Méditation avec Le Traité de l'Amour de Dieu de St François de Sales
19 avril
LIVRE SECOND
CHAPITRE IV
De la providence surnaturelle que Dieu exerce envers les créatures raisonnables.
Mais parce que cette suprême sagesse avait délibéré de tellement mêler cet amour originel avec la volonté de ses créatures, que l'amour ne forçât point la volonté, ains lui laissât sa liberté, il prévit quune partie, mais la moindre de la nature angélique, quittant volontairement le saint amour, perdrait par conséquent la gloire.
Et parce que la nature angélique ne pourrait faire ce péché que par une malice expresse sans tentation ni motif quelconque qui le pût excuser, et que d'ailleurs une beaucoup plus grande partie de cette même nature demeurerait ferme au service du Sauveur, partant. Dieu, qui avait si amplement glorifié
sa Miséricorde
au dessein de la création des anges, voulut aussi magnifier (élever, exalter) sa justice, et en la fureur de son indignation résolut d'abandonner pour jamais cette triste et malheureuse troupe de perfides, qui en la furie de leur rébellion l'avaient si vilainement abandonné.
Il prévit bien aussi que le premier homme abuserait de sa liberté, et quittant la grâce il perdrait la gloire; mais il ne voulut pas traiter si rigoureusement la nature humaine comma il délibéra de traiter l'angélique. C'était la nature humaine de laquelle il avait résolu de prendre une pièce bienheureuse, pour l'unir à sa divinité.
Il vit que c'était une nature imbécille, un vent qui va et qui ne revient pas, c'est-à-dire qui se dissipe en allant.
Il eut égard à la surprise que le malin et pervers Satan avait faite au premier homme, et à la grandeur de la tentation qui le ruina, Il vit que toute la race des hommes périssait par la faute d'un seul; si que par ces raisons il regarda bien notre nature en pitié, et se résolut de la prendre à merci.
Mais afin que la douceur de
sa Miséricorde
fût ornée de la beauté de sa justice, il délibéra de sauver l'homme par voie de rédemption rigoureuse; laquelle ne se pouvant bien faire que par son Fils, il établit quicelui rachèterait les hommes, non seulement par une de ses actions amoureuses qui eût été plus que très suffisante à racheter mille millions de mondes, mais encore par toutes les innumérables actions amoureuses et passions douloureuses quil ferait et souffrirait jusques à la mort, et la mort de la croix à laquelle il le destina, voulant qu'ainsi il se rendit compagnon de nos misères, pour nous rendre par après compagnons de sa gloire, montrant en cette sorte les richesses de sa bonté, par cette rédemption copieuse, abondante, surabondante, magnifique et excessive, laquelle nous a acquis et comme reconquis toue les moyens nécessaires pour parvenir et arriver à la gloire, de sorte que personne ne puisse jamais se douloir (se plaindre), comme si
la Miséricorde divine
manquait à quelqu'un.
CHAPITRE V
Que la Providence céleste a pourvu aux hommes une rédemption très abondante.
Or disant, Théotime, qu'a Dieu avait vu et voulu une chose premièrement, et puis secondement une autre, observant ordre entra ses volontés, je l'ai entendu selon qu'il a été déclaré ci-devant, à savoir, qu'encore que tout cela s'est passé en un très seul et très simple acte; néanmoins par icelui, l'ordre, la distinction, et la dépendance des choses n'a pas été mains observée, que s'il y eût en plusieurs actes en l'entendement et volonté de Dieu.
Étant donc ainsi que toute volonté bien disposée, qui se détermine de vouloir plusieurs objets également présents, aime mieux, et avant tous, celui qui est le plus aimable ; il s'ensuit que la souveraine Providence faisant son éternel projet et dessein de tout ce qu'elle produirait, elle voulut premièrement et aima, par une préférence d'excellence, le plus aimable objet de son amour, qui est notre Sauveur; et puis, par ordre, les autres créatures, selon que plus on moins elles appartiennent au service, honneur et gloire dicelui.