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Des catholiques qui continuent. C’est tout ?

Il y a vingt ans, Monseigneur Lefebvre menait l’« opération survie » de la Tradition en sacrant quatre évêques sans mandat pontifical. Vingt ans déjà, vingt ans seulement. C’est peu et c’est beaucoup. C’est bien peu car la situation de l’Église n’a guère changé[1]. Elle est toujours dirigée par des autorités modernistes réfractaires à la Tradition. Le recul de l’histoire manque donc pour faire un bilan définitif de cette opération. C’est aussi beaucoup car la mouvance traditionaliste a évolué en ce temps. De nouveaux instituts se sont créés, sur les bases de l’accord proposé par Rome et refusé par Monseigneur Lefebvre en mai 1988. De nombreuses discussions ont eu lieu entre d’une part ces instituts et la Fraternité Saint-Pie X et d’autre part les autorités romaines. Leur histoire, succès ou déconvenues nous permettent de vérifier la pertinence des différents arguments avancés à l’époque pour justifier ou, au contraire, réprouver ces consécrations.

L’ « Opération Survie » de la Tradition
La pensée de Monseigneur Lefebvre sur la nécessité des sacres se résume dans l’expression « opération survie » de la Tradition qu’il employa dans son sermon le jour des sacres[2]. Il était convaincu que l’Église ne peut se couper de sa Tradition et rester fidèle à sa mission[3]. Elle a donc besoin d’évêques qui, non seulement, enseignent la foi catholique dans toute sa pureté, mais aussi dénoncent les erreurs l’infestant jusque dans ses plus hautes sphères. N’en trouvant malheureusement pas, Monseigneur Lefebvre estima être de son devoir de se donner des successeurs dans cette mission au service de l’Église.

Vingt ans après, les quatre évêques sacrés par ses soins sont les seuls à remplir cette mission. Sans l’intervention de Monseigneur Lefebvre, il n’y en aurait plus au grand détriment de l’Église.
Une autre raison, complémentaire de la précédente, était la nécessité d’assurer la pérennité d’un mouvement traditionaliste dans l’Église en le pourvoyant d’évêques pouvant ordonner ses candidats au sacerdoce et confirmer ses fidèles[4]. La Tradition ne peut pas subsister en théorie seulement, elle doit s’incarner dans des personnes et des œuvres concrètes qui lui donnent une vraie visibilité. Une Fraternité Saint-Pie X forte avec les moyens de se développer, est très utile pour cela. C’est en grande partie grâce à sa solidité et à sa fermeté qu’ont été obtenus tous les gestes de Rome en faveur de la Tradition, dont, entre autre le Motu Proprio Sommorum Pontificum du 4 juillet 2007.
La Fraternité Saint-Pierre doit en partie sa création à la volonté des autorités romaines de montrer qu’elles étaient vraiment prêtes à faire un accord avec les Traditionalistes et que c’est l’entêtement de Monseigneur Lefebvre qui a fait échouer les discussions avec la Fraternité Saint-Pie X. Depuis, elle a, ainsi que les autres instituts Ecclesia Dei, souvent été utilisée par les évêques pour éloigner les fidèles Traditionalistes de la Fraternité Saint-Pie X. La disparition ou l’affaiblissement de celle-ci serait un coup très dur pour la Tradition et affecterait grandement la situation de tout le mouvement Ecclesia Dei.
L’ Accord du 5 mai 1988
Le 5 mai 1988, après un an de discussion avec Rome, Mgr Lefebvre signait un protocole d’accord avec le Cardinal Ratzinger[5]. Mais, dès le lendemain, il émettait des réserves qui devaient aboutir à son abolition. Il est communément affirmé que c’est Mgr Lefebvre qui a dénoncé unilatéralement ce protocole ; ce n’est pas tout à fait exact. Dans une entrevue accordée à Fideliter (N°70), le prélat déclare :
« C’est là, qu’après avoir signé le protocole qui devait ouvrir la voie à un accord, j’ai réfléchi. Cette accumulation de méfiance et de réticence, m’a poussé à exiger la nomination d’un évêque pour le 30 juin, parmi les trois dossiers que j’avais déposés le 5 mai. C’est cela, ou je fais des évêques. C’est cette mise en demeure qui a fait que le cardinal Ratzinger a dit : « Si c’est comme cela, le protocole est aboli. C’est fini, il n’y a plus de protocole. Vous rompez les relations. » C’est lui qui l’a dit, ce n’est pas moi. »

On a ensuite prétendu que la Fraternité Saint-Pierre avait obtenu pour elle-même cet accord d’abord proposé à la Fraternité Saint Pie X. Cela aussi est inexact. D’abord, aucun membre de la commission Ecclesia Dei n’est issu du milieu de la Tradition. Ensuite, elle n’a toujours pas d’évêque. Toujours est-il que Monseigneur Lefebvre expliqua ses réserves sur le protocole d’accord par trois raisons : l’impossibilité d’obtenir la majorité des membres dans la commission ; l’incertitude sur l’octroi d’un évêque pour lui succéder et la demande, après coup, d’une lettre d’excuse de sa part[6].
La commission Ecclesia Dei
Monseigneur Lefebvre craignait qu’une commission où les Traditionalistes n’auraient pas la majorité ne soit pas vraiment au service de la Tradition. N’est ce pas le moins qu’on puisse dire de la commission Ecclesia Dei ? Depuis sa création, elle ne cesse de souffler le chaud et le froid sur les instituts qu’elle chapote. Parfois, elle prend leur partie en compatissant aux problèmes qu’ils ont avec les évêques ou en les défendant contre d’injustes accusations ; d’autres fois elle fait pression sur eux pour les amener à des concessions. Mais, il faut bien constater qu’elle n’obtient de résultats que dans le deuxième sens. Combien de fois n’a t-elle pas souhaité un meilleur accueil des évêques pour ces instituts ? Cependant, concrètement, elle ne fait rien pour les défendre. Ainsi, les évêques de Versailles, Lyon et Orléans ont récemment renvoyé la Fraternité Saint-Pierre de leur diocèse tout en débauchant certains de ses prêtres sans que la commission Ecclesia Dei ne veuille ou ne puisse intervenir. Par contre, elle n’a pas hésité à peser de tout son poids sur les élections au superiorat de la Fraternité Saint Pierre, allant même jusqu’à imposer son candidat en la personne de l’abbé Arnaud Devillers en l’an 2000 (Cfr lettre/document du Cardinal Castrillon Hoyos, président de la Commission Ecclesia Dei du 29 juin 2000).

On en vient à se demander si le seul but de cette commission n’est pas d’amener ces instituts petit à petit à se rallier aux idées modernistes. Elle les a d’ors et déjà neutralisés. Non seulement, ils ne s’élèvent plus publiquement contre les erreurs enseignées par les autorités de l’Église, mais bien souvent ils cherchent à les excuser voir même les justifier, quand ils ne les partagent pas. On pourra s’en convaincre en lisant en annexe la liste des compromis doctrinaux faits par ces différents instituts. Face à ce bilan, les déclarations affirmant lors des accords passés qu’aucune concession n’avait été faite sur la doctrine, apparaissent bien dérisoires.

La commission n’a pas non plus renoncé à leur faire célébrer la liturgie nouvelle. Ainsi tout dernièrement, le 30 mai, lors d’ordinations aux États Unis, le cardinal Castrillon Hoyos a déclaré dans son sermon :
« En tant que président de la Commission pontificale Ecclesia Dei, je porte un regard particulier sur ces jeunes hommes qui célébreront le Saint Sacrifice de la Messe et les Sacrements principalement selon les livres liturgiques de la forme extraordinaire du Rite romain qui est un trésor pour l’ensemble de l’Église. Cela répond à un désir d’un bon nombre de fidèles. Comme je suis heureux de promouvoir la volonté exprimée par notre Saint-Père dans son Motu Proprio Summorum Pontificum et d’encourager la mise en œuvre de ce document important, je vous invite aussi, mes chers fils et frères, à vous efforcer à faire partie intégrante des diocèses dans lesquels vous allez servir, frères de vos frères prêtres, en montrant un profond respect pour la forme ordinaire du rite romain, en concélébrant avec vos évêques à la messe chrismale et quand ce signe de la communion sacerdotale est spécialement approprié. »

Un évêque pour la Tradition
Face à la mauvaise volonté de Rome pour fixer la date du sacre d’un évêque pour lui succéder, Monseigneur Lefebvre douta d’en obtenir jamais un. De fait, la Fraternité Saint-Pierre, fondée sur les bases du protocole d’accord du 5 mai, n’a jamais obtenu d’évêque ; de même que les autres instituts Ecclesia Dei. Seule exception, l’institut Saint Curé d’Ars de Campos, mais son cas est un peu différent car c’est un institut diocésain. Ces instituts nous rétorqueront sans doute ce que Rome tenta de faire accepter à Monseigneur Lefebvre : en fait, ils n’en ont pas besoin ; ils arrivent à trouver des évêques pour ordonner leurs membres. Cependant il faut bien reconnaître que nombre d’évêques s’y refusent et que ceux qui acceptent ne partagent pas ouvertement leurs idées. Ils le font pour faire plaisir ou par calcul politique. Résultat : ces instituts dépendent totalement de Rome et des évêques pour l’ordination de leurs membres, ordinations dont dépend leur survie. Voilà qui ne doit pas faciliter la résistance quand ceux-ci exercent des pressions indues.

Une lettre d’excuse

Il ne s’agissait pas seulement pour Monseigneur Lefebvre de s’excuser pour quelques écarts de langage ou attitudes qui auraient pu blesser le Pape. Il ne s’y serait certainement pas refusé. On lui demandait de s’excuser pour sa soi-disant rébellion contre les autorités romaines, de reconnaître en fait qu’il avait eu tort d’entrer en résistance contre l’auto-démolition de l’Église[7].

Comment aurait-il pu faire cela alors qu’il avait agi en son âme et conscience, persuadé que cela était son devoir d’évêque catholique ? Un telle incompréhension de sa position de la part des autorités romaines ne pouvait que renforcer son inquiétude devant les difficultés rencontrées dans la composition de la commission et l’obtention d’un évêque pour la Fraternité Saint-Pie X. Comme il l’écrivit lui-même, Rome donnait à penser qu’elle n’avait d’autre but dans ces discussions que celui qu’elle avait toujours eu jusque là :
« faire accepter à la Fraternité Saint-Pie X le concile et les réformes et lui faire reconnaître son erreur » (Monseigneur Lefebvre dans un texte datant du 19 juin 1988)[8]

N’est ce pas ce qui est arrivé à tous les instituts Ecclesia Dei ralliés à Rome ces vingt dernières années ? Ils n’émettent plus de réserves sur le concile et les réformes quand ils n’en arrivent pas à les approuver et les défendre.
Un Acte Schismatique ?

Certains se sont opposés aux sacres en affirmant que sacrer un évêque sans l’autorisation papale est contraire à la constitution divine de l’Église et constitue donc un acte schismatique. Les déclarations ( Décret du Cardinal Gantin du 1er juillet 1988 et Motu Proprio Ecclesia Dei Aflicta du 2 juillet 1988) du Saint-Siège sont venues appuyer leurs dires. Sur de telles questions dogmatiques le temps n’a pas de prise et vingt ans n’ont rien changé aux arguments exposés des deux côtés. Ils ont, par contre, permis de constater que, dans l’Église « conciliaire » elle-même, les avis sont partagés. Beaucoup ne croient pas que la Fraternité Saint-Pie X et ses fidèles soient schismatiques. Donnons quelques exemples :
Dans une lettre datée du 3 mai 1994, le cardinal Cassidy, président du Conseil Pontifical pour l’Unité des chrétiens, écrit à un correspondant étranger :
« En ce qui concerne votre demande, je voudrais faire remarquer tout de suite que le Dicastère sur l’œcuménisme n’est pas concerné par la Fraternité Saint-Pie X. La situation des membres de cette Société est une affaite interne de l’Église Catholique. La Fraternité Saint-Pie X n’est pas une autre Église ou Communauté ecclésiale dans le sens qu’utilise ce Dicastère. Bien sûr, la messe et les sacrements administrés par les prêtres de la Fraternité Saint-Pie X sont valides. »

On ne saurait être plus clair.
Le 1er mai 1991, Mgr Ferrario, évêque d’Hawaii, excommunia 6 laïcs au motif qu’ils avaient « accompli un acte schismatique, non seulement en se procurant « les services » de Mgr Williamson pour administrer le sacrement de confirmation à la chapelle Notre-Dame de Fatima, mais aussi par leur association même avec l’évêque susmentionné ». Ceux-ci firent appel et obtinrent gain de cause. Dans une lettre datée du 28 juin 1993, le nonce apostolique aux États-Unis, Mgr Cacciavillan déclara de la part du cardinal Ratzinger : « Suite à l’examen de votre cas conduit sur la base de la loi de l’Église, il ne résulte pas que les faits mentionnés dans le dit décret soient formellement schismatiques dans un sens strict, car ils ne constituent pas l’offense de schisme. Par conséquent la congrégation tient que le décret du 1er mai 1991 manque de fondement et donc de validité. »

Le 13 novembre 2005, le Cardinal Hoyos a affirmé devant la télévision italienne TV Canal 5 :
« Nous ne sommes pas face à une hérésie. On ne peut pas dire en termes corrects, exacts, précis qu’il y ait schisme. (…) Ils sont à l’intérieur de l’Église. Il y a seulement ce fait qu’il manque une pleine, une plus parfaite communion, parce que la communion existe. »

On aimerait bien savoir comment il faut comprendre ces différents degrés dans la communion. Retenons seulement pour l’instant ce qui nous intéresse d’abord : le cardinal Castrillon Hoyos a affirmé publiquement qu’on ne peut pas dire qu’il y a schisme et que nous sommes à l’intérieur de l’Église. Le tribunal romain de la Sainte Rote qui juge en dernière instance les cas de nullité de mariage n’hésite pas à déclarer nuls les mariages célébrés par des prêtres de la Fraternité Saint-Pie X au motif que la forme canonique n’a pas été respectée. Or le Droit Canon dispense du respect de la forme canonique les schismatiques (can. 1117). Donc, en toute bonne logique, en jugeant ainsi, ce tribunal reconnaît indirectement que les prêtres et le fidèles de la Fraternité Saint-Pie X ne sont pas schismatiques [9].

On pourrait continuer encore longtemps cette liste qui renforce les arguments avancés par le Fraternité Saint-Pie X pour se défendre de l’accusation de schisme. IL serait trop long de reprendre tous ces arguments ici ; notons seulement que l’Église « conciliaire » elle-même, est divisée sur le sujet, et ce même au plus haut niveau.

Conclusion
Il y a vingt ans, Monseigneur Lefebvre estima de son devoir de consacrer quatre évêques sans mandat pontifical pour assurer la survie de la Tradition dans l’Église catholique. Un an de discussions avec les autorités romaines n’avait pu rétablir sa confiance ébranlée par trente années d’errements conciliaires et vingt ans de persécution subie de leur main. Dans une lettre au pape datée du 2 juin 1988, il concluait :
« Étant donné le refus de considérer nos requêtes, et étant évident que le but de cette réconciliation n’est pas du tout le même pour le Saint-siège que pour nous, nous croyons préférable d’attendre des temps plus propices au retour de Rome à la Tradition. C’est pourquoi nous nous donnerons nous-même les moyens de poursuivre l’œuvre que la Providence nous a confié, assuré par la lettre de Son Éminence le Cardinal Ratzinger datée du 30 mai, que la consécration épiscopale n’est pas contraire à la volonté du Saint-Siège, puisqu’elle est accordée pour le 15 août. »
Vingt ans après, les faits lui ont donné raison. Personne n’a signé avec Rome l’accord proposé dans le protocole du 5 mai 1988. Malgré des concessions toujours plus importantes sur l’usage de la liturgie traditionnelle, aucun institut Ecclesia Dei n’a obtenu de sièges à la Commission du même nom, ni d’évêques. Tous ont cessé de dénoncer les erreurs du concile Vatican II et s’y rallient petit à petit. Tel est, nous disent-ils, le prix à payer pour rester catholique. Pourtant la Fraternité Saint-Pie X n’a jamais cessé de l’être. Plus que tout autre, elle a gardé la pureté de la foi qui fait le vrai fils de l’Église. Monseigneur Lefebvre écrivait en 1989 :
« Je pense donc qu’il n’y a aucune hésitation, ni aucun scrupule à avoir vis-à-vis de ces consécrations épiscopales. Nous ne sommes ni schismatiques, ni excommuniés, nous ne sommes pas contre le Pape. Nous ne sommes pas contre l’Église catholique. Nous ne faisons pas d’Église parallèle. Tout cela est absurde. Nous sommes ce que nous avons toujours été, des catholiques qui continuent. C’est tout. » (Mgr Lefebvre, entrevue publié dans Fideliter, N°70, juillet-août 1989).

Ces paroles n’ont jamais été plus pertinentes. Il y a presque un an, le processus de réhabilitation de Mgr Lefebvre a commencé avec la reconnaissance du fait que la messe de Saint Pie V n’a jamais été abrogée (Motu Proprio Summorum Pontificum du 4 juillet 2007). N’est ce pas, en effet, le refus obstiné de Monseigneur Lefebvre de célébrer la nouvelle messe qui fut à l’origine de ses problèmes avec les autorités romaines ? Ce processus pourrait bien aboutir tout prochainement.

Ces derniers jours de juin, les médias font état d’une possible levée de l’excommunication de Monseigneur Lefebvre, de Monseigneur de Castro Mayer et des quatre évêques consacrés par eux. Les cinq conditions posées par Rome pour cela sont très révélatrices. Aucune n’aborde de point doctrinal : pas un mot sur la reconnaissance du Concile Vatican II et de la nouvelle messe[10]. Rome reconnaît donc qu’on peut avoir des réserves sur ces deux points cruciaux tout en étant catholique en communion avec le Pape. N’est ce pas là ce que Monseigneur Lefebvre a toujours soutenu ?
Abbé François Castel
Source : La Sainte Ampoule
Publié le 1 juillet 2008