Au Cameroun, les conditions de vie des évêques à la retraite

/ M.MIGLIORATO/CPP/CIRIC

Enquête. À la retraite, les anciens évêques au Cameroun connaissent des fortunes diverses, avec des difficultés pour certains, et une vie paisible à côté de leurs successeurs pour d’autres.

En 1977, lorsqu’il a procédé à sa renonciation canonique, feu Mgr André Loucheur, premier évêque du diocèse de Bafia, dans la région du Centre Cameroun, avait choisi de travailler encore aux côtés de son successeur au fauteuil épiscopal, Mgr Athanase Bala, spiritain comme lui. Il était curé de la paroisse de Deuk, situé à une soixantaine de kilomètres de Bafia où il a eu une rude vie de curé de campagne, du fait de son âge bien avancé. Il y est resté jusqu’à ce que la maladie le contraigne, au milieu des années 1990, à regagner sa terre natale de France où il mourut quelque temps après.

Les deux Mgr Bala

Mais son successeur, Mgr Athanase Bala eut du mal à vivre à Bafia au moment de sa retraite intervenue en 2003. « Mgr Athanase Bala qui était quelqu’un de très affectif et de très ouvert au monde supportait mal de faire quelque peu ombrage à son successeur Mgr Jean-Marie Benoit Bala », explique Gérôme Boyomo, un laïc engagé du diocèse de Bafia. « En fait lorsqu’une haute personnalité de la République passait à l’évêché de Bafia, assez régulièrement elle se rendait chez Mgr Athanase Bala avant d’aller voir le nouvel évêque Mgr Jean Marie Bala. Mgr Athanase Bala a donc estimé qu’il devait quitter Bafia pour laisser travailler tranquillement son successeur. Et c’est avec beaucoup de regret que Mgr Jean Marie Bala l’a laissé partir ».

Finalement, Mgr Athanase Bala est retourné vivre avec ses frères spiritains à leur maison de la Casba, située au quartier Elig Essono à Yaoundé. « Mais la communauté des spiritains qu’il trouve sur place à Yaoundé à la Casba est très jeune. Les pères n’étaient pas de sa génération », explique Marie Madeleine Messanga, une nièce de feu Mgr Athanase. « Et pour un vieux prélat de près de 80 ans, c’était assez difficile pour lui de partager la vie communautaire avec ses jeunes confrères spiritains, notamment sur le plan alimentaire et de l’assistance sanitaire. » Mgr Athanase Bala est finalement retourné vivre en famille chez un de ses neveux, jusqu’à ce que la maladie l’emporte 3 septembre 2019.

Le premier à s’être plaint de ses conditions de vie

Feu Mgr Thomas Nkuissi, qui a dirigé le diocèse de Nkongsamba, dans la région du Littoral du Cameroun du 15 novembre 1978 au 21 novembre 1992, est le premier évêque émérite d’un diocèse du Cameroun à s’être publiquement plaint des « difficiles conditions vie » qu’il menait depuis sa démission de sa charge épiscopale, à 64 ans. Louis Mbappe, un fidèle du diocèse de Nkongsamba qui a bien connu le défunt évêque, explique : « Mgr Thomas Nkuissi a succédé au charismatique Mgr Albert Ndongmo qui avait été mis aux arrêts par le régime du président Ahidjo car accusé de complicité avec la rébellion nationaliste. Mgr Nkuissi était un homme rigoureux mais trop libre d’esprit dans sa pratique pastorale. Cela semble n’avoir pas plu à la haute hiérarchie de l’Église qui l’a contraint à démissionner et l’a remplacé par Mgr Dieudonné Watio, actuel évêque de Nkongsamba ».

Mgr Pirenne

Pour les religieux, le premier choix après la retraite demeure un retour vers leur congrégation religieuse. Et c’est ce que fit Mgr Roger Pirenne, archevêque émérite de Bertoua, religieux de la Congrégation du Cœur Immaculé de Marie (Cicm). Après sa charge épiscopale, il est retourné à la maison provinciale de ses confrères missionnaires scheutistes après avoir vécu dans l’étroitesse d’une chambre qui lui était proposée au grand séminaire de Bertoua.

Mgr Bakot

Mgr Victor Tonye Bakot, archevêque émérite de Yaoundé qui a démissionné en 2013, vit aujourd’hui entre son village situé dans l’arrondissement de Matomb, département du Nyong et Kelle, dans la région du centre du Cameroun. Il y a quelque mois, Albert Amougou, ancien économe du diocèse de Yaoundé, accusait, dans une lettre, l’actuel archevêque de Yaoundé, Mgr Jean Mbarga, de laisser son successeur dans la pauvreté. Mgr Jean Mbarga avait immédiatement démenti et exposé le traitement accordé à son successeur. Mgr Victor Tonye Bakot était par la suite sorti de de sa réserve pour indiquer qu’il n’était pas à plaindre.

Le cardinal Tumi et Mgr Kleda

Dans le diocèse de Douala, le cardinal Christian Tumi, l’archevêque émérite, vit dans une maison de retraite qu’il s’est fait construire. Ces dernières semaines, dans une lettre, son successeur, Mgr Samuel Kleda a demandé aux prêtres de ne plus citer son nom dans les célébrations eucharistiques suscitant de vives polémiques.

Mais, approchés par La Croix Africa, les entourages des deux archevêques indiquent qu’ils ont des « rapports cordiaux ».

Garoua

Dans le diocèse de Garoua, Mgr Faustin Ambassa Ndjodo vit en communauté avec son prédécesseur Mgr Antoine Ntalou, comme le fit Mgr Christophe Zoa avec feu Mgr Raphaël Marie Ze à qui il a succédé.

Jean François Channon Denwo, à Yaoundé
4 commentaires
  1. Par Tayou fils Michel
    - 12.02.20 à 14 h 19 min

    L’église catholique a beaucoup d’argent ! Pourquoi ne pas préparer convenablement la retraite de ces derniers ? Quitte à leurs dotés d’une maison dans la ville où village de leur choix, des personnes et des moyens financiers pour les assister dans leur retraite ? Ils ont opté pour le vœu de chasteté, ils sont supposés ne pas avoir une descendance biologique qui peut les encadrer dans leur vieillesse.

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  2. Par Guy Ernest SANGA
    - 12.02.20 à 11 h 28 min

    Bonjour,
    Tout en félicitant l’article de JF Chanon, je ne peux m’empecher de dire que pour un grand reporter de son accabit, c’est très maigre comme recette. Il s’est beaucoup contenter de montrer la face lisse des relations entre successeurs et prédecesseurs, et pourtant des miliers de faits existent qui démentent les affirmations de notre cher journaliste.
    Après une lecture du récit de JF Chanon, une série de questions me vient à l’esprit pour quelqu’un comme lui qui connait très bien le milieu ecclésiastique au Cameroun. Les brouilles entre prédecesseurs et successeur remonte à la duxième étape de l’implantation de l’Eglise catholique au Cameroun. Comment de déroule les relations entre Mgr Vogt (successeur de Mg Vieter) et Mgr Grafin le successeur de Mgr Vogt à Yaoundé ? Restant toujours à Yaoundé, qui a oublié la violence des relations entre Mgr Grafin et son successeur Mgr Jean Zoa, je suis surpris du silence de Jean François Chanon sur cette célèbre page de notre histoire.
    Le siège épiscopale de Douala sera épargné jusqu’au passage de témoin entre Mgr Thomas Mongo et Mgr Simon Pierre Tonyè. On a certainement oublié les blessures et humiliations que Mgr Mongo a subi auprès de son successeur, l’obligeant à aller finir ses derniers jours dans l’arrière pays à Logbikoy.

    Je veux bien comprendre que pour des besoins de soigner sa bonne image auprès du clergé et de l’épiscopat, l’auteur de cet article se soit montré très policé, écartant de raconter des faits connues du grand public qui ont montré la triste réalité de la question de succession au niveau de l’épiscopat au Cameroun.

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  3. Par SAMANGASSOU
    - 11.02.20 à 12 h 48 min

    On peut comprendre la précaution épistolaire de JF Channon quand il parle de la relation entre le Cardinal Tumi et son successeur. Mais si les deux vivent l’un proche de l’autre et partagent plus d’un repas par semaine, il faut croire que les nuages s’amoncellent dans le ciel de leurs relations si on s’en tient au décret pris par Mgr Kleda de ne plus accorder la faveur de la prière eucharistique à son illustre prédécesseur. Et du coup, les observateurs se demandent s’il était opportun que l’archevêque propose au cardinal de partager son voisinage et s’il était prudent que celui-ci accepte la proposition. Le précédent Ahidjo/Biya n’a pas encore été entièrement soldé.

    Mgr Ama, a quitté Ebolowa, son siège épiscopal comme un malpropre, mis dehors par son confrère Ze, évêque de Sangmelima à l’époque et nommé administrateur apostolique. Il a fini ses jours dans son village natal, chez un neveu.

    A Maroua, Mgr Stevens a préféré laisser du champ à son successeur Ateba, ayant compris qu’un voisinage trop proche était impropre à l’exercice du pouvoir, surtout épiscopal.

    Mgr Owono Mimboe quant à lui a vécu en bonne entente avec son successeur qui semble n’avoir eu avec son prédécesseur que des relations cordiales, l’un poursuivant la tache de l’autre.

    S’étant retiré des affaires de l’archidiocèse de Bamenda, le Père Paul Verdzekov, qui détestait être appelé Mgr, s’est consacré jusqu’à sa mort à la rédaction de ses mémoires, laissant à Cornélius Esua la pleine autorité sur le gouvernement de l’Eglise. Il faut espérer que Esua en fasse de même avec Andrew Nkea. Lequel n’a eu qu’à se féliciter de la succession apostolique de Mgr Lysinge à Mamfé, diocèse difficile s’il en est.

    Enfin, une petite erreur s’est glissée dans l’article sur le patronyme des deux évêques camerounais de Bafia : Athanase Balla et JM Benoit Bala.

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