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Vie et révélations de la Sœur de la Nativité, religieuse converse au couvent des Urbanistes de Fougères, Volume 1 (page 62 à 73 )

Vie et révélations de la Sœur de la Nativité

ABRÉGÉ DE LA VIE DE LA SŒUR DE LA NATIVITÉ , ET DES CIRCONSTANCES CONCERNANT SES RÉVÉLATIONS .

Éloge qu'en fait la supérieure , soutenue par le témoignage de toute la communauté .

Madame la supérieure , qui était alors madame Michelle - Pélagie Binel , dite en religion des Séraphines , me donnant la liste des religieuses : « Monsieur , me dit-elle , nous en avons une entre autres qui vous attendait ici depuis longtemps , et qui a des raisons particulières de vous faire une décharge de cœur de toute sa vie ; c'est notre Sœur de la Nativité . Elle m'a beaucoup priée de vous en faire la proposition et de vous demander l'heure à laquelle elle pourrait tantôt vous dire deux mots au petit parloir . Voilà ma commission faite , continua-t-elle ; mais , monsieur , je crois devoir y ajouter quelque chose de moi-même en faveur d'une sainte que vous ne connaissez pas encore , mais que vous aurez peut-être occasion de connaître mieux que personne ; tel est du moins son vœu . Il faudrait , monsieur , vivre avec elle pour être en état de bien apprécier toute la solidité de ses vertus ; pour voir jusqu'à quel point elle porte l'obéissance , l'abnégation et la vraie humilité . Toujours simple et toujours égale dans ses manières , elle évite avec soin tout ce qui paraît s'écarter de la voie commune et pourrait faire observer le point de perfection où elle est parvenue et les grâces que Dieu lui a faites ; car , monsieur , Dieu lui a donné des lumières qu'il a données à bien peu de personnes , et dont , je crois , elle a dessein de vous faire connaître plus de choses qu'elle ne l'a fait à aucun autre depuis très longtemps .

Vous saurez , monsieur , qu'il y a eu un temps où ses prédictions ont fait bruit , aussi bien que ses vertus . Elle a eu beaucoup à souffrir et a été éprouvée de bien des manières à cette occasion surtout : elle en a été alarmée au point que , pour couper pied aux visites des gens du monde , il y a plus de quinze ans qu'elle a renoncé tout à fait au parloir et n'y va jamais . On n'ose presque lui témoigner ni estime ni amitié , et la plus sûre manière de lui plaire , c'est de paraître la mépriser et ne faire cas ni de ce qu'elle dit , ni de ce qu'elle fait , ni de tout ce qui la concerne . Elle ne mange et n'est vêtue que de nos restes . Suivant l'usage de la communauté , chaque religieuse porte la même robe sept ans le jour , et sept autres années la nuit . Après les quatorze ans de service , ces vieilles robes sont mises au rebut , et on en fait quelque espèce de vêtement pour les pauvres . Eh bien , monsieur , c'est de ces vieilles robes ravaudées que la pauvre sœur de la Nativité aime surtout à être vêtue ; elle s'en fait au moins des robes de dessous qu'elle porte jusqu'au dernier morceau , quoique aucun pauvre ne voulût les recevoir ni s'en servir . Un jour , entrant dans sa cellule , je l'ai vue ainsi parée de ces pauvres haillons , et j'ai dit intérieurement : Voilà donc les livrées de la vertu , les ornements de l'humilité ! Comment un si précieux trésor est-il si mal caché , tandis qu'on couvre si magnifiquement le vice même personnifié ? Il en est ainsi de sa nourriture . Je ne vous parlerai pas , monsieur , de la manière extraordinaire dont cette sainte âme a été conduite . Ce sera à vous de l'apprécier sur le compte qu'elle doit vous en rendre tout ce que je puis vous dire de certain , c'est que je voudrais bien lui ressembler .

Justice qu'on rend en général à toutes les religieuses de France , à l'occasion de leur conduite courageuse dans la révolution

Mon attente d'être édifié d'un grand nombre de ces bonnes religieuses n'a point été frustrée , c'est un aveu que je dois à la vérité et à l'innocence opprimée . Parmi quelques minuties inévitables et sans conséquence , j'ai vu des vertus que le monde méprise parce qu'il ne les connaît pas , et il ne les connaît pas parce qu'il n'en est pas digne . Quand une fois on s'est fait de la piété une idée calquée sur la manière dont on en parle dans les cercles , il n'est pas étonnant qu'on n'ait que du dégoût et du mépris pour les pratiques du cloître . Comment ne pas trouver ridicules des règles qui nous font un devoir de la perfection évangélique , quand on n'a d'autre Évangile que les maximes que l'Évangile réprouve , ni d'autre religion que certain jargon philosophique qui ne signifie rien , ou ne signifie que de l'ignorance et de l'impiété ?

Ce n'est pas , on le sait , sur ce ton licencieux que des âmes religieuses doivent prendre tout ce qui a rapport et peut contribuer à la perfection de leur état aussi ne l'ont-elles pas fait ; et qui peut dire combien cette fidélité aux petites choses faites pour Dieu donne de force pour l'accomplissement des devoirs spirituels ? Ce sont les occasions qui apprennent à en juger . Oui , ce sont les moments d'épreuves qui font connaître ce que nous sommes , comme l'arbre se connaît au fruit . Dans une circonstance où il s'agissait de tout pour elles , une circonstance qui a fait apostasier tant de personnes de tout sexe et de toute condition , ces âmes , qu'on regardait comme des esprits faibles et minutieux , n'ont pas cru pouvoir ajouter au sacrifice de leurs biens celui de leurs consciences ; elles ont distingué ce qu'elles devaient à Dieu et ce qu'elles devaient à César . Ces héroïnes chrétiennes n'ont pas balancé à exposer , à offrir même leur propre vie , pour conserver leur foi.

Ainsi , à la honte d'un sexe qui leur doit l'exemple , on a vu ces timides colombes s'élever par leur constance , et planer à la hauteur de l'aigle ; celles qui ne savaient que prier et gémir se sont armées d'un courage héroïque qui les a rendues supérieures aux menaces et presque inaccessibles à la crainte de la mort ; ne laissant aucune ressource à la calomnie , elles ont fait taire l'impudence , pâlir le crime , et pousser à bout la fureur des tyrans . Infirma et contemptibilia elegit Deus , ut confundat fortia . ( I. Cor . 1 , 27 , 28. ) Oui , en dépit de l'enfer et de tous ses suppôts , en dépit de tout ce que leur rage avait pu vomir contre elles de calomnies et d'injurieuses suppositions , les religieuses de France ont prouvé par leur ferme contenance , dans les dangers les plus éminents , que leurs cloîtres que l'on a détruits renfermaient encore des vertus dignes des premiers siècles de l'Église , des vertus qui font honneur à la société des fidèles , des vertus que la religion révère et que le monde lui-même est contraint d'admirer , des vertus enfin que Dieu seul in- spire et soutient et qu'il peut seul récompenser . C'est d'un grand cœur et avec bien de la joie que je saisis cette occasion de rendre hommage aux religieuses de France en général . Revenons à celle qui doit , en particulier , nous occuper .

Première entrevue avec la Sœur de la Nativité .

Elle m'attendait seule , d'un air pensif , au lieu où je me rendis à l'heure assignée . Après nous être réciproquement salués , elle me demanda la permission d'être assise , et s'assit sur-le-champ . C'était la première fois que nous nous voyions . J'avoue que je fus frappé de ce visage vénérable et décharné , de ce front voilé , de ces yeux où la modestie était peinte , et surtout de cet air de prédestination qui ne peut se rendre , et qui l'emporte infiniment sur tout ce qu'on appelle beauté et mérite personnel dans les personnes du monde . Une taille des plus avantageuses et des membres proportionnés , des épaules voûtées , une démarche négligée et un peu rustique , une tête tremblante , une figure médiocrement allongée , des traits fortement prononcés , voilà tout ce que j'ai pu remarquer de son physique ; mais , pour bien rendre cette empreinte de sainteté , je dirai presque de divinité , qui retrace quelquefois jusque sur sa figure une certaine image de la beauté de son âme , il faudrait la peindre à la table de la communion .

La Sœur se propose de donner entièrement sa confiance à son nouveau directeur .

Monsieur , me dit-elle , en baissant la vue et parlant avec lenteur ( c'est la seule fois qu'elle m'ait donné ce nom ) , monsieur , mon nom de religion est Sœur de la Nativité . Je viens , sur la permission de notre mère , vous de- mander vos soins et vos bontés , dont j'ai plus besoin que personne . Si je puis vous être de quelque utilité , ma Sœur , lui répondis-je , vous pouvez compter sur moi , car tout ira bien si je vous rends autant de services que j'en ai la volonté . - Vous pouvez beaucoup , me répliqua - t - elle , si , comme j'ai tout lieu de le croire , Dieu veut se servir de vous pour ma sanctification et ma tranquillité . Avant même d'avoir l'honneur de vous connaître ni de vous avoir jamais vu , poursuivit-elle , j'étais déjà persuadée de votre bonne volonté dans tout ce qui concerne la Gloire de Dieu et le Salut des âmes , et voilà ce qui me donne tant de confiance . Je vous fournirai de quoi exercer votre zèle , mon Père , car mes besoins sont grands , et je vous donnerai de l'ouvrage . ( Je puis assurer qu'en cela , du moins , elle ne s'est pas trompée . ) Vous me voyez , continua-t-elle , âgée de soixante ans , à quelque chose près ; mes infirmités , plus encore que cet âge , m'avertissent que j'approche du terme de ma carrière , et tout me fait sentir que ce terme ne peut désormais être grandement éloigné .

Mon Père , permettez-moi le terme , ajouta-t-elle , car déjà vous l'êtes , et je vois que vous le serez encore davantage . (C'est le seul nom qu'elle m'a toujours donné dans la suite , même en conversant) Mon Père , il me reste bien des choses à faire avant que de paraître devant mon juge : des péchés à expier , des vertus à acquérir , un grand compte à vous rendre de l'état de mon âme et d'une conscience dont je désire vous faire le dépositaire . M'est - il permis , mon Père , de vous parler ici confidemment , à cœur ouvert ? —Oui , ma fille , lui dis-je , vous pouvez vous expliquer avec toute assurance et liberté ; alors elle poursuivit à peu près dans ces termes :

Vous saurez donc , mon Père , que , quelque grande pécheresse , quelque indigne même que je sois , Dieu me regarde d'un œil de compassion ; cependant il y a bien des années qu'il m'a donné des lumières et des connaissances qui , dans les temps , ont souffert des contradictions qu'elles n'eussent peut-être pas éprouvées , si on eût été témoin alors de ce qui se passe aujourd'hui et de ce que je prévois encore ... J'ai craint beaucoup d'être dans l'illusion ; mais depuis un certain temps , et récemment encore à l'occasion de votre entrée , ma conscience me fait craindre d'ensevelir avec moi dans le tombeau ce que Dieu ne m'avait fait connaître que pour le salut de plusieurs ... Eh ! quel compte !

Ces réflexions accablantes font de ma vie un fardeau insupportable , si un guide éclairé et me parlant au nom de Dieu et de son Église , ne le partage avec moi . Il me semble , mon Père , que Dieu , qui vous envoie vers nous , m'inspire de m'adresser à vous pour cela , d'en appeler en dernière instance à votre tribunal , et de m'en rapporter à votre décision sur tous les points qui m'inquiètent . Suivant ce que je vois , mon Père , vous serez notre dernier directeur , et je désire bien que vous soyez le mien en particulier . Je vous assure que je mourrai contente entre vos mains , quand vous aurez entendu le détail de ma vie , comme de tout ce qui m'est arrivé du côté de Dieu ; quand j'aurai enfin déchargé ma conscience sur la vôtre . En tout cela , il ne faut vouloir que се que Dieu veut . Mais voulez- vous , mon Père , avoir la charité de me soulager d'avance en me promettant de vous y employer tout de bon et d'en décider suivant que Dieu vous conduira , et que vous le verrez conforme à sa volonté et à ses lois , comme à celles de sa Sainte Église , dont il n'est jamais permis de s'écarter ?

Oui , ma fille , lui répondis-je , je vous promets de m'y employer de mon mieux . Je vous verrai . Priez Dieu qu'il m'éclaire et ne permette pas que je me trompe dans un point de cette importance . Ce qu'elle m'accorda tout de suite , en ajoutant : De ma part , je vous promets , mon Père , de vous exposer fidèlement mes doutes et mes inquiétudes le mieux qu'il me sera possible , d'en passer par tout ce que vous voudrez , et d'avoir pour vous la docilité d'un enfant ; c'est la conduite que Dieu me prescrit à votre égard . Vous venez , mon Père , de me donner la parole que je désirais et qui me tranquillise ; mais , comme les exercices de retraite que vous nous faites ne vous permettent pas de vous livrer maintenant à aucune autre occupation , nous remettrons , si vous le trouvez bon , notre première entrevue à huit jours .