Manifester pour la Messe ?

Manifester pour la Messe ?

Abbé Hervé Belmont

Le confinement « sanitaire » ordonné par le gouvernement français inclut l’interdiction des offices religieux publics. Tout en autorisant l’ouverture des « lieux de culte », ce gouvernement prohibe l’utilisation de ces lieux pour le « culte » qui fait leur raison d’être. Voilà une logique ardue à suivre : aurait-on l’idée d’autoriser l’acquisition ou l’usage d’une automobile tout en y interdisant la présence d’un moteur ?

En notre beau pays, la Messe semble évidemment la première victime de ces restrictions qui, sans jeu de mots, confinent à l’abolition.

En cette conjoncture, des catholiques ont souhaité protester contre cette aberration, et ont organisé des rassemblements dans différentes villes de France, le plus souvent possible devant une église cathédrale ou tout au moins remarquable. Une part importante de ces protestataires est composée de jeunes tradis, et c’est à eux surtout que j’adresse les quelques réflexions qui suivent.

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1.  Beaucoup de gens sont malvenus de crier à la « dictature sanitaire », qui, à l’occasion des vœux du nouvel an, souhaitent stupidement à leur entourage « … et surtout la santé, c’est le plus important ». Mettre la santé au premier rang de l’espérance, c’est en faire un dieu : il est dès lors bien normal qu’on lui sacrifie tout le reste, y compris le culte de Notre Père qui êtes aux Cieux.

La « dictature sanitaire » existe depuis longtemps dans les têtes des gouvernants et des gouvernés, et dans les institutions où elle sert de prétexte abominable pour assassiner les enfants à naître et violer les lois divines naturelles qui régissent le Mariage et ce qui s’y rapporte. Le Bon Dieu nous donne là une forte occasion de rectifier notre échelle de valeurs (même dans les vœux de bonne année). Adoptons sincèrement et résolument celle que Jésus-Christ nous enseigne dans le Pater Noster.

2.  Le gouvernement a autorisé certains de ces rassemblements à la condition qu’il s’agisse de manifestations, et non de prières ou de Messes. Il est difficile de faire plus révélateur de la crainte qui habite nos chers élus, ceux qui sont censés gouverner en notre nom, mais qui se moquent royalement de nous… pardon, je corrige : républiquement de nous.

En agissant ainsi, l’injonction gouvernementale nous aide à discerner ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire : il suffit d’en prendre le contre-pied. On peut se rassembler à la condition qu’il s’agisse de prier et non de manifester. La prière dessert les objectifs du gouvernement, qui est plus ou moins conscient de profiter de la puissance du diable et de l’anesthésie du sens moral. Une manifestation au contraire sert parfaitement ses objectifs. Rappelez-vous ce que disait Lénine ; il annonçait que le communisme ferait perdre la foi aux chrétiens non point en la contrariant par une prédication marxiste, mais en les entraînant dans la « lutte de classe », qui « les amènera à l’athéisme cent fois mieux qu’un sermon athée » (Lénine, De la religion, Bureau d’éditions [communistes], Paris 1933, notamment pp. 15-18).

Cette « prophétie » de Lénine s’est tragiquement réalisée dans l’affaire des prêtres-ouvriers. Plus proche de nous, une bonne partie des Gilets-jaunes, qui au départ étaient de braves gens, se sont réveillés gauchistes et n’ont efficacement nui, en définitive, qu’aux gens de situation modeste. Un comble ? non, une logique implacable dès qu’on a choisi d’user d’un moyen révolutionnaire par nature.

Le gouvernement ne craint pas les braillards (d’autant plus que ça rime très souvent avec couards) : ceux-ci font (inconsciemment ?) partie du jeu dit démocratique jeu qui les modèlera petit à petit et les retournera ou les écrasera. Les « chevaliers braillards », avec peur et reproche, rejoindront bien vite la « religion » et la médiocrité ambiantes.

3.  Si l’on veut travailler au retour de la Messe, alors ce n’est pas contre le gouvernement qu’il faut se lever. Celui-ci ne fait qu’en interdire l’accès. Mais il y a quelqu’un, il y a tout un système en prolongement, qui a interdit l’existence même de la Messe. J’ai nommé Paul VI et ses quatre successeurs, j’ai nommé l’« Église dite conciliaire » qu’ils président. Ne nous trompons pas de cible. Depuis 1969 et la promulgation du novus ordo missæ, on a privé l’ensemble des catholiques de la Messe, en substituant au sacrifice de Jésus-Christ une simple mémoire à la mode luthérienne.

4.  D’ailleurs, vers qui pouvons-nous nous retourner pour réclamer la Messe ? La destruction de la Messe a été accompagnée d’une destruction parallèle et également radicale : celle du sacerdoce et de l’épiscopat. En juin 1968, le nouveau rituel des ordinations, et plus encore celui des sacres, a été infiltré d’un protestantisme tout aussi militant que celui qui colonise le nouveau rite de la messe. Il y a répandu un parfum d’invalidité qui sent au moins le doute et insinue bien davantage, avec une différence notable : l’invalidité produite par le rituel désacralisé de la messe est ponctuelle, car elle est celle d’un acte ; l’invalidité d’une ordination et plus encore d’un sacre est permanente, car elle est celle d’un état appelé à se prolonger et à se reproduire. Fragrance. 

5.  Marteler On veut la Messe devant une cathédrale close ou un rideau de policiers hostiles souffre de déficiences multiples qui rendent la chose fort peu recommandable :

–  par nature, c’est inefficace. Ou plutôt, la seule efficacité prévisible est de gauchir la mentalité de ceux qui s’y livrent ;

–  si la manifestation prend la place de la Messe, ou si l’on n’est pas décidé à tout faire pour personnellement assister à la sainte Messe (même en semaine), c’est mensonger ;

–  comme le mot messe est hélas devenu ambivalent et que les divers participants l’emploient en des sens différents, c’est équivoque ;

–  parce que tout le bruit médiatique est porté au crédit des évêques diocésains, on travaille au profit des fossoyeurs de la sainte Messe.

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Vous m’objecterez que vous brûlez du désir de travailler au bien commun, et c’est là une intention fort louable (et même requise). On ne peut travailler au bien commun que dans la clarté, et on ne peut y mieux travailler qu’à la sainte Messe. Le Pape Pie XII l’enseigne nettement : « Vénérables Frères, dans la sainte Messe, l’Église donne son plus grand appui au fondement de la société humaine » Allocution aux nouveaux cardinaux, 20 février 1946.

Dès lors, travaillez au recueillement, travaillez à l’offrande de vous-même au cours de l’Offertoire, travaillez à la dignité du service de l’autel, travaillez à la beauté du chant. Ce n’est pas le moment de déserter.

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Le Vendredi Saint, devant le Calvaire, les soldats romains interdisaient l’accès à la Croix de Jésus. Il ne serait jamais venu à l’idée de saint Jean de manifester en compagnie de Judas ou de Caïphe pour demander la permission d’approcher. Non, il est resté en prière avec la sainte Vierge Marie ; et avec elle, au moment opportun, il a pu se rendre au pied de la Croix.

Faisons comme lui, prions Notre-Dame : à la Messe toutes les fois que nous pouvons y assister, en famille toujours, en public quand il y a un témoignage à donner voire des coups à prendre ; mais ne lâchons pas la prière pour la remplacer par des manifestations qui la caricaturent.


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