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« Préparation à la mort » par Saint Alphonse de Liguori

Trente et unième considération. De la persévérance (suite)

« Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé »
(Mt 24, 13)

Troisième point

Venons-en au troisième ennemi, le pire de tous, la chair ; et voyons par quels moyens nous devons lui résister. Premier moyen : la prière ; il en étais question plus haut. Second moyen : la fuite des occasions ; ce second moyen demande une particulière attention. D’après saint Bernardin de Sienne, « de tous les conseils donnés par Jésus Christ, voici le plus important, celui qui sert en quelque sorte de fondement à la vie chrétienne : fuir les occasions du péché ». Le démon lui-même, contraint un jour par les exorcismes de l’Église, confessa que de tous les sermons aucun ne lui déplaît comme le sermon sur la fuite des occasions. Et cela se comprend. Car le démon se moque bien de toutes les résolutions et de toutes les promesses d’un pécheur qui se repent de ses péchés, mais qui ne s’éloigne pas de l’occasion. L’occasion, spécialement en matière de plaisirs sensuels, est pour l’homme comme un bandeau qui s’applique sur les yeux, ne lui laisse plus voir ni résolutions prises, ni lumières reçues, ni vérités éternelles, bref, elle lui fait tout oublier et le frappe d’une sorte de cécité. C’est pour n’avoir pas fui l’occasion que nos premiers parents succombèrent. Dieu ne voulait même pas qu’ils touchassent au fruit défendu, comme Ève s’en expliquait avec le serpent : « Dieu nous a commandé de n’en point manger et de n’y point toucher » (Gn 3, 3). Mais l’imprudente regarda, prit et mangea. Ève commence donc par regarder la pomme ; puis, elle la prend en main et elle finit par la manger. Quiconque, de propos délibéré, s’expose au péril, y trouvera sa perte. « Celui qui aime le danger y périra » (Si 3, 27). Saint Pierre nous apprend que « le démon rôde sans cesse, cherchant qui dévorer » (1 P 5, 8). Or, pour rentrer dans une âme d’où il a été chassé, que fait-il ? Se demande saint Cyprien. Il épie l’occasion, répond le saint, il examine s’il ne découvrira pas quelque part une issue pour pénétrer. Et si l’âme consent à se laisser entraîner dans l’occasion, bientôt elle sera envahie et dévorée par l’ennemi. L’abbé Guerric observe que Lazare ressuscita les mains et pieds liés ; aussi, ajoute-t-il, ressuscité de la sorte, Lazare subit une seconde fois la mort. L’auteur veut par là nous faire comprendre combien est à plaindre l’infortuné qui, sortant de la tombe du péché, demeure enlacé dans quelque occasion. C’est pourquoi quiconque veut se sauver doit nécessairement quitter, non pas seulement le péché, mais encore l’occasion du péché, c’est-à-dire, tel ami, telle maison, telle correspondance.

Mais direz-vous, j’ai maintenant changé de vie et je ne me sens plus, à l’égard de cette personne, aucune mauvaise intention, pas même de tentation. Je réponds. Il se trouve, dit-on, en Mauritanie certains ours qui vont à la chasse des singes. Dès que ceux-ci les voient venir, ils se sauvent sur les arbres. Que fait alors l’ours ? Ils se couche au pied de l’arbre et fait le mort. Mais à peine les singes sont-ils descendus que l’ours se redresse, se jette sur eux et les dévore. Ainsi fait le démon. À l’en croire, la tentation est morte. Alors l’âme descend et se met dans l’occasion du péché ; mais aussitôt le démon réveille la tentation et l’âme est dévorée. Oh ! Combien d’âmes, qui pratiquaient l’oraison, fréquentaient les sacrements et qu’on pouvait regarder comme autant de saintes, devinrent misérablement la proie de l’enfer pour s’être exposées à l’occasion ! On rapporte, dans l’histoire ecclésiastique, qu’une sainte dame, pieusement occupée à donner la sépulture aux corps des martyrs, trouva une fois un de ces martyrs qui donnait encore signe de vie. Elle le recueillit dans sa maison : et il guérit. Mais qu’arriva-t-il à ces deux saints ; car on pouvait bien les tenir pour tel ? Eh bien, exposés qu’ils étaient à l’occasion prochaine, ils perdirent d’abord la grâce de Dieu et ensuite la vraie foi.

« Va, disait le Seigneur à Isaïe, et crie : Toute chair est comme l’herbe » (Is 40, 6). Sur quoi saint Jean Chrysostome fait la réflexion suivante : « Mettez le feu à l’herbe sèche et osez prétendre qu’elle ne brûle pas ! » « Est-il possible, s’écrie dans le même sens saint Cyprien, de se trouver au milieu des flammes et de ne pas brûler ? ». Le prophète Isaïe nous avertit encore que « notre force est semblable à celle de l’étoupe jetée dans le feu » (Is I, 31). Et Salomon demande pareillement : « Est-ce qu’un homme peut marcher sur des charbons sans se brûler la plante des pieds ? » (Pr 6, 28). De même, bien insensé serait l’homme qui prétendrait se jeter dans l’occasion, sans pécher. Il faut donc de toute nécessité fuir devant le péché, comme devant un serpent, ainsi que l’ordonne l’Écriture. « Fuis le péché comme à l’aspect du serpent » (Si 21, 2). Ce n’est pas assez d’éviter la morsure du serpent, remarque Walfrie, il faut de plus éviter de le toucher et même de l’approcher. Mais, dites-vous au sujet de cette maison, de cette liaison, il y va de mes intérêts. Qu’importe ! Vous voyez que « cette maison est pour vous le chemin de l’enfer » (Pr 7, 27), dès lors il faut absolument la quitter, si vous avez à cœur votre salut. Ce serait même votre œil droit, du moment qu’il devient pour vous une cause de damnation, vous devez l’arracher et le jeter loin de vous. « Si ton œil droit te scandalise, dit le Seigneur, arrache-le et jette-le loin de toi » (Mt 5, 29). Qu’on remarque cette parole : loin de toi ; il faut jeter non à deux pas, mais au loin ; autrement dit, il faut en finir tout à fait avec l’occasion. Parlant des personnes de piété qui se sont données à Dieu, saint François d’Assise disait que le démon ne les tente pas de la même manière que les mauvais chrétiens. Ce n’est pas au moyen d’une corde qu’il songe à les lier tout d’abord ; il se contente, pour commencer, de les lier avec un cheveu, puis il les lie par un fil, ensuite par une ficelle, jusqu’à ce qu’enfin, les tenant avec une corde, il les entraîne dans le péché. Aussi, pour échapper à ce dernier, est-il de toute nécessité que de prime abord on écarte tous les cheveux, c’est-à-dire toutes les occasions : Politesses, présents, billets et choses semblables. Et pour parler en particulier de celui qui a vécu dans l’habitude du vice impur, ce ne sera pas assez qu’il fuie les occasions prochaines ; à moins de fuir même les occasions éloignées, il retombera dans son péché.

Celui qui veut véritablement faire son salut, doit s’affermir et se retremper sans cesse dans la résolution de ne plus vouloir jamais se séparer de Dieu ; et, pour cela, qu’il se rende familière cette parole des saints : « Tout perdre plutôt que de perdre Dieu ». Toutefois la résolution de ne plus vouloir se séparer de Dieu ne suffit pas, il faut en outre employer les moyens. Le premier moyen, c’est la fuite des occasions. Nous venons d’en parler. Le second, c’est la fréquentation des sacrements de Pénitence et d’Eucharistie. Quand on balaye souvent une maison, la propreté y règne partout. Ainsi, par la confession l’âme se conserve nette et pure, parce que par la confession elle n’obtient pas seulement la rémission de ses péchés, mais encore les secours nécessaires pour résister aux tentations. Quand à la Sainte Communion, elle est appelée le pain céleste, parce que, comme le corps ne peut vivre sans la nourriture tirée de la terre, ainsi l’âme ne peut vivre sans ce pain descendu du ciel. « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez point la vie en vous » (Jn 6, 54). Par contre, à celui qui s’en nourrit souvent, promesse est faite qu’éternellement il vivra : « Celui qui mangera de ce pain aura la vie éternelle » (Jn 6, 52). Et c’est pourquoi le concile de Trente appelle la sainte communion : « un remède qui nous délivre des péchés véniels et nous préserve des mortels ». Le troisième moyen, c’est la méditation, ou l’oraison mentale. « Rappelez-vous vos fins dernières et jamais vous ne pécherez » (Si 7, 40). Celui qui a toujours devant les yeux les vérités éternelles, la mort, le jugement, l’éternité, ne commettra pas le péché. Dans la méditation, Dieu nous éclaire. « Approchez-vous de moi et soyez éclairés » (Ps 33, 6). C’est là qu’il nous parle et qu’il nous montre ce que nous devons fuir et ce qui nous devons faire : « Je la conduirai dans la solitude et je lui parlerai au cœur » (Os 2, 14). Là encore, comme dans une bienheureuse fournaise d’amour, il nous embrase de son saint amour : « Dans ma méditation le feu s’est embrasé » (Ps 38, 4). Ce n’est pas tout : plusieurs fois déjà nous avons dit que, pour persévérer dans la grâce de Dieu, il est absolument nécessaire de toujours prier et de demander sans cesse les grâces dont nous avons besoin. Or celui qui ne fait point d’oraison mentale priera difficilement ; et, ne priant pas, nul doute qu’il ne se perde.

Nécessité donc d’employer les moyens pour se sauver ; de là, nécessité de se tracer un règlement de vie : Le matin, dès le lever, réciter les actes du chrétien : actes du remerciement, d’amour, d’offrande et de bon propos, prière à Jésus Christ et à Marie de nous préserver en ce jour de tout péché. Puis, faire sa méditation et entendre la sainte messe. Pendant la journée faire la lecture spirituelle ainsi que la visite au Très Saint Sacrement et à la divine Mère. Le soir, chapelet et examen de conscience. La sainte communion, plusieurs fois par semaine, selon le conseil du directeur qu’on a choisi et qu’il faut bien se garder de quitter. Il serait aussi fort utile de faire une retraite dans quelque maison religieuse. Il faut encore honorer la très Sainte Vierge Marie par quelque hommage spécial, tel par exemple que le jeûne du samedi. Elle s’appelle la Mère de la persévérance ; et cette grande grâce de la persévérance, elle la promet à ses serviteurs. « Ceux qui agissent à l’ombre de ma protection ne pécheront pas » (Si 24, 30). C’est surtout la sainte persévérance que nous devons sans cesse demander à Dieu et particulièrement au moment de la tentation, et cela, en invoquant alors plus souvent, et tant que la tentation dure, les saints noms de Jésus et de Marie. Si vous agissez de la sorte, certainement vous vous sauverez ; et si vous n’agissez pas ainsi, certainement vous vous damnerez.

Affections et prières

Mon bien aimé Rédempteur, je vous remercie de m’éclairer en ce moment et de me faire connaître les moyens que je dois prendre pour me sauver. Je forme la résolution et je vous fais la promesse de les mettre constamment à exécution. Accordez-moi votre secours afin que je vous sois fidèle. Ah ! Je le vois, vous voulez mon salut ; et moi aussi je le veux, principalement pour plaire à votre cœur, qui désire tant de me voir sauvé. Non, mon Dieu, non, je ne veux pas résister davantage à l’amour que vous me portez. C’est parce que vous m’aimez tant que vous m’avez supporté avec tant de patience alors que je vous offensais. Vous m’invitez à vous aimer ; et moi, je ne désire que de vous aimer. Je vous aime, ô Bonté infinie ; je vous aime, ô Bien infini. Je vous en conjure par les mérites de Jésus Christ, ne permettez pas que je persévère dans mon ingratitude, faites que je cesse d’être ingrat ou que je cesse de vivre. Seigneur, vous avez commencé l’œuvre ; achevez-là. « Confirmez, Seigneur, ce que vous avez opéré en nous » (Ps 67, 29). Que votre lumière me guide, que votre force me soutienne, que votre amour m’embrase !

Ô Marie, ô vous qui êtes la trésorière des grâces, secourez-moi. Vous-même décernez-moi ce titre de serviteur de Marie ; et priez Jésus pour moi. Les mérites de Jésus Christ d’abord, puis vos prières, voilà ce qui doit me sauver.