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Vie et révélations de la Sœur de la Nativité, religieuse converse au couvent des Urbanistes de Fougères, Volume 1 (page 41 à 51)

Vie et révélations de la Sœur de la Nativité

ABRÉGÉ DE LA VIE DE LA SŒUR DE LA NATIVITÉ , ET DES CIRCONSTANCES CONCERNANT SES RÉVÉLATIONS .

Son confident est chargé d'écrire ce qu'elle annonce de la part de Dieu . - Quel en fut le succès .

Tel était aussi le jugement qu'en portaient MM , L'Article , Duclos et Audoin , directeurs ; Lemoine , Beurier de la Porte , missionnaires : tellement que , d'après son consentement obtenu , il fut comme arrêté entre eux que M. Audoin , alors directeur de la communauté , et en qui la Sœur avait beaucoup de confiance , écrirait les grandes choses que Dieu lui avait fait connaître touchant le sort de l'Église universelle et celle de France en particulier . Le peu qu'elle lui en avait dit suffisait pour les convaincre qu'elle ne parlait pas d'après elle - même ; en conséquence , M. Audoin fit des écrits très - longs sur ce que la Sœur lui communiquait de tout cela ; mais , comme ses écrits n'ont jamais paru , et que d'ailleurs je n'ai jamais connu M. Audoin , j'ignore absolument le plan qu'il s'était formé , je conjecture seulement , sur les circonstances et sur ce que la Sœur m'a fait entendre , qu'elle lui avait donné beaucoup plus de détails sur notre révolution , et beaucoup moins sur les suites . C'est le sort de la vérité et des choses extraordinaires d'être combattues , comme celui de la vertu d'être éprouvé . Les obstacles et les contradictions sont la pierre de touche de l'œuvre de Dieu . Combien de fois n'a - t - il pas permis que les vices , l'imprudence ou la malice des hommes , aient retardé , empêché même l'exécution de ses grands desseins ? En voici , je pense , un exemple des plus remarquables . Soit que temps ne fût pas encore venu , soit que fer ait réussi à faire échouer un projet dont il avait tout à craindre ; soit , comme le dit la Sœur , que le Ciel , dans sa justice , ait puni les hommes coupables , en punissant l'orgueil de celle dont il avait dessein de se servir pour les avertir et les préserver de tant de malheurs ; soit de toutes ces causes à la fois et d'autres encore que nous ne voyons pas , ce qu'il y a de sûr , c'est que le projet échoua et que tout fut manqué . Voici à quelle occasion et comment la chose se passa .

Grandes épreuves pour elle à cette occasion .

M. Audoin n'eut rien de plus pressé que de communiquer ses récits à son conseil ordinaire . C'était M. L'Article , directeur des religieuses Ursulines de la même ville , qui n'approuva pas tout , à beaucoup près : n'en soyons pas surpris . La Sœur annonçait de si grands malheurs à la France , des désastres si terribles pour l'Église et l'État , des événements si peu vraisemblables pour le temps , qu'il ne faut pas lui faire un crime de n'avoir pas ajouté foi , dans cette circonstance , à une prophétie dont nos descendants pourront à peine croire l'accomplissement . Quelle apparence y avait - il , huit ou neuf ans seulement avant le temps où nous sommes , que nous eussions été les témoins de ce qui ne se passe que trop réellement aujourd'hui sous nos yeux ?

Faux raisonnements et jugements sur ce qu'elle avait dit , et contradictions de ceux qui l'éprouvent à ce sujet .

Rempli , sans doute , du sage avis du Saint Évêque de Genève (Saint François de Sales) , qui dit , dans ses lettres , « que les visions et les révélations des filles ne doivent point être trouvées étranges , parce que la facilité et tendresse de l'imagination des filles les rend beaucoup plus susceptibles de ces illusions que les hommes » M. L'Article ne fit pas assez attention que la Sœur pouvait bien être regardée comme une exception à cette règle , et que la sage précaution du saint évêque était tout en sa faveur , puisque ses révélations avaient toutes les qualités qu'il demande et qu'exige la prudence en pareil cas .

N'importe après avoir d'abord admiré la Sœur , il décide à la ranger au nombre des personnes dupes de leur imagination . Il traita son directeur comme un jeune homme qui , faute d'expérience , avait donné dans l'illusion . Il crut même apercevoir de l'hérésie dans l'annonce que la Sœur faisait d'une secousse terrible pour l'Eglise de France , dont elle voyait , disait - elle , les piliers s'agiter , chanceler et tomber en grand nombre . Tenez ferme , lui dit - elle un jour à lui - même , tenez ferme ; et ce que je dis , je le dis à tous ceux de votre état . Tâchez de soutenir l'Eglise contre les assauts de cette puissance terrible que je vois s'avancer ; de grâce , soutenez l'Eglise , je tremble pour elle , etc.

Pour lui imposer silence , ou peut - être pour l'éprouver sur des menaces auxquelles il ne comprenait rien , il prit le parti de l'effrayer par la crainte de l'erreur . « Luther , lui dit - il brusquement , et autres prophètes de cette trempe , ont aussi annoncé la chute de l'Eglise contre l'expérience et contre la parole de J.-C. , qui nous assure que son Eglise ne tombera jamais . Ma sœur , ajouta - t - il , ou vous êtes comme eux dans l'erreur , ou bien vous êtes folle : prenez garde . Pour moi , je vous avoue que je ne sais ce que vous voulez dire . » Ce qu'il lui répéta dans d'autres circonstances . Mais quoique la seule idée d'hérésie eût interdit et accablé la pauvre Sœur , cela ne l'empêcha pas de lui répéter « que Dieu lui faisait connaître que l'Eglise de France, aussi bien que l'Etat, allaient éprouver une secousse violente et une persécution telle qu'on ne l'avait jamais vue encore dans ce beau royaume . »

L'expérience n'a que trop montré de nos jours de quel côté se trouvait l'illusion . M.L'Article y était évidemment par la crainte d'y tomber . Un peu trop prévenu contre la Sœur , il confondait , peut - être sans trop s'en apercevoir , la secousse ou l'agitation de l'Eglise de France dont elle parlait , avec la chute de l'Eglise universelle , annoncée par le fougueux incendiaire de l'Allemagne et par tous les faux prophètes de la prétendue réforme . Cependant quelle énorme différence de l'une à l'autre ! Il faisait encore une fausse application du passage de l’Évangile où J.-C. nous dit bien que les portes de l'enfer ne prévaudront jamais contre son Eglise ; mais où il ne dit pas que son Eglise ne sera point agitée ni ébranlée : ce qui serait contraire à l'Évangile même et à l'expérience de tous les siècles , rien ne lui étant plus formellement ni plus souvent annoncé par son divin auteur , que les persécutions qu'elle devait éprouver et qu'elle éprouvera dans toute la suite de sa durée . Il est vrai que , sans mauvaise intention , les plus habiles théologiens peuvent quelquefois se méprendre dans les points même les plus clairs , pour peu qu'ils ne soient pas en garde contre la prévention , qui bientôt ne laisse plus voir les choses dans leur véritable jour , et fait perdre de vue quelquefois jusqu'aux principes les plus évidents . Que d'exemples n'en pourrait - on pas citer , et qui prouveraient qu'en pareille matière un juge ne doit pas moins craindre l'illusion de son propre esprit que celle qu'il veut combattre dans l'esprit d'autrui , sans quoi il peut aisément tomber dans le travers qu'il tâche de leur faire éviter !

Elle se laisse persuader , et sa timidité la porte elle - même à se condamner par la crainte d'être dans l'erreur . - Elle fait brûler ses premières révélations .

Cependant la crainte de l'hérésie , dont la timide Sœur avait été frappée , ne contribua pas peu à lui faire prendre le parti de tout abandonner . Elle résolut même de combattre jusqu'à la pensée de son projet , comme un piège du démon que le Ciel désapprouvait ( c'était précisément en cela que consistait son illusion , ou plutôt celle dans laquelle on la forçait de donner ) . Elle en fit même une confession générale , et pleura son entreprise comme un crime . Sachant que M. Audoin en avait reçu du chagrin , et qu'à son occasion il était survenu quelque petite brouillerie entre lui et son confident , elle fit tant auprès de lui , qu'elle l'obligea , en quelque sorte , à brûler les cahiers qui contenaient tout ce qu'elle lui avait dit et fait écrire de la part de Dieu .

Il le fit , et en fut vivement repris , et par sa conscience , et par M. L'Article lui - même , qui , après l'avoir accusé de crédulité , lui reprocha ici d'avoir agi avec trop de précipitation . « Il fallait du moins , lui dit - il , conserver tout ce qui regardait la matière de l'Eglise , j'eusse été bien aise de l'examiner avec un peu plus d'attention » Il n'était plus temps , les flammes avaient consumé le tout . Mais Dieu sait , quand il veut , reproduire tout ce qui a été détruit , et rien ne met obstacle à ses desseins : c'est ainsi qu'on a vu l'ouvrage d'un grand prophète renaître des cendres où un roi impie l'avait réduit .

Humiliations et chagrins qui lui en reviennent .

Quels chagrins , quelles humiliations cette sainte fille n'eut - elle pas à dévorer en ce temps - là , et auxquels la mort de M. Audoin vint bientôt mettre le comble ! Chagrins et humiliations de la part des autres Sœurs , et même de quelques - unes qui , malgré ses précautions , avaient découvert ses entretiens avec feu M. Audouin , et qui triomphaient en secret de ses disgrâces . Celles surtout qui avaient assez peu de vertu pour avoir pris ombrage de la sienne ne la regardaient plus que comme une hypocrite qu'il était bon d'humilier pour la guérir de sa présomption et de son orgueil .

En conséquence , on prit à tâche de l'humilier de toutes les manières et à tout propos . Elle devint l'objet des ironies les plus piquantes ; on la nommait la Visionnaire , et on sait assez quel sens insultant on attache à ce mot . Ce qui la rendit plus ridicule à leurs yeux , c'était de l'avoir entendue , d'un endroit où on était venu l'écouter , dire à M. Audouin qu'elle avait vu le roi , la reine et la famille royale compromis , et probablement enveloppés dans les malheurs qu'elle annonçait à la France , et victimes eux - mêmes de cette révolution . Ce qui , sans doute , paraissait le comble du délire et de l'extravagance .

Chagrins et humiliations de la part de ses directeurs ( Ce n'est pas la première fois que , pour éprouver ses saints , Dieu ait permis que leurs directeurs se soient , pendant quelque temps , mépris dans le jugement qu'ils ont porté des voies extraordinaires par où il les conduisait . Sainte Thérèse seule en fournirait la preuve . C'est bien ici surtout qu'on peut dire avec saint Grégoire que c'est l'art des arts : Ars artium regimen animorum . DE PASTOR .....) , auxquels , depuis M. Audouin , elle ne pouvait et n'osait plus ouvrir sa conscience sans s'exposer à être accablée de reproches , et auxquels elle n'avait plus à dire que des misères humaines dont on prenait occasion de l'humilier encore davantage . Chagrins et humiliations enfin , de la part de Dieu lui - même , qui quelquefois semblait lui retirer toutes ses consolations et ses faveurs pour l'abandonner à elle - même et au triomphe de ses ennemis . Pendant ces temps d'épreuves , elle ne ressentait plus que des dégoûts , des aridités et des sécheresses insupportables . Le Ciel , devenu de bronze semblait s'être joint à la terre , et même à l'enfer , pour la tourmenter et la faire souffrir .

Il est vrai , en un sens , que la vertu se suffit à elle - même et qu'elle trouve en soi , ou plutôt en celui qui ne permet jamais qu'elle soit tentée au - dessus de ses forces , de quoi se dédommager de tout le reste . Aussi , sans s'abandonner , ni au chagrin , ni moins encore à la plainte , la Sœur n'opposa à tout ce qu'on put dire ou faire contre elle que la douceur , la patience , la résignation la plus parfaite à la volonté du Ciel ; et sa constance força même ses Sœurs à lui rendre une estime et une amitié trop méritées , et qui , depuis longtemps , n'ont fait que s'augmenter de plus en plus .

Ses peines et souffrances de corps .

Cela ne suffisait point encore pour former une croix digne de son courage . A ces peines et à ces humiliations d'esprit devaient se joindre des souffrances et des humiliations de corps , pour rendre le sacrifice entier et parfait et la victime digne de Dieu et des desseins qu'il avait sur elle à sa demande , le Ciel lui en a accordé de toutes sortes . On peut dire d'elle , comme de Job , que Dieu permit au démon de frapper son corps après avoir inutilement tenté d'ébranler son âme . Mais celui qui donnait tant de pouvoir contre elle à l'enfer , l'a toujours si fortement soutenue contre ses attaques , qu'il peut aussi se glorifier de la constance de sa servante en insultant à la faiblesse de son ennemi . Eh bien , Satan , peut - il lui dire , as - tu bien considéré cette fille qui m'appartient et que tous tes efforts ne pourraient abattre ? Numquid considerasti servum meum ? ( Job , 2 , 3. ) As - tu vu cette petite servante qui méprise également tes offres et tes menaces , ainsi que tes traitements ? Numquid considerasti ? Qu'en penses - tu ? Est - ce une vertu commune que la sienne , et n'est - elle pas au - dessus de tous tes efforts ? Oui , Satan , je te le prédis , ta défaite est assurée , ta malice est vaincue , et tout ce que tu feras contre elle n'aboutira jamais qu'à ta honte et à ta confusion .