orient-chretien
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Folie divine

Ils sont tués dans la banlieue sud parce qu’ils sont chiites, ils le sont depuis deux ans, en Syrie, parce qu’ils sont sunnites ou alaouites, et les chrétiens, éternels boucs émissaires, subissent les foudres des islamistes et autres jihadistes parce qu’ils dérangent et sont assimilés à un Occident honni.
Tel est le sombre tableau d’une pathétique déconfiture, celle d’un monde arabe englué dans le fanatisme des temps maudits ; telle est l’effroyable image que donne de lui un islam pris en otage, livré aux démons d’un jihadisme démentiel, d’un fondamentalisme moyenâgeux soutenu et béni par des fatwas édictées au nom d’« Allah le miséricordieux ».
L’islam est malade de régimes qui le corrompent, de théocraties qui l’asservissent aux ambitions du maître ; il est assujetti à des imams fanatisés, à des prédicateurs fous qui distillent la haine, réclament la tête des impies et qui appellent de leurs vœux l’apocalypse de la fin des temps pour hâter la venue du Rédempteur.
L’islam est en crise et pas une voix ne s’élève dans les hiérarchies religieuses pour dénoncer avec véhémence les imposteurs, pour dire assez, pour appeler à la raison, cette raison devenue suspecte parce qu’assimilée à ce même Occident honni.
Et c’est ainsi que de l’Irak à la Syrie, du Nigeria à l’Égypte, les chrétiens sont pourchassés, assassinés, chassés de leurs maisons et assistent, impuissants, à la destruction de leurs lieux de culte ; c’est ainsi que de l’Irak à la Syrie, chiites, sunnites, alaouites et kurdes se livrent à des règlements de comptes impitoyables, se trucident au nom du même Dieu et se livrent à de véritables nettoyages communautaires pour paver la voie aux ghettos à venir.
Et pourtant, il fut un temps où l’islam était synonyme de tolérance et de lumière, il fut un temps où l’islam arrosait de ses connaissances, de son grand savoir, une terre occidentale inculte, dévastée par le fanatisme, toujours accrochée aux basques d’un Moyen Âge obscurantiste. Les siècles ont succédé aux siècles, l’histoire a balayé les uns et les autres, et les menottes de l’intolérance ont changé de mains, ont enchaîné l’islam, l’ont entraîné sur les voies menant aux ruptures, aux conflits sans fin.
Attention danger : la religion redevient outil de mort et de dévastation, le fanatisme étend ses tentacules à l’ensemble de la région et la discorde sunnito-chiite s’implante au Liban, s’enracine dans les régions mixtes, ouvre les vannes des rivières de sang. Attention danger : les jihadistes ont élu domicile au pays du Cèdre, y ont étendu leur guerre contre le Hezbollah, cette même guerre que Hassan Nasrallah entend mener en Syrie jusqu’au dernier homme, jusqu’au dernier combattant chiite.
Guerre civile en Syrie, guerre civile en Irak, climat de guerre civile en Égypte. Et au Liban un champ de mines ouvert à tous les vents. Les acteurs sont tous musulmans, les tireurs de ficelles régionaux sont tous musulmans et les victimes sont les mêmes, tous des musulmans, et par la bande, des chrétiens, ceux qu’on agresse ou qu’on assassine parce qu’ils sont au mauvais endroit, là où ils ne devraient pas être.
Théocrates ou dictateurs, fous de Dieu ou parti de Dieu, ils mènent leur monde au désastre, dans des guerres sans fin, et les suiveurs continuent d’applaudir à l’avenir radieux qui leur est promis. Mais il y a bien longtemps qu’Allah, le miséricordieux, ne reconnaît plus les siens...

Nagib AOUN (L'Orient-Le-Jour)