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La Commission des droits de l'homme propose l'introduction de la notion de "genre" dans le droit fra

La Commission des droits de l'homme propose l'introduction de la notion de "genre" dans le droit français

GENRE - La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a rendu ce jeudi 27 juin vers midi un avis, dans lequel elle recommande au gouvernement d’introduire la notion d’"identité de genre" dans le droit français, tout en ajoutant une série de propositions pour faciliter les conditions du changement d’état civil des personnes transsexuelles. Des propositions qui, si elles étaient adoptées, constitueraient une avancée majeure pour les "trans".

La CNCDH avait été saisie par la ministre du droit des femmes, Najat Vallaud Belkacem, et la ministre de la justice, Christiane Taubira. Ce texte devrait inciter le gouvernement à agir rapidement en faveur des personnes transsexuelles, les avis de la CNCDH ayant traditionnellement une grande importance, comme ceux du Comité consultatif national d'éthique.

"C'est un avis historique de la CNCDH. La balle est dans la camp du législateur pour qu'il fasse enfin avancer les #DroitsDesTrans", a réagi le porte-parole de l'Inter-LGBT Nicolas Gougain sur Twitter. "Nous sommes très contents de ce vote car c'est la première fois qu'une institution française d'importance a émis un avis aussi positif pour l'amélioration des droits des trans", a ajouté Nicolas Gougain, contacté par Le HuffPost.

Le texte s’inscrit dans une réflexion législative en cours, menée sous la dernière mandature par l’ex-députée Michèle Delaunay, aujourd’hui ministre, et qui avait déposé une proposition de loi en décembre 2012. Les travaux ont été repris depuis par les sénatrices Maryvonne Blondin et Michelle Meunier.

I) RECONNAISSANCE DE L’IDENTITE DE GENRE

Une notion “d’identité sexuelle” insuffisante

La CNCDH reconnaît dans son avis la nécessité d’introduire en droit français la notion “d’identité de genre”, pour mieux protéger les personnes transgenres ou transsexuelles (c’est-à-dire qui ont accompli ou non un changement de sexe).

Aujourd’hui il existe pour éviter les discriminations à l’encontre des personnes trans une notion d’”identité sexuelle”. Mais elle est jugée insuffisante par de nombreux acteurs (voir encadré). Pour la CNCDH, il s’agit de mieux protéger les personnes trans, avec une notion plus inclusive. L’identité de genre, telle que définie notamment par le Conseil de l’Europe et par les principes de Jogjakarta, désigne “l’expérience intime et personnelle de son genre telle que vécue par chacun”: je suis biologiquement un homme, mais à l’intérieur, je me sens femme. L’identité sexuelle s’apparente quant à elle plus à une “identité sociale”, et donc à des signes sexuels visibles. Or des discriminations peuvent s’opérer sur la base d’une simple intention ou de choses non “visibles”, comme dans le cas où un employeur souhaiterait licencier une personne qui a annoncé vouloir changer de sexe.

Flashback : de la loi sur le harcèlement sexuel à l’identité de genre L’”identité sexuelle” comme critère de discrimination est reconnue et votée par le Parlement en juillet 2012 lors de la discussion du projet de loi relatif au harcèlement sexuel, comme l’un des critères de discrimination possible subie par la personne ayant refusé les avances répétées de quelqu’un.

A cette époque, les discussions vont bon train déjà autour de ce cavalier législatif qui introduit le terme de “genre”. Plusieurs députés expriment leur craintes, comme Philippe Gosselin (UMP), qui brandi la menace d’un “révisionnisme anthropologique”. A l’inverse, d’autres députés comme Sergio Coronado (EELV) trouvent la notion d’identité sexuelle insuffisante. Le gouvernement s’engage alors à poursuivre ce débat, et saisit la CNCDH, en reprenant dans sa lettre de mission un des arguments principaux des partisans du concept, qui font remarquer que “plusieurs textes internationaux" auxquels la France est partie mentionnent le critère de “l'identité de genre”.

La France en retard sur les autres pays

Il s’agit de se conformer aux textes internationaux et européens, comme la résolution 1728 du Conseil de l’Europe, qui incite les Etats membres à “adopter et à appliquer une législation antidiscrimination incluant l’orientation sexuelle et l’identité de genre”. La France accusait un sérieux retard en ce domaine. “Les personnes trans n’apparaissent dans le droit français finalement qu’entre deux virgules, coincées entre toute une série de discriminations, alors que partout ailleurs on reconnaît la notion “d’identité de genre”. La France, c’est vraiment le village gaulois”, se moque la responsable de l’association IDTrans' Laura Le Prince, membre avec le porte parole de l’Inter-LGBT Nicolas Gougain de la CNCDH.

Le travail de la commission a été pollué sur ce point par les débats sur la “théorie du genre”, expression utilisée par les opposants au mariage pour tous pour qualifier les études sur le genre aux États-Unis. “La théorie du genre a pris en otage toute la réflexion”, déplore Laura Le Prince, qui assure qu’identité de genre et “études de genre” sont deux notions bien distinctes. Les secondes affirment que l'identité sexuelle n'est pas déterminée uniquement par le sexe biologique mais également par la société. Elles s'interrogent donc sur la manière dont norme féminine et norme masculine sont produites. Tandis que l'identité de genre, dans les textes juridiques, désigne l'expérience intime que les être ont d'eux-mêmes.

II) CHANGER DE SEXE A L’ETAT CIVIL SERAIT MOINS DIFFICILE

“De l’argent, du temps, et du tracas”

L’avis de la CNCDH propose par ailleurs de faire évoluer les conditions du changement de sexe à l’état civil, qui s’apparente aujourd’hui au parcours du combattant. En moyenne, il faut entre trois à neuf ans, avec de multiples étapes et documents: il faut en effet fournir le certificat d'un psychiatre qui doit diagnostiquer le fameux “syndrome de dysphorie de genre”. Avec, qui plus est, une grande incertitude sur l'issue judiciaire, une "insécurité juridique". En effet, en l’absence de texte de loi sur le sujet, le système repose en entier sur de la jurisprudence, et donc, aussi, fatalement, sur les interprétations divergentes des juges...

Il faut aussi prouver que le changement d’identité est “irréversible”. Ce qui pousse de nombreux trans, qui n’auraient pas souhaité tout de suite, voire pas du tout, se faire opérer, à courir chez le chirurgien, de peur que leur demande de changement d’état civil ne soit retoquée. “Il est paradoxal que ce soit aujourd’hui un problème administratif qui pousse au médical, alors que de l’autre côté une partie des frais des opérations chirurgicales sont remboursés par la sécurité sociale”, s’étonne la sénatrice Maryvonne Blondin.

L'effet psychologique des multiples demandes de papiers, de preuves, etc. est souvent dévastateur, les Trans vivant cela comme un déni de reconnaissance, une négation de leur existence. "La somme des preuves imposées par la jurisprudence et la fréquence des demandes d’expertise posent en outre le problème du soupçon qui pèse trop souvent sur les personnes transidentitaires, et qui est ressenti par elles comme une forme de déni d’identité", explique l'avis de la CNCDH.

Pendant ce temps, les frais d’avocat s’accumulent, et les personnes trans doivent vivre avec ce grand écart qui subsiste entre d’une part leurs papiers d’identité et d’autre part leur apparence physique. Elles subissent, selon de nombreux témoignages recueillis par les associations, des situations très embarrassantes au quotidien, que ce soit pour aller à la poste ou accomplir des démarches administratives. Du fait de cette dichotomie, elles peuvent aussi subir des discriminations dans leur travail, leur accès au logement, ou à certains droits sociaux. “C’est de l’argent, du temps et du tracas”, résume Maryvonne Blondin.

Démédicalisation et déjudiciarisation

Le texte proposé par le rapporteur de la CNCDH, et mis en débat ce jeudi, propose donc de simplifier la procédure. Il s’agit d’un côté de déconnecter le processus médical du processus judiciaire -requête de longue date des associations LGBT- et de l’autre d’alléger le parcours judiciaire en confiant certaines étapes à un officier d’état civil. Une déclaration de la personne concernée accompagnée de témoignages pourrait ainsi suffire dans un premier temps, le dossier étant alors dans un second temps simplement “homologué” par un juge.

Un tel compromis est en dessous des attentes de l'Inter-LGBT, qui réclame une déjudiciarisation totale, sur le modèle argentin, où seule une seconde requête de changement de sexe doit passer devant le juge. Mais elle a accepté ce compromis pour pouvoir faire un pas sur les aspects médicaux. Et de ce point de vue, l'avis de la CNCDH représente une avancée conséquente, puisqu'il prône une démédicalisation totale. Si demain l’avis était suivi par le gouvernement, un trans n’aurait plus besoin de produire de papier prouvant que son changement d’état civil est “irréversible” ou qu’il est atteint d’un “syndrome de dysphorie de genre”. Une expression qui dans la tête de beaucoup de juges équivaut à les considérer comme des “malades”, se plaignent les associations, alors que le transsexualisme n’est plus considéré comme une maladie mentale depuis 2010.

www.huffingtonpost.fr/…/identite-de-the…