la communion des saints , poème de Frédéric Mistral en occitan et en français

LA COUMUNIOUN DI SANT
Davalaro , en beissant lis iue ,
Dis escalié de Sant-Trefume ;
Ero à l’intrado de la niue ,
Di Vèspro amoussavon li lume ,
Li Sant de pèiro dóu pourtau ,

Car èro bravo que-noun-sai ,
E jouino e bello se pòu dire ;
E dins la glèiso res bessai
L’avié visto parla vo rire ;
Mai quand l’ourgueno restountis ,
E que li saume se cantavon ,
Se cresié d’estre en Paradis
E que lis Ange la pourtabon !

Li Sant de pèiro , en la vesènt
Sourti de-longo la darrriero
Souto lou porge trelusènt
E se grandi dins la carriero ,
Li Sant de pèiro amistadous
Avien pres la chatouno en gràci ;
E quand la niue , lou tèms es dous ,
Parlavon d’elo dins l’espàci .

“La vourriéu vèire deveni ,
Disié sant Jan , moungeto blanco ,
Car lou mounde es achavani ,
E li couvent soun de calanco .”
Sant Trefume diguè : “Segur !
Mai n’ai besoun , iéu , dins moun tèmple
Car fau de lume dins lou mounde fau d’eisèmple .

“Fraire , diguè sant Ounourat ,
Aniue , se’n cop la luno douno
Subre li lono e dins li prat ,
Descendren de nòsti coulouno ,
Car es Toussant : en noste ounour
La santo taulo sara messo.

“Se me cresès , diguè sant Lu ,
Ié menaren la vierginello ;
Ié pourgiren un mantèu blu
Em’uno raubo blanquinello .”
E coume an di , li quatre Sant
Tau que l’aureto s’enanèron ;
E de la chatouno , en passant ,
Prenguèron l’amo e la menèron .

Mai l’endeman de bon matin
La bello fiho s’es levado …
E parlo en tóuti d’un festin
Ounte pèr sounge s’es trouvado :
Dis que lis Ange èron en l’èr ,
Qu’is Aliscamp taulo èro messo ,
Que sant Trefume èro lou clerc
E que lou Crist disié la messo .

FREDERIC MISTRAL

LA COMMUNION DES SAINTS

Elle descendait , en baissant les yeux ,
L’escalier de saint-Trophime .
C’était à l’entrée de la nuit ,
On éteignait les cierges des Vêpres ,
Les Saint de pierre du portail
Comme elle passait , la bénirent ,
Et de l’église à sa maison
Avec les yeux l’accompagnèrent .

Car elle était sage ineffablement ,
Et jeune et belle on peut le dire ;
Et dans l’église nul peut-être
Ne l’avait vue parler ou rire .
Mais , quand l’orgue retentissait ,
Pendant que l’on chantait les psaumes ,
Elle croyait être au Paradis
Et que les Anges la portaient !

Les saint de pierre , la voyant
Sortir tous les jours la dernière
Sous le porche resplendissant
Et s’acheminer dans la rue ,
Les Saints de pierre bienveillants
Avait pris en grâce la fillette;
Et quand , la nuit , le temps est doux ,
Ils parlent d’elle dans l’espace .

“Je voudrais la voir devenir ,
Disait saint Jean , nonnette blanche ,
Car le monde est orageux ,
Et les couvent sont des asiles .
Saint Trophime dit :”Oui , sans doute !
Mais j’en ai besoin dans mon temple ,
Car dans l’obscur il faut de la lumière ,
Et dans le monde il faut des exemples .”

“ O frères , dit saint Honorat ,
Cette nuit , dès que luira la lune
Sur les lagunes et dans les prés ,
Nous descendrons de nos colonnes
Car c’est la Toussaint : en son honneur
La sainte table sera mise …
À minuit Notre-Seigneur
Dira la messe aux Aliscamps.”

“Si vous me croyez , dit saint Luc ,
Nous y conduirons la jeune vierge ;
Nous lui donnerons un manteau bleu
Avec une robe blanche .
Et cela dit , les quatre Saints ,
Tels que la brise , s’en allèrent ;
Et de la fillette , en passant ,
Ils prirent l’âme et l’emmenèrent .

Le lendemain de bon matin
La belle fille s’est levée…
Et elle parle à tous d’un festin
Où elle s’est trouvée en songe :
Elle dit que les Anges étaient dans l’air ,
Qu’aux Aliscamps table était mise ,
Que saint Trophime était le clerc
Et que le Christ disait la messe .
FREDERIC MISTRAL