jili22
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Du directeur

On ne devrait pas plus distinguer le directeur du confesseur, qu'on ne distingue le médecin qui guérit les maladies, de celui qui prescrit un régime pour la santé. Le confesseur entend et absout les péchés ; il prescrit les moyens de n'y plus retomber, et il donne à l'âme de salutaires conseils pour s'avancer dans la vertu. Le tribunal de la pénitence comprend donc la confession et la direction, et il ne lui est pas moins essentiel de préserver des fautes que d'en absoudre. Cependant, tant par la faute des pénitents que par celle des confesseurs, il y a toujours eu très-peu de confesseurs qui fussent en même temps directeurs.
Diriger une âme, c'est la conduire dans les voies de Dieu ; c'est lui apprendre à écouter l'inspiration divine et à y répondre ; c'est lui suggérer la pratique des vertus conformes à sa situation actuelle ; c'est non-seulement la conserver dans la pureté et l'innocence, mais la faire avancer dans la perfection ; en un mot, c'est contribuer de tout son pouvoir à l'élever au degré de sainteté auquel Dieu la destine. C'est ainsi que saint Grégoire, pape, envisageait la direction, lorsqu'il disait que la conduite des âmes est l'art par excellence.
Afin que la direction puisse avoir lieu, il est clair qu'il faut de certaines dispositions de la part du confesseur et de la part de la personne qu'il dirige. Il faut que le confesseur soit l'organe de Dieu, l'instrument de la grâce, le coopérateur du Saint-Esprit, et par conséquent qu'il soit un homme intérieur, un homme d'oraison, un homme versé dans les choses spirituelles, encore plus par sa propre expérience que par l'étude et la lecture ; qu'il n'ait aucune vue naturelle, soit de vanité, soit d'intérêt, mais qu'il ne considère que la gloire de Dieu et le bien des âmes ; qu'il soit dépouillé de son propre esprit, et qu'il juge des choses de Dieu par l'esprit de Dieu. Il est aisé de conclure de là, que les vrais directeurs sont très-rares.
Quant aux personnes qui s'adressent à eux, il est évident qu'elles ne sont susceptibles de direction qu'autant qu'elles sont dociles, obéissantes, simples, droites, résolues non-seulement d'éviter le péché, mais de pratiquer tout le bien que Dieu demandera d'elles, de répondre fidèlement à la grâce, de ne lui rien refuser, quoiqu'il en puisse coûter à la nature; enfin, de mourir à elles-mêmes pour vivre tout à fait à Dieu : à quoi l'on ne peut parvenir que par l'esprit d'oraison et de mortification intérieure. On peut juger de là que, si les vrais directeurs sont rares, les vrais enfants spirituels ne le sont guère moins, parce qu'il est bien peu de personnes qui aspirent à la vraie sainteté par la voie de la croix et de la mort à elles-mêmes. Il y a encore beaucoup de dévotes, mais à leur manière, mais se conduisant par leur propre esprit, mais ne connaissant qu'une certaine routine de pratiques extérieures, mais ajustant la dévotion avec l'amour-propre, et n'ayant pas même l'idée de l'oraison et de la mortification du cœur.
Quoi qu'il en soit, rien n'est plus important pour les âmes qui veulent sincèrement se donner à Dieu : 1° que d'être bien convaincues de la nécessité d'un, directeur ; 2° que de faire un bon choix ; 3° que d'user, selon les vues de Dieu, de celui qu'elles auront choisi.
Il est nécessaire d'avoir un directeur, parce que le plus grand des abus serait de vouloir se conduire soi-même, et la plus grande illusion, de se croire en état de se conduire. L'homme le plus habile, et du meilleur esprit, est aveugle sur sa conduite intérieure ; fût-il un saint, et capable de bien diriger les autres, il n'est pas capable de se diriger lui-même ; et, s'il le prétendait, ce serait un présomptueux. La première chose que Dieu exige de quiconque aspire à la sainteté, c'est qu'il renonce à son propre esprit, c'est qu'il s'humilie et se soumette à la conduite de ceux à qui Dieu a confié le ministère des âmes. Comme il y a des grâces très-spéciales, attachées à la soumission et à l'obéissance, il y a aussi des dangers manifestes à courir, lorsqu'on a l'orgueil de se juger et de se gouverner soi-même. La voie intérieure est pleine d'obscurité, de tentations, de précipices ; et, vouloir y marcher seul, c'est évidemment s'exposer à se perdre. Ainsi, point de milieu : ou il faut absolument renoncer à entrer dans cette voie ; ou, si Dieu nous y appelle, il faut prendre un directeur, c'est-à-dire un homme à qui l'on ouvre entièrement son âme, à qui l'on rende compte de tout, et à qui l'on obéisse comme à Dieu même.
Le point est de bien choisir cet homme. Dans un choix de cette importance, c'est Dieu par-dessus, tout qu'il faut consulter ; c'est lui qu'il faut prier de nous bien adresser. Sa providence est engagée à nous fournir tous les moyens de salut et de sanctification ; et comme celui-là est un des plus nécessaires, nous devons croire qu'il nous l'accordera, si nous l'en prions avec simplicité et confiance. Se conduire par des vues humaines dans le choix d'un directeur, s'en rapporter à son propre jugement, à et se croire capable d'un tel choix, c'est s'exposer à être trompé et mériter de l'être. Si l'on s'en rapporte à Dieu, il nous adressera à celui qu'il nous a destiné, soit par un secret instinct, soit par le conseil des personnes pieuses. N'envoya-t-il pas à Dijon saint François de Sales pour madame de Chantal, et ne reconnut-elle pas à des signes certains qu'il était l'homme de Dieu pour elle ?
Ces signes sont un attrait inexplicable qui nous porte à donner toute notre confiance à tel ministre du Seigneur, et qui forme une union de grâce entre lui et nous ; c'est une paix qui se répand dans notre âme lorsqu'il nous parle, qui résout tous nos doutes, qui dissipe tous nos scrupules, qui nous rend le calme et la joie du Saint-Esprit ; c'est une certaine ardeur, un désir véhément d'être à Dieu, que ses paroles nous inspirent ; c'est, enfin, une impression de respect, d'amour, de docilité, d'obéissance, qui nous fait regarder Dieu même en sa personne. Ces signes ne sont pas trompeurs pour les âmes droites, qui ne cherchent que leur avancement. Et j'ose assurer que toutes celles qui sont trompées en ces rencontres, y contribuent par leur imagination, par leur amour-propre, par des motifs humains, quels qu'ils soient.
La certitude que Dieu nous donne d'abord, d'avoir bien rencontré, augmente de jour en jour, et l'on ne tarde pas à en avoir des preuves indubitables. Néanmoins, s'il arrivait qu'on se fût trompé, Dieu ne permettrait pas qu'une âme qui procède avec droiture fût longtemps dans l'erreur ; elle découvrirait bientôt, soit par un endroit, soit par un autre, qu'elle a fait un mauvais choix, et Dieu l'adresserait ailleurs.
Quant à l'usage du directeur, il y a bien des mesures à prendre et des défauts à éviter. Cependant on peut dire, en général, que quand le directeur et la personne dirigée sont intérieurs l'un et l'autre, il est très-rare qu'il se glisse de grandes imperfections dans la direction ; parce que, de part et d'autre, on est sur ses gardes pour ne point abuser d'une si sainte communication.
La première règle est de ne se voir que pour le besoin, et de ne s'entretenir que des choses de Dieu. La seconde, de se respecter mutuellement, et de ne jamais sortir d'une certaine décence et gravité, se souvenant toujours qu'on traite des intérêts de Dieu, et qu'il est entier dans ces sortes d'entretiens.
La troisième règle est de ne rien cacher absolument au directeur, sous quelque prétexte que ce puisse être, quand ce serait des pensées ou des soupçons contre lui. Plus le directeur avance l'œuvre de Dieu, plus l'âme est tentée à son sujet par l'instigation du diable, qui essayera toute manière de lui ôter la confiance. Mais il faut résister à ses suggestions, et se faire une loi de tout dire, de commencer même parce ce qu'on aurait le plus envie de taire.
La quatrième règle est une obéissance sans bornes pour toutes les choses qui nous coûtent le plus, qui répugnent le plus à nos inclinations et à nos idées, sans jamais nous permettre aucune résistance formelle de volonté, ni même aucun jugement intérieur contraire à celui du directeur. J'ai parlé ailleurs de l'obéissance. Je dis, de nouveau, qu'elle ne saurait aller trop loin, non plus que l'ouverture et la confiance.
La cinquième règle est, dans l'usage du directeur, de s'élever au-dessus de l'homme, de ne considérer que Dieu en lui, de ne s'attacher à lui qu'en vue de Dieu, et d'être toujours disposé à le sacrifier, si Dieu l'exige, et à dire comme Job : Dieu me l'a donné, Dieu me l'a ôté ; que le nom du Seigneur soit béni. Il faut être persuadé que, comme Dieu nous l'a donné pour notre bien, s'il nous l'ôte, ce sera pour notre plus grand bien, et que, quand il nous retirera tous les secours humains, sa bonté y suppléera abondamment par elle-même.

(Extrait du Manuel des âmes intérieures)

tiré du blog : le-petit-sacristain.blogspot.com