Durant le Carême de 2022, un document au vitriol, signé d’un certain Demos (le peuple) avait circulé dans les « Palais sacrés », dénonçant ce qui était qualifié de « pontificat catastrophique ». Ce document avait été reproduit sur le blog de Sandro Magister (en français ici: www.diakonos.be/settimo-cielo/), avant que le même Magister ne révèle que l’auteur n’était autre que le cardinal Pell, le 11 janvier, jour de la mort du cardinal. Lequel venait d’accorder une interview à Damian Thomson, le directeur de l’hebdomadaire conservateur anglais « The Spectator« , dans laquelle il exprimait en termes de feu ce qu’il pensait du Synode, et de la direction que prenait l’Eglise sous la conduite de François. Luisella Scrosati résume les faits pour La Bussola.

Papauté désastreuse » et « Synode toxique » : le legs-dénonciation de Pell

Luisella Scrosati
La NBQ, 13 janvier 2023

Dans son dernier article pour The Spectator, le cardinal Pell a carrément qualifié le document du Synode de « cauchemar toxique », « l’un des documents les plus incohérents émis par Rome » qui ne prend pas de positions définitives sur « l’avortement, la contraception, l’ordination des femmes au sacerdoce, les actes homosexuels ». Son jugement sur la papauté, qualifiée de « catastrophe », est tout aussi drastique , comme cela ressort de la révélation que le cardinal de 81 ans, décédé mercredi à Rome, était à l’origine du mémorandum remis aux cardinaux sous le pseudonyme de Demos.

La mort du pape Benoît XVI a été un détonateur. L’archevêque Georg Gänswein a été le premier à ne plus pouvoir garder secrètes la grande souffrance et l’opposition du pape émérite d’alors face à la décision de son successeur d’interrompre brutalement la « réforme de la réforme » qu’il appelait de ses vœux et qui a trouvé son aboutissement dans le Motu Proprio Summorum Pontificum. Un acte, en 2007, que Benoît XVI avait vivement souhaité et mis en place en toute connaissance de cause, lui qui connaissait bien les lignes de réforme tracées par la Constitution liturgique Sacrosanctum Concilium, les grandes souffrances qui avaient accompagné les excommunications de 1988 et le long, difficile et patient travail de recollage qui avait été entrepris depuis.

Puis ce fut le tour du cardinal Robert Sarah, qui, bien que sur un ton plus modéré, a révélé au monde la douleur du pape Benoît XVI face aux tentatives de vouloir « assouplir » la loi sur le célibat des prêtres dans l’Église latine. « Nous avons collaboré étroitement à la publication de notre réflexion sur le célibat des prêtres. Je garderai ces jours inoubliables dans le secret de mon cœur. Je conserverai au fond de ma mémoire sa profonde souffrance et ses larmes, mais aussi sa volonté tenace et intégrale de ne pas céder aux mensonges », a confessé le cardinal dans son hommage à Benoît XVI.

Puis ce fut le tour, le dernier jusqu’à présent, du cardinal George Pell, avec un article écrit pour l’hebdomadaire anglais The Spectator, peu avant sa mort subite le 10 janvier. Une charge contre le document de travail pour la phase continentale du Synode, que Pell a décrit sans détour comme un « cauchemar toxique », « l’un des documents les plus incohérents publiés par Rome », « un pot-pourri, un déversement de bienveillance de style New Age ». Le discours du Synode sur la Synodalité est un irénisme insipide, un dialogue à tout prix, « où l’on rejette la distinction entre croyants et non-croyants », où l’on estime qu’il ne faut pas « établir ou proposer des positions définitives » sur tous les sujets qui pourraient rencontrer des positions différentes : « l’avortement, la contraception, l’ordination des femmes au sacerdoce, les actes homosexuels », voire  » a polygamie, le divorce et le nouveau mariage ».

Pell a courageusement dénoncé l’hostilité du document à l’égard de la tradition apostolique, son refus de reconnaître le Nouveau Testament comme la Parole de Dieu, « normative pour tout enseignement de la foi et de la morale ». Même l’Ancien Testament est ignoré, « y compris les dix commandements ». Et puis le désaveu total de l’exercice de l’autorité dans l’Église, les évêques étant en substance privés de pouvoir et réduits à des courriers : « Les évêques ne sont pas là simplement pour valider une procédure correcte et donner un ‘nihil obstat’ à ce qu’ils ont constaté ». La seule autorité reconnue dans le document est celle de « l’amour et du service », tandis que l’on estime que « le modèle pyramidal de l’autorité doit être détruit ». Le synode est devenu une affaire entre la commission organisatrice et le pape, entre les textes produits par la première et l’approbation du second, amputant la responsabilité des évêques et abusant ainsi de la synodalité authentique.

Pell a également fait état des sentiments suscités par le document chez les ex-Anglicans, qui y reconnaissent, avec un jugement immédiat, « la confusion croissante, l’attaque des valeurs morales traditionnelles et l’insertion d’un vocabulaire néo-marxiste dans le dialogue » : la présence répétée de termes tels que « exclusion, aliénation, identité, marginalisation, sans voix, LGBTQ  » trahit la contamination marxiste du texte, tandis que le langage propre à la foi disparaît de l’horizon. Un désastre, donc, sur toute la ligne, ce qui a poussé le cardinal australien à lancer un vibrant appel :  » Ce document de travail a besoin d’un changement radical. Les évêques doivent se rendre compte qu’il y a du travail à faire, au nom de Dieu, le plus rapidement possible ».

Damian Thompson, rédacteur en chef adjoint de l’hebdomadaire anglais qui a publié l’article de Pell, reconnaît le grand acte de courage du cardinal : « Il ne savait pas qu’il allait mourir en écrivant cet article ; il était prêt à affronter la colère du pape François et des organisateurs ». Courage et lucidité d’analyse. Qui ressortent également d’un autre document, un mémorandum qui circulait entre les mains des cardinaux depuis le début du Carême de l’année dernière sous le pseudonyme de « Demos » et dont Sandro Magister a révélé le 11 janvier (2023) la paternité du cardinal Pell.

Un texte précis et très dur, qui considère le pontificat actuel comme un « désastre » et une « catastrophe », un pontificat qui a transformé Rome en un centre de confusion et non de vérité. Dans l’Église, on voit de tout, du synode allemand aux propos hérétiques du cardinal Hollerich : « Et la papauté se tait », commentait « Demos », donnant une voix à ce que tant de chrétiens constatent avec une grande souffrance. Un pontificat qui a supprimé « la centralité du Christ », au point d’être confus même « sur l’importance d’un monothéisme strict, faisant allusion à un certain concept plus large de la divinité », dont le fameux épisode de la Pachamama, clairement idolâtre, est peut-être l’emblème.

Et puis « le non-respect de la loi au Vatican », François utilisant son pouvoir de « chef de l’État du Vatican et source de toute autorité de droit […] pour interférer dans les procédures judiciaires », allant jusqu’à changer « la loi quatre fois pendant le procès pour aider l’accusation ». L’injustice, les écoutes téléphoniques, un climat de contrôle étouffant, la catastrophe économique et la versatilité du pape à l’égard des réformes financières. « Au départ, le Saint-Père a fortement soutenu les réformes. Il a ensuite empêché la centralisation des investissements, s’est opposé aux réformes et à la plupart des tentatives visant à dénoncer la corruption, et a soutenu l’archevêque (d’alors) Becciu, au centre de l’establishment financier du Vatican. Puis, en 2020, le pape s’est retourné contre Becciu et finalement dix personnes ont été jugées et inculpées ».

Et encore, l’effondrement de l’influence politique du Vatican au cours de ces dix années, l’abandon des fidèles dans la Chine persécutée, la persécution directe des traditionalistes et des monastères contemplatifs, et l’imparable désaffection des fidèles à l’égard du pape, dont témoigne la « forte baisse du nombre de pèlerins assistant aux audiences et aux messes papales », un temps masquée par la crise sanitaire, mais désormais impitoyablement évidente.

Pour le prochain conclave, Pell recommandait de donner la priorité au « rétablissement de la normalité, à la restauration de la clarté doctrinale dans la foi et la morale, au rétablissement du respect de la loi et à la garantie que le premier critère de nomination des évêques soit l’acceptation de la tradition apostolique ». Et il mettait en garde contre la prolifération des synodes, qui drainent des fonds qui devraient plutôt être destinés à l’évangélisation, et qui mettent en danger l’unité de l’Église. Et puis la probabilité d’un schisme provenant « de la droite » en raison de la persistance de « tensions liturgiques ». Une prophétie ?

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