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Une langue “une” pour une Église “une”

Une langue “une” pour une Église “une”
L’Église est une: “Et Unam, Sanctam, Catholicam, et Apostolicam Ecclésiam”. Son unité est étroitement liée à son universalité (“catholica”), et le centre de cette unité est le Siège de Pierre, Évêque de Rome. La langue latine, universelle et romaine est donc lien d’unité. Pie XII l’atteste: “L’usage de la langue latine, tel qu’il est en vigueur dans la plus grande partie de l’Église, est un signe clair et noble d’unité” (Encyclique Mediator Dei, 20/XI/1947). Par contre, l’adoption de la langue nationale dans la liturgie est souvent source de conflit et de division entre les peuples; c’est l’élément de désagrégation non seulement au niveau religieux mais également au niveau civil. Il suffit de penser à ces pays divisés par les conflits ethniques où les fidèles, tous unis autrefois autour de l’autel, assistent maintenant au culte dans des églises différentes, en fonction de la langue qui y est employée.
Tout récent est le cas de Trieste: l’introduction du slave à côté de l’italien dans le culte présidé par Jean Paul II lors de sa visite, a soulevé les protestations de certains. L’autel unissait, la table (liturgique) divise. S’il en est ainsi dans la société civile, à plus forte raison en est-il dans la société religieuse. La pseudo-réforme protestante avait donné naissance à des “églises nationales” divisées entre elles dans le dogme et dans la discipline comme dans la langue liturgique; la pseudo-réforme de Vatican II, elle, a ouvert une brèche dans l’admirable unité dogmatique, disciplinaire et liturgique propre à la véritable Église Catholique. Chaque pays serré autour de sa propre conférence épiscopale (souvent rétive vis à vis du “centre”), célèbre désormais la liturgie dans une langue étrangère à celle des autres pays et à celle de Rome même. Dans bon nombre de ces pays, en Afrique, en Amérique latine, en Asie, “l’inculturation” voulue par Vatican II a introduit dans le culte des éléments païens que la prédication de l’Évangile avait fait disparaître.
Partout, même au niveau liturgique, on assiste à ce phénomène de désagrégation de l’unité, phénomène qui caractérise toujours le schisme et l’hérésie. Certes l’abolition du latin a été “une pierre miliaire” (Bugnini) dans ce processus de désagrégation de l’unité. La confusion des langues décrétée par Dieu en châtiment de l’orgueil des hommes lors de la construction de la Tour de Babel, était en quelque sorte compensée par l’usage du latin, la “langue catholique”, dans l’Église du Christ. Aujourd’hui l’“église conciliaire” a proclamé “le culte de l’homme” (Paul VI): l’orgueil est châtié encore une fois par la confusion des langues, confusion que nous pourrions appeler, paraphrasant Pie XII, “admirable signe de désunion”.
VI. Une langue immuable pour une Église immuable.
Reprenons la citation de Pie XI: “en effet l’Église embrassant en son sein toutes les nations, et étant destinée à durer jusqu’à la fin des siècles, exige de par sa nature une langue universelle, immuable, non populaire” (Officiorum Omnium). Romano Amerio commente: “En second lieu l’Église est, dans sa substance, immuable et c’est pourquoi Elle s’exprime dans une langue en quelque sorte immuable, soustraite (relativement, et plus que toute autre) aux altérations des langues usuelles; altérations si rapides qu’aujourd’hui, dans tous les pays européens, des glossaires sont indispensables à la compréhension des œuvres littéraires anciennes. L’Église a besoin au contraire d’une langue qui réponde à sa condition intemporelle et qui soit privée de dimension diachronique…”.
Le latin, spécialement le latin liturgique, est précisément une langue aussi immuable que possible. Il répond donc aux exigences d’une langue sacrée (voir ce qui a été dit précédemment). De plus il participe de l’éternité de l’Église et de l’irréformabilité de son enseignement. Il présente en outre un double avantage pratique: le premier, signalé par Amerio, est d’éviter les continuelles révisions indispensables aux langues vivantes devenues, après quelques décennies, sinon incompréhensibles, du moins désuètes. Le second, beaucoup plus important, est signalé encore par Pie XII: “L’usage de la langue latine (…) – dit-il – est… un antidote efficace contre toute corruption de la pure doctrine”. Le proverbe nous le rappelle: “traduttore, traditore” . Même involontairement, une traduction déforme plus ou moins le texte traduit. Combien plus, si le traducteur a l’intention de déformer. G. Renié (Missale Romanum et missel romain, Paris 1975), Romano Amerio (Iota unum, Milano – Napoli 1985. n°280-282, pp. 520-525) et bien d’autres ont prouvé que le “nouveau missel” en langue vulgaire déforme le déjà hétérodoxe “Missale romanum” réformé par Paul VI au point d’altérer même la formule de consécration (“pro multis” qui devient “pour tous”).

La liturgie en langue vernaculaire a toujours été voulue par les hérétiques
Nous sommes en train d’exposer les “raisons graves” pour lesquelles l’Église refuse l’introduction de la langue vulgaire dans la liturgie, avec pour conséquence pratique l’abolition du latin. Nous ne pouvons donc passer sous silence un dernier argument: qui prône l’introduction dans la liturgie de la langue populaire se met du côté de tous les hérétiques.

En 1878, entre autres principes de “l’hérésie antiliturgique”, en huitième position, Dom Guéranger énonçait: “La réforme liturgique ayant pour une de ses fins principales l’abolition des actes et des formules mystiques, il s’ensuit nécessairement que ses auteurs devaient revendiquer l’usage de la langue vernaculaire dans le service divin. Aussi est-ce là un des points les plus importants aux yeux des sectaires. Le culte n’est pas une chose secrète, disent-ils. Il faut que le peuple entende ce qu’il chante. La haine de la langue latine est innée au cœur de tous les ennemis de Rome. Ils voient en elle le bien des catholiques dans tout l’univers, l’arsenal de l’orthodoxie contre toutes les subtilités de l’esprit de secte, l’arme la plus puissante de la Papauté”.
C’est ainsi que les schismatiques orientaux furent favorables à la langue vernaculaire dans la liturgie. Le furent également, au XIIème siècle, les Vaudois et les Cathares: “Ces sectaires – rappelle Dom Guéranger – qui prétendirent les premiers à l’interprétation libre de la Bible par le jugement individuel, furent aussi les premiers à protester contre la langue liturgique, et à célébrer les mystères et les sacrements en langue vernaculaire. Ils firent de cette pratique un des articles fondamentaux de leur secte…” (26). Après eux vinrent Wiclef en Angleterre et Huss en Bohême. Érasme de Rotterdam fut censuré par l’université de la Sorbonne pour avoir jugé chose inconvenante et ridicule de voir des ignorants “prier sans comprendre ce qu’ils prononcent” (27). Pour les théologiens de la Sorbonne “cette proposition… est impie, erronée et ouvre la voie à l’erreur des Bohémiens qui ont voulu célébrer l’office ecclésiastique en langue vulgaire…” (26).
Tous connaissent la position de Luther et des autres protestants condamnés aussi sur ce point par le Concile de Trente (Denz. 956). Le pasteur protestant Rilliet, à propos du schéma conciliaire (de Vatican II, évidemment) sur la liturgie, écrivait: “L’adoption, dans la liturgie, de la langue populaire est conforme à nos propres principes”. Les jansénistes ne firent pas mieux. Pasquier-Quesnel fut condamné pour avoir soutenu qu’“enlever aux gens simples [par l’usage du latin dans la liturgie, n.d.a.] cette consolation d’unir leur propre voix à celle de toute l’Église est un usage contraire à la praxis apostolique et à l’intention de Dieu” (Proposition 86, Denz. 1436). Le conciliabule de Pistoie, voulu par l’Évêque janséniste Scipione de Ricci, avait souhaité “une simplicité plus grande des rites, exposés en langue vernaculaire et proférés à voix haute” car l’usage contraire de l’Église provenait, selon le synode, de l’oubli des principes de la liturgie. Le Pape Pie VI condamna cette prétention comme “téméraire, offensante pour les oreilles pieuses, injurieuse pour l’Église, favorable aux revendications des hérétiques contre l’Église” (Denz. 1533). Cette bulle de Pie VI “Auctorem fidei” condamnait pareillement une autre proposition du Synode de Pistoie, proposition reprenant l’erreur de Quesnel. Les jansénistes déclaraient qu’il est “contraire à la pratique des Apôtres et aux desseins de Dieu de ne pas offrir au peuple le moyen le plus facile d’unir sa propre voix à celle de toute l’Église”. Cette affirmation – écrit Pie VI – “entendue dans le sens d’introduire l’usage de la langue vernaculaire dans les prières liturgiques est fausse, téméraire, perturbatrice des règles prescrites pour la célébration des mystères, cause facile de très nombreux maux” (Denz. 1566).
Un catholique qui, instinctivement, aime tout ce qui émane de l’Église et fuit également spontanément tout ce qui rappelle l’hérésie, ne peut désirer ce que l’Église a toujours contrecarré, ce à quoi les hérétiques ont toujours tenu: le remplacement du latin par les langues vernaculaires dans la liturgie.
Extrait de Sodalitium français n° 30-31 (numéro double) de février 1993
par M. l’abbé Francesco Ricossa