01:44:01
Conférence sur la Révolution tranquille et la destruction de la société canadienne-française. Conférence sur la Révolution tranquille et la destruction de la société canadienne-française www.youtube.com …Plus
Conférence sur la Révolution tranquille et la destruction de la société canadienne-française.

Conférence sur la Révolution tranquille et la destruction de la société canadienne-française

www.youtube.com/watch
dvdenise
Catholique et Français
Références des articles : oubli de ma part (grosses préoccupations professionnelles) et excuses aux Catholiques canadiens. Insultes non nécessaires : c'est la vengeance facile et mesquine du minable ! Quelle "grandeur d'âme" chez ce "Chazerain" qui guette patiemment et se précipite haineusement comme un chacal sur le moindre faux-pas de ceux qui tiennent tête à ses mensonges et à ses délires ! 😀
Catholique et Français
Suite (+ même remarque de ma part que précédemment) : deuxième article sur le Cardinal : "LE CARDINAL PAUL-ÉMILE LÉGER pris sur le vif"
L
A biographie du cardinal Paul-Émile Léger par Micheline Lachance nous montre quel fut le rôle de cet archevêque de Montréal dans l’évolution de la province de Québec. Le premier tome, paru en 1983 sous le titre Le Prince de l’Église, s’arrêtait en 1958 au …Plus
Suite (+ même remarque de ma part que précédemment) : deuxième article sur le Cardinal : "LE CARDINAL PAUL-ÉMILE LÉGER pris sur le vif"

L
A biographie du cardinal Paul-Émile Léger par Micheline Lachance nous montre quel fut le rôle de cet archevêque de Montréal dans l’évolution de la province de Québec. Le premier tome, paru en 1983 sous le titre Le Prince de l’Église, s’arrêtait en 1958 au moment de la mort de Pie XII. Le second, Dans la tempête, traite de la période du Concile et de la Révolution tranquille jusqu’en 1967. Pour mener à bien son ouvrage, l’auteur a surtout utilisé des souvenirs personnels du cardinal et de ses proches. Le cardinal présidait au lancement du livre, il jugea que ces récits présentaient un portrait fidèle. Nous avons donc là le document capital pour connaître la vraie figure du cardinal Léger. II n’est pas inutile d’insister : certains faits et gestes vous étonneront peut-être, on croit généralement que le cardinal Léger fut un bon fils spirituel de Pie XII, mais ils n’en sont pas moins véridiques !

ENFANT MODÈLE

Paul-Émile Léger naquit le 25 avril 1904 à Saint-Anicet, un village situé en amont de Montréal sur les rives du lac Saint-François. Le “ Père Masson ” était le personnage le plus important du lieu, l’isolement du village assurant au magasin général dont il était le propriétaire le monopole des transactions commerciales. Impitoyable et cynique, ce fils d’un lieutenant de Papineau se fit rapidement une belle fortune sur le dos de ses débiteurs, ce qui lui valut la rancune de tous (t 1, p. 21). Paul-Émile est son petit-neveu par le mariage d’Ernest Léger, commis principal du magasin, avec Aida, la nièce du Père Masson qui avait hérité de son sens des affaires avant d’hériter de son magasin (p. 27) ! L’enfance du petit Paul-Émile – plutôt solitaire, il fut fils unique pendant neuf ans – égaya la vieillesse de son oncle, peu aimé dans le village. Que de similitudes entre le caractère du parvenu de Saint-Anicet et celui du petit-neveu devenu cardinal !

Paul-Émile est un enfant sérieux, travailleur, régulier, faisant la satisfaction de tous, particulièrement de ses parents et de M. le curé dont il est le fidèle et parfait servant de messe (p. 38). Toutefois, il est porté à la mélancolie et au rêve et en cela il ressemble à sa mère. Il a très tôt une véritable passion pour l’art oratoire. Sa mère le surprend quelquefois alors qu’il déclame d’éloquents discours devant le grand miroir du magasin désert à l’heure de midi. Ses parents lui disent leur émerveillement (p. 45).

En 1916, il quitte pour la première fois sa famille pour entrer comme pensionnaire dans le meilleur collège classique de l’époque : le séminaire Sainte-Thérése. Pendant les trois premières années, il y occupe les premières places et accessoirement se découvre un talent de bouffon (p. 52). Il ne semble pas souffrir des mauvaises affaires de ses parents qui doivent quitter Saint-Anicet après l’installation du chemin de fer qui permet aux habitants de s’établir plus loin. Durant l’hiver 1919-1920, il est si malade qu’il doit quitter le collège. Il en est profondément humilié et il tombe dans une grande déprime (p. 54).

« TU SERAS PRÊTRE »

Noël 1920. Après avoir communié lors de la Messe de Minuit, il entend une voix intérieure lui dire : « Tu seras prêtre. » (p. 55) Du coup, il retrouve la santé et obtient de l’évêque du diocèse la permission de réintégrer le collège.

« À partir de ce moment-là, il commence à entrevoir le jour où il deviendra prêtre. Aspirant à la perfection, sans discernement il multiplie les exercices de piété et les mortifications. Il s’égare et vaniteux, se regarde vivre avec une certaine complaisance que ses supérieurs ne manquent pas de remarquer. » (p. 66) La vie des jésuites le fascine. En effet « à côté d’eux les postulants au grand séminaire passent pour des jeunes gens sans grand sérieux, peu scrupuleux sur le règlement » (p. 67). Il décide donc de se faire jésuite mais il ne parle à personne de son projet. En 1925, il sollicite son admission dans la Compagnie de Jésus. Il en est renvoyé au bout de deux mois, sa santé étant trop faible et son caractère tout à fait inadéquat. Cet échec l’humilie à nouveau profondément. « Il quitte les lieux, un goût de cendre dans la bouche. » (p. 87)

Quand il demande ensuite à entrer au grand séminaire de Montréal, les membres du Conseil, qui ont pris connaissance de son dossier, s’y opposent. Mais il trouve en la personne du professeur de dogme un Gamaliel : « Si ce jeune homme n’a pas la vocation, il partira, sinon… » Enfin, il est recommandé par l’évêque de Valleyfield, Mgr Rouleau, qui sera bientôt nommé à Québec et élevé au cardinalat.

SÉMINARISTE MODÈLE

Au séminaire de la rue Sherbrooke, il brille grâce à sa prodigieuse mémoire. Il écrase ses confrères sans même s’en apercevoir. Quand il décoche un 10,5 sur 10 en Écriture sainte, c’est un beau chahut (p.76). « Tout le monde aimait » Joseph Sarto, le futur saint Pie X, lui aussi toujours premier de classe ; il n’en est vraiment pas de même de l’abbé Léger. Il est incapable de faire comme les autres, mais sa piété démonstrative lui vaut d’être nommé grand sacristain (p. 85). Son directeur de conscience est étonné de tant de sérieux et de zèle au travail. « Quand on pense, lui dit-il, que tous ne vous accordaient pas plus de deux semaines au séminaire lors de votre entrée ! »

Le 25 mai 1929, il est ordonné prêtre. Mais « quand le moment de choisir son service sacerdotal s’est présenté, il a rompu avec la tradition en décidant de se joindre aux Messieurs de Saint-Sulpice. L’évêque de Valleyfield ne montra guère d’enthousiasme devant la décision de l’abbé Léger. Mais il s’inclina comme il le fit de nouveau en apprenant que son protégé dirait sa première messe dans la chapelle du grand séminaire. » (p. 87)

Il part donc pour Paris, avec deux confrères, en vue d’accomplir son année de noviciat. Après un voyage sans histoire, qu’agrémentent d’aimables taquineries sur le compte de l’élégante redingote qu’il s’est fait tailler, il arrive à Paris le jour des funérailles du cardinal Dubois. Il participe à la cérémonie alors qu’il n’y a pas été invité. « Je viens du Canada, lança-t-il d’une voix assurée au cérémoniaire, je suis délégué par mon évêque. » (p.98) La rentrée au noviciat étant retardée de quelques jours, il réalise un vieux rêve : se rendre aux Invalides. Il y reste tout l’après-midi. « Bonapartiste convaincu, il s’était juré qu’il s’agenouillerait un jour au pied du tombeau de Napoléon. » (p. 99)

LA RENCONTRE AVEC LE CARDINAL VERDIER

À la solitude d’Issy-les-Moulineaux, le noviciat des sulpiciens, il semble bien qu’il ait eu des supérieurs plus perspicaces qu’à Montréal. Ils lui menèrent la vie dure (p. 104). Mais un événement déterminant va bientôt survenir : la rencontre de Monsieur Verdier, prêtre de Saint-Sulpice, devenu par la volonté du pape Pie XI évêque et cardinal-archevêque de Paris en l’espace de trois semaines. Micheline Lachance a recueilli le témoignage de Paul-Émile Léger qui nous renseigne bien sur la véritable personnalité du cardinal Verdier.

« Le travail administratif l’assomme. Ancien professeur de philosophie, docteur en théologie, le nouvel archevêque consacre ses énergies à remplir le mandat que lui a confié le Pape : organiser l’Action catholique en France et construire des églises (…). Le 23 juin, le cardinal invite les novices à l’archevêché pour souligner leur admission dans la Compagnie. Il aime à se raconter : “ Quand je me rase et que je m’aperçois dans le miroir, je me dis : Est-ce bien toi, le petit Jean de Saint-Affrique (sa paroisse natale en Auvergne) ? Es-tu vraiment l’archevêque de Paris ? Sur le palier de l’escalier, je m’arrête un instant devant le portrait de mes deux prédécesseurs, les cardinaux Amette et Dubois, deux géants de l’apostolat dans l’Église de France, et je continue en me disant : Petit Jean, tu les vaux bien ! ” » « L’abbé Léger est fasciné, commente Micheline Lachance, d’autant plus qu’il se sent attiré par les dignitaires et la hiérarchie ecclésiastique. » Quand Son Éminence reçoit les directeurs de Saint-Sulpice, en 1931, l’abbé Léger est du nombre des convives. « Au retour, il note ses impressions. “ Après le repas les supérieurs fument un bon cigare tandis que les plus jeunes font l’inventaire de la garde-robe du cardinal, essaient ses mitres, admirent ses croix pectorales, ses crosses, ses anneaux ”. » (p. 107)

Le cardinal Verdier restera toujours le modèle, le « maître à penser » de Monsieur Léger (p.210) !

PARENTHÈSE JAPONAISE

À l’issue du noviciat, il devait aller poursuivre ses études à Rome, mais au dernier moment il apprend qu’il est nommé directeur spirituel des séminaristes anglophones d’Issy-les-Moulineaux. Son étonnement se change en émerveillement quand on l’avertit que sa nomination est due au cardinal. Il en est bouleversé (p. 110). L’archevêque de Paris, de sa propre autorité, le fera ainsi, par trois fois, avancer dans la hiérarchie de Saint-Sulpice, à l’encontre des règles de la Compagnie. Monsieur Léger devient donc directeur du séminaire de théologie, professeur de droit canon, puis associé au directeur du noviciat.

Ses supérieurs en sont agacés et profitent d’un séjour de Monsieur Léger au Québec, en visite dans sa famille, pour l’empêcher de revenir en France. Ils l’envoient au Japon puisqu’il avait désiré les missions au lendemain de son ordination. Monsieur Léger imagine qu’il va pouvoir fonder un séminaire. Il déchante rapidement quand il comprend quelle est la pauvreté du diocèse. Les relations avec son évêque se tendent à mesure que le zèle missionnaire s’émousse (p. 128). L’enthousiasme revient quand on lui propose de retourner au Canada afin de trouver des subsides. « Optimiste, comme toujours, le Père Léger décide qu’il sauvera quand même la mission japonaise. » (p. 136). Mais comme il échouera en partie, il n’aura de cesse d’obtenir son rappel. Ce sera chose faite après deux ans d’efforts, mais la fondation du séminaire, qui venait juste d’aboutir, en sera compromise. Nous sommes quatre mois avant la déclaration de guerre et l’incarcération au Japon de tous les prêtres étrangers.

« TU SERAS ÉVÊQUE »

En attendant que ses supérieurs lui trouvent une obédience à sa mesure, il entreprend un voyage en Europe. Il est accompagné de son frère, Jules, le futur gouverneur général du Canada, qui se destine alors à la diplomatie. À Rome, il est reçu en audience par le Pape qui l’encourage dans sa mission au Japon. Monsieur Léger n’a pas, semble-t-il, précisé au Pape qu’il venait d’abandonner cette charge (p. 149)… Quoi qu’il en soit, « ce jour-là, agenouillé dans l’enceinte de Saint-Pierre, le missionnaire entendit une voix, la même qui l’avait surpris dans l’église de Lancaster en la nuit de Noël. Elle lui disait : “ Tu seras évêque ”. » (p. 151)

EN ATTENDANT, VICAIRE GÉNÉRAL

De retour à Montréal, on lui confie un cycle de conférences d’apologétique et de spiritualité pour laïcs. Son succès est considérable ; il réunira plus de mille auditeurs. Le 26 mai 1940, on apprend que Monsieur Léger a démissionné de la Compagnie de Saint-Sulpice et qu’il est nommé vicaire général du diocèse de Valleyfield. Monseigneur Langlois avait tout naturellement pensé à ce remarquable conférencier pour remplacer son bras droit trop âgé, d’autant plus que le vicaire général démissionnaire était l’ancien curé de Saint-Anicet, toujours ami de la famille Léger.

Le bon évêque de Valleyfield regrette bientôt son choix. Le nouveau vicaire général juge l’évêque trop rétrograde, surtout sur les questions concernant la jeunesse. « Après trois ans d’intercession, profitant d’une absence de l’évêque, Mgr Léger signe les documents autorisant l’adhésion des scouts de Valleyfield au mouvement qui existe à travers le Québec » (p. 171), tandis que l’évêque aurait voulu les garder sous l’autorité directe du clergé local. Il implante la J.E.C. et ses succès auprès des étudiantes sont très connus.

15 mai 1941, coup de téléphone d’un ami qui le félicite d’avoir été nommé évêque auxiliaire de Montréal. C’est une fausse nouvelle publiée par la presse qui plonge Mgr Léger dans la plus grande consternation. Il se souvient qu’un prêtre d’Ottawa ne reçut jamais la consécration épiscopale pour avoir simplement révélé trop tôt qu’il avait été choisi comme évêque de Mont-Laurier. Ce que lui dit l’archevêque de Montréal : « Vous êtes victime d’une jalousie maligne », achève de le briser (p. 177).

La voix aurait-elle menti ? Quelques semaines plus tard, le soir du sacre du nouvel évêque auxiliaire de Montréal, il note : « Je mange seul au buffet de Windsor après la cérémonie. Amertume de la solitude. »

Au même moment, une grave crise sociale éclate à Valleyfield. Il fonde un syndicat catholique selon les directives du Pape et de l’épiscopat de la Province (p. 188). Mais c’est l’échec. Il ne cache pas sa rancœur à ses paroissiens (p. 195). Rien ne va plus, et il demande à son évêque la permission d’accomplir un voyage en Europe. Il l’obtient sans difficulté.

RECTEUR DU COLLÈGE CANADIEN

Avant de s’embarquer à New York, Mgr Léger est l’hôte des Pères du Saint-Sacrement qui reçoivent en même temps l’archevêque de Sherbrooke, Mgr Desranleau. Ce prélat revient de Rome bien décidé à y faire revivre le Collège canadien malgré son abandon par les Sulpiciens. Il cherche donc un directeur. L’archevêque de Sherbrooke connaît certainement les qualités et les défauts du vicaire général de Mgr Langlois, son ami. Mais puisque Mgr Léger désire quitter Valleyfield, Mgr Desranleau pense avoir trouvé son homme ! Reste à faire avaliser son choix à Rome, ce qui ne sera pas sans difficultés, les sulpiciens, qui ont bonne mémoire, s’y opposant (p.200). Enfin, le 23 avril 1947, il est nommé recteur du Collège canadien, une fonction sans grand intérêt, il faut bien le dire, mais il en fera son marchepied pour la gloire.

Dans Rome dévastée par la guerre, les évêques et hommes politiques canadiens sont enchantés de pouvoir disposer du Collège canadien et d’utiliser les services de son recteur qui a vite fait de se constituer un réseau de relations hors pair. Il l’écrit à ses parents : « Je suis un véritable ministre des Affaires extérieures. » (p. 208) Mais ce n’est tout de même pas suffisant pour devenir un prince de l’Église. Il y faudra l’amitié de Pie XII. Au cours d’une audience, le Souverain Pontife se plaint qu’il ne peut plus venir en aide aux sinistrés de l’Europe puisque ses magasins sont vides. Mgr Léger se jette alors à ses genoux : « Très Saint Père, je vous promets de remplir vos magasins. » (p. 216) Il tient parole. Les Canadiens français répondent généreusement à son appel durant l’été 1948. Le Pape en est ravi et le lui écrit. Dès lors, il ne manquera pas de s’intéresser au Collège canadien et surtout à son recteur.

ENFIN ARCHEVÊQUE

L’affaire Charbonneau aboutit en janvier 1950 à la démission de l’archevêque de Montréal. Plusieurs aspects de cette affaire restent obscurs. Or Mgr Charbonneau, qui fait figure aujourd’hui de précurseur, méprisait souverainement les autres évêques de la Province, “ ces mitres de province ”, disait-il, et propageait des idées sociales et politiques erronées. Pie XII fut contraint d’exiger sa démission. Est-ce les évêques canadiens, le Premier ministre Duplessis, ou certains cardinaux romains qui poussèrent le Pape à prendre une telle décision ? On ne sait. Mais un bruit persistant courut que le recteur du Collège canadien n’y était pas étranger (p. 250). L’inquiétude et l’angoisse rongent alors le futur cardinal qui veut à tout prix se disculper. Il s’interroge sur ce que pense le Pape. Il court de bureau en bureau, d’antichambre en antichambre. On le rassure avec peine. C’est moliéresque. Tout le chapitre treizième de Micheline Lachance serait à citer.

Enfin, le 14 mars 1950, coup de téléphone de la consistoriale. Il y est convoqué le lendemain à midi. Le cardinal Piazza lui apprend alors qu’il est nommé archevêque de Montréal. « Il tombe à genoux et dit : “ Fiat mihi secundum verbum. ” La règle cependant l’oblige à taire la nouvelle pendant quatre jours. Ce silence lui pèse d’autant plus que depuis le départ de Mgr Charbonneau, et dans l’attente de la nomination de son successeur, les paris vont bon train à Rome. » (p. 257)

Le coup de téléphone libérateur sera celui de son ami, fonctionnaire à la secrétairerie d’État, Mgr Glorieux. Oui, fidèles et anciens lecteurs de la Contre-Réforme, vous avez bien lu : Mgr Glorieux, celui-là même qui se déshonorera au Concile en détournant la pétition de 450 évêques demandant la condamnation du communisme. Mais n’anticipons pas.

Pour le moment, Mgr Léger baigne dans l’euphorie. À ses parents, il écrit à la hâte ces mots : « Ce soir, le monde entier sait que votre petit Paul est devenu un successeur des Apôtres et qu’il aura la terrible responsabilité de diriger l’un des plus grands diocèses du monde (…). Je suis comme un homme qui prend son rêve pour la réalité. » (p. 259) Le lendemain, dans la basilique vaticane, devant la statue de saint Pierre, il s’impose la calotte. « Ce jour-là il circula au volant de sa voiture coiffé de sa calotte. Mais à Rome tout finit par se savoir et des curieux ne manquent pas de répéter ce qu’ils ont vu. Son geste un peu prématuré n’est guère apprécié en haut lieu. » Le 27 avril 1950, il est tout de même sacré et il est, avec ses quarante-six ans, le plus jeune archevêque du monde ! En octobre 1952, c’est lui qui reçoit la pourpre cardinalice et non pas, comme le voudrait la tradition, l’archevêque de Québec.

SOUS PIE XII

Il n’était pas facile de succéder à Mgr Charbonneau. Pourtant, Mgr Léger sera tout de suite très populaire à Montréal. Sa prestance et son éloquence lui ont permis de conquérir immédiatement ses diocésains. Il les rencontre très souvent, ne refusant jamais une invitation. Et puis, le chapelet qu’il récite chaque soir dans la chapelle de l’archevêché est radiodiffusé. On a peine à imaginer aujourd’hui l’impact de cette émission peu commune. Elle connut un très grand succès bien au-delà de son diocèse. Le 28 janvier 1953, la foule l’accueille à New York au cri de « Vive le cardinal du rosaire ! » (p. 367)

Sous le pontificat de Pie XII, le cardinal Léger pourrait nous apparaître comme l’un de ces évêques qui ont fait la grandeur du Canada français. Son activité est prodigieuse. Il mobilise les fidèles dans de vastes campagnes : pour le respect du repos dominical, pour aider les pauvres de la métropole, pour la moralisation des spectacles. Il veille à ce que les quinze mille prêtres, religieux et religieuses de son diocèse respectent la discipline ecclésiastique.

Mais il parait déjà trop impulsif dans ses décisions. Il néglige d’en étudier soigneusement les conséquences même quand il s’agit de questions financières ! Certaines de ses attitudes montrent surtout qu’il n’est pas un vrai fils spirituel du pape Pie XII ; il ne supporte pas l’omniprésence des communautés religieuses (p.340-409). En politique, il tient à se concilier le quatrième pouvoir, ce qui le conduira, entre autres, à permettre au directeur du Devoir de se rendre en URSS en 1952 malgré l’interdiction formelle de Rome.

LE DÉPRIMÉ

Le 12 août 1957, le cardinal Léger apprend le décès de sa mère. Il en est brisé et s’effondre complètement. Cet homme, qui développait une activité prodigieuse, qui savait prendre des initiatives, qui était habituellement préoccupé de ses réceptions, reste prostré des semaines durant, indifférent à toutes choses. Il est de nouveau très accablé à la mort de son père, en novembre de la même année. Il sort peu à peu de son abattement, quand survient l’annonce de la mort de Pie XII (9 octobre 1958). Son entourage craint une rechute puisqu’il est juste en train de se rétablir, mais au contraire, le cardinal sort totalement de sa déprime.

LA PARANOÏA

Au cours des mois qui suivent, il semble se produire comme une mue du personnage. En réalité, ce n’est que le durcissement de son caractère. Il sent qu’un vent de révolution souffle à Rome et sa paranoïa prend alors une dimension nouvelle. Il sent qu’il n’est pas seulement chargé de gouverner un diocèse mais qu’il doit être pasteur de toute l’Église ! Il le déclare dans une interview télévisée donnée pour le 150e anniversaire de la fondation du diocèse de Montréal.

AUPRÈS DE MONTINI

Dès l’élection de Jean XXIII, il s’applique à faire oublier ses liens avec le pontife défunt : « On approchait de Pie XII avec un sentiment d’admiration, on s’approche de Jean XXIII avec amour ! » (tome II, p.41) Avant de retrouver l’hiver canadien, il passe trois semaines auprès de l’archevêque de Milan, Jean-Baptiste Montini. Quand Jean XXIII annonce la réunion d’un Concile, le 25 janvier 1959, il est pris d’un véritable délire. Mené par son enthousiasme, il entreprend de travailler avec des collaborateurs choisis. Pourquoi ce nouvel entourage ? On aimerait en savoir davantage sur ces hommes qui prennent sur lui de plus en plus d’influence et dont il accepte les remarques « avec humilité » (p. 118). Maintenant, le cardinal Léger retrouve tout son dynamisme : six fois dans l’année il se rend à Rome ! ce qui est presque incroyable pour l’époque !

L’AFFAIRE UNTEL

Au retour de l’un de ses voyages, il apprend que “ l’affaire du frère Untel ” a pris des développements considérables. Un religieux mariste écrit dans Le Devoir des lettres par lesquelles il attaque le système éducatif. C’est sous le pseudonyme de frère Untel qu’il a entrepris sa violente critique. Avant de partir pour Rome, le cardinal Léger avait pensé régler cette affaire d’un coup de téléphone au directeur du Devoir, André Laurendeau (p..71). Quelle surprise quand il constate qu’il n’a pas été obéi, pire, que Le Devoir est bien décidé à le braver ! Il change alors d’attitude. Son seul souci est désormais d’éviter l’affrontement.

Sous prétexte que quelques points de ces attaques seraient fondés, qu’il y a des mauvais maîtres et des programmes inadaptés…, le cardinal tolère la critique de l’institution scolaire confessionnelle dans son principe même. À l’encontre de Rome, des supérieurs maristes, des évêques de la Province, il temporise. Il intervient pour empêcher les sanctions, rencontre le religieux révolté et lui obtient un temps d’antenne à la télévision (p. 82).

« L’affaire Untel a fait réfléchir le cardinal, commente Micheline Lachance. Pareille insubordination était impensable il y a dix ans. Lui-même, il n’aurait jamais pu appuyer publiquement un homme qui défiait l’Église et l’État. Or des frères Untel, religieux ou laïcs, il y en aura d’autres. Le cardinal se sent forcé de repenser sa conception des relations qui existent entre un archevêque et ses brebis. Il ne peut plus dicter la conduite des uns et des autres comme jadis. Il doit s’adapter au monde nouveau. » (p. 86) La formule est lâchée. C’est le slogan du temps, nous sommes en juin 1960. Le sort de la chrétienté canadienne-française s’est joué à ce moment-là. L’Église du Canada, après avoir été livrée au libéralisme par Léon XIII, va maintenant s’ouvrir au monde sous l’impulsion du cardinal Léger.

OUVERTURE AU MONDE

La discussion du cardinal Léger avec Claude Ryan, le principal dirigeant de l’Action catholique, futur directeur du Devoir et chef du Parti libéral, est significative. Le cardinal lui fait part de ses inquiétudes : « Je sens que les leaders de l’opinion, les universitaires, les syndicats s’éloignent de moi, qu’est-ce que je peux faire pour m’en approcher ? — Rencontrez-les, répond Ryan, ça ne coûte pas cher. Parlez-leur, mais surtout écoutez-les ! » (p. 89)

Le cardinal obéit avec promptitude. Il achète un cottage discret à Lachine où il recevra dans une tenue très décontractée et dans un confort moelleux ! Il accueille ainsi, discrètement, nombre de personnalités canadiennes, montrant des égards extrêmes pour les anticléricaux (p. 97). Honni soit qui mal y pense ! II ne s’agit que de prostitution spirituelle. Un soir, le cardinal annonce à Trudeau que le monopole du clergé sur la direction des établissements scolaires va cesser. « Il n’est pas nécessaire de porter une soutane pour faire partie de l’Église, explique-t-il. Les prêtres auront besoin d’un profond désintéressement pour accepter d’abandonner des tâches qui leur sont chères. Il leur faudra manifester une énorme confiance envers les laïcs malgré l’inexpérience et les tâtonnements inévitables du début […]. J’ai dit à mes prêtres que les aspirations des laïcs à diriger des écoles sont légitimes et que nous devons reconsidérer notre [sic] conception des choses. » (p. 100) Le catholique Pelletier qui assiste à l’entretien n’en croit pas ses oreilles.

Une telle action est « pain bénit » pour le ministre libéral, Gérin Lajoie qui ne manque pas de s’en prévaloir pour imposer sa réforme.

LA RÉVOLUTION TRANQUILLE

Les nombreuses décisions que le cardinal prend sont suicidaires, mais il les juge de grande valeur parce qu’il ne prête attention qu’aux louanges de la presse. Donnons quelques exemples. II nomme un recteur laïc à la tête de l’université de Montréal et, comme professeur, un anthropologue socialiste athée, Marcel Rieux, parce que « l’Université a besoin de ce genre d’hommes pour se dynamiser » (p. 113). Quand on parle de sanctions contre Cité libre, le cardinal s’y oppose : « Je réponds de ces catholiques. » (p. 120) En sera-t-il de même le jour du jugement ? Oui, il est dommage pour Pierre Eliott Trudeau de ne pouvoir être assuré de trouver le cardinal au côté de saint Pierre quand il…

Ses prises de position ne passent pas inaperçues. Elles énervent même beaucoup, au point que des plaintes arrivent à Rome. Mais quand on informe le cardinal que certains voudraient bien qu’il subisse le même sort que son prédécesseur, il répond : « Pie XII savait ce qu’il faisait en me nommant cardinal. » (p. 124). Effectivement, il n’a rien à craindre. Il connaît parfaitement ce qui se prépare à Rome et c’est ce qui explique toutes ses actions démagogiques et toutes ses trahisons. Marcel Adam, dans un article de rétrospective pour le 150e anniversaire de la fondation du diocèse, nous fait remarquer que « cette conversion [sic] du cardinal […] a été facilitée par des circonstances historiques qui n’étaient pas toutes d’ordre local » (La Presse, mai 1986).

AU CONCILE

Micheline Lachance n’a rien compris à la révolution conciliaire. Ses pages sur la période du Concile sont décevantes, mais les anecdotes qu’elle rapporte sont très intéressantes quand on sait quel fut le complot de la sale secte moderniste.

Dès la première session, le cardinal Léger est solidaire des progressistes. Pourtant, il n’est pas vraiment à l’aise et on le sent prêt à faire volte-face. Il est inquiet au moment de l’interruption de la déclaration du cardinal Ottaviani et du scandaleux chahut qui suivit. Mais il est rassuré quand il apprend que le Pape remet un anneau d’or accompagné d’un billet d’amitié au cardinal Liénart, l’instigateur de l’odieuse manœuvre du 13 octobre (p. 141). Puisque le Pape est pour la Réforme, le cardinal Léger ne craint plus de s’engager à fond et il intervient à temps et à contretemps. Il est un chaud partisan de la langue vernaculaire, de la réforme du bréviaire, de l’œcuménisme, de l’abandon de saint Thomas comme docteur commun, de la communion sous les deux espèces, d’un enseignement nouveau sur les fins du mariage, de la liberté religieuse, etc...

Le clan progressiste et en particulier le cardinal Montini, son voisin dans l’aula, l’encouragent. Ses interventions déclenchent immanquablement les réactions des conservateurs, mais les textes des progressistes paraissent ensuite relativement modérés. Le cardinal Léger est donc comblé de faveurs. Il récolte de nombreuses félicitations jusqu’à celles des B’naï B’rith. Pratiquement absent des travaux en commission, car « sa personnalité rend difficiles les travaux de table ronde avec des collègues », précise Marcel Adam (mars 1965), il devient l’une des vedettes de l’aula conciliaire parce qu’il est manipulé par plus habiles que lui.

LA TRISTE RÉALITÉ

Au Concile, le cardinal a eu « la sensation physique de la présence du Saint-Esprit » et pourtant, au même moment, l’Église s’écroule. Au début, le cardinal ne s’en rend pas bien compte mais bientôt les retours à Montréal sont pénibles. Le phénomène est patent pour la crise du clergé. Il y est indifférent jusqu’à ce que des proches ou des protégés abandonnent à leur tour l’état clérical (p. 303). Les campagnes de presse dirigées contre l’Église se multiplient, les scandales aussi. Son cher abbé Martucci doit s’exiler ; chargé du pavillon de l’Église à “ l’Expo de 67 ”, il en avait fait un centre œcuménique pour sept Églises.

Le cardinal n’en continue pas moins à encourager les nouveautés. Le 9 janvier 1967, il ose s’adresser ainsi à ses prêtres : « Brûlez vos vieux livres de théologie. La bibliothèque d’un prêtre devrait passer au feu au moins tous les dix ans. » (p. 313) La découverte de la vraie personnalité du cardinal et le dévoilement de l’œuvre funeste qu’il accomplit permet de bien comprendre comment le mal progresse dans les années 60. Notre Père avait parfaitement repéré le danger dès la fin du pontificat du pape Pie XII. II l’expliquait dans la série des Lettres à mes amis sur “ Le mystère de l’Église et l’Antichrist ”. « La génération de 1900-1914 possédait encore le dogme et la morale dans son intégrité, et, seuls, quelques “ modernistes ” annonçaient le gauchissement à venir. Celle de 1919 à 1939 est la grande responsable qui conservait elle-même le trésor ancien mais ne sut prêcher et vanter que la pacotille de nouveautés accessoires. La génération actuelle, ivre de ces nouveautés, ignore ou méprise l’essence de notre religion au point d’en créer une autre dans leurs cœurs ardents. » (Lettre 60)

MISSION OU DÉMISSION ?

Mais les scandales ne permettront pas au cardinal Léger d’accomplir encore longtemps un tel ministère épiscopal. Le 9 novembre 1967, le pape Paul VI accepte la démission du cardinal. Comment expliquer ce départ ? L’archevêque de Montréal, quant à lui, alors âgé de soixante-trois ans, annonce qu’il va se consacrer à la mission en Afrique. « Certains se demanderont pourquoi je quitte le navire au moment où il affronte la tempête. Au fond, c’est justement cette crise religieuse qui m’incite à quitter un poste de commandement pour redevenir un simple missionnaire. J’ai compris tout à coup que le Seigneur exigeait des actes plus que des paroles. » Encore du jamais vu qui ne fit impression que sur les braves gens qui ignoraient la situation réelle du diocèse. Le cardinal Léger précisait tout récemment qu’il n’était pas utile de se perdre en conjectures pour expliquer les motifs de son départ de Montréal, que cela n’avait qu’une importance relative ! Et Micheline Lachance veut s’en tenir à la thèse officielle, pourtant les faits qu’elle expose prouvent la véracité de la thèse officieuse de la démission forcée : l’anxiété du cardinal en attendant la décision du pape Paul VI, son abattement au retour de Rome, quand celle-ci est connue et enfin l’émotion vraiment outrée le 11 décembre 1967 quand il lui faut prendre l’avion alors qu’il n’est plus cardinal-archevêque de Montréal. Ces scènes confirment par ailleurs la justesse de toutes nos démonstrations.

La vie du cardinal Léger, prise ainsi sur le vif, devrait nous faire saisir l’importance de ce solennel avertissement du pape saint Pie X dans l’encyclique Pascendi : « Non, en vérité, nulle route qui conduise plus droit ni plus vite au modernisme que l’orgueil. Qu’on nous donne un catholique laïque, qu’on nous donne un prêtre, qui ait perdu de vue le précepte fondamental de la vie chrétienne, savoir que nous devons nous renoncer nous-mêmes si nous voulons suivre Jésus-Christ et qui n’ait pas arraché l’orgueil de son cœur : ce laïc, ce prêtre est mûr pour toutes les erreurs du modernisme. C’est pourquoi, Vénérables Frères, votre premier devoir est de percer à jour ces hommes superbes, et de les appliquer à d’infimes et d’obscures fonctions : qu’ils soient d’autant plus bas qu’ils cherchent à monter plus haut, et que leur abaissement même leur ôte la faculté de nuire. » (8 septembre 1907)
1 autre commentaire de Catholique et Français
Catholique et Français
Connaissant très mal l'histoire moderne du Catholicisme canadien et n'étant pas moi-même canadien, je me garderai bien d'approuver ou de désapprouver l'article sur le Cardinal Paul-Emile Léger qui suit. Je le livre seulement, tel quel, à la sagacité et à la réflexion de mes frères et soeurs canadiens.
DU CONSERVATISME À LA RÉVOLUTION : LE CARDINAL PAUL-ÉMILE LÉGER
Le 10 mars 1950, au lendemain …Plus
Connaissant très mal l'histoire moderne du Catholicisme canadien et n'étant pas moi-même canadien, je me garderai bien d'approuver ou de désapprouver l'article sur le Cardinal Paul-Emile Léger qui suit. Je le livre seulement, tel quel, à la sagacité et à la réflexion de mes frères et soeurs canadiens.

DU CONSERVATISME À LA RÉVOLUTION : LE CARDINAL PAUL-ÉMILE LÉGER

Le 10 mars 1950, au lendemain de la nomination de Mgr Paul-Émile Léger au siège de Montréal, en remplacement de Mgr Charbonneau que le pape Pie XII venait de contraindre à la démission, Mgr Desranleau note dans son journal : « C’est l’homme de la Providence, je le sais plus que personne ; il fera bien, très bien, il rejoindra Mgr Bourget. Une page se ferme ou se tourne. […] » La contestation de l’ordre catholique canadien-français, sacralisé depuis le début du siècle, est jugulée. Les conservateurs exultent : la foi et les mœurs dans la Belle Province de Québec vont être bien gardées.

L’archevêque de Rimouski, Mgr Courchesne, dont la critique doctrinale des positions progressistes de Mgr Charbonneau avait été déterminante dans la décision du Pape, écrivit à son nouveau confrère : « Mon cher ami, j’ai bien hâte de vous voir. […] Votre tâche est immense. Maintenant que vous êtes là, ma vieillesse se console et je suis prêt à chanter mon Nunc dimittis. Je sais que vous ferez l’orientation et qu’elle ne sera pas polarisée vers le monde yankee ni vers Paris et Charenton. Nous avons besoin que la boussole retrouve son pôle, Rome, d’où vous pouvez tout le temps avoir les salutaires directions […]. »

De fait, Mgr Léger allait orienter l’Église catholique du Québec, et au-delà, pour au moins le demi-siècle à venir. Son action a été déterminante, sa responsabilité écrasante. Mais la boussole était-elle bien aimantée sur Rome et sur le Christ ?

UNE ÉTONNANTE CARRIÈRE ECCLÉSIASTIQUE

Paul-Émile Léger est né le 25 avril 1904, à Saint-Anicet, sur les rives du lac Saint-François. Ses parents tiennent le magasin général. C’est un enfant sérieux, travailleur, parfait servant de messe de son curé. Porté à la mélancolie et aux rêves, il montre très jeune une passion pour l’art oratoire ; à plusieurs reprises, on le surprend jouant au prédicateur devant le grand miroir du magasin, lorsque celui-ci est désert.

Durant l’hiver 1919, la maladie le contraint à interrompre ses études secondaires au séminaire Sainte-Thérèse de Blainville, ce qui l’humilie profondément et provoque une première dépression. Mais à la messe de minuit, après la communion, il entend une voix intérieure lui dire : « Tu seras prêtre. » Du coup, il retrouve la santé et retourne au collège.

Aspirant à la perfection, il multiplie sans discernement les exercices de piété et les mortifications, tandis que ses maîtres notent qu’il se regarde vivre avec complaisance. En 1925, il entre chez les jésuites, mais il en est renvoyé au bout de deux mois, ce qui l’humilie de nouveau profondément.

Il demande alors son admission au grand séminaire de Montréal. Il y aurait été refusé après la lecture de son dossier, sans l’intervention de son évêque, le futur cardinal Rouleau. Accepté, il y brille par sa mémoire prodigieuse et écrase ses camarades sans même s’en apercevoir. Ses professeurs admirent son sérieux, son zèle, sa piété. Il obtient même en Écriture sainte un 10,5 sur… 10, ce qui provoque un beau chahut de ses confrères, car il n’est pas aimé.

Ordonné prêtre le 29 mai 1929, il entre chez les Sulpiciens et fait son noviciat à Paris où ses supérieurs, ayant remarqué sa vanité, lui mènent la vie dure. Mais lui est fasciné par le sulpicien Jean Verdier qui vient d’être nommé cardinal-archevêque de Paris par Pie XI avec le mandat d’implanter en France l’Action catholique spécialisée. Par sa réussite, son brio, sa superbe, ce prélat restera pour le jeune prêtre le modèle de la réussite ecclésiastique. Or, le cardinal l’a remarqué. Alors qu’il s’apprête à aller continuer ses études à Rome, monsieur Léger est nommé directeur spirituel des séminaristes anglophones d’Issy-les-Moulineaux. Son étonnement se change en émerveillement lorsqu’il apprend qu’il doit cette promotion au cardinal. À trois autres reprises, le jeune sulpicien canadien bénéficiera de l’intervention décisive de l’archevêque de Paris pour avancer dans la hiérarchie de la Compagnie, au mépris de ses règles et coutumes.

Agacés, ses supérieurs profitent de son séjour au Québec pour l’empêcher de revenir en France en l’envoyant au Japon, sous prétexte qu’il avait désiré être missionnaire au lendemain de son ordination. Il s’y voit fondateur de séminaire, mais ses relations avec l’évêque du lieu se tendent et les difficultés financières deviennent inextricables ; découragé, il obtient son rappel au Canada… quatre mois avant la déclaration de guerre et l’incarcération au Japon de tous les prêtres étrangers.

Il passe alors par Rome où, après une audience avec le Pape, il entend la même voix intérieure que vingt ans auparavant lui affirmer cette fois : « Tu seras évêque. »

De retour à Montréal, il assume avec grand succès un cycle de conférences d’apologétique et de spiritualité destinées aux laïcs. Il se fait remarquer ainsi de Mgr Langlois, l’évêque de son diocèse d’origine, justement en quête d’un vicaire général. En mai 1940, l’abbé Léger quitte la Compagnie de Saint-Sulpice et accepte la fonction associée à la cure de la cathédrale de Valleyfield.

Mgr Langlois regrette bientôt son choix, car son nouveau bras droit, très populaire auprès des jeunes des mouvements catholiques, n’en fait qu’à sa tête.

C’est qu’il ne s’estime pas à sa place, même comme vicaire général, dans ce petit diocèse. Un temps, il espère être nommé évêque auxiliaire de Montréal ; l’annonce qu’un autre lui est préféré l’abat. Et l’échec lamentable du syndicat catholique qu’il a lancé à Valleyfield achève de le décourager. Il décide de partir en voyage.

Or, avant de s’embarquer à New York, chez les Pères du Saint-Sacrement où il séjourne, il croise l’entreprenant archevêque de Sherbrooke, Mgr Desranleau ; celui-ci cherche un supérieur pour le Collège canadien à Rome qu’il a entrepris de relancer. Il a trouvé son homme, que Mgr Langlois s’empresse de lui céder. Toutefois, les Sulpiciens, qui ont bonne mémoire, s’opposent à sa nomination, qu’il n’obtiendra que le 23 avril 1947. Le voici donc recteur du Collège canadien, une fonction sans grand intérêt, mais dont il va habilement se servir pour assurer sa gloire.

En effet, dans Rome dévastée par la guerre, les évêques et les politiciens canadiens en visite sont enchantés de loger au Collège canadien et de profiter des services du recteur et du réseau de relations hors pair qu’il a su se constituer. Il écrit à ses parents : « Je suis un véritable ministre des Affaires extérieures. »

VERS LES PLUS HAUTS SOMMETS

Un beau jour, lors d’une audience au cours de laquelle Pie XII se plaint de ne plus pouvoir venir en aide aux sinistrés, puisque les entrepôts du Vatican sont vides, Mgr Léger se jette à ses genoux : « Très Saint-Père, je vous promets de remplir vos magasins. » Pour tenir parole, il lui suffit, durant l’été 1948, de lancer un appel aux catholiques du Québec qui lui répondent très généreusement. Le Pape, ravi, gardera dès lors une grande estime pour le recteur du Collège canadien.

Dans notre précédente étude, nous avons vu le rôle important qu’il joua dans l’affaire Charbonneau, tout au long de l’année 1949. Ses accès privilégiés auprès des prélats romains lui permettent de renseigner Mgr Desranleau. Partout dans la ville éternelle, il est connu et apprécié comme un homme efficace dont on sait qu’il a l’oreille de Pie XII. Lorsque les évêques canadiens ont des difficultés avec la Curie romaine, il suffit qu’ils l’en informent pour que tout s’arrange, quitte à ce que celui-ci en parle directement au Pape. Seul Mgr Charbonneau n’a pas fait appel à ses services. À Micheline Lachance, sa biographe autorisée, Mgr Léger déclara que s’il lui avait demandé conseil, il aurait pu éviter bien des choses… mais c’est ce qu’on dit après.

Car il est évident que Mgr Léger, admiré, complimenté par les évêques du Québec, a fait tout ce qui était en son pouvoir pour soutenir leur action auprès du Saint-Siège afin d’obtenir la démission forcée et sans appel de Mgr Charbonneau.

Celui-ci quitta Montréal le 31 janvier 1950, son départ fut rendu public à Rome le 11 février. Commence alors une attente éprouvante pour celui dont on parle comme son successeur, mais qui en même temps s’étonne du silence de certains hauts personnages romains à son égard. Il faut lire le chapitre treize du premier volume de sa biographie autorisée, Le prince de l’Église. Nous avons là le portrait d’un carriériste de cour, comme ceux que fustige aujourd’hui le pape François. Ce n’est pas édifiant.

Enfin, le 15 mars 1950, le cardinal Piazza lui apprend sa nomination comme archevêque de Montréal. Il tombe à genoux et dit « Fiat mihi secundum verbum tuum. » Micheline Lachance raconte : « La règle l’oblige cependant à taire sa nomination pendant plusieurs jours, elle ne sera rendue publique que le 24. Ce jour-là, c’est l’euphorie au Collège canadien. Il se présente au réfectoire en soutane mauve tirant nettement sur le rouge. À ses parents, il écrit : « Ce soir, le monde entier sait que votre petit Paul est devenu un successeur des Apôtres et qu’il aura la terrible responsabilité de diriger l’un des plus grands diocèses du monde. Je suis comme un homme qui prend son rêve pour la réalité. » Le lendemain, dans la basilique Saint-Pierre, il s’impose la calotte devant la statue du prince des Apôtres. « Ce jour-là, il circula au volant de sa voiture coiffé de sa calotte. Mais à Rome tout finit par se savoir et des curieux ne manquent pas de répéter ce qu’ils ont vu. Son geste un peu prématuré n’est guère apprécié en haut lieu. » Il est cependant sacré à Rome, le 27 avril. À 46 ans, il est le plus jeune archevêque du monde.

« L’HOMME DE LA SITUATION »

Son intronisation à Montréal est un grand évènement. Il est vrai que Montréal en 1950 est un diocèse important qui s’est beaucoup développé durant les dix dernières années : il compte maintenant un million de catholiques, 992 prêtres séculiers, 888 réguliers ; 208 paroisses ; 72 hôpitaux, asiles et orphelinats ; 726 écoles et couvents, 6 écoles normales, 14 collèges classiques et une université.

À son arrivée, sachant son clergé très attaché à son prédécesseur et donc méfiant vis-à-vis de lui, il adopte la crainte comme principe de gouvernement, imitant en cela un de ses modèles en épiscopat : Mgr Desranleau.

Vis-à-vis des autorités civiles, il affecte de n’avoir aucun égard pour le Premier ministre de la province ; le pouvoir spirituel n’est-il pas supérieur au pouvoir temporel ? Cependant, dès qu’il s’agit de traiter des affaires, il lui cède toujours rapidement. Ce fut le cas, par exemple, à propos de la nouvelle Charte de l’Université de Montréal que Mgr Charbonneau refusait surtout parce qu’elle accordait un droit de regard à l’État. Profitant de son départ, Duplessis présente une autre mouture qui lui reconnaît encore la nomination de deux administrateurs sur douze. Mgr Léger l’accepte sans la moindre réticence.

Tout de suite, il jouit d’une grande popularité. Sa prestance impressionne beaucoup les fidèles. Si sa magnificence et son style oratoire grandiloquent nous étonnent de nos jours, pour ne pas dire nous scandalisent, à l’époque ils paraissaient naturellement le reflet de la puissance de l’Église.

De plus, il est « un homme de terrain », comme on dit aujourd’hui. Il ne refuse jamais une invitation. On le voit donc partout et les petites gens se sentent l’objet de sa sollicitude.

Il aime particulièrement visiter les couvents et accorder pour l’occasion la levée de la clôture, à la grande joie des parents ; il se rend aussi avec plaisir dans les écoles et les colonies de vacances où il gâte les enfants de bonbons. Il va de fête en fête, fait beaucoup de promesses sans jamais s’assurer si les supérieurs, les congrégations ou encore l’administration ont les moyens de les concrétiser. Ce qui ne l’empêche pas d’exiger une obéissance sans faille.

Son initiative la plus mémorable fut la récitation quotidienne du chapelet à la radio. Elle débuta le 30 septembre 1950, comme une préparation à la proclamation du dogme de l’Assomption de la Vierge le 1er novembre suivant. En un mois, 154 487 familles s’engagèrent à réciter chaque jour le chapelet, l’émission fut maintenue au-delà de la date prévue, elle devint une institution pendant une dizaine d’années : chaque soir, à 19 heures, le Canada français se mettait à genoux ; les rencontres sportives et les programmes télévisés devaient s’y adapter. Le cardinal engagea en grand secret deux secrétaires pour répondre à la centaine de lettres qu’elle suscitait chaque semaine ; lui signait les réponses laissant penser au correspondant que le cardinal lui avait répondu personnellement.

Cette facilité de contact avec une population qui l’admire a sa rançon : il est submergé de demandes d’aide. Or, si l’archevêque n’a aucune réflexion sur l’évolution de la société, les causes de cette pauvreté et les remèdes à y apporter, il se montre très généreux et donc très solliciteur auprès des congrégations religieuses qu’il harcèle, et auprès des pratiquants. Bientôt, il a la satisfaction de voir des non-catholiques contribuer à ses œuvres, même si, en réalité, ils cherchent à s’attirer ses bonnes grâces. En dix ans, cinquante mille personnes se sont engagées à lui verser un dollar par jour.

Dans des réunions d’industriels ou à l’occasion de la fête de saint Joseph, il est cinglant vis-à-vis de la bourgeoisie qui s’amuse, qui mange bien, alors qu’il y a tant de pauvres à Montréal. On l’accuse de démagogie, il répond : « Pour ma part, je m’engage à ne pas prendre de vacances tant et aussi longtemps qu’il y aura un seul pauvre dans mon diocèse. » Alors, Mgr Léger, précurseur du cardinal Bergoglio ? Non ! Le futur pape François vivait pauvrement, simplement ; Mgr Léger, lui, aimait le faste, le grandiose : il en imposait.

Il n’empêche qu’avec sa méthode autoritaire, il fait bouger le monde. Des œuvres se multiplient, comme les écoles pour les aveugles ou le centre Maria Goretti, qui s’occupe des quarante mille jeunes filles résidant en chambre à Montréal ; il encourage la société d’adoption de Montréal qui, rien qu’en 1954, place 1012 enfants. Il ouvre l’hôpital Saint-Charles-Borromée et surtout le Foyer de Charité pour les familles pauvres. Ce dernier est emblématique de ses méthodes : lancé avec cinq dollars, ce fut, au bout du compte, un fiasco. N’est pas saint Joseph Cottolengo (qu’il a pris comme modèle) qui veut.

Il doit faire face aussi à l’augmentation de la population de son diocèse – d’un tiers durant son épiscopat – l’obligeant à fonder quatre-vingt-onze paroisses.

Défenseur véhément de la morale la plus stricte, il multiplie, mais en vain, les campagnes pour le respect du repos dominical, pour les modes décentes, contre la danse, les jeux de hasard, les films cinématographiques qui n’ont pas été approuvés par le Centre catholique du cinéma, contre les journaux et les hebdomadaires. Il soutient Jean Drapeau dans sa lutte contre la corruption à Montréal.

Tel est Mgr Léger sous Pie XII. Un homme actif, très entreprenant, mais aussi très sûr de lui, très autoritaire, très peu aimé du clergé, mais admiré des fidèles. C’est l’archétype de l’Église triomphaliste, dominatrice.

Une citation de son homélie pour la consécration épiscopale des évêques des nouveaux diocèses de Saint-Jean-Longueuil et de Saint-Jérôme exprime bien cette enflure : « Vous êtes devenus des hommes nouveaux, investis de pouvoirs qui font trembler les anges. Aussi, malheur à ceux qui ne reconnaîtront pas cette présence de l’Esprit en vous. Que celui qui vous bénira soit comblé de bénédictions. »

L’évènement qui illustre cette période est son entrée à Montréal après son élévation au cardinalat, en janvier 1953. À la foule venue l’acclamer dans une ville pavoisée et illuminée, il déclare : « Montréal, ô ma ville, tu as voulu te faire belle pour recevoir ton Pasteur et ton Prince ! »

UNE CHRÉTIENTÉ QUI SE LÉZARDE

Cependant, ce triomphe occulte toutes les difficultés qui avaient préoccupé son prédécesseur. Mgr Léger a su provoquer des élans de charité, des manifestations de foi publiques, mais il n’a apporté aucune réponse à l’évolution de la société politique, sociale et économique. C’est un conservateur, persuadé de l’excellence des formules qu’il répète, et qui s’étonne de voir certains s’en détourner.

Car, dès cette époque, donc trois ans après son arrivée, des signes inquiétants d’émancipation se font sentir surtout dans les syndicats, où l’autorité de l’archevêque doit s’effacer devant l’expression démocratique de la volonté des membres, et dans les communautés religieuses où la jeune génération, issue des rangs de l’Action catholique, a acquis et garde une liberté de jugement qui génère un malaise général. On commence à enregistrer une préoccupante baisse des vocations religieuses et sacerdotales.

Une élite de laïcs, elle aussi passée par l’Action catholique, manifeste une certaine indépendance et n’hésite pas à exposer ses critiques à l’archevêque. L’un d’eux, le président de la JEC, Claude Ryan, a compris la psychologie du prélat : il lui explique que s’il entrait en dialogue avec les jeunes intellectuels, il serait mieux informé, ses décisions éclairées seraient plus facilement acceptées et son ouverture d’esprit ne lui vaudrait que plus d’estime.

Pour suivre ce conseil, Mgr Léger s’achète une petite maison à Lachine, où il reçoit discrètement la nouvelle intelligentsia montréalaise, rarement catholique. C’est là que, avant même la mort de Pie XII, il s’acclimate aux idées nouvelles.

Un de ses biographes, Gilles Routhier, se croit donc fondé à écrire : « Avant les autres, il sent que la société a changé et que l’Église doit s’adapter. » C’est oublier qu’il avait été accueilli à Montréal comme « l’homme de la situation » pour empêcher ce changement que préconisait Mgr Charbonneau… dix ans auparavant !

Toutefois, si dès 1957 le cardinal Léger décide de s’adapter, c’est pour un tout autre motif que celui de son prédécesseur : il veut plaire à cette société séduite par l’apostasie, et non plus la garder ou la reconquérir au Christ en continuant à lui prêcher la vérité révélée dont elle se détourne, tout en répondant aux problèmes modernes.

Sensible au vedettariat, il sent sa popularité s’éroder ; beaucoup d’intellectuels, tout particulièrement les journalistes et les enseignants, ne sont plus disposés à prendre tout ce qu’il dit pour parole d’évangile. Or, à ses yeux, son prestige, le bien de l’Église et le règne du Christ se confondent en sa personne épiscopale !

En 1950, Mgr Charbonneau fut chassé à cause de ses erreurs doctrinales. En 1958, Mgr Léger et les autres entraînés à sa suite, vont tourner le dos à l’orthodoxie dont ils se voulaient les parangons et adopter des positions que Mgr Charbonneau n’aurait jamais soutenues ! Ce dernier a cru que le souci des pauvres tenait lieu de fidélité à l’Évangile ; pour le cardinal, c’est le respect du prestige épiscopal qui prouve le respect de l’Évangile. Ni l’un ni l’autre ne sont revenus au kérygme évangélique. Le Malin a le champ libre…

LE RÉVOLUTIONNAIRE

C’est donc déjà ébranlé par ses entretiens secrets avec Claude Ryan, Gérard Pelletier, Pierre-Elliott Trudeau, Marcel Rioux et quelques autres, que le cardinal Léger arrive à Rome pour le conclave. Il a tôt fait de se rendre compte que le vent du changement souffle aussi à Rome. Comme dit Routhier : « Son flair le trompe rarement. » Il se rallie sans aucune difficulté au cardinal Roncalli qui est élu Pape le 28 octobre 1958.

Dès lors, il s’applique à faire oublier ses liens avec le pontife défunt : « On approchait de Pie XII avec un sentiment d’admiration, on s’approche de Jean XXIII avec amour ! », déclare-t-il. Avant de revenir au Canada, il va séjourner trois semaines auprès de l’archevêque de Milan, Jean-Baptiste Montini. Oui, « son flair le trompe rarement » !

Quand, le 25 janvier 1959, Jean XXIII annonce la convocation d’un concile, c’est l’enthousiasme, pour ne pas dire le délire. Il se sent investi d’une mission : il n’a plus la charge du seul diocèse de Montréal, il doit faire évoluer l’Église entière ! Membre de la commission centrale préparatoire, puis de la sous-commission des amendements des schémas conciliaires, il se rend à Rome six fois dans l’année, ce qui est considérable à l’époque.

En quelques mois, le cardinal Léger conservateur se mue en révolutionnaire, sans rien perdre de sa grandiloquence, de son autoritarisme, même s’il se pique d’accepter humblement les remarques des intellectuels et celle de ses collaborateurs immédiats, qu’il vient de renouveler en choisissant de jeunes prêtres.

Mais il n’est pas question pour lui de reconnaître ses erreurs passées. Lorsqu’on l’informe de la mort de Mgr Charbonneau le 19 novembre 1959, il demande que l’annonce officielle du décès soit retardée, le temps pour lui de prendre l’avion pour l’Europe. À son arrivée à Paris, il télégraphie : « La nouvelle de la mort de S.E. Mgr Charbonneau m’a été communiquée au moment où je descendais de l’avion qui m’avait conduit de Montréal à Paris. Comme j’aurais voulu être à Montréal pour exprimer mes sentiments et surtout pour recevoir la dépouille mortelle de mon prédécesseur […]. »

La mue cardinalice avance de conserve avec la mue politique du Québec. Duplessis meurt le 7 septembre 1959, son dauphin Paul Sauvé le suit de peu, le 2 janvier 1960. Jean Lesage devient Premier ministre du Québec, le 5 juillet 1960 : c’est la Révolution tranquille.

Pour le carême 1960, une grande mission est organisée à Montréal sur le modèle de celle innovée à Milan par le cardinal Montini ; c’est une rupture par rapport aux habitudes pastorales canadiennes, pour un résultat encore plus insignifiant qu’à Milan. À cette occasion, le cardinal Léger prononce plusieurs conférences très remarquées où il adopte des opinions théologiques contestables. Il se déclare partisan de la « paternité responsable », donc de la régulation des naissances, et il prétend que la fin première du mariage ne doit plus être la procréation, mais la satisfaction de l’amour des époux. Il reconnaît aussi la légitimité du contrôle de l’État sur l’éducation.

Lorsqu’à l’automne 1960 éclate l’affaire des Insolences du frère Untel qui dénonce notre système d’éducation et en réclame une réforme, il défend la liberté d’expression de ce religieux contre ses supérieurs et les autres évêques. Il lance dans son diocèse une consultation des laïcs pour préparer le Concile, procédé suivi par la plupart des autres diocèses.

À Rome, il se lie profondément avec les cardinaux Dopfner (Munich), Frings (Cologne), Liénart (Lille), Alfrink (Utrecht), Suenens (Malines-Bruxelles), Montini (Milan) et Bea. Autrement dit, il fait partie du petit groupe des réformateurs qui vont faire la révolution conciliaire.

Maîtrisant parfaitement le latin, il prend la parole à vingt-six reprises dans l’aula conciliaire. C’est un chaud partisan de l’œcuménisme et de la liberté religieuse, de la réforme liturgique et de l’abandon du latin. Ses propos souvent outrés provoquent les réactions des opposants, ce qui facilite l’avancement de thèses plus modérées, mais non moins révolutionnaires.

Toutefois son étoile pâlit dès l’accession au pontificat de Paul VI, qui entend bien mener la révolution à son terme et donc se méfie maintenant de cet homme « aux partis-pris trop nets qui n’en font pas un homme de synthèse ou de consensus, et dont le statut de vedette finit par créer certaines rivalités », dit Routhier.

LA RUINE, LA FUITE

Un vent de libéralisme souffle en tempête à Montréal : abandon de la confessionnalité des syndicats, des cours de religion à l’université, de l’obligation de la soutane, de l’obligation pour les religieuses de sortir accompagnées.

À ses amis intellectuels et journalistes, il concède tout. Oui, il reconnaît que l’Église a imposé trop longtemps un carcan, qu’elle s’est comportée en mère abusive, qu’elle n’a pas su préparer la jeunesse à affronter la nouvelle société. Il cite Teilhard de Chardin, chez qui tout n’est pas mauvais, dans une conférence à l’Université de Montréal en faveur de l’évolutionnisme. Il accepte que les chaires de l’université soient occupées par des professeurs ouvertement athées, tels Trudeau ou Marcel Rioux : « L’université a besoin de ce genre d’hommes pour se dynamiser », dit-il. Enfin, il ouvre tout grands à l’État les domaines jusque-là réservés à l’Église : l’éducation, les services de santé, les services sociaux.

Dans les années 1962-63, ces prises de position finissent par indisposer plusieurs de ses collègues qui en sont restés à leur conservatisme, ou qui, comme NN.SS. Cabana de Sherbrooke, Martin de Nicolet, Parent de Rimouski, se rendent compte qu’elles sont doctrinalement erronées. À son tour dénoncé à Rome, il est l’objet d’une enquête ouverte par le cardinal Ottaviani, préfet du Saint-Office. Lorsqu’il l’apprend et qu’il sent ses relations romaines se refroidir, il passe par une période de dépression profonde, dont il ne se relèvera qu’à demi.

En 1965, l’élévation au cardinalat de Mgr Roy, archevêque de Québec et primat du Canada, et sa nomination comme premier président de la Commission pontificale Justice et Paix, puis, en 1967, comme président du Conseil pontifical pour les laïcs, achèvent de le convaincre qu’il n’a plus la faveur de Paul VI.

Or, il doit affronter dans son diocèse les effets de la tempête qu’il a soulevée. L’État, à partir de 1964, a définitivement surclassé l’Église dans le domaine de l’éducation, et s’apprête à faire de même dans les hôpitaux.

Il est très affecté par l’hémorragie des prêtres et des religieux, surtout après 1966. Il ne comprend pas ces reniements qu’il est impuissant à empêcher, alors que le flot des vocations se tarit. Les congrégations, dépossédées de leurs institutions, font face à des difficultés financières qui les rendent moins dociles à ses diktats de générosité.

Ses rapports avec ses confrères sont loin d’être harmonieux. Comme l’écrit Gilles Routhier : « Le champion de la collégialité ne parvient toutefois pas facilement à s’insérer dans la conférence épiscopale. » De même, la création de nouveaux conseils dans les diocèses ne facilite pas le gouvernement pour un homme habitué à décider seul. Il se trouve souvent isolé et son administration est maintenant ouvertement critiquée : on lui reproche ses goûts de luxe et son absence de comptabilité.

L’Expo 67 lui redonne un regain d’énergie, le monde entier se presse à Montréal, il est de toutes les réceptions. Il est surtout fier du pavillon de l’Église catholique, dont il a fait un pavillon œcuménique, accueillant sept autres dénominations chrétiennes. Mais les scandales se multiplient, plusieurs de ses collaborateurs doivent s’exiler.

Lui-même est l’objet d’une enquête canonique dont l’issue ne fait aucun doute. Redoutant la honte d’une démission forcée, il propose au Pape de se retirer en Afrique comme missionnaire. C’est donc la tête haute, donnant à son peuple un exemple d’humilité, que le cardinal Léger, en larmes, quitte Montréal le 11 décembre 1967. Ce séjour en Afrique se soldera aussi par un échec : ne s’improvise pas missionnaire qui veut. De retour au Québec, son prestige lui permettra tout de même de présider une fondation destinée à recueillir des fonds pour des objectifs caritatifs dans le tiers-monde. Il s’éteindra à Montréal, après une longue maladie, le 13 novembre 1991.

Même si nous aurons à revenir plus en détail sur le rôle joué par le cardinal Léger auprès de Duplessis, et notamment sur sa responsabilité dans l’abandon des écoles catholiques et des hôpitaux aux mains du gouvernement, nous en savons assez pour constater l’échec patent de la réaction conservatrice après l’épiscopat contesté de Mgr Charbonneau.

Pour l’expliquer, on peut, bien sûr, évoquer « le tempérament du cardinal », comme disent pudiquement ses biographes. Il est évident qu’il n’était ni un mystique ni un saint, même s’il en donnait l’illusion.

Il faut plus profondément incriminer l’absence de réflexion dogmatique, théologique, politique et sociale pour répondre aux questions que posait la société de l’époque. Les conservateurs vivaient sur l’acquis, ils ne travaillaient pas.

D’ailleurs, s’ils n’ont pas davantage réagi, c’est qu’ils n’étaient pas animés par un véritable souci du salut des âmes. Deux évêques ont fait preuve pourtant de clairvoyance : Mgr Parent, successeur et disciple de Mgr Courchesne à Rimouski, et Mgr Cabana, archevêque de Sherbrooke ; mais tous deux, affolés par les conséquences de la révolution conciliaire, préférèrent démissionner à quelques mois de distance en 1967, plutôt que de lutter dans leur diocèse. Ils mourront en 1982.

Le conservatisme a séparé l’épiscopat canadien-français de son troupeau, autant que des exigences de l’Évangile. Le résultat, nous l’avons sous les yeux : c’est la consomption de l’Église. Cette conclusion serait sans espoir si Notre-Dame n’avait promis le triomphe de son Cœur Immaculé, et ne nous avait déjà donné l’exemple et les enseignements quotidiens du pape François, vrai pasteur selon le Cœur de Dieu.
dvdenise
Cette conférence de Jean-Claude Dupuis est intéressante mais quelle insolence envers le Cardinal Paul-Émile Léger @21.46, j'en reviens pas qu'il aie pu dire une telle connerie.
Il lui manque entre autres choses, cette donnée importante. L’explosion démographique de l’après-guerre entraîna une hausse substantielle de la clientèle scolaire catholique, soit 88% de 1945 à 1960. Le nombre des …Plus
Cette conférence de Jean-Claude Dupuis est intéressante mais quelle insolence envers le Cardinal Paul-Émile Léger @21.46, j'en reviens pas qu'il aie pu dire une telle connerie.

Il lui manque entre autres choses, cette donnée importante. L’explosion démographique de l’après-guerre entraîna une hausse substantielle de la clientèle scolaire catholique, soit 88% de 1945 à 1960. Le nombre des enseignants s’accrut parallèlement, mais à l’avantage des laïcs dont l’augmentation, de 1956 à 1960, fut de 11 507, comparativement à une diminution de 268 chez les religieux. Ceux-ci continuèrent d’assumer la direction d’un nombre toujours plus élevé d’écoles publiques, même s’ils devaient affronter la concurrence des laïcs désireux de détenir davantage de postes clé dans l’enseignement.

Quand on regarde la biographie du Cardinal avec tout ce qu'il a fait, c'est la moindre des choses, même s'il a pu commettre des erreurs, de lui porter le respect qui lui est dû. www.biographi.ca/…/leger_paul_emil…