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CONSIDÉRATIONS SUR LA PASSION Saint Alphonse de Liguori - CHAPITRE V SUR LES SEPT PAROLES PRONONCÉES PAR JÉSUS-CHRIST SUR LA CROIX

IV – Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? (Mt 27, 46)

Saint Matthieu dit que Notre-Seigneur prononça la Parole « Mon Dieu ! Mon Dieu ! pourquoi M’avez-vous abandonné ? » en jetant un grand cri (Mt 27, 46). Pourquoi ce cri retentissant ? Selon Euthymius, le Sauveur a voulu montrer par là sa Puissance Divine en vertu de laquelle, quoique sur le point d’Expirer, il Pouvait faire Entendre une Voix si Forte ; ce dont les hommes agonisants sont incapables, à cause de l’extrême faiblesse dans laquelle ils sont réduits. Ce fut en outre pour nous faire connaître combien Il Souffrit en Mourant. On eût pu croire que, Jésus-Christ étant homme et Dieu, sa Divinité aurait empêché les tourments de lui causer de la Douleur ; pour écarter ce soupçon, Il voulut témoigner par ce Cri Plaintif que Sa Mort fut la plus Douloureuse que jamais un homme ait endurée, et que, tandis que les Martyrs furent soutenus dans leurs tourments par les Consolations Divines, lui, comme Roi des Martyrs, il voulut mourir privé de tout adoucissement, et satisfaire en toute rigueur à la Divine Justice pour tous les péchés des hommes. C’est aussi pour cette raison, remarque Silveira, que, s’adressant à son Père, Il L’appela Son Dieu, et non Son Père ; il devait Lui parler alors comme un Coupable à son Juge, et non comme un fils à son père.

D’après Saint Léon, Ce Cri du Seigneur sur la Croix ne fut pas proprement une Plainte, mais un Enseignement. Il a voulu nous apprendre, par cette Expression de Douleur, combien est grande la malice du péché, puisque Dieu fut en quelque sorte Obligé de Livrer son Fils Bien-Aimé au dernier Supplice sans lui accorder le Moindre Soulagement, et cela seulement pour S’être chargé d’expier nos fautes. Cependant, même alors, Jésus-Christ ne fut pas Abandonné de la Divinité ni Privé de la Gloire qui avait été communiquée à son Âme Bénie dès le Premier Instant de Sa Création ; mais Il fut privé de toutes les Consolations Sensibles que Dieu Accorde ordinairement à ses Fidèles Serviteurs, pour les fortifier dans leurs souffrances ; Il resta Abandonné dans un Abîme de Ténèbres, de Craintes, de Dégoûts Amers, autant de Peines que nous avons méritées. Notre Sauveur avait déjà Subi, dans le Jardin de Gethsémani cette Privation de la Présence Sensible de Dieu ; mais celle qu’il Souffrit sur la Croix fut encore plus Grande et plus Cruelle.

Ô Père Eternel ! quel déplaisir vous a donc causé ce Fils Innocent et Obéissant, pour que Vous le punissiez par une Mort remplie de tant d’Amertume ? Regardez-Le sur cette Croix. Voyez comme sa Tête y est Tourmentée par les Épines, comme Son Corps y est attaché par trois Crochets de Fer et ne repose que sur Ses Plaies ! Il est Abandonné de tout le monde, même de Ses Disciples ; ceux qui l’entourent ne font qu’augmenter Son Supplice par des dérisions et des blasphèmes ; pourquoi donc, Vous qui l’aimez tant, L’Avez-Vous Abandonné aussi ? Mais il ne faut pas oublier que Jésus s’était chargé de tous les péchés du Monde. Quoiqu’il fût le plus Saint de tous les hommes, ou plutôt La Sainteté Même, ayant pris sur lui la charge de satisfaire pour tous nos péchés, il paraissait le plus grand pécheur de l’Univers. Comme tel, devenu Responsable pour tous, Il s’était offert à payer toutes nos dettes envers la Justice Divine ; et comme nous méritions d’être à jamais abandonnés dans l’Enfer et livrés à un désespoir éternel, Il a voulu être Lui-même abandonné à une Mort sans Consolation, afin de nous Délivrer de la Mort Éternelle.

Calvin, dans son commentaire sur saint Jean, a eu l’audace d’avancer que Jésus-Christ, pour réconcilier son Père avec les hommes, devait éprouver toute la colère de Dieu contre le péché et subir toutes les peines des damnés, spécialement celle du désespoir. C’est là une exagération et une erreur. Comment le Fils de Dieu aurait-il pu expier nos péchés par un péché plus grand, tel que le désespoir ? et comment ce désespoir, rêvé par Calvin, pouvait-il s’accorder avec la dernière parole de Jésus remettant son Âme entre les mains de son Père ? La vérité, comme l’expliquent Saint Jérôme, Saint Jean Chrysostome et d’autres interprètes, est que Notre Divin Sauveur ne fit entendre un Cri Plaintif que pour Monter, non son désespoir, mais la Douleur qu’Il Eprouvait en Mourant ainsi Privé de toute Consolation. D’ailleurs, le Désespoir de Jésus-Christ n’aurait pu provenir d’aucune autre cause que de se voir haï de Dieu ; mais comment Dieu pouvait-il haïr ce Fils qui, pour se Conformer à sa Volonté, avait Consenti à Satisfaire à sa Justice pour les péchés des hommes ? Ce fut en retour de cette obéissance que son Père lui Accorda le Salut du genre humain, ainsi que l’Écriture nous l’enseigne (He 5, 7).

Du reste, cet Abandon fut la plus Cruelle de toutes les Peines que Jésus-Christ endura dans sa Passion ; car nous savons qu’après avoir Souffert tant de Douleurs Atroces sans Ouvrir la Bouche, Il ne se Plaignit que dans cette dernière circonstance, et que ce fut en Poussant un Grand Cri (Mt 27, 50), accompagné de beaucoup de Larmes et de Prières (He 5, 7). Mais, par ce Cri et ces Larmes, le Divin Maître a eu en vue de nous faire comprendre, d’une part, combien Il Souffrait pour nous obtenir Miséricorde auprès de Dieu et, de l’autre, combien est Horrible le Malheur d’être rejeté de Dieu et à jamais Privé de son Amour, selon la Menace du Sauveur (Os 9, 15).

Saint Augustin observe en outre que, si Jésus-Christ se troubla à l’aspect de Sa Mort, ce fut pour la Consolation de ses Serviteurs, afin que, s’il leur arrive d’éprouver quelque trouble lorsqu’Ils se voient sur le point de Mourir, ils ne se regardent pas comme réprouvés et ne s’abandonnent pas au désespoir, puisque le Seigneur lui-même Se Troubla dans cette Circonstance.

Rendons Grâces à la Bonté de notre Sauveur, qui a daigné prendre sur lui les Peines qui nous étaient dues et nous délivrer ainsi de la Mort Éternelle ; et tâchons d’être à l’avenir reconnaissants envers ce Divin Libérateur, en bannissant de notre Cœur toute affection qui ne serait pas pour Lui. Lorsque nous nous trouvons dans la Désolation Spirituelle, et que Dieu nous prive de Sa Présence Sensible, unissons-nous à ce que Jésus-Christ Souffrit Lui-même au moment de Sa Mort. Quelquefois, le Seigneur se cache aux Yeux des Âmes qu’il chérit le plus, mais il ne s’éloigne pas de leur Cœur, et Il Continue des les soutenir intérieurement par Sa Grâce. Il ne s’offense point si, dans cet abandon, nous lui disons ce qu’il disait lui-même à Dieu son Père dans le Jardin des Olives : « Mon Père ! s’il est possible, que ce Calice s’éloigne de Moi ! » (Mt 26, 39). Mais il faut ajouter aussitôt avec lui : « Néanmoins, que Votre Volonté soit faite, et non la mienne ! » Si la désolation continue, il faut continuer à répéter cet Acte de Résignation, comme Notre-Seigneur fit lui-même durant les trois heures de Son Agonie. Saint François de Sales dit que Jésus, soit qu’Il se montre, soit qu’Il se cache, est toujours également Aimable. Après tout, quand on a mérité l’Enfer, et qu’on s’en voit délivré, on n’a qu’une chose à dire : « Seigneur ! je louerai votre saint nom en tout temps » (Ps 33, 2). Je ne suis pas Digne de Vos Consolations ; Accordez-moi la Grâce de Vous Aimer, et je consens à vivre dans ma peine aussi longtemps qu’Il vous Plaira. Ah ! si les damnés pouvaient, dans leurs tourments, se conformer ainsi à la Volonté Divine, leur Enfer ne serait plus un EnferMais vous, Seigneur, ne soyez pas loin, ô Ma Force, vite à mon aide ! » (Ps 21, 20). Ô Mon Jésus ! par les Mérites de Votre Mort Désolée, ne me privez pas de Votre Secours dans ce Grand Combat qu’au moment de ma Mort j’aurai à soutenir contre l’Enfer. Quand tout le monde m’aura abandonné, et que personne ne pourra plus m’aider, ne m’abandonnez pas, Vous qui êtes mort pour moi et qui pouvez seul me secourir dans cette extrémité. Exaucez-moi, Seigneur, par le Mérite de la Grande Peine que vous avez soufferte dans votre abandon sur la Croix, par lequel vous nous avez obtenu de n’être point abandonné de la Grâce comme nous l’avons mérité par nos fautes.