L’ANNÉE MARIALE par la Mère de Chaugy

Honorons la sacrée Vierge à son arrivée en Égypte, sous le titre de la Femme forte. Oh ! quelle force ! Elle porte entre ses bras Celui que le ciel et la terre ne peuvent comprendre et qui porte en ses mains la machine de l’univers ; mais elle porte ce Roi affaibli, petit, muet, sans défense au milieu de ses plus grands ennemis. Ô Marie, que votre force est admirable ! Ô femme ! Ô Vierge, que votre foi est grande ! Eh ! que de confusion à mon peu de foi qui me fait craindre, frémir et précautionner contre le bras de chair au moindre bruit de contradiction. Ô Sainte Vierge, il semble qu’un de nos plus grands plaisirs dans le ciel sera de savoir le détail de toutes les mêmes actions et souffrances de Jésus Enfant, des soins et des services que vous lui avez rendus avec le glorieux saint Joseph dans le temps de son enfance, de sa fuite et de son exil.

Considérons aujourd’hui fort attentivement où la sainte Famille de Jésus, Marie, Joseph, arrivée en Égypte, ira se loger et se reposer. Hélas ! y aura-t-il quelques Obédédom si heureux que de recevoir l’Arche du Seigneur et le Seigneur de l’Arche ! Ce sont des mystères qui nous sont inconnus ; mais il est à croire que saint Joseph, qui aimait la retraite et la vie cachée, choisit un lieu retiré et paisible pour asseoir sa petite ruche toute pleine de la rosée du ciel. Présentons-nous à ce grand Saint et à la Sainte Vierge pour les servir ; fût-ce même parmi les ténèbres de l’Égypte de la tribulation, ce serait trop de grâce d’être avec Jésus, Marie, Joseph. Il ne faut point craindre les sauterelles, les mouches, les serpents ni les autres plaies d’Égypte quand le Sauveur est avec nous, car c’est le vrai Moïse qui nous en saura bien délivrer.

Honorons aujourd’hui la sainte Famille de Jésus, Marie, Joseph, avec la douce pensée de plusieurs anciens écrivains catholiques, qui assurent que le Sauveur du monde, arrivant en Égypte entre les bras de sa sainte Mère, les idoles de cette nation infidèle se renversèrent en plusieurs lieux et furent muettes en d’autres dans leur temple ; ce qui causa un prodigieux étonnement dans tout le royaume. Mais nous n’en devons pas être étonnées ; car, comment Dagon et Bélial pourraient-ils demeurer avec l’Arche du Dieu vivant ? Réjouissons-nous, avec Marie et Joseph, de cette première victoire contre les démons et les infidèles. Humilions-nous intérieurement de ce que le Sauveur vient si souvent dans l’Égypte de notre âme en son divin Sacrement, et de ce que, néanmoins, les idoles de nos inclinations, passions et affections ne sont pas renversées ; bien loin d’êtres anéanties et réduites en poudre à ses pieds, elles osent encore parler en faveur du péché en la présence de ce vrai Dieu.

Employons ce jour à considérer comment la sacrée Vierge et saint Joseph rendirent d’abord leur séjour d’Égypte aussi tranquille que celui de Nazareth, parce qu’il suffit d’avoir Jésus avec soi pour être heureux partout, quand on y est par l’ordre de la divine Providence : que ce soit en Égypte, comme Marie et Joseph, que ce soit au milieu des croix, comme le bon larron. Qui espère et travaille pour l’éternité se soucie fort peu du lieu qu’il habite sur la terre, et ni les adresses d’Hérode, remplies de fureur, ni les malicieuses intentions de Pharaon, ni celles de toute l’Égypte, ne doivent point troubler le repos, la tranquillité et la paix d’esprit de ceux qui, au milieu de leur exil, privations et traverses, savent, par la divine grâce, converser avec Jésus, Marie et Joseph ; car, l’âme chrétienne porte dans soi son trésor à leur imitation, toutes ses prétentions n’étant qu’en Jésus, même dans la privation de toute autre chose.

Honorons aujourd’hui la sacrée Vierge et saint Joseph comme de véritables Israélites qui, ayant sincèrement le zèle de la loi, aimèrent mieux vivre pauvrement, austèrement et petitement de pain et de légumes que de manger les viandes d’abomination et d’idolâtrie de l’Égypte.

Employons ce mois selon l’esprit de l’Église, qui entre dans le temps de la pénitence, et honorons la sacrée Vierge, qui commence à suivre son divin Fils dans sa vie douloureuse, où elle souffre en Lui, avec Lui, comme Lui, pour le salut des pécheurs.

Que si la sainte quarantaine n’est pas encore ouverte en ce premier jour de mars, nous pouvons bien, néanmoins, commencer la série de nos méditations douloureuses et nous préparer à suivre Notre-Seigneur Jésus-Christ au désert, pour y combattre le démon et triompher des tentations de cet ancien ennemi. Mais considérons, en même temps, cette première tristesse du Cœur de la sacrée Mère, quand son divin Fils la quitta, après une cohabitation de trente années, pour commencer sa vie publique. Certes, l’amour que le très-saint Cœur de la Vierge avait pour Notre-Seigneur, non-seulement en tant qu’il était son Dieu, mais encore en tant qu’il était son Fils, ne se peut concevoir de nos petits esprits. Or, si l’amour qu’elle lui portait était si grand, combien fut grande la douleur qu’elle ressentit de le quitter et d’être frustrée de sa présence corporelle. – Ô sacrée Vierge ! faites-moi cette grâce que, lors même que mon Sauveur semble me quitter pour un temps et se cacher au désert, ou bien m’y laisser moi-même, mon cœur lui demeure toujours amoureusement uni, et que les pièges du tentateur ne soient jamais capables d’interrompre cette union.

Exécutons aujourd’hui notre résolution et disposition d’hier, et suivons tout de bon NOTRE-SEIGNEUR au DÉSERT pour nous y établir dans un plus grand recueillement et pour y combattre le bon combat. Entrant dans la pieuse pensée et l’imagination de notre saint Fondateur, figurons-nous que nous rencontrons la très-sainte Mère du divin solitaire Jésus, et « qu’elle nous donne le choix du lieu où nous désirons faire notre demeure. Sans doute nous lui dirons : – Madame, où est votre Fils ? et elle nous répondra : – Mon Fils est au désert, où il doit demeurer quarante jours, jeûnant, veillant et priant continuellement. – Ô Madame ! lui dirons-nous, je ne veux donc point d’autre lieu, s’il vous plaît, pour ma demeure, que le désert où est Notre-Seigneur, car là où il est tout bien y abonde et la consolation n’y manque point !

« Gardez-vous bien pourtant, ajoute notre bienheureux Père, de croire que la tentation n’y peut avoir d’entrée. Oh ! ma chère âme, ne savez-vous pas que Notre-Seigneur, ayant été tenté durant les quarante jours qu’il fut au désert, ç’a été pour nous apprendre que nous le serions tout le temps que nous demeurerions au désert de cette vie mortelle, qui est le lieu de notre pénitence ; car la vie du parfait chrétien, mais spécialement des âmes religieuses, doit être une continuelle pénitence. Consolez-vous donc et prenez courage, le temps du repos n’est pas maintenant. » (Saint François de Sales, Sermon pour le premier dimanche de carême)

Considérez aujourd’hui l’HUMILITÉ et le RENONCEMENT de la sacrée Vierge, se joignant aux autres pieuses femmes qui suivaient et assistaient Notre-Seigneur pendant ses prédications. Elle ne se nomme point et ne se montre point au peuple comme la Mère de Celui qui faisait tant de miracles et les émerveillait par la beauté de sa doctrine ; mais elle demeure cachée dans la foule, « n’y voyant que son Bien-Aimé, sans s’arrêter à aucune pensée d’honneur, de prééminence, de dignités et semblables bagatelles.

« Considérez-vous dans cet excellent miroir de la vie religieuse et dans ses exemples que la sacrée Vierge vous a donnés de la parfaite abnégation du monde, de la chair et de soi-même, qui se doit pratiquer en la religion ; car il ne suffit pas, pour être Religieuse, d’en porter l’habit, si l’on ne retire ses affections du monde par une parfaite abnégation de toutes ses vanités. » (Sermons de saint François de Sales)

Honorez aujourd’hui le SILENCE d’adoration de la sacrée Vierge durant les prédications de son divin Fils, joint au soin incomparable qu’elle eut toujours de le bien servir, tandis qu’il fut en cette vie mortelle. « Certes, dit notre Père saint François de Sales, cette glorieuse Vierge fit admirablement bien l’exercice de l’une et l’autre sœurs Marthe et Marie. » Mais, parmi tous ses soins pour le service de Notre-Seigneur, lesquels étaient sans trouble et sans empressement, « il semblait que notre digne Maîtresse n’eût qu’un seul soin, qui était de se tenir en la présence de son Bien-Aimé et d’écouter ses divines paroles, se tenant en une parfaite indifférence de tout le reste. Arrive tout ce qu’il voudra, qu’il me console ou qu’il m’afflige (disait cette sainte Vierge), pourvu que je sois toujours auprès de lui et que je le possède, je suis contente, puisque je ne veux ni ne cherche que lui seul. »

Ô sacrée Vierge ! faites-moi la grâce de pouvoir répéter après vous ces paroles de salut et de sanctification !

Considérez aujourd’hui, selon la pensée profonde de notre bienheureux Père, que la sacrée Vierge ne fut PAS PRÉSENTE sur le Thabor à la glorieuse TRANSFIGURATION de son divin Fils, non plus que dans les autres lieux et circonstances de sa vie mortelle, où il pouvait y avoir quelque sorte de gloire et d’honneur à partager avec lui ; mais vous la trouvez toujours fidèle à son poste, partout où il faut souffrir et compatir à ses douleurs et humiliations.

Ah ! Vierge Sainte ! faites-moi la grâce de vous imiter en cela, ce qui ne m’empêchera pas d’aimer tendrement les caresses tant aimables de Jésus. Oui, mon cher Sauveur, je sais bien que dans toutes vos transfigurations vous demeurez toujours également immuable ; mais je sais aussi que vous êtes tout en toutes choses ; qu’il n’est rien de si fort ni de si faible, de si doux ni de si amer, de si lumineux ni de si obscur, où je ne puisse trouver mon Dieu.