jili22
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Vie et révélations de la Sœur de la Nativité, religieuse converse au couvent des Urbanistes de Fougères, Volume 1 (page 84 à 94)

Vie et révélations de la Sœur de la Nativité

ABRÉGÉ DE LA VIE DE LA SŒUR DE LA NATIVITÉ , ET DES CIRCONSTANCES CONCERNANT SES RÉVÉLATIONS .

Comment elle recevait la lumière que Dieu lui communiquait

J'étais toujours charmé de trouver quelque prétexte de la faire entrer dans certaines discussions , à cause de l'avantage que j'en retirerais pour moi et les autres ; c'était alors que , dans le dessein de me rendre compte de ce qui se passait en elle-même , elle me racontait avec la simplicité d'un enfant les choses les plus étonnantes et les plus merveilleuses . J'étais surpris au dernier point de voir tant de connaissances avec tant de timidité , tant d'élévation d'esprit avec si peu de culture , des pensées si sublimes avec tant d'humilité ; ses grandes idées et ses réflexions lumineuses remplissaient et captivaient tellement mon esprit que les heures s'écoulaient comme des moments , et que bien souvent , sans qu'on s'en aperçût , nos entretiens ont été poussés bien avant dans la nuit .

Les points les plus abstraits du dogme et de la morale , elle me les expliquait avec une justesse et une précision , une profondeur et une clarté capables , à mon avis , d'étonner les théologiens les plus versés dans ces sortes de matières , comme il est arrivé par la lecture de ses réflexions . Avec ses expressions énergiques , ses comparaisons toujours naturelles et toujours justes , elle découvrait les pièges de l'ennemi du Salut , comme les moyens de les prévenir ou de les éviter . Elle marquait la gradation des prévenances ou de l'abandon de Dieu , les combats de la nature et de la grâce dans une âme encore chancelante , les secrets que Dieu met en œuvre pour en venir à ses fins malgré tous les obstacles ... Si quelquefois elle ne se fût arrêtée tout à coup pour me dire : Dieu ne m'en fait pas voir davantage , ou me défend d'aller plus loin , j'aurais cru qu'elle eût assisté au conseil de la Divinité .

Il arrive quelquefois , me disait-elle un jour , que je vois en Dieu des choses que je n'entends point ; j'en sens la vérité sans les comprendre . Alors , quand Dieu veut que je m'explique , il me suggère des termes dont je ne vois pas toujours la signification ; je vois seulement qu'il faut m'en servir .Et en effet , toutes les fois qu'elle m'a demandé ce que signifiait telle expression qu'elle devait employer , c'était un terme dont aucun autre ne pouvait bien égaler l'énergie , et qu'il était comme impossible de remplacer . Je ne l'entends point , disait-elle , mais je vois qu'il faut l'écrire : tel fut , par exemple , le terme de vautour , pour exprimer un monstre infernal qu'elle avait vu en enfer déchirer ses victimes avec des ongles et un bec épouvantables . Elle voyait bien que la forme de ce monstre tenait beaucoup de l'oiseau ; mais comme elle ne pouvait se figurer qu'il y eût eu jamais d'oiseau de cette espèce , ni de cette cruauté , elle ne savait quel nom lui donner , et J.-C. lui dit qu'il fallait le nommer vautour , ce qu'elle fit . Ainsi elle avait quelquefois l'idée sans l'expression , et quelquefois l'expression et l'idée sans en savoir la convenance ni la vraie analogie .

Le plus souvent , continuait-elle , Dieu me donne l'idée et me laisse le soin de la rendre par moi-même ; j'y travaille avec plus ou moins de succès . Bientôt , ou il approuve mes efforts , ou il me fournit les termes propres que je n'ai pu trouver . Quand il me découvre quelque chose des décrets de sa Providence , par exemple , il commence par me faire sentir au fond de l'âme que je ne dois pas désirer même d'aller plus loin qu'il ne veut ; cette crainte respectueuse qu'il m'imprime m'interdit toute question sur des connaissances qu'il se réserve à lui-même , et cette défense de sa part m'est si vivement intimée , que j'aimerais mieux mourir que de passer outre ; mais il est rare que Dieu me fasse des défenses aussi rigoureuses , le plus souvent il me laisse plus de liberté sur ce qu'il me fait connaître : je vois en lui une certaine volonté de complaisance qui , non seulement me permet de lui demander davantage , mais qui semble m'y inviter ; alors il satisfait mes désirs par cette voix intérieure , mille fois plus éloquente que les paroles , et dont l'éloquence humaine ne peut jamais approcher .

Voilà d'où vient que , dans certains moments , elle avait tant de peine à rendre ses idées . Elle ne trouvait aucun terme , aucune comparaison pour se faire entendre ; mais alors ses silences , ses respirations , son ton énergique en disaient beaucoup plus que le reste , et suppléaient , pour l'ordinaire , au défaut d'expressions . « Mon Père , me disait - elle , ah ! je vois , ou je voyais des choses que je ne puis dire , et dont pourtant je voudrais vous rendre témoin . Ah ! que l'homme est faible ! il ne peut seulement s'exprimer ni se faire entendre , il ne peut parler de Dieu ; mais aussi , avec tant de faiblesse , comment parlerait - il de cet être infini ? ... Mon Père , je voyais en Dieu ... j'étais investie de la Divinité ... Plongée et comme absorbée dans l'être divin , je n'avais , pour ainsi dire , plus d'existence propre ... J'adorais la haute majesté de celui qui a précédé tous les temps ... » Aussi lui échappait-il alors de ces expressions dont l'énergie vraiment prophétique l'emportait sur tout , et pouvait faire dire que , comme Moïse , Isaïe , le roi prophète et saint Paul , cette heureuse ignorante n'était privée de la parole que parce qu'elle avait de trop grandes choses à dire , et qu'elle avait approché trop près de la Divinité , etc. , etc. Dominus Deus , ecce noscio loqui . ( Jér . 1 , 6 )

Il lui est arrivé plus d'une fois de me demander tout à coup : « M'entendez - vous , mon Père ? car je vous avoue que je ne m'entends pas moi-même . Tout ce que je puis vous assurer , c'est que je crois voir tout cela en Dieu , et qu'il me force , pour ainsi dire , de parler comme je le fais .Dites-moi seulement si vous n'y trouvez rien de contraire à l'Écriture sainte ou aux décisions de l'Église ; car , en ce cas , je vous promets que j'y renoncerais tout à fait ( il lui fallait une réponse avant de continuer ) . Quant à ce qui est contenu dans la Sainte Écriture , parmi les choses que je vous dis , je puis vous assurer , mon Père , que je ne vous le dis que parce que Dieu me le fait voir ; et quand je n'aurais jamais eu de connaissance ni de la sainte Écriture , ni de la foi , ni de l'Église ; quand il n'y aurait jamais eu d’Évangile au monde , je ne vous dirais pas moins tout ce que je vous dis , parce que je le vois en Dieu , et que Dieu m'ordonne de vous le dire sans que je puisse m'en dispenser ; » ce qu'elle m'a répété plusieurs fois , m'ajoutant , comme saint Paul aux Galates , que ce qu'elle m'avait dit et fait écrire , elle ne l'avait ni appris dans le commerce des hommes , ni dans leurs écrits , mais qu'elle le savait uniquement de la part de J.-C. qui le lui avait révélé : Neque enim ego ab homine accepi illud , neque didici , sed per revelationem Jesu - Christi . ( Gal . 1 , 12 ) .

Instructions de la Sœur sur les distractions dans la prière

La Sœur n'était pas toujours sur cette élévation de pensées , elle savait baisser le ton et varier son style sur la variété des objets qu'elle avait à traiter . Voici comment , en me rendant compte de sa manière de faire oraison , elle me parlait , un jour , des distractions , des mauvaises pensées , et de tout ce qui met obstacle à l'exercice de la présence de Dieu : « A mon avis , mon père , il en est des mauvaises pensées comme des conversations ; les unes et les autres sont souvent nuisibles à l'innocence aussi bien qu'à la prière et à l'exercice de la présence de Dieu . Je pense qu'il est peu de personnes , quel- que intérieures qu'elles puissent être , qui n'en aient l'expérience plus ou moins . D'abord , l'esprit s'arrête à des pensées étrangères , vaines , frivoles et inutiles ; il s'y arrête d'autant plus volontiers qu'elles ne lui présentent rien que de très légitime en apparence . Le besoin même d'un délassement permis les lui fait regarder comme récréation indispensable ; mais on ne fait pas attention que de là à une pensée mauvaise il n'y a qu'un pas , et un pas très glissant , qu'il n'est que trop facile et trop ordinaire de franchir . << Car , premièrement , cette pensée vaine et frivole distrait et tire l'esprit de la présence de Dieu disposition déjà très dangereuse . C'est un poisson hors de l'eau ; c'est un vaisseau qui a quitté le port , et qui , ballotté par les flots , peut devenir le jouet d'une tempête ; c'est un soldat qui a quitté son retranchement et s'est exposé aux coups de l'ennemi . Aussi , mon Père , voyez comme le démon sait profiter d'une position qui lui est si avantageuse ! .... Et de cette pensée innocente en succède bientôt une qui l'est moins ; une autre survient , qui enchérit encore et bientôt fait place à une pensée souvent très criminelle . Le démon , toujours aux aguets , ne manque jamais de profiter de ces sortes d'imprudences pour se saisir de notre imagination . Il faut alors lutter contre un ennemi puissant , à qui on a eu la maladresse de donner l'entrée : quelle tentative ne suggère-t-il pas , et que devient-on pour peu qu'on s'y soit arrêté avec quelque complaisance ! Hélas ! mon Père , on n'échappe au naufrage qu'en rentant dans l'asile de la présence de Dieu , et rarement on y rentre sans avoir reçu quelque plaie considérable dans le combat .

<< Combien de fois J.-C. ne m'a-t -il pas fait voir le danger auquel je m'étais exposée en sortant de sa sainte présence ! ... Aussi , mon Père , je tâche de n'en sortir jamais : voilà pourquoi les conversations me sont si à charge , elles me donnent plus à faire que les méditations les plus abstraites . La raison en est , mon Père , qu'il me faut continuellement y être sur mes gardes , tant pour ne pas donner prise , en sortant de la sainte présence de Dieu , que pour ne laisser rien apercevoir de mes efforts à celles de mes Sœurs avec qui je me trouve . Jugez un peu quel travail ! combien je dois désirer la fin de la récréation ! Oh ! je vous assure que je la désire souvent . Cependant , mon Père , Dieu me fait voir que je ne dois pas m'y refuser ; qu'au contraire , la charité doit me faire un devoir de m'y trouver avec mes Sœurs et de converser avec elles . Je tâche donc de m'y prêter sans m'y livrer .

Son genre d'oraison

. < Pour ce qui est de mes méditations , mon Père , je vous en dirai deux mots dès aujourd'hui , afin que vous puissiez me dire si je puis me rassurer sur la manière dont je m'en acquitte habituellement . D'abord , je tâche d'appliquer mon esprit au sujet de l'oraison ; mais il arrive assez souvent qu'un attrait plus puissant l'entraîne à d'autres considérations , surtout dans mes communions . La présence de Dieu s'empare si vivement de mon entendement que quelque- fois les sens en sont affectés . Je vois alors en Dieu des choses qui ne me laissent plus de liberté pour me rappeler le sujet de la méditation . Tout mon temps se passe à considérer ce que Dieu me fait voir . Sur quoi , mon Père , il faut observer que , quand je me serais rendue coupable de quelque infidélité , j'en reçois alors des réprimandes qui me couvrent de confusion et de repentir . J'en demande pardon à Dieu , qui me reçoit toujours avec la même bonté , car ses reproches sont toujours ceux de la miséricorde et de la tendresse .

« Le bon Dieu ne m'a jamais reproché cette méthode de faire oraison ; seulement ma conscience me fait entendre qu'il serait bon de vous consulter pour être plus à l'aise de ce côté-là . Ainsi , mon Père , si vous le trouvez bon et que vous n'ayez pas quelque raison de vous y opposer , je continuerai de la faire de la même manière .