jili22
369

Le Combat Spirituel LORENZO SCUPOLI (CHAPITRE XIX - COMMENT IL FAUT COMBATTRE LE VICE DE L’IMPURETÉ )

Vous devez combattre l’impureté d’une façon toute spéciale et entièrement différente de celle qui s’emploie pour les autres vices. Pour procéder avec ordre en ce combat, il faut distinguer : Le temps qui précède la tentation, le temps même de la tentation, et le temps qui suit la tentation.

Avant la tentation, il faut diriger le combat contre les occasions qui donnent ordinairement lieu à ce genre de tentations. Premièrement, sachez que la manière de combattre ce vice, ce n’est pas de l’attaquer de front, mais ce vice avec tout le soin possible toute occasion et toute personne qui présente le moindre danger pour vous. Et si, parfois, vous êtes obligé de traiter quelque affaire avec ces sortes de personnes, faites-le promptement, avec un visage grave et modeste, et des paroles qui sentent plutôt la rudesse qu’une douceur et une affabilité excessive.

Que vous ne sentiez pas actuellement et que, durant tant et tant d’années passées au milieu du monde, vous n’ayez pas senti les aiguillons de la chair, ce n’est pas une raison pour vous dispenser des règles de la prudence, car ce vice maudit fait en une heure ce qu’il n’a pas fait en plusieurs années ; le plus souvent, il tient ses préparatifs cachés et ses coups sont d’autant plus funestes et plus incurables qu’il se couvre des dehors de l’amitié et n’éveille point de soupçon.

Souvent, les relations les plus à craindre, l’expérience l’a montré et le montre encore tous les jours, sont celles qui se continuent sous le prétexte qu’elles sont justifiées par la parenté, le devoir ou même la vertu de la personne qu’on aime. Il arrive en effet que le venin séduisant du plaisir se mêle à ces conversations prolongées et imprudentes, qu’il s’y infiltre insensiblement et que, s’insinuant à la fin jusqu’à la moelle de l’âme, il obscurcit de plus en plus la lumière de la raison. On commence par compter pour rien les choses périlleuses, comme la tendresse des regards, l’échange de paroles affectueuses, les douceurs de la conversation ; et ces familiarités agréées de part et d’autre finissent par conduire à la ruine ou du moins à une tentation bien rude et bien difficile à surmonter. Je vous répète, fuyez ; car vous êtes formé d’une matière aussi inflammable que l’étoupe.

Ne dites pas que vous êtes trempé et tout plein de l’eau d’une bonne et forte volonté, que vous êtes résolu et prêt à mourir plutôt que d’offenser Dieu ; parce que, dans ces entretiens fréquents, la chaleur du feu fera peu à peu évaporer l’eau de la bonne volonté et, au moment où vous y penserez le moins, il se rendra si bien maître de votre cœur que vous n’aurez plus égard ni à la parenté, ni à l’amitié. Vous ne craindrez plus Dieu ; vous mépriserez l’honneur, la vie, et les tourments de l’enfer même. Fuyez donc, fuyez, si vous ne voulez pas être surpris, dompté et mis à mort.

Deuxièmement, évitez l’oisiveté, applique-vous avec vigilance et attention aux pensées et aux œuvres conformes à votre état.

Troisièmement, ne résistez jamais à vos supérieurs ; obéissez-leur fidèlement ; exécutez leurs ordres avec promptitude et avec d’autant plus d’ardeur qu’ils vous humilient et contrarient davantage votre volonté et votre inclination naturelle.

Quatrièmement, gardez-vous de juger témérairement votre prochain, surtout en matière d’impureté et, si sa chute est manifeste, ayez compassion de lui.

Ne lui témoignez ni indignation, ni mépris ; mais saisissez cette occasion de vous humilier et de mieux vous connaître ; confessez que vous n’êtes que poussière et néant ; approchez-vous de Dieu par la prière et fuyez plus que jamais tout commerce qui vous offrira ne fût-ce que l’ombre d’un danger. Si vous êtes prompt à juger et mépriser les autres, Dieu vous corrigera à vos dépens : il permettre que vous tombiez dans les mêmes fautes, afin que vous reconnaissiez votre orgueil et qu’humilié par votre chute, vous cherchiez un remède à l’un et à l’autre vice.

Que si, tout en évitant de tomber, vous persistez dans les mêmes sentiments, sachez qu’il y a lieu d’avoir des doutes sérieux sur votre état. Cinquièmement enfin, si Dieu vous accorde des consolations spirituelles, gardez-vous bien de vous complaire en vous-même et de vous imaginer que vous êtes quelque chose. Ne vous appuyez pas non plus sur les sentiments de dégoût, d’honneur et de haine profonde que vos ennemis vous inspirent pour vous persuader qu’ils ont abandonné le combat. Si vous manquez de circonspection, ils n’auront pas de peine à vous entraîner dans le mal.

Quand la tentation est présente, considérez si la cause qui l’a fait naître est intérieure ou extérieure. J’entends par cause extérieure la curiosité des yeux ou des oreilles, le luxe des vêtements, les fréquentations et les entretiens qui portent au vice impur. Le remède à employer en ce cas, c’est la pudeur et cette modestie qui tient les yeux et les oreilles fermés à tout ce qui est de nature à exciter les passions ; c’est par-dessus tout la fuite, ainsi que nous l’avons dit plus haut. La cause intérieure, c’est la vigueur excessive du corps ou encore les pensées qui procèdent de nos mauvaises habitudes ou des suggestions du démon. Il faut combattre la vigueur exagérée du corps par les jeûnes, les disciplines, les cilices, les veilles et les autres mortifications de ce genre, sans toutefois outrepasser les bornes assignées par la discrétion et l’obéissance.

Quant aux pensées mauvaises, de quelque part qu’elles viennent, voici les remèdes que vous devez leur opposer : L’application à divers exercices en rapport avec votre état ; L’oraison et la méditation. Dès que vous commencez à vous apercevoir, je ne dis pas de la présence, mais de l’approche de ces sortes de pensées, recueillez-vous en vous-même et vous tournant vers Jésus crucifié, dites-lui : Mon Jésus, mon doux Jésus, hâtez-vous de venir à mon aide, de peur que je ne tombe entre les mains de cet ennemi. Parfois aussi, embrassant la croix où votre Sauveur est attaché, baisez à plusieurs reprises les plaies sacrées de ses pieds et dites avec amour : Ô plaies adorables, plaies chastes et saintes, blessez maintenant ce cœur impur et misérable, et préservez-moi du péché.

Pour la méditation, je ne voulais pas qu’au moment où les tentations charnelles vous pressent de toute part, vous vous arrêtiez à certaines considérations que beaucoup de livres considérations que beaucoup de livres conseillent d’opposer à ces tentations comme, par exemple, la honte attachée à cette passion, l’impossibilité de la satisfaire, les dégoûts et l’amertume qu’elle traîne à sa suite, les périls qu’elle occasionne, la ruine de la fortune, de la vie, de l’honneur et autres choses semblables. Les considérations de ce genre ne sont pas toujours un moyen efficace pour vaincre la tentation ; elles peuvent même causer un grave préjudice ; car si, d’un côté, l’entendement chasse ces pensées, de l’autre il les rappelle et nous met en danger d’y prendre plaisir et d’y donner notre consentement.

C’est pourquoi le remède véritable, c’est de fuir non seulement les pensées elles-mêmes, mais encore toutes les considérations qui peuvent les représenter à notre esprit, fussent-elles de nature à nous en inspirer l’horreur. La méditation que vous devez choisir à cet effet, c’est la méditation de la vie et de la passion de Jésus-Christ. Si, durant ce saint exercice, les mêmes pensées reviennent malgré-vous à votre esprit et vous tourmentent plus que de coutume, comme vous devez vous y attendre, que ce ne soit pas une raison de vous épouvanter, ni de quitter la méditation pour vous tourner contre elles et les combattre.

Contentez-vous de continuer votre méditation avec toute l’attention possible, ne vous souciant non plus de ces pensées que si elles n’étaient pas les vôtres. C’est la meilleure résistance à leur opposer, alors même qu’elles feraient une guerre continuelle. Vous finirez votre méditation par cette prière ou par quelque autre semblable : Ô mon Créateur et mon Rédempteur, délivrez-moi de mes ennemis, en l’honneur de votre Passion et de votre ineffable bonté ; et vous vous garderez bien de reporter la pensée vers ce malheureux vice, car son souvenir seul est plein de périls.

Ne vous arrêtez jamais à disputer avec la tentation, pour savoir si vous avez consenti ou non. Cet examen, quelque louable qu’il paraisse, n’est qu’un artifice dont le démon se sert pour vous inquiéter et vous porter à la défiance et au découragement. Ou bien encore il espère, en occupant votre esprit de ces pensées, vous faire consentir à une délectation coupable. Si vous n’avez pas la certitude d’avoir consenti à la tentation, contentez-vous de déclarer en peu de mots à votre père spirituel ce que vous savez et, selon ce qu’il dira, tenez-vous en repos, et ne pensez plus à ce qui s’est passé. Découvrez-lui fidèlement toutes vos pensées, sans qu’aucun respect humain, aucune mauvaise honte vous retienne jamais. Que si nous avons besoin de la vertu d’humilité pour vaincre nos ennemis quels qu’ils soient, c’est ici surtout que nous devons nous humilier, attendu que ce vice est presque toujours un châtiment de l’orgueil.

Lorsque le temps de la tentation est passé, voici ce que vous avez à faire. Quoique vous vous croyiez libre et en pleine sécurité, tenez votre esprit entièrement éloigné des objets qui ont donné naissance à la tentation et ne faites aucun compte des motifs de vertu ou de tout autre bien qui vous portent à agir autrement ; C’est là un artifice de la nature corrompue et un piège de notre astucieux ennemi, qui se transforme en ange de lumière pour nous précipiter dans les ténèbres.