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Le Combat Spirituel LORENZO SCUPOLI ( CHAPITRE XIII - DE QUELLE MANIÈRE IL FAUT COMBATTRE LA SENSUALITÉ, ET QUELS ACTES LA VOLONTÉ DOIT PRODUIRE POUR ACQUÉRIR LES HABITUDES DES VERTUS. )

Lorsque vous sentez la volonté de Dieu et l’appétit sensitif se disputer la possession de votre cœur, vous devrez, pour faire triompher en vous la volonté divine, prendre les moyens suivants. Dès que les mouvements de l’appétit sensitif s’élèvent en vous, opposez-leur une vigoureuse résistance, de peu qu’ils n’entraînent à leur suite la volonté supérieure.

Ces premiers mouvements apaisés, réveillez-les en vous pour les réprimer avec plus de force et de vigueur. Provoquez-les ensuite à un troisième combat, afin de vous accoutumer à les repousser avec horreur et dédain. Ces deux derniers moyens sont excellents pour dompter les appétits désordonnés, hormis pourtant les passions charnelles dont nous parlerons en un autre endroit.

Enfin, produisez des actes opposés aux passions que vous voulez vaincre. Un exemple éclaircira ma pensée. Vous êtes, je suppose, porté aux mouvements d’impatience. Si vous êtes bien recueilli en vous-même et attentif à ce qui se passe dans votre intérieur, vous remarquerez que ces mouvements s’attaquent sans relâche à la volonté supérieure pour la faire fléchir et obtenir son consentement. Usez alors du premier moyen que nous avons indiqué ; opposez à chacun de ces mouvements une résistance opiniâtre, et faites tous vos efforts pour empêcher la volonté d’y donner son consentement.

N’abandonnez pas la lutte avant que l’ennemi, abattu et terrassé, vous ait rendu les armes. Mais voyez la malice du démon. Lorsqu’il s’aperçoit que nous résistons courageusement aux mouvements d’une passion quelconque, il cesse de les exciter en nous, et cherche même à les apaiser. Il veut par là nous empêcher d’acquérir, à l’aide de cet exercice, l’habitude de la vertu contraire, et nous faire tomber dans les pièges de la vaine gloire et de l’orgueil, en nous insinuant qu’il ne nous a fallu, comme aux vaillants soldats, qu’un instant pour faire tomber l’ennemi à nos pieds. Vous passerez donc au second combat : vous rappellerez à votre mémoire et réveillerez en vous-même les pensées qui vous ont excité à l’impatience, et quand vous sentirez l’émotion gagner la partie sensitive, vous en réprimerez les mouvements avec un redoublement de force et de vigueur.

Bien que nous repoussions nos ennemis en vue de bien faire et de nous rendre agréables à Dieu, il n’en est pas moins vrai que bien souvent nous n’avons pas pour eux toute la haine qu’ils méritent, et qu’ainsi nous courons le risque de succomber à de nouvelles attaques. Pour échapper à ce danger, livrez-leur un troisième assaut et chassez-les loin de vous, non seulement avec des sentiments d’aversion, mais avec un suprême mépris, jusqu’à ce qu’ils ne soient plus pour vous qu’un objet d’honneur et d’abomination. Enfin, pour orner et enrichir votre âme des habitudes des vertus, il faut produire des actes intérieurs directement contraires à vos passions déréglées.

Vous voulez, par exemple, acquérir l’habitude de la patience, et voilà qu’une marque de mépris qu’on vous donne fait naître en vous un mouvement d’impatience. Ne croyez pas qu’il vous suffise des prendre les trois moyens que j’ai indiqués plus haut ; non, il faut en outre aimer l’affront qu’on vous fait, désirer d’être souvent méprisé de la même manière et par la même personne, et vous disposer à souffrir de plus grands outrages encore.

La nécessité où nous sommes pour arriver à la perfection de poser des actes de vertus contraires aux vices qui nous assiègent vient de ce que les autres actes, si vigoureux et si multipliés qu’ils soient, sont impuissants à arracher la racine du mal.

Ne sortons point de notre exemple.

Quoique nous refusions notre consentement aux mouvements d’impatience que les affronts éveillent en nous, que nous employions même pour les dompter les trois moyens mentionnés plus haut, il n’en est pas moins vrai qu’à moins de nous habituer, à l’aide d’actes souvent répétés, à aimer les opprobres et à nous en réjouir, jamais nous ne pourrons nous débarrasser entièrement du vice de l’impatience qui a pour racine l’horreur de tout ce qui va à l’encontre du besoin d’estime que nous ressentons naturellement en nous-mêmes.

Aussi longtemps que cette racine vicieuse demeure vivante en notre cœur, elle pousse continuellement des rejetons qui rendent la vertu languissante et finissent parfois par l’étouffer entièrement, sans compter qu’elle nous tient dans un péril continuel de retomber à la première occasion qui se présentera. Il suit de là que, si nous ne posons des actes contraires aux vices que nous voulons combattre, jamais nous n’acquerrons l’habitude solide des vertus. Encore faut-il que ces actes soient souvent répétés.

L’habitude du vice s’est formée en nous par la multiplication des actes vicieux : il faut donc des actes multipliés pour l’extirper de notre cœur et y introduire l’habitude de la vertu. Je vais plus loin, et je dis qu’il faut plus d’actes bons pour former en nous l’habitude de la vertu que d’actes mauvais pour y créer l’habitude du vice, par la raison que la corruption de notre nature favorise cette dernière habitude, et va à l’encontre de la première.

J’ajoute aux précédentes observations que, si la vertu à laquelle vous vous exercez le comporte, vous devez joindre aux actes intérieurs les actes extérieurs correspondants. Ainsi, pour nous tenir toujours au même exemple, vous devez répondre avec douceur et charité à ceux qui vous maltraitent et profiter des occasions que vous aurez de leur rendre service.

Si faibles que vous paraissent ces actes intérieurs et extérieurs, votre volonté semblât-elle même n’y point avoir de part, gardez-vous bien de les abandonner : nonobstant leur faiblesse apparente, ils vous soutiennent dans le combat et vous aplanissent le chemin de la victoire. Soyez attentifs à ce qui se passe au-dedans de vous et attachez-vous à combattre jusqu’aux moindres mouvements désordonnés que vous y découvrirez. Les petites passions ouvrent la voie aux grandes, et les habitudes vicieuses finissent par s’emparer de notre âme.

Combien, pour avoir négligé de résister aux attaques légères d’une passion dont ils avaient repoussé les plus violents assauts, combien, dis-je, attaqués ensuite plus vigoureusement au moment où ils y songeaient le moins, ont subi une défaite plus désastreuse que jamais. Je vous conseille encore de vous appliquer à mortifier vos désirs, même dans les choses permises.

Cette mortification vous procurera de grands avantages et vous rendra plus facile et plus prompte la victoire à remporter sur vous-même dans les choses défendues. Vous en deviendrez plus fort et plus aguerri dans le combat que vous soutenez contre vos tentations ; vous éviterez diverses embûches du démon et vous vous rendrez en même temps très agréable au Seigneur. Laissez-moi vous parler clairement. Si vous persévérez dans ces exercices si salutaires, si propres à réformer votre intérieur et à vous faire triompher de vous-même, je vous promets que vous avancerez à grands pas dans la voie de la perfection et que vous deviendrez véritablement spirituel, et non pas de nom seulement.

Mais si vous vous engagez dans une autre voie, si vous choisissez d’autres pratiques, quelque excellentes que ces pratiques vous paraissent, quelques délices que vous y goûtiez, eussiez-vous même la persuasion d’être étroitement uni à Dieu et de vous entretenir intimement avec lui, soyez convaincu que jamais vous n’acquerrez la véritable spiritualité.

La perfection, vous ai-je dit au chapitre premier, ne consiste pas dans les pratiques qui charment et flattent notre nature, mais dans les exercices qui l’attachent à la croix avec toutes ses affections. C’est par là que les vertus s’acquièrent et que l’homme intérieurement renouvelé s’unit à son Sauveur crucifié et à son divin Créateur. S’il est clair pour tous que les habitudes vicieuses se forment par les actes réitérés de la volonté supérieure cédant aux appétits des sens, il n’est pas moins évident que les saintes habitudes s’acquièrent par la fréquente répétition d’actes conformes à la volonté divine qui nous appelle à pratiquer tantôt une vertu, tantôt une autre.

De même que la volonté, malgré les assauts violents qu’elle subit du côté des sens et des passions, ne peut devenir l’esclave du vice et des désirs terrestres, si elle ne cède elle-même à l’effort de la tentation ; de même aussi elle ne peut, quelque forte que soit l’action de la grâce, devenir véritablement vertueuse et unie à Dieu, si elle ne se conforme par ses actes intérieurs, et au besoin par ses actes extérieurs, aux inspirations de la grâce divine.