Un avis de canoniste

La récente nouvelle de l'ouverture d'une procédure pénale contre l'archevêque Viganò pour accusation de schisme a provoqué, outre une forte réaction de ce dernier, le méli-mélo prévisible et compréhensible de commentaires. Je n'éprouverais pas le besoin d'ajouter ma voix au chœur, si ce n'était pour quelques points qui, du moins d'après ce que j'ai pu voir, n'ont pas reçu beaucoup d'attention ou n'ont pas été formulés correctement, peut-être parce qu'ils présupposent une certaine familiarité tant avec le droit canonique en général qu'avec le sujet particulier des crimes réservés au Dicastère pour la Doctrine de la Foi.

Maintenant, dans le décret d'ouverture de la procédure, la partie la plus importante à mon avis est le numéro de protocole.
Dans les archives des dicastères du Vatican, en effet, il ne correspond pas au protocole de sortie du document individuel - auquel cas il serait ajouté ultérieurement par un cachet ou une autre méthode similaire - mais au numéro de dossier. Cela signifie que ce dossier n'a été ouvert qu'en 2024, alors que l'archevêque Viganò fait des déclarations incendiaires depuis plusieurs années. Beaucoup, en effet, se sont demandé pourquoi le Dicastère bougeait maintenant ou seulement maintenant, selon le point de vue. À mon avis, la raison réside dans la référence à l'article 1 §2 de son règlement intérieur (m.p. "Sacramentorum sanctitatis tutela" et amendements et ajouts ultérieurs) : l'ouverture d'un dossier approprié requiert un mandat spécifique du Pontife romain.

Il ne fait guère de doute que l'affaire était en observation dès le début, mais ce dossier serait un dossier différent, avec un numéro de protocole différent ; une fois le mandat délivré, son contenu a été transféré dans le nouveau dossier, en tant qu'élément de preuve. Cette éventualité est d'ailleurs expressément prévue par le n° 107 du vade-mecum de procédure qui, bien qu'intitulé "maltraitance des enfants", concerne en fait, sur ces points, les règles applicables à tous les crimes réservés : "L'ensemble de ce qui précède est appelé "preuve" parce que, bien qu'il ait été recueilli au stade de l'instruction, il devient automatiquement un élément de preuve lors de l'ouverture de la procédure extrajudiciaire". En effet, il est évident que le Dicastère, pour demander au Pape le mandat de poursuivre un évêque, doit lui présenter des éléments qu'il considère comme étant de nature à justifier l'ouverture d'un procès : peu importe qu'on les appelle preuves ou non, il faut au moins qu'ils constituent des indices sérieux contre lui.L'importance des remarques ci-dessus réside dans le fait que le numéro de protocole indique que le mandat a été accordé, mais rien ne nous dit quand il a été demandé. Pour autant que nous le sachions, il est même possible que la demande en question soit en suspens depuis des années et qu'elle ait été ignorée jusqu'à présent ; en tout cas, il semble difficile d'imaginer des événements récents qui auraient pu aggraver la position de Mgr Viganò d'une manière particulière, amenant ainsi le DDF à la présenter maintenant. La question générale reste donc valable, mais je pense qu'elle devrait être reformulée : non pas "Pourquoi le Dicastère ne bouge-t-il que maintenant ?", mais "Pourquoi Bergoglio a-t-il décidé de le faire bouger seulement maintenant ?".

L'une des explications possibles que j'ai trouvées concerne des rumeurs selon lesquelles l'ancien Nonce apostolique aurait été lui-même re-consacré sub condicione par l'archevêque Williamson, manifestement afin de collaborer avec sa "Résistance catholique" précisément en tant qu'évêque (et donc en ordonnant, en administrant des confirmations, etc.) ). À ma connaissance, il n'a jamais démenti ni même confirmé ces rumeurs, mais l'hypothèse est que le Vatican a récemment acquis des preuves de ce fait, jusqu'alors inconnues.
Je pense que cette explication n'est pas fondée.

Par ailleurs, à ma connaissance, aucune des consécrations sans mandat effectuées par Mgr Williamson ou les évêques qu'il a consacrés n'a donné lieu à des mesures romaines déclarant l'excommunication latae sententiae, ni à quelque autre sanction que ce soit : il serait très étrange de réagir dans ce cas, où le fait n'est ni connu ni même incontesté. En outre, la consécration sans mandat est un délit spécifique, en soi distinct du schisme, de sorte que l'interpellation devrait l'indiquer séparément. En outre, il n'est pas du tout évident que les faits allégués intègrent les extrêmes de ce délit : le cas incriminé vise à empêcher quelqu'un de devenir évêque sans le consentement du Pontife romain, qui, du moins selon le droit actuel de l'Église latine, doit être exprimé dans un document écrit spécial, appelé "mandat" parce qu'il ordonne que Tizio soit consacré évêque (lui attribuant également un siège, résidentiel ou titularisé). Or, Monseigneur Viganò a reçu un tel mandat en 1992, mandat qui reste valable - comme tous les actes de gouvernement - même après la mort du Pape qui l'a signé : il serait très facile de soutenir qu'en éliminant un doute sur la validité de la consécration, lui et les "re-consécrateurs" n'ont fait que s'assurer que le mandat papal a été correctement exécuté ; d'autant plus que, à supposer que le fait ait eu lieu, toute forme de publicité qui pourrait être interprétée comme un geste de défiance envers le Saint-Siège a été soigneusement évitée.

Mais c'est précisément ce manque de publicité qui me conduit à la raison que je considère comme décisive pour exclure que la "reconsécration" ventilée relève du champ d'application de la procédure : le décret informe que l'enquête préalable a été jugée superflue ; cela signifie que le département estime disposer de preuves documentaires solides, puisque le but de l'enquête elle-même est de vérifier s'il est probable que le délit a été commis - de la vérité à la certitude, on passe à l'étape suivante, celle du contre-interrogatoire avec la personne concernée - et il me semble difficile que, par rapport à une rumeur qui n'a été ni confirmée ni infirmée par la personne concernée, des éléments adéquats aient été acquis dans les dossiers.

Ceci m'amène à dire quelques mots à la fois sur le type de procédure engagée et sur la position de Monseigneur Viganò, qui parle d'une "sentence déjà écrite" et n'entend pas participer d'une manière ou d'une autre à la procédure elle-même.

Tout d'abord, le lecteur a le droit de ne pas savoir, et de ne pas vouloir comprendre, ce qu'est un "procès pénal extrajudiciaire". En termes simples, la principale différence avec le procès que nous avons tous à l'esprit est qu'il n'y a pas d'audience : il s'agit toujours d'un procès, donc - schématiquement - l'accusation dit ce qu'elle a à dire, sur la base des preuves du dossier et de la loi ; la défense répond, sur la même base ; et une tierce partie décide, non pas au gré de sa fantaisie ni même selon des critères d'opportunité, mais en fonction de la loi et des éléments de preuve. Sauf :que : 1) ce processus contradictoire se déroule par écrit ; 2) la mesure finale a la forme d'un acte administratif et non d'un jugement. Néanmoins, il peut être utile de le rappeler, elle reste un acte d'application de la loi et peut être contestée.
Or, le Code voudrait que le processus pénal judiciaire soit la règle, l'extrajudiciaire l'exception (cf. c. 1342 §1) ; dans la pratique, c'est plutôt le contraire qui est vrai, pour de nombreuses raisons, et la loi spéciale elle-même élargit les possibilités d'utiliser la voie extrajudiciaire au DDF. La raison principale est que le contre-interrogatoire écrit constitue la forme la plus sensée pour la célébration d'un procès qui, en règle générale, arrive à Rome après que les preuves ont déjà été recueillies localement et après qu'un premier jugement a été rendu ; même lorsque le DDF procède directement - comme dans ce cas, en effet, en vertu de l'art. 1 §2 de la loi spéciale, dans toutes les affaires impliquant un tribunal de première instance, le contre-interrogatoire écrit peut être considéré comme un élément essentiel de la procédure judiciaire. 1 §2, dans tous les cas impliquant des évêques - la forme écrite, évitant de lourds déplacements du personnel ou des parties, est d'autant plus indiquée qu'il est moins nécessaire d'entendre des témoins, d'inspecter des lieux ou d'effectuer des activités similaires. En particulier, non seulement la pratique, mais aussi les canonistes considèrent que le processus judiciaire est superflu lorsque le fait contesté, dans sa matérialité, est notoire.Dans ces conditions, il me semble évident que Mgr Viganò - qui, si je ne m'abuse, est docteur en utroque iure, donc aussi en droit canonique - se trompe lorsqu'il affirme que le choix d'un procès pénal extrajudiciaire prouve en soi que la sentence est déjà écrite. C'est ici qu'intervient une distinction cruciale que l'on a souvent tendance à oublier : les faits sont une chose, leur évaluation morale ou juridique en est une autre. Que, d'une manière générale, Monseigneur Viganò ait contesté la légitimité pontificale de Bergoglio, rompu la communion avec lui et rejeté le Concile Vatican II est notoire, incontesté et, d'ailleurs, revendiqué par lui comme un mérite : en ce sens, il semble difficile de ne pas être d'accord avec le choix de considérer l'enquête préalable comme superflue. Là où il y a, au contraire, ou devrait y avoir une marge raisonnable de contradiction - au-delà des seuls épisodes spécifiques qui devraient soutenir l'accusation de schisme (et sur lesquels, à l'heure actuelle, nous ne sommes pas informés) - c'est au niveau de la qualification juridique des faits en question. Mais ce n'est pas tout : pour les "condamnations déjà écrites", il existe une procédure spéciale, celle de l'article 26 SST. Lorsque le Dicastère estime qu'il "établit manifestement la commission du crime" (non seulement du fait, attention, mais du crime dans tous ses éléments juridiques, y compris la malice) et que le cas est "d'une particulière gravité", il peut proposer directement au Pape de réduire l'ecclésiastique jugé à l'état laïc, après lui avoir de toute façon donné l'occasion de se défendre. Au moins pour le moment, et quelles que soient les raisons (y compris peut-être l'intention d'éviter ou de reporter une implication directe de Bergoglio, qui est le "juge naturel" de tous les évêques), cette carte reste dans le jeu.

Bien sûr, Monseigneur Viganò pourrait avoir de très bonnes raisons de considérer comme suspectes les personnes qui seront appelées à le juger. Et l'on imagine mal une absolution sortir du Palais du Saint-Office. Mais, pour autant, je ne partage pas sa décision de ne pas participer à la procédure, alors qu'à mon avis Monseigneur Viganò et l'Église n'auraient qu'à y gagner. Quant à sa personne, il priverait la condamnation d'un argument facile et saisissant, que son attitude de rejet public et méprisant du Tribunal constitue la meilleure preuve qu'il est schismatique ; et si jusqu'ici je pouvais aussi hausser les épaules et dire "C'est son affaire", il n'en va pas de même pour les défenses qu'il pourrait avancer et sur lesquelles je vais me prononcer et sur lesquels il serait dans l'intérêt général que le ministère prenne une position officielle, noir sur blanc. En particulier : le crime de schisme consiste dans le refus de la soumission au Pontife romain (cf. c. 751 ; l'autre hypothèse qui y est envisagée, c'est-à-dire le refus de la communion avec ceux qui sont soumis au Pape, ne semble pas applicable au cas), mais les auteurs excluent que la contestation sur la légitimité de l'élection soit telle, au moins lorsqu'il y a un doute probable ou qu'il ne s'agit pas d'un prétexte clair ; pour condamner Mgr. Viganò, le Dicastère devrait donc exclure non seulement qu'il y ait eu des marges de doute raisonnables à cet égard, mais aussi qu'il ait pu sans reproche les tenir pour telles ; il est indéniable qu'il a "rompu la communion" avec Jorge Mario Bergoglio, si l'on entend par là le fait de reconnaître comme actes du Pontife romain ses actes qui devraient précisément être officiels ; Toutefois, dans la mesure où cela dépend du doute quant à la validité de son élection (que ce soit en référence à la renonciation de Benoît XVI ou au "vice de consentement" du pape nouvellement élu), ce qui précède s'applique, alors que si cela dépend de la thèse bien connue selon laquelle le pape hérétique perdrait ipso facto la fonction qu'il occupe, le Dicastère devrait nécessairement exclure non seulement que Bergoglio soit hérétique, mais aussi qu'il puisse raisonnablement sembler l'être ; enfin et surtout, l'accusation de "rejet du Concile Vatican II" n'a en soi rien à voir avec la question de l'hérésie. Il n'y a aucun rapport avec le crime de schisme, car ce dernier - comme on l'a dit - consiste simplement dans le refus de se soumettre au Pontife romain, alors que le Dicastère, dans le décret, semble traiter comme tel une "rupture de communion" plus générique avec le Pape ; autrement dit, le schisme correspond à la rupture d'un seul des trois liens dans lesquels s'articule la communion ecclésiastique (cf. canon 205), celui de l'unité de gouvernement sous un seul Pasteur, tandis que les désaccords doctrinaux ne rompent la communion que s'ils atteignent le niveau de l'hérésie pure et simple ; si je ne me trompe pas, la position officielle de Rome est que Vatican II, n'ayant pas prononcé de dogmes, n'engage en soi que l'autorité du Magistère authentique (cf. canon 752) ; mais, par définition, la dissidence par rapport à de tels actes, même lorsqu'elle est totalement injustifiée, ne constitue pas une hérésie et, peut-on ajouter, encore moins un schisme, puisqu'elle est punie comme un délit en soi (ancien canon 1371, actuel canon 1366), qui plus est avec une peine moins grave ; le Dicastère devrait donc expliquer très, très bien pourquoi ce qui normalement ne constitue pas un schisme en viendrait, dans le cas concret, à en être au moins une "figure symptomatique", si l'on ose dire.

Peut-on douter de l'importance de voir de telles questions posées, discutées et abordées ? Si donc la motivation de la mesure de condamnation était moins précise sur l'un de ces trois points, Monseigneur Viganò aurait, ex post, beaucoup plus de raisons de dénoncer la déclaration telle qu'elle a été rédigée. Au contraire, la position qu'il a adoptée après avoir reçu le décret me semble particulièrement préjudiciable à la position de quelqu'un qui, sauf erreur, sur l'élection valide de Bergoglio s'est exprimé (à la différence, par exemple, du célèbre Minutella) en termes de doute et non de certitude, étant donné que dans le doute on présume la légitimité et non son contraire, d'autant plus lorsqu'il ne s'agit pas de se présenter devant Bergoglio en personne, mais devant le Dicastère.On peut se demander, en fait, s'il lui aurait été moralement possible d'adopter une attitude différente : l'un des effets les plus désastreux du développement d'Internet et des médias sociaux en tant que canaux par lesquels chaque "personnalité catholique" d'un certain calibre dans le monde varié des faiseurs d'opinion forme une "base" d'adeptes consiste, à mon avis, dans le risque très réel que de cette même "base" les personnes concernées restent prisonnières. La masse, même ou peut-être surtout lorsqu'elle est animée par des motifs religieux, aspire à un héros sans tache et sans peur, un chevalier blanc qui chevauche vers la guerre totale, "vers le malheur et la fin du monde" ; quiconque offre moins que cela sera rapidement surclassé sur un marché où la concurrence pour les consciences, ainsi que pour les dons, est féroce. Mais la messe est une chose, l’Église en est une autre, d'une importance toute différente. Et pour l'Église, malheureusement, puisqu'il semble maintenant tout à fait certain que les points susmentionnés ne seront pas abordés, il s'agit d'une occasion perdue.
Gênes, 22 juin 2024
Guido Ferro Canale