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Acedian
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Hommage à Jean Madiran par Bruno Gollnisch. Jean Madiran n’est plus. Ou plutôt, il est ailleurs. Dieu a rappelé à lui son fidèle serviteur le mercredi 31 juillet, dans l’après-midi, en la fête de …Plus
Hommage à Jean Madiran par Bruno Gollnisch.

Jean Madiran n’est plus. Ou plutôt, il est ailleurs. Dieu a rappelé à lui son fidèle serviteur le mercredi 31 juillet, dans l’après-midi, en la fête de saint Ignace de Loyola, lui qui était oblat bénédictin et qui, jusqu’au dernier jour, aura prié et travaillé. Ora et labora… Dans la tristesse qui nous envahit, il est pourtant difficile de ne pas s’arrêter un instant sur ce clin d’œil du ciel : alors que les interrogations s’accumulent à propos des paroles et des actions futures du pape François, c’est en une fête jésuite que Madiran nous quitte. Et veille sur nous, sur le journal qu’il a fondé, sur notre fidélité à ce qu’il a transmis et que nous devons tenter de transmettre à notre tour.

Lui qui a aimé l’Eglise avec ce que l’on pourrait appeler une filiale bienveillance, une filiale vigilance, est bien devenu, en rejoignant l’éternité, un Veilleur à sa manière. Non point debout, ni non plus assis, ni traîné vers quelque garde à vue pour être resté fidèle à la vérité immuable de Dieu et celle sur l’homme, mais en entrant dans la Vie.

Les pensées se bousculent et les souvenirs affluent, mais vient d’abord la gratitude.

Gratitude pour cet homme debout, qui fut d’abord ennemi du mensonge – c’était pour lui, je crois pouvoir le dire, le péché haïssable entre tous – et ennemi de la médiocrité liturgique, de la trahison des clercs, des fossoyeurs de la France et des destructeurs de l’héritage catholique à transmettre aux enfants.

Gratitude pour les œuvres qu’il laisse : l’immense trésor d’Itinéraires, il le créa, à 36 ans, en 1956 et les plus belles plumes du mouvement national et des défenseurs de la liturgie traditionnelle y eurent leur place, de Louis Salleron à Dom Gérard, de Bernard Bouts à Michel de Saint-Pierre, de Jacques Perret à Gustave Corção. L’aventure devait durer quarante ans. Et c’était une école de pensée qui n’a pas fini de porter ses fruits.

Nous lui devons, à lui le défenseur tenace de positions que le monde (et Le Monde !) donnaient alors pour totalement dépassées, cette résistance française, typiquement et spécifiquement française, contre des innovations et des ouvertures au monde qui envahissaient en ces années-là l’Eglise comme un vent glacial. Elle a connu son aboutissement et son couronnement, cette résistance des laïques pour conserver le beau dépôt sacré de l’Ecriture et de la messe, avec le Motu proprio Summorum Pontificum du 7 juillet 2007. Jean Madiran l’avait vécu comme tel, avec un bonheur immense. C’était un peu, c’était beaucoup grâce à lui : au poste qui était le sien, d’écrivain laïque, il a donné à beaucoup des raisons de se battre et d’y croire, d’oser suivre les prêtres et des prélats – de l’abbé Berto à Mgr Lefebvre – qui sauvegardèrent la messe qui, avant tout, honore Dieu.

Mais c’est toute la réforme intellectuelle et morale que servait Itinéraires, une réforme qui semblait tarder, un sursaut qui se faisait attendre. Aujourd’hui que fleurissent toutes sortes de communautés traditionnelles, aujourd’hui que les écoles se multiplient afin que les enfants apprennent encore et toujours à penser, aujourd’hui qu’une France jeune se lève étonnamment pour dire « non » aux pires aberrations qu’elle est pourtant sommée de croire par l’Education nationale, j’ose le dire : l’œuvre de Jean Madiran n’y est pas pour rien. Tout cela, c’est la même famille. Ceux qui se sont levés avec lui pour réclamer qu’« on nous rende l’Ecriture, le catéchisme et la messe » sont de la même eau que ceux qui aujourd’hui promettent de ne rien lâcher, jamais, jamais, jamais, alors que des menteurs prétendent construire la société sur les sables mouvants de la famille déconstruite et détruite.

Au tout début des années 1980, dans le cadre d’une université d’été du Centre Charlier dont il était l’un des trois parrains – et il faudra reparler de Madiran et des Charlier ! – Jean Madiran lança, avec Bernard Antony, le pari fou de refaire un quotidien. Le mouvement national n’en avait plus depuis L’Action française qui, déjà, ne paraissait plus tous les jours : trop coûteux, trop difficile. Présent commença à paraître en 1982 et nous sommes toujours là ; seul des cinq co-fondateurs, Jean Madiran est resté à la barre ; il resta directeur de la rédaction jusqu’en 2007 et, depuis lors, il était directeur émérite et collaborateur fréquent à travers des éditoriaux qui ont cessé de paraître il y a quelques mois seulement.

Un incident de santé l’obligea à interrompre cette course.

Nous avions bon espoir, pourtant, de le voir revenir, comme toujours, un peu moins souvent peut-être mais toujours vers 5 heures du matin, pour écrire sur un sujet d’éternité ou d’actualité, c’était selon, et il y a quinze jours à peine, je recevais un SMS annonçant un papier pour la rentrée, réagissant à un texte publié quelques jours plus tôt dans Présent.

Ce texte, nous ne le lirons jamais.

Et ce fut le dernier message que je reçus de Jean Madiran, l’expression de son vœu le plus cher : continuer d’écrire parce qu’il …