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Reconnaissance canonique unilatérale : quel danger pour la Foi ?

Reconnaissance canonique unilatérale : quel danger pour la foi ?

Peut-être pourra-t-on penser qu’après tout, si cela plaît à Rome de nous reconnaître officiellement sans rien nous demander en échange, tout est très bien et cela va même nous permettre d’avoir un plus grand rayonnement. Était-ce ce que pensait Mgr Lefebvre ?

1. Une reconnaissance canonique nous met sous de nouveaux supérieurs

« Ce transfert d’autorité, c’est cela qui est grave, c’est cela qui est excessivement grave. Il ne suffit pas de dire : "On n’a rien changé dans la pratique [1] C’est ce transfert qui est très grave, parce que l’intention de ces autorités, c’est de détruire la Tradition. »[2]

« Ce ne sont pas les sujets qui font les supérieurs, mais les supérieurs qui font les sujets »[3]

« Nous éprouvons la nécessité absolue d’avoir des autorités ecclésiastiques qui épousent nos préoccupations et nous aident à nous prémunir contre l’esprit de Vatican II et l’esprit d’Assise."[4]

A ceci s’ajoute le fait que, les évêques de la Fraternité vieillissant, lorsqu’il y aura besoin de sacrer de nouveaux évêques pour les remplacer, il faudra, pour le choix de ceux-ci, avoir l’aval de la Rome actuelle, laquelle, si elle n’est toujours pas convertie, n’acceptera jamais de candidats antilibéraux et antimodernistes. C’est courir au suicide de la Tradition.

2. Une reconnaissance canonique, même unilatérale, dans les circonstances actuelles, fait inévitablement arrêter le combat de la foi
Il y a un processus psychologique évident : lorsqu’on s’est mis sous de nouveaux supérieurs, on arrête de critiquer ses nouveaux maîtres pour ne pas risquer de perdre un statut qui a été obtenu après tant d’années de labeurs. Mgr Fellay a d’ailleurs arrêté depuis longtemps ses attaques de la Rome conciliaire, à la demande même de Rome : « Rome souhaite que nous attaquions moins ; et je suis d’accord.»[5] A Arcadia en Californie le 10 mai 2015, Mgr Fellay précisera : « Quand nous voyons le pape, des cardinaux, des évêques, dire des choses mauvaises, ne sommes-nous pas prêts à les critiquer rapidement ? Mais pensez-vous que cela les aidera ? Une prière pour eux les aidera davantage. »
Mais le simple fait de ne plus dénoncer les scandales de Rome, ou de ne plus le faire que timidement et sous la pression des fidèles et des prêtres inquiets, en évitant de s’attaquer nommément au pape, fait ressembler de plus en plus la Tradition aux communautés ralliées qui ont abandonné le combat de la foi.

Il est intéressant de relire ce qu’écrivait Mgr Fellay après la reconnaissance unilatérale du clergé traditionnel de Campos (Brésil) par la Rome conciliaire :

« Une attitude de duplicité implicite est devenue comme la norme [.....] On souligne les
points du pontificat actuel qui paraissent favorables, on passe sous un révérencieux silence ce qui ne va pas. On pourra dire tout ce que l’on voudra : le 18 janvier 2002 à Campos, il n’y a pas eu seulement une reconnaissance unilatérale de Campos par Rome, mais il y a une contrepartie : la complicité du silence. Ainsi, petit à petit, le combat s ’estompe, et on finit par s ’accommoder de la situation. A Campos même, tout ce qui est positivement traditionnel est conservé, certes, donc les fidèles ne voient pas de changement, sauf les plus sagaces qui remarquent la tendance à parler davantage et respectueusement des déclarations et événements romains actuels en omettant les mises en garde d'autrefois et les déviations d’aujourd’hui »[6]

Mgr Fellay reprocha en particulier au clergé de Campos de n’avoir pas réagi publiquement lorsque Jean-Paul II avait organisé la même réunion dans la cité de saint François (ce clergé venait de se rallier à la Rome conciliaire) :

« Il faut bien distinguer un manque à la vertu de foi elle-même d’un défaut dans la confession publique de la foi qui est nécessaire dans certaines circonstances comme l’a si bien rappelé Mgr de Castro Mayer le jour des sacres [de 1988]. Or une prévarication comme celle d’Assise réclame cette confession publique... que nous n'avons pas entendue venant de Campos[7] [et que nous n’entendons plus de Menzingen.]»

Cependant, les conséquences de ce silence sont très dangereuses pour la foi elle-même, ainsi que le faisait remarquer Mgr Lefebvre :

« Dès que [ces communautés ralliées] se taisent, elles commencent à glisser, même très lentement, jusqu’à ce qu’elles finissent par admettre les erreurs de Vatican II.[8] »

Benoît XVI lui-même l’avait constaté. Après la levée des «excommunications» et pour rassurer les évêques du monde entier sur une possible reconnaissance de la Fraternité Saint-Pie X, il leur écrivit :

«Moi-même j’ai vu, dans les années qui ont suivi 1988, que, grâce au retour de communautés auparavant séparées de Rome, leur climat interne a changé ; que le retour dans la grande et vaste Eglise commune a fait dépasser des positions unilatérales et des durcissements, de sorte qu 'ensuite en ont émergé des forces positives pour l’ensemble »[9]

3. La prélature personnelle nous fait rentrer de fait dans l’Église conciliaire


Ajoutons que LA PRÉLATURE PERSONNELLE qui serait accordée à Mgr Fellay, comme Rome le laisse entendre, et qui est une innovation du nouveau Code de Droit Canon, ne donne juridiction au prélat que sur ses prêtres. Pour ce qui est de l’apostolat, le canon 297 précise : « Les statuts déterminent également les rapports de la prélature personnelle avec les Ordinaires des lieux des Eglises particulières où, avec le consentement préalable de l’évêque diocésain, la prélature accomplit ou désire accomplir ses tâches pastorales ou missionnaires[10] » . Si cette prélature était accordée, la reconnaissance dite unilatérale serait donc, ni plus ni moins un ralliement puisqu’elle mettrait prêtres et fidèles sous la dépendance du nouveau Code qui est la mise en lois des nouveautés de Vatican II.

4. Une reconnaissance canonique supprime nos protections en nous mettant dans une cohabitation dangereuse avec le clergé et les fidèles conciliaires

Donnons ici un extrait des quelques notes que Mgr Lefebvre avait remises aux supérieurs religieux lors d’une réunion qu’il avait tenue au prieuré du Pointet le 30 mai 1988 pour leur demander leur avis sur la possibilité d’une reconnaissance par Rome :

« Relations avec les évêques, un clergé et des fidèles conciliaires :

« malgré l’exemption très étendue, les barrières canoniques disparaissant, il y aura nécessairement des contacts de courtoisie et peut-être des offres de coopération, pour les unions scolaires — union des supérieurs - réunions sacerdotales - cérémonies régionales, etc... Tout ce monde est d’esprit conciliaire - œcuméniste, charismatique.
[.....]
«Nous étions jusqu’à présent protégés naturellement, la sélection s’assurait d’elle- même par la nécessité d’une rupture avec le monde conciliaire. Désormais, il va falloir faire des dépistages continuels, se prémunir sans cesse des milieux romains, des milieux diocésains. C’est pourquoi nous voulions trois ou quatre évêques et la majorité dans le Conseil romain[11]. Le problème moral se pose donc pour nous prendre les risques de contacts avec ces milieux modernistes, avec l’espoir de convertir quelques âmes et avec l’espoir de se prémunir, avec la grâce de Dieu et la vertu de prudence, et ainsi demeurer légalement unis à Rome par la lettre, car nous le sommes par la réalité et l’esprit? Ou faut-il avant tout préserver la famille traditionnelle pour maintenir sa cohésion et sa vigueur dans la foi et dans la grâce, considérant que le lien purement formel avec la Rome moderniste ne peut pas être mis en balance avec la protection de cette famille, qui représente ce qui demeure de la véritable Église catholique ? »

« Si nous avions accepté [un accord], nous serions morts ! Nous n’aurions pas duré un an. Il aurait fallu conciliaires [12] »

Citons encore ce qu’il avait dit au cardinal Ratzinger le 14 juillet 1987 :

« Eminence, même si vous nous accordez un évêque, même si vous nous accordez une certaine autonomie par rapport aux évêques, même si vous nous accordez toute la liturgie de 1962, si vous nous accordez de continuer les séminaires et la Fraternité comme nous le faisons actuellement, nous ne pourrons pas collaborer, c’est impossible ; parce que nous travaillons dans des directions diamétralement opposées : vous, vous travaillez à la déchristianisation de la société, de la personne humaine, de l’Eglise. Nous, nous travaillons à la christianisation. On ne peut pas s’entendre. Vous venez de me dire que la société ne peut pas être chrétienne [13] »

C’est pourquoi, après tant d’années où il avait essayé en vain d’obtenir une reconnaissance avec toutes les protections nécessaires, Mgr Lefebvre n’envisageait plus d’accord possible avec Rome sans la conversion du pape et de la hiérarchie actuelle. Il écrivit ainsi aux futurs évêques avant les sacres :

«Je vous conférerai cette grâce [de l’épiscopat], confiant que sans tarder le Siège de Pierre sera occupé par un successeur de Pierre parfaitement catholique[14] en les mains duquel vous pourrez déposer la grâce de votre épiscopat pour qui la confirme[15] »

Il confirmera cette nécessité de la conversion de Rome à plusieurs occasions, par exemple : « C’est un devoir strict, pour tout prêtre voulant demeurer catholique, de se séparer de cette Eglise conciliaire tant qu’elle ne retrouvera pas la Tradition du Magistère de l’Eglise et de la foi catholique » (Itinéraire Spirituel, écrit en 1990). «Quand on nous pose la question de savoir quand il y aura un accord avec Rome, ma réponse est simple : quand Rome recouronnera Notre- Seigneur Jésus-Christ ».[16]

Parlant de la tentative d’accords qu’il fit en 1988, il écrira :

« Je suis allé plus loin même que je n’aurais dû aller. »[17]

On ne comprend donc pas comment Mgr de Galarreta, à Bailly, le 17 janvier 2016, a pu dire : « Refuser la possibilité d’un accord n’était pas la position de Mgr Lefebvre » ; et Mgr Tissier de Mallerais, le 21 mars 2016 : « Mgr Lefebvre n’a jamais posé, comme condition de notre nouvelle reconnaissance, que Rome abandonne les erreurs et les réformes conciliaires[18] » alors qu’un an auparavant, dans un très beau sermon donné à Chicago le 1er janvier 2015, Mgr Tissier avait ces fortes paroles : « Nous allons mettre en œuvre ce que Mgr Lefebvre, notre fondateur, a écrit dans son Itinéraire Spirituel et qui est son testament spirituel : "C’est un devoir strict pour tout prêtre voulant demeurer catholique, etc" {supra). »

La Fraternité Saint Pie X confirmera la position de Mgr Lefebvre à son Chapitre Général de 2006 : « Les contacts que [la Fraternité] entretient épisodiquement avec les autorités romaines ont pour seul but de les aider à se réapproprier la Tradition que l’Église ne peut renier sans perdre son identité, et non la recherche d’un avantage pour elle-même, ou d’arriver à un impossible « accord » purement pratique ».

Cette position fut gardée jusqu’en 2012, et Mgr Fellay la prêchait clairement : « Il est impossible et inconcevable d’envisager des accords avant que les discussions [doctrinales] n’aient abouti à éclairer et corriger les principes de la crise {Fideliter, mai/juin 2006).

La situation se serait-elle tellement améliorée à Rome, que tout ce que nous venons de rappeler ne soit plus vrai aujourd’hui ?

[1] — C’est ce que disent tous les ralliés au début pour se justifier.
[2] — Mgr Lefebvre, Conférence à Écône le 8 octobre 1988.
[3] — Mgr LEFEBVRE, dans Fideliter n° 70, p. 6. Nous en avons eu une preuve nouvelle avec les Franciscains de l’immaculée, vigoureusement sanctionnés par le pape François (tous les supérieurs importants démis de leur charge) pour être passés à la Messe traditionnelle en s’appuyant pourtant sur le Motu Proprio de Benoît XVI. On fait maintenant signer aux novices un papier où ils s’engagent à célébrer la messe nouvelle plus tard.
[4] — Mgr LEFEBVRE, Lettre au pape Jean-Paul II, 2 juin 1988. Est-ce François qui nous protégera de l’esprit de Vatican II et de l’esprit d’Assise ?
[5] — Mgr Fellay, conférence au séminaire de Winona (USA) en février 2015.
[6] — Mgr FELLAY, Lettre aux amis et bienfaiteurs de la Fraternité Saint-Pie X n° 54, janvier/février 2003
[7] — Nouvelles de Chrétienté n° 73, mars/avril 2002.
[8] — Mgr LEFEBVRE, Entretien paru dans Fideliter 79 au mois de mars 1991
[9] - Benoît XVI, Lettre aux évêques de l’Eglise catholique au sujet de la levée de l’excommunication des quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre, 10 mars 2009.
[10] — Le commentaire du nouveau Code par le chanoine Paralieu (Bourges, Tardy, 1985) dit clairement : « Le prélat qui est à la tête de la prélature n’a donc pas son propre peuple » (p. 113). Les fidèles demeurent donc sous la juridiction de l’évêque diocésain. Le commentaire de Caparros (Montréal, Wilson et Lafleur Itée, 1999) précise encore : « Les tâches pastorales ou missionnaires auxquelles le Code fait ici allusion constituent la finalité pour laquelle le Saint-Siège érige les prélatures personnelles. Ces tâches [...] doivent s’insérer harmonieusement dans la pastorale commune de l’Église universelle tout comme dans la pastorale organique des Églises particulières » (p. 231). Il ne restera plus grand chose de la liberté des prieurés. La prélature est un véritable piège. Mgr Lefebvre n’avait jamais envisagé de prélature personnelle, mais un « Ordinariat», structure qui existait avant le Concile, par exemple pour l’évêque aux Armées, et qui exempte les fidèles de la juridiction de l’évêque local (voir la vie de Mgr Lefebvre par Mgr Tissier à la page 580). Rome se garde bien de soulever cette possibilité aujourd’hui.
[11] — Pour nous protéger en cas d’accord, Mgr Lefebvre voulait une Commission à Rome comportant une majorité de traditionalistes pour régler les différents entre les évêques diocésains et la Tradition. Rome n’a jamais accepté ; et il n’en a plus jamais été question, ni pour aucune communauté ralliée ni dans les tractations entre MgrFellay et la Rome moderniste. Or c’est le minimum qu’il devrait exiger.
[12] — Conseils aux futurs évêques avant les sacres, publiés dans Le Sel de la terre 28.
[13] — Mgr LEFEBVRE, Conférence aux prêtres à Écône pour la retraite sacerdotale, 1er septembre 1987. Mgr Lefebvre y relate, entre autres, l’entretien qu’il avait eu à Rome avec le Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la Foi le 14 juillet 1987.
[14] — Nous en sommes loin avec François !
[15] — Mgr LEFEBVRE, Lettre aux futurs évêques, 28 août 1987. Si une reconnaissance canonique est acceptée, cela va directement contre l’intention de Mgr Lefebvre lorsqu’il a sacré les quatre évêques.
[16] _ Mgr LEFEBVRE, Conférence à Flavigny, décembre 1988. Fideliter n° 68, p. 16.
[17] Entretien, Fideliter 79, janvier/février 1991, deux mois avant sa mort.
[18] — Publié sur La Porte Latine le 22 mars 2016.