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Les corsaires barbaresques font de l’ombre au Roi Soleil

Sous le règne de Louis XIV, le contrôle de la Méditerranée devient plus que jamais stratégique. Mais à la fin du XVIIe siècle, les corsaires d’Afrique du Nord, au service de l’Empire ottoman, s’entêtent à braver la puissante marine française.

Alain Blondy, professeur émérite, spécialiste de l’histoire du monde méditerranéen

Publié le 26/05/2022 à 08h01, mis à jour le 27/05/2022 à 09h40 • Lecture 4 min.
Les corsaires barbaresques font de l’ombre au Roi Soleil

Gravure du XIXe siècle montrant la ville d'Alger depuis la mer. • ISTOCK

Les janissaires et les capitaines corsaires qui constituaient l’« Invincible Milice », détentrice du pouvoir de la régence d’Alger, connaissaient parfaitement la situation politique européenne.

Durant la minorité de Louis XIV, de 1643 à 1653, Alger avait cru pouvoir n’avoir aucun égard pour la France, l’estimant affaiblie par sa guerre continue contre l’Espagne.

Par la suite, Alger prêta une oreille complaisante aux ouvertures que lui firent les compétiteurs de la France, signant un traité avec les Hollandais en 1680, puis avec les Anglais en 1682. Dans les deux cas, Louis XIV entendit châtier la régence.

Trois cents canons face à Alger

En 1664, il chargea son cousin François de Bourbon-Vendôme, duc de Beaufort et petit-fils d’Henri IV, d’occuper Djidjelli (actuelle Jijel), une importante base maritime de corsaires.

L’affaire ayant tourné court, il le renvoya l’année suivante sur les côtes de la régence d’Alger, assisté d’un ancien corsaire que Richelieu avait fait capitaine de vaisseau dans la Royale : Jean-Paul de Saumeur, dit le « chevalier Paul ».

En août 1665, la flotte du duc de Beaufort et du chevalier Paul incendia une escadre ottomane devant Cherchell, coulant notamment le vaisseau amiral du sultan. Ne se contentant pas de cette victoire, le chevalier Paul fonça sur La Goulette, où il prit trois nouveaux vaisseaux corsaires, dont deux furent brûlés.

Alger demanda la paix, qui fut signée en mai 1666. Mais, immédiatement, la régence d’Alger refusa de libérer, comme elle s’y était engagée, les plus de 1 100 esclaves français qui croupissaient dans ses bagnes.

Aussi, à la fin du XVIIe siècle, l’exemple algérien était devenu viral, et les corsaires des autres régences multiplièrent alors leurs assauts en Méditerranée. Louis XIV décida de les attaquer dans leurs bases mêmes.

En 1680, il nomma Abraham Duquesne lieutenant général des armées navales, pour notifier son ultimatum aux trois régences d’Alger, de Tunis et de Tripoli. En juin 1681, à la tête d’une escadre de sept vaisseaux de plus de 40 canons, Duquesne fit connaître les intentions du roi à Alger et Tunis. P

uis, s’étant assuré de la neutralité du sultan, il se dirigea vers l’île de Chios, où se tapissaient les corsaires tripolitains. Le 23 juillet, bombardant le port, il coula six des huit vaisseaux corsaires de Tripoli.

La Sublime Porte, effrayée, força cette régence à signer la paix en octobre 1681. Mais celle d’Alger, pour montrer qu’elle ne craignait rien, passa à l’offensive.

Le 27 juillet 1683, en réponse à un bombardement, le père lazariste Jean Le Vacher est embouché à un canon, dont le tir projette ses restes macabres sur la flotte française.

En conséquence, une flotte française mouilla en juillet 1682 dans la baie d’Alger et bombarda la ville durant trois nuits.

Or, loin d’intimider les corsaires, cela les enhardit. Duquesne revint donc en juin 1683 et bombarda de nouveau la ville.

Alors que le dey d’Alger était prêt à signer la paix, il fut assassiné par le chef de la corporation des corsaires, Mezzomorto, qui s’empara du pouvoir et ordonna une lutte sans merci.

Le 27 juillet 1683, en réponse à un bombardement qui détruisit plus de 1 000 maisons et tua tant d’Algérois que l’on remplit 12 bateaux de leurs cadavres, le père lazariste Jean Le Vacher, vicaire apostolique, fut attaché à la bouche d’un canon dont le tir projeta ses macabres restes sur la flotte française.

En dépit de nouveaux bombardements, Alger, au bord de la famine, ne cédait pas.

Des bombes aux négociations

Le roi remplaça alors Duquesne par Tourville. Avec l’aide d’un négociateur, Denis Dusault, directeur des concessions d’Afrique, un traité fut signé en avril 1684.

Pour la première fois, l’Invincible Milice avait donc accepté de s’humilier devant la raison des bombes.

La France pensa que la punition servirait d’exemple au monde barbaresque.

Or, il n’en fut rien ; Tripoli recommença ses opérations corsaires dès le lendemain de la paix de 1682. Louis XIV ordonna donc au maréchal d’Estrées, vice-amiral de France, de bombarder cette ville le 22 juin 1685.

Le 29, Tripoli cédait sur tout. D’Estrées parut alors devant la régence de Tunis, qui était divisée par une guerre civile, et obtint en septembre le renouvellement des concessions françaises par les deux pouvoirs tunisiens.

Entre le 1er et le 16 juillet 1688, un déluge de 10 000 bombes détruit les monuments et les maisons des riches corsaires d’Alger.

Cependant, à Alger, le climat était différent. Les corsaires ne supportaient plus l’immobilité à laquelle la paix les avait réduits et qui les ruinaient. Avec l’accord du dey Mezzomorto, ils contrevinrent aux engagements de 1684.

En conséquence, Versailles renoua avec l’envoi de croisières punitives en 1686 et en 1687. La réponse du dey ne se fit pas attendre : il fit enchaîner tous les Français, du consul aux capitaines, et les fit vendre comme esclaves.

Une seconde guerre éclata donc. Entre le 1er et le 16 juillet 1688, un déluge de 10 000 bombes détruisit les monuments et les maisons des riches corsaires.

Le consul André Piolle fut alors lynché par la foule, et les autres Français furent embouchés aux canons à tour de rôle. Pour chacun, l’amiral d’Estrées faisait aussitôt pendre sur un radeau un Ottoman ou un Maure.

Mais, le 18 juillet, l’amiral fut rappelé en France en raison de la situation européenne provoquée par la Glorieuse Révolution anglaise. Alger eut alors l’impression d’être réellement invincible.

En 1689, la France décida de renouer avec la négociation, confiée à un homme de talent : le capitaine Guillaume Marcel.

Celui-ci intéressa financièrement le dey Mezzomorto, mais le traité était à peine signé en septembre 1689 que les corsaires et les janissaires, s’estimant floués, se soulevèrent contre le dey, qui eut juste le temps de fuir à Constantinople.

De 1681 à 1689, les guerres contre Alger s’étaient déroulées pendant la plus longue période de paix continentale du règne de Louis XIV. Par la charge financière qu’elles entraînèrent, par leur intensité et leur durée, elles coûtèrent au royaume de France plus qu’elles ne lui rapportèrent.

Le commerce marseillais estima donc que les démonstrations belliqueuses, inutilement coûteuses, gênaient son activité économique. Finalement, en 1690, un accord fut trouvé entre Versailles et Alger.

Pour autant, la paix entre la France et la régence d’Alger ne fut désormais rien d’autre qu’une trêve renouvelée plus ou moins régulièrement, aucune des deux parties ne croyant à la bonne foi de l’autre.

Cette défiance mutuelle fit que, jusqu’en 1830, les corsaires d’Alger restèrent pour la France un problème majeur en Méditerranée.

Pour en savoir plus
Les Barbaresques, J. Heers, Perrin (Tempus), 2008.