vous ne voulez pas, ô mon Dieu! que je vous aime, je passerai le reste de ma vie à n’aimer rien du tout. J’espère, ô mon Dieu! que vous me ferez la grâce de vous aimer au moins dans l’éternité.

    Il me sembla que ce divin Sauveur n’attendait que ce sacrifice de ma part pour m’ôter ma peine, tant je fus promptement délivrée de mes insensibilités et de tout l’aveuglement de mon esprit, et cela sans savoir comment. Tout-à-coup la belle lumière, venant comme du soleil de justice, éclaira et pénétra mon entendement, et réjouit mon âme, surprise d’un si heureux changement.

§. III.

De quelle manière la Sœur a fait son oraison pendant toute sa vie. Méthode d’oraison qui lui a été enseignée par Notre Seigneur.

    Je rapporterai encore quelque chose sur l’oraison, et généralement sur ce qui m’est arrivé à ce sujet pendant toute ma vie. Jamais personne ne m’a appris à faire l’oraison; je crois qu’il n’y a eu que Dieu même.

Dès son enfance la Sœur s’occupait de Dieu et méditait au milieu des champs, sans savoir qu’elle faisait l’oraison.

    Dès ma tendre enfance, lorsque j’étais seule dans les champs a garder les vaches, je pensais, sans savoir que ce fût-là faire l’oraison, et que cela était agréable a Dieu. Je m’entretenais, la plus grande partie des matinées, tantôt sur les mystères de la passion de Notre Seigneur, tantôt sur les jugements de Dieu ; d’autres fois sur l’enfer, et sur tout ce qui me venait dans la pensée au sujet de Dieu. Je m’en laissais pénétrer comme si j’y avais été, sans savoir que ce fût une oraison ou une prière. Je croyais seulement que c’étaient des choses qui regardaient Dieu et le salut de nos âmes, et qu’il était bon d’y penser et de s’en entretenir.

Entrée en religion, elle ne sait comment s’y prendre pour faire oraison.

    Je fus dans cette erreur jusqu’au temps que j’entrai en religion. Quand je voyais les religieuses, après la lecture du point d’oraison, être à genoux en silence, j’étais bien inquiète en moi-même de ce qu’elles faisaient. Je le demandai à des religieuses ; elles me répondirent qu’elles faisaient l’oraison. Cela ne me satisfit pas; je ne comprenais point ce que c’était que cette oraison là, et je ne savais quoi mettre dans cette oraison. Je croyais quelquefois que c’étaient ces oraisons qu’on trouve dans les livres, dans lesquels on met oraison au commencement des prières. Je me ressouvenais que dans l’instruction de mon catéchisme, qu’on m’avait appris, il y avait deux sortes de prières, la mentale et la vocale ; que la prière mentale se faisait d’esprit et de cœur dans son intérieur, sans prononcer les mots; mais je croyais que c’était comme le Pater et l’Ave qu’on disait dans son cœur sans prononcer.

Elle a recours à la méthode d’oraison prescrite dans les livres, mais sans succès.

    Avec tout cela je n’en étais pas plus habile. Ma maîtresse était si occupée, qu’elle ne me dirigeait point. J’eus recours aux livres. J’en trouvai qui m’instruisirent comment il fallait faire. Je me dis en moi-même : O mon Dieu, je n’ai jamais fait l’oraison ; il faut travailler et m’appliquer à la faire. Je voulus apprendre la méthode que j’avais trouvée dans les livres pour la mettre en pratique. Il y eut des fois que je m’appliquais, par la force de mon esprit, à suivre les pratiques; enfin, l’oraison était finie que je n’étais pas encore venue à bout de suivre toute cette méthode d’oraison qu’on trouve dans les livres; avec cela un cœur sec comme des allumettes, l’esprit bandé, et toujours dans une sorte de violence. Je disais au bon Dieu, bien mécontente : C’est donc comme cela que vous voulez qu’on fasse oraison!

Elle fait oraison et croit ne pas la faire.

    II arrivait quelquefois que quand je me mettais à faire l’oraison, que j’invoquais le Saint-Esprit, et que je me mettais en la présence de Dieu, notre Sauveur me rendait sa présence si sensible, qu’il attirait à lui mon esprit et mon entendement, et qu’oubliant toutes les méthodes d’oraison, je n’y pensais plus. Quand la Supérieure donnait le signal pour sortir de l’oraison, qui, à ce qu’il me semblait, ne m’avait duré qu’un moment, je sortais cependant avec les autres, bien mécontente de mon sort. Ah ! Seigneur, disais-je, je n’ai point fait l’oraison. Enfin, Seigneur, je ne puis qu’y faire; j’ai oublié la méthode, et je n’y ai point pensé du tout.

    Je retournais à mon travail, où j’avais l’habitude de parler fort peu, et je réfléchissais sur les principaux points qui m’avaient le plus touché dans la lecture que j’avais fait le matin. Pour l’ordinaire, mes lectures étaient sur la vie, la mort et la passion de Notre Seigneur Jésus-Christ, et sur l’Évangile.

Notre Seigneur lui enseigne une méthode d’oraison qui lui réussit.

    Notre adorable Sauveur voyant l’embarras et la peine où j’étais par rapport à l’oraison, m’en délivra lui-même, et me fit connaître que j’eusse à laisser la méthode des livres. Il m’enseigna lui-même, en me disant : « Réfléchissez et pensez dans votre cœur, quand vous

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» êtes à l’oraison, et méditez-y de la manière que vous le faites en travaillant. Ensuite Dieu me dit : Quand vous vous mettrez à l’oraison, soit en particulier, soit avec la communauté,  mettez-vous en ma présence avec humilité, invoquez l’assistance du Saint Esprit; je me charge de vous fournir et de vous marquer les matières sur lesquelles il faut faire l’oraison. Ordinairement vous devez, en entrant à l’oraison, regarder en vous-même ce qui déplaît le plus à ma souveraine majesté, et travailler toujours à détruire votre passion dominante, à moins que je n’attire ailleurs votre cœur et votre esprit. Poursuivez pendant votre oraison la destruction de vos passions, comme je vous l’ai dit.  Je me mis à pratiquer, autant que je pouvais, ces bonnes leçons avec le secours de la grâce. Heureusement je restai en moi-même pour voir dans quelles fautes je tombais le plus souvent. J’aperçus en particulier que c’était l’orgueil et l’amour-propre qui me dominaient, et que c’était par cette passion-là que je commettais les autres péchés.

Elle reçoit le don des larmes pour pleurer ses péchés.

    Le Seigneur me laissa environ un an dans cette manière d’oraison, et je ne me souviens pas que Dieu m’ait autant favorisée du don des larmes que dans ces matières. À l’oraison je n’aurais pas pu m’en défendre; c’était comme une douce violence à laquelle il m’était impossible de résister. Quoique je fusse dans un endroit retiré, où les religieuses ne pouvaient même me voir en face, il survint que quelques-unes s’en aperçurent. Il y en avait de curieuses, qui, à la fin de l’oraison, venaient me regarder en face pour voir si j’avais pleuré, puis elles s’en retournaient en souriant. Elles allèrent trouver ma maîtresse, et lui dirent que j’avais des tentations et des peines d’esprit, que je ne faisais que pleurer à l’oraison, et qu’il fallait qu’elle me dirigeât. Une fois, en sortant de l’oraison, ma maîtresse vint me parler, et me dit : Ma Sœur, qu’avez-vous à pleurer tant? quelles peines avez-vous? Je répondis que je n’avais point d’autres peines que celles de mes péchés et en particulier de mon orgueil. Elle ne put savoir autre chose, sinon que je pleurais mes péchés.

Elle médite sur les mystères.

    Notre Seigneur me fit continuer cette manière d’oraison pendant quelque temps. Quelquefois, particulièrement dans les grandes fêtes de l’année, Notre Seigneur changeait mon oraison, et me faisait ordinairement méditer sur les mystères que ces fêtes représentent. Depuis ce temps-là, je me suis abandonnée entre ses mains, particulièrement pour l’oraison. Quand on lisait le point d’oraison, je l’écoutais comme les autres. Quand je me mettais à l’oraison, dans le moment Notre Seigneur m’attirait à lui sur un autre sujet, dans lequel, autant que je pouvais, je me rendais fidèle à suivre ses attraits, sans avoir reçu aucun conseil ni avis de personne que de Dieu sur mon oraison.

Elle craint d’être dans l’erreur; Notre Seigneur la rassure.

    Quelquefois il me venait à la pensée que je m’étais trompée, parce que je me disais : Les religieuses font toutes l’oraison sur le même point d’oraison, et moi je la fais sur un autre. Il semble que je ne suis point la communauté. Sur cela Notre Seigneur me fit connaître qu’il n’était pas nécessaire de faire toutes l’oraison sur un même sujet; qu’on n’avait pas tous les mêmes besoins, et que tous n’étaient pas appelés au même degré de grâce; que pour moi, j’eusse à le suivre; que quand il lui plairait il me ferait faire l’oraison sur la lecture, et qu’à cette marque je connaîtrais que l’attrait de la grâce tomberait sur le point commun d’oraison. Je pris donc la ferme résolution de ne point m’écarter, dans mon oraison, des conseils et des avis que Dieu m’avait donnés, quelques peines et quelques tentations qui pussent m’en arriver.

Un confesseur la confirme dans sa manière de faire oraison.

    Trente ans après je me trouvai sous la conduite d’un confesseur qui voulut me faire rendre compte de ma conscience. Je lui déclarai que quand je vins en religion j’avais eu bien de la peine pour faire oraison, et je lui rapportai quelque chose de ce que Notre Seigneur m’avait dit à ce sujet. Il me répondit que j’avais fort bien fait de laisser la méthode des livres, et qu’il n’aurait pas voulu que je l’eusse suivie. Je lui rendis compte comment Dieu me conduisait, et de quelle manière je faisais mon oraison; il me répondit que je faisais bien, et que pour lui il la faisait à-peu-près de la même façon. Je fus fort consolée de son approbation, parce que j’avais en moi une certaine crainte de me tromper, et je désirais avoir l’avis d’une personne d’Église en qui je pouvais mettre ma confiance.

Sentiments de la Sœur sur les livres qui traitent de la vie purgative, illuminative, et unitive.

    Voici encore ce que je demandai à ce bon prêtre au sujet de la lecture des livres qui traitent de la conduite des âmes, comme, par exemple, de la vie purgative, illuminative et unitive. Je lui déclarai mes sentiments là-dessus en lui disant que je n’avais jamais goûté les livres qui traitent de la conduite des âmes, à moins qu’il ne fût question de la vie purgative, et que, jusqu’à ma mort, j’aurais toujours quelque chose à détruire, des défauts à corriger et mon cœur à purifier. Le prêtre me répondit qu’en cela j’avais encore

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bien fait, et que sans cela le démon peut facilement tromper les âmes.

§. IV.

Celui qui veut revenir à Dieu et marcher & la suite de Notre Seigneur doit se conduire par la foi et par l’amour de Dieu.

La foi et l’observation des préceptes par amour est la seule voie qui conduit à Dieu.

    Voici ce que Notre Seigneur m’a enseigné, et ce qu’il veut que suivent toutes les âmes qui désirent de marcher à sa suite. Il faut qu’elles prennent pour principe de leurs actions la foi qui conduit droit à Dieu, et qu’elles se fassent connaître particulièrement par l’amour de sa sainte loi et de ses divers, commandements. C’est par cette voie que Dieu retire les âmes, même des plus grands pécheurs, du bourbier du péché, et qu’il conduit une âme fidèle aux vertus fondamentales du salut.

    Selon ce que je vois en Dieu pour la foi, l’espérance et la charité, il me semble qu’une âme qui pratique ces bonnes œuvres ne peut périr. Si elle tombe, elle se relève par ces vertus solides. Dieu la délivre de tous les dangers et des occasions périlleuses de l’offenser. Enfin, il me semble qu’en combattant par ces vertus, elle est délivrée de tous les fâcheux accidents qui peuvent lui arriver dans tout le cours de sa vie, et qui la conduiraient à la perdition.

Vision qui confirme cette vérité. La Sœur se trouve dans un lac profond et voit Notre Seigneur sur une hauteur.

    Voici un exemple qui va représenter et retracer ce que nous avons écrit ci-dessus. L’Esprit du Seigneur me conduisit un jour dans un lac très profond et environné de hauteurs. Sur une hauteur proche du lac, je vis Notre Seigneur, en forme humaine, qui se promenait le long d’une allée qui était sur la hauteur. Moi, me voyant de tous côtés environnée de toutes sortes de périls, sans aucun secours, je me dis en moi-même : Voilà le Seigneur, il n’y a que lui qui puisse me tirer d’où je suis. Je dis cela par l’esprit d’une foi vive qui me faisait entendre qu’il fallait m’aider et faire mon possible pour sortir de ce lac et grimper sur les hauteurs pour parvenir droit à Notre Seigneur. J’étais persuadée par la foi, que Notre Seigneur pouvait à l’instant, par sa puissance, me tirer hors de ce péril sans qu’il m’en coutât; mais je sa vois aussi par la foi qu’il fallait travailler moi-même et essayer de monter, et qu’ainsi je pouvais espérer fermement de parvenir jusqu’à lui.

Efforts qu’elle fait pour monter et parvenir jusqu’à Notre Seigneur.

    Dans ce moment, employant toutes mes forces, je me tirai de ce bourbier et je montai droit vers la hauteur où je voyais Notre Seigneur. Il m’arriva tant d’accidents avant de parvenir à Notre Seigneur, que, sans la foi qui me soutenait, je me serais entièrement découragée, et j’aurais perdu toute espérance. Quand j’avais fait trois à quatre pas en montant, les terres s’écroulaient et je retombais en bas. Aussi vite je remontais, et presque aussitôt je retombais. Je ne puis pas dire combien de fois ces malheurs m’arrivèrent. Il y avait des fois que j’étais montée, avec beaucoup de peines, presque jusqu’au haut de la montagne, en me prenant à tout ce que je croyais propre à me soutenir, à de petites cimes (1) qui sortaient de terre; à l’instant elles me venaient à la main, je retombais lourdement presque au milieu du précipice, et je me voyais dans un état pire qu’auparavant.

    Accablée de fatigues, et malgré tous mes efforts, je m’apercevais que, loin d’avancer, je reculais. J’éprouvai dans mon intérieur un grand désespoir qui m’empêchait de faire de nouveaux efforts pour remonter. Je confesse que sans la foi qui revint à mon secours, je n’aurais pas eu le courage de regrimper au haut de la montagne, tant elle était rapide; mais me ranimant d’un nouveau courage, je résolus de ne pas perdre le temps et de travailler sans cesse pour arriver à Notre Seigneur, quand j’aurais dû mourir dans le travail.

Épreuve à laquelle Notre Seigneur met la Sœur avant de la délivrer du péril.

    Voilà donc que je remonte avec la fatigue ordinaire, et je parviens jusque vers le haut; de sorte que je pouvais

    (1) Pointes d’arbrisseaux.

mettre mes bras sur le bord de l’allée où était Notre Seigneur. Il passa tout près de moi sans faire semblant de me voir; je me mis à crier : Seigneur, ayez pitié de moi; donnez-moi votre main, ou bien je vais périr. Notre Seigneur s’approche, se place devant moi avec une certaine indifférence, et me laisse quelque temps dans l’extrémité où j’étais, sans me donner aucun secours. Moi, dans mon intérieur, je ne cessais de dire : Seigneur, donnez-moi la main; et en le suppliant, je me tenais d’une main à la terre ferme, et je lui tendais l’autre. Notre Seigneur vient me dire : M’aimez-vous ? Je réponds: Ah ! oui, Seigneur, je vous aime. Mais au lieu de me donner d’abord sa main, ce Divin Sauveur se baisse, porte sa main sur mon cœur et l’y tient un instant (comme pour me faire connaître qu’il sondait les cœurs), afin de voir s’il en était véritablement aimé; ensuite me prenant par la main, je me trouvai dans l’instant sur la hauteur, où je me promenai avec Notre Seigneur environ une demi-heure. Là, Notre

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Seigneur m’instruisit en particulier sur le grand commandement de son saint amour; et moi je me félicitais, en sentant mon cœur épris du feu de son divin amour; et en me réjouissant d’être en la présence de mon Dieu, je croyais que tout était fini et que je n’aurais plus à souffrir.

Nouveaux travaux de la Sœur. Elle traverse des planches étroites et suspendues au-dessus des eaux.

    Mais, hélas! que je me trompais dans mon attente! Au moment où j’avais cette pensée, notre Divin Sauveur se tourna vers moi et me dit : « Tout n’est pas fait; vous avez encore bien du chemin à faire; et en me montrant un petit chemin si raboteux et si étroit, que les ronces et les épines entrelacées se touchaient d’un côté à l’autre du chemin, « Voilà votre chemin, me dit Notre Seigneur; il faut marcher par là. » Je dis : Ah ! Seigneur, je ne le puis; il est impossible que je puisse y aller, si vous ne venez avec moi. Notre Seigneur me dit: « Eh bien ! je vais aller avec vous; » et aussitôt il passe devant moi. J’étais bien consolée d’avoir Notre Seigneur avec moi. Au bout de ce petit chemin-là il se trouva des planches qui n’avaient pas un demi-pied de largeur, et qui étaient suspendues sur le milieu d’une vaste étendue d’eau dont je ne voyais pas la fin. Lorsque nous fûmes arrivés près de ces planches, Notre Seigneur me dit qu’il fallait passer ces planches. Je dis : Seigneur, je ne peux pas y mettre le pied. Notre Seigneur me dit: « Ne craignez point; si vous avez la foi et mon amour, vous passerez par tout. » Je dis: Seigneur, je vous en prie, donnez-moi votre main. Voilà le Seigneur qui me donne sa main. Je ne me sentais presque pas marcher; le Seigneur me menait avec tant de vitesse et de légèreté, que je n’avais point de peine, mais du plaisir.

Les travaux de la Sœur sont un exemple pour les pécheurs qui veulent faire pénitence.

    Lorsque nous fûmes bien avancés sur les eaux, Notre Seigneur me dit : « Il ne faut pas que je vous tienne toujours par la main, car vous n’auriez pas tant de mérite; Il faut que vous vous conduisiez par la foi et que vous marchiez seule sur toutes les planches que vous avez à passer dans votre chemin, d’autant que, en vous faisant parcourir ces chemins, je veux que vous serviez d’exemple aux pécheurs, afin qu’ils reviennent à la pénitence par ma grâce, et que cela vous serve à vous-même de pénitence pour vos péchés. N’ayez aucune crainte; je vais vous quitter, mais mon esprit vous conduira partout où  je veux que vous alliez : je serai avec vous par ma grâce et mon amour. » Je dis : Ah! Seigneur, dans mon affliction, au moins marchez deux ou trois pas devant moi, pour voir si je pourrai marcher seule après vous. Le Seigneur me l’accorda. Je me mis à marcher seule, et je m’enhardis. Notre Seigneur me dit: « Bon courage, mon enfant; vous voyez bien que vous marchez bien seule; » et en même temps, il disparut, et moi je me trouvai au milieu des eaux, dans une terre étrangère, et sans assistance d’aucune personne.

Générosité de sa foi et de son amour.

    Je m’armai de courage; je me confiai en la grâce de Dieu et en son amour, et je commençai à marcher avec beaucoup de peine. La route me paraissait si longue! mon esprit était si saisi de crainte et d’ennui! Les fatigues que mon corps ressentait m’accablaient, et même quelquefois mes jambes chancelaient et tremblaient de crainte. Si je m’arrêtais un peu pour me reposer, c’était alors qu’il me semblait que j’allais être submergée dans les eaux. Je reprenais courage et poursuivais mon chemin avec outrance.

Elle passe par un marais fangeux.

    Arrivée enfin au bout des planches, sur le bord d’un rivage, l’esprit du Seigneur me conduisit par un chemin très difficile qui était comme un marais rempli d’eaux si bourbeuses, qu’il semblait qu’à tout moment j’allais être engloutie.

Elle arrive au bord d’une planche fort étroite, au-dessus d’un lac plein de reptiles venimeux, figure des démons.

    Ce chemin était encore long. Il aboutit à une planche fort longue qui était suspendue sur deux piliers de pierre. Cette planche, qui n’était pas plus large que de trois doigts, était au milieu d’un chemin à-peu-près de quinze pieds de large, très-profond et rempli de l’égout des marais que je venais de passer. Ses eaux croupies étaient remplies d’aspics, de scorpions, de serpents et de plusieurs autres venins (1) qui tiraient la langue et se dressaient

(1) Reptiles venimeux.

sur le bout de leurs queues avec rage et fureur.
J’étais alors sur le bout de la planche d’où je considérais ces grands dangers. Je commençai à appeler Dieu à mon secours, à le prier d’avoir pitié de moi, disant que j’allais périr, s’il ne venait à mon aide. Alors je me trouvai ranimée d’un grand courage, et espérant que Dieu me fortifierait par sa grâce.
Dieu me fit connaître, par une lumière intérieure, que ce lac n’était pas éloigné de l’enfer, et que l’esprit du démon était dans le corps de ces serpents pour les animer et les irriter contre toutes les personnes qui, tombant dans ce lac, y perdent aussitôt la vie et tombent dans l’enfer.
J’attendais la présence de Notre Seigneur, et je désirais le revoir en forme humaine, pour qu’il me tirât de cet affreux danger; mais non, je connus que l’esprit du Seigneur me poussait à marcher.

Grand danger qu’elle court. Son courage. Notre Seigneur la délivre.

    Lorsque je fus un peu avancée sur la planche, la frayeur des serpents qui étaient dessous me fit trébucher : je vis

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le moment où j’allais tomber sous la planche. Dieu permit que je me retinsse pas les bras à la planche, que je me mis à serrer de toutes mes forces, et je restai suspendue sous elle environ un quart d’heure, en raidissant tout mon corps, afin de parvenir à remettre mes pieds sur la planche. J’invoquais le Seigneur de toutes mes forces; il m’apparut aussitôt sur la planche, et me dit : Bon courage, mon enfant, tout est bientôt fini; vous êtes au-dessus de vos peines; et au même instant je me trouvai, par un léger effort, à genoux de travers sur la planche à laquelle je me tenais par les deux mains. Je dis: Seigneur, voyez le péril où je suis; donnez-moi votre main; sans votre main secourable et toute-puissante je ne puis faire un pas. Notre Seigneur, avec une bonté admirable, me prit la main et me dit : Mon enfant, votre pénitence est faite; elle servira d’exemple à toutes les âmes qui voudront me suivre.
Alors Notre Seigneur, de sa main puissante, m’enleva hors du péril et me transporta par les airs avec lui jusque sur les grandes eaux que j’avais passées, et sur lesquelles il y avait des planches. Quand Notre Seigneur  me donnait la main, je me sentais légère comme une personne qui ne sent point du tout la pesanteur de son corps, et je me trouvais marcher à pied sec sur les eaux comme Notre Seigneur. Il me conduisit dans une prairie et il disparut.

Explications de cette vision qui renferme des leçons pour tous, et surtout pour les grands pécheurs.

    Voici ce que le Seigneur m’a fait connaître, dans sa lumière, sur ce qui regarde le trajet du chemin qu’il me fit parcourir; sur les fatigues, les craintes, les frayeurs et les dangers auxquels je fus exposée. Toutes ces sortes de choses sont significatives et bonnes à observer, tant pour moi que pour tous les autres, et surtout pour les grands pécheurs et pour tous ceux qui ont donné dans de grands écarts hors la sainte religion catholique, apostolique et romaine, pourvu qu’ils rentrent dans le sein de la sainte Église, en faisant toutes les réparations qu’exigent leurs crimes, ainsi que je le vois en Dieu.

1°. Il faut de grands effort pour sortir du péché et revenir à Dieu.

    Notre Seigneur veut que j’en dise quelques mots. Premièrement, ce grand lac où j’étais, et d’où je vis Notre Seigneur sur les hauteurs, signifie, par la fatigue que j’éprouvai pour aller à Dieu, toutes les fatigues et les contretemps de la pénitence, et combien il en coûte aux pécheurs pour retourner à Dieu.

2°. Point de vraie conversion sans la conversion du cœur.

    Secondement, l’indifférence avec laquelle Dieu me reçut, me demanda si je l’aimais, et examina jusqu’au fond de mon cœur si je disais la vérité, signifie l’examen que fera Notre Seigneur au moment où le pécheur retournera vers lui, au tribunal de la pénitence. Il sondera jusqu’au centre de son cœur; il fouillera dans les plis et les replis de sa conscience, et il verra si ce que le pénitent confesse de bouche est réellement dans son cœur, s’il y a de l’amour, et si son cœur est véritablement contrit et humilié. Si le pécheur a ces dispositions nécessaires et requises, Notre Seigneur lui fera miséricorde en lui donnant la main et l’attirant à lui par l’absolution du prêtre. Mais, malheur, malheur, malheur aux pécheurs impénitents, fourbes et trompeurs qui viennent au tribunal de la pénitence sans ces dispositions. Je vous le dis, je vois en Dieu qu’il les renversera, au lieu de leur donner sa main, et qu’il les fera tomber jusque dans le profond bourbier du péché, d’où ils font semblant de vouloir sortir, en se rendant plus coupables et plus criminels qu’auparavant. Ils peuvent tromper les ministres du Seigneur, mais ils ne peuvent tromper Dieu.

3°. Joie et paix de la conscience du pécheur vraiment pénitent.

    Troisièmement, je vois en Dieu que tout le chemin que le Seigneur me fit parcourir, et les grandes eaux que je passai avec tant de peines et de difficultés, mais aidée et conduite par Notre Seigneur, signifient que le pécheur, qui est retourné à Dieu par une bonne confession, se trouve dans la jubilation et dans une grande paix de conscience. Je vois dans le Seigneur qu’il lui dit, comme il me le dit à moi-même lorsque je croyais avoir tout fait : Il vous faut encore travailler; vous avez encore bien du chemin à faire.

4°. Les travaux de la pénitence doivent durer jusqu’à la mort.

    Quatrièmement, c’est alors qu’il les fait marcher par le chemin pénible et laborieux de la pénitence, rempli des eaux de la tribulation, qu’on ne peut passer qu’avec le secours de la grâce et des vertus fondamentales de la religion. Je ne m’explique pas là-dessus; on conçoit bien que je veux parler de toutes sortes de croix et d’afflictions de corps et d’esprit qui nous conduisent jusqu’à la mort, parce qu’il faut que le vrai pénitent passe le cours de sa vie, jusqu’à son dernier soupir, dans l’esprit d’une vraie pénitence.

5°. Le démon redouble ses attaques aux approches de la mort. Vive confiance de l’âme pénitente.

    Cinquièmement, enfin, cette planche suspendue au-dessus des serpents et des aspics, que Dieu m’a fait passer dans la vision rapportée ci-dessus désigne les pauvres pécheurs, et moi-même la première, à l’heure de la mort. Il semble qu’à ce moment tous les démons soient en mouvement et exercent leur malice pour attirer une pauvre âme pénitente dans l’abîme de l’enfer. Je vois en Dieu que plus cette âme a fait pénitence, et plus elle a pratiqué de vertus, plus les démons redoublent

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d’efforts pour la ravir, se disant entre eux : Si nous la manquons à ce moment, c’en est fait, elle est perdue pour nous pour toute l’éternité.

    Mais, prenez courage, bonne âme pénitente, ne vous effrayez pas par le sifflement des serpents et des vipères; ne craignez pas la morsure des aspics; Dieu est tout prêt à vous secourir. S’il tarde un moment, ce n’est que pour vous éprouver davantage; ainsi, patientez et ne vous découragez jamais. Il est certain que cet aimable Sauveur va arriver, et qu’il vous dira ces paroles sacrées : « Ne craignez point, je suis avec vous; prenez courage, vous êtes au terme de vos peines, tout est bientôt fini. » Alors cette pauvre âme qui se voit presque perdue, jette un élan d’amour vers son Dieu, en disant: Seigneur, sauvez-moi de ce danger et donnez-moi votre main. Au même instant ce Dieu de bonté lui dit : C’en est fait, votre pénitence et toutes vos peines sont finies…..  Et de sa main toute puissante il l’enlève à lui, en séparant son âme d’avec son corps, et en la délivrant pour jamais de la tyrannie des passions et du démon.

§. V.
Sur les lumières de la Foi.

À l’occasion d’un ouvrage en toile, Notre Seigneur fait connaître à la Sœur en quoi consiste la lumière de la foi.

    Un jour j’étais à travailler dans la salle de la communauté, ou l’on employait une toile blanche destinée à servir à la coiffure des religieuses. Il s’agissait de faire un grand ourlet plat, large d’un pouce. La Supérieure de ce temps-là jugea à propos, pour que cet ourlet fût bien droit, qu’on tirât un fil le long de la toile, afin de faire l’ourlet à droit fil. Je voyais les religieuses qui avaient bien de la peine à tirer ce fil, et j’admirais en moi-même l’adresse et la finesse de l’esprit humain pour conduire ce petit ouvrage à sa plus grande perfection.

    Le soir, étant dans notre cellule, je me mis à faire l’oraison. Au lieu d’en considérer et d’en méditer le sujet, je m’oubliai, et tout-à-coup je me trouvai à penser à cet ouvrage que ma Supérieure faisait faire, et dans ma pensée je m’occupais de tout ce qui avait rapport à ce travail. Dans un clin-d’œil Notre Seigneur m’apparut et me dit : « Te voilà bien absorbée, mon enfant, à penser à l’ouvrage de ta Supérieure. » Je fus confuse, d’autant que Notre Seigneur m’avait surpris en faute et à penser à des choses inutiles; car, en particulier, je me disais à moi-même : Ma Supérieure ne me dira point d’aider à faire cet ouvrage, parce que je n’ai pas la vue assez bonne. Je me disais encore: Si elle m’y obligeait, devrais-je lui obéir? Je pensais que oui, qu’il faudrait bien obéir, et qu’ainsi je me mettrais en devoir de le faire du mieux que je pourrais.

    Ce fut dans ces pensées que Notre Seigneur me surprit. Il me présenta un morceau de linge blanc comme la neige, et d’une finesse extrême, en me disant : « Tiens, mon enfant, regarde si tu pourras voir le fil de cette toile-là. » Je commençai à la regarder et à la considérer; mais, hélas ! je dis bientôt: Seigneur, il m’est impossible de pouvoir voir seulement un fil, et je ne puis pas en tirer un seul en pleine toile. Je vois cette toile aussi unie qu’un parchemin. Notre Seigneur me répondit: « Je le crois bien, mon enfant, que vous ne le voyez pas. Je vais vous donner une lumière qui va vous éclairer l’œil de la foi, que vous n’avez pas assez pur. »

    Au même instant il me présenta un gros cierge, semblable à un cierge pascal, qui brillait d’une flamme qui n’était pas tout-à-fait comme la flamme d’un feu matériel. Cette flamme était d’un incarnat si pur et si céleste; elle s’élevait avec tant de vivacité, et d’une manière si agile et si subtile, qu’elle semblait toujours agir sans consumer rien du cierge. Alors, Notre Seigneur me dit : « Ouvrez vos mains, il faut que vous le teniez. » Je crus bien qu’il s’agissait des mains du corps. Je fis un effort pour remuer un peu mes bras et ouvrir mes mains, afin de recevoir le cierge. Je croyais aller saisir un cierge matériel; mais non, mes mains se joignirent sur rien, et cependant je voyais le cierge que Notre Seigneur m’avait mis entre les mains.

    Ce fut alors que mon âme fut éclairée d’une nouvelle lumière toute céleste et toute divine sur ce qui regarde particulièrement les vérités de la foi. À ce moment, Notre Seigneur me représenta le linge et me dit: « Voyez, mon enfant. » Je vis clair dans ce fin linge, et il me semblait distinguer toutes les différentes beautés, et toute la délicatesse de cet ouvrage.

Lumière de la foi opposée à la lumière purement humaine.

    Notre Seigneur ajouta : « Mon enfant, vous admirez votre Supérieure l’ouvrage qu’elle fait faire; en voici un qui est bien d’une autre délicatesse; c’est l’ouvrage du Saint-Esprit qui est directement opposé à toutes les délicatesses, à toutes les finesses de l’esprit humain. Les gens du monde poussent leur délicatesse jusque dans leurs habits, dans leur boire, dans leur manger, et en cela ils agissent par l’esprit mondain. Mais parmi des religieuses, celles qui s’agissent de cette manière pèchent

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    » contre la perfection de leur état, et montrent qu’elles conservent encore quelque chose des manières du monde dans leur esprit. Quand elles ne feraient qu’attacher une épingle d’un air affecté, et par l’esprit du monde, cela me déplaît; et ce sont des fautes à purifier pour le moins dans le purgatoire.

    » Pour vous, mon enfant, n’allez pas vous mal édifier de votre Supérieure, quoique je vous aie fait connaître que sa délicatesse me déplaisait. Le péché ne me déplaît que selon les vues et la malice : et votre Supérieure ne croyait pas me déplaire. Ce sont de ces fautes d’aveuglement et d’ignorance qu’on met en oubli. »

Les personnes consacrées à Dieu commettent beaucoup de fautes à expier dans le purgatoire, en agissant par l’esprit humain.

    Notre Seigneur me fit connaître dans sa lumière que, même dans les personnes consacrées à Dieu à l’heure de la mort, il se trouve un amas de fautes qu’elles ont commises par ignorance humaine, par oubli, et par leur peu de fidélité à observer les petites choses. C’est un abîme de fautes qu’il faut aller expier en purgatoire par des peines terribles et longues. C’est là qu’elles voient qu’elles ont ourdi et tissu une toile qu’il faut détruire par la pénitence, en la défaisant fil à fil.

    Notre Seigneur me dit : « Armez-vous de la lumière de la foi qui éclaire au dedans de l’intérieur, et qui purifie le cœur. Ayez la pureté d’intention dans toutes les paroles, dans toutes les actions et dans toutes les peines; car celui qui s’accoutumera à m’être fidèle dans les petites choses, je le préserverai par ma grâce de tomber dans de grands péchés.»

Notre Seigneur donne à la Sœur le flambeau de la foi pour se conduire et combattre les ennemis de la foi.

    Notre Seigneur me dit : « Pour vous, mon enfant, je vous donne le flambeau de la foi pour vous conduire dans les différents hasards, dans les mauvaises rencontres et dans les lieux de ténèbres par où il faudra que vous passiez. Vous serez attaquée et contrariée à cause de mon Église et de moi-même, en défendant mon Évangile contre les arguments diaboliques que vous aurez à combattre. Mais je vous le dis encore : Soyez fidèle à suivre et à pratiquer l’esprit de la foi. »

Le don de la foi est un don tout spirituel.

    Je demandai à Notre Seigneur, en toute humilité, pourquoi le cierge que je voyais, et qu’il m’avait mis entre les mains, ne se faisait point sentir au toucher? Notre Seigneur me répondit: « Mon enfant, cette sorte de grâce est trop sainte et trop divine pour être sensible aux sens. Elle vous est donnée pour renforcer votre foi, et pour combattre les ennemis de la foi. Pour l’ordinaire, les grâces que je donne pour fortifier ou pour augmenter la foi sont toutes spirituelles, et pour l’ordinaire elles ne tombent point sous les sens. »

    Je dis encore : Seigneur, quand vous m’avez dit de recevoir le cierge entre mes mains, pourquoi ai-je ressenti une si grande contention dans tout mon corps et dans tous mes membres, pour avoir remué un peu mes bras et mes mains avec effort, afin de saisir le cierge que vous me présentiez ? Notre Seigneur me répondit : « Mon enfant, j’ai agi de la sorte exprès pour vous faire voir et connaître que le don que je vous faisais était tout spirituel, que  les sens n’y avaient presque point de part, et étaient comme interdits. »

Effets que la lumière de la foi a opérés dans la Sœur. Son obéissance et sa soumission à l’Église catholique.

    Je suis obligée de marquer ici les impressions que ce don du flambeau de la foi a faites dans mon âme. Au moment où je le reçus, il éclaira mon entendement par une lumière surnaturelle, qui me fit voir, presque dans un seul instant, comment il fallait observer les vérités de la foi et de la religion catholique, y être soumis, et obéir à notre mère la sainte Église, comme à Dieu même! Je voyais (comme par un je ne sais comment que je ne puis expliquer) cette lumière qui me traçait un chemin raccourci pour aller droit à Dieu.

Son zèle pour conserver sa foi et la défendre contre ceux qui l’attaquaient.

    Voici ce qu’elle a encore opéré en moi, quand j’eus le malheur de sortir de ma communauté. Elle me servit, dans mon intérieur, de conduite et d’avertissement contre toutes sortes de dangers, et de sauvegarde contre mes ennemis en me préservant plusieurs fois de tomber entre leurs mains. Quand j’ai été attaqué par mes ennemis, elle m’a mis dans la bouche ce que je devais répondre pour défendre ma foi; car Dieu a permis que je fusse attaquée par plusieurs ennemis de la foi qui m’avaient prise à partie, afin de me convertir, disaient-ils, et de m’attirer dans leurs pièges. C’est alors que j’éprouvai combien la grâce est puissante dans les périls; elle mettait dans mon cœur et dans ma bouche ce qu’il était à propos de répondre pour Dieu et la religion. J’eus recours au livre de l’Évangile, priant le Seigneur de m’en donner, par sa grâce, l’intelligence, afin de le leur expliquer, et d’y prendre des armes pour combattre les arguments diaboliques qu’ils se plaisaient à me faire.

    Quelquefois, voyant qu’ils étaient vaincus par mes réponses, et que les personnes qui étaient présentes se mettaient à rire, ils s’irritaient, et leur esprit se troublait. Moi, quand je voyais cela, je me retirais jusqu’au moment où on me rappelait, et où l’on me faisait revenir à une nouvelle attaque, dans laquelle il me fallait combattre sur d’autres articles de la foi, ou sur d’autres points de l’Évangile.

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    Ce Dieu de bonté me protégeait de si près, que je trouvais dans le saint Évangile, que je lisais et que je méditais tous les jours, de nouvelles grâces et de nouvelles lumières, qui me servaient de secours contre mes ennemis. Quand j’étais rappelée au combat, j’y retournais par obéissance à mes confesseurs, qui m’en avaient donné la commission.

    Je ne puis dire le nombre d’assauts que j’ai eu à soutenir contre eux : quelquefois même ils venaient me sonder sur quelque matière des plus importantes. Ce Dieu de bonté ne permit jamais que je restasse une seule fois sans leur répondre à propos, et sans les convaincre qu’ils étaient dans l’erreur, et cela en leur expliquant ce que j’avais lu dans le saint Évangile, et ce que Notre Seigneur y avait dit. Je rapportais les points de l’Évangile pour confondre plusieurs de leurs objections. Quelquefois ils me faisaient des arguments si sots et si humains, en mêlant le spirituel avec le naturel; d’autres fois ils me disaient des choses si embrouillées sur plusieurs points de doctrine entremêlés les uns dans les autres, que je ne savais plus que leur répondre ». Comme ils me prônaient tout cela, je ne faisais que crier vers Dieu : Mon Dieu ! assistez-moi et secourez-moi !

La Sœur reçoit de Dieu une assistance spéciale. Elle convertit plusieurs ennemis de la foi.

    Voyez ici ce que peut la grâce dans les plus faibles sujets, dans une pauvre fille de laboureur, qui ne sait ce que c’est que d’avoir étudié, ou d’avoir appris quelque chose, surtout en matière de leur théologie diabolique, qui lance son venin partout, et qui tourne le bien en mal. Quand il est arrivé que Dieu voulait me laisser vide au moment où il fallait parler, pour me faire mieux connaître sa grâce, et pour, lui en rendre tout honneur et gloire, c’était dans ces moments-là que Dieu permettait que je parlasse plus longtemps et plus à propos : tout-à-coup la lumière éclairait mon entendement, et des heures et demie entières se passaient quelquefois, sans que je cessasse de parler.

    Un jour, plusieurs personnes étaient venues au lieu où se passaient tous nos débats; je me trouvai dans le cas que je viens de rapporter; tout-à-coup la lumière de Dieu que je suivais dans mon esprit, et qui me faisait parler, vint-à me manquer; je ne voyais plus goutte, et je prononçais une parole sans savoir ce que j’allais dire après. Mais qui n’admirera la bonté de Dieu! dans un clin-d’œil, sans que j’eusse cessé de parler un moment, il me mit dans l’esprit et à la bouche un sujet admirable, qui servit à me faire connaître comment il fallait se délivrer de l’hérésie, qui me fournit les moyens de la combattre, et qui me donna de l’occupation pendant bien du temps. Ce Dieu de bonté, par sa grâce, fut vainqueur, et il en tira sa gloire; et moi, je fus préservée de l’hérésie. Il y en eu trois ou quatre de ceux qui m’écoutaient, qui se déclarèrent ouvertement pour la bonne religion, mais particulièrement un qui était plus entêté que les autres, et qui, après s’être bien troublé, s’était fâché contre moi quand il s’était vu vaincu, et qu’il n’avait plus su que me dire.

On l’attaque sur le mystère de l’incarnation, et on lui objecte la mauvaise conduite des prêtres et des religieux.

    Le sujet qui me causa plus de peine et de difficulté, fut le mystère de l’Incarnation du Verbe. Ils ne voulaient admettre J. C. que comme homme, avouant qu’il avait été crucifié et qu’il était mort, mais ne voulant pas croire qu’il fût ressuscité.

    Il y eut encore une autre chose qui me chagrina le plus; parce que je ne trouvais guère de réponse à y faire; c’est qu’ils se jetaient sur la conduite des personnes consacrées à Dieu, des prêtres, des religieux et des religieuses. Ils me détaillaient leurs défauts, en les calomniant à faux et à vrai, en blâmant leur libertinage, en traitant d’avarice leur amas de richesses, et en disant cent autres choses qu’il n’est pas permis de répéter. Ils traitaient la confession de folie, et les confesseurs de ridicules: je ne pouvais répondre à tout cela que par les paroles que Notre Seigneur a dites dans l’Évangile, sur ce qui regarde le Sacrement de pénitence et ses ministres; et j’ajoutais que s’il se trouvait quelque Judas dans la compagnie des apôtres, c’est-à-dire, dans toute la sainte Église, parmi ses ministres, l’autorité de J. C. n’était pas moins estimable, respectable, à craindre et à redouter par ses jugements; et sur cela je les citais au jugement de Dieu avec toutes leurs faussetés et leurs discours pervers, et je leur demandais si alors ils seraient écoutés. Mais, par la grâce de Dieu, il y en eut plusieurs qui reconnurent qu’ils s’étaient trompés, et qui allèrent à confesse; de sorte que, avant que je sortisse du canton où je demeurais, plusieurs eurent le bonheur de communier, furent bien fermes dans la foi, et montrèrent bon exemple par leur piété.

Trait admirable d’une foi simple et généreuse dans une pauvre femme de la campagne.

    Voici encore un petit mot pour faire voir combien la grâce est admirable dans les âmes qui lui sont fidèles et qui l’écoutent. Je rencontrai un jour une petite femme de campagne, qui me pria de lui lire l’Évangile du dimanche des Rameaux, en se plaignant beaucoup de ce qu’on n’avait plus de prêtres, ni personne pour annoncer la parole de Dieu. Je lui fis cette lecture

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avec plaisir : après avoir lu cet évangile, avant de le lui expliquer, et pour connaître si elle était instruite, je lui demandai ce que voulait dire tel point; elle me répondit : Ma Sœur, je ne puis pas le savoir, je ne sais point lire du tout; je n’ai d’instruction que celle que les prêtres m’ont donnée dans mon enfance pour faire mes pâques, et que celle du monsieur prêtre qui nous prêchait dans notre paroisse. J’insistai : Eh bien, ma bonne amie, dites-moi ce que vous pensez en vous-même sur ce point-là. Elle me répondit au plus juste selon la vérité de la foi. Je parcourus tous les autres points de cet évangile, et je commençai à lui demander encore ce qu’elle en pensait, et ce que cela voulait dire. Elle me répondit, et (autant que je pouvais le connaître en Dieu) elle m’expliqua tout dans la vérité de la foi, et dans les lumières du Saint-Esprit; et même sur des points où je voulais l’instruire, c’était plutôt elle qui m’instruisait, et me faisait connaître des vérités; que je ne connaissais pas.

    Je me mis à l’interroger sur les vérités de la foi, et sur les dispositions nécessaires et requises pour confesser sa foi, même au péril de sa vie. Je puis vous dire que cette petite femme m’enchantait; je trouvai en elle, par ses réponses, que son âme était aussi ferme qu’un rocher, pour soutenir toutes les différentes persécutions et tribulations qu’il plairait à Dieu de lui envoyer, ou à son mari ou à ses enfants. J’en vins jusqu’à lui, dire : Mais, ma bonne amie, s’il s’agissait d’un point de la foi qu’il fallût nier, sinon votre mari, vos enfants et vous-même seriez condamnés à une mort cruelle par un genre de supplice terrible !… Je lui représentai même la tendresse de ses petits enfants…. Son cœur s’épanouit par un sentiment d’amour de séraphin; et elle me dit: Ma Sœur, moyennant la grâce de Dieu, je ne nierai jamais ma foi, et je ne céderai jamais aux tyrans pour tous les supplices qu’ils pourraient me faire souffrir…. C’était pour l’amour de Dieu qu’elle se faisait un plaisir, et comme un triomphe, de voir mourir son mari et ses enfants y et de mourir avec eux pour J. C. et pour une si bonne cause.

    J’admirai en moi-même tous les bons mouvements que la grâce avait opérés dans cette femme par sa fidélité. Je ne pus, avant de la quitter, que lui recommander la persévérance, l’engager à la demander à Dieu pour tout le reste de sa vie, à ne point chercher d’autre voie que celle où le Saint-Esprit l’avait mise, à suivre toujours ce beau chemin des vérités de la foi et de l’évangile, et à l’apprendre à ses enfants.

§. VI.
Sur la foi, l’espérance et la charité, vertus fondamentales du salut.

La foi, l’espérance et la charité, trois vertus nécessaires pour le salut.

    Il faut que je m’explique ici sur ce que je vois en Dieu touchant les vertus de la foi, de l’espérance et de la charité chrétienne. Par exemple, je vois en Dieu que pour faire un bon chrétien, il faut qu’il ait une foi vive et animée; je veux dire une foi qui se montre par les œuvres; qu’il faut que cette foi soit accompagnée d’une ferme espérance, fondée sur les mérites de J. C., que ce divin Sauveur a mis comme en dépôt dans le sein de la sainte Église, et d’une grande confiance; qu’en observant avec amour la loi de J. C., que nous avons tous promis par vœu d’observer dans notre baptême, et qu’étant fidèles à la grâce que J. C. a imprimée dans notre âme au saint baptême par la foi, l’espérance et la charité, il parviendra au salut éternel.

La foi, l’espérance et la charité, principe et lien des autres vertus.

    Ces trois vertus se soutiennent et s’animent les unes par les autres, et je vois en Dieu que quand elles sont bien établies dans une âme qui en pratique les actes avec les vertus chrétiennes qui en dépendent, ces trois divines vertus ont encore cette puissance d’attirer à elles toutes les autres vertus dans l’âme, et de les unir encore plus étroitement, par un lien tout divin, à la foi, à l’espérance et à la charité. C’est en cela, et dans ce sens, que je vois en Dieu ce qui fait le parfait chrétien.

Notre Seigneur, pendant sa vie mortelle, exigeait un acte de foi de ceux qu’il voulait guérir.

    Lorsque Notre Seigneur, pendant sa vie mortelle, habitait sur la terre, et parcourait le monde pour établir son Évangile et convertir les pécheurs par sa sainte parole, j’ai remarqué une chose qui me donna un grand courage pour m’attacher de plus en plus aux vérités de la foi, et cela par une foi vive qui corresponde aux trois vertus théologales. Voici donc ce que j’ai remarqué dans le saint Évangile, prêché par Notre Seigneur. La première parole qu’il adressait ordinairement aux pécheurs, quand il voulait opérer la guérison du corps et de l’âme, était celle-ci: Croyez-vous, ou avez-vous de la foi? Ces pauvres pécheurs répondaient : Oui, Seigneur, je crois. Cet adorable Sauveur n’avait pas besoin de les interroger pour savoir s’ils avaient de la foi; il voyait l’intérieur de leur cœur, et il savait mieux que ces pauvres pécheurs s’ils en avaient ou non. Mais voici ce que le Seigneur me dit: « J’ai usé de cette interrogation avec mon peuple, pour lui faire connaître que c’était à cette vertu de la foi que je voulais lui donner mes grâces et lui accorder ses demandes, et en même temps

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(191-195)

» pour montrer aux siècles à venir l’estime que je faisais du précieux trésor de la foi. Combien de fois, me dit notre Seigneur, me suis-je servi de ce terme, en annonçant ma sainte parole ! Celui qui croit en moi sera sauvé; mais celui qui n’y croira pas est déjà jugé. »

Hors de l’Église, comme hors de la foi, point de salut.

    Je vois en Dieu que hors de la sainte Église point de salut, comme aussi hors de la foi point de salut. Tremblons, et ayons toujours peur de n’avoir pas ce précieux trésor de la foi; je veux dire, cette foi vive, animée, accompagnée de l’espérance et de la charité, et en même temps de toutes les vertus que Dieu demande, et qu’il nous accorde par ses grâces pour devenir de bons chrétiens. Prions sans cesse Notre Seigneur qu’il nous donne ce précieux trésor de la foi; disons-lui, comme ce pauvre pécheur de l’Évangile, à qui Notre Seigneur demande s’il croyait en lui. Comme il sentait sa foi chancelante, il répondit : Je crois, Seigneur, mais augmentez ma foi.

Élans d’amour de la Sœur.

    Je vois en Dieu la raison pour laquelle Notre Seigneur se servait presque toujours du motif de la foi, sans parler du motif de l’espérance, ni de celui de la charité, qu’il est venu apporter sur la terre pour embraser les cœurs de tous ses fidèles. Ce Dieu, qui n’est qu’amour, nous a fait le commandement si beau et si saint de l’aimer. Ce divin amour, selon le bon saint Paul, est au-dessus de toutes les autres vertus; il n’a point fait difficulté de dire que la charité était au-dessus de la foi et de l’espérance; et je vois en Dieu que l’amour attire à soi toutes les autres vertus comme en triomphe, et les convertit toutes en amour. O amour! ô saint amour! qui brûlez toujours sans jamais vous consumer: ô amour de toute éternité! ô amour éternel qui ne finira jamais, et qui durera toujours, oui, éternellement tant que Dieu sera Dieu.

    Je vois en Dieu, et la raison de la foi nous le révèle même, que lorsqu’un fidèle chrétien, à l’heure de la mort, quittera l’Église militante pour aller s’unir, par les mérites de J. C., et à l’Église triomphante; ce sera alors que la foi et l’espérance ne seront plus rien. Les bienheureux verront alors ce qu’ils auront cru par la vertu divine de la foi; ils posséderont entièrement tout ce que la vertu de l’espérance leur donnait à espérer; mais pour la charité, elle viendra les inonder de toutes parts comme un poisson est au milieu de la mer; et pendant toute l’éternité ils seront comme abîmés dans des torrents de délices de l’amour, et du triomphe qu’ils auront de posséder cet amour : ils ne vivront plus que dans l’amour et pour l’amour.

Raison pour laquelle Notre Seigneur recommande la foi sans parler de la charité. La foi, principe de la charité.

    Je vois en Dieu la raison pour laquelle Notre Seigneur recommande tant la foi à son Église, que même il l’a établie la première des trois vertus théologales. J’ai connu que c’est la vertu de la foi (ce flambeau tout divin, qui éclaire l’âme, comme je l’ai déjà dit ), qui a la propriété admirable d’élever l’âme à la connaissance de Dieu, de ses attributs, et particulièrement de sa bonté infinie, de sa grande miséricorde, et de sa charité inépuisable, avec lesquelles il souffre les pécheurs dans leurs crimes, auxquels son amour infini tend toujours les bras pour les recevoir à pénitence.

    Cette même foi fait encore voir à l ‘âme que ce même Dieu, si plein de bonté, si le pécheur abuse de sa patience et de ses grâces, sans retourner sincèrement à lui par les mérites de J. C. et par la pénitence, ce Dieu tout puissant tournera son amour et sa bonté en un courroux implacable et dans de justes châtiments.

La conversion des pécheurs s’opère par la foi.

    Lorsqu’une âme se laisse toucher et qu’elle ouvre les yeux à ces vérités si essentielles à son salut; lorsque le flambeau de la foi, je le répète encore, les lui fait connaître et comprendre; lorsqu’elle dit, à la vue de ces vérités qui l’ont frappée et touchée: c’en est fait, je me rends et je me donne à ce Dieu tout-puissant pour tout ce qu’il voudra faire de moi; c’est ici un grand acte qu’elle produit par la vertu de la foi. Je vois que cette âme est semblable aux pauvres pêcheurs qui répondaient à Notre Seigneur, lorsqu’il était sur la terre : Oui, Seigneur, je crois; et que Notre Seigneur, sur cette parole , répandait sur eux des trésors de grâces.

    Je vois en Dieu que c’est ce que Notre Seigneur fait encore tous les jours à l’égard de tant de pauvres âmes qui sont ensevelies dans les ténèbres et les ombres de la mort du péché. Il les frappe d’abord par la clarté des belles vérités de la foi, et par là, il les prépare de plus en plus à recevoir l’abondance de ses grâces; car, après que cette foi leur a fait connaître Dieu, et qu’elles entrent dans cette connaissance par un vrai désir d’être tout à lui, c’est alors que Dieu répand sur ces âmes ses grâces à pleines mains.

    Je vois en Dieu que cette âme fortunée qui n’entrevoyait encore que les simples rayons de la foi, dans le moment sent naître en elle, par les connaissances qu’elle a conçues par la vertu de la foi, une ferme espérance dans les bontés et la miséricorde de Dieu, fondée sur les mérites de J. C. C’est sur ces saintes dispositions que le feu sacré de la charité de J. C. s’allume dans

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(196-200)

cette âme, et qu’il la ressuscite, l’anime et la fait vivre dans toutes les pratiques des bonnes œuvres, dans la charité de J. C., et par la charité de J. C., quand elle lui est fidèle.

Effets de la charité dans une âme.

    Je vois en Dieu que cette belle reine des vertus de l’amour de Dieu, lorsqu’elle est entrée dans une âme, elle la fait vivre en elle et par elle; elle convertit tout en amour et pour l’amour; elle n’est jamais oisive; elle va toujours croissant jusqu’à ce qu’elle ait conduit l’âme dans le sein de Dieu même, qui est la vie éternelle; et je vois en Dieu qu’une âme rebelle à cette reine des vertus, qui, par sa méchanceté, ne veut pas suivre son divin mouvement, et qui l’oblige à la quitter, abandonne la vie pour tomber dans la mort.

Sort déplorable des âmes qui vivent et qui meurent sans charité.

    Je vois encore en Dieu, et je le répète, qu’une âme sans l’amour de Dieu est sans vie, et que l’amour de Dieu est plus la vie de notre âme, que notre âme n’est la vie de notre corps. Hélas! je tremble pour moi et pour toutes les âmes qui auront le malheur, à la fin de leurs jours, de mourir sans amour; car je vois en Dieu que ces pauvres âmes n’ont point de vie, et sont mortes pour la vie éternelle et bienheureuse de cette charité divine qui fait vivre dans le sein de Dieu même. Ah! pauvres âmes! elles ne vivront jamais que pour souffrir éternellement. En punition de n’avoir jamais voulu aimer Dieu pendant leur vie, elles n’aimeront jamais ce Dieu si aimable, et, par conséquent, privées de ce divin amour, elles seront mortes pendant toute l’éternité. Hélas! hélas! je vois en Dieu que la plus grande partie des âmes se sont perdues pour avoir violé ce grand commandement si saint et si divin de l’amour de Dieu !….

    Pendant qu’elles vivaient sur la terre elles n’ont été chrétiennes que de nom, et ont laissé, pour ainsi dire, éteindre en elles la foi, l’espérance et la charité, qui sont les vertus fondamentales de la religion et du salut; elles ont passé leur vie dans une certaine lâcheté, tiédeur et indolence sur ce qui regarde l’affaire de leur salut et dans un oubli volontaire des vœux de leur baptême. Par-là, la foi, en elles, était une foi morte qui n’avait plus aucune vigueur : leur espérance était vaine; l’amour divin s’est éteint et les a abandonnées, car cet amour divin ne peut habiter dans un cœur où la foi s’éteint.

Le chrétien qui vit sans charité se livre bientôt aux plaisirs sensuels et perd la foi.

    Ce que je vois de plus triste, c’est que cela se fait dans les âmes presque sans qu’elles s’en aperçoivent: après avoir traîné plusieurs années de leur vie dans la mollesse, la nonchalance et l’engourdissement sur ce qui regarde le service de Dieu et leur salut, n’ayant d’activité et de vigueur que pour leurs passions et leurs plaisirs déréglés, elles finissent par attacher leur cœur à tous les plaisirs défendus et même criminels.

    Je vois en Dieu que ces âmes ne se nourrissent et ne vivent que de la nature, et de la nature corrompue. Ces pauvres âmes sont aveuglées et comme absorbées par les plaisirs des sens; de sorte qu’à bien les considérer comme étant étroitement unies à un corps de chair, de spirituelles qu’elles étaient, elles deviennent toutes naturelles et toutes charnelles, de sorte qu’elles ne peuvent plus trouver de nourriture que dans les plaisirs naturels et sensuels.

    Qu’on leur parle de la sainte religion, ou des vérités de la foi, elles n’en connaissent presque plus rien véritablement, parce que dans le fond de leur cœur elles ne veulent plus croire que ce qui leur plaît; elles rejettent plusieurs articles de la foi et font semblant de croire aux autres. Et d’où vient cette vicissitude dans une âme si sainte et si divine de sa nature? Je vois en Dieu que cela vient de ce qu’elles n’ont plus de foi, elle est éteinte en elles, elles ne parlent plus, elles n’agissent plus que par la nature. Ce qui cause leur entier aveuglement, en matière de foi, c’est que la nature, accoutumée à se nourrir des plaisirs sensuels, veut toujours voir ou sentir, pénétrer ou connaître quelque chose en matière de foi : ainsi elles ne peuvent plus croire aux choses spirituelles, qui ne tombent point sous leurs sens. O malheur, malheur, malheur à ces âmes aveugles qui se sont elles-mêmes aveuglées volontairement !

La perte de la foi, cause de tous les maux de l’Église.

    Je vois en Dieu que ce sont ces malheurs qui ont produit et nourri tant de schismes et d’hérésies dans le monde, depuis le commencement de l’Église jusqu’à présent; qui ont précipité tant d’âmes en enfer; qui ont fait répandre tant de sang, et qui ont été les causes de tant de guerres et de carnage.

La Sœur, dans son enfance, entend une instruction de son curé sur la certitude de la foi. Ses réflexions à ce sujet.

    À l’âge de sept ou huit ans, mes parents me menèrent avec eux à la sainte messe. Le recteur fit son prône sur les vérités de la foi et des religions, et sur ce qu’il fallait faire croire et faire pour être sauvé. Il nous dit qu’il ne fallait point nous fier à nos sens qui étaient trompeurs; que la foi ne tombait point sous les sens; qu’il fallait appuyer sa foi sur la parole de Notre Seigneur, et croire tout ce qu’il avait dit et révélé, et tout ce que l’Église nous propose de croire. Ce bon ministre du Seigneur nous apporta un exemple sur-le-champ. Les rayons du soleil passaient à travers des vitres, et se rendaient jusqu’au pied de la chaire. Voyez-vous, dit-il, ces rayons du Soleil ? Oui. Il est bien certain que

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(201-205)

le soleil rayonne, puisque voilà ses rayons devant vos yeux. Eh bien! ce que la foi nous propose est sans aucun doute plus véritable qu’il n’est vrai que nous voyons le soleil par la clarté de ses rayons; parce que nos yeux, qui ne voient que ce qui tombe sous les sens, peuvent nous tromper, et que la foi ne peut jamais nous tromper.

    J’écoutais avec une grande attention, et Dieu me fit la grâce d’ouvrir mon esprit aux grandes vérités qui m’étaient annoncées. Mais l’exemple des rayons du soleil m’étonna grandement, et me donna beaucoup à réfléchir dans mon intérieur, et je me disais à moi-même: Il est bien sûr que c’est le soleil, puisqu’il rayonne; mais il faut que je m’attache uniquement à ce que l’Église m’enseigne par ses ministres; il faut que je croie de la manière qu’ils m’enseignent. Je revenais à raisonner en moi-même d’une autre façon, en disant: Il faut que notre religion soit bien sainte, puisque la foi qui nous la fait observer, est si spirituelle et si divine, que nos sens ne peuvent rien découvrir; puisque les beaux mystères de notre religion ne tombent point sous nos sens, et puisque je ne vois rien et ne découvre rien.

    Je me redisais encore, étant hors de l’Église, et faisant réflexion sur ce que j’avais entendu: Mon Dieu, ayez pitié de moi, donnez-moi votre Esprit saint et l’intelligence, afin que j’aie la foi, et que je croie toutes les vérités qui me sont enseignées; faites que je croie, non point par un motif naturel, mais plutôt par des pensées spirituelles et divines, puisque cette sainte vertu est toute spirituelle et toute divine. Je me disais encore: Si mes sens viennent me troubler et me porter à raisonner, je les mettrai de côté par un acte de foi; je les mépriserai comme une nature animale qui ne sait ce qu’elle dit, et qui peut me tromper.

Attention de la Sœur à s’instruire des vérités de la foi, et à se bien affermir dans cette vertu.

    De temps en temps, pensant à ma religion que l’on m’enseignait tous les jours, je m’informais si ce qu’on m’apprenait était un article de foi, et on me répondait ordinairement que oui, et qu’il fallait le croire pour être sauvé. J’eus grand soin, en particulier, d’apprendre les trois vertus théologales, et de bien remarquer ce qu’elles signifiaient, et l’explication qu’en donnaient les prêtres. Mais ce qui me donna le plus d’ouverture, ce fut la lumière que je reçus de Dieu, par sa divine grâce, dans l’explication des articles du Credo en français. Je trouvais cela admirable, et je disais: Seigneur! que votre loi est sainte ! On m’apprit à croire en Dieu, Père tout-puissant; et réfléchissant en moi-même, je disais : Oui, mon Dieu, je crois en vous, et cela sur votre sainte parole.

La foi soutient la Sœur dans toutes ses tentations.

    Ma foi s’affermissait à mesure que j’avançais en âge; par la grâce de Dieu, je me suis toujours conduite par les lumières de la foi, et d’une foi nue, séparée de toute sensibilité de la nature. Dans tout le cours de ma vie, la foi a été mon trésor et ma consolation. Dans tous mes mauvais jours, je veux dire dans le cours des tentations les plus violentes et les plus opiniâtres, que Dieu a voulu me faire éprouver, contre la foi et contre les principaux mystères de notre sainte religion, quelquefois lassée et importunée par le démon qui revenait toujours à la charge avec ses traits empoisonnés, voici, par la grâce de Dieu, l’arme que j’avais toujours en main. C’était la foi; et je disais, en élevant mon cœur droit à Dieu : Mon Dieu ! je crois, et je suis prête à souffrir tout ce qu’il vous plaira, et à sacrifier ma vie pour ma foi. Parce mot, je crois, je disais à Dieu que mon cœur croyait généralement à tous les articles de la foi, à ceux que je ne connaissais pas, aussi bien qu’à ceux que je connaissais. C’est ainsi que dans le fort même de ma tentation, je trouvais, par ma foi, un grand secours, et une force accompagnée d’un nouveau courage, pour embrasser et croire toutes les vérités de la foi, même au péril de ma vie.

La foi guide dans les choses extraordinaires, dans lesquelles on court le risque de se tromper et de se perdre.

    La foi a été ma consolation, non-seulement dans mes tentations, mais encore dans plusieurs choses extraordinaires qui se sont passées en moi, comme visions, révélations, et plusieurs circonstances qui ne sont pas communes, et dont Dieu a voulu m’affliger. Sur ce point, j’ai connu que dans ces choses extraordinaires on court grand risque de se tromper, de tomber dans l’illusion, et de se perdre à cette occasion. La foi était mon guide et ma consolation. C’était en elle que je mettais ma force et toute l’affection de mon cœur, regardant tout l’extraordinaire comme avec indifférence, pour ne pas dire avec aversion, et avec une si grande opposition, que je craignais parfois d’aller contre la volonté de Dieu et de l’offenser. Tout ce que je faisais alors, c’était de m’attacher fortement aux chères colonnes de notre Mère la sainte Église, qui sont la foi, l’espérance, la charité et les bonnes œuvres.

Elle préfère la présence de Notre Seigneur par la foi, à sa présence sensible par l’apparition.

    Par exemple, cette foi vive me fait croire Dieu plus véritablement présent dans nos saints mystères et au saint sacrement de l’autel, que si, par une grâce extraordinaire, il m’apparaissait et se laissait voir à moi, soit des yeux du corps, par une vue sensible, soit des yeux de l’âme, par une vue intellectuelle, avec une intime conviction que ce fût véritablement Notre Seigneur.

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(206-210)

    Voici comme, par la grâce de Dieu, j’en ai usé dans plusieurs circonstances où la présence de Notre Seigneur me paraissait d’une manière extraordinaire. Lorsque je me trouvais en la présence de Notre Seigneur, devant le saint Sacrement, craignant toujours d’être trompée, j’avais recours à la foi, et je disais en moi-même: si c’est là le bon Dieu, je ne lui déplairai point par la foi. Je me prosternais et adorais Notre Seigneur dans le saint Sacrement, par un acte de foi, en disant: Seigneur, je crois fermement que vous êtes vrai Dieu et vrai Homme; que vous êtes au très-saint Sacrement de l’autel; et c’est là, mon Seigneur, que je vous vois et vous contemple des yeux de la foi. Quand j’éprouvais ou que j’entendais quelques révélations, j’avais grand soin, par la grâce de Dieu, de les examiner sur-le-champ, avec le flambeau de la foi; et quand j’apercevais quelque chose qui était opposé à la foi, je le rejetais, et j’y renonçais avec horreur. Sans la foi il y a longtemps que j’aurais été perdue. Cette foi a été ma lumière dans le temps de ces ténèbres que Satan jeta tant de fois dans mon esprit par le moyen de mes passions, et des tentations qu’il me suscita.

Un vrai chrétien doit être dans la disposition de tout perdre et de tout souffrir pour la foi dans les temps malheureux où nous sommes.

    Je vois en Dieu qu’un véritable chrétien, dans tous les états, doit être dans la disposition de tout perdre, de tout souffrir, et même de donner sa vie pour la foi. Pour être parfait chrétien, et pour pouvoir conserver sa foi dans les pas dangereux de la vie, et particulièrement dans les mauvais jours où nous sommes, et où seront tous les chrétiens, dans tous les malheurs qui arrivent et qui arriveront d’ici à la fin du monde, il faut avoir recours à l’espérance et à la charité.

ARTICLE IV.

Sur la perfection à laquelle sont appelées les personnes consacrées à Dieu. Jusqu’où s’étend l’obligation des vœux de religion. Abus qui se sont introduits dans les communautés, tant d’hommes que de femmes. Comment doivent se comporter dans le monde les religieuses que la révolution a mises hors de leurs communautés.

§. 1er.

Communautés religieuses déchues de leur ferveur, et perverties par le défaut de vocation et par l’esprit du monde qui s’y est introduit. Quelles sont, dans l’Église les âmes les plus chères à Notre Seigneur.

    Ce traité parle de la vigne du Seigneur, je veux dire des communautés de religieux et de religieuses; de la différence qu’il y a des bonnes d’avec les mauvaises; de l’examen qu’il faut faire des vocations pour la vie religieuse, afin de pouvoir distinguer celles de Dieu de celles du démon; car la plus grande partie des religieux et des religieuses se perdent en religion par abus, mauvaises coutumes, et particulièrement par l’esprit du monde.

Plaintes de Notre Seigneur sur les communautés perverties par l’esprit du monde.

    Notre Seigneur me dit: « Ma vigne est toute désolée, des voleurs y sont entrés dans le secret et dans le silence de la nuit; ils l’ont entièrement ravagée; ils ont détruit ou emporté tout ce que j’y avais mis de plus cher et de plus précieux; elle a dégénéré en fruits sauvages et amers à mon cœur: le bon raisin que j’attendais n’est plus que du verjus; elle est devenue la risée de mes ennemis, et les passants l’ont foulée aux pieds. Je l’ai permis ainsi, dit le Seigneur, dans ma colère. »

    Je connus en Dieu que ces voleurs de nuit, qui étaient venus dans le secret, étaient le maudit esprit du monde, qui s’était insinué adroitement, et sous le prétexte de piété, dans le plus grand nombre des communautés religieuses de l’un et de l’autre sexe.

Esprit du monde introduit dans les communautés par mauvaises vocations.

    Voici ce que me dit le Seigneur: « Voyez ces communautés mondaines, et comme leurs esprits sont remplis de l’esprit du monde. » Dieu me fit voir même, dans leur intérieur, comment l’esprit du monde y était entré par les mauvaises vocations, je veux dire par des vocations machinées par le diable. Quand les démons voient une bonne communauté, vide de l’esprit du monde, remplie de l’esprit de Dieu, et dans laquelle les âmes sont attachées toutes ensemble à remplir leurs devoirs et à plaire à Dieu, ils enragent de dépit; et ne trouvant point d’ouverture pour l’attaquer, ils se disent en eux-mêmes : il faut que nous y fassions entrer des filles mondaines, en leur faisant accroire qu’elles ont de la vocation pour être religieuses, et que Dieu les appelle à telle communauté.

Jeunes personnes du monde qui se font religieuses par dépit.

    Il y a des filles qui sont si mondaines, que quelquefois, à la sortie du bal, où elles ont éprouvé quelque disgrâce, elles viendront, par un esprit de murmure et de dépit, à la communauté demander la supérieure, pour lui parler

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(211-215)

en secret de leur vocation, qui est accompagnée, disent-elles, de bons désirs; mais au fond elles n’ont que de faux projets de vertu. Elles prétendent qu’elles sont appelées de Dieu; elles demandent l’entrée de la communauté avec instance et dès le jour même.

La Supérieure les admet, trompée par leurs dispositions bonnes en apparence.

    Cette pauvre Supérieure est enchantée de voir de si bonnes dispositions; elle croit que c’est une conquête de la grâce. Lorsque le diable en voit une entrée, il n’en reste pas là, il en fait venir d’autres des villes voisines, et même des villes éloignées, et en peu de temps on verra dans la communauté plus de sept à huit postulantes, qui sont toutes conduites par l’esprit de Satan dans leur vocation.

    Voilà les larrons qui, selon le Seigneur, vont, dans le secret de la nuit, ravager et déraciner sa vigne. Le diable a grand soin de fomenter leur vocation, et de les faire paraître bonnes, tant aux yeux des religieuses qu’à leurs propres yeux. Il leur fait entendre que si elles retournent dans le monde elles se damneront par le plaisir qu’elles éprouvent pour toutes les maximes du monde. Il leur fait voir les bons exemples que les religieuses donnent à l’extérieur, et leur persuade qu’elles en feront bien autant; que la règle n’est pas si difficile, et qu’elles la pratiqueront bien. Le diable a grand soin de les tenir unies dans un même esprit, et dans une même concorde et amitié naturelles. Leurs compagnes du monde, aussi bien que leurs parents, ne manquent pas de venir leur faire de longs entretiens sur les plaisirs du monde, et leur raconter tout ce qu’il y a de plus intéressant et de plus propre à leur faire plaisir.

Les novelles religieuses, après leur admission, forment des liaisons secrètes et se préparent des plaisirs.

    C’est ainsi que le démon commence à faire une brèche à cette communauté, en y introduisant l’esprit du monde par la fréquentation de la grille. Ces prétendues postulantes cabalent déjà ensemble, poussées par l’esprit de Satan; et quand elles sont hors de la présence de la maîtresse, c’est alors qu’elles s’ouvrent leurs cœurs, et se font part réciproquement de leurs sentiments.

    Il s’en trouvera quelqu’une qui dira: Comment, ma bonne amie, pouvons-nous sacrifier tant de plaisirs et tant de divertissements que nous goûtions au bal, au jeu, avec telle et telle personne? D’autres l’encourageront, en répondant: Comment, ma bonne amie, les religieuses de cette communauté n’ont-elles pas bien sacrifié tous ces plaisirs? Ne crains point, ajoutent-elles aussitôt, nous serons toujours pour la vie tes bonnes amies : nous te dédommagerons par tout ce que nous pourrons des plaisirs que tu auras perdus. Unies ensemble de cœur et d’esprit, nous sommes capables de nous faire à nous-mêmes notre bonheur. Au surplus, nous verrons à la grille tous nos amis et nos parents qui nous parleront et nous réjouiront le cœur en nous entretenant des conquêtes que fait le monde. Nous nous, ferons des amies, se disent-elles encore entre elles, de celles qui viendront, et nous nous unirons avec les jeunes religieuses qui ne sont pas déplaisantes : elles forment ensemble des liaisons diaboliques, et se promettent les unes aux autres de se faire religieuses.

Elles dissimulent et trompent leur maîtresse et la Supérieure pendant leur noviciat.

    Elles s’instruisent entre elles comment il faudra répondre à la maîtresse quand elle leur fera rendre compte de leur vocation, et elles se gardent mutuellement le secret des projets et complots qu’elles ont formés ensemble.

    Cette pauvre maîtresse interroge toutes ces postulantes : elle demande à celles qu’elle connaît être mondaines, si elles sentent encore de l’attrait pour les plaisirs du monde, et quel est le motif de leur vocation. Chacune de ces postulantes, qui se sont si bien instruites entre elles, répond : Ma mère, le plaisir que je ressentais pour le monde est ce qui me l’a fait abandonner pour venir me faire religieuse, parce que j’ai réfléchi que si je restais dans le monde, je m’y damnerais et ne pourrais y faire mon salut : voilà le motif de ma vocation; et toutes, les unes après les autres, ont les meilleurs motifs de vocation. On leur donne le saint habit, qu’elles prennent avec répugnance, et dans le cours de leur noviciat elles cabalent toujours ordinairement ensemble; elles n’obéissent que par contrainte; elles se lient comme avec des chaînes pour se captiver à observer la règle de la communauté où elles sont entrées, pour s’abstenir de tous les plaisirs qu’elles pourront prendre par la suite, soit entre elles, soit à la grille; et elles se disent l’une à l’autre: Il faut nous donner de garde, mes sœurs, car si nous allons souvent à la grille, nos bonnes mères nous persécuteront; elles seront toujours après nous : il vaut mieux nous captiver pendant quelque temps.

Après leur profession, elles se livrent en toute liberté à l’esprit du monde, violent les règles, et le mal gagne la communauté.

    Voici enfin le jour où la profession se fait: les voilà toutes religieuses, seulement de nom et d’habit. Elles ne sont pas plutôt assurées de ne plus sortir, qu’elles donnent l’élan, autant qu’il est possible, à toutes leurs inclinations mondaines, et qu’elles prennent l’essor vers la grille, où les attendent toutes sortes de personnes du monde. Dans ces visites, on parle de tous les plaisirs illicites et des maximes mondaines; on prête à ces religieuses plusieurs romans et des livres conformes à leurs inclinations.

    Ces mauvaises religieuses n’obéissent

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(216-220)

que quand les choses ne les gênent point à l’extérieur. Elles se soustraient à l’obéissance en tout ce qu’elles peuvent cacher à leur maîtresse et à la supérieure. Elles font des parties de veiller la nuit, de donner des repas entre elles, et de faire bombance avec des mets friands et préparés à leur goût, que leurs parents et amis leur ont apportés en cachette et contre l’obéissance.

    Je ne finirais jamais si je rapportais tout ce que je vois en Dieu au sujet de ces religieuses, de leurs propres débordements, et de ceux dont elles sont la cause. Bientôt l’esprit de ce maudit monde s’étend sur toute la communauté, et la voilà de sainte qu’elle était, presque toute pervertie.

Bon exemple de quelques religieuses pour la confusion des autres.

    Il reste cependant toujours quelques religieuses qui tiennent bon contre le torrent, gardent le bon ordre, et montrent le bon exemple. Dieu le permet ainsi pour confondre les lâches qui lui sont infidèles. Dieu me fit connaître bien des choses sur le mauvais exemple de cette communauté. J’ai déjà dit que Dieu ne me donnait point ces connaissances en particulier, et qu’il ne s’agissait point, par exemple, de telle communauté, de tel ordre, ou de telle congrégation.

Communautés qui sont à Notre Seigneur, et celles qui sont au démon.

    Dieu m’a fait connaître que si le démon avait ses religieuses dans les communautés, Notre Seigneur avait aussi les siennes, et que si le démon avait des communautés presque toutes à lui, Notre Seigneur avait aussi les siennes; qu’il savait bien les reconnaître, et qu’il en ferait lui-même un jour le triage. Mais ce qui m’affligea beaucoup, c’est que les communautés, tant d’hommes que de femmes, qui sont à Notre Seigneur, sont en plus petit nombre que celles du diable.

L’esprit du monde entre encore dans une communauté par des pensionnaires mondaines.

    Notre Seigneur me fit encore voir que l’esprit du monde entre dans quelques communautés par la grille, et dans d’autres par des pensionnaires mondaines et peu réservées qui se familiarisent avec les religieuses. Par là elles leur font perdre l’esprit de leur état, de telle sorte que leur esprit religieux se change bientôt en esprit du monde séculier. Ces religieuses avaient bien commencé, et étaient véritablement appelées de Dieu, mais malheureusement elles se laissent aller au torrent de l’esprit du monde qui est entré dans toute la communauté. Ces pauvres religieuses finissent mal.

Quelles sont les marques d’une bonne vocation.

    J’ai vu en Dieu que si les filles qui se présentent pour entrer dans la sainte religion, veulent connaître si elles sont véritablement appelées de Dieu, et si leur vocation vient du Saint-Esprit, elles doivent examiner dans le fond de leur cœur quel est le motif qui y domine.

    Le premier point d’une bonne vocation est la haine du monde. Voyez donc si vous haïssez le monde et les maximes du monde comme le péché. Voyez en second lieu si le désir de la pénitence vous anime pour l’amour de Dieu et pour assurer votre salut. Troisièmement, si, par ces motifs, le désir de la pénitence vient à naître dans votre cœur. Ah! pour lors saisissez-le, et rendez grâces à Dieu de ce précieux don, parce qu’il n’est pas donné à tous; ne faites pas comme les religieuses de Satan qui sont trompées, et qui se trompent elles-mêmes par les suggestions du démon qui les rend toutes bouillantes du désir d’être religieuses, et les enthousiasme sur leur vocation, tandis qu’elles ne cherchent qu’à se lancer dans une communauté, sans considérer si leur vocation vient de Dieu ou non, sans faire des réflexions sérieuses sur leur cœur pour voir si leur intention est pure.

Diverses sortes de mauvaises vocations.

    Le diable en trompe un grand nombre. Les unes n’auront pas d’autre motif que la crainte de devenir pauvres dans le monde, n’ayant qu’une très petite fortune, et si médiocre, qu’elles voient bien qu’elle ne suffira pas à leur entretien de la manière qu’elles le voudraient si elles restaient dans le monde. Alors le chagrin et le dépit leur fait prendre cette résolution : Je me ferai religieuse dans telle communauté, parce qu’elle est bien riche et bien en vogue; les religieuses s’y traitent bien, elles ont beaucoup de liberté d’esprit et de commerce avec les gens du monde. Si je m’entretenais avec mon petit revenu, sûrement je ne serais pas si bien nourrie comme je serai là. Elles ont presque tous les jours du vin, toujours du bon cidre, le café et de la liqueur de plusieurs espèces. Je ne puis manquer le reste de ma vie.

    Il y en a d’autres que le diable trompe par un autre motif. À l’occasion d’une jalousie qu’elles ne peuvent supporter, elles vont se jeter dans une communauté pour être religieuses. Dans d’autres, ce sera la perte d’une inclination qui leur échappe. D’autres, enfin, seront entrées en religion par d’autres mauvais motifs. Elles reconnaissent ensuite leur erreur; mais le respect humain les empêche d’en faire l’aveu à leurs parents. Elles aiment mieux exposer leur salut que de sortir de la communauté. C’est ainsi que le démon suscite aux filles toutes sortes d’accidents fâcheux, qui leur servent de prétextes pour se faire religieuses.

Mal que font les religieuses qui sollicitent leurs parentes d’entrer en religion.

    C’est encore un grand mal aux religieuses de solliciter les filles, de les prévenir, ou de les engager à se faire religieuses dans leur communauté. Tantôt

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(221-225)

ce sera une tante qui engage sa nièce, et tantôt une sœur qui attire sa sœur. Ce sont des demoiselles qui n’ont que des vues humaines, et il ne leur en faut pas davantage pour être religieuses.

    Les filles qui sont portées par le démon à se faire religieuses, choisissent toujours la communauté la plus déréglée, et remplie de l’esprit du monde, parce que cet esprit est selon leurs inclinations.

Portrait des communautés mondaines. Plaintes de Notre Seigneur à ce sujet.

    Notre Seigneur m’a fait connaître qu’il y avait des communautés de Satan, qui étaient dans l’abondance et remplies de richesses; ce qui donnait lieu à leurs mondanités. Les religieuses poussaient les choses si loin, qu’elles passaient presque tous leurs jours dans la mollesse et dans la bonne chère avec les personnes du monde, tant au-dehors, à la grille, qu’en dedans; qu’il se faisait des parties de café avec plusieurs desserts les plus sensuels; enfin, qu’on y servait des collations avec du vin et plusieurs sortes de liqueurs; que les gens du monde, de l’un et de l’autre sexe, y venaient se divertir avec les religieuses, qui ne leur cédaient en rien pour boire, manger, rire et se réjouir de concert avec les mondains et les mondaines.

    Notre Seigneur me dit: « Regardez ces religieuses mondaines, comme elles m’outragent, comme elles se sont liées et attachées de gaîté de cœur avec mes ennemis ! Que ne restaient-elles dans le monde ? Leur malheur n’eût pas été si grand; car elles ne sont venues ici que pour rendre leur enfer doublement malheureux. »

    Notre Seigneur me dit ensuite : « Que diriez-vous encore de ces gros abbés qui, sous le titre de religieux, ont le cœur plein de l’esprit du monde? » glorieux et bouffis de vanité, d’estime d’eux-mêmes et de la dignité de leur charge, ils commandent comme de petits rois aux religieux qui sont sous leur obédience. On dirait qu’ils parlent à des laquais. Il faut qu’ils marchent au moindre signe de leur volonté ou de leur humeur bizarre. C’est l’esprit mondain qui les gouverne tous dans ces maudites maisons. À peine peut-on trouver un ou deux bons Israélites. Les compagnies mondaines qu’on y voit, et les repas somptueux qui se donnent dans ces maisons, ont quelquefois plus d’appareil que dans celles des gens du monde. Il faut ensuite que ce gros abbé, et plusieurs religieux qu’il a pour l’ordinaire à sa suite, se rendent ensemble, à leur grande satisfaction, aux repas et aux festins des mondains. Comment appellerai-je ces prétendus religieux? Comment nommerai-je leurs maisons? Une cabane de voleurs, ou plutôt le château ou le démon donne rendez-vous à ses citoyens destinés pour les enfers. Celui qui veut aimer le monde me hait; celui qui habite en ce monde avec affection s’éloigne de moi, et je m’éloigne de lui. Les personnes de tous états qui s’attachent au monde, qui s’y livrent de gaîté de cœur, me tournent le dos. Je leur dis dans ma colère : Je romps aussi avec vous; je vous tourne le dos; je n’ai plus pour vous que froideur et rigueur. S’ils ne se convertissent, ils sont comme déjà condamnés aux supplices de l’enfer, et à ne jamais avoir de part avec moi. »

Notre Seigneur console la Sœur en lui faisant connaître les âmes qui sont les plus chères à son cœur dans son Église.

    Ensuite Notre Seigneur s’adressa à moi-même, et me dit : « Je vous ai affligé, j’ai attristé votre cœur, en vous faisant voir toutes les désolations de ma vigne; mais tout n’est pas encore perdu. Venez, voyez et réjouissez-vous en moi; que je vous y montre la fleur des champs et le lis des vallées. Je veux commencer par vous faire voir les âmes les plus chères à mon cœur dans l’Église; et ce sont sans doute tous mes ministres fidèles, qui, pour mon amour, passent leur vie dans les travaux pénibles et laborieux de leur ministère apostolique pour le salut des âmes, sans pour cela se négliger eux-mêmes » dans l’affaire de leur propre salut. »

    Voici ce que Notre Seigneur me dit: « Je les recevrai dans mon royaume comme des rois, et ils seront les plus chers favoris de mon cœur. A mon jugement, je les ferai asseoir sur des trônes, où ils jugeront avec moi les douze tribus d’Israël. Je partagerai avec eux ma gloire et ma félicité pendant 1’éternité. Ils seront les plus proches de mon trône souverain. » Il semble que Dieu, pendant toute l’éternité, prendra plaisir à répandre de son sein adorable sur eux, comme étant ses plus chers favoris, les plus douces faveurs et tous les délices de son cœur. Il les inondera et les embrasera d’un feu si pur et si doux que tous les bienheureux dans leur félicité s’en réjouiront et en glorifieront le Seigneur, en disant : Gloire, actions de grâces et bénédictions au Père, au Fils et au Saint-Esprit ! Gloire à l’auguste Trinité pour tout l’amour, pour toutes les glorieuses récompenses que vous rendez à vos ministres. Ils s’écrieront en jubilations d’actions de grâces : Ah ! Seigneur, vous allez jusqu’à l’excès, et à un excès éternel, qui ne finira jamais!

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(226-230)

§. II

Communautés ferventes et régulières. Jusqu’à quel degré de perfection s’élève l’âme religieuse par la fidèle observation des vœux. Formation de nouvelles communautés en très petit nombre.

Portrait d’une sainte communauté. Elle est l’objet des complaisances de Notre Seigneur.

    Notre Seigneur me dit: « Veux tu venir voir ma vigne, cette vigne bien-aimée? Elle est comme un beau verger planté de toutes sortes de bons arbres, qui produisent des fruits exquis et en abondance. Je veux parler des communautés religieuses de l’un et de l’autre sexe. Elles sont à moi, et je suis à elles. Elles marchent en mon amour et sous ma protection. L’esprit mondain et l’amour mondain n’y ont point d’entrée. Considérez et voyez, me dit le Seigneur; je m’en vais vous faire voir leur intérieur, comme il est en bel ordre, et conforme à la dignité de leur état. »

Perfection intérieure et extérieure à laquelle tendent sans cesse les bonnes religieuses.

    Alors mon esprit fut éclairé sur la perfection intérieure et extérieure des saintes religieuses, qui tendent de tout leur cœur à la perfection de leur état. J’ai connu en Dieu qu’une bonne religieuse, qui tend de tout son cœur, pour l’amour de Dieu, à être parfaite, Dieu la tient déjà comme parfaite, parce qu’il voit dans son cœur ce grand désir de la perfection, et que ses actions répondent à ce désir. J’ai vu encore le monde crucifié pour elle, et elle crucifiée pour le monde, et morte absolument à toutes ses vanités et à toutes ses convoitises par la haine qu’elle lui porte.

Leur perfection extérieure. Elles ne vont jamais à la grille que dans une nécessité absolue. Conduite qu’elles tiennent alors.

    Dans ces communautés il n’y a point de grille, pas même pour les postulantes, à moins que ce ne soit pour des affaires pressées de leurs familles. On ne sait ce que c’est que d’aller à la grille pour les religieuses particulières; mais il y a des cas de nécessité absolue d’y aller pour la Supérieure, et pour celles qui ont soin des dépôts, et qui sont chargées des affaires temporelles de la maison. On me fit connaître de quelle manière elles s’y comportaient. Par exemple, une Supérieure qu’on demande à la grille, s’y rend avec la modestie d’une véritable épouse de J. C., le voile bas, les yeux baissés, ne jetant point de regards de curiosité çà et là, pesant ses paroles de telle manière qu’il ne lui en échappe aucune sans nécessité. Après un humble salut, elle demande aux personnes qui l’ont fait appeler quel sujet les amène, et de quoi il est question ? Les gens du monde lui font entendre qu’ils sont venus pour lui rendre visite et pour la voir. Aussitôt cette bonne religieuse répond : Une bonne épouse de J. C. ne sait ce que c’est que de recevoir des visites, ni d’en rendre. Je laisse cela aux gens du monde; nous n’avons plus de part avec lui; notre glas est sonné (1). Nous avons renoncé à nous-mêmes et à toutes les choses de la terre; nous sommes mortes au monde, et ensevelies avec J. C., et pour l’amour de lui. En les quittant, elle les prie de ne pas se donner la peine de revenir pour le même sujet, et leur déclare qu’elle ne va à la grille que pour les affaires de sa communauté.

    (1) Expression connue dans les campagnes. Sonner le glas, c’est avertir, par le son de la cloche, que quelqu’un vient de mourir, afin qu’on prie pour lui.

    La dépositaire ne s’y rend de même que pour les affaires de son dépôt, et elle y va dans le même esprit que sa Supérieure.

    Quand il arrive qu’elles sont obligées d’aller à la grille, et que les gens du monde se disposent à leur rapporter quelques nouvelles ou quelques histoires, elles ne craignent pas de leur imposer silence, en leur disant: Une épouse de J. C. ne sait point s’entretenir des affaires du monde, elle n’en veut point apprendre de nouvelles; elle est morte à tout cela. Elle ne veut savoir que la vie de J. C. crucifié.

La Supérieure dans la crainte de l’esprit du monde, examine et éprouve avec soin les postulantes.

Elles ont si grand peur d’introduire dans leur communauté quelques étincelles du feu de l’esprit du monde, que, lorsqu’il se présente des postulantes, la Supérieure les interroge et ne se fie pas à leurs paroles. Elle leur demande si elles ont renoncé au monde, et si elles le haïssent. Ces demoiselles répondent qu’elles veulent y renoncer, et que c’est pour cela qu’elles demandent à entrer dans la communauté. Mais la Supérieure leur, dit: Mesdemoiselles, allez-vous éprouver encore; allez faire pénitence; les plaies de vos péchés sont encore toutes sanglantes. Allez demander des avis, et rendre compte de votre vocation à votre confesseur; et quand vous haïrez le monde, et que vous en aurez un vrai dégoût dans votre cœur, vous reviendrez, et nous verrons ce que nous ferons.

    Sont-elles entrées dans la communauté, la Supérieure observe avec douceur et prudente les désirs, les inclinations et les penchants qu’elles ont au mal, et surtout à la grille et pour la grille, et elle les y laisse quelquefois aller, pour voir leurs parents les plus proches; hors cela, point de grille. Elle observe attentivement, mais sans y mettre de rigueur, la mine qu’elles font, quand elles sont frustrées de la grille. Lorsqu’elle voit un air triste, jusqu’à montrer quelques traits d’humeur et répandre des larmes, cette bonne religieuse voit bien que dans ce cœur il y a encore de l’amour pour le monde, puisqu’elle y voit du penchant et de l’amour pour la grille. Alors elle

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(231-235)

dit à cette postulante : Ma fille, retournez chez vos parents, et purifiez votre cœur de l’amour du monde, jusqu’à ce que vous ressentiez de l’aversion et de la haine pour lui, au lieu de cet amour que vous avez encore pour lui. Ensuite, si la vocation continue à se faire sentir, vous pourrez revenir, si vous voulez.

La charité de J. C. unit toutes les religieuses entre elles.

    La charité que les religieuses avaient entre elles était toute sainte. Elles n’avaient toutes qu’un cœur et qu’une âme dans l’union de la charité de J. C.; elles ne formaient toutes ensemble qu’un même désir et qu’une même volonté de plaire à Dieu. La Supérieure avait la douceur et l’amour bienveillant de J. C. qui lui servait à gouverner toutes ces filles en bonne mère. Enfin, toutes ensemble, elles composaient un paradis anticipé. Il semblait qu’elles commençaient ici-bas ce qu’elles feront éternellement dans la félicité du paradis.

    Je finis ce qui regarde leur extérieur; mais Notre Seigneur veut que je dise ici quelque chose de leur intérieur.

Leur perfection intérieure. Elles la font consister dans l’accomplissement des devoirs de chrétiennes et de religieuses.

    Leurs devoirs, comme religieuses, ne les empêchent point de jeter la vue sur leurs devoirs comme chrétiennes, comme à être parfaites religieuses. Ces deux points de perfection leur servent comme de deux ailes, sur lesquelles le divin amour les enlève presque sans cesse vers leur patrie, vides du monde et éloignées du tracas du siècle et de tous ses plaisirs : leurs âmes sont remplies de l’esprit de Dieu; un cœur pur et innocent les anime, et la présence de Dieu les conduit en toutes choses.

Perfection des quatre vœux de religion.

    Mais voyons comment ces chastes épouses considèrent la perfection de leurs vœux en général, et la perfection de chaque vœu en particulier. Mais, hélas! qui pourrait le dire, et encore moins le comprendre? il n’y a que le divin époux, témoin de la perfection de leurs œuvres, et des fruits du divin amour, qui puisse en parler. Cependant, Dieu veut que je dise quelques mots de chaque vœu en particulier. Ainsi, je vais traiter en abrégé de la perfection des quatre vœux de religion.

Perfection du vœu d’obéissance. Elles obéissent en Dieu et pour Dieu.

    Vœu d’obéissance. – Ces chastes épouses, par un amour tendre et affectueux, se consacrent au divin époux, et considèrent, par le vœu d’obéissance, ce qu’il demande d’elles, et ce qu’il faut faire pour être plus agréables à son divin cœur. Alors elles obéissent à Dieu par le mouvement de l’amour et de leur volonté; elles obéissent à Dieu ici-bas sur la terre, à peu près comme les anges lui obéissent dans le ciel. Elles obéissent pour Dieu aux inspirations divines, aux mouvements de la grâce, à leurs confesseurs, aux supérieurs majeurs, et à leur supérieure. Elles obéissent à tous comme à Dieu même, ne les regardant qu’en Dieu, et Dieu en eux.

Perfection du vœu de pauvreté. Elles prennent celle de J. C. pour modèle.

    Vœu de pauvreté. – Elles examinent si elles n’ont point tant soit peu d’amour naturel ou de recherche d’elles-mêmes. Que dirai je? elles sont pauvres de tous les biens de la terre, privées même des plaisirs les plus innocents. Sans attache à rien, et séparées de tout ce qui n’est pas Dieu, elles prennent pour exemple la sainte pauvreté de leur divin époux, qu’elles contemplent comme leur modèle.

    Depuis son incarnation elles suivent ce divin agneau de Dieu partout où il va, je veux dire dans tous les mystères de sa vie, de sa mort et de sa passion, dans tous les travaux pénibles qu’il a soufferts pour annoncer son Évangile, et dans tous les tourments qu’il a endurés en terminant sa précieuse vie sur l’arbre de la croix. Ces saintes épouses font auprès de lui, plusieurs fois le jour, leur rendez-vous : elles le contemplent dans tous ses mystères; elles voient que le commencement de sa vie répond à sa mort, et qu’il expire entre les bras de la sainte pauvreté, comme il l’a reçue à sa naissance dans une crèche entre deux animaux. C’est là que ces saintes épouses s’enivrent et s’enflamment par des désirs de sa sainte pauvreté, de sa sainte abjection, de ses incommodités, de ses travaux, de tous ses mépris et de tous ses opprobres.

Jusqu’à quel excès d’abjection, de souffrances et d’opprobres, J. C. s’est réduit par amour pour la pauvreté.

    Je n’aurais jamais fini s’il fallait dire tout ce qui suit et tout ce qui accompagne la sainte pauvreté de J. C., et tout ce que doivent faire ceux et celles qui veulent l’imiter et marcher sur ses traces. Mais écoutons ce que dit J. C. lui-même en parlant des biens de la terre, des aises, des commodités et des plaisirs de la vie, qui sont les premiers objets dont on se détache par la sainte pauvreté. « Les renards ont leurs tanières, et les oiseaux leurs nids pour recevoir leurs petits, dit notre Seigneur, et le fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête. » Notre Seigneur dit encore par la bouche de ses prophètes : « Je suis un ver de terre et non pas un homme; je suis devenu l’opprobre des mortels et le rebut de la populace. »

    Voilà de précieuses compagnes de la sainte pauvreté et de la sainte abjection. O sainte pauvreté de J. C, que tu as de puissance et de charmes ! tu as enchanté le roi des rois, tu l’as enivré du désir et de l’amour de te posséder. C’est à la mort qu’il a fait paraître plus d’amour pour toi : tu l’as réduit au dernier des opprobres, en le conduisant tout nu, comme un ver de terre, sur l’arbre de

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(236-240)

la croix , ainsi qu’il l’a dit. Sainte pauvreté de J. C., de quelle manière l’as-tu satisfait pour tant d’amour qu’il t’a porté pendant le cours de sa très-sainte vie, au point qu’il a toujours voulu l’avoir pour compagne? voilà donc la récompense que tu lui donnes à la mort! C’est J. C. qui le dit lui-même : « Je suis rassasié d’opprobres. »

    Tel est l’excès d’amour que J. C. portait à la sainte pauvreté, et à la sainte abjection qui est comme sa fille aînée. Quoi! Seigneur, votre amour pour la sainte pauvreté était-il donc comme une faim et une soif qui vous desséchaient ? elle vous a rassasié, mais rassasié de quoi? hélas! Seigneur, d’opprobres. Était-ce donc là le but de vos désirs ? hé bien, Seigneur, hélas ! hélas! vous en voilà rassasié ! et c’est pour cela que vous dites que tout est consommé, comme si vous vouliez dire que tous vos désirs sont accomplis.

Vive exhortation à embrasser le détachement de tout et les abjections de J. C.

    Venez, ô saintes épouses de J. C., venez contempler votre époux et votre modèle ! venez recevoir, au moment de sa mort, ses dernières paroles, et les désirs de sa sainte volonté! Les désirs qui le pressent sont que vous l’imitiez, en marchant, de plus près qu’il vous sera possible, sur les traces qu’il vous a marquées, pour vous rendre avec lui sur la montagne du Calvaire. Mais élevez-vous avec lui sur la croix, pour ne plus toucher à la terre; car voilà ce qu’il désire. Il veut vous attirer à lui par le détachement général de tout ce qui est créé; vous, surtout qui avez fait le vœu de la sainte pauvreté et de la sainte abjection. Lorsqu’il dit de sa bouche adorable : « Quand le fils de l’homme sera élevé entre le ciel et la terre, il attirera tout à lui. » À qui ces paroles s’adressent-elles, si ce n’est à toutes les âmes qui veulent l’imiter et marcher sur ses traces, et principalement aux personnes qui sont consacrées plus particulièrement à son service? Venez donc, âmes d’élite; c’est vous que J. C. attend, et qu’il veut, du haut de sa croix, attirer à lui.

Vifs désirs qu’ont les épouses de J. C. de souffrir pour lui et de s’unir à lui sur la croix.

    C’est là que ses saintes épouses se sont absorbées dans la contemplation de la mort et de la passion de leur époux qu’elles s’enivrent du désir de son amour qui les enflamme, et qu’elles brûlent du désir de s’unir à lui, non-seulement dans le temps, mais encore dans l’éternité. Cette sainte ivresse leur fait oublier tout ce qui est créé et les détache de tout sur la terre. Elles voient leur époux qui a souffert pour leur amour pendant tout le cours de sa vie, et qui n’a terminé ses souffrances que sur la croix. À son exemple, elles sont enflammées de son amour, et brûlent du désir de souffrir comme lui. Elles s’écrient en elles-mêmes : Aimer et souffrir, et souffrir pour mon époux, voilà tous mes désirs et tous mes délices. Leur cœur est attaché à la croix, et leur âme est unie à J. C. Elles disent alors: Je me suis reposée à l’ombre de celui que j’ai aimé. Que veut dire se reposer, selon l’idée de cette sainte épouse, à l’ombre de celui qu’elle a aimé? Cela veut dire qu’elle sent bien qu’elle tient, et qu’elle est attachée et comme crucifiée avec J. C., et pour son amour, sur l’arbre de la croix, et que c’est là qu’elle veut faire sa demeure le reste de ses jours. C’est ce qui lui fait dire : Je me reposerai à l’ombre de celui que j’ai aimé. Que veut dire se reposer? La sainte épouse l’entend bien, elle veut dire : Quand je serai poursuivie par mon ennemi, et que je serai fatiguée du combat, je m’enfuirai vers mon céleste époux, et là je me reposerai à l’ombre de celui que j’ai aimé.

    Cette sainte épouse s’enquiert de son époux où il mène paître ses troupeaux, où il les fait reposer à midi, et où il se repose lui-même. Ensuite, elle reconnaît que le midi de son plus ardent amour est sur la croix, que c’est là le midi du soleil de justice, et qu’en mourant pour nous, c’est de là qu’il lance sur les âmes les rayons les plus ardents de son divin amour. C’est alors que dans ses transports, cette sainte épouse s’écrie : Que les contemplatifs cherchent tant qu’ils voudront leurs consolations et leurs plaisirs : ils les trouveront sur le Thabor; qu’ils disent avec l’apôtre: Il fait bon ici, restons-y. Pour moi, dit cette sainte épouse, mon parti est pris, et mon choix est fait : je veux établir mon séjour sur le Calvaire, et je me reposerai à l’ombre de celui que j’ai aimé. Mais voyant que son époux est mort d’amour pour elle, que l’amour soumit son maître à la mort, et que c’est pour elle qu’il meurt d’amour, Hélas! dit-elle, si mon époux meurt d’amour pour moi, je ne puis plus vivre. Dans ses transports d’amour pour notre Seigneur, cet amour semble lui donner le contre-coup, et la livrer au trépas. Elle peut dire avec vérité: Je ne vis plus au monde, ni à ses convoitises; je suis morte à tout cela, et morte à moi-même: non, je ne vis plus, c’est J. C. qui vit en moi, et je n’agis plus par aucun mouvement de la vie que pour lui : puisque J. C. est mort pour mon amour, je veux mourir de l’amour de son amour.

Perfection du vœu de chasteté. Elles sont semblables aux anges par leur pureté.

    Vœu de Chasteté.—Mais que dirai-je de ces vierges pures et sans tache? Je dirai que ce sont de beaux lis, et les lis des vallées par leur blancheur et leur pureté; il ne faut pas même les toucher du bout du doigt, ni passer son haleine dessus, parce qu’on les gâterait.

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(241-245)

    Ces vierges portent pour ornement les fleurs de lis de leur roi Jésus, qui est leur époux et l’amateur des vierges. Elles imitent, ces vierges pures, sur la terre, ce que les anges font dans le ciel; mais que dis-je, les anges en sont jaloux, en voyant que des vierges les imitent de si près dans un corps mortel et au milieu de tant de dangers, et qu’elles sont, par vertu et par amour pour leur époux, aussi pures qu’ils le sont par nature. C’est à ce sujet que les anges dans l’étonnement et dans l’admiration, s’écrient: O miracle de grâce! ô miracle d’amour ! gloire au Très-Haut dans tous les siècles des siècles!

Perfection du vœu de clôture. Solitude du cœur, et intimes communications avec J. C.

    Vœu de Clôture. — Voici ce que dit le Seigneur des religieuses qui tendent à la perfection : « Je conduirai ma bien-aimée dans une profonde solitude, éloignée du monde et du bruit. » Notre Seigneur, en parlant ainsi, désigne la solitude du cœur. Quand il dit : éloignée du monde et du bruit, ne croyez pas que le divin époux rende son épouse esclave d’une multitude de pensées vagues et inutiles, pour ne pas dire mauvaises, et qu’il permette que son imagination la transporte çà et là sans qu’elle en soit la maîtresse. Cela convient à une mauvaise religieuse ou à une épouse infidèle; c’est pour cela que le saint époux dit: « Je l’éloignerai du monde et du bruit; et là, je parlerai à son cœur. »

    O quelle solitude! ô quel silence de cœur et d’esprit! ou plutôt quels doux entretiens du saint époux avec son épouse qui habite dans le jardin fermé, et dont l’époux seul a la clé! Personne n’y entre que son épouse et lui. Il y entre quand il lui plaît, et à quelque heure du jour et de la nuit qu’il veut.

Manière dont Notre Seigneur reprend et corrige les fautes de son épouse. Sa pénitence.

    Il y entre quelquefois pour voir si son épouse n’est point oisive ou endormie, ou si les fruits de ses actions sont parvenus à maturité, s’il n’y en a point de piqués ou de véreux; s’il ne se trouve point, dans toutes ses actions, quelque chose qui blesse le cœur du saint époux. Ensuite il examine si toutes ses actions sont conduites avec perfection; il lui montre ses fautes avec bonté et en l’humiliant profondément; il lui fait connaître que l’amour qu’il a pour elle ne lui permet pas de voir ces taches en son cœur. C’est pour cela que je dis que le saint époux s’en va et qu’il revient quand il lui plaît : car alors il se retire pour mortifier son épouse et pour servir à sa purification; il la laisse dans les soupirs et les larmes d’une contrition amère d’avoir offensé son époux. Elle le croit fâché contre elle, et elle ne cherche que les occasions de se réconcilier avec lui et de lui plaire. Pour cela elle redouble toute sa ferveur dans un esprit de pénitence et d’amour.

    Lorsqu’elle aperçoit le saint époux revenir dans son jardin, elle lui adresse ces paroles : Venez, mon bien-aimé, dans votre jardin! Pourquoi, dit-elle, dans votre jardin? C’est que ce jardin est son cœur qu’elle a donné au Seigneur avec tous ses fruits, toutes ses œuvres et toutes ses productions; c’est pourquoi elle l’appelle le jardin de l’époux, qui est fermé par lui au-dedans et au-dehors, de sorte que personne n’y entre que l’époux. Venez, dit-elle, encore une fois, venez visiter toutes mes actions; venez voir, ô mon bien-aimé, les fautes que j’aurais commises par mon peu d’amour et mon peu de vigilance. Alors le saint époux la serre entra ses bras, et lui donne le saint baiser de réconciliation, en lui disant: Mon épouse, ma bien aimée, votre cœur ressemble à un jardin rempli de roses, de lis et de toutes sorte de fleurs, qui toutes réjouissent mon cœur par la bonne odeur qu’elles répandent.

Faveur signalée que Notre Seigneur fait à son épouse. Il purifie son cœur et lui imprime une touche d’amour.

    Notre Seigneur lui fait une grande faveur pour récompenser dès cette vie l’amour et la pénitence de son cœur contrit et humilié. Auparavant il lui faisait voir les fautes qu’elle avait commises et qu’elle était sujette à commettre, quoique ces fautes fussent très légères, et ne fussent même, pour mieux dire, que des imperfections. Mais comme il n’y a que Dieu qui puisse connaître et sonder parfaitement nos cœurs, ce divin époux voyait dans le cœur de son épouse comme les fibres de quelque chose tenant à la nature, qu’on pouvait comparer à un cheveu, et qui déplaisait à l’époux, parce que c’était ce cheveu qui occasionnait quelques légères fautes en certaines occasions. En même temps, notre adorable Sauveur voyait dans ce cœur tant d’amour, tant d’humilité, un si grand désir de plaire à son époux, et une telle ardeur pour faire pénitence et pour se purifier, qu’elle demandait sans cesse cette grâce à son époux. Ce divin époux se trouva charmé de tous les bons désirs de son épouse. Il savait bien qu’elle ignorait que ce cheveu qui était dans son cœur, venait de l’excès d’amour que ce divin époux portait à son épouse et ce fut cet excès même d’amour qui l’obligea de lui communiquer une très grande grâce en lui arrachant lui-même ce cheveu et en lui rendant son cœur pur et sans tache à ses yeux. Ce divin Sauveur fit cette belle opération dans son cœur, sans qu’elle en eût connaissance.

Effet mystérieux de cette grande faveur.

    Cette grâce était trop grande pour qu’elle n’eût pas son effet. Dans cette opération l’épouse ressentit aussitôt cette touche d’amour que Notre Seigneur avait mise pour purifier son cœur. Au même instant elle s’écria,

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(246-250)

dans une profonde humilité : O mon époux! mon cœur est blessé par votre amour; désormais je suis toute à vous. Notre Seigneur lui répond : « Donnez-vous toute à moi, mon épouse, et je serai éternellement tout à vous. »

    Cette sainte épouse se trouva dans le moment comme perdue en elle-même, sans savoir ce qu’elle était devenue, et se voyant comme transformée en Dieu seul. C’est ce qui la porta à s’écrier de joie et d’allégresse : Dieu seul! Dieu seul! Autrefois je disais: Dieu et moi! mais à présent que je ne vois plus que Dieu seul, et que je me suis perdue en moi-même, je ne puis plus dire autre chose: Dieu seul dans toutes mes actions: Dieu seul dans ma vie : Dieu seul à ma mort, et Dieu seul dans l’éternité. Voilà la récompense que Dieu donne à son épouse dès cette vie, et voilà l’effet que produit son opération dans le cœur de son épouse. Lorsque Notre Seigneur les vit correspondre à sa grâce avec une si grande fidélité, ce divin époux l’embrassa de rechef dans le baiser de son saint amour, et lui dit; « Vous êtes belle, ma bien-aimée, et vous serez éternellement la bien-aimée de mon cœur. »

    Notre Seigneur lui dit encore: « O belle fille de Sion, que vos actions me sont agréables! fille du prince, que vos démarches me plaisent! Ce sera à vous, mon épouse, à qui je dirai bientôt, quand je vous retirerai de ce lieu d’exil, pour vous placer avec moi dans mon royaume : Venez, ma colombe! venez, ma bien-aimée! venez, ma sœur ! venez, mon épouse! l’hiver est passé, les pluies ont cessé dans nos cantons, il n’y a plus ni brouillards, ni gelées. Le printemps a commencé, la tourterelle s’est fait entendre. Venez, la bien-aimée de mon cœur, jouir du beau jour de l’éternité, où le soleil de justice luit toujours et n’a jamais de couchant! »

    Notre Seigneur m’a fait connaître qu’une bonne communauté où toutes les religieuses remplies du zèle de leur salut et de la gloire de Dieu, s’animent les unes les autres à observer leurs vœux et leurs règles, et à se sanctifier toute ensemble, lui est aussi agréable qu’un concert mélodieux de musique, qui, animé par son amour, s’unit aux chants des anges, à l’honneur et à la gloire qu’on lui rend dans le ciel.

Nouvelles communautés, en petit nombre, que Notre Seigneur promet à son Église.

    Notre Seigneur me dit : « Ma vigne désolée s’est détruite par elle-même; mais quand je vous l’ai montrée toute défaite et sans attaches, toute rompue et foulée aux pieds, avez-vous vu que je ferais naître de petites jeunes vignes, qui seraient attachées et plantées au pied des murs, et que je donnerais commission aux vignerons d’en prendre grand soin ? Je leur donnerai mon esprit, qui fructifiera en eux. Mais comme les communautés qui seront relevées seront en très petit nombre, comme je vous le fis voir, les vignerons ne cultiveront des vignes que çà et là, et bien éloignées les unes des autres. La plupart dureront jusqu’au règne de l’Antéchrist. Celles que l’Antéchrist trouvera sous sa puissance, souffriront aussitôt le martyre, et toutes les communautés de l’un et de l’autre sexe seront toutes écrasées et finies. »

§. III.

Sur les religieuses qui mènent une vie tiède et imparfaite. Causes et châtiment de leur tiédeur.

Notre Seigneur fait connaître à la Sœur la vie tiède des religieuses imparfaites.

    Notre Seigneur me dit: « Je vous ai fait voir des religieuses tout-à-fait mauvaises, et après je vous ai fait connaître les religieuses qui tendaient sans cesse à la perfection, parmi lesquelles il y en a qui, avec le secours de ma grâce, deviennent parfaites. Mais en voici d’autres qui ne sont pas aussi mauvaises que celles que je vous ai montrées, ni aussi bonnes que celles qui sont mes vraies épouses. Travaillez à leur perfection. Ce sont des religieuses imparfaites qui ont dégénéré de l’esprit primitif de leurs pères, et qui sont tombées peu-à-peu dans une conduite qui leur a fait perdre l’esprit de leur état. Il y a des communautés où la plus grande partie des religieuses tombent, au sujet de l’affaire de leur salut, dans des découragements, des tiédeurs, des lâchetés, enfin dans toutes les négligences qui accompagnent une vie tiède et molle en religion. »

Causes de cette tiédeur. Attaches du cœur, jalousie, estime de soi-même.

    J’osai demander à Notre Seigneur : Pourquoi, Seigneur, ces pauvres religieuses sont-elles tombées dans un état si pitoyable? Il me répondit: « Ce n’est pas à ma grâce qu’il faut l’imputer. Je leur ai donné grâce sur grâce, particulièrement dans le temps des retraites et des missions, où je leur ai ouvert plus particulièrement les yeux de l’âme. Je leur ai fait voir leurs défauts, et surtout ces petites idoles qu’elles portent dans le fond de leurs cœurs. Je leur ai fait connaître que c’était de là que venaient toutes leurs fautes et le mauvais état de leur âme. Ma grâce les a touchées, a heurté leurs penchants, et a fait effort pour pénétrer leur cœur. Mais tout cela n’a servi de rien, elles ont mieux aimé obéir à leurs idoles que d’obéir à ma grâce. »

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(251-255)

    Voici ce que le Seigneur m’a fait connaître par rapport à ces idoles. Dans les unes, ce sera une amitié et une attache pour quelque religieuse de la communauté, ou pour quelque personne du monde, avec laquelle on ne veut point du tout rompre; dans les autres, ce sera une secrète jalousie ou envie contre quelqu’une de leurs sœurs qui aura été placée au-dessus d’elles, et qu’elles voient plus honorée et plus estimée qu’elles. Cette autre aura une petite estime et un certain amour d’elle-même, parce qu’elle se voit dans les charges, et qu’elle est honorée comme ayant de l’esprit, et comme étant assez capable de remplir sa place.

Exemple d’une novice qui fait profession avec une certaine attache de cœur pour le monde. Sa vie imparfaite, et vice de ses confessions.

    Oh! que dirai-je ? Il y a cent sortes de choses dans lesquelles le démon peut tromper. Par exemple, une novice peu instruite de l’état qu’elle veut embrasser, fait profession avec ce maudit esprit du monde, qui n’est pas encore étouffé ni mort dans son cœur. Voilà le mal; et c’est à quoi les religieuses doivent bien faire attention, surtout les maîtresses, qui doivent connaître à fond leurs novices, et les bien instruire. Comment peuvent-elles espérer d’avoir un bon sujet dans une personne qui a encore l’esprit du monde dans le cœur? car l’amitié et l’attache que cette jeune professe a encore pour le monde prouvent beaucoup qu’elle en a encore l’esprit.

    Mais, me direz-vous, cette bonne novice a une grande piété; elle approche des sacrements, elle a fait une bonne confession générale. Il est à croire qu’elle s’est confessée de tous ses péchés, et en particulier de tout ce qui regarde le monde. Oui, sans doute; mais a-t-elle confessé cette idole de plaisir et d’amitié pour le monde que tout cela laisse encore subsister dans son cœur ? Elle s’est confessée ! et c’est ce qui la met dans une fausse paix! Elle aura déclaré combien de fois elle aura été au bal ou à des rendez-vous de veillées de nuit; elle aura même raconté tout ce qui lui est arrivé à cette occasion, et elle croit en être quitte. Un confesseur qui la voit s’accuser avec tant d’exactitude, n’aura pas cru qu’elle retînt encore dans son cœur du plaisir et de l’attache pour les manières du monde.

    Elle fait profession, et, après sa profession, au lieu de chercher à étouffer cette idole, elle prend son plaisir et sa satisfaction à la grille. Ensuite, dans les confessions, elle s’accuse d’avoir perdu trop de temps à la grille, d’y avoir parlé trop longtemps avec les gens du monde, et des choses du monde; mais elle se donne bien de garde de s’accuser de l’attache aux plaisirs du monde qu’elle porte encore dans son cœur, de la satisfaction qu’elle trouve à y penser et à s’en entretenir, et de faire connaître que c’est de ce plaisir que vient son amour pour la grille et pour les entretiens avec les personnes du monde.

    Je ne dis rien de ce que je vois en Dieu au sujet des confessions et des communions de ces religieuses. Je n’ose pas dire ce que je vois en Dieu, et Dieu me dispensera de le faire. Mais elles sont comme toutes les autres personnes qui auraient, comme elles, caché leur petite idole, et dissimulé dans leurs confessions contre les reproches de leur conscience, et contre la fidélité qu’on doit à la grâce.

Châtiment de la tiédeur. Aveuglement de l’esprit et endurcissement du cœur.

    Dieu a coutume, pour l’ordinaire, de châtier ces personnes-là selon la grandeur et la qualité de leurs péchés. Elles tombent dans un certain aveuglement d’esprit, particulièrement sur l’intérieur de leur conscience, à l’égard de ce qu’elles doivent à Dieu. La lumière de la foi s’obscurcit, leur cœur devient presque aussi dur que la pierre. Elles s’abandonnent à la nonchalance et à la tiédeur, de sorte qu’elles n’observent leurs vœux et leurs règles que par routine. Il en est de même de la confession et de la communion. Enfin, de toutes leurs obligations elles n’en pratiquent que l’extérieur, c’est-à-dire, l’écorce; mais pour la moëlle de leurs vœux et de leurs règles, elles n’en connaissent absolument rien, par la raison qu’elles n’ont jamais étudié leurs obligations quant au fond et à l’intérieur.

On ne peut sortir d’un état si déplorable que par une grâce extraordinaire que personne ne doit se promettre.

    Elles passeraient le reste de leur vie dans ce malheureux état, si Dieu, par sa pure bonté, ne leur donnait des grâces extraordinaires et fortes qui les relèvent et les font sortir de leur aveuglement. Mais celles qui sont dans un état si déplorable ne doivent pas compter sur ces grâces extraordinaires, parce que Dieu ne les donne à personne; et s’il en accorde quelquefois, il ne le fait qu’à l’égard de ceux ou de celles qu’il lui plaît.

§. IV.

Sur l’avarice et sur la dureté envers les pauvres, plus condamnables encore dans les religieux et les religieuses que dans les personnes du monde. Persécutions que souffre un religieux fidèle à ses vœux, dans une communauté qui les viole. De quelle manière Dieu veut que les communautés soient réformées.

Colère de Dieu contre les avares.

    Voici ce que Dieu m’oblige de faire écrire. J’ai vu le Seigneur, dans sa colère et dans sa justice, prononcer de sa bouche sacrée et fulminer des arrêts de condamnation contre les avares qui sacrifient tout pour amasser des biens de la terre, des trésors et des richesses,

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sans penser à ceux du ciel, et dont le cœur affamé est comme celui des faméliques qui ne peuvent se rassasier. Leurs sacs et leurs coffres sont-ils pleins d’or et d’argent, leurs terres sont-elles considérablement agrandies, ils sont encore affamés plus que jamais. La convoitise, passion diabolique, échauffe continuellement leurs cœurs : plus ils possèdent, plus ils veulent posséder. Je vois en Dieu que ces malheureux sont aussi resserrés que les pauvres qui sont avaricieux pour s’enrichir.

Misères et souffrances des pauvres.

    Tandis que l’avare tient cachés dans le sein de la terre ses immenses trésors que la rouille gâte et ronge, Dieu voit d’un autre côté la veuve et l’orphelin gémir et se lamenter sur la privation du nécessaire à la vie. Il les voit languir et pâtir si fort, qu’ils traînent une vie mourante qui après plusieurs mois, ou si vous voulez plusieurs années de disette, les conduit insensiblement à la mort.

Leur mort prématurée causée par la dureté des riches, attire la vengeance divine.

    Je Vois en Dieu que ces pauvres gens meurent soudainement, et comme de mort subite, par la faim et par la misère, ce qui paraît rarement aux yeux du monde. Mais Dieu qui pénètre tout, qui souffre tout, voit bien que les causes secondes, nécessaires à la vie naturelle, ont manqué à la subsistance de tant de pauvres, et même à celle de tant de pauvres innocents qui sont encore au berceau, et qui ressentent plutôt le besoin du boire et du manger que celui de concevoir qu’ils sont nés. Il voit une mère éplorée mêler ses larmes à celles de son enfant. O larmes de l’enfant et de la mère ! vous montez, vous montez jusqu’au trône de Dieu pour en faire descendre les foudres et les tonnerres que Dieu lancera sur la tête de l’avaricieux, et sur les cœurs durs envers les pauvres qu’ils peuvent assister.

    Je vois encore en Dieu que ces petits innocents, et beaucoup de petits pauvres, pâtissent dès leur bas âge par la privation de la nourriture nécessaire à la vie, et que cette privation, après tant de souffrances, les conduit pour la plupart à une mort prochaine. Quelquefois même, lorsqu’ils se trouvent avoir le nécessaire, comme les conduits naturels sont rétrécis, et que l’estomac s’est affaibli, il arrive que, comme l’effet de la nourriture est de produire au-dedans et au-dehors la faculté et la puissance naturelle pour croître et prendre des forces, lorsqu’ils arrivent à l’âge d’un homme fort et robuste ils périssent.

    Ce Dieu de bonté qui a limité nos jours et nos années, et qui a fixé l’heure de notre mort, veut bien permettre aux causes secondes dont je viens de parler d’agir sur les pauvres; et de faire que les puissances naturelles ayant toujours pâti, ne puissent reprendre le dessus; de sorte que la moindre fièvre, ou une légère maladie, les fait décliner de jour en jour, et leur coupe le fil de la vie à la fleur de leur âge. Cela arrive sans qu’il paraisse aux yeux du monde que la disette est la cause de leur mort. On dira : C’est une fièvre, c’est une maladie qui a fait mourir ce pauvre. Mais, hélas ! que les jugements de Dieu sont différents de ceux des hommes ! Je vois en Dieu qu’il les jugera et qu’il les condamnera, s’ils ne se convertissent, comme assassins et comme bourreaux des pauvres qui sont ses membres. Mais ses foudres tomberont particulièrement sur les avaricieux et sur les personnes riches qui avaient le pouvoir de les assister, et qui ne se sont point acquittés du devoir de la charité que Dieu recommande tant envers les pauvres.

    Mais, hélas ! hélas ! je vois en Dieu que si, dans la rigueur de sa justice, il traite si sévèrement les gens du monde pour leur avarice, traitera t-il avec moins de sévérité les religieux avaricieux dans le cloître? Voici ce que je vois en Dieu, et ce qui me saisit le cœur de tristesse et d’horreur, c’est que l’avarice règne dans toute sa fureur; et si cette maudite passion s’empare de plusieurs religieux; particulièrement de ceux qui ont en main les biens temporels, comme de ceux qui sont chargés du spirituel, c’est alors que sous le voile de la sainte pauvreté ils amassent, au moyen des grands revenus de leurs bénéfices et de leurs rentes, des monceaux d’or et d’argent. Que dirai-je? De toutes sortes de manières le vœu de la sainte pauvreté est violé; les vols, les rapines s’augmentent tous les jours.

Leur dureté pour les pauvres.

    Si les pauvres viennent gémir à leurs portes, hélas ! leurs cris leur sont importuns et onéreux. Si le procureur leur donne par hasard quelque petite chose, ce sera pour les congédier et leur enjoindre d’un air audacieux de ne pas revenir une autre fois les importuner davantage, en ajoutant que c’est le Supérieur qui a les biens de la communauté; que, pour lui, il n’en est que l’économe; qu’ils ne sont point à lui, qu’ils appartiennent à la communauté, et qu’il a fait vœu de pauvreté.

Dieu les menace de ses vengeances.

    Tel est le langage que cet avaricieux fait retentir aux oreilles des pauvres de J. C. O maudit langage ! que tu offenses Dieu! et que tu attires de malheurs ! O hypocrite, dit Notre Seigneur, tu te couvres du masque de la vertu par le vœu de la sainte pauvreté ! Tu n’es rien moins qu’un voleur, qu’un assassin et un meurtrier de mes pauvres; meurtrier même des âmes qui sont sous ta conduite. Tu t’engraisses, malheureux, des biens et des plaisirs de la terre qui

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(261-265)

sont ton apanage et ton dieu dans ce monde, en attendant le jour de ton jugement, dans lequel je lancerai les foudres de ma colère sur toi et sur tes complices pendant toute l’éternité.

    Je vois aussi en Dieu qu’une communauté ainsi gâtée et corrompue par la violation des saints commandements et de tous les vœux, et encore qu’une communauté entière qui s’est livrée au démon par cette convoitise d’avarice, et à toutes les passions dont elle est aveuglée, deviennent si exécrables aux yeux du Seigneur, qu’il faut qu’elles aient recours à sa bonté, qu’elles le conjurent d’user de patience pour ne pas lancer le feu du ciel sur elles, et les précipiter au fond des abîmes de l’enfer avant le temps.

Dans les mauvaises communautés, il se trouve quelques bons religieux qui résistent au scandale.

    Dans ces communautés abominables il y a toujours des religieux plus criminels et plus coupables aux yeux de Dieu les uns que les autres. Par exemple, il y aura dans ces mauvaises communautés une ligue de certains religieux associés dans leurs passions diaboliques, et qui seront d’une même façon de penser et d’une même manière d’agir; ils chercheront à unir à eux tous les religieux de la communauté, et par l’artifice du démon ils ne réussiront que trop. Mais Dieu permet qu’il s’en trouve toujours quelques-uns qui leur tournent le dos, et qui ne veulent pas suivre leur sens réprouvé.

    Qu’arrive-t-il de là? Je vois en Dieu qu’un bon religieux se soutiendra seul au milieu de la corruption des autres. Un supérieur arrogant et bouffi de l’orgueil de Lucifer lui commandera, contre la loi de Dieu ou contre ses vœux, de faire ou de ne pas faire telles ou telles choses; ce saint religieux, rempli de l’esprit de Dieu et de son état, résiste de toutes ses forces à de tels ordres, sans craindre toutes les disgrâces qui le menacent.

Persécutions qu’éprouve un religieux fidèle. Abus de l’obéissance aveugle.

    Ce bon religieux n’est plus regardé que comme un apostat du vœu d’obéissance; car il faut, comme on le dit dans ces mauvaises communautés, obéir en aveugle, sans considérer s’il y a péché ou non. Je puis dire ici quelque chose de ce que j’ai vu en Dieu sur cette prétendue obéissance aveugle. Dans les mauvaises communautés dont j’ai parlé, les religieux, pour mieux se liguer entre eux, font valoir et exercer beaucoup l’obéissance, qu’ils appellent obéissance aveugle à leurs supérieurs. C’est en cela seul qu’ils font consister toute leur prétendue sainteté; et c’est pourquoi ils impriment dans l’esprit de leurs disciples et de leurs| novices cette vertu hypocrite qui contrefait la vraie et sainte obéissance de J. C. sur la croix. Mais je vois en Dieu que ce pernicieux stratagème sera découvert au jour du jugement, et qu’alors on connaîtra que cette fausse obéissance aveugle n’a servi que de plan pour désobéir à Dieu et à notre mère la sainte Église.

Jeunes novices d’un esprit borné qui se laisse séduire par une fausse application de ce qui ne convient qu’à la vraie vertu.

    Dans les jeunes gens qui se présentent pour entrer en religion, il se trouve certains petits esprits bornés qui se laissent prendre avec satisfaction à cette obéissance aveugle, parce qu’on leur dit : Jamais obéissant n’a été damné; si vous voulez être saint, soyez obéissant à vos supérieurs en aveugle, car ils savent tout ce qu’il faut faire pour être saint et parfait.

    Je vois en Dieu qu’il se trouve des sujets si bornés, qu’ils ne s’attachent uniquement qu’à suivre l’exemple de leur supérieur, à l’applaudir dans toutes ses actions, et à lui obéir à l’aveugle. Le diable y ajoute une certaine illusion qui tranquillise et flatte leur conscience, en leur faisant entendre, ce malin esprit! que la plus essentielle de leurs obligations est d’obéir en tout à l’aveugle. Enfin , ils se laissent aller au torrent et au train commun de cette mauvaise communauté; ils obéissent à temps et à contre-temps, de jour et de nuit, pour aller aux jeux, à la danse, aux festins et aux assemblées de divertissements mondains, tant chez eux que dans le monde : enfin ils obéissent en aveugle contre la loi de Dieu et des saints commandements, contre leurs vœux et leurs constitutions; ce qui ne les empêche pas de faire encore quelquefois leurs exercices religieux pour sauver les apparences.

Suite de ce mal : la perte de la foi et l’oubli des devoirs les plus essentiels.

    Je vois en Dieu que surtout ces jeunes religieux dont je viens de parler, perdent si fort l’esprit de la foi de la religion catholique, et oublient tellement Dieu et la sainte Église, qu’ils mettent de côté toutes leurs obligations les plus importantes, et qu’ils s’imaginent que, pourvu qu’ils obéissent, sans examiner s’il y a du mal ou non, ils deviendront des saints, et qu’on leur fait cette petite religion toute pour eux, afin qu’ils aillent au ciel. Voilà des illusions bien grossières.

    Mais, me direz-vous, n’y a-t-il pas des supérieurs majeurs pour corriger de si grands abus? Hélas! hélas! je vois en Dieu que ces supérieurs majeurs ont été élus par les supérieurs de ces mauvaises communautés, non par l’esprit de Dieu, mais par l’esprit humain, afin qu’ils servissent à favoriser leurs passions déréglées.

Conduite des supérieurs majeurs dans leurs visites.

    Aussi je vois en Dieu comment ces supérieurs majeurs font leurs visites, et comment ils réforment les abus de ces mauvaises communautés. À leur arrivée, ce ne sont qu’applaudissements et jubilations de la part du provincial et de ses adjoints, envers le

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(266-270)

supérieur et tous les religieux de la communauté, dont le supérieur ne manque pas de faire retentir les louanges et la soumission à tous ses ordres. Il s’étend en particulier sur l’éloge de ces jeunes religieux, qu’il a élevés et ployés sous le joug de l’obéissance, et il fait espérer qu’ils seront un jour de grands sujets.

    Mais voici le côté opposé : S’il se trouve un sujet ou deux qui observent la règle et qui refusent d’obéir au supérieur en tout ce qu’ils connaissent être contre Dieu et la règle, c’est contre ceux-ci que déclament le supérieur et les autres religieux de la communauté. Que de calomnies atroces! ce sont des esprits entêtés ou rebelles, qui violent impunément leurs vœux, et qui ont des dévotions à part. Je n’aurais jamais fini, si je disais tout ce que le diable invente pour remplir les oreilles et la tête des supérieurs majeurs qui écoutent tous ces rapports avec indignation contre ces pauvres et bons sujets. Toute leur inquiétude est de savoir quelle pénitence ou quels châtiments, seront assez proportionnés aux crimes de ces malheureux; et quand il n’y aurait qu’un seul bon religieux, comme je l’ai dit ci-dessus, il serait châtié comme s’il y en avait plusieurs.

Le religieux fidèle condamné et puni.

    Je vois en Dieu que ces supérieurs majeurs ordonnent qu’on amène ce religieux devant eux. Quelle est pénible la représentation que je vois en Dieu de cette triste victime !…Mais, hélas! que dis-je !….. O heureuse victime! Ô fortunée victime ! tu me représentes dans ce combat J. C. présenté devant Caïphe, Pilate et Hérode. Je vois cette victime se prosterner à genoux, la face contre terre, comme si elle était chargée de tous les crimes de la communauté, et qu’elle s’en jugeât coupable devant Dieu. Elle demande pardon à Dieu, à ses supérieurs, et à toute la communauté, de toutes les fautes et de toutes les peines qu’elle leur a faites; elle reçoit avec patience et soumission les injures et les calomnies qui sortent de la bouche enflammée de colère de ses supérieurs. Cette innocente victime, à l’exemple de Notre Seigneur ne répond rien et garde un profond silence : Elle sent bien que toutes ses excuses ne serviraient de rien, ni pour la gloire de Dieu, ni pour le salut de leurs âmes, ni pour sa propre justification. C’est pourquoi elle se tait, et se soumet d’avance à tous les châtiments et aux différentes pénitences qu’on va lui imposer. On délibère, avant de sortir du chapitre, sur la pénitence qu’il faut imposer à ce rebelle, à cet apostat. Tous les supérieurs sont du même avis, et disent qu’il faut l’interroger, et lui demander s’il veut être soumis à l’obéissance aveugle, c’est-à-dire à tout ce que son supérieur exigera de lui. Si ce rebelle veut devenir un parfait obéissant, sa pénitence sera légère et passagère; mais s’il veut persévérer dans sa rébellion, il faut que sa pénitence soit aussi longue que sa vie. On interroge alors ce bon religieux, qui est aussi ferme que l’enclume: plus on la frappe, plus elle devient dure et affermie pour recevoir les coups, sans en rendre aucun. On sollicite ce religieux, on le prend par la rigueur, on lui remontre les pénitences sévères qui vont lui être infligées, s’il ne veut pas changer de sentiment. On mêle aux paroles aigres quelques paroles de douceur et de clémence; on lui fait entendre qu’on usera d’indulgence à son égard. Ce bon religieux, ferme comme un rocher, proteste qu’il n’obéira qu’à J. C, qu’à l’Église, qu’à sa règle et à tous ses vœux.

    Alors il s’élève un cri unanime de fureur des supérieurs et des religieux contre cette victime, en se voyant vaincus par les réponses de ce héros du Seigneur; et sentant eux-mêmes la conscience leur reprocher leurs crimes, ils disent aux supérieurs majeurs: Ôtez-nous de devant les yeux cet objet infâme et indigne de paraître parmi nous dans la communauté. Alors ces impitoyables supérieurs qui sont comme les rois, les seigneurs et les juges de ceux ou de celles qui sont sous leur autorité, prononcent contre cet innocent l’arrêt qui le condamne à être fustigé un certain nombre de fois par la communauté, à une prison perpétuelle, quelquefois à être jeté dans une basse fosse ou dans un cachot obscur, et à être réduit à n’avoir, pour toute nourriture, qu’un gros pain noir dont leurs chiens ne voudraient pas manger, et de l’eau pour sa boisson. Ce saint pénitent se trouverait encore heureux s’il en avait suffisamment.

    Les supérieurs de la communauté triomphent et comblent de bénédictions leurs Supérieurs majeurs, en leur disant qu’ils sont dignes de gouverner, qu’ils savent bien corriger le vice et soutenir la vertu, et qu’ils les ont délivrés d’un affreux fardeau qui leur était insupportable. Je vois en Dieu que ce bon serviteur est plus content d’être retiré seul avec Dieu et condamné à mourir, que de passer le reste de ses jours parmi ces loups ravissants.

Dieu manifeste à la Sœur sa volonté sur la réforme des communautés.

    Voici ce que j’ai vu en Dieu, et que Dieu m’oblige absolument de mettre par écrit. C’est la volonté de Dieu que tous religieux et que toutes religieuses ne doivent point être sous le gouvernement ni sous la juridiction des provinciaux, définiteurs et supérieurs majeurs des religieux de leur ordre, à

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(271-275)

raison des inconvénients qui en sont arrivés, et qui peuvent arriver encore. La volonté de Dieu est qu’ils soient sous le gouvernement, la juridiction et la discipline de l’évêque du diocèse où leurs monastères sont situés. Il y a plusieurs années que le Seigneur m’avait fait connaître ceci : je n’avais pas osé le faire mettre par écrit mais à présent il a fallu céder à la volonté de Dieu et lui obéir.

§. V.

Le vœu de pauvreté ne dispense pas un religieux ou une religieuse d’assister les pauvres. Dans certains cas ils y sont obligés. Quelques règles pratiques pour observer ce vœu avec perfection.

La Sœur hésite d’assister une pauvre femme, à cause de son vœu de pauvreté. Leçon que lui donne Notre Seigneur à ce sujet.

    Voici ce qui m’est arrivé depuis peu. Une pauvre femme, affectée de plusieurs grandes croix, dont elle était comme accablée, m’en fit le récit, qui me tira les larmes des yeux, et me perça le cœur de douleur. Avec toutes ces croix, elle était encore dans la disette de pain, et manquait de vêtements pour elle et pour ses enfants. Je ne pus l’assister selon le désir de mon cœur, parce que je n’en avais pas la permission de ma Supérieure. Quelques heures après, me trouvant seule, je pensais en mon intérieur à ce que je pourrais donner pour le soulagement de cette pauvre femme. Je me disais à moi-même: J’ai deux ou trois aunes de toile que je voudrais bien lui donner; mais ma Supérieure ne me le permettra pas. Comme je roulais ces pensées dans mon esprit, une voix que j’entendis au-dessus de ma tête, comme venant de la part de Notre Seigneur, me dit: « Si elle ne le veut pas, dites-lui que le Seigneur en a besoin pour couvrir ses membres qui sont nus. »

    Surprise et étonnée de ces paroles si touchantes, je commençai à lever la tête et à porter les yeux vers l’endroit d’où était partie cette voix. Je n’avais pas fait attention qu’il y avait au-dessus de ma tête un tableau d’où m’était venue cette parole. Il représentait Notre Seigneur cloué sur la croix, et les bourreaux travaillant à élever la croix debout pour la mettre dans le trou qu’ils avaient fait, et pour l’assujettir. Je commençai à réfléchir et à fixer mes yeux sur la représentation de Notre Sauveur crucifié; voici que dans le moment Notre Seigneur me parla une seconde fois. Je vis et j’entendis que cette voix Venait positivement du tableau de Jésus crucifié; et voici les paroles qu’il m’adressa tandis que je le regardais : « J’ai souffert, me dit cet aimable Sauveur, qu’on me clouât tout nu sur l’arbre de la croix. Ceux qui, pour l’amour de moi, couvriront et vêtiront les membres nus de mes pauvres, me feront plus de plaisir que si au jour de ma passion ils m’eussent fait, la charité de couvrir ma nudité sur la croix. »

Une religieuse qui a fait vœu de pauvreté, doit, avec permission, partager, dans certains cas, ce qu’elle a avec les pauvres.

    Voici ce que cette divine parole me fit connaître dans mon intérieur, sur ce qui me regarde, à l’égard de la pratique et de la perfection du vœu de la sainte pauvreté. D’abord, Dieu me fit connaître que j’avais plusieurs morceaux de linge et de hardes, et qu’il voulait qu’avec la permission de ma Supérieure je les partageasse, et que j’en fisse part aux pauvres; que j’y étais obligée, et que je ne devais pas dire : Je suis pauvre et à la charité. Car il y a des occasions où les pauvres se font mutuellement la charité. Comparez, me fit entendre Notre Seigneur, votre pauvreté et votre nécessité avec celles de cette pauvre femme. Cela me mit dans une très grande confusion en moi-même, et même je fus agitée de crainte pour mon salut au sujet de mon vœu de la sainte pauvreté. Hélas! me disais-je, je dois être pauvre absolument, j’en ai fait vœu, et cependant je ne manque de rien. La charité prend tant de soin de moi dans mes maladies et dans mes infirmités, que je ne manque pas plus que dans un autre temps. Cela me causa comme une inquiétude de conscience.

    Notre Seigneur m’a fait entendre qu’il ne demandait pas que ses vraies épouses, pour observer le vœu de la sainte pauvreté, fussent réduites à la mendicité comme les pauvres qui demandent leur pain de porte en porte; qu’il ne permettait même pas que cela arrivât; et que, quand cela arriverait, elles n’en seraient pas plus parfaites à ses yeux. Mais une chose qui déplaît à Dieu, c’est de voir dans ses épouses une certaine cupidité qui leur fait toujours craindre le besoin et l’indigence pour le temps à venir, et une certaine convoitise qui les porte à se plaindre sans nécessité; de sorte qu’il y en a qui sont toujours prêtes à recevoir, même par charité, et jamais à donner.

Circonstances extraordinaires dans lesquelles une religieuse est obligée d’assister les pauvres.

    Dieu me fit entendre que, suivant le vœu de pauvreté, et la charité qu’il commande dans les occasions de nécessité actuelle et pressante, les religieuses étaient obligées de faire l’aumône petite ou grande, comme les autres chrétiens; comme, par exemple, dans les temps extraordinaires de famine ou de disette. Je vois en Dieu que pour sauver la vie à une personne, une religieuse doit partager avec elle son morceau de pain, quand elle n’aurait que cela : elle devrait partager, pour ainsi dire, bouchée par bouchée, pour sauver la vie à son frère; cela arrive rarement.

L’âme religieuse doit avoir un cœur dégagé de toute cupidité, et compter sur les soins attentifs de la Providence.

« Chassez de vos cœurs, dit Notre Seigneur à ses épouses, toute cupidité et toute

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(276-280)

convoitise, aussitôt que vous vous en apercevrez. Vous êtes des pauvres volontaires, vous avez tout quitté pour me suivre; abandonnez-vous sans réserve à ma divine providence. En quoi vous ai-je manqué pour vous plaindre de moi ? la mère oublierait plutôt son enfant au berceau, que je ne vous oublierai. »

Pratique de pauvreté dans la nourriture, dans le vêtement et dans le coucher.

    J’ai vu en Notre Seigneur, que pour pratiquer son vœu de pauvreté et y vivre dans la perfection, il faut que le religieux ou la religieuse, tous les jours de sa vie, ait la pratique de s’abstenir volontairement de quelque chose de sa nourriture ordinaire. Ce n’est pas que Dieu veuille qu’on s’expose à se rendre malade, mais qu’on reste un peu sur son appétit, et qu’on s’abstienne, ne fût-ce que d’une bouchée de pain, ou quelque chose qui se trouve sur la table. Il est indigne devant Dieu qu’une personne qui fait profession de pauvreté, se laisse aller à l’intempérance du boire et du manger; c’est-à-dire, à se rassasier et à se contenter selon ce que demande la plénitude de la nature et de ses appétits, comme font les mondains. Ces personnes-là pèchent beaucoup plus qu’eux; et si c’est d’habitude à tous les repas et tous les jours, elles violent leur vœu de pauvreté, et ne le pratiquent point du tout. Sur ce point une religieuse doit encore avoir en vue de porter tous les jours quelque marque de la sainte pauvreté et de la sainte abjection dans ses habits, et même dans son lit, afin d’avoir quelque chose qui représente la sainte pauvreté, et qui lui en rappelle le souvenir. Elle doit faire la visite, ou la faire faire par sa Supérieure, pour s’assurer si elle n’est pas vêtue d’une manière à choquer la sainte pauvreté, et pour examiner encore s’il n’y a point quelque chose de plus que le simple nécessaire, afin de pouvoir faire une petite part pour les pauvres.

Exhortation à la perfection pratique de la pauvreté. En quoi consiste cette perfection.

    Voici ce que dit le Seigneur : « Vous êtes des pauvres et des pauvres volontaires; mais il ne suffit pas, pour pratiquer ce vœu, et pour être dans la voie de perfection, de n’être pauvre que dans la volonté : il faut encore que la volonté agisse. Il faut donc que cette volonté fasse mettre la main à l’œuvre et pratiquer les actions de la sainte pauvreté. Les autres pauvres sont vraiment pauvres, et pauvres par une nécessité absolue, et souvent contre leur gré; mais pour vous, qui êtes des pauvres volontaires, vous ne serez jamais de bons pauvres, ni parfaits à mes yeux, si votre volonté n’agit pour mon amour presqu’en toute occasion. Si cette volonté n’agit pas, quoiqu’elle soit pleine de bons désirs qui peuvent facilement nous tromper, les pratiques de la sainte pauvreté tombent aussitôt. »

    Voici l’apanage, ou plutôt l’étendard de J. C. crucifié et de sa sainte pauvreté. Il consiste à porter tous les jours de sa vie la croix de pénitence de la sainte pauvreté et de la mortification des sens intérieurs et extérieurs dans une sainte abjection, mépris et anéantissement de soi-même, à la vue de J. C. crucifié. C’est là l’étendard à la suite duquel nous devons marcher; c’est là le chemin de la vraie perfection de toutes les vertus.

Comment une religieuse doit faire usage de l’argent qui lui a été donné pour sa subsistance.

    Voici encore ce que Dieu me fait connaître. Quand la communauté et la Supérieure ont mis entre les mains d’une religieuse quelque argent pour sa subsistance et pour son entretien, cette religieuse doit, pour être en la perfection de son vœu de pauvreté, dépenser et user de cet argent selon les fins pour lesquelles il lui a été donné. Tant qu’elle a de l’argent pour sa subsistance, elle ne doit point recevoir d’aumônes, parce qu’elle n’est pas dans la nécessité actuelle pour la recevoir, et qu’elle n’est due qu’aux vrais pauvres. Pour être en la perfection du vœu de pauvreté, il faut une nécessité actuelle pour pouvoir recevoir, pour l’amour de Dieu, les charités qui nous sont données. Si vous avez seulement dix écus, et que vous les mettiez en dépôt par l’esprit de cupidité dont j’ai parlé, et dans la crainte des besoins à venir; si après cela vous vivez aux dépens de la charité des bonnes âmes, et recevez toutes les aumônes qu’on vous fait, vous vous rendez propriétaire contre le vœu de pauvreté, et vous péchez grièvement sans presque vous en apercevoir. Si c’est une grosse somme d’argent, vous devez d’abord la dépenser pour vos besoins et vos nécessités, auparavant que de recevoir des aumônes. Si c’est une petite somme qui ne suffise pas pour vous nourrir une demi-année, vous devez mêler ce peu d’argent avec les aumônes que vous recevez, et le dépenser de crainte qu’il ne vous arrive d’offenser Dieu. Par exemple, les religieuses qui gagnent leur vie, soit par leurs travaux, soit par leur science ou leurs talents, ont un grand avantage. Cependant je vois en Dieu que le plus parfait pour elles serait si, ayant peu ou beaucoup d’argent en réserve, ou comme en dépôt, elles le mêlaient à celui qui leur est donné pour leur subsistance actuelle, de peur que la cupidité ne vienne à s’emparer d’elles. Dans les temps de nécessité évidente, où des familles entières de pauvres sont dans la disette, elles doivent prendre d’abord de cet argent de réserve, sans craindre de le diminuer, pour assister les pauvres. Si elles n’agissent pas ainsi, et qu’elles

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(281-285)

gardent de l’argent en dépôt plusieurs années, elles se rendent propriétaires de cette somme.

Faute que la Sœur reconnaît avoir commise contre la pauvreté.

    Voici la faute que j’ai faite, et que Dieu m’a fait connaître. Ne pouvant gagner ma vie à cause de mon âge et de mes infirmités, des personnes pieuses m’ont donné, par charité, cent livres par an, pour aider à me nourrir aux personnes chez qui je demeure. J’avais de plus cent cinquante-trois livres que ma Supérieure m’avait données pour m’aider à vivre : je gardais cet argent-là comme en dépôt, et à l’insu des personnes qui me nourrissaient par charité. Ma bonne Supérieure me dit un jour: Ma Sœur, je veux que vous preniez de l’argent que vous avez mis en réserve, cinquante livres par an, que vous ajouterez aux cent livres que les personnes charitables vous donnent pour aider ceux qui vous nourrissent. Vous en aurez pour trois ans; il vaut bien mieux que vous les dépensiez pour votre nourriture, que de soustraire l’aumône aux pauvres, parce qu’il est certain que ceux qui vous nourrissent par charité donnent moins aux pauvres. Comment croyez-vous être reçue devant Dieu, en conservant cet argent-là pour les religieuses après votre mort?

    Je reçus cet ordre comme de la part de Dieu; j’en fus même bien-aise, et je promis à ma Supérieure de l’exécuter. Il échut un quartier de ma pension, et j’y ajoutai ce que ma Supérieure m’avait prescrit. Mais, hélas! voici une maudite réflexion qui me vint sur mes besoins dans mes maladies et sur mon entretien. Je me trouvais manquer d’habillement pour l’hiver; j’en parlai à ma Supérieure, et je lui représentai mes besoins plutôt à venir que présents. Cette bonne mère céda à mes représentations en me disant qu’il fallait employer cet argent à mesure que j’en aurais besoin, soit pour me vêtir, soit pour mes nécessités dans mes maladies.

    Voici ce que Dieu me fait connaître et ce à quoi il m’oblige. Il m’ordonne de restituer à ceux qui me nourrissent l’argent que j’aurais dû leur donner depuis l’époque où j’avais donné un quartier. Je me trouve redevable de cinquante livres sur soixante-trois livres que j’ai encore. Dieu veut qu’avec cet argent je m’acquitte pour le présent de ce que je dois, parce que je serai dans une parfaite pauvreté de biens temporels. Cependant, comme j’ai fait le vœu d’obéissance, je n’agirai que selon les conseils de mon confesseur et de ma Supérieure.

§. VI.
Conduite que doivent tenir dans le monde les religieuses que la révolution a obligé de sortir de leurs monastères. Costume qu’elles doivent porter. À cette occasion la Sœur rapporte les circonstances de sa sortie et les règles de conduite que Notre Seigneur lui donna.

    Ce traité regarde les personnes consacrées à Dieu, particulièrement les religieuses, dans les temps des révolutions et des persécutions contre l’Église, pendant lesquelles la violence des persécuteurs a chassé les religieuses de leurs communautés pour les mettre dans le monde comme des brebis errantes et sans pasteur.

    Voici ce que le Seigneur m’oblige de faire écrire sur la conduite que doivent tenir les religieuses qui se trouvent forcées d’habiter dans le monde, d’après ce qu’il m’avait fait connaître quelque temps avant ce maudit désastre, par lequel nous étions menacées de sortir de force et par violence de notre communauté.

Alarmes de la Sœur quand elle apprend qu’on la fera sortir de sa communauté. Elle a recours à la prière.

    Ce malheur inouï me saisissait le cœur de manière à ne savoir que répondre. Je me tournai aussitôt vers Notre Seigneur, en le priant en union de la sainte prière qu’il fit au jardin des Olives la veille de sa sainte Passion. Voici ce que je demandais au Seigneur : Mon Dieu, s’il est possible, faites que ce calice passe sans que nous le buvions. Je renouvelais cette prière toutes les fois qu’on nous rapportait la cruelle nouvelle qu’il était certain qu’on nous ferait sortir de notre communauté. Quand je pouvais avoir le temps, je m’en allais devant le Saint-Sacrement crier miséricorde aux pieds de Notre Seigneur, répétant toujours la même prière.

Notre Seigneur lui déclare que sa sortie est ordonnée dans sa justice. Elle s’y soumet.

    Notre Seigneur me dit: « Oui, vous sortirez, je l’ai ordonné dans ma justice. » Et Dieu me fit entendre que ses ordres étaient non-seulement pour moi, mais encore pour presque toutes les communautés, ce qui me jetait dans des alarmes pires que la mort.

    Néanmoins je me résignai à la volonté de Dieu, et je me sacrifiai à sa justice dans l’union du sacrifice que Notre Seigneur avait fait et offert à son Père en acceptant sa sainte Passion. Je disais: Hélas! Seigneur, dans le sacrifice que je vous fais, tout révolte mes sens, la nature et ma propre volonté; mais cependant je vous en fais le sacrifice. Que votre sainte volonté soit faite, et non pas la mienne. Ensuite je représentai à Notre Seigneur toutes mes alarmes, en lui disant : Seigneur, ce sacrifice me coûte plus que la mort. Comment, mon Dieu, aller dans le monde que je hais tant, et que j’ai quitté d’un si grand cœur ? comment observerai-je des vœux ailleurs que

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dans une communauté? Et avec des gémissements redoublés, je disais: Mon Dieu, où me conduirez-vous, où me mettrez-vous pour remplir mes obligations et pour conserver l’esprit de mon état? Notre Seigneur calma mes alarmes en me disant: « Ne vous affligez pas tant, ma fille; ayez recours à moi, je serai toujours avec vous et je vous mettrai dans mon cœur.»

De quelle manière les religieuses furent enlevées de leur communauté.

    Ensuite voici le jour fatal où commença notre désastre. Une garde nombreuse de soldats armés se présenta : quelques-uns se détachèrent, escaladèrent les murs, et firent lever les serrures par un serrurier; puis ils montèrent sur les fenêtres du chœur où nous étions toutes rassemblées. Deux passèrent par les fenêtres, et ouvrirent toutes les portes en-dedans : alors tous entrèrent en armes dans le chœur avec nous, sans cependant nous toucher ni nous faire aucune insulte, pas même de paroles. Les parents de plusieurs religieuses firent venir des voitures qu’on fit entrer dans la clôture.

Protestation de la Sœur avant de monter en voiture.

    La sainte Providence permit que ce fût moi qui montai toute la première dans la voiture, et voici ce qui m’arriva: Je ressentis une vive impression dans mon intérieur de la part de Notre Seigneur, qui me dit : « Parlez à l’assemblée, et faites-lui connaître votre douleur et les sentiments de votre cœur. » Aussitôt, sans délibérer ni réfléchir, je dis: Messieurs, permission de parler; ils me donnèrent audience. Je leur dis d’une voix forte et animée : Sachez, messieurs, que si la loi qui nous met hors de notre communauté, avait plutôt attenté à notre vie, c’eût été pour nous une grâce et une grande grâce. Et incontinent je montai en voiture avec deux de nos mères, qui avaient prié leur frère de me prendre avec elles par charité.

Effets de sa protestation.

    Quand nous fûmes arrivées, Notre Seigneur me fit entendre que si, à la vue d’un si grand nombre de personnes, nous étions toutes sorties sans rien dire, comme des moutons, il y aurait eu des soldats qui s’en seraient grandement scandalisés, en pensant qu’ils nous avaient fait plus de plaisir que de peine. Mais au lieu de se scandaliser, plusieurs soldats des plus enflammés se mirent à pleurer. Notre Seigneur me fit encore entendre qu’au jugement général, pour en montrer l’équité, il se servirait de quelques-unes des paroles qu’il m’avait mises dans la bouche, afin de manifester la peine qu’on avait faite à ses épouses.

Règles de conduite que Notre Seigneur donne à la Sœur.

    Deux ou trois jours après notre sortie de la communauté, implorant dans ma prière le secours de Dieu pour m assister et pour me conduire dans cette vallée de larmes; Notre Seigneur, par sa pure bonté, m’instruisit de la manière qu’il fallait me conduire, et voici ce qu’il me dit: « Armez-vous comme un soldat qui entre dans un champ de bataille, prenez des armes offensives et défensives; ayez une foi vive, une ferme espérance, une ardente charité; ce sera mon grand amour qui vous fera remporter la victoire sur tous vos ennemis, et triompher dans tous vos combats. Gardez la solitude extérieure, autant qu’il vous sera possible. » Pour la solitude intérieure de l’esprit et du cœur, elle vous est absolument nécessaire. Marchez dans ma présence de la manière que l’ombre suit le corps, c’est le moyen de devenir parfaite. Fuyez le monde comme je l’ai fui; haïssez ses maximes et ses discours, comme le péché; pratiquez le silence et l’oraison; aimez la prière et le travail; faites pénitence dans les larmes et dans la douleur de me voir tant offensé, avec les gémissements d’un cœur contrit et humilié. » Notre Seigneur ajouta: « Telle est la conduite de vie intérieure que je vous prescris. Je vous enjoins de l’observer autant qu’il vous sera possible. Je serai avec vous dans toutes vos tribulations; et là où l’on vous conduira, je vous accompagnerai. J’observerai toutes vos démarches, je vous servirai de guide dans tous les chemins inconnus. C’est moi qui suis le bon pasteur. Je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent; aussi je les appellerai par leur nom, je marcherai devant elles, et elles me suivront. »

Par cette épreuve Notre Seigneur connaîtra les religieuses qui sont à lui. Soins qu’il prendra d’elles.

    Le Seigneur me dit ensuite: « Voilà que j’ai mis toutes les religieuses à l’épreuve, les bonnes comme les mauvaises, et l’on verra par-là celles qui m’appartiennent. Les religieuses qui sont à moi auront toujours à cœur l’esprit de leur état par l’amour qu’elles me portent : aussi je ne les abandonnerai jamais. Comme elles auront leur cœur presque toujours tourné vers moi, j’aurai toujours les yeux sur elles. Dans les besoins pressants, et dans les peines qu’elles éprouveront, je serai toujours prêt à les secourir. La mère oublierait plutôt les enfants qu’elle a portés dans son sein, que je ne les oublierai. Je serai leur Dieu, leur père et leur époux, enfin leur roi. »

Notre Seigneur console la Sœur dans la peine qu’elle éprouve d’être privée des sacrements.

    Un jour, étant dans une très grande peine d’être privée des sacrements, Notre Seigneur me fit ce doux reproche : « De quoi te plains-tu, ma fille? Ne suis-je pas ton pasteur, ton confesseur, ton directeur? En quoi peux-tu te plaindre de moi? Je suis ton tout en toutes choses. »

Grâces que Notre Seigneur promet à toutes les religieuses. Celles qui en profiteront, et celles qui n’en profiteront pas.

    Ensuite le Seigneur me dit: « Je prendrai soin de toutes les religieuses, je les instruirai toutes en général, les

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bonnes comme les mauvaises; et au tribunal de ma justice, elles n’auront point de reproches à me faire: au contraire, elles se jugeront elles-mêmes sur la malheureuse conduite qu’elles auront suivie, au préjudice de ma grâce. Je les instruirai et je les enseignerai par de bons livres et par les instructions de mes ministres. Cent fois, dans le secret, j’ai touché leur cœur par des mouvements vifs et pénétrants de ma grâce, qui leur fait connaître ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter. Mon épouse fidèle m’écoutera, et, obéissante à mes inspirations, exécutera autant qu’il lui sera possible ce que je lui ordonnerai au sujet de ses devoirs et de ses obligations. Mais seront-ce les religieuses mondaines qui m’obéiront? Non. J’irai cent et cent fois frapper à la porte de leur cœur, sans quelles m’ouvrent. Au lieu de faire comme les vierges prudentes qui, par l’attention qu’elles ont sur elles-mêmes, évitent toutes les mauvaises occasions qui peuvent les porter au péché, celles-ci, au contraire, les recherchent et s’y portent d’elles-mêmes. À mon tour, je me retirerai d’elles, comme elles se retirent de moi. Que puis-je attendre de ces religieuses mondaines et infidèles dans leur communauté, sinon qu’elles foulent aux pieds tous mes bienfaits, et qu’elles prennent leur plaisir à rechercher les conversations mondaines, au lieu d’être fidèles à ma grâce. Je les abandonnerai à leur sens réprouvé; je les laisserai courir les plaisirs et rechercher les satisfactions du monde; et au lieu d’édifier le monde, elles le scandaliseront.

    » Mon épouse, au contraire, par l’attention qu’elle a sur elle-même et sur ses obligations, se rendra respectable à tous, même à ses ennemis, et tout le monde la regardera et la reconnaîtra pour une bonne et véritable religieuse. Et ce que je dis de cette bonne religieuse, je le dis de toutes celles qui sont à moi et qui me sont fidèles. C’est à elles que j’ai dit: Soyez parfaites, comme votre Père céleste est parfait. Soyez saintes parce que votre Père céleste est trois fois saint. »

Costume que doivent porter les religieuses dans le monde.

    Je suis obligée de déclarer ce que Dieu m’a fait connaître dans sa lumière au sujet du costume des religieuses qui ont été jetées dans le monde, et qu’on a dépouillées du saint habit de religion pour les revêtir d’habits séculiers.

Leur coiffure.

    Je vois en Dieu qu’il est messéant à une chaste épouse de J. C., d’avoir la tête et le col vêtus à la mode des personnes du monde. La volonté de Dieu est que toute religieuse porte à la tête une guimpe qui lui serre le tour du visage et qui fasse le tour du col, que ce qui tombe de la guimpe sur la poitrine et sur les épaules, soit relevé autour du col; que le bandeau de religion soit mis à la tête par-dessus la guimpe; qu’il soit au tiers ou à la moitié du front, par-dessous une coiffe à rolet qui déborde un peu le bandeau, en tombant sur le front; que le mouchoir de col soit de toile de brin ou de lin blanchi; que la toile de la coiffe soit de même espèce que le mouchoir qu’elles mettront par-dessus le tour de la guimpe, serré avec une épingle au haut du col; que les deux pattes de la coiffe soient également attachées par-dessous le menton, et non pas relevées sur la tête; que le capot soit de laine, sans bordure de soie; qu’il déborde la coiffe de la largeur d’un doigt vers les sourcils; que les religieuses le portent journellement pour suppléer au voile; mais quand elles sont par nécessité obligées de sortir, elles le mettront plus bas, si elles le veulent, à leur dévotion.

Couleur et simplicité de leurs vêtements.

    Voici ce que j’ai encore vu en Dieu au sujet de tous les vêtements séculiers que peuvent porter les religieuses. Il y en a de trois couleurs : le premier est brun, d’étoffe de laine la plus simple, pour imiter les vierges sages qui vivent dans la sainte Église en renonçant au monde et à toutes ses maximes, et qui, pour montrer qu’elles gardent le célibat, portent le brun; le second vêtement est de couleur noire, pour imiter celle des habits ecclésiastiques; le troisième est blanc, à l’imitation de la robe blanche qui fut donnée à Notre Seigneur chez Hérode. Ce vêtement blanc ne peut être que de toile de brin ou de lin, ou de laine la plus simple.

    Je vois en Dieu que les pauvres religieuses qui n’ont pas le moyen d’acheter un habit complet, peuvent se servir des habillements de religion de leur communauté, les découdre et les mettre en habits séculiers, de quelque couleur qu’ils soient; il est censé qu’ils ne sont point de couleur mondaine. Toutes les religieuses peuvent porter des habits de l’une des trois couleurs ci-dessus désignées, et même du gris, qui était d’usage dans leur communauté, pourvu que ces vêtements soient d’étoffes les plus simples et selon la modestie, la sainte pauvreté et la sainte abjection.

Leurs chaussures.

    Fuyez toutes les modes du monde, même dans la chaussure; que les souliers se rapprochent le plus possible de ceux qu’on portait dans la communauté; qu’il en soit de même pour les bas, et qu’il n’y ait jamais de rayures ni dans les flanelles, ni dans les étoffes. Si quelques personnes, par charité,

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(296-300)

donnent quelque habillement rayé aux religieuses, celles-ci doivent les faire teindre avant que de les porter. Elles sont aussi obligées, quand elles sortent, de porter sur leurs habits un mantelet de laine noire, sans aucune façon mondaine, pour plus grande modestie.

Leur coucher.

    Toutes les religieuses sont obligées, autant qu’elles le pourront, de coucher dans des lits, comme dans leurs communautés, coiffées comme elles étaient. Celles qui couchaient vêtues doivent se revêtir de leur robe et de leur ceinture, comme dans leur communauté. J’en connais plusieurs qui le font ainsi. Dans des temps de terreur, toute religieuse peut se déguiser pour se procurer les sacrements.

§. VII.

Comment les religieuses qui sont dans le monde doivent observer leurs vœux. Vœux d’obéissance et de pauvreté.

Les religieuses sont obligées de tendre à la perfection par l’observation de leurs vœux.

    Je suis encore obligée, à l’égard des religieuses, de rapporter quelque chose sur l’observation de leurs vœux pendant qu’elles sont dans le monde. Il y a des religieuses si imparfaites, quelles s’imaginent qu’étant hors de leurs communautés, elles n’ont presque rien à observer ni de leurs vœux, ni de leurs règles. ll leur semble que tout est annulé et qu’elles ne sont plus obligées à rien, puisqu’elles ne sont plus dans leur communauté. Cet aveuglement vient de ce qu’elles ne tendent pas de tout leur cœur à la perfection, à laquelle elles sont pourtant obligées de tendre, sous peine de péché mortel.

    Car si Notre Seigneur a dit dans son Évangile : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait, » je vois en Dieu qu’il ne s’agit pas d’avoir la présomption et l’audace de vouloir parvenir à la sainteté de Dieu qui est trois fois saint. Notre Seigneur marque par-là que tout chrétien est obligé de tendre à la perfection de son état, mais particulièrement que toute personne consacrée à Dieu par l’état de sainteté où Dieu l’appelle, est obligée de tendre à la perfection de tout son cœur et de toute son âme pour l’amour de Dieu, et sous peine de péché mortel; et que si elle cesse de tendre à la perfection, et si elle oublie ce grand point, soit par mépris, soit par négligence ou par crainte de devenir scrupuleuse, c’est une erreur.

Illusion au sujet du vœu de l’obéissance.

    Je vois en Dieu que de telles religieuses s’éloignent de Dieu et l’oublient; qu’elles s’oublient elles-mêmes et oublient la plus grande partie de leurs obligations. Par exemple, au sujet du vœu d’obéissance, les religieuses imparfaites, qui sont obligées de vivre dans le monde, trouveront qu’elles sont hors du joug de l’obéissance, n’étant plus sous les yeux de la Supérieure; et comme elles ont eu une permission générale à la sortie de la communauté, elles se forment un plan de vie dans le monde, selon leur plaisir et selon leur propre volonté; elles se disent en elles-mêmes : Je suis quitte devant Dieu, ma Supérieure m’a donnée toute permission. Elles font entendre à tous ceux qui veulent les écouter, qu’elles agissent avec la permission de leur Supérieure.

    Quand elles vont à confesse, elles ne trouvent presque rien sur quoi elles puissent faire leur examen. Si elles ont quelque permission à demander à leur confesseur, elles ne s’adresseront pas à ceux qui ont plus d’expérience sur la vie religieuse; elles iront en trouver un qui, peut-être, n’aura jamais fait aucune étude des vœux monastiques: elles lui demanderont permission de se promener et de prendre l’air pour leur santé. Ce confesseur, qui ne connaît pas bien l’étendue de l’obligation des vœux, leur permet tout au grand et au large. Les pauvres filles! c’est tout ce qu’elles désirent.

    Si la Supérieure apprend qu’elles se donnent trop de liberté, et si elle veut les reprendre et leur faire de charitables remontrances, elles lui répondent : Ma mère, j’ai la permission de mon confesseur. Cette bonne mère Supérieure leur répliquera : Mes sœurs, les messieurs prêtres ne disent pas tous de même; j’en ai trouvé quelques-uns qui voient du mal où les autres n’en trouvent point. Ces religieuses lui répondront : Ma mère, vous allez chercher les plus scrupuleux : pour nous, nous obéissons à notre confesseur, et nous sommes dans la voie du salut. En, sorte que la Supérieure est obligée de céder et de se retirer.

Caractère de la vraie obéissance.

    Tout le mal vient de ce qu’on ne rentre pas assez en soi-même, et de ce qu’on ne médite pas sur ses obligations. La religieuse qui tend à la perfection trouve beaucoup de sujets sur lesquels elle peut s’examiner. Marchant en la présence de Dieu, elle ne fera aucun pas, aucune démarche, elle ne formera aucun projet sans consulter Dieu et sa conscience pour connaître s’il n’y a rien en cela contre ses vœux ou contre ses obligations. Se souvenant que Notre Seigneur a été obéissant, et obéissant jusqu’à la mort de la croix pour notre amour, elle fera tout son possible pour lui rendre amour pour amour, et elle ne fera rien dans toutes ses actions qui pourrait être contraire

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à la volonté de Dieu. Presque toujours occupée à s’examiner, elle se dit en elle-même : Est-ce bien là la volonté de Dieu que je fais? suis-je où Dieu me veut? Elle obéit à sa sainte grâce autant qu’il lui est possible, pensant que c’est à Dieu même à qui elle obéit. Elle obéit ponctuellement à sa Supérieure, soit par lettres, si elle est trop éloignée d’elle, soit de vive voix en allant la trouver. Cette bonne religieuse lui demande exactement ses permissions, et lui rend compte de sa conduite non-seulement pour l’extérieur, mais encore pour l’intérieur. Elle grave bien avant dans son cœur les charitables avis et remontrances que sa bonne mère lui donne, en considérant qu’elle lui tient la place de Dieu même.

La foi et l’amour de Dieu, armes offensives et défensives d’une bonne religieuse.

    Cette bonne religieuse est revêtue continuellement de ses armes offensives et défensives, comme nous l’avons déjà dit. Ces armes sont la foi et l’amour de Dieu. Le flambeau de la foi, la conduit dans toutes ses démarches, et l’éclaire dans toutes ses actions. L’amour de Dieu l’enflamme si vivement et l’unit si étroitement à son époux, qu’on dirait qu’elle est plus à Dieu qu’à elle-même; que Dieu est comme la vie de sa vie, et l’âme de son âme. Accoutumée à agir par les vérités de la foi qui la conduit droit à Dieu, sans aucun mauvais détour, elle n’a d’autre occupation que celle de plaire à son époux et de vivre sous sa dépendance et en sa présence. Elle médite, autant qu’elle peut, sa sainte loi, ses divins commandements et toutes ses obligations, persuadée que c’est le chemin que Dieu lui a marqué pour parvenir à sa jouissance dans le ciel. Heureuses les religieuses qui se comporteront de cette manière!

Trait d’une religieuse qui avait l’habitude de la présence de Dieu.

    Dans ma communauté, j’ai connu une religieuse qui, me parlant du bon Dieu, me dit tout-à-coup, d’une manière à montrer que cela sortait de l’abondance de son cœur : Ah! ma Sœur, que c’est un grand malheur que de perdre la présence de Dieu la longueur seulement d’un pater et d’un ave! Je lui demandai sans curiosité, mais pour m’instruire, comment elle se comportait avec les religieuses à l’ouvroir, où il était permis de parler en travaillant l’après-midi. Elle me répondit simplement : Ma sœur, comme la présence de Dieu m’est en habitude, il m’arrive quelquefois, après avoir dit quelques mots aux religieuses, de perdre toute attention aux créatures et à tout ce qu’elles disent; de sorte que je ne pourrais pas rendre compte de tout ce qui s’est dit et de tout ce qui s’est passé.

En quoi consiste la vraie pauvreté religieuse. Son étendue.

    Disons aussi quelque chose sur le vœu de pauvreté que doivent observer les religieuses dans le monde, dans les temps de persécutions. Il faut pratiquer exactement la sainte pauvreté, qui est inséparable de la sainte abjection, sa fille aînée. Cette vertu renferme trois choses : pauvreté absolue de tout bien temporel, pauvreté d’esprit, pauvreté de cœur, c’est-à-dire de tout désir, même de toute consolation.

Pauvreté de J. C.

    Je reviens toujours à ce divin modèle, notre adorable Sauveur, qui a pratiqué une si grande pauvreté depuis sa naissance jusqu’à sa mort. On voit reluire en sa personne cette sainte pauvreté et cette sainte abjection. Ah! quelle abjection pour ce Dieu sauveur, que de naître sur le fumier, entre deux animaux, et que d’être couché dans une crèche! Il commence à embrasser la pauvreté, et elle l’accompagne pendant, toute sa vie jusqu’au tombeau, comme nous le voyons dans l’Évangile, qu’il est venu nous annoncer pour nous instruire de sa sainte loi. Ce divin Sauveur a créé le ciel et la terre. Tous les biens sont à lui, et cependant il n’avait aucun bien temporel, ni maison, ni terre, ni rente, et vivait uniquement des aumônes des personnes charitables. Il était dans ce monde comme un pèlerin qui passe, qui ne possède rien autre chose que sa vie, et pour faire son voyage que les charités qu’on lui donne. ll n’a pas seulement, ce divin Sauveur, de quoi payer le tribut à César. ll faut qu’il fasse un miracle; il fait plusieurs fois des miracles pour ses créatures quand elles sont dans le besoin et que la nourriture leur manque, comme il arriva à la multiplication des pains. Hélas! ce divin Sauveur n’en fait pas autant pour lui-même, ni pour ses apôtres; car il est dit qu’un jour qu’ils étaient dans la nécessité et dans le besoin de manger, sans avoir de quoi se sustenter, cet aimable Sauveur n’eut, point recours à un miracle; mais il se mit, lui et ses apôtres, à couper des épis de blé clans un champ, à les broyer entre leurs mains, et à en mettre dans leur bouche quelques pincées qu’ils mangèrent pour apaiser un peu leur faim. Eh quoi! divin Sauveur, vous avez opéré tant de fois des miracles pour nourrir des ermites au fond des déserts! vous leur avez envoyé du pain par vos anges, et quelquefois même par des bêtes!

    O sainte pauvreté! ô sainte abjection ! que tu es aimée de mon Sauveur! il te prend pour compagne pendant toute sa vie, et te reste attaché jusqu’à la mort. Il veut mourir entre tes bras. Il me semble que le ciel et la terre se sont accordés et ont concouru ensemble pour affliger et faire souffrir de

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toutes manières cet aimable Sauveur. Il est privé de toutes consolations divines et humaines. On dirait que le ciel est devenu d’airain pour lui refuser tout secours. Quoi! il prie son Père, et ce divin Père n’écoute plus son Fils, et son Fils unique! Ce qui fut le sujet de la juste plainte de cet aimable Sauveur sur la croix : Mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné? Il se plaint de la soif, on l’abreuve de fiel et de vinaigre; on lui refuse un verre d’eau. O sainte pauvreté! tu l’as dépouillé de ses propres vêtements pour le laisser étendu nu sur la croix ! O quel dénuement ! O quel abandon! ô quel sacrifice de tout ! ô mon divin Sauveur, en quel état êtes-vous réduit pour notre amour!

La croix de J. C. est la chaire d’où il prêche aux âmes la plus sublime perfection.

    Je vois en Dieu que ce divin Sauveur, vrai Dieu et vrai homme, attaché a la croix, a fait de cette croix une chaire, d’où, comme un divin prédicateur, il montre l’exemple, prêche la plus sainte doctrine, et fait voir toutes les vertus dans leur plus sublime et divine perfection. Pour le voir dans cet état, où il opère le plus grand miracle qui fût jamais, et qui jamais ne peut être compris par les hommes; pour apercevoir quelque chose de ce miracle, il faut considérer ce divin Sauveur sur la croix comme sur un trône de justice, d’où il a prononcé cette parole qu’il dit dans sa vie mortelle : « Quand le Fils de l’homme sera élevé entre le ciel et la terre, il attirera tout à lui. » Je vois en Dieu qu’il attire tout à lui par la foi vive, par un ardent amour et par le désir de tendre, chacun dans son état, à la perfection.

Les âmes consacrées à Dieu par les vœux qui ne tendent pas à la perfection, reculent sans s’en apercevoir.

    Je vois en Dieu que toutes les âmes qui ont fait des vœux solennels et qui se sont consacrées à Dieu plus particulièrement que le commun des chrétiens, sont obligées, par leur profession, de tendre sans cesse à la perfection; si elles s’éloignent de ce point, où qu’elles s’oublient en menant une vie molle et en cherchant à tenir le milieu, c’est-à-dire à n’être pas tout-à-fait mauvaises, de peur de donner du scandale , mais aussi à mettre de côté le désir et les moyens de tendre à la perfection de leur état; si, dans cette disposition, elles vivent contentes, croyant faire leur salut, ces âmes oublient ces paroles : Celui qui n’avance pas recule. Je vois en Dieu qu’elles reculent d’une telle manière, qu’elles tombent d’aveuglement en aveuglement, presque sans s’en apercevoir; elles ne s’aperçoivent pas même qu’elles sont dans les voies de la perdition.

Les âmes fidèles, au contraire, qui tendent sans cesse à la perfection, avancent beaucoup sans s’en apercevoir.

    Je vois aussi en Dieu que les âmes fidèles à écouter la grâce et à mettre en pratique ce qu’elle leur inspire, qui ne mettent point de bornes à l’activité de leurs désirs; qui tendent sans cesse à se purifier et à se sanctifier, et qui travaillent dans la lumière et dans l’esprit de la foi et du pur amour de Dieu, afin de plaire de plus en plus à leur divin Sauveur par la pratique des vertus; je vois en Dieu, dis-je, qu’il arrive souvent à ces bonnes âmes d’avancer à grands pas vers la perfection, presque sans s’en apercevoir. Je vois dans cet adorable Sauveur des grâces de sanctification qui découlent continuellement sur ces âmes, et par lesquelles il les attire à lui, qui est l’auteur de toute perfection.

Pratique de la pauvreté. N’avoir rien en propre; recevoir tout en aumône.

    Voici, par rapport à la sainte pauvreté, ce que doivent pratiquer pour l’extérieur et pour l’intérieur toutes les religieuses qui sont obligées de vivre dans le monde.

    Il faut qu’elles se persuadent vivement qu’elles sont au rang des pauvres et qu’elles ont fait le vœu de pauvreté. Les pauvres qui demandent l’aumône aux portes peuvent disposer de ce qu’on leur donne, et dire : cela est à moi; mais la religieuse ne peut le dire, ni même le penser, elle doit se regarder comme une pèlerine, une étrangère qui vit aux dépens de la sainte charité que lui procure la sainte Providence, et recevoir tout, quand ce ne serait qu’une poire ou une pomme, ou un verre d’eau. Elle doit recevoir tout par charité comme une aumône; elle n’aura pas de peine à le faire, si elle est véritablement pauvre de cœur, d’esprit et de volonté.

    Mais, me dira certaine religieuse, je suis de famille et de grande naissance; je suis chez mes proches parents, je ne puis pas me singularisée à cause de mon vœu de pauvreté, je suis obligée de manger à leur table. Voici ce que je vois en Dieu, Toute religieuse est morte à ses parents; elle doit recevoir d’eux tout le bien qu’ils lui font par pure charité et pour l’amour de Dieu.

Conduite d’une religieuse chez des parents pauvres.

    Quand Dieu met une religieuse à la table de la sainte pauvreté, et qu’il l’éprouve par la disette, ce qui arrive lorsqu’elle demeure chez de pauvres gens qui peuvent à peine lui donner les choses nécessaires à la vie, alors cette bonne religieuse, qui porte dans son cœur son vœu de pauvreté, souffrira la disette avec joie et avec consolation, et bénira le Seigneur de se voir à même de pratiquer son vœu de pauvreté. Et voilà ce que toute religieuse doit faire, quand Dieu lui en donne l’occasion.

Trait d’amour pour la pauvreté dans une religieuse de nos jours.

C’est ainsi qu’a fait une bonne religieuse de nos jours. On la logea dans la pauvre masure d’un vieux bâtiment. Il y avait plusieurs ouvertures qui n’étaient bouchées que par des toiles d’araignée et de la poussière. Elle s’aimait dans

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cette masure. Ou voulut, par charité, la loger ailleurs. Non, dit-elle, je ne puis quitter ce logement qui a tant de rapport à l’étable de Bethléem où mon Sauveur est né. Pour gagner sa vie, elle prit de petits enfants à instruire. Pour son salaire, les uns lui apportaient de petits morceaux de pain, et les autres de petits chanteaux (1); de sorte que quelquefois elle en avait trop à la fois. Elle le mangeait moisi; mais de crainte de le laisser perdre, elle convint qu’on ne lui donnerait du pain qu’une ou deux fois la semaine, et en certaine petite quantité. Dieu, qui voulait encore l’éprouver, permit que ces bonnes gens oubliassent de lui apporter du pain au jour marqué. C’était même dans un temps de jeûne. Cette religieuse ne pensait seulement pas qu’elle n’avait point de quoi dîner. Quand vint l’heure, de midi, elle va pour dîner. Elle ne trouve qu’une petite croûte de pain de deux ou trois bouchées. Ce fut alors que son cœur s’épanouit de joie et de consolation.

(1) Quartier d’un pain.

    Ah ! dit-elle, me voilà à la table de la sainte pauvreté. Mon Dieu! je vous rends grâce de ce que vous me mettez à même de pratiquer mon vœu de pauvreté.

    Dans ce moment elle vint à se ressouvenir que son fondateur, à l’exemple de Notre Seigneur, avait mendié son pain. Je ne dois pas, dit-elle, tenter Dieu, et penser qu’il aille faire un miracle pour me nourrir. Je m’en vais chercher du pain aux portes, pour l’amour de Dieu. Son cœur, tout rempli d’amour pour Dieu, était dans la jubilation, et se réjouissait de trouver cette occasion de pratiquer l’humilité et la sainte abjection. Elle part, et va chez le plus près voisin. Dans l’esprit d’un bon pauvre, pour l’amour de Dieu, et par charité, elle demande un morceau de pain pour dîner. Ces pauvres gens, bien étonnés et surpris, lui donnèrent pour son dîner de ce qu’ils pouvaient avoir, et lui dirent : Madame, quand vous aurez besoin, venez chez nous, tant que nous aurons du pain, vous en aurez; mais, de grâce, ne le demandez pas par pure charité, ni de cette manière, cela nous fait trop de peine. Quand vous viendrez pour en chercher chez nous, s’il ne s’y trouvait que les enfants, voilà où on met le pain, entrez hardiment, comme si c’était en votre maison, et prenez-en autant qu’il vous en faudra. La religieuse répondit : Non, mes amis, je ne ferai pas cela, et je vous supplie de ne point vous faire de peine toutes les fois que vous me verrez venir vous demander l’aumône par charité et pour l’amour de Dieu. Je le ferai, parce que je le dois et que je m’y suis obligée par mon vœu de pauvreté. Je vous supplie de ne pas m’empêcher de le pratiquer, parce que vous me causeriez beaucoup de peine. Tout ce que je vous demande, je vous le demande par charité, et tout ce que je reçois, je le reçois par charité et pour l’amour de Dieu. C’est pourquoi, mes bonnes gens, je vous prie de ne pas le trouver mauvais. Je ne puis faire autrement. Je m’y suis accoutumée par respect pour mon vœu de pauvreté, et je suis une vraie pauvre.

Conduite d’une religieuse chez des parents riches.

    Je vois en Dieu que les religieuses qui sont dans le monde et chez des parents très riches, sont plus à plaindre que celles dont je viens de parler. Cependant elles peuvent observer leurs vœux, du moins intérieurement, et tendre à la perfection, si elles pratiquent à l’extérieur ce que Dieu me fait écrire. Si elles sont obligées de manger à la table de leurs parents, tous les jours, et qu’elles ne puissent faire autrement, elles doivent avoir en vue la sainte pauvreté, et la présence de Notre Seigneur, qui les voit et les considère partout. Par ce moyen, elles prendront du courage, et elles auront une grande confiance en Dieu et en l’amour de Notre Seigneur.

    Étant à table, elles doivent avoir un air modeste, des vêtements convenables à une religieuse, et conformes à la pauvreté et à la sainte abjection. Elles, doivent n’avoir rien de mondain, ni dans l’habillement, ni dans les paroles, ni dans le maintien; avoir les yeux, baissés sans affectation, parler très-peu et seulement par nécessité; prendre garde de donner leur attention aux discours mondains ou profanes, et a ceux qui attaquent plusieurs vertus tout-à-la-fois. Il faut qu’elles gardent un profond silence, sans mêler aucune parole à la conversation, sinon que, quand on les reprend de leur silence, elles doivent répondre simplement : Je n’ai rien à dire à ces discours, ils ne sont point de mon état et ne me regardent point; et rentrant en elles-mêmes, elles se souviendront que Notre Seigneur les considère et les regarde prendre leur repas. Si la table est bien servie à l’ordinaire, il faut qu’elles n’oublient point la sainte pauvreté et la sainte abjection, inséparables de l’humilité, qui ne vit que de mortifications.

Les religieuses ne doivent user de vin, de café et de liqueur, que comme remède et par nécessité. Elles doivent refuser toute invitation à un repas et n’assister à aucun.

    Je vois en Dieu que les religieuses ne doivent point user de vin, de liqueur, ni de café, à moins qu’elles ne les prennent pour remède ou par une grande nécessité. S’il arrivait qu’une religieuse fût priée, dans sa famille ou ailleurs, d’aller dîner, souper ou collationner, elle ne doit point du tout y aller; cela est absolument contraire à ses vœux et à ses obligations. Elle s’expose

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pose elle-même dans le monde, contre la défense que Dieu lui en fait. Elle doit répondre aux personnes qui l’invitent à venir manger chez elles : Je vous suis obligée, je ne puis y aller, ma conscience ne me le permet pas, par rapport à mes devoirs et à mes obligations. Elle ne doit pas craindre de faire paraître que l’esprit de son état l’empêche de se montrer dans le monde.

Les religieuses doivent se garder de s’attacher à ce qu’on leur donne, à ce qu’elles gagnent par leur travail, et à l’argent.

    S’il arrive à une religieuse qui demeure chez ses parents riches ou pauvres, qu’ils donnent à manger à leurs parents ou à d’autres personnes, elle doit s’exempter absolument, et faire tout son possible pour ne pas assister au repas, dût-elle manger dans le coin d’un grenier. Elle doit aussi se retirer dans la solitude, autant qu’il lui sera possible, et, là, y réciter ses prières mentales, son office, faire ses lectures, et son travail aux heures où elle les faisait dans sa communauté.

    Que toute religieuse se donne de garde de s’attacher d’une affection propre à ce que la charité et leur travail peuvent leur produire : qu’elles pensent que l’esprit de pauvreté leur défend de dire : cela est à moi; et même qu’elles ne peuvent s’arrêter volontairement à cette pensée, parce qu’elles n’ont rien que comme un dépôt qui doit servir à leur usage dans la nécessité, et qui ne doit pas pour cela être employé pour leur procurer des choses superflues, ni des habillements selon l’esprit mondain, ni une nourriture trop délicate, ce qui serait contraire à l’esprit de pauvreté et de mortification.

    Comme les religieuses, dans l’état malheureux où elles se trouvent, ne peuvent pas se dispenser d’avoir quelque argent, qu’elles prennent garde que ce maudit argent ne leur fasse commettre bien des fautes. Le diable fera tous ses efforts pour inspirer à une religieuse immortifiée des désirs et des affections qui la portent à satisfaire sa convoitise. Cent fois elle pensera à son argent, et éprouvera le désir d’avoir tout ce qui pourra la satisfaire, soit en vêtements, soit en nourriture. D’autres religieuses, au contraire, aimeront mieux manquer du nécessaire, que de loucher à leur argent. Elles travailleront jour et nuit, laissant de côté leurs oraisons, lectures et prières de dévotion, qui étaient d’usage dans leur communauté, au préjudice de leur salut, et cela pour gagner de l’argent et grossir leur bourse. Ne regardez votre argent qu’en gémissant; pensez que c’est un serpent que vous gardez avec vous, et que, si vous en faites un mauvais usage contre vos obligations, ce serpent vous dévorera et vous perdra.

Trait d’un religieux que le démon essaie de tenter par l’appât d’une bourse pleine d’or et d’argent.

    Un saint religieux étant sur une route avec son compagnon, vit le démon qui leur tendait un piège, en mettant une bourse d’argent sur le chemin par où ils devaient passer. Cette bourse était déliée, et on voyait dedans de l’or et de l’argent. Le bon saint passe sans toucher à cette bourse, et observant le religieux qui était avec lui, de crainte qu’il n’y touchât. Justement ce religieux se baissa pour mettre la main sur la bourse. L’autre l’empêcha promptement, en lui disant: mon frère, que faites-vous ? C’est le diable qui nous tend un piège. Si vous touchez à la bourse, le diable est dedans sous la figure d’un serpent qui va vous dévorer la main. Dans ce moment le diable se voyant vaincu, disparut comme la fumée.

Les religieux doivent éviter les lits de duvet.

    Je vois en Dieu que les religieuses qui sont chez des parents riches doivent prendre garde de coucher trop mollement sur le duvet. Si elles demeurent chez des républicains qui les contrarient sur la religion, elles doivent de toute nécessité sortir de leurs maisons, et chercher un autre asile chez quelques bons chrétiens.

§. VII.

Continuation du même sujet. Vœux de chasteté et de clôture. Conclusion sur l’obligation de tendre à la perfection, et sur le déplorable aveuglement des religieuses qui négligent leurs vœux pour suivre les maximes et les usages du monde.

Manière extérieure d’observer le vœu de chasteté dans le monde. Simplicité dans les vêtements. Modestie en tout.

    Passons présentement aux vœux de chasteté et de clôture. Le vœu de chasteté, pour l’extérieur, consiste en ce qu’une chaste épouse de J. C. soit autant en garde pour conserver son trésor, que l’avare se garde des larrons, dans la crainte que ses trésors ne lui soient enlevés. Une bonne religieuse doit avoir la modestie pour apanage; elle doit être modeste dans ses habits, comme je l’ai déjà dit tant de fois, et comme je le répète encore; elle doit n’avoir dans ses habits rien qui soit à la façon mondaine, pas même un pli ou un point d’aiguille. Au contraire, elle doit, dans ses habillements, contrecarrer les modes du monde, afin que chacun qui la verra, puisse dire qu’elle n’est point à la mode. Elle doit marcher les yeux baissés, lorsqu’elle est accompagnée de séculières, et même lorsqu’elle est avec des religieuses. Dans toutes ses paroles, dans toutes ses actions, dans son maintien, en un mot en tout elle doit montrer l’exemple d’une sainte modestie, et porter partout l’image d’une épouse de J. C. Elle doit particulièrement se donner de garde d’embrasser personne, surtout les hommes, pas même ses frères, et se

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montrer même très réservée à l’égard des personnes de son sexe, à moins que ce ne soient des sœurs qui vivent éloignées d’elle, et qu’elle voit rarement, ou de petits enfants de ses proches parents, ou même des autres. Mais quant aux garçons, elle ne doit pas les embrasser au-dessus de douze ans. Elle ne doit jamais coucher avec des séculières, pas même avec des religieuses, à moins qu’il n’y ait une grande nécessité, et que ce ne fût qu’une fois en passant. Seule ou en compagnie, une religieuse ne doit jamais croiser les jambes l’une par-dessus l’autre. Cette posture est un usage du monde, indécent pour une religieuse.

Ne point recevoir de visites.

    Elle ne doit jamais recevoir les visites des gens du monde, particulièrement au sujet d’un mariage, à moins que ce ne soit par surprise, et qu’elle n’ait pu l’éviter. Vous pouvez toujours vous excuser honnêtement et poliment, en disant: c’est contre notre état de recevoir des visites des personnes du monde, parce qu’il nous est défendu par nos règles et nos obligations, de recevoir des visites, ni même d’en rendre par billets. Je vois en Dieu que ces visites lui déplaisent grandement, parce que c’est comme entretenir une certaine correspondance avec le monde; ce qui procure avec les gens du monde des entretiens qui, quelquefois, sont contre les obligations d’une religieuse.

Trait d’une religieuse qui, forcée d’être présente à des entretiens dangereux, fut assistée et instruite par N. S.

    Je connais une religieuse qui, à la sortie de sa communauté demeura chez des personnes qui recevaient des visites. Cette religieuse, fort gênée, et souffrant dans sa conscience d’entendre, dans ces conversations des gens du monde, plusieurs discours qui étaient contre ses obligations, représenta aux personnes chez qui elle demeurait, qu’il était inutile qu’elle se trouvât aux conversations de ces gens du monde, et que sa conscience en était trop gênée. Elle les pria de vouloir bien permettre qu’elle se retirât seule dans un appartement. Mais ces personnes lui répondirent que cela ne serait point, et voulurent qu’elle restât avec elles. Cette religieuse crut qu’elle devait obéir, et prit son parti, quand elle vit qu’elle ne pouvait faire autrement.

    Un jour, entre autres, il arriva une visite de personnes de l’un et de l’autre sexe. Cette religieuse était à son travail; et comme il ne lui était pas permis de le quitter et de sortir de l’appartement, on ne peut exprimer combien leur conversation la fit souffrir. Elle ne pouvait pas se permettre volontairement de lever les yeux pour les regarder.

    Un Monsieur, en particulier, se mit à tenir des discours non pas d’un chrétien, mais plutôt d’un païen. Cette religieuse s’efforça encore de plus en plus d’élever son cœur à Dieu, voyant qu’il n’était pas permis de lui répondre, en disant: Seigneur, ayez pitié de moi, et ne me laissez pas périr. Ce Dieu de bonté vint à son secours, et d’une manière toute particulière, en lui disant: « Ma fille, me voici, je m’en vais te faire la conversation. » Cette religieuse se trouva si fort attirée en Dieu, qu’elle en perdit tout l’entendement des oreilles du corps, sans cependant cesser de travailler. Elle ne sait comment se termina la conversation. Elle ne vit et n’entendit plus rien de ce qui se disait, et ils se retirèrent sans qu’elle s’en aperçût.

    Notre Seigneur fit connaître à cette même religieuse qu’elle n’était point obligée d’obéir aux personnes avec qui elle demeurait, et que même, pour l’avenir, en quelque maison où elle se trouvât, quand on voudrait la retenir pour lui faire faire des choses contraires à ses obligations, ou qui tiendraient aux maximes du monde, il ne fallait pas obéir, et être ferme dans son refus; que si les personnes persistaient, elle devait chercher une autre maison, où ne régnerait point ce même désordre. Le Seigneur assiste toujours ceux qui ont recours à lui, et qui ont une bonne volonté de lui plaire.

Manière extérieure d’observer le vœu de clôture dans le monde. L’erreur au sujet de ce vœu.

    Il me reste encore quelque chose à dire sur l’extérieur du vœu de clôture. Je ne parle point de ce qui regarde l’intérieur des vœux, parce que j’en ai traité ci-dessus. Il y a beaucoup de religieuses qui croient n’être pas obligées au vœu de clôture, et même plusieurs messieurs ecclésiastiques pensent de même. J’en ai connu un qui était de ce sentiment. Il était question d’aller se promener dans la campagne. Ce monsieur prêtre me dit, qu’il fallait me promener avec la compagnie. Je répondis que je ne pouvais pas le faire à cause de mon vœu de clôture. Il me répondit que je n’étais pas plus obligée à la clôture que lui. Les messieurs prêtres entendent que pour observer le vœu de clôture, il faut être en communauté et en clôture, de manière que les gens du monde ne puissent y entrer que quand on les y fait entrer pour des choses nécessaires; et en le prenant dans ce sens, ils ont raison.

Une religieuse ne doit point sortir sans nécessité.

    Une religieuse qui n’a pas l’esprit de son état, croira facilement qu’elle ne peut plus observer son vœu de clôture, et par la raison qu’elle n’est pins en communauté, elle le croira annulée. Mais une bonne religieuse qui a l’esprit intérieur et l’amour de ses obligations dans le cœur, quoiqu’elle soit hors de sa communauté, fera tout ce qu’elle pourra pour y garder ses vœux, et surtout celui de clôture. Elle s’abstiendra

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d’aller et de venir, et de toute visites qu’elle jugera inutiles ou peu nécessaires.

Dans quels cas les religieuses peuvent sortir.

    Voici ce que je vois en Dieu. Les religieuses peuvent sortir légitimement lorsqu’il s’agit de s’approcher des Sacrements, soit au loin, soit de près, ou de changer de confesseurs, quand elles n’ont pas de confiance en celui qu’elles ont. Pareillement, elles peuvent sortir pour satisfaire au précepte de notre mère la sainte Église, en assistant au saint Sacrifice de la Messe. Dans ce cas, la bonne religieuse ira droit son chemin, ayant toujours en vue son vœu de clôture. Après avoir entendu la Messe et rempli ses obligations, elle retournera directement chez elle, sans faire des tours ni ici, ni là. Au contraire, une religieuse dissipée, qui aura mis en oubli son vœu de clôture, ira à la sainte Messe, et après l’avoir entendue, n’aura d’autre soin que de faire des promenades et des visites dans le monde. Elle dînera une fois dans une maison, et une autre fois dans une autre. Je vois devant Dieu que cette religieuse fait plus de mal que de bien, et qu’elle ferait mieux de rester chez elle à entendre la sainte Messe. Il me semble, selon ce que je vois en Dieu, que les religieuses ne sont point obligées d’aller aux Vêpres, ni au Salut, quand même elles seraient près de l’Église, et qu’elles sont plus obligées à garder la solitude dans leur particulier et à satisfaire à leur vœu. Si le monde s’en mal-édifie, et qu’il leur en fasse un reproche, qu’elles répondent qu’elles sont unies à l’Église par leurs prières, mais que leur vœu de clôture les empêche de sortir et les dispense d’y assister. Je vois même que dans les jours de la semaine où la sainte Messe n’est pas de précepte, elles sont obligées de garder leur vœu et d’entendre la sainte Messe chez elles, à moins qu’il n’y ait nécessité d’approcher des Sacrements.

    Pour les religieuses qui sont réunies ensemble afin de gagner leur vie, et qui n’ont pas les moyens d’avoir une domestique, elles peuvent sortir légitimement pour tout ce qui est nécessaire à la vie, et pour tous les autres besoins. Les religieuses peuvent encore sortir pour aller rendre compte à leur supérieure, de leur intérieur, et pour savoir comment elles doivent se comporter par rapport à leurs obligations. Si la supérieure a juré (1), sans doute il ne faut lui demander aucune permission, ni la reconnaître pour sa supérieure. Les religieuses peuvent encore sortir pour aller voir leurs sœurs de communauté, s’informer si elles ne manquent point, soit dans le spirituel, soit dans le temporel, et les assister dans leurs nécessités. Les religieuses qui sont logées à l’étroit, et qui n’ont point de jardin, peuvent sortir pour aller prendre l’air dans les jardins les plus proches d’elles et les plus retirés; mais elles doivent choisir le moment où il ne s’y trouve personne, surtout point d’hommes.

    (1) Fait le serment exigé par la Convention.

L’œuvre la plus agréable à Dieu que puisse faire les religieuses obligées de gagner leur vie, est d’instruire les petits enfants.

    Pour les religieuses qui sont obligées de gagner leur vie, je vois en Dieu que de tous les ouvrages qu’elles peuvent faire, celui qui est le plus agréable a Dieu, est d’instruire les petits enfants. Dieu en tirera sa gloire et le salut de ces bonnes religieuses; et s’il était question de confesser sa foi au péril de sa vie, on verrait ces religieuses aussi fermes qu’un rocher au milieu des flots de la mer. Je vois en Dieu que les religieuses peuvent instruire les petits garçons comme les petites filles, et leur apprendre les principales vérités de la foi, pour les rendre capables de faire leur première communion. Elles ne doivent leur apprendre ni à lire, ni à écrire, mais seulement le catéchisme. S’il se trouvait des séculiers ou des séculières assez près d’elles, qui eussent des écoles, alors elles ne doivent instruire que les filles.

Une religieuse doit remplir exactement toutes ses obligations par amour.

    Il faut encore que les religieuses n’omettent rien de leurs principales obligations, et en particulier de celles qui sont de précepte, à moins que l’Église ne les en dispense. Notre Seigneur dit dans l’Évangile, que ceux qui l’aiment sont ceux-là même qui observeront ses commandements. Sans doute le bon Dieu ne regarde en particulier que l’amour; c’est l’amour qui fait tout faire et tout entreprendre. L’amour n’est jamais oisif, il persévère toujours sans jamais dire : C’est assez. Il n’y aura que les véritables, épouses de J. C. qui l’aimeront de cette sorte; qui observeront les saints commandements de Dieu; qui tendront de tout leur cœur à observer tout ce qu’elles pourront de leurs obligations, et qui persévéreront par leur amour à l’aimer de plus en plus : car une fidèle épouse de J. C., plus elle aime, plus elle veut aimer.

Dieu pardonne aisément les fautes de fragilité à l’âme qui l’aime.

    Ce n’est pas que celles qui aiment véritablement, ne fassent des fautes : oui, elles en commettent. Lamour ne rend pas impeccable, particulièrement dans le temps où nous sommes, où le chemin de la vertu est si difficile, et les pas si glissants. Mais si vous tombez, chaste épouse de J. C, ne perdez pas courage, notre adorable Sauveur est prêt à vous relever et à vous pardonner, pourvu que votre cœur en soit bien fâché, et que votre volonté ait un grand désir de mieux faire. Ce Dieu de bonté connaît nos faiblesses et notre infirmité, et sait que nous ne pouvons rien sans sa grâce. Elle ne nous manquera pas;

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tâchons donc d’y correspondre et d’y être fidèles.

Ce que la Sœur a fait écrire sur la perfection vient de Dieu. Obligation de correspondre à la grâce et de tendre à la perfection.

    Si j’ai fait écrire ci-dessus sur les vœux monastiques dans leur perfection, je n’ai pu m’en dispenser; cela ne vient point de moi. Croyez ce que je vois en Dieu touchant la grâce, les Action, vertus chrétiennes et religieuses; car je vois en Dieu que, comme il est infiniment parfait, toutes les grâces et les vertus ont pour but de nous porter à la perfection, et je vois dans un clin-d’œil que tout ce qui vient immédiatement de Dieu est parfait. Je vois aussi en Dieu qu’il y a des grâces qui demandent une plus grande perfection les unes que les autres. Nous sommes tous obligés de correspondre selon les grâces que Dieu nous a données. On ne revêt pas la perfection comme une robe; c’est un chemin très-étroit et fort difficile. On fait plusieurs chutes, mais il faut se relever et ne pas abandonner le chemin de la perfection pour des faux pas et pour des chutes.

Ces règles de perfection ne regardent pas les religieuses mondaines. Leur déplorables conduite.

    Ce que j’ai fait écrire ci-dessus regarde particulièrement les bonnes religieuses qui ont leur salut à cœur et qui observeront, par la grâce de Dieu, tout ce qu’elles pourront des obligations de leur état; mais cela ne regarde point les religieuses mondaines. Je les nomme ainsi, parce qu’elles courent dans la voie large des mondains en abandonnant toutes les pratiques de leurs vœux et de leurs obligations, en se faisant illusion à elles-mêmes, et en disant que, n’étant plus dans leur communauté, elles ne sont plus obligées à rien.

    O mon Dieu! vous avez dit dans l’Évangile que vous étiez le bon Pasteur et que vous connaissiez vos brebis, et qu’elles vous connaissaient; que vous marchiez devant elles, et qu’elles vous suivaient. Ah! sans doute que les mauvaises religieuses se font connaître elles-mêmes, parce qu’elles ne vous suivent pas. Au contraire, vous les avez appelées plusieurs fois par vos grâces, mais elles vous ont tourné le dos et se sont enfuies de vous en courant aux plaisirs sensuels et aux trompeuses vanités du monde. Elles se qualifient encore d’être du nombre de vos épouses; mais, hélas! ce sont des épouses qui ressemblent aux vierges folles qui n’ont point d’huile dans leurs lampes, c’est-à-dire qui n’ont ni foi, ni amour, ni désir de plaire à leur époux. On les voit courir dans la voie de la perdition et s’exposer sans crainte à mille occasions de commettre des péchés, contre leurs vœux et leurs obligations, en recherchant les compagnies des mondains, en suivant leurs maximes corrompues et en les imitant dans leurs modes. Hélas! hélas! que peut-on penser et dire de ces pauvres égarées? Le jour ne leur suffit pas pour aller chercher des plaisirs déréglés parmi les mondains, elles y passent encore une partie des nuits. Jusque dans leurs vêtements et parures elles se font connaître. Que dirai-je de ces robes faites à la mode, de soie, de mousseline, de batiste et d’indienne? des coiffes de dentelle et de linon, avec la grosse cocarde de rubans les plus à la mode, et la montre au côté? Depuis les pieds jusqu’à la tête, tout en elles imite la mode. Quel scandale donnent ces religieuses en recevant les visites des gens du monde et en les rendant de cette manière!

Différentes sortes de religieuses infidèles. Ce qu’elles sont aux yeux de Dieu.

Je vois encore en Dieu d’autres religieuses, et en plus grand nombre, qui prenant comme un certain milieu, tiennent à ne pas être tout-à-fait ni aussi mauvaises, ni aussi superbement parées, ni aussi mondaines que celles dont je viens de parler; mais cependant elles imitent plus les mauvaises religieuses que les bonnes. Je vois encore en Dieu que les plus mauvaises de toutes sont celles qui ont juré et celles qui se sont mariées. Elles sont regardées devant Dieu et devant les hommes comme des monstres d’abomination. Il y a encore une quantité d’autres religieuses qui n’ont pas juré, qui ne se sont point mariées, mais qui sont si superbes, si orgueilleuses et si mondaines, que Dieu les déteste et qu’il les met au rang de celles qui se laissent aller à leur sens réprouvé.

    Pour les religieuses qui tiennent le milieu entre les bonnes et les mauvaises, elles sont, par leur inconstance, tantôt à Dieu, tantôt au démon. Elles font plusieurs écarts, et quand elles s’en aperçoivent, elles s’efforcent de se relever avec le secours de la grâce. Mais les scandales qu’elles donnent sont tout-à-fait pernicieux et font tort à toutes les religieuses, excepté aux religieuses bonnes et exactes. C’est le nom que Dieu leur donne. Ces bonnes religieuses qui tendent à la perfection n’examinent pas comment agissent les autres; elles n’écoutent que Dieu et leur conscience. Mais quant aux religieuses imparfaites ou mauvaises, je vois que le diable leur tend des pièges et leur donne la tentation de réfléchir sur la mauvaise conduite des autres religieuses, en leur faisant entendre : Une telle religieuse et une telle autre font bien ceci, font bien cela. Par exemple, les compagnies du monde, les conversations avec les personnes mondaines, les courses et visites qui sont inutiles, que dirai-je enfin? cent autres défauts, servent de mauvais exemples aux unes et aux autres, et elles disent: Puisque des religieuses font bien ces

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(336-340)

choses, je puis bien aussi les faire. C’est ainsi qu’elles se communiquent entre elles ce mal qui se répand comme la peste. Tant de maux n’arrivent que parce qu’on manque de rentrer en soi-même et de réfléchir sur l’état de sa conscience.

Un saint fondateur apparaît à une religieuse de son ordre. Leçon qu’il lui donne.

    Je rapporte ici ce qui arriva à une religieuse qui vit encore, lorsqu’elle était dans sa communauté. Un jour son saint fondateur lui apparut et se fit connaître à elle. Transportée de joie et de consolation, elle se jette à ses genoux et commence à lui dire : Ah! mon père, ah! mon père, dites-moi, s’il vous plaît, quelque chose pour mon instruction. Ce bon saint lui répondit: Vous m’appelez votre père, et vous avez raison, car je le suis. Rentrez en vous-même, voyez et considérez si vous êtes mon enfant. À l’instant il disparut.

    Dans le moment la religieuse demanda à Dieu la grâce de connaître l’état de sa conscience. Alors elle reçut une lumière intérieure qui lui fit découvrir beaucoup de défauts sur ses vœux, sur sa règle et sur toutes ses obligations. En même temps cette lumière lui fit voir l’état de perfection où elle devait tendre pour parvenir à la sainteté de son état. Elle vit aussi combien elle en était éloignée par ses défauts.

ARTICLE V.

Quelques détails sur l’agonie de Notre Seigneur Jésus-Christ au jardin des Olives, et sur sa résurrection. Pratique pour le soulagement des âmes du Purgatoire. Avertissement que la Sœur de la Nativité reçoit de Notre Seigneur et de la Sainte Vierge.

§. Ier.

Circonstances de l’agonie de J. C. Causes de ses douleurs. Grandeur de son amour pour les hommes.

État intérieur de J. C. dans le cours de sa vie mortelle et pendant sa passion.

    Je rapporte ici ce que Notre Seigneur m’a dit au sujet de plusieurs points de sa sainte passion. Notre Seigneur me dit que dans tout le cours de sa vie mortelle l’éternelle clarté de sa divinité, comme étant Dieu, était dévoilée et unie à sa sainte humanité, comme étant homme; de sorte que comme Dieu et homme, il en jouissait en lui-même, sans éblouir au dehors, et que sur le mont Thabor il n’en laissa paraître qu’un faible rayon. Mais aux jours de sa passion, depuis la cène jusqu’à la résurrection de son sacré corps, Notre Seigneur fut privé, comme homme, de cette divine clarté de sa divinité. Notre Seigneur me dit : « Il fut tiré comme un crêpe noir sur mon esprit et sur mon entendement en sorte que ma chère âme fut comme entourée et voilée : elle ne voyait plus que la croix et que les tourments de ma passion; mais en particulier, le plus grand tourment dont elle fut accablée, ce fut le poids du nombre et de l’énormité des crimes commis et à commettre depuis le commence» ment du monde jusqu’à la fin des siècles, qui vinrent se décharger sur elle, et la justice de Dieu mon père, qui demandait qu’ils fussent expiés par le sang d’un Dieu. Ce fut ce qui me fît pousser cette juste plainte, en approchant du jardin des Oliviers: Mon âme est triste jusqu’à la mort. »

Première vision du lieu où Notre Seigneur souffrit sa cruelle agonie. La forme de son corps empreinte sur la terre.

    Je me trouvai un jour, pour la seconde fois, dans le jardin des Oliviers, à l’endroit même où Notre Seigneur avait souffert sa rude agonie. La première fois que je vis ce lieu, Notre Seigneur ne se fit pas voir à moi. J’étais seule; cependant je vis, dans la lumière de Dieu, que c’était le lieu où mon Sauveur avait tant souffert, et voici ce que je remarquai. L’impression que le sacré corps de Jésus fit sur la place où il était à genoux, s’y enfonça tant soit peu, lorsque Notre Seigneur prosterna sa très sainte face contre terre. J’y vis son sacré portrait imprimé, ses bras et ses épaules, et la forme d’un corps sur la terre. Je vis que par la sueur de son précieux sang, qui avait pénétré sa robe, l’endroit où il était en était rouge, et que même cette terre avait pris une certaine couleur, comme si elle avait été pétrie et foulée avec ce
sang précieux. Il y avait des endroits qui étaient plus empreints de sang les uns que les autres, et particulièrement l’endroit où il avait prosterné sa très sainte face; et on peut croire que notre divin Sauveur avait pleuré des larmes de sang. À l’endroit où avaient porté les bords de sa robe, on voyait de grosses larmes de sang collées ensemble et congelées sur la terre, et qui étaient tombées de ses habits. Voilà ce que je vis la première fois, un jeudi saint au soir.

Seconde vision du même lieu. Notre Seigneur lui apparaît et lui explique le sens de la prière qu’il adressa à son Père.

    Quelque temps après avoir vu ce que je viens de dire, comme j’avais coutume de veiller la nuit du jeudi saint, et de la passer presque blanche devant le Saint-Sacrement, en l’honneur de la sainte passion de notre divin Sauveur, méditant cette nuit-là sur les mystères douloureux de Notre Seigneur, je réfléchissais sur son agonie au jardin des Oliviers. Tout-à-coup je me trouvai par l’esprit du Seigneur au même lieu que j’avais vu quelque temps auparavant. Je reconnus le même lieu, que j’avais vu, et qu’on m’avait dit être celui où Notre Seigneur avait souffert

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(341-345)

sa sainte agonie. Au même instant, Notre Seigneur m’apparut tout proche de moi, et me dit : « Mon enfant, voilà le lieu où j’ai tant souffert pour votre amour et pour l’amour de tout le genre humain. J’ai combattu et j’ai été seul à combattre contre tous mes ennemis.

    » Je veux vous apprendre que la première fois que je me prosternai devant la majesté de Dieu mon père, ce fut pour demander grâce par le sentiment et par le mouvement de ma sainte humanité qui se trouvait accablée de toutes parts. Dans cette posture humiliante je fis cette représentation à la sainte majesté de Dieu, en disant : Mon père, s’il est possible, que ce calice d’opprobres et d’humiliations passe sans que je le boive. Mais aussitôt mon amour pour le genre humain, plus puissant que les bourreaux et mon peuple pour me faire mourir, aussitôt cet amour divin, éternel et infini, me répond dans l’union de la sainte volonté de mon père, qu’il ne le voulait pas, qu’il s’y opposait, qu’il remporterait la victoire, et que ce serait lui qui triompherait de la mort, et de la mort de la croix. Et je répondis : Mon père, que votre volonté soit accomplie, et non pas la mienne.

Première prière de J. C.

    Ma première prière, effet de la nature, fut causée par la vue de la
désolation et des abominations commises dans les lieux saints, de tous les sacrilèges et de toutes les profanations des saints mystères, et encore par la vue de mon peuple choisi, que j’avais tiré d’entre les païens et les barbares, et qui était celui-là même qui, entre toutes mes créatures, s’était choisi et élu pour me crucifier comme un scélérat et un voleur; encore s’était-il joint à lui toutes mes créatures, mes ministres, prêtres, religieux et religieuses, tous ceux qui par des vœux solennels sont devenus mon peuple chéri et favorisé, et dont plusieurs ensuite m’ont tourné le dos, et m’ont trahi comme un de mes apôtres, Judas… Ah! mon peuple, pourquoi me trahis-tu ainsi? Si du moins tu ne perdais point ton âme! …. De quel côté attendrai-je du secours, puisque ceux sur qui j’aurais dû compter, m’ont abandonné!… Ainsi tout mon peuple, celui de l’ancien et celui du nouveau testament, se réunissent ensemble pour se donner un appui : aux scribes et aux pharisiens, pour me mettre à mort; à Pilate pour me condamner, et aux bourreaux, pour me crucifier. Ils se séparent des âmes innocentes et fidèles, afin de se concerter avec Judas pour me trahir. Tous ces malheurs joints ensemble sont comme un torrent qui m’entraîne et m’accable devant la majesté et la justice de Dieu mon père. »

Charité de Notre Seigneur envers ses apôtres.

    Notre Seigneur me dit : « Je me levai la première fois pour aller ranimer le courage de mes apôtres, qui étaient endormis. La charité que j’avais dans mon cœur pour eux et pour tous mes ministres de la nouvelle Église ne me permettait pas de les abandonner. Après les avoir réveillés du corps et de l’âme, je retournai à mon oraison, où j’envisageai l’offense faite à Dieu mon père, par le grand nombre et l’énormité des crimes dont je m’étais chargé et rendu caution, pour réparer, comme Dieu, la majesté de Dieu mon père, qui était outragée, et pour souffrir, comme homme, les tourments, les agonies, les anéantissements, et enfin la mort, que les péchés de mon peuple avaient mérités.

Seconde prière de J. C.

    Je me prosternai de nouveau en disant : Mon père, puisque c’est votre volonté que je boive ce calice, j’y consens; que votre volonté soit faite, et non pas la mienne. » Notre Seigneur retourne une seconde fois éveiller ses apôtres, mais il les éveille simplement sans leur dire mot, et retourne ensuite à son oraison.

J. C. le bon pasteur. Soin qu’il prend de ses apôtres. Exemple qu’il donne aux pasteurs de son Église.

    Voici ce que Notre Seigneur me dit: « C’est moi qui suis le véritable et le bon pasteur. Je n’abandonne jamais mes brebis. » Ensuite Notre Seigneur me regarda, en disant : « Mes apôtres sont abattus par la pesanteur de la nature qui est affligée, et qui les tient affaissés dans une espèce d’assoupissement. Ils me représentent les pasteurs lâches, tièdes, et appesantis par l’amour et l’affection qu’ils se portent à eux-mêmes. Ils s’endorment lâchement, et perdent de vue le soin et la vigilance qu’ils doivent avoir pour leurs troupeaux. Voyez-vous l’exemple que je leur donne en allant éveiller mes apôtres, qui ne sont endormis que d’un sommeil naturel, et par infirmité; voyez-vous comme je veille sur eux, et comme par l’amour que je leur porte j’oublie toutes mes fatigues et toutes mes douleurs, et cela au milieu même de ma sueur de sang, qui me met dans la faiblesse et dans la langueur, et me réduit presqu’à l’agonie? Cependant, sans avoir égard à ma sainte humanité, ma charité me porte et me fait agir pour aller à eux.

Comment la grâce agit dans une âme. Le premier coup de la grâce qui réveille les âmes est plus fort que le second.

    » Mais remarquez ici une chose, me dit Notre Seigneur, et apprenez ce que c’est que le don de la grâce. La première fois que je suis allé les éveiller, je les ai effrayés. Je les ai repris un peu dans la rigueur de ma

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(346-350)

» charité, particulièrement celui que j’avois choisi pour être le chef de mon Église; je le couvris de confusion, ainsi que les autres apôtres, et je lui dis : Quoi ! Pierre, vous dormez? ne pouvez-vous veiller une seule heure avec moi? En même temps, par ma parole je lui fis entendre dans son intérieur : Quoi! Pierre, ne savez-vous pas que le diable cherche à vous dévorer et à vous cribler comme on crible le blé ? Je vous en ai déjà averti. Mais, quoi! vous dormez! Je vous avertis encore: veillez et priez, de peur de tomber dans la tentation et dans les pièges de Satan. Ne vous fiez pas sur vous-même. Je vous avertis encore une fois. L’esprit est prompt, et la nature est infirme et faible. » Notre Seigneur me dit qu’il en dit autant aux autres apôtres. « Voyez-vous actuellement, continue Notre Seigneur, comment agit la grâce, par l’exemple que je vous donne de mes apôtres qui s’endorment au lieu de veiller et de prier? Quand je réveille les sentinelles d’Israël, qui dorment spirituellement par l’assoupissement de leurs âmes, ma grâce ne manque pas de les venir réveiller, de leur faire entendre que les ennemis les poursuivent, et de leur faire voir les dangers où ils sont, les périls qui les menacent, et comment ils doivent veiller sur leurs troupeaux, dont ils doivent répondre; enfin, cette grâce effraie et inspire la crainte: elle reprend, elle tonne, et après elle se retire pour voir si les pasteurs profiteront de ses avis. S’ils se rendorment, elle vient les réveiller seulement, et se présenter à leurs esprits et à leurs cœurs, et dans l’instant elle se retire, sans leur faire davantage d’impression. »

    D’après cet exemple, voici encore ce que me dit Notre Seigneur : « Croyez, mon enfant, que le premier coup de la grâce que je donne à une âme pour sa conversion, a des impressions et des mouvements bien plus forts que le second coup. Quand cette âme ne profite pas du premier avertissement et qu’elle retombe malheureusement dans ses vices ordinaires, la grâce se refroidit à son égard, elle se présente à elle simplement, réveille son esprit, lui fait voir les fautes dans lesquelles elle est encore tombée; et puis, sans donner ni crainte ni effroi, elle se retire, et c’est la conduite que j’ai tenue avec mes apôtres. La seconde fois que je vins à eux, je ne leur dis pas un seul mot. Je ne fis que me montrer simplement à eux et les réveiller, et je retournai promptement à mon oraison. »

Troisième prière de J. C. Immensité de sa douleur causée d’un côté par la grandeur de l’offense de Dieu, et de l’autre, par le petit nombre des pécheurs qui profiteront de ma mort.

    Notre Seigneur me dit : « Je me prosternai pour la troisième fois devant la majesté de Dieu mon père, et lui demandai grâce et miséricorde pour tout le genre humain, en lui disant : Père saint, Père juste, Père adorable, puisque votre amour veut sauver tout le genre humain, je le veux aussi. Que votre sainte volonté soit faite; je veux tout ce que vous voulez, parce que votre sainte volonté est la mienne, et que nous ne faisons qu’un. » Voici ce que Notre Seigneur ajouta: « Ce fut ici le moment le plus douloureux pour mon âme. De toutes parts tombait sur elle un torrent impétueux, causé et par mon amour et par la justice de Dieu mon père. Je me trouvai englouti de tous côtés, sans trouver un moment de consolation. Je voyais la justice de Dieu mon père, irrité contre tous les crimes du genre humain, qui en demandait vengeance et satisfaction. L’offense de Dieu qui était montée jusqu’au trône de la suprême majesté de mon père, me faisait trembler et frémir de toutes les parties de ma sainte humanité; et mon cœur, à travers de tant de douleurs et d’angoisses, pénétrait ce que c’était que l’offense d’un Dieu infini » dans toutes ses saintes perfections. »

Ni les hommes ni les anges ne comprendront jamais ce que c’est que l’offense de Dieu. J. C. seul l’a compris.

    Ce divin Sauveur, en me jetant un regard très triste, me dit : « Savez-vous, mon enfant, savez-vous ce c’est que l’offense de Dieu? Non, vous ne le savez pas, et vous ne le saurez jamais. Les plus hauts séraphins ne le sauront pas, et ne pourront jamais comprendre jusqu’où s’étend l’horrible crime de l’offense de Dieu. Pour comprendre ce crime et pour le connaître, il faudrait comprendre et connaître Dieu même; ce qui est impossible, et ce qui le sera à jamais à tout être créé. Il n’y a que Dieu seul qui se connaît lui-même, et qui se comprend dans tous ses attributs et dans toutes ses divines perfections.

    » Pour moi, mon enfant, je connais ce que c’est que l’offense de Dieu; elle pénètre mon cœur, et il semble que la douleur le fend en deux parts, à la vue d’un côté de l’outrage fait à Dieu mon père, et de l’autre, de l’affreuse situation des pécheurs, dont il y en y aura si peu qui voudront profiter de ma rédemption, de mes grâces et de toutes mes souffrances, et de cette multitude affreuse de réprouvés qui le seront pour jamais, pour avoir été non-seulement infidèles à ma grâce, mais encore pour l’avoir méprisé en violant mes commandements et mes préceptes, et qui se rendront plus criminels, par cela même qu’ils rendront inutiles toutes les grâces et

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(351-355)

» tous les mérites que je leur ai acquis par ma passion et par ma mort. Voilà ce qui me fait dire de nouveau :

Désirs ardents du cœur de Jésus qui veut et demande à son Père le salut de tous les hommes.

» O Père juste! faut-il souffrir tant et inutilement pour tant d’âmes! ô Père adorable! mon amour les veut toutes, mais elles ne le veulent pas; mon amour les appelle toutes, mais elles font la sourde oreille, et ne répondent point à la tendresse de mon cœur et de mon amour qui court après elles, les presse, les sollicite de venir à moi et de se sauver; mais elles s’enfuient devant moi, me tournent le dos et me méprisent. O Père, plein de miséricordes ! je suis Dieu comme vous; voyez en quel état leurs crimes m’ont réduit; voyez ma douleur! je suis homme comme eux, et j’en ai compassion. Je suis le chef du genre humain, et je ressens dans mon cœur toutes les douleurs et tous les malheurs de tous mes membres. »

Vives douleurs de J. C. Sa sueur de sang, son agonie.

    Notre Seigneur continua ainsi : Comme les douleurs me pressaient de toutes parts avec une grande violence, ma sueur de sang recommençait par crises presqu’à tous moments. Ma sainte humanité tombait dans des faiblesses, dans des défaillances et dans des langueurs mortelles; tout mon corps en frémissait; il me semblait que ma sainte humanité allait défaillir; et tant de douleurs m’auraient conduit à la mort, si mon heure eût été arrivée. J’étais seul à soutenir tous mes combats; je combattais moi-même contre moi-même, par l’amour que je portais à tous les pécheurs, mais en particulier à tous les pécheurs pénitents et à tous mes élus. J’étais alors prosterné, ma très sainte face contre terre, et baigné de ma sueur de sang. Mon corps s’appesantissait par la faiblesse et par la défaillance. Mon amour voulut me faire souffrir une rude agonie dans laquelle je ne pouvais me soulever de dessus la terre, ni remuer mes membres, ni même lever ma tête, dont vous voyez l’impression, comme si je venais de me relever de mon oraison. »

Dans son agonie, J. C. a recours à son Père.

    Alors ce divin Sauveur me dit: « Lorsque je me vis aux dernières extrémités de mon agonie, une pâleur livide répandue sur tous mes membres, mon cœur qui palpitait de douleur et d’amour, ma respiration entre-coupée qui se grossissait et s’affaiblissait par intervalles, j’eus recours à mon Père, et lui dit : Mon Père, ayez pitié de moi; voyez s’il est douleur pareille à la mienne. Je veux tout ce que vous voudrez, ô mon Père! mais voyez l’excès de mes douleurs. Je suis submergé dans une mer d’afflictions et d’angoisses. Voyez mon sang qui est bientôt tout répandu sur mes vêtements et sur la terre : mes forces m’ont abandonné tout mon corps est dans une défaillance qui semble me réduire à la mort. »

Son Père lui envoie des anges pour le consoler. Leçon pour ceux qui souffrent.

    Notre Seigneur se tournant vers moi, me dit: « C’est ici que je donne un grand exemple de la nécessite d’avoir recours à Dieu dans les plus grandes afflictions et tribulations de la vie, et même dans les angoisses de la mort, et de lui demander du secours. Celui qui aura recours à la prière, sera consolé, comme je le fus moi-même de mon divin Père. Aussitôt que j’eus fait ma prière, il descendit du ciel, par l’ordre de mon Père, plusieurs anges qui vinrent me consoler dans l’excès de mon affliction. Ces anges me relevèrent de dessus la terre, où j’étais comme collé par mon sang qui était congelé. Ils me prirent entre leurs bras, et me firent reposer sur leur sein. Mes membres, tout froids et raidis, commencèrent à reprendre un peu de mouvement, et mes forces revinrent peu à peu. Je vis alors autour de moi plusieurs anges bienfaisants, que mon Père m’avait envoyés pour me consoler dans mon affliction, et ces anges me dirent:

Discours des anges à J. C.

    « O Seigneur, roi du ciel et de la terre! nous sommes envoyés par votre Père pour vous consoler, vous, mon Dieu, qui êtes la consolation de tous les affligés, la joie et la félicité de tout le paradis, de tous vos anges, et bientôt de tous vos prédestinés. Voyez, ô Seigneur, fils du Père éternel, quelle gloire vous rendez à votre Père ! il est satisfait, son cœur est content. Vous êtes aujourd’hui ce doux agneau de Dieu, qui effacez tous les péchés du monde. Oui, vous avez satisfait à l’offense de Dieu; vous avez satisfait en Dieu et comme Dieu, et satisfait à Dieu. Oui, votre Père est content, parce qu’il ne fallait rien moins que le sang d’un Dieu pour satisfaire à sa justice. Oui, votre Père est satisfait, divin agneau de Dieu, divin agneau si pur, si saint et si innocent! votre Père est satisfait, mais votre amour ne l’est pas : il veut, ce divin amour, remporter la victoire sur tous ses ennemis. Il veut, ce puissant conquérant et ce fort armé, dépouiller la mort de son empire, et vous conquérir je ne sais combien de millions et de milliards d’âmes bienheureuses, qui auraient été la proie de l’enfer, qui profiteront de vos mérites, et qui, fidèles à vos grâces, marcheront sur vos traces.

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    « Considérez, ô mon roi! quel triomphe produira votre sainte passion, et quelle gloire remportera ce beau triomphe de votre amour ! Voilà la croix et le calice que le Père éternel vous envoie; c’est le présent qu’il vous fait aujourd’hui. Mais, divin agneau, elle sera, cette sainte croix, après que vous aurez expiré sur elle, elle sera et deviendra le sujet de l’adoration de tous les chrétiens. O divin agneau de Dieu! je suis obligé de vous dire, de la part de Dieu votre Père, que vous êtes condamné à mourir, et à mourir sur une croix. » Ce ne sont point vos ennemis qui vous condamnent, ce sont les péchés de tous les hommes, dont votre amour vous a rendu caution. Le Père éternel vous a jugé et condamné à mort, et votre amour vous y condamne : il le demande de vous, ô Dieu souverain et adorable, à qui toutes les créatures doivent honneur, louange, adoration et obéissance ! Votre cœur est prêt, ô divin Jésus, votre cœur est prêt à obéir, non-seulement à la volonté de votre Père et à votre amour, mais encore aux persécuteurs de la justice, et aux bourreaux qui vous attacheront avec des clous à la croix. »

J. C. après son agonie, reprend ses forces et sa beauté. Il ne paraît aucune trace de sa sueur de sang.

    Voici alors ce que le Seigneur me dit : « Lorsque mes forces commencèrent à revenir, et que j’eus repris une nouvelle vigueur, je me mis à genoux, et me laissant aller en m’appuyant un peu sur l’ange qui me soutenait, ma sueur de sang cessa, et les pores s’étant resserrés, mon sang circula selon le cours ordinaire de la nature. Ce bon ange, avec un linge blanc, essuya ma sainte face, mes mains et mes habits, de sorte que je repris ma première beauté naturelle, mes forces et ma vigueur. En même temps mes habits prirent la même couleur qu’ils avaient auparavant, de sorte que ni ma tête, ni mes membres, ni mes habits ne retinrent aucune tache de mon précieux sang.

L’agonie de J. C. et les forces qu’il reprend après. Effet de son immense amour pour les hommes.

» Mon amour pour souffrir davantage pour les hommes m’avait dépourvu de toutes mes forces naturelles, et réduit comme au néant par l’extrémité d’une triste agonie, que ma sainte humanité avait soufferte. Le discours que me tinrent les anges sur ce même amour ne m’apprit rien de nouveau. Je l’ai su de toute éternité; j’ai vu et connu toutes choses en mon Père dans ses décrets éternels; mais mon cœur eut beaucoup de satisfaction à entendre parler de l’amour divin et des opprobres de ma sainte passion, et même plus que sur le Thabor dans ma transfiguration. Moïse et Elie, qui vinrent me visiter pour m’honorer davantage, ne me parlèrent d’autre chose que des différents supplices de ma passion. De même mes anges, par leurs discours, me représentèrent l’image de ma passion, et la gloire que mon Père en recevrait. Ce zèle de la gloire de mon Père, qui vient de l’amour que je lui porte de toute éternité, est comme un feu dévorant qui est dans mon cœur, et qui ne finira jamais. Ce même amour me rendit toutes mes forces humaines; et après m’avoir pour ainsi dire tout ôté, il me rendit tout, et me remit en possession de ma puissance souveraine. Mon cœur fut tout enflammé de ce feu dévorant et sacré. Il ne se présentait plus à mon esprit que les souffrances, les humiliations, les opprobres, les fouets, la couronne d’épines, les clous, enfin la croix et la mort. Un cerf échauffé et brûlé de soif, ne court pas si fort aux fontaines, que mon cœur altéré du désir de satisfaire à la gloire de Dieu mon Père et au salut des âmes courut à la mort de la croix.

Avec quelle force J. C. se lève pour aller aux tourments et à la mort. Sa soif causée par l’amour du salut des âmes.

    » Animé par cette nouvelle flamme de mon amour, je me levai au lieu de mon oraison, comme un lion qui se lève pour courir et dévorer sa proie. Mon cœur, pendant ma passion, buvait à longs traits de ce calice amer que mon Père m’avait donné. J’en bus selon l’altération de ma soif, qui me porta à boire jusqu’à la lie; et encore sur la croix, mon amour m’obligea de dire qu’il avait encore soif. »

Le moyen de désaltérer J. C. dans sa soif est la contrition du cœur et la pénitence.

    Notre Seigneur, en se tournant vers moi, me dit : « Mon enfant, c’est vous, avec tout le genre humain, qui pouvez satisfaire à cette soif dévorante: il est vrai que tant de souffrances qu’endura mon sacré corps étaient capables de me donner une grande soif naturelle; mais le désir que j’avais au-dedans de moi-même par l’ardent amour du salut des âmes et de la gloire de Dieu mon Père, me causait bien une autre soif et un bien plus cruel tourment. C’est vous, chères âmes, qui me coûtez tant !… Ah ! toutes mes peines je les mettrai en oubli, si vous satisfaites à ma soif, en me donnant de l’eau d’un cœur contrit et humilié pour l’amour de Dieu de m’avoir tant offensé. C’est là tout ce que je demande pour me désaltérer du feu (1) qui cause toujours ma soif. Ce qui manque à ma passion, c’est

    (1) Expression inusitée, abus de mots, pensée hardie, qui tient du style de l’Écriture, et qu’on eût nécessairement affaiblie en essayant de l’exprimer autrement. D’ailleurs, le lecteur doit se rappeler (et il a pu le remarquer jusqu’ici ) que c’est le style de la Sœur que nous donnons, et non pas le nôtre.

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» d’être désaltéré de cette soif spirituelle, qui est le salut éternel de vos âmes : il est vrai que j’ai tout accomplie dans ma vie mortelle par mes souffrances et par ma mort; ce qui m’a fait dire sur la croix: Tout est consommé. Oui, sans doute, tout est fait de mon côté, tout est accompli, tout est consommé pour la gloire de Dieu mon Père et pour votre salut; mais de votre côté tout n’est pas fait, tout n’est pas accompli, et tout n’est pas consommé. Il faut que vous coopériez avec ma grâce; qu’en union des mérites de ma sainte passion vous marchiez sur mes traces; que vous portiez ma croix tous les jours de votre vie pour mon amour et pour ma gloire, en pénitence de vos péchés et de ceux des pécheurs. »

J. C. prêt à souffrir de nouveau, pour une seule âme, tous les tourments de sa passion, si cela était nécessaire.

    Notre Seigneur me dit : « J’ai tant à cœur tout cela pour la gloire de mon Père, et pour le salut des âmes que, s’il fallait encore souffrir pour une seule âme tout ce que j’ai souffert, et que mon Père me le permît, je le souffrirais de tout mon cœur pour la rendre bienheureuse pendant toute l’éternité. »

§. II.

Résurrection de J. C. et ses circonstances. Merveilles qui s’opérèrent au sépulcre de J. C. au moment où son âme se réunit à son corps glorieux. Impossibilité d’expliquer et même de comprendre l’amour excessif de Dieu pour les hommes.

Notre Seigneur apparaît à la sœur et lui apprend à quelle heure il est ressuscité.

    Je rapporte ici le triomphe de la résurrection de Notre Seigneur J. C., selon ce qu’il m’a fait connaître. La nuit du Samedi-Saint, avant le dimanche de Pâques, à une heure après minuit, je m’éveillai. Étant dans mon lit, bien réveillée, j’entendis sonner une heure à la grosse horloge; dans le moment Notre Seigneur m’apparut et me dit : « Mon enfant, voilà l’heure où je suis ressuscité et sorti triomphant et glorieux du tombeau : venez que je vous fasse prendre part à ma résurrection. Je vous ai affligée en vous faisant connaître l’agonie de ma passion au Jardin des Olives : c’est pourquoi, mon enfant, je veux vous réjouir et vous faire connaître quelque chose de ma triomphante résurrection. »

La Sœur est transportée au sépulcre de J. C. Elle y voit la réunion de toutes les âmes justes sorties des limbes, et de plusieurs troupes d’anges.

    Dans le moment je fus transportée dans le jardin où Notre Seigneur avait été mis dans le tombeau. Notre Seigneur me dit : « Voilà le lieu d’où je suis sorti triomphant de la mort; mon âme glorieuse amena avec elle des limbes la troupe des bienheureux justes de l’Ancien Testament. Arrivés au sépulcre, je leur montrai à tous mon sacré corps mort et privé de la vie, couvert de plaies et tout plombé par les meurtrissures des coups que j’avais reçus. Dans ce moment, l’air était brillant de clarté par les troupes des anges qui descendaient aussi vite que des éclairs, et qui venaient fondre dans le jardin pour honorer mon triomphe. »

    De ces anges il y en avait une partie de chacun des neuf chœurs; ils se rangèrent en bel ordre autour du sépulcre, où ils ne formaient qu’un chœur, dont l’archange Saint-Michel était le chef. Les patriarches faisaient le second chœur. Les prophètes, les martyrs, et tous ceux qui avaient le plus souffert pour J. C. furent rangés avec le chœur des patriarches : le reste des justes composait le troisième chœur; ils étaient rangés en très bel ordre dans le jardin, autour du Saint-Sépulcre.

Résurrection de plusieurs saints patriarches.

    Plusieurs corps des anciens patriarches, comme ceux des prophètes et de plusieurs autres, ressuscitèrent avec Notre Seigneur, et dans un clin-d’œil leurs âmes furent réunies à leurs corps glorieux; et il n’y eut à la résurrection aucun homme vivant, que ceux qui étaient béatifiés, et qui, par les mérites de Notre Seigneur, étaient en état et dignes de jouir de sa gloire triomphante.

Chants d’allégresse des anges et des saints au moment de la résurrection de J. C.

    Après que toute cette troupe eut vu son sacré corps, dans un instant, en la présence des anges et des saints, cette belle âme se réunit à son sacré corps, et Notre Seigneur parut au milieu de cette belle assemblée, tel qu’il est dans le ciel, rempli de gloire et dans l’éclat d’une si haute majesté, que la splendeur en rejaillissait de toutes parts. Le premier chœur des saints anges entonna le Gloria in excelsis Deo, et les deux autres chœurs répondirent à leur tour, et tous ensemble, par un concert d’une musique mélodieuse, qui ressemblait à celle du Paradis. J’eus connaissance qu’on chantait: Voici véritablement le jour que le Seigneur a fait;  réjouissons-nous ! que le ciel et la terre tressaillent de joie et d’allégresse, parce que J. C. est véritablement ressuscité, et qu’il ne sera plus sujet à la mort. Que l’honneur, la gloire, la puissance, l’hommage et l’adoration soient à jamais rendus à l’Agneau de Dieu, qui a souffert la mort pour la rédemption du genre humain !…..

Au moment où J. C. ressuscite il est adoré par tous les anges, par tous les saints, et par Marie, sa divine mère.

    Notre Seigneur me dit qu’au moment où il parut en corps et en âme véritablement ressuscité, et dans toute sa gloire, toute l’assemblée, avec les anges qui étaient restés dans le ciel, se prosternèrent, l’adorèrent en esprit et en vérité, et le reconnurent comme

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vrai Dieu et vrai homme, comme le roi du ciel et de la terre, comme le rédempteur du genre humain, et comme le souverain juge des vivants et des morts. Puis il ajouta : « Ma divine Mère, qui du cénacle, par ma clarté, vit tout ce qui se passait, se prosterna toute la première avec tous les esprits des anges et des saints, pour m’adorer et pour montrer l’exemple à tous les esprits bienheureux et à tout le genre humain. »

    Pendant ces chants d’allégresse et ce magnifique triomphe, la très-sainte et  très adorable Trinité, toujours indivisible unité, parut au milieu du triomphe, avec la même gloire et la même majesté quelle se montre dans le ciel, et elle se fit voir à tous les anges et à tous les saints. Voici, selon ce que j’ai connu dans la lumière de Dieu, ce que le Père éternel dit à son Fils bien-aimé : « Vous êtes mon Fils; je vous ai engendré de toute éternité dans la splendeur de ma gloire. Je vous engendre aujourd’hui vrai Dieu et vrai homme, roi immortel et immuable, et Dieu comme moi : je vous engendre Dieu et homme, qui avez souffert la mort dans votre sainte humanité. Vous voilà vainqueur de la mort et de tous vos ennemis, et vous voilà véritablement ressuscité dans votre gloire. Vous êtes mon Fils, mon Verbe, et mon Fils bien-aimé en qui j’ai mis toutes mes complaisances et ma béatitude éternelle. Toute puissance, toute autorité vous est donnée, tant au ciel que sur la terre, et jusqu’au fond des abîmes. »

Commencement de l’Église triomphante, et plénitude de nouvelles grâces répandues sur l’Église militante.

    Ensuite Notre Seigneur me fit connaître que l’Église triomphante commença à sa résurrection, parce que, étant ressuscité, il fit la béatitude glorieuse de tous les bienheureux qui étaient présents. Voici encore une autre merveille, ce fut la vue de la nouvelle Église militante, remplie des grâces, des sacrements et des mérites infinis, qui étaient les fruits de la passion et de la mort de Notre Seigneur et de sa sainte résurrection. Tous ces mystères adorables me furent montrés en Dieu par la vue béatifique, que toute l’assemblée de la nouvelle Église triomphante avait eue par la vision de la très sainte et très adorable Trinité dans sa gloire.

Vision de toute l’Église militante en général, et ensuite en particulier, de toute la troupe des élus jusqu’à la fin du monde.

    Ces âmes bienheureuses virent encore en Dieu toute l’Église militante réunie devant eux, et connurent les prédestinés et les réprouvés, tous ceux qui un bon usage des grâces et des mérites de Notre Seigneur, et tous ceux qui en abuseraient. Mais surtout de quelle joie et de quelle allégresse ne furent pas remplies ces âmes glorieuses, quand il leur fut représenté la troupe des prédestinés, composée de tant de pontifes, d’apôtres, de généreux martyrs, de confesseurs, d’anachorètes et de vierges, sans parler d’un nombre infini de fidèles chrétiens de tous les états et de tous les âges, et de tant de saints pénitents qui ont blanchi sous le joug de la pénitence, en imitant l’exemple de leur adorable Sauveur! Il leur semblait voir ces généreux combattants s’avancer en troupes pour s’unir avec eux, et pour passer de l’Église militante à l’Église triomphante; ce qui ne fait en Dieu qu’une seule et vraie Église. Alors, pleins d’un transport d’allégresse à la vue des mérites de Notre Seigneur, ils commencèrent tous à entonner ce cantique : O heureuse faute qui nous a mérité un tel Rédempteur!

Le Père Éternel donne sa bénédiction à tous les élus.

    À ce moment la voix du Père éternel se fait entendre de toute l’assemblée, Il donne la bénédiction à tous ceux qui composaient l’Église triomphante, et en même temps il bénit tous les bienheureux qu’il voyait, dans ses décrets éternels, devoir faire pénitence, correspondre aux grâces de la rédemption de son Fils, et imiter son exemple. « Oui, dit-il, je les bénis dans le temps et dans l’éternité. Je les ferai entrer dans mon royaume par les mérites de la passion et de la mort de mon Fils : je les recevrai en mon royaume au nom de mon Fils et par mon Fils. »

Réflexions de la Sœur sur l’amour de J. C. auquel nous devons répondre par l’amour.

    C’est vous, ô Verbe incarné, vrai Dieu et vrai homme, qui, par votre mort et passion, leur avez ouvert la porte du ciel, fermée depuis quatre mille ans. C’est vous qui êtes leur voie et leur vie, et qui les conduisez à la vérité; enfin vous êtes leur salut. Votre amour pour votre peuple a triomphé et a remporté une glorieuse victoire; mais ce divin amour (1) veut pour récompense de l’amour, il veut être aimé; il ne sera le salut que de ceux qui l’aimeront. C’est pour eux que ce divin amour a remporté tant de victoires; qu’il a, par ses travaux et par son triomphe, terrassé la mort pour tous. Je dis pour tous, parce, que ce divin amour veut que tout le monde se sauve, et que tout le monde l’aime. C’est par là qu’ils vivront éternellement. Ce qui se nomme la mort, est la mort éternelle : la mort du corps n’est comptée pour rien; ce n’est qu’un peu de poussière qui ressuscitera au dernier jour; mais ce qui s’appelle la vraie mort est la mort éternelle. C’est

    (1) On a déjà remarqué plusieurs fois, et on remarquera encore, surtout dans ces réflexions de la Sœur de la Nativité, qu’elle personnifie l’amour de J. C. pour les hommes, selon ce que dit saint Jean, ép. 1, ch. 4, v. 8 : Quoniam Deus charitas est; parce que Dieu est amour. De là ces expressions de la Sœur : L’amour veut être aimé; aimer l’amour, etc., etc.

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celle-là que l’amour a terrassée pour toutes les âmes qui voudront y correspondre et l’aimer de tout leur cœur de toute leur âme, de tout leur esprit et de toutes leurs forces.

Notre amour pour J. C. doit être constant et sans bornes. Il doit être libre et de notre choix.

    Il ne veut point de bornes à notre amour pour lui. L’amour divin est infini, et brûlera toujours éternellement, sans jamais se consumer. Aussi ce divin amour veut que tous ceux qui voudront l’aimer et faire le bien pour son amour, persévèrent jusqu’à la mort. Celui qui mourra hors de l’amour, mourra dans la mort. L’amour divin, par son triomphe, a non-seulement terrassé la mort, mais encore il nous a fermé les portes de l’enfer, et nous a ouvert celles de son royaume. C’est l’amour qui est la clef du royaume des cieux; on n’ouvrira qu’à celui qui aime et qui aura fait de bonnes œuvres pour son amour.

    Ce divin amour qui nous a tant aimé, et qui nous aime encore d’un amour infini, qui a voulu, par son franc arbitre et par sa propre volonté, descendre du haut des cieux et embrasser toutes sortes de croix, de souffrances et d’humiliations, et enfin la mort, sans y être obligé que par sa trop grande bonté et par son trop grand amour, veut que ceux qui l’aiment, l’aiment par leur franc arbitre et de leur bonne volonté. Il a fait un commandement de l’aimer: il nous a montré le chemin du ciel, qui consiste à suivre son exemple et à observer ses divins commandements. Il s’oblige même, ce divin amour, à fournir des grâces plus que suffisantes pour faire notre salut; mais il ne sauvera que ceux qui veulent se sauver, il ne forcera point le franc arbitre. Après nous avoir montré le chemin, c’est à nous de le suivre ou de ne le pas suivre : notre sort est entre nos mains. Si nous voulons nous livrer de nouveau à la mort éternelle, rouvrir l’enfer qu’il nous avait fermé, et renoncer au royaume que ce divin amour nous avait préparé, nous sommes libres. Si vous êtes damné, c’est vous-même qui voulez-vous damner pour n’avoir pas voulu faire un bon choix. Vous avez mieux aimé suivre vos convoitises et vos penchants déréglés, et vous vous aimez vous-même dans votre propre nature corrompue par vos passions; c’est pourquoi ce divin amour vous dira : « Je ne vous connais point; vous n’êtes point du nombre de ceux qui m’aiment; vous vous êtes perdu, et vous l’avez bien voulu. »

Vision du nombre incalculable des réprouvés. Le Père Éternel les maudit.

    Le Père éternel, par une nouvelle lumière, montra la nouvelle Église triomphante composée des élus, et la félicité des bienheureux dans l’éternité. Il fit voir en même temps la réprobation des malheureux dans l’enfer, dont le nombre était si effroyable, que si ces âmes bienheureuses avaient été capables de trouble et d’affliction, leur joie et leur triomphe en auraient été altérés. Mais non : tout concourt à la gloire du Seigneur. Si ce n’est pas dans son amour, ce sera dans sa justice éternelle que nous le glorifierons malgré l’opiniâtreté de la volonté de l’impie toujours rebelle à Dieu.

    Le Père éternel, après avoir comme exposé à la connaissance et à la vue des bienheureux le nombre formidable des réprouvés, dit en leur présence: « Pour toi, impie, je te maudis, je t’ai maudit dans mes décrets éternels, et dans lesquels j’ai connu de toute éternité ta malice et tes noires perfidies, et comment tu te jouerais de moi; mais ma puissance et ma justice se joueront de toi éternellement. »

Le Père Éternel constitue son fils roi de l’univers et juge souverain des vivants et des morts.

    Ensuite le Père éternel s’adressant à son fils, lui dit : « Vous êtes Roi, et le Roi de gloire; je vous établis le souverain juge des vivants et des morts. Vous serez la gloire et la félicité de ceux qui vous aiment; mais pour vos ennemis, vous les gouvernerez avec la verge de fer, et vous les écraserez sous vos pieds. Votre puissance triomphera d’eux, et les confondra dans l’abîme. »

Dieu voit tout comme un point de toute éternité et dans toute l’éternité.

    Je fais connaître ici ce que je vis en Dieu. Au jour du jugement général, quand Notre Seigneur dira à ses élus : Venez, les bénis de mon Père, posséder le royaume qui vous est préparé dès le commencement du monde; et qu’il dira pareillement aux méchants : « Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel qui a été préparé pour le démon et pour ceux de son parti; » je connus en Dieu que Notre Seigneur parlera ainsi, parce que de toute éternité et dans toute l’éternité tout ce que Dieu a créé, comme tout ce qu’il créera, le passé, le présent et l’avenir lui sont toujours présents comme un point.

Manière dont la Sœur vit tous les mystères qu’elle vient de rapporter.

    Lorsque je rapporte ici tout ce que j’ai vu en Dieu dans le mystère adorable de la résurrection, ne croyez pas que j’aie vu dans ce mystère, non plus que dans tous les autres mystères, distinctement et à la manière des bienheureux. Hélas ! j’ai grand’peur et je crains beaucoup de n’en être jamais digne. Par exemple, quand j’ai dit que la très sainte Trinité se trouva au Saint-Sépulcre, au milieu des bienheureux, et qu’elle se montra dans sa gloire et telle qu’elle était dans le ciel, eh bien ! je ne vis qu’un globe de lumière qui environnait les trois divines personnes, et je n’aperçus aucune des trois adorables personnes. Je confesse qu’aucun homme vivant n’est capable ni assez

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pur pour voir jamais Dieu tel qu’il est dans sa gloire; il n’est même pas capable de voir un seul bienheureux dans la gloire du Seigneur. Je confesse que si cela arrivait, ce serait par un grand miracle. Je crois bien que Dieu fait des miracles quand il lui plaît; mais pour moi, tout ce que je puis en dire, c’est que l’homme ne pourrait jamais voir des choses si saintes et si divines sans en perdre la vie. Je déclare encore que quand il a plu à notre adorable Sauveur de me faire voir quelque chose de ses divins mystères, par exemple de celui de sa sainte résurrection, il me parlait, et que quand il me parlait, sa voix éclairait tout mon intérieur, et formait dans mon entendement comme un tableau en raccourci, dans lequel je voyais tout ce que ce Dieu de bonté voulait me faire connaître, et dont il m’a obligé de mettre quelque chose par écrit; ce que j’ai fait par obéissance.

Ce qu’elle fait écrire est bien au-dessous de ce qu’elle a vu en Dieu. Il est impossible de l’expliquer.

    Ce que je fais écrire est bien au-dessous et n’approche point de ce que j’ai vu et connu en Dieu. Je demande pardon à Notre Seigneur de m’être si mal expliquée, et de ne pouvoir dire ni développer ce que j’ai vu ni ce que je voyais. Notre Seigneur m’a fait connaître que cela n’était pas en mon pouvoir, et qu’il ne fallait pas même chercher à expliquer nettement ce qu’il me faisait voir dans sa divinité; que ce serait vouloir tenter Dieu.

L’amour divin surtout est inexplicable. Les bienheureux dans le ciel ne le comprendront jamais parfaitement.

    Par exemple, Notre Seigneur m’a fait voir dans le mystère de sa mort et de sa passion un petit échantillon du triomphe de son amour. Je ne savais si le Seigneur m’obligerait d’en mettre quelque chose par écrit, et je connus dans sa lumière qu’il ne le demandait pas de moi. « Comment, mon enfant, me dit-il, pourriez-vous faire écrire des choses si saintes, et expliquer le peu que je vous ai fait voir? savez-vous bien que le triomphe de l’amour divin est l’ouvrage de Dieu même? Les bienheureux dans le ciel seront occupés pendant toute l’éternité à contempler, voir, admirer et aimer ce beau triomphe de mon amour, ce beau triomphe de mon amour dans tous les mystères de ma vie, de ma mort et passion, et dans tout ce que j’ai opéré dans mon Église par ma grâce et par les sacrements; mais en particulier ce beau triomphe de mon amour qui par ma grâce entre dans les cœurs avec une douce violence, et qui les attire à moi sans gêner leur propre liberté. Comment pourriez-vous expliquer tout ceci qui est l’effet d’un amour immense, qui ne vit que de victoires et de triomphes, et à qui la mort même n’a pu résister ? Tous les bienheureux dans le ciel seront toute l’éternité ravis dans l’amour, sans pouvoir le comprendre parfaitement. » Ici Notre Seigneur ajouta : « Le silence d’un cœur qui aime et qui adore ce divin amour, rend plus d’hommage à sa majesté que les paroles, les connaissances et l’explication. »

Notre Seigneur ressuscité sort du jardin avec la troupe des justes et des anges, et va visiter sa sainte Mère.

    Avant que Notre Seigneur sortît du jardin avec toute cette troupe bienheureuse, toute l’assemblée chanta un cantique d’actions de grâces au Seigneur. Ce triomphe dura environ une heure; de sorte que je connus qu’il était à-peu-près deux heures, quand cette belle assemblée disparut du jardin. Au moment de la résurrection de Notre Seigneur l’aurore parut, et quand Notre Seigneur sortit du jardin, il y avait quelques minutes que le soleil était levé. Il avait avancé sa course pour être témoin de ce qui se passait à la résurrection du Sauveur.

    La première visite que Notre Seigneur glorieux fit en sortant du jardin, fut au cénacle, où il se rendit plus vite que la pensée, pour visiter l’auguste et divine Marie, la Sainte-Vierge, sa mère. Il la visita en vrai Dieu et vrai homme et immortel. La joie que Notre Seigneur lui donna de sa triomphante résurrection, fut proportionnée aux grandes douleurs qu’elle avait souffertes au pied de la croix. Pendant les quarante jours que Notre Seigneur passa sur la terre, la plupart du temps il était avec elle en corps et en âme. Il n’était pas nécessaire pour cela que la Sainte Vierge fût toujours seule et sans compagnie, parce que Notre Seigneur se rendait invisible, et rendait aussi invisible à la Sainte-Vierge toute l’assemblée des anges et des bienheureux, qui le suivait partout.

Apparition de J. C. à ses apôtres.

    Il ne se rendit point invisible aux apôtres. Il leur fit plusieurs apparitions, comme dit l’Évangile, dans lesquelles il se fit voir à eux d’une manière humaine, suspendant l’éclat de sa majesté, leur faisant connaître sa sainte humanité, s’entretenant familièrement avec eux, leur assurant, en vérité, qu’il était vraiment ressuscité, leur disant qu’ils n’eussent point de peur, qu’il était revêtu de son sacré corps, de sa chair et de ses os, et leur prouvant ainsi qu’il était véritablement ressuscité. Notre Seigneur leur fit toutes ces visites pour planter et enraciner en eux la foi, qui dans quelques-uns était encore bien faible.

Les saintes femmes se rendent au sépulcre. Des anges enlèvent la pierre. Frayeur des gardes. Les anges annoncent aux saintes femmes que J. C. est ressuscité.

    Lorsque cette illustre assemblée sortit du jardin, les femmes qui se rendaient au sépulcre, et qui se proposaient d’embaumer le saint corps de notre divin Sauveur, allaient bientôt arriver. Dieu envoya des anges pour leur

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annoncer cette grande et belle nouvelle de la résurrection de notre adorable Sauveur. Il permit qu’un de ses anges parût visiblement aux gardes pour les effrayer et les épouvanter. En même temps ces gardes entendirent un grand bruit qui venait de la pierre, que les anges roulèrent hors de l’entrée du tombeau. À ce bruit se joignit un tremblement de terre, qui fut si grand, particulièrement dans le jardin et dans Jérusalem, qu’aucun homme n’aurait pu rester debout. Les gardes furent renversés comme demi-morts. Aussitôt qu’ils furent un peu revenus de leur frayeur, ils s’enfuirent du jardin, et les saintes femmes y arrivèrent. Ce fut là que les anges leur dirent : Pour vous, ne craignez rien, et n’ayez pas de peur, parce que nous savons que vous cherchez Jésus de Nazareth; mais il n’est plus ici, il est ressuscité comme il l’avait dit; allez l’annoncer à Pierre et aux autres apôtres, et assurez-les qu’ils le verront eu Galilée, comme il le leur avait promis.

§. III.

Pratique enseignée à la Sœur de la Nativité par Notre Seigneur, et tirée de sa Passion, pour contribuer beaucoup au soulagement des âmes du purgatoire.

    Notre Seigneur m’a fait connaître de quelle manière il fallait soulager les âmes du Purgatoire » C’est par de courtes prières et même par des aspirations faites à son cœur, à l’intention et en l’honneur des mérites de sa sainte mort et passion. Dieu me fait connaître qu’une seule aspiration faite avec amour et avec attention en l’honneur des cinq mystères douloureux, en prenant de fois à autre un mystère à chaque aspiration, et en offrant tout ce que Notre Seigneur a souffert et enduré et tous ses mérites, pour le soulagement des âmes du Purgatoire, ou d’une en particulier, était d’un mérite infini pour obtenir leur prompte délivrance.

À quelle occasion Notre Seigneur enseigne cette pratique à la Sœur.

    Voici à quelle occasion Dieu me donna la connaissance de cette dévotion. Une ancienne religieuse mourut. Celle qui devait occuper sa cellule après elle, eut peur de la défunte, et me pria d’y aller coucher pendant un mois. Une nuit, je me levai à minuit, par permission de mon confesseur et de ma Supérieure, et me mis en prières, tournée vers le Saint-Sacrement, en m’unissant de cœur et d’esprit avec les religieuses qui étaient alors à réciter matines. Ordinairement les nuits que Notre Seigneur m’avait marquées pour prier, particulièrement la nuit du jeudi au vendredi, il avait coutume de m’avertir pour me lever; et je restais levée en prières jusqu’au moment où Notre Seigneur me faisait connaître qu’il fallait me recoucher. Ce fut dans une de ces nuits que Notre Seigneur m’enseigna cette dévotion, tirée de sa sainte passion, en faveur des âmes du Purgatoire, et voici comment la chose se passa:

Une religieuse défunte lui apparaît et lui demande de prier pour elle.

    Après avoir reçu de Notre Seigneur la permission d’aller reprendre mon repos, je me levai de ma prière, et je me tournai du côté du lit pour me coucher. Je vis des yeux du corps et de l’âme la défunte avec sa figure, comme dans son vivant, et dans son habillement de nuit, qui se mettait toujours devant moi pour m’empêcher de monter dans le lit, en me faisant des reproches de ce que depuis que j’étais levée, je n’avais pas prié pour elle. Je tournais autour du lit pour me coucher; elle se trouvait toujours devant moi pour m’empêcher d’y monter.

    Quand je vis cela, je m’adressai à Notre Seigneur, et lui dis : Seigneur, permettez-moi de rester quelque temps en prières pour cette défunte, avant de me coucher. Non, me répondit Notre Seigneur, je veux que vous alliez vous coucher. Comme elle se trouvait toujours devant moi, Notre Seigneur me dit: « Touchez-la avec la main. » Elle avait toujours le dos tourné vers moi. J’étendis la main avec une grande frayeur, mais avec foi, et en mettant toute ma confiance en Dieu, dont la présence me paraissait sensible, sans que je le visse aucunement. Je ne voyais que la défunte. Quand je crus mettre la main sur son dos et la toucher, je ne touchai rien du tout, et aussi vite que la pensée la voilà à côté de moi, qui me cède la place. Je me couchai promptement, et quand je fus dans le lit, à la faveur d’un beau clair de lune, qui donnait dans la cellule, et qui faisait une clarté presque semblable à celle du jour, je la vis tourner tout autour de notre lit, et faire des efforts pour y monter. Ce fut dans ce moment que Notre Seigneur m’enseigna cette courte prière pour les âmes du Purgatoire dont je viens de parler. Ce Dieu de bonté me dit : « Offrez à mon Père éternel, pour cette âme, tout ce que j’ai souffert et enduré dans le mystère douloureux de mon oraison au jardin des Olives et offrez-le par l’amour et en union de l’amour avec lequel je l’ai souffert. » Je m’endormis en faisant cette prière, et à mon réveil il faisait jour.

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(386-390)

§. IV.

Fortes répugnances de la Sœur de la Nativité pour faire écrire des choses extraordinaires. Avertissement qu’elle reçoit à ce sujet de Notre Seigneur et de là très Sainte-Vierge.

Obéissance de la Sœur, malgré ses répugnances pour faire écrire.

    Mon père, je vous fais connaître la répugnance plus que naturelle que j’ai, et que j’ai toujours eue, à mettre par écrit les secrets extraordinaires que Dieu m’a confiés, et que je porte dans le secret de ma conscience. Malgré la peine que je ressens à faire écrire, j’ai toujours, par la grâce de Dieu, sans laquelle je ne puis rien, fait écrire toutes les fois que mon divin Sauveur et mes confesseurs me l’ont ordonné; quoiqu’à la répugnance et à la peine se joigne une tentation du démon, qui me porte toujours à ne point faire écrire, par la raison que cette écriture-là sera la cause de ma perte.

Elle se flatte de l’espérance de n’être plus obligée de faire écrire. La volonté de Dieu s’y oppose. Reproches que lui fait la Sainte-Vierge.

    Depuis que je fais écrire, il plaît à mon divin Sauveur de me donner beaucoup de temps d’intervalle, même plusieurs années de suite, en sorte que j’ai cru plusieurs fois que cela était fini, et que le bon Dieu n’exigeait plus de moi de faire écrire; ce qui me consolait beaucoup. Dans le temps présent, où je fais écrire, il y a seulement quatre à cinq jours que je croyais plus que jamais ne plus le faire; ce qui me consolait grandement, me voyant par-là délivrée de ma peine et de plusieurs autres peines qui proviennent de là. Mais, hélas ! à quoi sert-il que l’homme propose? Ce Dieu de bonté dispose selon les décrets de sa sainte volonté, et comme il lui plaît.

    Voici ce qui m’est arrivé ces jours passés, touchant la volonté de Dieu sur ce qui regarde l’Écriture. Dieu m’ai fait connaître plus que jamais que c’était son bon plaisir et sa sainte volonté, que je fisse encore écrire. À ce sujet, la sainte Vierge m’annonça qu’elle aurait voulu que j’eusse fait écrire certaines particularités qu’elle m’avait fait connaître sur ses mystères, principalement sur celui de sa glorieuse assomption; et en me faisant comme un doux reproche : Comment, ma fille; me dit-elle, vous n’avez fait aucune mention de moi dans vos écrits ! vous n’avez rien fait écrire sur plusieurs différentes choses que je vous ai fait connaître, moi, qui vous ai prise sous ma protection dès votre enfance, et qui ai tant de fois détourné les rudes combats et les tentations que les démons voulaient susciter contre vous! Vous ne connaîtrez que dans l’autre monde, ma fille, les soins particuliers que j’ai eus de vous, et les grâces de protection que j’ai obtenues pour vous de mon divin Fils.

    Je fus consternée de honte et de confusion en la présence de la sainte Vierge. Je demandai pardon à Notre Seigneur et à la sainte Vierge de toutes les ingratitudes et infidélités que j’avais commises pendant tout le cours de ma vie, et du peu de reconnaissance que j’avais eue de l’amour et de la tendresse d’une si bonne mère. Je lui promis d’être plus fidèle; je me vouai à elle pour qu’elle fît de moi ce qu’il lui plairait; et je la suppliai, malgré mon indignité, de ne point m’abandonner, et de prier son très cher Fils pour moi, afin qu’il me pardonnât tous mes péchés. Je lui promis que je lui serais obéissante jusqu’au dernier soupir de ma vie, et que je ferais écrire sur ce qui la regarde, et sur ce que je connaîtrais être le plus avantageux à la gloire de Dieu et au salut des âmes.

Apparition de Notre Seigneur qui fait à la Sœur des reproches sur le même sujet.

    Le même jour que la sainte m’apparut, plusieurs heures après Notre Seigneur m’apparut pour le même sujet. Il me fit connaître qu’il y avait plusieurs choses dans mon intérieur qui étaient venues de lui et que je cachais, sous prétexte qu’elles n’étaient pas nécessaires. Il me désigna, article par article, les différentes matières qu’il voulait que je fisse mettre par écrit, ainsi que les grâces et plusieurs faveurs que sa sainte mère m’avait accordées, et il me dit qu’il m’avait confiée à sa protection.

Elle promet toute obéissance à Notre Seigneur, en lui représentant humblement ses répugnances. Réponse de Notre Seigneur. Ses répugnances sont une grande grâce.

    Je promis à Notre Seigneur toute soumission et obéissance, en lui représentant, avec une grande confusion et une profonde humilité, les peines et les répugnances que j’avais à faire écrire. Voici ce que Notre Seigneur me répartit : « Savez-vous, mon enfant, que cette répugnance est une grâce que je vous ai faite, et une grâce spéciale que je vous ai donnée, à la prière de ma très sainte Mère, et qui vous fait, avec ma grâce, mériter par votre obéissance. Sans cette peine-là, sans cette grâce qui vous accompagne toutes les fois que vous faites écrire, le démon, qui dès le commencement était aux aguets pour vous livrer une terrible tentation, excitée par la passion de l’orgueil et de la vaine gloire, vous aurait enflé le cœur et l’esprit de vanité, à l’occasion des choses extraordinaires que je vous ai fait connaître. Il vous aurait donné la tentation et un désir extraordinaire de faire écrire et de faire connaître des choses curieuses, auxquelles, par la convoitise qui aurait toujours été agitée en vous, il aurait mêlé du sien, et vous aurait fait voir des choses nouvelles. Voyez, mon pauvre enfant, où vous en seriez !

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(391-395)

» quels combats, quelles alarmes, et combien d’assauts dangereux ne vous » aurait pas livrés cet esprit de perdition! Cette peine que je vous ai donnée, qui est encore accompagnée d’une certaine confusion, cette aversion pour toutes les choses qui paraissent extraordinaires, et le désir que vous avez d’être cachée aux yeux des hommes, tout cela vous préserve de la malheureuse tentation que je viens de vous annoncer. »

La Sœur, pénétrée de douleurs, fait un entier abandon de soi-même à N. S.

    Je tombai plus que jamais devant le Seigneur, dans un surcroît de honte, de confusion et de douleur, d’avoir été si ingrate en vers Dieu et la sainte Vierge, et de m’être plaint tant de fois de la peine que je ressentais de faire écrire. Je fais un abandon entier de moi-même entre les mains de Notre Seigneur, pour tout ce qu’il voudra faire écrire malgré ma répugnance.

ARTICLE VI.

Nouveaux détails et supplément à ce que la Sœur de la Nativité a fait écrire dans les premiers volumes sur la révolution, ses suites et ses progrès. Essais continuels des impies jusqu’à la fin du monde pour détruire la foi en J. C. et renverser son Église. Intervalles de paix pour l’Église, toujours subsistante malgré leurs efforts. Ses triomphes, et conversions éclatantes parmi ses plus grands ennemis et parmi les complices même de l’Antéchrist. Quelques circonstances du règne de l’Antéchrist. Sa chute. Sort de ses complices.

§. Ier.
Mort de Louis XVI. Son bonheur dans le Ciel.

La Sœur connaît la mort de Louis XVI deux ans auparavant. Ses prières pour la détourner.

    Voici ce que je vais rapporter ici sur la mort de notre cher et bien-aimé Monarque Louis XVI, Roi de France, et sur le bonheur dont son âme jouit dans le ciel par la grâce de Dieu. Un jour que j’étais en prières devant le Saint Sacrement, le Seigneur me dit que le Roi serait mis à mort. Moi, en entendant une si triste nouvelle, je suppliai très-humblement Notre Seigneur de ne pas permettre que cela arrivât. Depuis cette affligeante nouvelle, que j’ai sue deux ans avant sa mort, j’ai gardé dans mon cœur un profond secret sur un si grand malheur, sans le dire à personne. Je priais Dieu sans cesse de détourner ce calice de moi et de toute la France; mais mes prières furent trop faibles pour que Dieu m’exauçât.

Après la mort du Roi, elle connaît qu’il règne dans le ciel.

    Plus de deux ans après arriva ce coup fatal et maudit, qui perça mon cœur d’un glaive de douleur et d’amertume; mais quelques jours après cette triste nouvelle, Notre Seigneur m’apparut et me dit : « Réjouis-toi, ma fille ! je t’ai affligée par la mort de ton Roi, mais je viens te consoler par cette bonne nouvelle : il est glorieux, triomphant, et Roi dans mon royaume; il est couronné. Je lui ai donné un sceptre et une cour qui sera éternelle: son sceptre et sa couronne ne lui seront jamais ôtés. »

§. II.

Vision et description d’un arbre prodigieux, à quatre grosses racines, figure de l’impiété qui menace d’opprimer l’Église. Efforts des enfants de l’Église pour abattre et déraciner cet arbre.

Vision d’un gros arbre à quatre racines.

    Voici ce que le Seigneur m’a fait connaître au sujet de la révolution : l’esprit du Seigneur m’a fait voir un arbre prodigieusement élevé et fort gros; il tenait à la terre, dans laquelle il était enraciné par quatre racines aussi grosses que des tonneaux : trois de ces racines paraissaient sur la terre et formaient comme un trépied, ou trois jambes de force, pour appuyer ce grand arbre; la quatrième racine était dans le cœur de l’arbre, et si profondément entrée dans les entrailles de la terre avec les trois autres racines, qu’on eût dit qu’elles tiraient leur force et leur vigueur de la malice diabolique de l’enfer, ainsi que me l’a dit l’esprit du Seigneur.

Ce que signifie la dureté de son écorce, et ses branches en partie coupées. Il est incliné sur l’Église pour l’écraser.

    Cet arbre n’avait ni feuilles ni verdure; son écorce ressemblait au métal d’un canon, et était aussi dure. Il me fut dit que cela signifiait que son esprit serait toujours guerrier. Ce gros arbre était si haut que je n’en pouvais voir la coupelle (1); il était penché d’un côté, de sorte que par sa grosseur prodigieuse il présentait comme un grand chemin par lequel on pouvait marcher sur cet arbre. Il y avait, sous le penchant de cet arbre, une grande et belle Église; cet arbre se courbait sur elle comme pour l’écraser et la détruire. L’esprit du Seigneur me dit qu’il n’en serait rien, qu’il conserverait son Église, et qu’il la soutiendrait jusqu’à la fin des siècles; qu’on pouvait bien l’opprimer, mais que, malgré les persécutions, elle n’en deviendrait que plus florissante.

(1) La cime.

    Cet arbre avait les branches coupées; mais on avait laissé deux ou trois pieds

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(396-400)

de branches, de sorte qu’elles n’étaient pas coupées au ras de l’arbre, elles n’étaient pas non plus toutes coupées de la même manière. Celles qui étaient sur le haut du penchant étaient coupées ras, ce qui formait le passage sur cet arbre. J’ai vu plusieurs personnes de piété, et même quelques-unes de ma connaissance, qui montaient et descendaient de cet arbre. Je voyais encore des ouvriers autour, avec des pics, des haches et plusieurs autres outils, comme dans la disposition de le déraciner et de l’abattre.

    Voici ce que le Seigneur m’a dit : ces branches coupées figuraient cette guerre qu’il avait permise dans l’intérieur de la France, comme pour se venger, dans sa justice, de l’impie dont cet arbre est l’image et la représentation. J’ai vu en Dieu que par cette guerre intestine, jointe à celle des couronnes étrangères, je ne sais combien d’âmes, des plus orgueilleuses et des plus cruelles en malice, ont été précipitées dans le fond de l’abîme de l’enfer. Voilà, me dit le Seigneur, comme je me joue de l’impie; j’en tire ma gloire par ma justice même.

Efforts inutiles de toute l’Église en action et en prières pour abattre et déraciner cet arbre. Il sera abattu, mais non déraciné.

    Je demandai à Notre Seigneur ce que voulaient ces personnes qui montaient et descendaient de cet arbre; il me répondit : « Ils montent pour disposer et arranger de gros câbles, qui sont attachés à la coupelle de cet arbre afin de l’attirer hors de l’endroit où il penche sur l’Église. Ensuite Notre Seigneur me fit connaître d’une manière plus claire tout ce qui regardait cet arbre, en me disant: « Toute l’Église est en action pour abattre cet arbre; on voudrait le déraciner, mais je ne le veux pas. Les fidèles me sollicitent par leurs prières et par leurs gémissements qui me touchent le cœur; leurs larmes seront écoutées. J’avancerai le temps d’abattre cet arbre; mais, c’est ma volonté, il ne sera coupé qu’à ras de terre. Voyez-vous, ajouta le Seigneur, comme tout ce pauvre peuple s’agite, dont plusieurs sont au pied de l’arbre avec des outils pour le déraciner? mais vous voyez, leurs efforts sont inutiles, ils ne peuvent rien faire. C’est ma volonté qui les arrête. Je connais la férocité et la dureté de ces mauvais esprits, qui sont plus durs que l’écorce de cet arbre où la hache ne peut entrer; mais j’opérerai un miracle par ma grâce. Sans moi les hommes ne peuvent rien faire. »

    Ce fut alors que je connus en Dieu que tout cela aurait une fin. Mais quand? je ne le sais point du tout. Dieu abrégera le temps en faveur des prières de la sainte Église; mais je ne sais point encore si cela est proche ou éloigné.

Quelles sont les âmes dont les prières et les combats touchent le cœur de Dieu et le portent à avancer le moment où l’arbre sera abattu.

    J’ai vu en Dieu les personnes dont les prières touchaient le cœur de Dieu, et lui faisaient comme une sainte violence, par laquelle ce Dieu de charité, qui n’est qu’amour, se laissait attendrir. Je connais en particulier que ce sont les bons prêtres qui gémissent et qui prient sous le joug de la pénitence, en s’unissant aux saints martyrs de nos jours, qui prient dans l’ardeur de la charité divine, qui est pure et parfaite. Prosternés devant le trône de Dieu, en union avec l’agneau de Dieu qui a souffert pour nous, ils crient miséricorde pour l’Église militante.

    Je vois encore en Dieu que ces ouvriers, avec leurs outils, représentent les guerres faites pour la bonne cause, dans de bonnes intentions, et suivant des règles légitimées. Mais Dieu défend les meurtres et les assassinats commis par trahison ou par animosité, enfin toute espèce de brigandage. Ces excès, au lieu d’avancer notre délivrance, la retardent.

    Je vois encore en Dieu les peuples de la sainte Église, qui sont encore en grâce, se mettre en mouvement, et dans un grand silence agir et combattre avec les armes spirituelles, pour abattre l’arbre par leurs prières, qui sont figurées par ces câbles avec lesquels ils tirent l’arbre de son penchant, pour qu’il n’opprime pas davantage la sainte Église. Je vois en Dieu comme une milice toute sainte, qui agit de deux façons, mais dans un même accord. D’un côté, les prêtres, les religieux, les religieuses, et tout le peuple de Dieu, qui combattent avec les armes spirituelles, et qui se sont unis en même temps aux armées du peuple de Dieu, qui, d’un autre côté, combattent pour la bonne cause. Je vois encore en Dieu qu’il faut qu’ils combattent tous ensemble du bon combat de la foi, mais d’une foi vive et animée, qui ne perd point courage, qui a toujours les armes de l’espérance dans les mains, et la charité de J. C. dans le cœur, pour l’amour duquel elle combat.

Il faut prendre patience et travailler avec courage, jusqu’à ce que l’heure du Seigneur soit arrivée.

    Prenons patience pendant une longue durée de temps. Si le Seigneur tarde à venir à notre secours, soumettons-nous à sa sainte et adorable volonté, et espérons fermement que tôt ou tard il viendra. Oui, il viendra, je vous le répète: attendons le Seigneur, non point dans l’oisiveté mais en travaillant et en combattant pour son amour. Quoique nous ne puissions rien faire sans qu’il soit avec nous, et que nous ne puissions espérer de succès que quand son heure sera arrivée, il ne veut point de serviteurs lâches, qui perdent courage, et dont l’oisiveté serait capable de

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(401-405)

retarder son ouvrage plutôt que de l’avancer. Consolons-nous encore une fois; quand l’heure du Seigneur sera arrivée, comme il a promis qu’il ferait ce beau miracle, tout ira bien.

§. III.

Après un temps assez long, l’arbre est enfin abattu. Triomphe et paix de l’Église pendant un certain temps. Conversion de plusieurs de ses persécuteurs. La foi s’étend dans plusieurs contrées.

Dans un moment Dieu abattra le grand arbre. Joie de l’Église, qui s’étendra dans plusieurs contrées.

    Je vois en Dieu qu’il viendra un temps ou ce grand arbre, que l’on voit à présent si tort en malice et en corruption, et qui ne produit que des fruits empoisonnés et pestiférés, sera abattu. Quand l’heure du Seigneur sera venue, il arrêtera dans un moment ce fort armé de Satan, et renversera ce grand arbre par terre, plus vite que le petit David ne renversa le grand géant Goliath. Alors on s’écriera : Réjouissons-nous, les ouvriers d’iniquité sont vaincus par la force du bras tout-puissant du Seigneur. Je vois en Dieu que notre mère la sainte Église s’étendra en plusieurs royaumes, même en des endroits où il y a plusieurs siècles qu’elle n’existait plus. Elle produira des fruits en abondance, comme pour se venger des outrages qu’elle aura soufferts par l’oppression de l’impiété et par les persécutions de ses ennemis.

Effets et causes des persécutions de l’impie contre l’Église.

    Je vois en Dieu comment la persécution s’est étendue fort loin, et comment, semblable à un feu dévorant, elle a tout consumé en de certains endroits, et a causé, par ses étincelles, beaucoup d’incendies dans plusieurs autres contrées où il semble qu’elle ne devait pas pénétrer. Mais, que dis-je? Dieu est admirable ! il laisse agir pendant un temps l’impie partout où le guide sa damnable malice, et de sa malice même le Seigneur en tirera sa gloire. Je vois dans la lumière du Seigneur, que la foi et la sainte religion s’affaiblissaient presque dans tous les royaumes chrétiens. Dieu a permis qu’ils aient reçu des coups de verge de l’impie, pour les réveiller de leur assoupissement; et après que Dieu aura satisfait sa justice, il versera des grâces en abondance sur son Église; il étendra la foi, et ranimera la discipline de l’Église dans toutes les contrées où elle était devenue tiède et lâche.

Ferveur des enfants de l’Église après leur délivrance. Conversion de plusieurs persécuteurs.

    Je vois tous les pauvres peuples, fatigués des travaux et des épreuves si rudes que Dieu leur a envoyées, tressaillir par la joie et l’allégresse que Dieu répandra dans leurs cœurs. Ils diront: Seigneur, vous avez versé dans nos cœurs la joie et la force de la jeunesse; nous ne nous ressentons plus, ni des travaux, ni des fatigues, ni des persécutions que nous avons endurées. L’Église deviendra, par sa foi et par son amour, plus fervente et plus florissante que jamais. Cette bonne mère verra plusieurs choses éclatantes, même de la part de ses persécuteurs, qui viendront se jeter à ses pieds, la reconnaître, et demander pardon à Dieu et à elle de tous les forfaits et de tous les outrages qu’ils lui ont faits. Cette sainte mère les recevra dans la charité de J. C. Oui, cette bonne mère, touchée de leurs promesses d’être de véritables et sincères pénitents d’un cœur contrit; humilié et brisé de douleur, tout le reste de leur vie, recevra dans son sein ces pauvres pénitents. Elle ne les regardera plus comme ses ennemis, mais elle les mettra au nombre de ses enfants.

Durée de cette paix de l’Église, qui sera accompagnée d’une certaine crainte. Guerres fréquentes. Changements dans les lois civiles.

    Je vois en Dieu que l’Église jouira d’une profonde paix pendant quelque temps, qui me paraît devoir être un peu long, la trêve sera plus longue cette fois-ci, qu’elle ne le sera d’ici au jugement général, dans les intervalles des révolutions. Plus on approchera du jugement général, plus les révolutions contre l’Église seront abrégées; et la paix qui se fera ensuite, sera aussi plus courte, parce qu’on avancera vers la fin des temps, où il ne restera presque plus de temps à employer, soit pour le juste, à faire le bien, soit pour l’impie, à opérer le mal.
Je vois en Dieu que l’Église sera rétablie, et j’ai dit qu’elle jouira d’une assez longue paix, mais toujours un peu dans la crainte, parce qu’elle verra beaucoup de guerres, à plusieurs reprises, entre plusieurs rois et princes des royaumes. Les trêves de ces guerres seront courtes, et il y aura beaucoup d’agitation dans les lois civiles.

§. IV.

Les quatre grosses racines poussent tout-à-coup leurs rejetons. Vision du bel arbre de l’Église et des quatre arbres sortis des racines du premier. Nouvel assaut contre l’Église, qui en triomphe.

    J’ai donc dit ci-dessus que l’arbre sera abattu; mais comme il ne sera coupé qu’à ras de la terre, les quatre racines pousseront leurs malices ordinaires, qui seront pires encore qu’auparavant. J’ai dit aussi ci-dessus que la paix de l’Église, lorsqu’elle sera rétablie, sera cette fois-ci un peu de longue durée. À l’égard des quatre racines, je les ai vues, il y a environ trente ans (1), de cette manière.

    (1) La Sœur a dicté ceci au plus tard en 1798, année de sa mort. La vision dont elle parle a donc eu lieu, vers l’année 1768.

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(406-410)

Vision d’un bel arbre qui représente l’Église, et de quatre gros arbres sortis des quatre racines du premier arbre, figure de l’impiété. L’Église les fait scier par le pied.

    L’esprit du Seigneur me conduisit sur une haute montagne, où je vis un grand arbre bien garni de branches, et chargé de fleurs et de fruits de plusieurs espèces, sa belle verdure, sa grande vigueur, et la beauté variée de ses fruits présentaient à la vue un coup d’œil admirable. A quinze ou vingt pieds de ce bel arbre, je vis sortir de terre quatre jets vis-à-vis les uns des autres, en carré, et distants l’un de l’autre de quatre ou cinq pieds. Dans un instant ils grandirent tous les quatre également, en poussant leurs coupelles jusqu’au-dessus de ce bel arbre chargé de fruits, et devinrent gros comme la cuisse, bien verts, et droits comme des flèches. Incontinent j’entendis parler plusieurs personnes, qui étaient dans l’arbre chargé de fruits, et qui dirent : Voilà des sauvageons qui vont offusquer notre arbre; il ne faut pas les épargner, parce qu’ils sont mauvais et que leurs fruits sont très amers. Dans le moment même il parut des ouvriers qui les scièrent à ras de terre.

    II me fut fait connaître que ce grand et bel arbre, si chargé de fruits, représentait l’Église, et que ces quatre jets que j’avais vus croître, et aussitôt détruire, étaient les ennemis de l’Église, qui, après avoir formé dans le secret leurs projets et leurs complots, se hâteraient d’arriver en toute diligence pour attaquer notre mère la sainte Église, figurée par ce bel arbre. Je vois encore en Dieu que les quatre racines de cet arbre sont la figure qui représente la nation. (1)

    (1) La Sœur distingue ici clairement deux choses : 1° les quatre jets sortis des quatre racines, qui représentent les ennemis de l’Église ou les chefs des impies; 2° les quatre racines cachées sous terre, qui désignent la multitude, le peuple (ou ce qu’elle appelle la nation, suivant le terme usité de son temps), qui se laisse séduire et tromper par les impies. Cette remarque servira beaucoup à l’intelligence de tout ce qui suit.

Développement de la vision prophétique. Complots clandestins formés contre l’Église dans des souterrains. Les ennemis de l’Église se montrent tout-à-coup. Elle les rejette de son sein.

    Voici encore ce que je Vois dans la lumière de Dieu, sur les temps à venir, c’est-à-dire, dans l’écoulement des siècles, d’ici au jugement général. L’Église aura encore beaucoup à souffrir. Le premier assaut qu’elle aura à soutenir après celui qu’elle souffre actuellement, viendra de l’esprit de Satan, qui suscitera contre elle des ligues et des assemblées. 1l y en aura même qui se cacheront dans des lieux souterrains pour former leurs projets diaboliques. Ils se serviront même des diables, de l’art de la magie et des enchantements, et tout cela dans leur fureur et leur malice, pour attaquer l’Église, et pour abolir et détruire la religion. Ils paraîtront alors tout-à-coup, et presque aussi promptement que j’ai vu les quatre jets sortir de la terre, où ils étaient cachés. Ils feront voir alors leurs travaux, et par là on reconnaîtra leurs projets et leur malice diabolique.

    Cependant ils se montreront dans un appareil qui charmera les esprits curieux et les hommes de peu de religion. Par leurs stratagèmes ils s’efforceront de s’insinuer dans les esprits, et de montrer à tous que leurs voies sont droites et raisonnables pour tout esprit humain. Ceci est figuré par les quatre jets que j’ai vus, et qui devinrent quatre jeunes arbres de si belle apparence, droits, bien alignés, et d’une belle verdure. Ils auront tous l’apparence de réussir à bien tromper, et ils croiront faire de grands progrès par leur malice. Mais que peut l’esprit de Satan contre Dieu, quand il veut le renverser !…. Je vois en Dieu que leur règne, ou plutôt que leur projet ne sera pas de longue durée. Le Saint-Esprit, qui gouverne notre mère la sainte Église, fera connaître à ses enfants que ce sont des enchanteurs et des fourbes qui veulent les séduire. Alors l’Église décidera par la lumière du Saint-Esprit, que ce sont de mauvais arbres et des sauvageons, qui ne produiront que des fruits amers, et qu’il faut promptement couper et abattre.

Cependant ils ont assez de temps pour gagner à leur parti plusieurs personnes.

    Je vois par là en Dieu que leurs projets seront promptement renversés. Mais quand je dis promptement, ce n’est pas que je veuille donner à entendre que cela ne durera qu’un mois, qu’une année. Je vois en Dieu que cela peut durer encore plusieurs années, et je ne vois pas que l’Église soit opprimée dans ses ministres, ou dans leur ministère sacré. Mais malheureusement il y aura quantité de personnes, de l’un et de l’autre sexe, qui se laisseront tromper par leurs enchantements. Ils ajouteront tellement foi à leurs fausses maximes, qu’ils se mettront à les suivre.

§. V.

Les impies se cachent de nouveau dans des souterrains, et composent des livres pernicieux. Leurs progrès rapides et cachés. Hypocrisie diabolique de leurs associés. Fiers de leurs succès, ils sortent de leurs retraites, et trompent les peuples par leurs fausses et apparentes vertus. Étonnement et affliction de l’Église, qui s’assemble en concile et découvre enfin leur hypocrisie.

Les impies se retirent de nouveau dans des souterrains, et composent des ouvrages pour séduire les peuples.

    Ces satellites se retireront et ne paraîtront plus en public : mais ils feront des assemblées nocturnes, et, comme des bêtes sauvages, ils se retireront dans le fond des forêts. Je vois en Dieu que leurs pernicieuses maximes les porteront à composer plusieurs brochures, qu’ils feront passer à ceux de leur mauvais parti, avec qui ils auront

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(411-415)

des correspondances. Il y aura partout de ces personnes; il y en aura plusieurs dans les villes et dans les bourgades; il y en aura à la campagne et presque partout autour de l’endroit où ils seront casernés. Ces mauvaises gens, par intérêt, les serviront beaucoup dans leur malice, en leur fournissant, dans ces retraites cachées, des vivres et toutes les choses nécessaires. Ils porteront à leurs complices tout ce qui sera propre à l’exécution de leurs projets, et ils rapporteront toutes les brochures qu’ils auront composées par l’esprit de Satan et qui seront remplies de toutes sortes de belles dévotions, de nouveautés et d’histoires fausses qu’ils annonceront comme véritables. Ces histoires seront toujours des critiques contre la religion. Outre les brochures qu’ils feront circuler dans le commencement par les villes et par les campagnes, lorsqu’ils verront le monde épris et enthousiasmé de leurs belles dévotions, ils se mettront à composer quantité d’ouvrages, qu’ils feront imprimer par leurs associés, et qu’ils feront distribuer aux personnes qu’ils connaîtront y prendre goût.

Mal que font ces livres. Progrès cachés de la séduction.

    Oh! qu’ils feront de mal par ces maudits livres, qu’ils vanteront par malice à tous ceux qui les liront ou qui les entendront lire! mal plus contagieux que la peste! Tout ce mauvais commerce durera longtemps sans paraître au dehors; tout se passera en silence, et sera enveloppé dans un secret inviolable : comme un feu qui brûle en mourinant (1) par dessous, et qui s’étend sans élever sa flamme, ce mal s’étendra dans un grand espace et dans plusieurs contrées, et il sera d’autant plus dangereux pour la sainte Église, que l’on ne s’apercevra pas sitôt de tous ses incendies.

    (1) Sans bruit, petit à petit, insensiblement.

Les personnes séduites, dans la crainte d’être découvertes par l’Église, forment entre elles un plan abominable d’hypocrisie.

    Pendant ce stratagème, qui, comme je le répète, durera longtemps, ils feront tout leur possible pour se cacher de l’Église. Mais quand quelques prêtres s’apercevront, soit dans les villes, soit dans les campagnes, de quelque fumée de ce maudit feu, ils s’élèveront contre les personnes dans lesquelles ils remarqueront quelques singularités de dévotion, et qui se distingueront tant soit peu des bonnes coutumes de la sainte Église.

    Voici alors la ruse qu’emploiera Satan, et l’instruction maudite que ces malheureux associés s’entre-donneront: Prenons bien garde, diront-ils, d’être aperçus et découverts. Mais si on vient à s’apercevoir de quelque chose et à nous inquiéter, donnons-nous bien de garde, même au péril de notre vie, de dire de quoi il est question, et de découvrir notre secret à personne. Mais plutôt rendons-nous obéissants aux ministres, comme de petits enfants sans résistance et sans défense. Soyons soumis en apparence; confessons-nous de ce qu’il nous plaira, et approchons des sacrements de la manière que notre confesseur le jugera à propos. S’il nous inquiète sur quelque chose qui regarde notre secret, il faut lui représenter que nous sommes tout-à-fait ignorants sur ce point, et faire les inconnus, comme si cette affaire-là nous était absolument étrangère. S’il nous convainc de quelque chose, qu’on nous aura vu faire, ou de quelque parole qu’on nous aura entendu dire, et sur lesquelles on pourrait même trouver des témoins, il ne faut point nous débattre, mais agir en paix et avec douceur; avouer même la chose si nous en sommes évidemment convaincus; dire que nous avons tort, que cela vient de notre ignorance et de notre peu d’instruction; que nous ne croyions pas faire mal; que nous nous soumettons à l’Église et à ses ministres, comme à Dieu même, et que nous sommes prêts à faire toutes les pénitences qui nous seront imposées: par-là nous éviterons leurs poursuites, et ils prendront bonne opinion de nous. Pour cela, il faudra marquer en apparence une grande contrition de nos fautes, et renchérir même sur les pénitences qu’on nous aura imposées.

    Je vois en Dieu que les satellites de Satan, qui, cachés, comme je lai déjà dit, dans des souterrains et dans des lieux inconnus, seront les chefs de toute cette mauvaise nation dont je viens de parler, établiront une fausse loi qu’ils appelleront inviolable : ils instruiront et gouverneront comme législateurs de Satan.

Les séducteurs sortent enfin de leurs retraites. Grande affliction de l’Église.

    Quand ils verront qu’ils ont gagné un nombre de disciples presque aussi grand qu’il faut pour peupler un royaume, ils se diront alors : Il faut paraître et mettre nos bonnes intentions au jour. Alors ces loups ravissants sortiront de leurs cavernes, couverts de la peau de brebis; ce seront de véritables loups enragés et affamés, prêts à dévorer les âmes. O que je plains la sainte Église! ô qu’elle aura à souffrir de la part de ses ennemis! elle sera entreprise et attaquée de tous les côtés, par les étrangers, les idolâtres, et même par ses propres enfants, qui, comme des vipères, déchireront ses entrailles, et se rangeront du côté de ses ennemis pour la combattre.

    O sainte mère affligée, plus à cause de la perte de ses enfants qu’à cause d’elle-même ! Oui, malgré l’impie, ses ruses et ses trahisons diaboliques, cette bonne mère, soutenue par le Saint-Esprit,

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subsistera jusqu’au jour du jugement, ainsi que je l’ai connu en Dieu, et que je l’ai fait écrire, par obéissance, dans l’autre volume, il y a plusieurs années : c’est pourquoi je ne mets ici que ce que je crois n’avoir pas mis dans l’autre, et ce que j’ai connu depuis en Dieu sur cette matière.

Ils se trompent et séduisent par leurs fausses vertus, et tiennent cachée leur maudite doctrine.

    Je rapporte ici comment cette mauvaise nation se montrera dans son abord à la sainte Église. Un verra, on entendra parler des pratiques de dévotion, et des austérités d’un grand nombre de personnes. On verra des habitants des villes faire de grandes largesses aux pauvres, et donner même des sommes considérables d’argent à l’Église. Ce n’est pas tout, ils vendront jusqu’aux biens de leur patrimoine, et cela pour faire connaître au public qu’ils se dépouillent presque de tout pour exercer la charité. Ils donneront la permission de faire bâtir des hôpitaux, des monastères, les uns dans une ville, et les autres dans une autre. Ils établiront des congrégations et des communautés; ce qui fera grand tort à l’Église, par l’apparence de piété et de charité qu’ils affecteront. Plusieurs recteurs (1), tant des villes que de la campagne, seront leurs intercesseurs auprès des évêques, afin d’obtenir toutes les permissions nécessaires pour faire leurs établissements de piété. Plusieurs prêtres applaudiront à leur zèle: des évêques même y seront trompés. Dans les commencements ils tiendront cachée leur maudite loi, qui sera écrite, signée et approuvée de tous leurs complices. Ils ne publieront cette maudite loi que plusieurs années avant l’arrivée de l’Antéchrist, ainsi que les mauvais livres dans lesquels sera marquée la manière d’observer leur loi. Ils cacheront tous leurs écrits aux personnes de la sainte Église; il n’y aura que cette mauvaise nation qui les lira, et encore dans des lieux secrets et souterrains, que ces hypocrites se seront réservés pour cette lecture.

    (1) On sait qu’en Bretagne les curés portent le nom de recteurs.

Étonnement de l’Église qui s’assemble en concile, ordonne de les surveiller, et découvre enfin leur hypocrisie.

    Je vois en Dieu que les prêtres et tous les ministres du Seigneur seront étonnés d’un tel changement, sans qu’il y ait eu plus de missions et de sermons qu’à l’ordinaire. Il y aura cependant des ministres du Seigneur, qui, plus éclairés du Saint-Esprit, seront saisis de crainte, dans l’incertitude de savoir comment tout cela tournera, et à quoi aboutira un si grand feu, qui s’étendra avec tant de rapidité.

    Je vois en Dieu que les bons ministres, toujours conduits par le Saint-Esprit, les archevêques et les évêques, feront tenir un concile pour prendre conseil entre eux. Je vois en Dieu qu’il sera décidé par le Saint-Esprit, de faire observer les personnages les plus fameux de leur nation; de faire mettre secrètement des gardes en sentinelle, pour examiner leur conduite, tant de jour que de nuit. On ne sera pas longtemps sans découvrir quantité de choses suspectes, qui prouveront qu’ils en voulaient à l’Église, et on se convaincra que ce sont des imposteurs et des hypocrites. Particulièrement par l’adresse et par la vigilance des personnes chargées de les surveiller, on saisira quelques livres à des particuliers, qui les tenaient si bien cachés. Ainsi, Dieu permettra qu’ils soient tout-à-fait découverts, et on ne doutera plus, comme dit Notre Seigneur dans son saint Évangile, que l’ennemi ne soit venu de nuit semer l’ivraie parmi le bon grain dans le champ de l’Église. O Dieu ! dans quelle peine et dans quelle agitation sera notre mère la sainte Église, lorsqu’elle apercevra tout-à-coup leurs progrès, leur étendue, et tant d’âmes qu’ils auront entraînées dans leur parti!

Grand nombre d’âmes séduites; cause de leur séduction.

    Je vois en Dieu que depuis le moment où ils auront commencé à s’annoncer à l’Église, jusqu’à l’époque où l’Église s’en apercevra, c’est une mauvaise nation. Je vois en Dieu que depuis l’époque où ils sortiront de leurs cavernes, jusqu’à celle où l’Église reconnaîtra leur malice, il se passera bien du temps, peut-être un demi-siècle, plus ou moins, je ne puis pas le dire au juste. Pendant tout ce temps-là leur métier diabolique et leur pernicieuse hypocrisie, qui les feront regarder comme des saints, attireront à leur suite un grand nombre d’âmes; de sorte que cet ouvrage d’iniquité ira toujours en croissant, et durera jusqu’à la fin du monde, toujours en persécutant notre mère la sainte Église.

    Je vois encore en Dieu que les personnes les plus sujettes à être trompées par les artifices du démon ou par les ruses des impies, seront celles qui, chancelantes dans la foi, n’auront dans le cœur qu’une foi morte, c’est-à-dire sans vigueur et sans activité, et qui d’ailleurs se laisseront aller aux sentiment de la nature corrompue, à un esprit de curiosité, à une démangeaison, et comme à une certaine inquiétude de convoitise naturelle, de savoir ou d’apprendre tout ce qui se passe dans ces belles nouveautés de religion. Comme, ainsi que je l’ai déjà dit, d’ici au jugement on n’aura jamais vu tant de tromperies sous couleur de religion, tant de dévotion et de sainteté en apparence et en réputation, comme aussi je vois ces hypocrites, dont j’ai parlé, montés sur la superbe, et remplis de l’orgueil et de l’ostentation de

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(421-425)

Lucifer, faire de beaux discours; ils attireront à eux toutes les âmes vaines dont je viens de parler, et qui ne portent presque que le nom de chrétien. Je vois en Dieu qu’elles courront à toutes ces nouveautés et qu’elles se laisseront prendre plus facilement et d’une manière plus forte que les pêcheurs ne prennent les poissons dans leurs baches (1).

    (1) Barque à pêcheur.

Moyen d’éviter la séduction.

    Je vois encore en Dieu que, pour éviter tant de malheurs par le secours de la grâce, il faut s’attacher inviolablement à la foi, ne point se lasser de combattre ses ennemis, se soutenir ferme comme un rocher au milieu d’une mer en furie qui le frappe de tous côtés de ses vagues, se souvenir toujours de ses premières croyances, de sorte que la sainte et divine loi de J. C. soit toujours notre appui et la règle de notre conduite jusqu’au dernier soupir de notre vie.

    Au nom de Dieu, chassons loin de notre esprit toute curiosité et toute convoitise de toutes les dévotions extraordinaires qui ont belle apparence au-dehors, et qui brillent aux yeux du monde sous la couleur de la piété et de la sainteté. Pour l’amour de Dieu, rejetons toutes ces nouveautés et ces singularités extraordinaires, et avançons l’affaire de notre salut avec crainte et tremblement. Mettons notre foi, notre amour et notre espérance en Dieu et en notre mère la sainte Église, et cachons-nous, comme de petits poussins, sous les ailes de sa sainte protection : elle ne nous abandonnera jamais, et elle nous assistera toujours dans les occasions les plus tristes et les plus dangereuses, à moins que nous ne l’abandonnions nous-mêmes les premiers, comme des enfants ingrats et rebelles, pour courir nous joindre à ses ennemis et la combattre avec eux.

§. VI.

Moyens spirituels employés par l’Église dans une si grande désolation. Un grand nombre d’âmes séduites se convertissent. Rage et dépit des hypocrites; leur abominable doctrine. Ils vont consulter leurs chefs. Conversions éclatantes de plusieurs des chefs et des suppôts de Satan, qui deviennent des saints et même des martyrs.

L’Église ordonne des jeûnes, des processions, des prières publiques, des missions, etc.

    Voici ce qui arrivera quand les hypocrites s’apercevront que la sainte Église a découvert leur malice. Aussitôt que l’Église se sera aperçue de cette nation perverse qui trompera les fidèles sous l’apparence et les couleurs de la dévotion, il s’élèvera dans la sainte Église une certaine agitation, et une émotion qui cependant n’éclatera pas au-dehors. Mais je vois en Dieu que l’Église, pour faire connaître positivement le sujet de son affliction, s’armera toute entière de ses armes spirituelles. Il sera ordonné des jeûnes, des processions et des prières publiques; des missions seront faites presque dans toutes les villes et les campagnes, les quarante heures seront établies dans plusieurs endroits; les prédicateurs seront fatigués à force d’annoncer la parole de Dieu; et, sur ce point, il semblera que la grâce de Dieu les soutiendra, comme s’ils étaient infatigables. Je vois en Dieu que dans leurs sermons ils toucheront souvent ce malheureux point d’hypocrisie, sans cependant nommer personne; ils citeront néanmoins quelques faits particuliers, en évitant de donner à personne aucune occasion de scandale.

Jubilés dans tous les royaumes catholiques. Conversion de plusieurs âmes trompées et séduites.

    Le saint Père le Pape, qui est le chef de la sainte Église, ordonnera un Jubilé dans tous les royaumes chrétiens. Tant de prières et tant de bonnes œuvres ne seront point en vain. Je vois en Dieu que cela retirera de l’illusion une quantité d’âmes qui, croyant suivre le plus parfait, s’étaient jetées dans le mauvais parti, et qui y renonceront par les sermons qu’elles auront entendus, et par les poursuites des bons confesseurs qui les examineront à fond au tribunal de la pénitence. C’est par ces pratiques si salutaires que les confesseurs arrêteront beaucoup d’âmes qui seront chancelantes et prêtes à se donner au mauvais parti, et qui s’attacheront plus que jamais à la foi et à la sainte Religion.

Rage et dépit des hypocrites en se voyant tout-à-fait découverts.

    La mauvaise nation, sans rien faire éclater au dehors, crèvera de dépit en en elle-même : elle s’apercevra de ce changement sans pouvoir rien dire; mais quand ces hypocrites réunis tous ensemble sauront positivement qu’ils sont découverts, ils enrageront dans leurs souterrains. Il me semble les voir comme une bande de lions dans la colère et dans le désespoir, frapper la terre du pied, grincer des dents, s’arracher les cheveux, et se frapper les uns les autres, en disant : c’est une indiscrétion, c’est une trahison. Dans un sens, ils auront raison, parce que je vois en Dieu que les âmes qui se convertiront et abandonneront leur parti, les dénonceront à l’Église, et lui déclareront leurs erreurs et leur mauvaise foi; de telle sorte que la sainte Église ne sera plus nullement en doute sur leurs

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(426-430)

mauvaises maximes. Tous les ministres de J. C., à mesure qu’ils feront de nouvelles découvertes, s’armeront de nouvelles armes spirituelles pour combattre tous les vices.

Leurs erreurs, et leur dessein de détruire l’Église.

    Dieu m’a fait connaître plusieurs erreurs qu’ils mettront dans leur loi, en particulier celle qui regarde la sainte Incarnation du verbe éternel, qui s’est incarné dans le sein de la bienheureuse Vierge Marie, qui s’est fait homme en s’unissant à notre nature humaine, et qui par-là est vrai Dieu et vrai homme, Dieu et homme tout ensemble. Ce sera cet adorable mystère de notre sainte religion, qui sera attaqué plus violemment, et qu’ils prétendront abolir entièrement. O heureuses les âmes à qui Dieu fera la grâce de souffrir les persécutions et le martyre pour la vérité de cet adorable mystère ! Je vois en Dieu qu’il y aura beaucoup de sang répandu dans la sainte Église pour ces grandes vérités. Je dis pour ces grandes vérités, car que de saints mystères sont renfermés dans l’adorable mystère de l’incarnation! Hélas! hélas! hélas! il faudrait, si Dieu en faisait la grâce, pleurer des larmes de sang, ou plutôt mourir de douleur, lorsqu’on pense que l’impie veut abolir ce beau mystère de l’incarnation du Verbe.

    Je vois en Dieu qu’ils prétendront abolir et détruire entièrement notre mère la sainte Église. Et en effet, si Dieu, ainsi qu’il nous l’a promis, ne la soutenait et ne la gouvernait par son Saint-Esprit, notre bonne mère la sainte Église, épouse de J. C., ne serait-elle pas abolie? et pourrait-elle subsister contre la fureur de l’enfer et des hommes? Sur ce point, je vois en Dieu que leur dessein sera d’abolir entièrement notre sainte religion. Ce prétendu Messie, se diront-ils, s’est fait le chef de la religion des chrétiens; il faut que nous détruisions tout ce qu’il a établi et ordonné dans leur loi pour leur conduite. Je vois en Dieu que tous ces satellites ne voudront plus souffrir dans la sainte Église ni prêtre, ni sacrifice, ni autel, ni confession, ni communion, ni aucun sacrement. Ils voudront qu’il ne paraisse aucun signe de notre sainte religion, et ils ne pourront pas même souffrir un signe de croix de la part des bons chrétiens.

Complot des impies dans leur désespoir. Résolution d’aller consulter leurs chefs dans la plus fameuse ville.

    Je vois encore en Dieu qu’après la rage et le désespoir de ces impies assemblés dans leurs souterrains, comme je l’ai dit du ci-dessus, voici le pernicieux complot qu’ils formeront : Ils se diront entre eux : Nous ne pouvons plus rien faire de bon selon notre loi; les ministres nous ont découverts, et même nous ne pouvons plus user de leur ministère; ils nous refusent l’absolution. Nous voyons bien qu’ils ne veulent plus que nous allions communier avec les autres, et qu’ils ont perdus la bonne opinion qu’ils avaient de nous; ainsi nous voilà bientôt perdu d’honneur et de réputation par tout le monde, et avec nous toutes nos familles. Nous nous apercevons même que le commun du peuple, au lieu de nous honorer, comme il le faisait auparavant, nous fuit avec un certain air de mépris. Voici donc la résolution qu’ils prendront : Il faut, diront-ils, prendre conseil et avis de nos chefs, qui sont les auteurs de notre loi et nos législateurs. L’affaire est assez importante.

Trouble et frayeur des chefs et de toute l’assemblée.

    En conséquence, ils iront trouver leurs maîtres et leurs chefs, qui seront cachés dans la plus fameuse ville. Là, ils trouveront un grand nombre de leurs associés, qui se seront rendus auprès de leurs chefs pour le même sujet. Chacun d’eux racontera les nouvelles de son pays, et fera part de son inquiétude et de son affliction au sujet des entraves que la sainte Église aura mises à leurs projets. Je vois en Dieu que les différents rapports qu’ils feront aux chefs les troubleront et les effrayeront; la crainte s’emparera de leurs cœurs, et, jointe au trouble de leur conscience, les bouleversera, et remplira leur imagination de fantômes. Ils ne sauront plus les uns et les autres ce qu’ils se diront et ce qu’ils se demanderont. Dieu permettra qu’ils aient une crainte terrible de notre mère la sainte Église. Ils la redouteront, et se diront : Qu’allons-nous faire? Nous voilà découverts! On ne permettra plus que nous habitions parmi les fidèles, et, de plus, on voudra nous châtier.

La grâce inspire à plusieurs le désir de se soumettre à l’Église.

    La grâce, qui par la miséricorde de Dieu veille toujours même sur les plus grands pécheurs, cherchera alors si elle ne pourrait pas trouver entrée dans leur conscience troublée et alarmée. Ce que je vois en Dieu, c’est qu’il y en aura plusieurs, dans cette troupe de satellites, qui parleront par un effet de la sainte grâce, qui opérera en eux sans qu’ils la connaissent. Voici le langage qu’ils tiendront dans cette malheureuse assemblée, où tous parleront sans rien résoudre. Les sujets, aussi bien que les chefs, seront divisés dans leurs sentiments diaboliques. Il se formera divers partis, selon les divers sentiments. On fera de petites cabales, en présence même des chefs, qui parfois ne voudront ni écouter, ni répondre aux demandes. C’est ce point que la grâce saisira pour triompher, en mettant dans la bouche de plusieurs ce langage : Que ferons-nous? nous allons être l’opprobre de l’Église, si nous ne nous rendons pas

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(431-435)

d’un cœur sincère : nos chefs même manquent de courage, et ne savent plus quels moyens prendre.

Ils se séparent généreusement des autres et s’enfuient pour aller se jeter dans le sein de l’Église.

    Dans cette fatale assemblée, ceux qui auront le bonheur d’avoir ces sentiments par l’effet de la grâce, se chercheront, et feront bande à part. Ils s’encourageront entre eux, en disant : Ne perdons point de temps, partons tout-à-l’heure, et n’écoutons plus ceux-ci; n’ayons pas d’inquiétude de ce qu’ils deviendront, ni des moyens qu’ils prendront.

    Je vois en Dieu que sa grâce produit des effets admirables quand elle trouve moyen d’entrer dans le cœur d’un pécheur. Je vois que dans cette troupe, dans laquelle la grâce commence à triompher, il y aura plusieurs des chefs, plusieurs sorciers et plusieurs magiciens, qui au même instant sortiront de cette malheureuse assemblée. Cette divine grâce leur inspirera déjà un si grand courage, qu’elle leur fera dire en sortant un éternel adieu aux impies; et comme s’ils n’avaient plus rien à craindre, ils leur diront hautement : Faites comme il vous plaira : pour nous, nous ne sommes plus des vôtres, et nous allons de ce pas, avec un cœur sincère et pénitent, à l’Église. Alors ils s’enfuiront avec une grande vitesse, de peur d’être arrêtés par les satellites.

Sincérité de leur conversion et de leur pénitence.

    Je vois en Dieu que cette heureuse troupe, si fort unie par la grâce, et en si peu de temps, ira droit où la grâce la conduira. Je vois même qu’elle n’aura pas de peine à être reconnue de la sainte Église pour être véritablement pénitente, parce que le Saint-Esprit éclairera les ministres du Seigneur. Lorsque les pécheurs convertis se seront ainsi séparés de cette bande diabolique, et qu’ils se seront retirés de leurs lieux souterrains, ces pauvres pénitents éviteront avec soin la rencontre de leurs complices, dans la crainte et dans la frayeur qu’ils ne les reprennent.

    Je vois en Dieu que ces vrais pénitents seront fidèles à la grâce; aussi Dieu continuera à les protéger. Le Saint Esprit éclairera les ministres de l’Église par une grâce miraculeuse, et les préviendra en leur disant : Ne craignez point de recevoir à pénitence ces pauvres pécheurs qui vont venir s’adresser à vous. Ils ne sont plus, comme autrefois, des loups ravissants, couverts de peaux de brebis; ils ne vous porteront plus de bourses d’argent pour couvrir leur hypocrisie; mais ils mettront à vos pieds leurs cœurs contrits, humiliés et brisés de douleur d’avoir offensé Dieu.

Leur zèle à réparer leurs scandales. Beaucoup de conversions opérées par leur exemple et par leurs paroles. Seconde moisson, presque aussi abondante que la première.

    Je vois en Dieu que chacun de ces pénitents ira d’abord se présenter aux recteurs des villes ou des campagnes; ils ne craindront pas de faire connaître, même publiquement, ce qu’ils étaient auparavant; ils seront reçus très miséricordieusement des ministres du Seigneur. Ces bons pénitents, voyant que Dieu leur fait tant de grâces, seront si remplis de reconnaissance et d’amour pour Dieu, que, pour y répondre, chacun d’eux retournera dans sa famille pour y exhorter leurs femmes, leurs enfants et leurs domestiques. Ils ne s’en tiendront pas là, ils iront, comme des prédicateurs qui prêchent à voix basse, instruire leurs parents, leurs amis, et toutes les personnes qu’ils connaîtront avoir donné dans l’hypocrisie. La grâce se rendra si féconde dans cette occasion, qu’on verra de tous côtés des conversions admirables, et les pécheurs remplir les Églises pour venir au tribunal de la pénitence. Je vois en Dieu que ce sera comme une seconde moisson de la grâce du Saint-Esprit. II se convertira cette seconde fois, par les austérités et par les prières que l’Église fera, presqu’autant de pécheurs qu’il s’en sera converti la première fois par les missions, les jeûnes et les jubilés dont j’ai parlé ci-dessus.

Ils deviennent des saints, eux, leurs enfants, et leurs petits-enfants, et Dieu leur donne la grâce du martyre.

    Je vois eu Dieu que ces vrais pénitents deviendront des saints, et qu’ils auront le bonheur que leurs enfants, et les enfants de leurs enfants, le deviennent aussi; et Dieu leur fera la grâce de souffrir le martyre, aux approches de l’arrivée de l’antéchrist, ce prétendu messie.

Conduite admirable de la grâce envers les plus grands pécheurs. La vraie conversion s’opère par la foi, l’espérance et la charité.

    Voilà ce que produira notre mère la sainte Église, qui, par ses armes spirituelles, attirera au Seigneur une foule innombrable d’âmes. Outre la multitude des pécheurs qui se convertiront par le moyen des missions, des sermons et du tribunal de la pénitence, quelle puissante grâce n’obtiendra-t-elle pas à cette troupe dont je viens de parler ! Oui, ce que j’admire ici davantage, et ce qui me met hors de moi-même, c’est de voir de pauvres pécheurs qui, par leurs méchancetés et par leurs crimes accumulés, auront un pied presque dans l’enfer, qui se trouveront au milieu d’une assemblée toute criminelle comme eux, où ils n’entendront que des discours et des projets diaboliques, des jurements et des blasphèmes contre Dieu et la sainte Église, et où tous enrageront de désespoir, c’est de voir ces pauvres pécheurs convertis par la grâce. Quel prodige! C’est au milieu de cette assemblée infernale que la grâce viendra se présenter à eux, et essayer, parmi ce trouble d’enfer, si elle pourra se faire jour pour pénétrer jusqu’à leur cœur. Cette divine grâce, par les mérites de J. C, réussira si adroitement, et aura tant de force sur plusieurs d’entre eux, que des plus grands criminels elle en fera de bons pénitents.

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(436-440)

    Que de victoires remportera la grâce dès le premier combat! Ceux qui s’y soumettront se trouveront par là même déjà unis ensemble pour travailler à leur parfaite conversion.

    Je vois en Dieu que le premier mouvement de cette grâce les portera à renoncer de tout leur cœur à leur mauvaise loi, en leur montrant qu’ils se sont trompés avec leurs complices. Je vois en second lieu les vertus de la foi, de l’espérance et de la charité, s’emparer de leur cœur : je vois en Dieu l’opération que la foi, cette vertu si au-dessus des sens, si spirituelle, si sainte, et si divine, et qui produit de si beaux fruits, fera dans l’intérieur de ces pauvres pécheurs, aussitôt qu’ils lui auront ouvert la porte de leur cœur. Au milieu des ténèbres de l’enfer et des démons dont leur cœur est environné, cette foi vive, comme une grâce victorieuse, se fait jour, et porte la clarté et la lumière partout où elle passe, je veux dire dans tout l’intérieur de l’âme et dans ses parties supérieures, et en chasse les démons avec les ténèbres: elle donne la paix, éclaire l’esprit, et élève l’entendement à la connaissance de Dieu. Par cette connaissance elle touche le cœur, et y établit son siège avec l’espérance et la charité; car pour l’ordinaire, ces trois vertus sont inséparables, ou, si elles sont divisées, elles deviennent si chancelantes et si obscures, qu’elles perdent, pour ainsi dire, le nom de vertus.

§. VII.

Après la conversion de plusieurs d’entre eux les chefs de l’assemblée impie se dévouent au service de Satan. Il leur annonce et, leur promet pour chef l’antéchrist. Serments exécrables contre J. C. Loi antichrétienne jurée et signée. Horrible soulèvement de l’enfer contre l’Église.

Les impies désespérés appellent Satan à leur secours. Protection de Dieu sur les nouveaux convertis.

    Je continue d’écrire ce qui arrivera dans les temps futurs, et je reviens à ce que fera la bande des satellites, lorsque les saints pénitents dont j’ai parlé auront quitté leur assemblée : ces ministres d’iniquité seront interdits, désespérés et hors d’eux-mêmes. Je vois en Dieu qu’ils seront incapables d’entreprendre et d’exécuter leurs projets diaboliques par eux-mêmes. C’est pourquoi, ne sachant quel chemin prendre, ils diront : Ayons recours à Satan; aussi bien c’est lui-même qui est le maître de nos entreprises, et qui nous fait réussir partout. Ils emploieront la magie, et feront venir les diables avec eux. Je vois en Dieu que les démons s’entredévoreront, et éprouveront un trouble infernal au sujet des nouveaux convertis. Ils sentiront tellement la protection de Dieu sur eux, qu’ils n’auront pas la puissance de les tenter comme ils le voudraient. Ils seront même empêchés de se présenter dans l’assemblée de leurs satellites, tandis que les nouveaux convertis y seront. Dieu ne voudra pas que les démons viennent lancer leurs traits envenimés contre des cœurs dans lesquels la grâce ne fera que de naître.

Apparition des démons. Leur fureur. Reproches amers qu’ils font à leurs partisans.

    Ainsi les démons, pleins de colère et de fureur contre leurs sujets, viendront fondre dans leurs cavernes comme un coup de foudre : les impies n’ayant pas coutume d’être abordés de la sorte par les démons, seront frappés de terreur. Les démons leur feront sentir tout le poids de leur colère, et leur diront : Est-ce ainsi, lâches et indolents, que vous êtes occupés à soutenir les affaires de votre patrie? Les grands magiciens répondront : Que ne veniez-vous vous-mêmes? Les démons leur répliqueront : Si nous avions pu venir, nous n’aurions pas tant perdu de nos sujets : tout est presque perdu parmi les nôtres; il ne se passe pas de jour, ni même d’heure, qu’il ne nous échappe quelqu’un par la réputation et par la sollicitation de ces apostats. Les démons ajouteront : Ne perdons pas de temps. Je puis, par mon courage, par ma force et par ma valeur, vous tirer de l’abîme où vous voilà tous tombés; relevez votre courage, pusillanimes que vous êtes; vous me faites honte d’avoir de tels soldats à ma suite !… Je vois en Dieu que les démons lanceront sur eux des traits enflammés d’orgueil, de superbe et de présomption, et qu’ils les animeront d’un courage diabolique; de sorte que leurs esprits et leurs cœurs ainsi enflammés prendront les sentiments, la méchanceté et la malice des diables.

Discours de Satan. Il leur promet l’antéchrist pour chef, et leur développe ses talents et sa puissance.

    Alors Satan dira à cette assemblée : Ne perdons point de temps, c’est à ce coup que je veux vous faire triompher. Je veux ruiner de rond en comble toutes les nations qui nous seront contraires; je veux vous rendre maîtres de toute la terre. Vous serez adorés comme des Dieux; vous serez riches en or et en argent, vous l’aurez à commandement et en aussi grande quantité que le sable de la mer : c’est moi qui me charge de vous le fournir. Je vous donnerai un chef qui sera puissant en œuvres et en paroles, et qui possédera éminemment toutes les sciences; ce sera moi-même qui serai son maître. Je l’instruirai et je le prendrai sous ma conduite dès son enfance : il n’aura pas dix ans qu’il sera plus puissant, plus savant que vous tous, et que par son grand esprit et ses actions éclatantes il montrera plus de valeur que vous n’en avez tous ensemble. Dès ce même âge de dix ans je le promènerai par les airs, je lui ferai

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(441-445)

voir tous les royaumes et tous les empires de la terre; je le ferai maître de tout le monde, et je lui donnerai tout cela en sa possession. Il sera savant parfait dans l’art de la guerre; j’en ferai un brave guerrier et un grand conquérant, qui partout remportera des victoires. Enfin, j’en ferai un dieu, qui sera adoré comme le messie attendu.

    Il n’agira dans toute sa pleine puissance, et ne fera éclater ses victoires et ses triomphes qu’à l’âge de trente ans; mais avant ce temps-là il fera valoir ses talents dans le secret. Je vous le ferai connaître à vous autres, qui êtes mes sujets. Dès son enfance, vous viendrez le reconnaître pour votre roi, et l’adorer comme votre dieu et votre messie.

Le démon, pour prix de ses promesses, exige que tous se sacrifient à son service. Contrat abominable passé avec lui.

    Le diable dira à l’assemblée : Infidèles à votre patrie et à votre loi, voyez ce que vous êtes; voyez ce que j’ai déjà fait pour vous, et combien de conquêtes je vous fais acquérir tous les jours, et malgré cela vous êtes des infidèles et des ingrats! Je veux et je prétends, comme maître, que vous me donniez votre seing, comme preuve que désormais vous vous sacrifiez tous pour moi, dans le temps et pour l’éternité, avec une fidélité sans réserve à me servir, à servir votre patrie, et à me gagner des sujets.

    Ils passeront un contrat, dans lequel le démon s’obligera de tenir les promesses qu’il leur fera, et même d’aller au-delà. Ne craignez point, leur dira t-il, vous ne manquerez de rien à mon service; tout ce que vous voudrez vous sera accordé : s’il vous faut des troupes pour faire la guerre, je vous en fournirai promptement. Elles se rendront de toutes parts pour vous faire triompher et remporter des victoires, pourvu que vous teniez vos promesses avec une fidélité inviolable, et que vous ne vous rendiez jamais coupables d’une ingratitude semblable à celle que vous avez commise envers moi. Je ne puis vous la pardonner, qu’autant que je vous verrai fidèles à l’avenir.

Serments exécrables contre J. C.

    Le démon ajoutera alors : Que chacun vienne mettre son seing au contrat, et prêter le serment de m’être fidèle jusqu’à la mort. Je vois en Dieu que ces pauvres malheureux, transportés de joie et enchantés par les promesses des démons, ravis et enthousiasmés par des visions et des illusions qu’ils formeront dans leur imagination, et dont l’image flatteuse les dédommagera amplement des craintes, des frayeurs et des troubles qu’ils auront éprouvés auparavant, iront, de leur propre volonté et de grand cœur, signer le contrat, et faire le serment de fidélité au démon pour toute leur vie. Ils diront même à cet enchanteur : Si nous avions mille vies, nous vous les sacrifierions. Le démon leur répondra : Vous n’avez point mille vies, comme vous le souhaitez, je les mériterais bien; mais à la place, je veux et j’exige de vous encore que vous m’aimiez et que vous haïssiez absolument le Christ que vous nommez le Fils du Très-Haut; que vous renonciez à toutes les maximes qu’il a établies dans son Église; que ceux d’entre vous qui auront été baptisés renoncent absolument à leur baptême et à tous les engagements qu’il ont contractés par serment; que tous ceux qui n’ont point été baptisés, renferment dans le serment de fidélité, qu’ils vont me prêter, qu’ils ne le seront jamais. Je veux et je prétends absolument que vous haïssiez autant que moi ce prétendu Dieu qui nous fait la guerre, et qui nous fait tant souffrir, même par les siens. Il faut, comme moi, l’avoir en haine et en horreur, ainsi que tout ce qui vient de lui; de sorte que vous ne prétendiez plus rien attendre de sa part, et que vous reconnaissiez que c’est moi qui suis votre Roi et votre Dieu : et je prétends que vous me rendiez à l’avenir, et même dès-à-présent, le culte d’adoration et d’amour qu’il exige pour lui. Je le mérite plus et à plus juste titre que lui.

    Voyez, mes sujets, quelle différence il y a entre mes sujets et les siens. Il impose aux siens une loi dure aux sens et à la nature; il les met dans une gêne continuelle, et pour récompense il les accable de maladies de corps et d’esprit, et leur fait endurer toutes sortes de souffrances; et moi, vous voyez comment je vous traite. Vous ne pouvez pas dire que je sois un maître dur et rigoureux à la nature. Je vous console et je vous soutiens dans vos faiblesses. Je ne vous laisse point dans la pauvreté, ni dans l’humiliation de la disette, comme il laisse les siens. Au contraire, je vous donne et je vous donnerai tout en abondance.

    Dans ce moment, le démon, par ses discours et par les traits enflammés qu’il lancera dans leur cœur, fera si bien, qu’ils concevront une haine implacable contre Dieu, et que dans leur fureur et leur rage ils seront prêts à détruire et à anéantir Dieu et les siens, s’ils le pouvaient. Enfin, leurs cœurs et leurs esprits deviendront semblables à ceux des démons. Ils sentiront pour eux un zèle ardent, une affection d’amour, et un grand désir d’être fidèles à leur service; de sorte que ceux de l’assemblée qui ne seront pas encore de la société des grands magiciens, s’empresseront d’y entrer à l’instant avec la

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(446-450)

plus grande satisfaction, et au grand contentement des démons.

    Lorsque le contrat aura été écrit et signé, et que les serments auront été prononcés, l’assemblée deviendra alors comme le chef des grands magiciens; et le démon leur dira avec un air de joie et de satisfaction : C’est à présent que vous êtes mes vrais amis, et que la peine que vous m’avez faite par le passé vous est pardonnée. Je vous établis maîtres de toutes les créatures et de toute mon autorité; je vous donne plein pouvoir d’enrôler sur ce contrat tous ceux qui voudront faire les mêmes promesses que vous avez faites. Je me tiendrai alors obligé de leur accorder les mêmes grâces et les mêmes faveurs que je vous ai promises, pourvu que dans leurs engagements ils fassent le serment prescrit et donnent leur signature.

Loi antichrétienne ajoutée au contrat et aux serments pour être observée. En quoi elle consiste.

    C’est à présent, mes amis, qu’il faut tous agir de concert. Montrez-moi votre loi, qu’il faut joindre au contrat que nous venons de faire, et qui doit être placé à la tête de cette loi, afin qu’elle soit la première observée et mise en pratique. Je vois en Dieu que cette loi sera apportée par les chefs de l’assemblée. Les démons mettront eux-mêmes ce contrat à la tête de leur loi, et ils ajouteront à cette loi tout ce qu’il leur plaira, selon leur esprit diabolique.

    Voici ce que je vois en Dieu : Dans cette maudite loi, le Messie tant désiré sera annoncé, et il sera dit qu’il est celui-là seul en qui il faut croire, et qu’il faut l’adorer. Il sera annoncé par des prophètes et par des anges quelques années (je vois en Dieu que ce sera comme deux ou trois ans ) avant sa naissance. Je ne puis marquer ici tout ce qu’on dira de plus flatteur et de plus accompli sur sa personne, sur sa beauté et sur ses richesses. Il sera comme entouré d’une clarté divine, plus brillante, que les rayons du soleil. Il paraîtra accompagné d’une cour céleste d’anges, qui marcheront à sa suite; des légions entières d’anges lui rendront leurs hommages comme à leur roi, et l’adoreront comme le vrai Dieu tout puissant, et le Messie tant désiré et attendu depuis le commencement du monde. Mais dans tout cela je ne vois en Dieu qu’erreurs abominables et impostures exécrables. Ce seront autant de démons qui, sous la figure des anges de lumière, prophétiseront la venue de cet homme d’iniquité; comme aussi ce seront des légions de démons qui viendront lui faire leur cour et l’adorer comme le Messie.

    Ce qui me fait le plus de peine, c’est que je vois en Dieu que cette maudite loi contiendra bien des blasphèmes et imprécations contre notre adorable Sauveur. Si je ne craignais pas d’offenser Dieu, je ne penserais jamais à faire mettre par écrit de telles abominations; Les scélérats se feront connaître par leur langage impie et déplorable. Voici ce qu’ils diront par rapport au Verbe incarné. Ils prétendront que c’est un faux Messie et un enchanteur, qui a été possédé du démon; que c’est un assassin qu’on a condamné à mort pour ses forfaits et pour sa fausse loi; que plusieurs personnes n’ont pas voulu le reconnaître pour le Messie; que c’est pour cela qu’elles l’ont jugé et condamné à mort et fait mourir entre deux brigands par les mains des bourreaux; que c’est ce criminel-là qu’on appelle le vrai Messie attendu; que de là plusieurs personnes, sous le titre de chrétiens, ont fait profession d’observer cette dure loi, qui semble n’être établie que pour détruire l’homme, plutôt que pour le faire vivre; qu’un nombre considérable de ces chrétiens ont été assez aveugles et assez insensés pour croire en lui et à tout ce qu’il a prescrit dans sa mauvaise loi; que de générations en générations ils se sont soutenus dans cette fausse et vaine croyance, et qu’il s’en est trouvé de si obstinés dans leurs opinions, qu’ils ont mieux aimé souffrir la mort, et répandre leur sang pour la défense de leur fausse croyance et de leur faux Messie.

Terrible soulèvement des précurseurs de l’antéchrist, contre l’Église et les chrétiens. Publication de leur abominable loi.

    Ces scélérats accableront d’injures et de huées les bons chrétiens, en prononçant des serments et des imprécations qui feront trembler le ciel et la terre. Il n’est plus temps de chicaner, diront-ils, il faut embrasser cette nouvelle loi, qui nous promet sous peu d’années le vrai messie tant désiré, qui a tant d’amour pour les hommes, et qui les comblera de tant de grâces et de faveurs: si vous ne voulez pas vous rendre de bonne grâce, on vous y contraindra par force, car l’heure est venue qu’on fera, la conquête de toute la terre par la puissance et par la vertu du vrai messie. Détruisons, se diront-ils entre eux, toute cette prétendue Église, et qu’il ne soit plus parlé dans le monde de ce faux messie.

    Je vois en Dieu qu’après avoir prêché le peuple avec une apparence de douceur ils feront afficher des exemplaires de leur fausse loi, dans les carrefours et aux poteaux des villes, et qu’ils les feront lire publiquement, tant dans les villes que dans les campagnes : ensuite ils décrieront et annuleront tous les mystères de notre sainte religion, particulièrement celui de l’incarnation du Verbe; ils ridiculiseront les cérémonies de la sainte Église et les tourneront en dérision; ils traiteront

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(451-455)

de fables les saints mystères et tous les sacrements; ensuite ils publieront tous les genres de supplices qu’on fera subir à ceux qui s’obstineront à suivre la loi de J. C., et qui refuseront d’obéir à leur commandement.

    Mais avant que d’employer la rigueur, les démons paraîtront sous la figure d’anges de lumière, pour annoncer leur vrai messie promis; ils exhorteront les peuples à croire en lui, et à renoncer à ce faux prophète qui se nomme Jésus. Tous leurs artifices et leurs stratagèmes dureront plusieurs années, avant qu’ils usent de rigueur avec leurs troupes diaboliques de soldats.

La Sœur termine ici son récit, parce que dans les premiers volumes, elle a rapporté la persécution de l’antéchrist. Dieu protégera miraculeusement son Église jusqu’à ce dernier jour du monde.

    Il m’est impossible de pouvoir faire écrire tout ce que je vois en Dieu, au  sujet de ce qui est renfermé dans cette maudite loi : c’est pourquoi je ne marquerai seulement ici que les choses les plus essentielles et les plus nécessaires, d’autant plus que dans l’autre volume, que j’ai fait écrire il y a huit ou neuf ans, il est marqué plus distinctement comment, depuis la venue de l’antéchrist dans l’Église, cette sainte Église durera jusqu’au jour du jugement dernier, malgré toutes les fureurs de l’enfer et de tous ses satellites. À mesure que l’enfer en furie s’élèvera contre l’Église, Notre Seigneur l’assistera et la protégera : il n’y aura que le nombre de martyrs que le Seigneur aura ordonné, pas un seul de plus ou de moins. Si l’enfer a de faux prophètes, le Seigneur aura ses véritables prophètes qui annonceront les vérités divines, et qui, par le divin flambeau de la foi, les imprimeront dans le cœur des véritables fidèles. Ce sera alors que Dieu n’épargnera pas les miracles, même pour faire vivre et subsister les enfants de son Église, qui seront dans une grande disette.

§. VIII.

Chute terrible et effrayante de l’antéchrist et de ses complices.

L’archange Saint-Michel est envoyé à la tête de l’Église. Notre Seigneur apparaît lui-même à son Église pour la fortifier dans le combat.

    Lorsque l’antéchrist, triomphant de ses victoires dans la guerre qu’il déclarera à l’Église, s’armera pour l’écraser et l’abolir, à ce qu’il croira, Dieu enverra le grand archange saint Michel à la tête de son Église, avec des troupes d’anges qui l’environneront; et dans les jours où l’Église aura eu plus de martyrs, Notre Seigneur apparaîtra lui-même à son Église; il renforcera les fidèles d’une double foi, et leur dira: « Courage, mes chers enfants; voilà que vous avez bien combattu : un grand nombre de martyrs sont aujourd’hui couronnés dans le ciel; il y en aura encore une quantité prodigieuse marquée dans mes décrets éternels, que j’attends encore; et quand tous les martyrs, que je me suis destinés, seront venus à moi, je vous rendrai invisibles à tous vos tyrans; ma puissante main vous cachera dans des retraites secrètes, où vous subsisterez jusqu’à la fin du monde, tandis que je précipiterai et que j’écraserai cet homme » de péché et cette race maudite de » Satan jusqu’au fond des abîmes de l’enfer. »

L’antéchrist et ses complices précipités du haut des nués dans les enfers.

    En conséquence, je vois en Dieu que les démons n’auront plus de pouvoir sur la terre; ils seront précipités dans les enfers avec tous leurs sorciers, leurs grands magiciens, et tous les chefs de cette maudite loi. Oui, ils seront tous précipités presque de la hauteur des nues, sur lesquelles ils croiront monter au ciel comme des dieux avec leur chef, qu’ils croiront plus puissant que tous les autres dieux.

    Dieu m’a fait connaître les intentions superbes et diaboliques de Satan et de ces satellites. Ils s’élèveront vers le ciel avec une grande joie et en grand triomphe, à dessein d’aller faire la guerre à l’Être éternel, d’élever leurs trônes au-dessus du sien, et de l’anéantir s’ils le pouvaient, ambitionnant une gloire pareille à celle de Lucifer. C’est dans ce moment que Dieu enverra le grand archange saint Michel, revêtu de la force et de la justice de Dieu, qui viendra du haut du ciel au-devant d’eux avec un air menaçant, et qui portera la terreur parmi les esprits infernaux.

    Notre Seigneur fera entendre sa voix par le souffle de l’archange saint Michel, et dira : Allez, maudits, descendez au plus profond des abîmes de l’enfer. À l’instant la terre s’ouvrira, et présentera un gouffre effroyable de feu et de flammes, où tombera pêle-mêle cette cohorte innombrable, ainsi que sa maudite loi, qu’elle portera avec elle, et tous iront jusqu’au fond de l’abîmé de l’enfer.

Miséricorde de Dieu envers plusieurs qui tombent à côté du gouffre, dont les flammes s’élèvent jusque dans les airs.

    Ce Dieu, plein de bonté et de miséricorde, jusque dans sa justice même, cherche à faire grâce aux pécheurs. II y en aura qui ne seront pas aussi criminels que ceux dont j’ai parlé, et qui auront fait la maudite loi. Ce divin Sauveur les délivrera, et permettra qu’ils à tombent à côté du gouffre, et même sans se faire aucun mal; ce qui ne pourra arriver sans miracle.

    Aussitôt que les autres malheureux seront tombés dans le gouffre, Dieu fera éclater sa justice par les flammes, qui s’élèveront aussi haut que les satellites de Satan se seront élevés. Dieu marquera par là qu’il voudra purifier l’air des sales immondices dont il aura été infecté par les crimes de ces scélérats, et en même temps épouvanter

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(456-460)

ceux qui seront tombés à côté du gouffre, et les disposer aux desseins de grâce et de miséricorde que ce Dieu de bonté aura sur eux. Quand les flammes auront voltigé quelques minutes, elles s’engloutiront de nouveau dans le fond de l’abîme, et la terre se refermera. Mais cette terre deviendra un feu horrible; elle sera toujours couverte d’épaisses ténèbres, dans lesquelles viendront se réfugier des spectres affreux, des serpents, des aspics, enfin tout ce qu’il y a de plus hideux dans la nature.

Consternation des chrétiens infidèles. Conversion d’une partie des complices de l’antéchrist tombés à côté du gouffre. Perversité des autres.

    Les pauvres chrétiens qui se seront laissés surprendre, soit par la crainte, soit par les illusions du démon, qui auront signé cette maudite loi et renoncé à J. C., pour s’engager au service des démons, seront dans la consternation. Ils courront épouvantés, les uns d’un côté, et les autres de l’autre. Dans cet affreux désastre, la grâce du Seigneur viendra chercher ceux qui voudront la recevoir; elle ira trouver ceux qui seront tombés à côté du gouffre, et dont le nombre pourra s’élever à un tiers. Les deux autres tiers seront tombés dans les enfers. Plus de la moitié du tiers qui sera resté, se convertira au Seigneur, et les autres refuseront la grâce. Quelques jours après, ils se rassembleront comme des misérables. Ils mangeront, boiront, feront bonne chère, et ne penseront qu’à dépenser l’or et l’argent qu’ils auront en abondance. Dans leur ivresse, ils diront: Il est vrai que nous avons perdu notre chef; mais qu’importe, nous n’avons pas péri nous autres, et nous faisons bonne chère. Que peut-il nous en arriver ?

§. IX.
État de l’Église et du Monde après la chute de l’antéchrist.

Le monde subsistera encore plusieurs années après la chute de l’antéchrist.

    Lorsque l’antéchrist et ses complices seront tombés dans l’enfer, le jugement n’arrivera pas encore aussitôt. Il y en aura qui l’attendront de jour en jour, et avec tant d’impatience, qu’ils se lasseront d’ennui dans cette attente. Ce sera la sainte Église qui languira dans cette attente; mais nul homme ne peut savoir et ne saura jamais l’année ni le jour où le fils de l’homme viendra juger les vivants et les morts. Je vois en Dieu qu’il pourra encore s’écouler plusieurs années avant que le fils de l’homme vienne; mais je ne vois pas combien il y aura d’années.

Châtiment des rebelles à la grâce.

    Les scélérats que le Seigneur aura laissés pour leur conversion, au lieu de se convertir, s’assembleront tous dans une grande ville : ils lèveront encore des troupes pour persécuter l’Église. Mais voici ce que me dit le Seigneur : « Ceux qui s’élèveront contre mon Église, je les écraserai dans ma justice, et je ne les épargnerai pas plus que le feu n’épargne la paille. » Ainsi ces malheureux périront dans leur obstination, et la sainte Église subsistera sur la terre dans une grande paix et dans une profonde tranquillité.

Parfaite conversion de ceux qui seront fidèles à la grâce.

    Je vois en Dieu que les pauvres pécheurs qui auront ouvert leur cœur à la grâce, seront dans la plus grande consternation. Ces pauvres pécheurs se rappelleront quelques restes de christianisme et de foi, que la grâce fera renaître dans leur cœur; mais ne sachant ce que sera devenue notre mère la sainte Église, ils la chercheront et ne pourront la trouver. Alors Notre Seigneur enverra ses anges, qui leur apprendront que la sainte Église n’est nullement détruite, et qu’elle ne le sera jamais; que Dieu veut qu’ils la rejoignent et qu’ils se convertissent parfaitement au Seigneur. Ce sera alors que la sainte Église verra des pénitents accourir de tous côtés vers elle pour rentrer dans son giron. On n’entendra de toutes parts que pleurs et gémissements de la plus amère pénitence, tant de la part des nouveaux convertis, que de la part des fidèles de l’Église, qui s’offriront à Dieu pour faire pénitence pour les pauvres pécheurs, qui seront alors si contrits, qu’il y en aura plusieurs qui mourront de douleur. Ils seront tous des saints, et l’assemblée des fidèles retentira des actions de grâce, des louanges et des bénédictions qu’ils donneront au Seigneur.

§. X.

Circonstance du règne de l’antéchrist oubliée par la Sœur, et qu’elle rapporte ici.

Rome envahie. Le Pape martyr et son siège préparé pour l’antéchrist.

    Voici une circonstance que j’ai manqué de rapporter en temps et lieu. Je vois en Dieu que lorsque les complices de l’antéchrist commenceront à faire la guerre, ils se placeront auprès de Rome, où ils triompheront par leurs victoires de tous les empires et de tous les royaumes qui seront autour de cette ville. Il y a en cela une chose dont je ne suis pas certaine. Ce que je sais, c’est que Rome périra entièrement, que le Saint-Père le Pape souffrira le martyre, et que son siège sera préparé pour l’antéchrist. Mais je ne sais pas encore si cela sera fait un peu avant l’antéchrist par ses complices, ou bien par l’antéchrist lui-même, au moment où il entrera dans le cours de ses victoires.

    Je n’en dirai pas davantage sur ces sortes de matières, d’autant plus que je me suis étendue plus au long dans l’autre volume, que j’ai fait écrire il y

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(461-465)

a neuf à dix ans. J’ai rapporté dans ce cahier plusieurs choses, qui ne sont pas dans l’autre, parce que Dieu ne m’en avait pas donné connaissance alors, et particulièrement de tout ce qui regarde la mauvaise loi.

§. XI.

Ce que la Sœur a connu en Dieu par rapport au temps présent.

Vision qui fait connaître à la Sœur les grandes grâces que Dieu accorde à son Église par les prières et les mérites de J. C. crucifié.

    Je dirai ici, pour terminer ces matières qui regardent les ennemis de l’Église, ce que j’ai connu en Dieu sur le temps présent. Un jour, l’esprit du Seigneur me conduisit sur une haute montagne. J’aperçus au-dessous des nués une grande chose tendue en l’air, qui commençait du côté de l’orient de Paris, et qui allait comme aboutir vers le midi. Je n’en pouvais voir toute la longueur ni la fin du côté de l’orient de Paris. Sa largeur était à-peu-près de quatre aunes; elle était d’un bout à l’autre couverte d’étoiles d’un fin or et d’un fin argent, bien plus brillantes que ne sont ordinairement les étoiles. Le fond était transparent comme du cristal, de sorte que je pouvais voir également au-dessus et au-dessous. Tout cela était bordé d’une ceinture large comme la main des deux côtés, qui était aussi couverte et parsemée d’étoiles, et de plusieurs chiffres, ainsi que de plusieurs autres choses que je ne pouvais, qu’admirer, sans pouvoir y rien comprendre. Tout cela répandait une lumière d’une grande blancheur d’une grande pureté et d’une telle clarté, qu’elle ressemblait à celle du pur cristal…

    Cette matière me parut fort légère et toute céleste. Elle n’était point agitée par les vents, et demeurait toujours stable. J’étais tournée vers Paris, et tellement occupée à considérer avec admiration tant de choses si différentes et si belles, que je ne faisais pas attention que la très-sainte Trinité était à mes côtés. Me retournant vers le midi, pour voir où tout cela aboutissait, je vis un grand et beau tableau suspendu en l’air, à la hauteur de cette chose si belle et si brillante, qui aboutissait au pied du tableau.

    Ce tableau représentait la très-sainte et très-adorable Trinité, Le Père éternel tenait entre ses bras son cher fils attaché à la croix, et le Saint-Esprit sur sa poitrine. Dieu me fît connaître que son cher fils le priait actuellement et toujours pour sa sainte Église, au nom de sa croix, de sa sainte mort et de sa passion, et que ce que je voyais était la figure des grâces et des bénédictions qu’il accordait à son Église, en vue des prières et mérites de la mort et passion de son cher fils.

    Je me jetai à genoux. Prosternée au pied de la très-sainte Trinité, je l’adorai; et en m’unissant à Notre Seigneur, je me mis à prier pour l’Église. Je me trouvai consternée et abîmée dans la profondeur de mon néant, en la présence de Dieu; et quand je me relevai de ma prière, tout avait disparu. Il y a trois ans et demi que cela m’arriva (1).

(1) En 1794, ou au plus tard au commencement de 1795.

La Sœur n’a point connaissance des grâces particulières que désigne la vision. Elle dit simplement ce qu’elle en pense.

    Dieu ne me fit point connaître dans quel temps il verserait ses grâces sur son Église, et lui, ferait éprouver la paix. Voici la pensée qui me vient ici, et qui est toute naturelle, c’est-à-dire qu’elle n’est point l’effet d’une inspiration divine, ni d’aucune voie extraordinaire. Il me semble que cela pourrait annoncer la liberté du culte, et le bonheur qu’on espère, de voir les ministres exercer leur saint ministère dans les Églises. Dieu soit béni! j’en rends grâces à Dieu.

    Remarque. — J’ai vu en Dieu qu’on formerait le projet de rappeler les prêtres exilés, à dessein de les sacrifier et de les mettre à mort, en les exposant par violence aux assauts de la guerre; mais j’espère que Dieu ne le permettra pas.

    J’ai vu aussi en Dieu, il y a plusieurs années, la Vendée, et je m’y trouvai. Je la vis comme un désert affreux et inhabitable, qui ne présentait que les restes horribles du carnage qu’on y avait fait.

    J’ai eu ces deux vues à-peu-près dans le même temps; et comme je vois qu’il y en a une qui a été accomplie, je crains bien que ce qui regarde les prêtres ne vienne malheureusement à s’exécuter.

FIN.

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LETTRES DE
LA SŒUR DE LA NATIVITÉ,

À M. Genêt, et à M. le Roy, doyen de la Pélerine, ses confesseurs. (1)

Vive Jésus! Vive Jésus! Vive Jésus!

    (1) M. le Roy fut, comme on le sait, le confesseur de la Sœur de la Nativité depuis le départ et pendant l’absence de M. Genêt.
Ces lettres, que nous avons trouvées sans date, en rapprochant ce qu’elles contiennent avec la suite des événements et avec ce que dit M. Genêt dans plusieurs endroits de son ouvrage, nous paraissent avoir été écrites, la première en. 1793 (Voyez premier volume, pag. 99 et suiv. ); les deux autres, qui sont évidemment de la même date, au commencement de 1798. (Voy.deuxième volume, pag. 492 et suiv. ) De plus, il paraît certain que ces trois lettres, au moins les deux dernières, ne sont point parvenues à M. Genêt. (Voyez troisième volume, pag. 376 et suiv. )

PREMIÈRE LETTRE.

À M. Genêt.

    La Sœur l’engage à se bien cacher, et le prie de lui envoyer ce qu’elle lui avait remis. Elle lui annonce qu’une contre-révolution, si elle a lieu, ne peut s’opérer aussi promptement qu’on se l’imagine, et que Dieu est irrité contre la France.

Mon Père,

    J’ai appris avec bien du plaisir des nouvelles de votre santé. Je vous supplie

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(466-470)

de prendre tous les moyens possibles jour vous bien cacher, parce que je crains que les temps ne deviennent encore pires qu’ils ne le sont. Au reste, il faut nous abandonner tous à la sainte Providence, et à tout ce qu’il plaira à Dieu de faire de nous.

    Mon Père, vous m’avez marqué que vous étiez en peine de savoir si vous deviez envoyer ce que je vous ai mis entre les mains. Voici ce que je vous dirai: Envoyez, si vous trouvez une voie sûre, et des personnes de confiance qui puissent, par leur adresse et par leur vigilance, faire parvenir les choses à bon port. Je sais que nul n’est exempt des dangers et des accidents qui peuvent arriver; mais aussi mettons notre confiance dans le Seigneur, et croyons que tout ce qu’il garde sera bien gardé. Ainsi, mon Père, si une telle occasion se présente, ne mettez point de retard à la chose. Je pense que s’il se fait du remuement, les dangers seront encore plus grands sur mer que sur terre.

    Mon Père, j’ai un mot à vous dire de ce que j’entrevois en Dieu. Je ne puis bien m’expliquer, parce que Dieu me fait voir obscurément. S’il se fait une contre-révolution (je ne sais si elle est prochaine ou éloignée ), je crois qu’elle ne sera pas faite aussi promptement qu’on pourrait se l’imaginer. Il y aura beaucoup de débats entre les parties contraires; et même, quand on croira les troubles apaisés, il y aura d’un côté et de l’autre des soulèvements effroyables : il y en aura même entre les princes chrétiens.

    Mon Père, voici encore une remarque : Dieu, se montrant irrité contre la France, m’a dit dans sa colère : « Je la diviserai. Elle sera partagée comme un vieux manteau qu’on déchire et qu’on jette. » Je ne vous donne pas cela comme certain. Il peut arriver mieux ou pire, ou rien du tout, parce que je ne vois cela en Dieu que confusément (1)….

    (1) Il est évident, par tout le contexte et par l’incertitude même de la Sœur, que ces paroles: Je diviserai la France, etc., sont celles d’un père irrité, qui, dans sa colère, menace vivement pour n’être pas obligé de punir. La conversion et la pénitence de plusieurs pécheurs, les prières des saintes âmes, et plus encore les miracles de miséricorde que Dieu a opérés en faveur de la France depuis cette menace prononcée il y a plus de vingt-six ans, doivent, ce semble, nous rassurer.

DEUXIÈME LETTRE.

À M. le Roy, doyen de la Pélerine, pour faire passer ensuite à M. Genêt en Angleterre.

    La Sœur le consulte sur un voyage qu’elle a dessein de faire à Saint-Malo; lui manifeste le désir qu’elle ressent toujours d’aller rejoindre M. Genêt en Angleterre; lui raconte tout ce qui s’est passé à ce-sujet entre elle et sa Supérieure et lui marque en particulier toutes les preuves qu’elle croit avoir de la volonté de Dieu pour ce voyage, entre autres une vision, dans laquelle Notre Seigneur lui fait connaître que ce voyage a été empêché par une affection trop naturelle que les créatures ont eue pour elle, et qui lui aurait été bien nuisible à elle-même, s’il ne l’avait préservée par une grâce spéciale; enfin, elle le prie de ne point donner connaissance à sa Supérieure de ce qui est contenu dans cette longue lettre.

Mon Père,

    J’ai un conseil à vous demander à l’égard de notre mère. Je compte aller à Saint-Malo au printemps prochain, avec les deux religieuses avec qui je demeure; mais j’ai la certitude que ma Supérieure, quand je lui en demanderai la permission, s’y opposera ouvertement, et je crains qu’au lieu de me l’accorder, elle ne me le défende absolument. Cependant voici ce que je vois en Dieu : Sa volonté est que j’y aille pour me retirer avec ces deux religieuses dans la solitude, chez cette sainte veuve qui nous promet de ne nous gêner en rien, et de nous procurer tous les moyens d’observer notre règle autant qu’il sera possible. Nous serons retirées dans une campagne, et nous aurons pour enclos un grand jardin muré. Mon Père, vous savez que nous ne sommes pas ici comme nous serons à la campagne: nous sommes ici comme dans le monde, surtout à dîner, où nous mangeons avec les gens du monde. Quant à notre règle, nous ne pouvons l’observer. Quand il faut faire maigre, on nous fait faire gras. On est d’ailleurs malgré qu’on en ait, exposé aux visites des gens du monde tout le jour, et même dans la soirée; ce qui nous fait perdre

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presque entièrement la pratique du silence. Mon Père, d’après cet exposé, Dieu et ma conscience m’obligent à sortir d’ici, où je ne suis plus que par contrainte et par nécessité. J’aimerais mieux, fût-il possible, n’avoir que du pain et de l’eau, et être retirée du monde. Je vous demande, s’il vous plaît, votre avis : dites-moi comment il faut que je fasse, si notre Mère me défend d’y aller.

    Mon Père, outre les obligations de mes vœux et de ma règle, dont je viens de vous parler, j’ai encore d’autres raisons du côté de Dieu qui m’obligent à suivre sa volonté, et la conduite de sa sainte Providence, partout où elle jugera à propos de me conduire. Je vous découvre ici un secret : Un an, ou peut-être plus, avant que de sortir de ma communauté, Dieu m’avait fait connaître que M. G. passerait en Angleterre, et que je devais, par la suite y passer aussi pour aller le rejoindre, et vivre sous sa conduite, pour l’arrangement de l’ouvrage qu’il avait entre les mains.

    Un jour que j’entrais dans la cellule de notre Mère, elle vint me dire en souriant: Ma Sœur, voulez-vous passer en Angleterre? quelques religieuses et moi voudrions bien y aller. Je répondis : Ma Mère, j’ai vu en Dieu que je dois y passer, et aller retrouver M. G. Elle prit ma réponse au sérieux; mais que j’y aille sans elle, c’est ce qu’elle ne veut pas. Aussi toutes les occasions qui pouvaient se rencontrer pour me faire aller de ce côté-là, elle me les cachait, et avait bien soin de dissimuler avec moi. Voilà pourquoi elle ne trouve pas à propos que je me rende à Saint-Malo.

    Mon Père, il faut que je m’explique plus clairement. Voici comment le bon Dieu a permis que j’aie découvert ce que notre Mère jugeait à propos de me cacher et de me dissimuler. Une des religieuses avec qui je demeure, et en qui j’ai beaucoup de confiance, me dit un jour innocemment, ne sachant pas que notre Mère m’eût rien caché : Ma Sœur, M. G…. a beaucoup d’égards pour vous, puisqu’il vous a trouvé une dame en Angleterre, qui veut bien vous recevoir chez elle pour toute votre vie, saine ou malade. Ce discours me surprit très-fort, d’autant plus que l’occasion était passée depuis plus de trois ans. Je demandai à cette religieuse comment elle avait appris cela. Elle me répondit que notre mère avait reçu une lettre. Je dis à cette religieuse que je n’avais aucune connaissance de (ce) qu’elle me disait. Je laissai tomber cela, ignorant si la chose était vraie. Cependant je me dis à moi-même : Je saurai de notre mère ce qu’il en est. L’affaire s’oublia. Je fus plus d’un an sans lui en parler. Enfin, un jour me trouvant avec elle, je la priai, si elle le jugeait à propos, de vouloir bien me dire la vérité sur une chose qui me regardait. D’abord elle ne se ressouvint point de ce que je lui demandais; mais quand je lui eut rapporté ce que la religieuse m’avait dit, elle me fit un aveu sincère, et me dit : Ma Sœur, cette dame qui voulait vous avoir auprès d’elle était une Française qui avait vendu tout son bien pour passer en Angleterre; M. G…. lui avait parlé en votre faveur; elle vous accepta par charité, et elle se proposait d’avoir M. G… pour chapelain en Angleterre. Quand j’entendis ces choses je demeurai tout interdite, voyant que j’avais perdu une si belle occasion d’accomplir la volonté de Dieu, selon qu’il m’avait fait connaitre ci-devant à ce sujets Ma Mère, lui répondis-je, je n’ai point eu connaissance de cela. Voyez et considérez quel avantage c’eût été pour mon âme d’avoir été sous la conduite de M. G., à qui Dieu m’avait fait confier tous les secrets de ma conscience! Notre Mère me répliqua : Ma Sœur, la dame m’écrivit deux lettres en quinze jours, pour savoir avant son départ si M. G. était passé. Mais comme c’était ma Supérieure, je n’osai pas lui demander ce qu’il y avait à mon sujet dans ces lettres. Elle me dit encore : Si vous étiez allée en Angleterre, et que j’y fusse aussi allée avec vous, les Supérieurs m’auraient renvoyée à cause de la communauté. Voyant bien que cet entretien ne lui était pas agréable, je changeai de propos, en lui disant que la chose était faite, qu’il n’était plus temps d’y penser, et que les fruits n’étaient plus de saison. Depuis ce temps, je n’en ai jamais reparlé à notre Mère. J’en ai parlé seulement avec la religieuse qui me l’avait appris la première. Je la soupçonnais d’être d’accord avec notre Mère : elle m’a avoué, avec franchise, qu’elle n’y était entrée pour rien, qu’elle ignorait absolument que notre Mère me l’eût dissimulée et quelle me l’avait dit, parce qu’elle croyait que je le savais.

    Mon Père, malgré les résolutions que j’ai prises de sacrifier tout à Dieu, d’oublier tout, et de remettre la chose entre ses mains, d’autant mieux que tout cela regarde ma supérieure, sur la volonté et le gouvernement de laquelle je n’ai ni à raisonner, ni à délibérer, et que c’est à moi, petite sujette, à me soumettre et à obéir, je vous avoue, mon Père, que malgré ces résolutions, si Dieu ne m’avait assistée de son secours, c’eût été pour moi une occasion qui m’aurait beaucoup portée à l’offenser. Quand je considérais l’état pénible et dangereux des affaires

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de ma conscience, sans pouvoir trouver de secours que dans la pure bonté de Dieu pour le salut de mon âme, malgré moi je me sentais abattue, et par deux ou trois fois cette pensée pénétra si vivement mon cœur, que j’en demeurai sans parole; et que je tombai presque en faiblesse. Voyant que la nature me dominait, pénétrée de douleur, j’élevais mon cœur vers le ciel. Combien de fois mon adorable Sauveur est venu lui-même me consoler par sa sainte parole, en me disant surtout qu’il était bien capable de me dédommager, de ce que la créature m’avait causé de tort; qu’il était mon directeur, mon Sauveur et mon salut!

    Au milieu de ces peines, il plut à Dieu de me consoler par une autre voie. Il arriva de Saint-Malo une lettre de la sainte veuve chez laquelle nous devions nous retirer. Elle nous priait instamment de venir demeurer chez elle. Je ressentis dans mon intérieur une grande consolation, et un mouvement qui me faisait connaître que c’était la volonté de Dieu que je fisse le voyage. Alors Dieu fit naître dans mon cœur un certain espoir que tout n’était pas perdu pour moi, et il me fut dit que j’eusse bon courage dans la pratique du zèle pour la gloire de Dieu et pour le salut des âmes, et en particulier de celui que je devais prendre pour le salut de la mienne pour l’amour de Dieu; enfin, que je devais m’abandonner à la conduite de la sainte Providence, qui ne m’abandonnerait jamais. Voilà, dans cette lumière dont je viens de vous parler, le premier indice par lequel Dieu me fait espérer que je pourrai, avec sa grâce, retrouver M. G…..

    Voici encore un autre indice que je reconnais en Dieu. Mon Père, qu’il vous souvienne que lorsque vous vîntes chez M. de la Janière, je vous donnai le soir un petit billet, qui contenait un secret de ma conscience. J’y marquais la volonté de Dieu et celle de sa sainte Mère pour faire écrire. Voici ce que me dit le Seigneur touchant ce billet : « Gardez mon secret comme un dépôt dans votre cœur, et ne le découvrez que lorsque vous parlerez de vive voix à mon ministre. » Voici encore ce que me dit le Seigneur: « Vous ne rendrez plus compte de votre conscience à la femme, pas même à votre Supérieure, à moins que je ne vous le marque précisément dans une grande nécessité pour ma gloire. » Voilà donc, mon père, le second indice qui me donne une grande espérance que je parlerai à M. G …. avant de mourir.

    En voici encore un troisième qui me surprend beaucoup. Je me suis trouvée transportée par l’esprit du Seigneur dans un certain endroit, avec deux ou trois personnes. On me mit dans la main un cierge de cire blanche qui pesait environ deux livres et demie, et qui était plus de moitié brûlé; mais il était éteint, et ne brûlait plus. On me dit: Ce cierge est à vous, il vous appartient. Il y avait une coche, qui prenait depuis le bas jusqu’au haut, et qui était plus profonde dans le bas que dans le haut, de sorte que dans le bas le pouce d’un homme aurait pu y entrer, et que dans le haut il n’y avait plus qu’une petite trace. Cette coche, qui n’était pas en droite ligne, allait gauchissant de droite à gauche par endroits. Je demandai aux personnes qui étaient avec moi ce que c’était que cela, et ce que cette coche signifiait. Une d’elles me répondit, en me montrant le cierge: Cette coche est faite à la façon du lierre, qui, quand il s’attache à un arbre, s’y attache si fortement, qu’il pénétrerait jusqu’au cœur, si cela était possible.

    Sur ces entrefaites, Notre Seigneur m’apparut, et les personnes, qui étaient avec moi disparurent. Je me trouvai seule avec Notre Seigneur, tenant mon cierge dans la main. Dans mon inquiétude, je m’adressai à lui avec toute humilité, en lui montrant mon cierge, et en lui disant: Apprenez-moi, Seigneur, s’il vous plaît, ce que signifie ce cierge que l’on m’a donné, et particulièrement ce que veut dire cette coche-là, qui le rend si difforme ? Notre Seigneur, en se tournant vers moi, me dit: « Mon enfant, vous voyez cette coche, qui fait un si grand tort à ce cierge; elle signifie l’amour et l’affection naturelles que les créatures ont eues pour vous. Ils ont plus fait de tort à votre âme que cette coche n’en fait à votre cierge. » Notre Seigneur me fit connaître en particulier que c’était à l’occasion de ce qu’on m’avait caché les moyens qui se présentaient pour aller rejoindre mon confesseur. Je commençai à m’affliger, et à me lamenter sur la privation de tant de lumières et de tant de grâces pour la gloire de Dieu et pour mon salut, que je croyais avoir perdues et qui étaient éteintes pour moi, à la manière de mon cierge qui était éteint.

    Notre Seigneur me dit: « Ne vous affligez point de voir votre cierge éteint. Par ma grâce, si vous êtes fidèle, il se rallumera. Sachez que sans ma grâce, qui a préservé votre cœur des atteintes que les créatures vous auraient portées par l’artifice du démon, elles auraient été plus que suffisantes pour vous perdre. Mais depuis que vous m’avez consacré votre cœur dès votre tendre enfance, je l’ai toujours attiré à moi, par une

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(481-485)

» grâce spéciale qui m’en rend le maître. Cette grâce, vous ne la connaissez pas; mais je vous la fais connaître à présent. Elle n’est pas donnée à tous; c’est pourquoi vous devez m’en avoir une grande reconnaissance et une grande obligation. C’est cette grâce qui a cherché à vous retirer toujours des créatures, et à tourner toujours votre cœur vers moi. C’est cette même grâce qui vous a tant de fois, dans le cours de votre vie, préservée des embûches que le démon vous a tendues par l’amour et par la haine des créatures. Voyez, ajouta le Seigneur, comme la coche de votre cierge est imprimée. Rien de plus dangereux que cet amour naturel, qui s’attache à la façon du lierre, et qui s’imprime de la même manière que la coche sur ce cierge. Mais tous les combats que vous avez eu à soutenir contre les créatures, n’ont jamais atteint votre cœur, parce que je l’ai toujours attiré à moi. »

    Notre Seigneur, avant de me quitter, me fit voir, par une lumière surnaturelle, d’un côté quelque chose de la grandeur de son pur amour et de sa pure gloire, et d’un autre côté le néant et le vide horrible de l’amour naturel corrompu et déréglé, qui est séparé de cette divine beauté qui est Dieu. Il me sembla que d’un point de vue Dieu me faisait voir un abîme de créatures qui ne vivent que de cet amour déréglé d’eux-mêmes et des créatures. Sans parler ici de cet amour profane et criminel, j’ai vu que la plus grande partie des créatures se séparaient de Dieu et de son amour, en ne vivant que dans leurs plaisirs et pour tous leurs plaisirs naturels et mondains. Notre Seigneur me fit connaître que si je parlais avec ses ministres sur cette matière, qui me paraissait comme inépuisable dans la grandeur de Dieu, il faudrait ne leur en rendre compte que de vive voix.

    Mon Père, voici enfin encore un dernier indice. J’ai été plusieurs fois dangereusement malade, et surtout dans ma dernière maladie j’eus une rude attaque d’hydropisie de poitrine; mais Dieu par sa pure bonté m’en a délivrée par le secours d’une sueur abondante qui dura plus d’un mois. À présent je me trouve une tout autre personne. Mes fièvres ont cessé; j’ai repris mes forces naturelles tant au-dedans qu’au dehors. Le manger, le boire, le dormir, tout reprend. Je me trouve comme en ma bonne santé. J’en suis surprise, et je ne sais pas combien de temps le Seigneur me laissera dans cette disposition. C’est ce que la suite fera voir.

    À M. Genêt. — Tout ce que je viens de faire écrire était pour M. le doyen; je le prie de vous faire passer le tout. Mon père, je vous prie de ne donner aucune connaissance de ce qui est écrit ici dans ces douze pages, à notre révérende Mère abbesse, parce qu’elle n’en sait rien, pour de bonnes raisons. Si vous avez la bonté de m’écrire, adressez vos lettres à M. le Doyen, qui me les fera passer…

TROISIÈME LETTRE.

À M. Genêt.

    La Sœur lui exprime la grande consolation qu’elle a éprouvée en apprenant de ses nouvelles; le félicite de son zèle pour la gloire de Dieu, et lui communique ses inquiétudes de conscience et la crainte désolante qu’elle a d’être réprouvée de Dieu. Malgré le besoin qu’elle a de son secours, elle le prie de ne point s’exposer à rentrer en France que la paix ne soit rétablie. Enfin elle lui renouvelle son vif désir de passer en Angleterre, et lui expose d’un côté les difficultés de ce voyage, et de l’autre sa forte détermination à tout entreprendre pour accomplir la volonté de Dieu.

Mon Père,

    C’est maintenant à vous que j’ai l’intention d’adresser la parole, en attendant si j’ai jamais le bonheur de vous parler de vive voix. Les deux dernières lettres que vous avez écrites à notre Mère m’ont fort consolée, et ont bien aidé à rétablir ma santé, en m’apprenant que vous étiez encore vivant et en bonne santé. Hélas! quand je priais pour vous, je ne savais si je priais pour un vivant ou pour un mort. Cela me faisait faire plus de cent fois des sacrifices de résignation à la volonté de Dieu. Vous m’avez recommandé de ne pas vous oublier dans mes prières. Hélas! comment vous oublierais-je, mon Père, puisque le Seigneur me parle de vous ? Je vous ai confié les secrets que le Seigneur avait mis comme en dépôt dans mon cœur; vous avez fait valoir les talents du Seigneur, et au jour de sa visite vous lui rendrez votre compte, et vos talents auront profité de cent pour un. Le Seigneur vous a uni par un lien de sa plus pure charité, dans les intérêts de son pur amour et de sa pure gloire, et dans le zèle du salut des âmes, sans aucun mélange d’humain.

    Mon Père, vous m’avez annoncé que mon procès allait bien. Mais, hélas! j’ai bien un autre procès qui est bien plus inquiétant pour moi, et dont les

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(486-490)

avocats sont contre moi. Ils m’accusent, ils me condamnent, ils me jugent avant même que d’être jugée par le souverain juge. Les crimes de ma vie, toutes mes infidélités envers Dieu leur servent de pièces qu’ils font valoir contre moi. Une si mauvaise cause dans mon procès se trouve, selon leur malice diabolique : aussi ont-ils comme juré ma perte. Mon âme affligée et alarmée ressemble, dans cet état, a une vigne où les passants et les voleurs sont entrés, et dans laquelle ils ont fait bien des dégâts et des ravages : les renards y ont fait leurs tanières, sans même que je m’en sois aperçue; les attaches de cette vigne ont manqué, ce qui l’a fait tomber en plusieurs endroits; elle a grandement besoin d’être taillée, et personne ne se trouve pour le faire; elle ne porte aucun bon fruit, et elle ne pousse que des sarments; mes ennemis se réjouissent à la vue de mes malheurs, et je vois en Dieu qu’ils font de moi un sujet de dérision, se disant entre eux : Arrachons-la d’entre les bras de son bien-aimé; précipitons-la dans notre abîme, et qu’à jamais nous lui reprochions ce qu’elle à fait à son Dieu. O parole épouvantable et foudroyante, plus à craindre que les morts les plus cruelles, plus terrible que tous les démons, et pire que l’enfer même!

    Mon Père, voilà justement ma croix et ma vraie croix. Toutes les traverses et les peines que m’ont causées les démons, et qu’ils pourraient me faire pendant toute l’éternité, quand bien même Dieu permettrait qu’ils se déchaînassent tous ensemble contre moi avec tous les supplices de l’enfer; oui, mon Père, je puis dire que ce ne serait pas là ma plus grande croix. Mais, la vraie croix qui me saisit le cœur, et qui s’appesantit sur moi, c’est la crainte d’être séparée de mon Dieu, c’est la crainte de perdre mon Dieu. Cette pensée seule serait capable, à ce qu’il semble, de m’ôter la vie, si mon divin Sauveur ne venait, à mon secours, en relevant mon courage par une foi vive, en fortifiant mon cœur par une douce espérance, et en le consolant par l’amour de sa charité. Ainsi, soutenue par la grâce, malgré tous mes désastres, je me jette à corps perdu entre les bras de la pure miséricorde et de la pure bonté de Dieu, espérant que, quoique par mes péchés je ne mérite que l’enfer, il ne me perdra pas sans ressource, et qu’il ne me condamnera pas pour toujours.

    Mon Père, je n’ai pas besoin de vous en dire tant, je crois que vous voyez le triste état de ma conscience : je vous prie que cela ne vous oblige pas à vous exposer pour venir me secourir et m’assister par votre charité. Si c’était la volonté de Dieu, j’aimerais mieux mourir et exposer mille fois ma vie, que d’être la cause que la vie d’aucun ministre du Seigneur fût mise en danger. Ne pensez jamais à repasser en France, que lorsque vous serez assuré que la paix est bien affermie.

    Quand vous aurez lu ce qui est ci-dessus (1), vous verrez les marques de la volonté de Dieu sur moi, et le désir que j’ai de l’accomplir, s’il plaît à la sainte Providence de m’en donner les moyens.

    (1) La longue lettre précédente, adressée d’abord à M. le Roy, pour être ensuite envoyée à M. Genêt.

    Hélas! la première occasion, il y a plus de cinq ans, m’échappa, et peut-être jamais ne se retrouvera. Cependant, mon Père, je vous supplie pour l’amour de Dieu, et pour le salut de mon âme, de faire une nouvelle tentative, afin de voir si la sainte Providence me ferait par votre protection et par vos bons soins une si grande grâce, que de me trouver quelque pauvre asile, quand ce ne serait que le coin d’une étable. Ah! plût à Dieu que j’y fusse, quand bien même je n’aurais que du pain et de l’eau petitement, et seulement pour soutenir une vie qui, je crois, ne sera pas longue.

    Mon Père, ce que je désirerais, ce serait de faire ma résidence chez des catholiques, et dans un endroit où vous auriez la charité de venir me voir sans aucun danger de votre vie. Mais, hélas! quand je pense à cette affaire, au premier abord je la regarde comme impossible à une pauvre personne, qui est si dénuée de tout, qu’elle dépend en tout de la Providence et de la pure charité. Où trouverait-on un nautonier qui voudrait me passer pour rien, car à peine pourrais-je avoir de quoi me nourrir pendant le voyage ? Ces pensées-là m’absorbent, et je crois quelquefois que c’est une folie de vouloir exécuter cette entreprise; toutefois je la laisse à votre prudence, et je m’abandonne à la sainte volonté de Dieu et à vos sages avis. Si vous croyez ou si vous voyez que la chose soit impossible, ah! cela est fini : à l’impossible nul n’est tenu. Il ne faut jamais tenter Dieu, mais plutôt suivre sa volonté doucement et avec patience, selon le cours naturel des choses, et sans avoir la témérité d’attendre de Dieu des miracles; cependant, mon Père, si vous connaissez que ce soit la volonté de Dieu, ne nous décourageons pas : Je puis vous dire que si ma santé continue d’être bonne, je me trouve en aussi bon état que je l’étais à ma sortie de ma communauté; et ne doutez nullement de mon courage, moyennant la grâce de Dieu, qui m’anime, pourvu

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(491-495)

que le bon Dieu me fasse la grâce que vos avertissements parviennent jusqu’à moi. Oui, mon Père, je puis vous dire ce que je dis au Seigneur : Mon cœur est prêt, mon cœur est tout prêt d’aller où la volonté de Dieu et l’obéissance me conduiront. Faudrait-il partir tout-à-l’heure, rien ne m’arrêterait : la pluie, les neiges, les frimas, la rigueur de l’hiver, les dangers tant sur mer que sur terre, tout cela m’est égal, et je suis aussi prête à partir dans tous ces mauvais temps, pourvu que ce soit la volonté de Dieu, que si c’était dans un agréable printemps où le temps est plus favorable.

    Mon Père, si le bon Dieu me fait la grâce que ce petit ouvrage vous parvienne entre les mains, je vous supplie de nous en accuser la réception, vous me ferez un grand plaisir. Je prie le Seigneur qu’il vous conserve de plus en plus dans son amour et dans le zèle de la gloire de Dieu et du salut des âmes, avec une bonne santé, qui vous est bien nécessaire pour votre travail. Prions Dieu que tout s’accomplisse sur toute l’Église, selon sa sainte volonté. Je vous supplie, mon Père, de continuer à prier Dieu pour moi, comme vous voyez que j’en ai un si grand besoin; je le fais pour vous, et je suis,

    Votre très-humble et très obéissante servante, Sœur De La Nativité.

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Certificat de madame de Sainte -Magdeleine, Supérieure de la Sœur de la Nativité.
Je certifie que ce supplément est copié avec la plus grande exactitude, et collationné avec l’original, tel que j’ai pu me le procurer. En foi de quoi je signe,
Marie-Louise Le Breton De Sainte-Magdeleine, Religieuse de Sainte Claire, Urbaniste, à Fougères, dernière Supérieure de la Sœur de la Nativité, qui a la connaissance des faits, les ayant appris de sa bouche, et ordinairement longtemps avant les événements.
Fin du quatrième et dernier volume.

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                  TABLE des matières

contenues dans le quatrième volume.

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Avis de l’éditeur… Pag. –

ARTICLE I. Traits remarquables de la vie de la Sœur, racontés par elle-même…… 1
§. I. Lumière extraordinaire que la Sœur reçoit de Dieu dès sa plus tendre enfance. Impressions que font dans son âme les premières instructions de sa mère….. ibid.
§. II. La Sœur, après avoir longtemps tenu secret tout ce que Dieu opérait en elle, est obligée de le découvrir et même de le faire écrire. Ses premiers écrits sont brûlés, et après une longue persécution, qu’elle souffre à ce sujet, elle fait écrire de nouveau………….. 13
§. III. Notre Seigneur apparaît à la Sœur de diverses manières et sous différentes formes…………. 35
§. IV. Les démons apparaissent aussi à la Sœur de diverses manières. Différence entre les apparitions du démon et celles de Notre Seigneur… 46
§. V. Combats de la Sœur contre les passions et les inclinations naturelles du cœur, peu de temps après sa profession religieuse…….. 58
§. VI. Autres combats de la Sœur contre les passions, et surtout contre celle de l’orgueil………….. 71

ARTICLE II. Développements et instructions sur divers sujets déjà traités dans les volumes précédents, l’enfer, la pénitence, la bonté de Dieu envers les pécheurs sincèrement convertis, le grand nombre de réprouvés, et le jugement dernier………….. 85
§. I. Détails sur les supplices réservés dans l’enfer pour les âmes mondaines et sensuelles. Corruption d’un cœur gâté par l’esprit du monde….. ibid.
§. II. Craintes et frayeurs de conscience que le démon inspire à la Sœur pour la porter au désespoir. Consolations et instructions qu’elle reçoit de Notre Seigneur…. 97
§. III. Questions sur la confession. Ministère divin des Prêtres au tribunal de la pénitence. Bonté et amour de Dieu pour les pécheurs vraiment pénitents….. 105
§. IV. Grand nombre de mondains qui se précipitent tous les jours dans l’enfer. Nouvelles grâces de conversion que Dieu accorde aux pécheurs, en les faisant surtout avertir que son jugement approche. Mort impénitente des mondains…….. 118

ARTICLE III. Sur la perfection et les vertus chrétiennes, particulièrement sur la foi et l’amour de Dieu, vertus fondamentales du salut….. 133
§. 1. Vision dans laquelle la Sœur apprend en quoi consiste la véritable perfection…. ibid.
§. II. Importance de la foi. La Sœur prend dès son enfance la pure foi pour règle de sa conduite…. 137
§. III. De quelle manière la Sœur a fait son oraison pendant toute sa vie. Méthode d’oraison qui lui a été enseignée par Notre Seigneur !…. 147
§. IV. Celui qui veut revenir a Dieu et marcher à la suite de Notre Seigneur doit se conduire par la foi et par l’amour de Dieu… 156
§. V. Sur les lumières de la Foi… 172
§. VI. Sur la foi, l’espérance et la charité, vertus fondamentales du salut……………….. 188

ARTICLE IV. Sur la perfection à laquelle sont appelées les personnes consacrées à Dieu. Jusqu’où s’étend l’obligation des vœux de religion. Abus qui se sont introduits dans les communautés, tant d’hommes que de femmes. Comment doivent se comporter dans le monde les religieuses que la révolution a mises hors de leurs communautés………208
§. I. Communautés religieuses déchues de leur ferveur, et perverties par le défaut de vocation et par l’esprit du monde qui s’y est introduit. Quelles sont, dans l’Église, les âmes les plus chères à Notre Seigneur…. ibid.
§. II. Communautés ferventes et régulières. Jusqu’à quel degré de perfection s’élève l’âme religieuse par la fidèle observation des vœux. Formation de nouvelles communautés en très-petit nombre… 226
§. III. Sur les religieuses qui mènent une vie tiède et imparfaite. Causes et châtiment de leur tiédeur… 249

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(496-500)

§. IV. Sur l’avarice et sur la dureté envers les pauvres, plus condamnables encore dans les religieux et les religieuses, que dans les personnes du monde. Persécutions que souffre un religieux fidèle à ses vœux, dans une communauté qui les viole. De quelle manière Dieu veut que les communautés soient réformées….. 255
§. V. Le vœu de pauvreté ne dispense pas un religieux ou une religieuse d’assister les pauvres. Dans certains cas ils j sont obligés. Quelques règles pratiques pour observer ce vœu avec perfection…. 271
§. VI. Conduite que doivent tenir dans le monde les religieuses que la révolution a obligées de sortir de leurs monastères. Costume qu’elles doivent porter. À cette occasion la Sœur rapporte les circonstances de sa sortie et les règles de conduite que Notre Seigneur lui donna…. 283
§.VII. Comment les religieuses qui sont dans le monde doivent observer leurs vœux. Vœux d’obéissance et de pauvreté…. 296
§. VIII. Continuation du même sujet. Vœux de chasteté et de clôture. Conclusion sur l’obligation de tendre à la perfection, et sur le déplorable aveuglement des religieuses qui négligent leurs vœux pour suivre les maximes et les usages du monde. 319

ARTICLE V. Quelques détails sur l’agonie de Notre Seigneur Jésus-Christ au jardin des Olives, et sur sa résurrection. Pratique pour le soulagement des âmes du Purgatoire. Avertissement que la Sœur de la Nativité reçoit de Notre Seigneur et de la Sainte-Vierge…. 337
§. I. Circonstances de l’agonis de Jésus-Christ. Causes de ses douleurs. Grandeur de son amour pour les hommes…. ibid.
§. II. Résurrection de Jésus-Christ et ses circonstances. Merveilles qui s’opérèrent au sépulcre de Jésus-Christ au moment où son âme se réunit à son corps glorieux. Impossibilité d’expliquer et même de comprendre l’amour excessif de Dieu pour les hommes….. 362
§. III. Pratique enseignée à la Sœur de la Nativité par Notre Seigneur, et tirée de sa Passion, pour contribuer beaucoup au soulagement des âmes du purgatoire…… 382
§. IV. Fortes répugnances de la Sœur de la Nativité pour faire écrire des choses extraordinaires. Avertissement qu’elle reçoit à ce sujet de Notre Seigneur et de la très-Sainte-Vierge…. 386

ARTICLE VI. Nouveaux détails et supplément à ce que la Sœur de la Nativité a fait écrire dans les premiers volumes sur la révolution, ses suites et ses progrès. Essais continuels des impies jusqu’à la fin du monde pour détruire la foi en Jésus-Christ et renverser son Église. Intervalles de paix pour l’Église, toujours subsistante malgré leurs efforts. Ses triomphes, et conversions éclatantes parmi ses plus grands ennemis et parmi les complices mêmes de l’Antéchrist. Quelques circonstances du règne de l’Antéchrist. Sa chute. Sort de ses complices….. 392
§. I. Mort de Louis XVI. Son bonheur dans le ciel……  ibid.
§. II. Vision et description d’un arbre prodigieux à quatre grosses racines, figure de l’impiété qui menace d’opprimer l’Église. Efforts des enfants de l’Église pour abattre et déraciner cet arbre…. 394
§. III. Après un temps assez long, l’arbre est enfin abattu. Triomphe et paix de l’Église pendant un certain temps. Conversion de plusieurs de ses persécuteurs. La foi s’étend dans plusieurs contrées… 401
§. IV. Les quatre grosses racines poussent tout-à-coup leurs rejetons. Vision du bel arbre de l’Église et des quatre arbres sortis des racines du premier. Nouvel assaut contre l’Église, qui en triomphe… 405
§. V. Les impies se cachent de nouveau dans des souterrains, et composent des livres pernicieux. Leurs progrès rapides et cachés. Hypocrisie diabolique de leurs associés. Fiers de leurs succès, ils sortent de leurs retraites, et trompent les peuples par leurs fausses et apparentes vertus. Étonnement et affliction de l’Église, qui s’assemble en concile et découvre enfin leur hypocrisie….. 410
§. VI. Moyens spirituels employés par l’Église dans une si grande désolation. Un grand nombre d’âmes séduites se convertissent. Rage et dépit des hypocrites; leur abominable doctrine. Ils vont consulter leurs chefs. Conversions éclatantes de plusieurs des chefs et des suppôts de Satan, qui deviennent des saints et même des martyrs……423
§. VII. Après la conversion de plusieurs d’entre eux les chefs de l’assemblée impie se dévouent au service de Satan. Il leur annonce et leur promet pour chef l’Antéchrist. Serments exécrables contre Jésus-Christ. Loi anti-chrétienne jurée et signée. Horrible soulèvement de l’enfer contre l’Église…. 437
§. VIII. Chute terrible et effrayante de l’Antéchrist et de ses complices… 452
§. IX. État de l’Église et du Monde après la chute de l’Antéchrist… 457
§. X. Circonstance du règne de l’Antéchrist oubliée par la Sœur, et qu’elle rapporte ici…. 460
§. XI. Ce que la Sœur a connu en Dieu par rapport au temps présent… 461
Lettres de la Sœur de la Nativité, à M. Genêt, et à M. le Roy, doyen de la Pèlerine, ses confesseurs. — Première Lettre.  À M. Genêt… 465
Deuxième Lettre.  À M. le Roy, doyen de la Pèlerine, pour faire passer ensuite à M. Genêt, en Angleterre … 469
Troisième Lettre. À M. Genêt…. 484
Certificat de madame Sainte-Magdeleine, Supérieure de la Sœur de la Nativité… 492

Fin de la Table des matières du 4e volume.

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2019-04-10