Migrants dénoncés par des Gilets jaunes dans la Somme : l'histoire vraie
Fin novembre, six migrants avaient été dénoncés par des Gilets jaunes et mis au pilori sur Facebook. Le vidéaste sera jugé le 1er mars.
"Vous voyez bien qu'on n'est pas racistes!" Miguel Niewiadomski, porte-parole des Gilets jaunes du rond-point de Flixecourt (Somme), pose fièrement la main sur l'épaule d'un homme discret. Noir. Un ancien surveillant de prison. Ici, au bord de l'autoroute A16 qui mène à Calais, les occupants du campement semblent dépassés par les répercussions de la journée du 20 novembre 2018, au cours de laquelle six migrants avaient été dénoncés aux gendarmes. Filmée, la scène avait donné lieu à l'ouverture d'une enquête pour injure publique à caractère raciste et à une polémique sur les réseaux sociaux.
Certains ont eu l'impression d'avoir sauvé la vie de ces exilés
Assis sur un banc de palettes sur lequel le vent de cette mi-janvier fait claquer un drapeau français, Miguel Niewiadomski livre sa version des faits. Ce matin-là, comme tous les jours depuis l'acte 1 de la contestation, le retraité de la pénitentiaire se trouvait au bord du rond-point. "C'était le barrage complet, précise-t-il, on arrêtait tous les poids lourds." À un moment, un camion-citerne immatriculé en Belgique est immobilisé. Le chauffeur, qui doit livrer des billes de plastique à une entreprise d'Amiens, accepte de partager un café avec les bloqueurs.
Au milieu des blagues qui fusent, ces derniers entendent frapper. Le bruit provient des cuves. Bientôt, tout le monde comprend que des migrants sont cachés à l'intérieur. Sur la route de l'Angleterre, c'est fréquent. "Ils sont montés par le haut, explique un cadre de la société de transport belge. Les cuves étaient pleines aux deux tiers."
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Très vite, ce jour-là, les Gilets jaunes ont alerté les gendarmes. "On a un deal avec eux, continue Miguel Niewiadomski. Quand on voit quelque chose, on les prévient. L'autre fois, il y avait un mec bourré ; on les a appelés tout de suite." Certains ont même eu l'impression d'avoir sauvé la vie de ces exilés. Parmi les six hommes cachés, deux faisaient l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) ; eux ont été immédiatement relâchés par les gendarmes. Les quatre autres se sont vu notifier des OQTF puis ils ont pu recouvrer leur liberté. Sur le rond-point, aucun Gilet ne comprend que la dénonciation puisse poser problème.
Arrestation diffusée en direct sur Facebook
Par contre, pour Alexandre de Bosschère, procureur d'Amiens, le "problème" est juridiquement clair. Et ce d'autant plus que l'arrestation des six hommes apeurés avait été diffusée en direct sur Facebook. L'auteur de la vidéo, seul à être poursuivi pour "injure publique à caractère raciste", avait commenté la scène avec des mots nauséabonds : "Quelle bande d'enculés! Tout ça va encore être prélevé sur nos impôts" ou "Ils sont en France, ces sales bâtards!". "Ces propos n'ont pas pu être audibles pour les migrants ou les gendarmes, précise le procureur. C'est leur diffusion qui rend l'injure publique, ce qui ramène les faits à leur juste proportion."
En revanche, les investigations ont déterminé que l'évocation d'un "barbecue géant", qui avait beaucoup choqué en novembre, avait été mal interprétée : il s'agissait d'une référence aux cuves métalliques, "qu'un certain nombre de gens utilisent pour leurs grillades", selon Alexandre de Bosschère.
Le vidéaste amateur ne vient plus sur le rond-point de Flixecourt. Ce "gamin", comme l'appellent ses camarades, est un "taiseux", selon les mots de son avocat, Ghislain Fay. Le jeune homme de 23 ans vit en concubinage dans les environs, au cœur d'une région sinistrée très mobilisée. "À la suite de cette affaire, il a perdu son boulot, indique Me Fay. Il bossait en intérim dans une usine." Le suspect a ensuite été interpellé à Amiens lors de la manifestation du 29 décembre. En jaune, il lançait des cailloux sur les policiers. Il sera jugé le 1er mars.
"Des histoires pour rien
"
"Ce n'est pas un gamin raciste", ajoute son conseil. Et les propos tenus? Miguel Niewiadomski minimise : "Des histoires pour rien." Les Gilets jaunes de Flixecourt, patrie de François Ruffin – qui y a même tourné un bout de Merci patron! –, vireraient-ils au brun? Leur porte-parole se raidit : "Ici, il n'y a pas de politique, pas de syndicats, pas de races." Sur le banc de palettes, sous l'inscription "Retraités en colère", se sont pourtant assis successivement deux élus : le député LFI et le Patriote Florian Philippot. Miguel Niewiadomski l'assure : "L'immigration ne nous pose pas de problème." Mais si elle entre en conflit avec le pouvoir d'achat… "C'est comme une famille qui invitait à dîner des amis, des voisins, tente-t-il de justifier. Quand elle n'a plus d'argent, elle n'a plus les moyens de recevoir."
Sur le côté de la route, sous les nombreux klaxons de soutien, un Gilet se prépare à distribuer des tracts pro-référendum d'initiative citoyenne. Sur la moitié de la page s'étale un dessin représentant Hervé Ryssen en jaune. Ce dernier porte une pancarte "Je suis partout". Lorsqu'on apprend aux Gilets qu'il s'agit d'un négationniste, antisémite et raciste, et que le dessin comporte une référence à un hebdomadaire collaborationniste, les hommes en colère rétorquent : "Et alors? Ça circule sur Facebook."
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