Depuis la petite enfance, plusieurs générations ont été endoctrinés au socialo-communisme

Pif Gadget, une épopée engagée
Le premier siège des Editions Vaillant est en effet à côté de celui du PCF, rue La Fayette, mais si les liens avec le parti sont indéniables (dessinateurs et scénaristes ont participé aux jeunesses communistes ou sont militants), on ne peut pas véritablement parler, précise Maël Rannou, d’un « oeil de Moscou ». Roger Lécureux quitte même le PCF quand les chars soviétiques entrent dans Budapest en 1956 mais conserve son poste de rédacteur en chef. Au milieu des années 1960, le journal perd ses lecteurs (notamment en raison de ses liens avec le PCF – Pif est par exemple présent à toutes les Fêtes de l’Huma) et le format est jugé vieillot. La mort de Maurice Thorez (1964) entraine une refonte en profondeur de la doctrine du parti, qui souhaite développer une culture communiste plus ouverte (Comité Central d’Argenteuil, 1966) et dépourvue du carcan de l’art officiel. S’il était très présent dans « Vaillant », cet art de parti doctrinaire disparaît en effet de la nouvelle mouture de « Pif Gadget », au grand dam de ceux qui y voient une version abâtardie de magazines grand public comme le journal de Mickey. Toutefois, Pif reste un organe de presse du parti communiste et doit maintenir sa « bonne orientation », comme le rappelle le bureau politique en 1967. Les volontés d’indépendance des Editions Vaillant vont susciter beaucoup de craintes et un vaste mouvement (grèves, départ d’une partie de la Direction pour fonder Télé-Gadget, ce qui sera un échec commercial) mais sans menacer directement la survie du magazine.
La volonté de représenter plusieurs nationalités différentes, la foi dans le progrès scientifique et dans la paix mondiale sont particulièrement tangibles dans les séries « Les pionniers de l’espérance » (Vaillant, 1945) et les aventures du Docteur Justice à partir de 1971 (Benjamin Justice est médecin de l’OMS et n’hésite pas à aider les habitants de ce qu’on appelle alors le « tiers-monde » à lutter aussi bien contre les pandémies que contre la corruption). Rahan a droit à un chapitre pour lui tout-seul, c’est la série la plus célèbre de Pif et l’une des plus publiées. S’agit-il d’un héros communiste ? La figure du héros grand et blond aux yeux bleus luttant souvent contre des tribus montrées comme arriérées est maladroite mais le discours de la série est foncièrement antiraciste.
Tous ne sont pas des succès, mais malgré les critiques à l’encontre de ce marketing jugé déplacé, le gadget doit avoir une visée éducative. En 1972, l’opération « Scientipif » se déroule sous l’égide du scientifique Albert Ducrocq, très connu du grand public pour ses ouvrages et ses émissions de vulgarisation scientifique. Une série de « timbres de l’espace » comprenant des timbres soviétiques (1987) montre une fois encore les liens du magazine avec le PCF. Des partenariats avec le Secours Populaire se développent à partir de la fin des années 1970 et les bénéfices de la vente d’ambulances miniatures siglées Pif permettent en 1988 d’envoyer une véritable ambulance pleine de médicaments au Liban. Les célébrations du bicentenaire de la Révolution Française sont également l’occasion d’insister sur les droits de l’enfant – pas toujours respectés – au XXè siècle.
Le journal traverse les frontières, principalement vers l’Est, comme en témoigne le courrier des lecteurs, alors que les responsables d’importation moscovite de la presse étrangère le trouvent un temps trop « américain » (!), ce qui entraîne des éditions pirates ! On parle même de « Pifomania » en Roumanie, où on n’hésite pas à se procurer le magazine sous le manteau (mais sans son précieux gadget) dans les années 1970. Des copies de planches circulent dans les républiques populaires d’Union Soviétique, adaptations pour l’animation ou encore théâtre de marionnettes, dans lesquelles Pif change quelque peu de visage, même s’il reste reconnaissable.
Les personnages humoristiques du magazine apparaissent pourtant dans des séries toujours désidéologisées. Ces héros sont tous issus des classes populaires : Pif est à l’origine un chien vagabond, Totoche un gamin des rues, Aziz Bricolo vit dans un HLM de la banlieue parisienne.
L’échec des séries de super-héros à la française (Superom, Spiderwoman et Goldomax) ou de l’adaptation de séries télévisées (Blackstar ou les Mondes engloutis) au milieu des années 1980 montre les difficultés du journal. Pourtant, Pif a toujours su se montrer avant-gardiste, par exemple en parlant d’environnement régulièrement dès les années 1970 (dans le numéro d’août 1978, le célèbre Reiser explique d’ailleurs la notice d’un véritable four solaire !).
Pif Gadget et le Communisme, 1969-1993, un hebdomadaire de BD et ses liens avec le parti communiste français

L’hebdomadaire montre aussi un certain intérêt pour l’écologie.
Pour accompagner leur journal, les auteurs ont une idée commerciale de génie : vendre un jouet ludique et éducatif. Des gadgets souvent à visée scientifique, mais parfois très fantaisistes, comme une lune en forme de ballon de football avec les sites d’alunissage ou encore un moulin à vent qui fonctionne à l'air chaud. D’autres gadgets sont même carrément vivants, comme les fameux petits pois sauteurs du Mexique, en réalité une variété rare habitée par une larve.
L'ombre du parti
Mais à cause de sa proximité avec le parti communiste, le journal conserve une aura un peu sulfureuse et certains enfants lisent Pif clandestinement, dans le dos de leurs parents. Mais le journal ne fait pas de prosélytisme politique, même s’il met en avant certaines valeurs.
Christophe Quillien, journaliste et spécialiste de bandes dessinées : "L’humanisme, la générosité, l’attention à l’autre, on luttait contre le racisme, etc. Mais ce n’était pas du tout un journal militant, on ne faisait pas passer un courant d’idées précis à travers les histoires de Pif, finalement."
"Pif Gadget", une révolution dans la presse junior et un regard nouveau sur la pédagogie
Véritable phénomène de presse des années 70-80, l'hebdomadaire «Pif gadget» a incarné les valeurs de la gauche.

"Pif, l'envers du gadget"
Vivre ici - Des camps de concentration à Pif le chien, projecteur sur un dessinateur apatride qui fait partie de notre patrimoine, José Cabrero Arnal