sourcefb
320

Les non-chrétiens peuvent-ils être sauvés ?

amazon.fr/…/ref=la_B004MT82…

Résumé :

1. Nous ne devons pas caricaturer l’adage « hors de l’Eglise point de salut » qui, dans son contexte et dans son sens originels, s’adresse aux chrétiens pour les encourager à la fidélité.
2. Nous devons tenir ensemble deux vérités de manière indissociable, d’une part, la vie éternelle est possible pour des non-chrétiens et, d’autre part, pour recevoir le salut éternel, il est nécessaire d’invoquer le Christ.
3. L’œuvre rédemptrice du Christ atteint aussi les défunts, donc tous les hommes.
4. Dans l’Eglise latine, depuis saint Augustin, la Bonne nouvelle aux défunts ayant été passée sous silence, on ne voyait plus comment ceux qui n’avaient pas été évangélisés pouvaient invoquer le Christ.
5. En compensation, et pour ne pas dire que les non-chrétiens sont forcément en enfer, les théologiens occidentaux ont produit des systèmes plus ou moins obscurs ou erronés.
6. Le récent catéchisme de l’Eglise catholique a rappelé que la mission rédemptrice du Christ s’achève avec la Bonne nouvelle aux défunts (CEC 634-635).
7. Dès lors, nous pouvons comprendre correctement la question du salut des hommes, en distinguant d’une part, la vie sur la terre où le salut est lié au baptême, et d’autre part dans l’au-delà de la mort, où le salut dépend des dispositions de chacun dans sa rencontre avec le Fils de l’homme (Jn 5, 25).

1
Le concile Vatican II (Lumen gentium 14) fait sienne l’expression « hors de l’Eglise point de salut » dans son sens originel, celui d’exhorter à la fidélité les membres de l’Église[1] : l’expression s’adresse explicitement aux catholiques, et le concile limite sa validité à ceux qui connaissent la nécessité de l’Église pour le salut. Il est donc clair que Dieu est amour et ne peut pas envoyer en enfer tous ceux qui ne sont pas dans l’Eglise.

2
Le Nouveau Testament enseigne le salut, la résurrection et la vie avec le Christ, non seulement pour des chrétiens mais aussi pour ceux qui n’ont pas adoré la Bête inspirée par Satan (Apocalypse 20, 4). Le concile Vatican II affirme donc la possibilité du salut des non-chrétiens, ceux qui sont sincères « peuvent recevoir le salut éternel »[2]. En 1991, le document, Dialogue et annonce, avait beaucoup insisté sur cet aspect.
En même temps, ce même Nouveau Testament enseigne que pour recevoir le salut éternel, il est nécessaire d’invoquer le Christ, et on ne peut pas l’invoquer sans adhérer à lui par la foi et l’amour, et on ne peut pas croire sans d’abord l’entendre, sans d’abord recevoir une prédication (Rm 10, 13-14). Jésus est le Rédempteur, il est apparu pour détruire les œuvres du diable (1Jean 3, 8). La déclaration Dominus Iesus de la Congrégation pour la Doctrine de la foi « sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus-Christ » (6 août 2000) a réaffirmé que c’est par Jésus seul que l’homme - que tout homme- est sauvé.

3
Le Christ a donné un enseignement sur la vie éternelle, donnée aux disciples dès cette terre (Jn 5, 24), dès maintenant aux défunts qui accueillent la voix du Fils de l’homme (Jn 5, 25), et à travers un ultime jugement au dernier jour, pour la résurrection finale (Jn 5, 27-28).
« 24En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé a la vie éternelle et ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie.
25 En vérité, en vérité, je vous le dis, l’heure vient -- et c’est maintenant --
les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’auront entendue vivront.
26 Comme le Père en effet a la vie en lui-même, de même a-t-il donné au Fils d’avoir aussi la vie en lui-même 27 et il lui a donné pouvoir d’exercer le jugement parce qu’il est Fils d’homme.
28 N’en soyez pas étonnés, car elle vient, l’heure
où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix
29 et sortiront:
ceux qui auront fait le bien, pour une résurrection de vie,
ceux qui auront fait le mal, pour une résurrection de jugement. » (Jean 5, 25-29)

La première lettre de saint Pierre déclare plus simplement : « La Bonne Nouvelle a été également annoncée aux morts... » (1P 4,6).
C’est ce que les Eglises fêtent sous le titre de « la descente de Jésus aux enfers » (le mot « enfers » signifiant ici simplement, les lieux inférieurs, le séjour des morts). Cela correspond dans le symbole des apôtres à cette phrase du Credo (qui n’a jamais provoqué de controverses) : « Je crois en Jésus-Christ qui… est mort, est descendu aux enfers… » Les premiers pères de l’Eglise (Saint Clément d’Alexandrie, Hermas, saint Hilaire de Poitiers etc.) enseignaient la rencontre du Christ avec les défunts, ils commentaient les textes du Nouveau Testament qui évoquent la prédication du Christ aux morts (Jn 5, 25-27 ; 1P 4, 6).

4
Un tournant s’opère en Occident quand saint Augustin enseigne qu’il faut que tout soit déjà joué durant la vie terrestre, sans quoi, explique-t-il (Lettre 164 à Evodius), les exhortations morales seraient inutiles sur la terre, de même que l’évangélisation ! Nous avons le droit de discerner ce qui fut chez saint Augustin un choix pastoral, un jugement psychologique – Ainsi, saint Augustin est le premier à ne plus lire Jn 5, 25-27 comme une rencontre entre le Christ et les défunts – il donne à ces versets un sens pour la vie terrestre, donc une signification similaire à Jn 5, 24, sans tenir compte de toutes les différences entre les deux versets (La Cité de Dieu, XIII, 1, 1). Et la parabole des noces (Mt 22, 2-13), contre toute évidence, n’évoque plus l’entrée dans le royaume éternel (Sermon 90). Dans le même sens aussi son commentaire sur 1P3, 19-20, mais avec cette délicieuse remarque finale : « Que ceux qui n’adopteront pas cette explication des paroles de saint Pierre... me fassent part du résultat de leurs études et de leurs recherches »[3] !

5
A la suite de saint Augustin, saint Thomas d’Aquin omet de parler de la Bonne nouvelle aux défunts. En compensation, progressivement, saint Thomas d’Aquin avait suggéré que les non-chrétiens pouvaient avoir une foi implicite[4]. A sa suite, et logiquement, K. Rahner suggère l’existence de « chrétiens anonymes », chrétiens sans le savoir. Finalement, on a dit, et en haut lieu, que la rédemption du Christ est reçue sans annonce du Christ[5].
Toujours avec la bonne intention de ne pas dire que les non-chrétiens sont damnés, certains ont pensé que le contact, plus ou moins vague avec l’Eglise pouvait être équivalent au contact avec le Christ. On passe de l’image de l’Eglise comme « corps du Christ » (1Co 12) à une identification physique ou morale de l’Eglise avec le Christ, ce qui est une erreur[6].
Si nous disons qu’avant l’Incarnation tous les hommes ont eu un contact avec le Sauveur, alors l’Incarnation est inutile ! En corollaire, évoquer Marie dans le mystère du Christ devient négligeable.
Autre corollaire, la morale, privée de la force que donne le contact avec l’humanité du Christ, devient pesante.

Un autre type de raisonnement, tout aussi contradictoire avec le Nouveau Testament a été d’imaginer que l’enfer ne soit que virtuel. Mais alors était-ce bien la peine que Jésus parle de l’enfer et accomplisse la Rédemption au prix de la croix ? (Sixième catégorie d’impasses). C’est pourtant le raisonnement d’un très grand théologien, Urs von Balthasar. Le volume et la complexité de son œuvre écrite ne parvient pas à cacher ni la contradiction interne ni l’omission de cette vérité que le Christ est venu pour détruire l’œuvre du diable (1Jn 3, 8 : si diable il y a[7], l’enfer n’est donc ni vide, ni virtuel).
En corollaire, si l’enfer n’a plus de consistance, la morale non plus.

6
Le récent catéchisme de l’Eglise catholique remet en valeur la Bonne nouvelle aux défunts :
« "La Bonne Nouvelle a été également annoncée aux morts…" (1P 4,6).
La descente aux enfers est l’accomplissement, jusqu’à la plénitude, de l’annonce évangélique du salut.
Elle est la phase ultime de la mission messianique de Jésus, phase condensée dans le temps mais immensément vaste dans sa signification réelle d’extension de l’œuvre rédemptrice à tous les hommes de tous les temps et de tous les lieux, car tous ceux qui sont sauvés ont été rendus participants de la Rédemption. » (CEC 634)
Autrement dit, à l’heure de la mort le Christ rejoint le défunt pour une évangélisation ("La Bonne Nouvelle") et une "œuvre rédemptrice", inséparables l’une de l’autre. Et le défunt "participe" (ou refuse de participer), en tout cas, il est actif, appelé à une réponse, à une adhésion, à un choix, une crise, un jugement.
Le Catéchisme de l’Eglise catholique continue :
« Le Christ est donc descendu dans la profondeur de la mort (cf. Mt 12,24 ; Rm 10,7 Ep 4,9) afin que "les morts entendent la voix du Fils de l’Homme et que ceux qui l’auront entendue vivent" (Jn 5,25). Jésus, "le Prince de la vie" (Ac 3,15), a "réduit à l’impuissance, par sa mort, celui qui a la puissance de la mort, c’est-à-dire le diable, et a affranchi tous ceux qui leur vie entière, étaient tenus en esclavage par la crainte de la mort" (He 2,14-15). Désormais le Christ ressuscité "détient la clef de la mort et de l’Hadès" (Ap 1,18) et "au Nom de Jésus tout genou fléchit au ciel, sur terre et aux enfers" (Ph 2,10). […] » (CEC 635)

7
Ce rappel de la Bonne Nouvelle annoncée aux morts nous ouvre une « théologie des religions » entièrement renouvelée, et qui s’articule en deux moments :
Premier moment : sur la terre.
L’homme devient bon par ses actes justes et ses relations justes. Sur la terre, les hommes sont guidés par la loi naturelle dans la mesure où leurs traditions respectives la leur transmettent. Les principes généraux de la loi naturelle ne sont jamais complètement effacés. La présence universelle de l’Esprit Saint et sa grâce éclairent tous les hommes et les soutiennent dans le bien. Malheureusement, l’exacerbation des passions peut rendre impossible d’appliquer les principes généraux de la loi naturelle et ses préceptes secondaires peuvent être plus ou moins effacés par les erreurs des doctrines humaines. « La capacité de connaître la vérité se trouve obscurcie et sa volonté de s’y soumettre, affaiblie ».[8]
Le baptisé bénéficie du salut dès cette terre, moyennant la foi. « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle » (Jn 3, 16). Son baptême l’exorcise, la grâce de l’Esprit Saint lui est offerte pour l’aider dans son effort vers le Bien. Il est déjà incorporé à Jésus Fils de l’homme et reçoit la mère de Jésus pour sa propre mère (Jn 19, 25-27). L’exemple du baptisé constitue une annonce de la Bonne Nouvelle aux autres hommes mais ne remplace pas le contact personnel de chacun avec le Christ mort et ressuscité.
La Vierge Marie est comme la loi naturelle incarnée (nous dirions la personnification de la sagesse créée), et en cela, l’amour presque universel pour sainte Marie rapproche tous les hommes du christianisme. Mais Marie est aussi la mère du Verbe incarné, la mère du Dieu fait homme pour donner justement la grâce de vivre la perfection de la loi, qui est une loi d’amour. C’est pourquoi Marie conduit au Christ et elle est l’étoile de l’Evangélisation.

Second moment : à l’entrée dans l’Au-delà.
L’homme meurt et rencontre le Christ, mort et ressuscité.
Celui qui a fait le bien vient à la lumière (Jn 3, 21).
Le baptisé doit répondre de son baptême et reçoit aussi une ultime révélation qui parachève l’évangélisation dont il a bénéficié sur la terre. Son incorporation à Jésus fils de l’homme, commencée sur la terre, s’achève dans la gloire de la résurrection. Son triomphe par le Christ sur Satan avait commencé sur la terre sous la forme de la croix et le conduit désormais à « l’Eglise triomphante », c’est-à-dire à la joie avec le Christ et avec les bienheureux.
Le non-baptisé découvre la vérité de l’amour. Il voit que l’amour s’offre à lui dans la lumière et la vérité. Il est libéré des éventuels liens démoniaques qu’il a contractés durant sa vie terrestre et il est libre de choisir. Le Christ lui apparaît avec les saints, le défunt est donc attiré non seulement par le Christ mais aussi par les autres justes ressuscités (qui peuvent être aussi des gens qu’il a aimés sur la terre). En Matthieu 25, Jésus s’adresse à tout homme et prévient que le jugement, l’orientation finale, se fait à partir des actes - « ce que vous avez fait… ce que vous n’avez pas fait… » Les actes de sa vie pèsent donc sur son choix, sans pour autant constituer un destin inexorable car le Christ est miséricordieux (et les saints qui l’accompagnent le sont aussi).
Lors de l’entrée dans l’Au-delà, on ne parle plus précisément de foi car la vision est commencée (cf. Rm 8, 24). L’homme défunt voit et entend le Christ, son Sauveur et son Créateur. Il le reconnaît parce que Jésus est le fils de l’homme qui révèle ce qu’il y a de meilleur dans l’homme. Il est dans l’adoration ou le refus de l’adoration. Il est dans l’amour ou dans le refus de l’amour.
Ce positionnement a été façonné durant sa vie. On peut donc dire que l’homme coopère à son Salut final ; on doit même l’affirmer ; le nier serait nier la possibilité de l’enfer et la négation de la responsabilité humaine. Ainsi, la théologie de la coopération au salut est indispensable à la théologie des religions. Sans elle, le salut des non-chrétiens serait un automatisme indigne de l’amour qui suscite une liberté et une responsabilité.
« La rencontre avec Lui est l’acte décisif du Jugement. Devant son regard s’évanouit toute fausseté. » (Benoit XVI, encyclique Spe Salvi 47)
----
Françoise Breynaert, docteur en théologie.
Françoise Breynaert, La bonne nouvelle aux défunts, perspective de la théologie des religions, Via Romana, Versailles 2014 (préface Mgr Minnerath).
Lire aussi :
· La loi naturelle
· Je crois à la vie éternelle (CEC)
· A notre mort, nous verrons le Christ (Cf. CEC 634-635)
· Le jugement dernier, le ciel et l'enfer (Evangile)

[1] Cf. Origène, In Jesu Nave 3, 5 (SCh 71,142ss) ; Cyprien, De cath. unit. 6 (CSEL 3/1,214s) ; Ep.73, 21 (CSEL 3/2,795).
[2] Vatican II, Lumen gentium 16
[3] Saint Augustin, Lettre à Evodius (cf. n° 22) in Œuvres complètes de Saint Augustin, t. v, Paris, 1870, p. 445.
[4] Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, I-IIa Qu.106 a.1 solutions.
[5] Conseil Pontifical pour le Dialogue Inter-religieux, et la Congrégation pour l’Evangélisation des Peuples, Dialogue et annonce 19 mai 1991 (n° 29).
[6] « … tandis qu’ils accordent aux hommes des attributs divins, ils soumettent le Christ Notre-Seigneur aux erreurs et à l’inclination au mal de l’humaine nature. [Au contraire, saint Paul,] tout en unissant d’un lien merveilleux le Christ et son Corps mystique, les oppose pourtant l’un à l’autre comme l’Epoux et l’Epouse (Eph 5, 22-23) ». (Pie XII, Lettre encyclique Mystici Corporis, 1943).
[7] Je tiens d’une source orale que Marthe Robin voulait que l’on fasse savoir que la douleur des damnés consiste dans « la vision de Satan, l’horrible Satan »…
[8] Jean-Paul II, encyclique Veritatis Splendor 1

Françoise Breynaert