VIE URBAINEL’inquiétude grandit à Bordeaux autour des dark stores et dark kitchens

Bordeaux : L’inquiétude grandit face aux dark stores et dark kitchens qui colonisent la ville

VIE URBAINELes commerces fantômes qui alimentent des livraisons express de courses en centre-ville ou des plats préparés produisent des nuisances pour les riverains
La concentration de livreurs à scooter autour des "dark kitchens" engendre parfois de fortes nuisances sonores. (Illustration)
La concentration de livreurs à scooter autour des "dark kitchens" engendre parfois de fortes nuisances sonores. (Illustration) - Sebastien SALOM-GOMIS/SIPA / SIPA
Elsa Provenzano

Elsa Provenzano

L'essentiel

  • Les commerces fantômes (dark stores et dark kitchens) se multiplient à Bordeaux ces derniers mois.
  • Un développement accéléré qui inquiète la ville sur le plan de la place des commerces indépendants et des nuisances sonores pour les riverains.
  • Les restaurateurs sont opposés à l’implantation de ces structures, notamment parce qu’elles contribuent à désertifier les centres-villes.

Vendredi 19 août, une dizaine de maires de grandes villes de France, dont Pierre Hurmic maire de Bordeaux, ont signé une tribune pour inciter le gouvernement à prendre des mesures pour réguler l’implantation des dark stores et dark kitchens. Les premiers sont des opérateurs du Quick commerce, sans devantures, qui jouent un rôle d’entrepôts pour acheminer en 10 à 15 minutes des courses auprès de clients du centre-ville.

Les seconds sont des laboratoires de cuisine exclusivement dédiés à la livraison à domicile. Ces commerces fantômes ont profité de la crise sanitaire pour prendre d’assaut les centres-villes de grandes métropoles. A Bordeaux, où le phénomène reste encore contenu, on estime qu’une dizaine d’enseignes sont présentes mais il est difficile de les dénombrer car elles s’implantent sans autorisation de la ville, sur des surfaces inférieures à 500 m2.

Nuisances pour les riverains

« Des implantations ont été réalisées dans les rues Pelleport, Prunier, sur la place des Capucins, le cours d’Albret et on y a de très grosses nuisances sonores, rapporte Sandrine Jacotot, l’adjointe chargée du commerce à la ville de Bordeaux. De gros camions de livraison circulent de 7 heures à minuit. » Ces commerces fantômes qui se rêvent en mini-Amazon (Gorillas, Foudie, Frichti etc.) ne s’embarrassent pas de savoir si l’installation de leur activité colle avec le PLU (plan local d’urbanisme) car ils sont bien trop occupés « à prendre les places » pointe Yvan Otschapovski, conseiller technique commerce à la CCI de Bordeaux.

Il rappelle que ce sont principalement « des licornes qui bénéficient d’importantes levées de fonds » et qui peuvent se permettre de « compter après ». Difficile pour la ville seule de répliquer au vu de la durée des procédures de contestations judiciaires. « Ils savent qu’ils seront tranquilles au moins deux ans », soupire l’adjointe au commerce, qui reste néanmoins combative.

Une menace pour les commerces indépendants ?

Les différents opérateurs se livreraient « une guerre fratricide », selon elle, à l’issue de laquelle certains seulement remporteront le marché. « Pour nous peu importe si le modèle est viable ou pas, commente Sandrine Jacotot. Ce qui nous importe c’est quel va être le prix à payer face à cette concurrence, dans une période déjà compliquée pour les commerçants indépendants bordelais. »

A peine sortis de la crise sanitaire, ces commerces dont certains sont en cours de digitalisation se retrouvent pris de court. Et de son côté, la ville se retrouve spectatrice d’une organisation de la logistique interurbaine du dernier kilomètre qu’elle devrait piloter. En tant que garante de l’équilibre de l’offre, dans une ville qui compte 7.800 commerces, dont 1.300 restaurants environ, la municipalité s’inquiète des dégâts possibles sur les petites enseignes. « Il est évident que d’ajouter des commerçants qui font alliance avec des grands distributeurs, cela apporte une concurrence aux petits épiciers », pointe Sandrine Jacotot.

Pour Yvan Otschapovski, il faut relativiser cette croissance des dark stores dont la courbe des ouvertures n’est plus exponentielle : « Cela représente 120 millions de chiffres d’affaires en France et à l’échelle du pays, ce n’est rien du tout. » S’il faut rester vigilant concernant ces entrepôts fermés aux clients qui peuvent contribuer à la désertification des centres-villes, il estime aussi que « les consommateurs n’adhèrent pas tous à ce système dont l’image n’est pas forcément très positive ».

Les restaurateurs vent debout contre les dark kitchens

A la Galerie Tatry, espace commercial bordelais du centre-ville, Deliveroo a ouvert récemment dix cuisines en location, pour alimenter son service de livraison. En économisant notamment sur le personnel de salle, elle propose une offre moins chère qui vient concurrencer les établissements classiques. Foudie, société toulousaine, a annoncé son implantation à Bordeaux le 17 août dernier. Gorillas, première société à s’implanter à Bordeaux, n’a pas répondu, à l’heure où nous écrivons cet article, aux sollicitations de 20 Minutes.

« On va désertifier les villes des belles brasseries, des beaux restaurants, donc c’est un phénomène [les dark kitchens] qu’il faut freiner, alerte Franck Chaumes président de l’UMIH 33 (Union des métiers et des industries de l’hôtellerie). Les pouvoirs publics doivent impérativement le faire car cela empêche l’emploi. » Ces cuisines fantômes échappent aussi aux contrôles drastiques des services d’hygiène et interrogent quant à leur politique sociale et à leurs obligations fiscales.

Pour Yvan Otschapovski, les restaurateurs doivent saisir cette occasion afin de « se mettre en ordre de marche pour faire de la livraison à domicile ». Et sur cet enjeu logistique, il ne faut pas se cantonner à regarder le dernier kilomètre mais optimiser toute la chaîne d’approvisionnement pour améliorer vraiment son bilan carbone. « C’est bien si vous livrez à vélo électrique mais comment vous acheminez vos entrepôts ? » lance-t-il. A chaque médaille, son revers.

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