Quiétisme

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Dans le Christianisme, le quiétisme incarne un mouvement mystique et spirituel qui a émergé au XVIIe siècle, principalement dans la tradition catholique. Parmi les protestants, une doctrine similaire s'observe chez les quakers. Il met l'accent sur la contemplation et le silence intérieur et la recherche de l'union directe avec Dieu. Cet itinéraire spirituel de « cheminement vers Dieu » est caractérisé par une grande passivité spirituelle et confiance en Dieu et la soumission totale à la volonté divine. Pour les quiétistes, l'union à Dieu, bien avant la mort, est le but de la vie chrétienne.

Né en Italie, ce courant se répand ailleurs aux XVIIe et XVIIIe siècles. L'une des figures clés du quiétisme chrétien est Miguel de Molinos, un prêtre espagnol du XVIIe siècle. Molinos a développé et promu l'idée de l'abandon total de soi à la volonté de Dieu, préconisant une vie intérieure de paix et de silence. Cet itinéraire passe par un désir continuel de « présence à Dieu », de quiétude et d’union avec Dieu aboutissant au terme du cheminement, à un dépassement mystique des étapes qui permet le cheminement lui-même (pratiques ascétiques et respect des contraintes de la vie liturgiques). Cependant, ses enseignements suscitent la controverse car certains les interprétent comme une forme d'antinomianisme, suggérant que les pratiquants du quiétisme pourraient négliger les obligations morales et religieuses externes au profit de la méditation intérieure.

Le quiétisme est critiqué par l'Église catholique, en particulier par les autorités ecclésiastiques, qui voient en lui des éléments potentiellement hérétiques. En 1687, le pape Innocent XI condamne certaines propositions quiétistes, et en 1689, une bulle papale intitulée Coelestis Pastor condamne explicitement le quiétisme de Molinos, qui est lui-même condamné à la prison à vie, malgré son abjuration.

L'année suivante, la femme de lettres Madame Guyon amène le débat en France en répandant une théorie du « pur amour de Dieu » assez proche du quiétisme déjà condamné. Fénelon est séduit par ces idées et se lance avec Jacques-Bénigne Bossuet dans un long affrontement idéologique. Finalement le pape Innocent XII doit intervenir et condamne Fénelon ainsi que Madame Guyon en 1699.

La conséquence du long débat entre Bossuet et Fénelon, et la défaite de ce dernier, est une crise religieuse et le discrédit du mysticisme chrétien au cours du siècle suivant.

Le quiétisme chrétien est souvent comparé avec l'hésychasme pratiqué dans la tradition orthodoxe, tous deux partageant la quête d'union avec le divin. Néanmoins, là où le quiétisme met l'accent sur la contemplation silencieuse et l'abandon intérieur pour atteindre l'union avec Dieu, l'hésychasme privilégie la prière active, notamment la répétition du Nom de Jésus, pour rechercher l'illumination intérieure et la communion avec Dieu.

Étymologie[modifier | modifier le code]

Le terme « quiétisme » dérive du mot latin quietus, qui signifie « calme » ou « tranquille ».

Historique[modifier | modifier le code]

Quiétisme ou molinisme[modifier | modifier le code]

Miguel de Molinos lors de son abjuration à l'église de la Minerve (Rome), en 1687

Le quiétisme est un courant spirituel rattaché à des traditions plus anciennes dans le christianisme telle que l'hésychasme des XIIIe et XIVe siècles, ou la devotio moderna des XIVe et XVe siècles[1],[2].

Le quiétisme prend naissance en Italie vers la fin du XVIIe siècle. Il fut prêché par un prêtre et théologien espagnol, Miguel de Molinos (1628-1696), qui expose cette doctrine dans son Guide philosophique (1675). Dans son ouvrage, le père Molinos explique que « lorsque l'âme parvient à s'unir étroitement à Dieu, elle se trouve dans un état de repos parfait (quies en latin se traduit par « repos »), et n'a plus alors ni acte à produire, ni effort à faire, ni même résistance à opposer à la tentation : l'âme ne pèche plus, même si elle semble aller à l'encontre de la loi de Dieu »[1].

La conséquence de ces thèses serait une mésestime de la structure hiérarchique de l'Église catholique (la contemplation se faisant en dehors de tout cadre d'Église), le refus de tout désir pour soi et de tout acte (prière, remerciement, résistance à la tentation) et l'abandon au péché : le péché sans consentement ne troublant pas la parfaite union avec Dieu[3],[4].

Cette doctrine « accusée de mépriser l'autorité ecclésiastique et de prôner une morale relâchée » est condamnée par le pape Innocent XI dans la bulle Coelestis Pastor (le pasteur des cieux) en 1687[1]. Molinos, obligé d'abjurer publiquement, finit sa vie en résidence surveillée dans un couvent.

Relance du quiétisme en France[modifier | modifier le code]

Après cette condamnation, une jeune mystique française, Jeanne-Marie Bouvier de la Motte, épouse Guyon (1648-1717) répand une théorie du « pur amour de Dieu » assez proche de celle de Molinos. Sa doctrine représente une réaction anti-intellectualiste et anti-activiste voisine du piétisme protestant qui se développe à la même époque en Hollande et en Allemagne. Ses écrits l'amènent, à plusieurs reprises, à être consignée dans un couvent. Fénelon, séduit par les idées de Madame Guyon, s'en fait le promoteur et le défenseur[1].

Plaque commémorant le débat sur le quiétisme entre Bossuet et Fénelon. Séminaire Saint-Sulpice, Issy-les-Moulineaux.

En 1695, une commission est constituée à la demande de Louis XIV (sous l'influence de Madame de Maintenon). Cette commission, présidée par Bossuet, condamne les idées de Madame Guyon. Mais en 1697, Fénelon publie une Explication des maximes des saints sur la vie intérieure où il défend la doctrine du « pur amour » en s'appuyant sur les Pères Grecs (Clément d'Alexandrie et Jean Cassien, notamment) et sur de nombreux mystiques chrétiens occidentaux.

Une controverse s'engage entre Fénelon et Bossuet, qui se termine en 1699 par la condamnation de l'ouvrage de Fénelon par le pape Innocent XII[5]. Cette condamnation marque la victoire de Bossuet sur Fénelon[6], mais laisse de lourdes conséquences dans la mystique chrétienne[1].

Conséquences de cette crise[modifier | modifier le code]

La « doctrine du pur amour », violemment combattue par Bossuet, alimente une crise religieuse en France dans les dernières années du XVIIe siècle. La victoire de Bossuet sur Fénelon (qui s'inclina devant l'autorité papale) et Mme Guyon entraîna la fin du mysticisme chrétien en France, ce que Louis Cognet a appelé « le crépuscule des mystiques ».

En effet, le mouvement mystique sort discrédité de ce débat, et cette condamnation prépare les réactions anti-mystique des siècles suivants[1]. Ainsi, de nombreux mystiques, parfois même antérieurs à Molinos, furent considérés par certains auteurs comme « quiétistes ». Ce fut le cas par exemple de Thérèse d'Avila, ce qui poussa certains auteurs à de vibrants plaidoyers pour réfuter ces accusations ; comme le fit Robert Arnauld d'Andilly, dans un préambule d'une de ses publications d'ouvrage thérésien[7]. De même Jean de la Croix, cité et repris par Fénelon dans son livre Maximes des Saints, se retrouve implicitement discrédité (en France), par la condamnation de Fénelon[8]. Parmi les protestants, un contemporain de Mme Guyon, Jean de Labadie a été qualifié de quiétiste.

Au XIXe siècle[modifier | modifier le code]

Le mouvement mystique des Âmes Intérieures s'inspire des thèses de Madame Guyon. En Suisse, à Lausanne, le Cercle lausannois des Âmes Intérieures s'est réuni entre 1750 et 1850.

Au XXe siècle[modifier | modifier le code]

Jean-Paul Sartre écrit à propos du quiétisme : « c'est l'attitude des gens qui disent : les autres peuvent faire ce que je ne peux pas faire »[9].

René Guénon[modifier | modifier le code]

En 1945, l'écrivain ésotériste René Guénon, dans un article intitulé Contre le Quiétisme[10], tout en rappelant que le terme « a été créé [...] pour désigner une forme de mysticisme, [...] dont le caractère principal est de pousser à l'extrême la passivité qui [serait] inhérente au mysticisme comme tel », l'utilise dans une acception qui s'applique aux doctrines métaphysiques orientales, dont l'Hindouisme et le Taoïsme. Il relève l'erreur qui — selon lui — consiste à « voir du quiétisme » dans toute doctrine qui met la contemplation au-dessus de l'action, c'est-à-dire dans toute doctrine « traditionnelle ». Ainsi cite-t-il les cas de l'hindouisme et surtout du taoïsme, au sujet duquel certains auteurs seraient enclins à parler de « quiétisme » à cause du rôle qu'y joue la notion du « non-agir » (wou wei), que nombre d'orientalistes (par exemple Marcel Granet[11]) font synonyme de « passivité », d'« inactivité » voire d'« inertie » ou d'un « détachement » qui, pour Guénon, ne saurait être comparé à l'indifférence professée par le quiétisme.

Jacques Le Brun, dans Le Pur amour, de Platon à Lacan, met en évidence les liens de continuité qui font du quiétisme une doctrine fondamentale.

Mystique chrétienne, oraison et quiétisme[modifier | modifier le code]

Si l'Église catholique, dans son catéchisme[12], appelle chaque chrétien à une vie mystique et à l'« union intime avec Dieu »[13], elle indique néanmoins plusieurs points de désaccord avec la doctrine prônée par Molinos[14] :

  • absence d'efforts une fois l'âme unie à Dieu : pour l'Église, l'union à Dieu demande un effort permanent de la volonté et de l'intelligence pour garder « un cœur droit ». Le témoignage des autres chrétiens (les saints) sont une aide importante pour progresser[15].
  • inutilité des sacrements : pour l'Église, « recevoir l’Eucharistie dans la communion porte comme fruit principal l’union intime au Christ Jésus. »[16].
  • inutilité de la prière : pour l'Église, la prière est une démarche d'amour vers Dieu, une réponse à la démarche de Dieu vers l'homme. Elle doit donc se poursuivre jusqu'à l'union et même après[17].

De son côté, Thérèse d'Avila qui a longuement parlé de l'oraison dans différents ouvrages, a également mis en garde (les supérieures de ses couvents de carmélites) contre des attitudes proches du quiétisme[18]. Dans son livre « les fondations »[19], elle recommande dans un premier temps la fermeté : d'exiger l'obéissance[20] des religieuses « mélancoliques » (l'obéissance et l'humilité s'opposent à l'orgueil de la présumée fautive et révèle sa vertu), au besoin leur donner une nourriture plus riche et abondante (pour pallier les faiblesses physiques pouvant être la cause d'illusions-hallucinations), de supprimer temporairement les temps de prières et d'oraison[21]. Pour Thérèse, les vertus croissent avec l'union de l'âme à Dieu, elles sont donc un bon indicateur du cheminement de l'âme vers Dieu, ou non.

Chez les quakers[modifier | modifier le code]

George Fox, le fondateur du quakerisme, était arrivé à la conclusion que la seule vraie spiritualité ne pouvait être atteinte qu'en se rendant disponible à l'Esprit-saint au travers du silence, et c'est sur cette fondation assez proche du quiétisme qu'il construisit le mouvement quaker. La pensée quiétiste joua également un rôle important parmi les quakers britanniques de la fin du XIXe siècle, lorsqu'un pamphlet intitulé « Une foi raisonnable » (A Reasonable Faith, by Three Friends) fut publié par les quakers William Pollard, Francis Frith et W. E. Turner (en 1884 et 1886) ; cette publication fut à l'origine d'une vive polémique avec l'aile évangélique du mouvement quaker.

Écrivains adeptes de cette doctrine[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Voltaire, Le siècle de Louis XIV, , chapitre XXXVIII, Du quiétisme
  • Henri Delacroix, Études sur le mysticisme, Paris, 1908.
  • Henri Brémond, La Querelle du pur amour au temps de Louis XIII ,1932.
  • Henri Brémond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France depuis la fin des guerres de religion jusqu'à nos jours (11 vol.) 1916-1933, t. XI. Le procès des mystiques.
  • Jean-Robert Armogathe, Le Quiétisme, PUF, coll. « Que sais-je ? », .
  • Henri Sanson, Saint Jean De La Croix Entre Bossuet et Fenelon, Puf Publications De La Faculté Des Lettres D'alger, , 120 p.
  • Jean-François Denis, Quiétisme, querelle de Bossuet et de Fénelon,, H. Delesques, , 97 p. (lire en ligne)
  • Jeanne-Lydie Goré, La Notion d'indifférence chez Fénelon, PUF, 1956.
  • P. Labrousse, La Querelle de Bossuet et de Fénelon : Thèse soutenenue devant la faculté de théologie protestantes de Montauban, Bergerac, Imprimerie de Faisandier, , 46 p. (lire en ligne).
  • Louis Cognet, Crépuscule des Mystiques, Paris: Desclée, 1958.
  • Jean Grenier, Écrits sur le quiétisme, Quimper, Calligrammes, 1984.
  • Lucien Bély (dir.), Dictionnaire Louis XIV, Paris, éditions Robert Laffont, coll. « Bouquins », , 1405 p. (ISBN 978-2-221-12482-6)
  • Jacques Le Brun, Le pur amour : de Platon à Lacan, Seuil, Bibliothèque du XXIe siècle, 2002.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a b c d e et f Le nouveau Théo : l'encyclopédie catholique pour tous, Paris, MAME, , 9106e éd., 1462 p. (ISBN 978-2-7289-1264-3), p. 416-417,436.
  2. Le Dictionnaire des sciences philosophiques de 1851 (Adolphe Franck, Dictionnaire des sciences philosophiques, t. 5, Paris, Hachette, , 545 p. (lire en ligne), p. 326) évoque également les « sectes manichéennes des albigeois et des vaudois » du XIIe siècle.
  3. A noter que ces thèses, n'ont été exprimées sous cette forme uniquement dans les documents hostiles aux quiétistes, et ces derniers, sans les renier, se sont défendus de les avoir soutenues sans nuances.
  4. Jacques LE BRUN, « Quiétisme », sur Encyclopædia Universalis, universalis.fr (consulté le ).
  5. Cette condamnation par Innocent XII aurait eu lieu à la demande de Bossuet, et sur des pressions politiques du roi de France.
  6. Fénelon se soumet à la décision du pape, quitte la cour et se retire dans son diocèse dont il conserve la charge.
  7. Son introduction est disponible en ligne Robert Arnauld d'Andilly, « DISCOURS sur le non-quiétisme de sainte Thérèse » [PDF], sur Abbaye de Saint-Benoit, www.abbaye-saint-benoit.ch (consulté le ).
  8. Louis Cognet, « Henri Sanson. Saint Jean de la Croix entre Bossuet et Fénelon », Revue de l'Histoire des religions, vol. 149, no 2,‎ , p. 264 (lire en ligne). Voir aussi : Henri Sanson, Saint Jean De La Croix Entre Bossuet et Fenelon, Puf Publications De La Faculté Des Lettres D'alger, , 120 p.
  9. Jean-Paul Sartre, L'existentialisme est un humanisme, Gallimard, coll. « Folio Essais », , 108 p. (ISBN 978-2-07-032913-7), p. 51.
  10. Publié dans la revue Éditions Traditionnelles, no 248,décembre 1945, repris dans l'ouvrage posthume Initiation et Réalisation Spirituelle, chapitre XXVI, publié aux Éditions Traditionnelles, 1952 (réédité en 2008), (ISBN 978-2-7138-0058-0).
  11. Marcel Granet : voir son ouvrage La Pensée chinoise, publié en 1934 aux Éditions Albin Michel
  12. Catéchisme de l'Église Catholique : Édition définitive avec guide de lecture, Italie, Bayard/Cerf/MAME, , 845 p. (ISBN 978-2-7189-0853-3, lire en ligne).
  13. Catéchisme de l'Église Catholique, § 2014 (lire en ligne).
  14. Ou du moins telle que celle-ci a été comprise et interprétée à l'époque.
  15. Catéchisme de l'Église Catholique, § 30 (lire en ligne).
  16. Catéchisme de l'Église Catholique, § 1391 (lire en ligne).
  17. Catéchisme de l'Église Catholique, § 2567 (lire en ligne).
  18. Thérèse d'Avila parle de « mélancolie », terme qui dans le contexte philosophique de son époque, désignait une attitude proche de celle défendue par Molinos.
  19. Thérèse d'Avila, Les fondations, Bruxelles, (lire en ligne), chapitres 6 à 8.
  20. Le vœu d'obéissance, fait partie des vœux prononcés par le religieux lors de son entrée dans le couvent.
  21. Thérèse d'Avila 1610, chapitre 7.

Annexes[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]