SAINT PASCAL BAYLON CONFESSEUR (1540-1592)

Saint Pascal Baylon naquit l'an 1540 à Torre Hermosa, bourg de la province d'Aragon. Ce fut, selon les uns, le 17 mai ; selon les autres, le jour même de Pâques, circonstance qui lui aurait valu son nom. Ses parents étaient de pauvres cultivateurs ;
aussi, dès son bas âge, il fut employé à garder les troupeaux.
Mais, très pieusement élevé par sa mère, il trouvait à son métier de berger l'avantage de se livrer plus aisément à la prière, ce qu'il faisait avec une grande et merveilleuse assiduité. Il aimait déjà spécialement la sainte Mère de Dieu ; il conduisait volon-tiers son troupeau vers une chapelle consacrée à Marie et s'y agenouillait longuement. Seul, sans autre aide que celle de quelque passant obligeant, il apprit à lire et à écrire, afin de pouvoir transcrire et réciter l'office de la sainte Vierge. Il avait peu de goût à fréquenter les autres bergers, dont il redoutait le bavardage et les jurements ; aimable toutefois envers tous, et dans sa gravité n'ayant rien de farouche ni de distant. Avec un rare sentiment de justice, il était toujours sur ses gardes pour empêcher son troupeau de faire tort aux champs voisins ;
son scrupule allait si loin, qu'il notait soigneusement ce qui avait été brouté par ses chèvres aux dépens des différents pro-priétaires et demandait à son maître de lui retenir sur ses gages de quoi les indemniser. Ce maître, Martin Garzia, appréciait fort son jeune serviteur, au point qu'il lui offrit de l'adopter et de lui transmettre tous ses biens. Mais déjà dans l'âme de l'adolescent était né le désir de la vie religieuse ; il refusa l'offre généreuse, en disant qu'il avait choisi de servir Dieu dans la pauvreté.
Des amis lui conseillèrent clone «de se présenter au monastère cistercien dont dépendait sa bourgade natale ; mais il en crai-gnait l'abondance relative et cherchait un dénuement plus complet. C'est pourquoi il vint jusque dans la province de Valence, vers un couvent de Frères Mineurs franciscains de l'Observance, dédié à Notre-Dame de Lorette et situé près de la ville de Monforte. Il y entra en 1564.
Il aurait pu aspirer au sacerdoce; son humilité voulut se contenter du modeste degré de frère convers. Et toute sa vie se passa dans cet emploi, bien petit aux yeux du monde, mais qu'il sanctifia par l'exercice continu de la plus liaute sainteté.
L'obéissance le fit souvent changer de lieu ; partout il parut le modèle des fervents religieux parmi lesquels il vécut. Ce ne fut jamais qu'un pauvre réfectoTier, jardinier, portier; mais ce fut un grand saint, jusqu'au jour où, simplement comme il avait tout fait, il s'étendit sur sa misérable «couche pour y rendre doucement sa douce et bonne âme à Dieu, le jour même de la Pentecôte, 17 mai 1592, à l'âge de cinquainte-deux ans.
Il avait usé sa vie par une mortification cruellement austère.
Sa nourriture se réduisait presque -axx pain et à. l'eaiu, tout au plus à quelques herbes ou à des légumes ramassés parmi les restes du repas offert aux pauvres. Il dormait trois ou quatre heures seulement, sur le sol ou sur une planche, avec une bûche pour oreiller ; encore ne s'étendait-il point, mais se ramassait sur lui-même, dans un coin de sa cellule, les jambes repliées, afin de ne point trouver d'aise même dans son sommeil. Jamais il ne porta qu'une seule tunique, quel que fût le froid ; et sous ce vêtement il cachait un cilice fait de rude crin ou semé d'épines de chardon, et une chaîne de fer qui serrait ses reins ; il se fla-gellait presque toutes les nuits ; en plein soleil, il travaillait tête nue ; il allait presque toujours nu-pieds.
Mais sa pénitence n'était pas au-dessus de sa pauvreté. C'était celle-ci qui l'avait attiré chez les Frères Mineurs ; il l'aima tou-jours comme une mère. Sa misérable cellule ne contenait qu'une vieille couverture déchirée, une croix de bois, une image de la sainte Vierge en papier, un encrier fait d'un roseau : car il écrivit quelques ouvrages de piété, admirables de doctrine et de science ascétique, sur d'informes morceaux de papier, ramassés çà et là, recollés ensemble et. grossièrement rattachés. Son unique vêtement, il le rapetassait lui-même de lambeaux pris un peu partout, avec une aiguille trouvée dont il avait refait la pointe et des bouts de fil soigneusement mis de côté. Lui-même aussi réparait ses sandales ; mais il n'en usait que lors-qu'il s'était blessé un pied, et seulement pour ce pied malade.
Jamais du reste il ne consentit à revêtir une tunique, une san-dale neuves ; tout ce qu'il portait devait d'abord avoir été usé par un autre.
Il ne faudrait pas croire que cette pauvreté, cette pénitence étaient tristes ou moroses. Rien n'était plus cordial, plus joyeux, même plus gai que le frère Pascal. Il aimait à chanter douce-ment, en faisant son emploi, des cantiques et des mélodies pieuses. Il s'acquittait de son travail, qui remplissait exacte-ment toutes ses journées, avec allégresse, avec entrain. Il accueillait frères, pauvres, étrangers avec un sourire engageant et d'affables paroles. Un jour un frère, passant près du réfec-toire, entendit un bruit inaccoutumé : la porte était fermée, il eut la curiosité d'approcher son œil de la serrure. Et il vit frère Pascal, le visage animé, riant, dansant, le chant aux lèvres, en l'honneur de la sainte Vierge, dont la statue ornait la muraille et que son regard fixait avec tendresse.
Car la vertu du frère Pascal était d'une simplicité enfan-tine et charmante. Elle lui faisait accepter de bonne grâce, comme un bienfait, ce qui aurait à un autre semblé quasi into-lérable. Un de ses supérieurs, peut-être pour l'éprouver, lui montrait une implacable sévérité. Un jour il lui adressa publi-quement d'amers reproches : le frère avait cassé un vase d'olives.
Le gardien le força à porter au cou les fragments du vase, en l'appelant sans souci, sans soin. Le saint vint lui baiser la main en signe de reconnaissance. Comme il retournait à sa porte, où l'appelait la cloche, un religieux voulut le plaindre : « Non, non, dit le frère Pascal, c'est le Saint-Esprit qui a parlé par notre Père gardien. » Avec la même simplicité il était au service de tous, plein de petites et délicates attentions pour les frères qui avaient quelque besoin, pour les pauvres qui venaient tendre la main à la porte ;
il courait chercher des légumes pour les mendiants, et si le jar-din était déjà dévasté, il leur rapportait au moins une fleur avec une excuse et un bon sourire. Mais Dieu plus d'une fois aida sa charité, lui donnant le pouvoir de guérir des maux graves ou de multiplier pain ou légumes.
Son obéissance toujours exacte et empressée alla un jour jusqu'à lui faire affronter la mort. En un temps où les Hu-guenots révoltés inondaient la France de sang, le provincial de Valence eut besoin de recourir au Père général des Francis-cains, Christophe de CheiTontaines, qui habitait Paris. Il fit choix du frère Pascal comme messager. Et celui-ci, qui savait la haine des protestants pour tous les religieux et pour les Espagnols en particulier, n'hésita cependant pas à accepter la mission. Il partit nu-pieds à son ordinaire, vêtu de sa robe rapiécée. Il traversa la France entière au milieu des plus grands dangers, partout mal accueilli et" souvent à coups de pierre, confessant à plusieurs reprises sa foi au péril de sa vie, n'échap-pant à la mort que par une providence spéciale. Et enfin il revint avec le regret de n'avoir pas obtenu le martyre pour attester sa croyance à la sainte Eucharistie.
Car la dévotion à la Présence réelle était sa dévotion de choix.
Avec l'amour de Marie, dont le Rosaire ne quittait guère ses mains, rien ne lui était plus à cœur. Aussi passart-iH tout son temps disponible au pied de l'autel : portier, c'était là qui'on le trouvait, agenouillé, toutes les fois qu'il n'était pas réclamé à la porte ; il servait toutes les messes qu'il pouvait avec une extraordinaire piété ; il communiait, dit son biographe, « • non pas en tordant les traits de son visage ou en poussant d'énormes soupirs, comme les débutants de la spiritualité, enivrés du vin de leur imperfection, mais avec une allégresse modeste et paisible, qui rendait visible la joie intérieure de L'âme honorée par la présence di'un tel hôte. » Cet amour de Jésus-Hostie lui inspirait pour les prêtres un respect plein de vénération. Quand il en recevait un à la porte du couvent, il se mettait à genoux devant lui, lui prenait la main entre les siennes, la baisait, l'appliquait à son front, sur ses: yeux^ et il lui demandait humblement sa bénédiction.
Son ardente dévotion survécut à sa mort et Dieu voulut par un miracle montrer combien il l'avait eue pour agréable. Le saint corps inanimé avait été déposé dans- l'église sur un lit funèbre, aux yeux émus de la multitude accourue pour le vénérer. Au premier rang, Jean Simone et sa femme étaient age-nouillés avec leur fillette Catherine, dont ils imploraient la guérison par l'intercession du frère Pascal, tandis qu'à l'autel voisin un prêtre célébrait la messe. Et voici qu'à l'élévation de l'hostie, l'homme, qui contemplait le visage du saint moat, se leva en s'écriant : « Miracle I miracle Frère Pascal ouvre les yeux !» A ce cri, tous se tournèrent vers le lit funèbre ;
et l'on vit distinctement, au moment m le prêtre élevait le précieux Sang, les yeux s'ouvrir de nouveau et se fixer sur le calice, jusqu'à ce qu'il fût reposé sur l'autel; alors ils se fer-mèrent, et la petite Catherine fut subitement guérie.
Et c'est à cause de cette ardente dévotion au saint sacre-ment que saint Pascal Baylon, canonisé en 1680 par le pape Alexandre VIII, a été, par Léon* XIII, déclaré patron de toutes les sociétés et associations établies en l'honneur de la sainte Eucharistie.