Dans sa toute récente Exhortation apostolique
« Evangelii gaudium » le Pape François a écrit ceci :
« L’affection envers les vrais croyants de l’Islam doit nous porter à éviter d’odieuses généralisations, parce que le véritable Islam et une adéquate interprétation du Coran s’opposent à toute violence.»Moi qui pourtant habituellement défends une position d’apaisement quant au dialogue avec et l’évangélisation des musulmans, je ne peux m’empêcher de faire les remarques suivantes. Pourquoi cette proposition sur l’islam et les musulmans de cet Acte du Pape François n’est revêtue, à mon avis, que d’une d’autorité enseignante très faible voire nulle :
- Evidemment, car elle ne relève pas du magistère infaillible concernant la doctrine universelle du salut quant à la foi et la morale qui réclame une adhésion certaine des fidèles, ni, d'ailleurs, du magistère catholique dit simplement « authentique » qui réclame une adhésion probable des fidèles et une bienveillance de l’intelligence.
- Elle contredit matériellement
et formellement, sur la forme comme sur le fond, sans ambiguïté possible, les éclairages et témoignages,
fondées en foi catholique, de déclarations de Papes et de Saints avant lui à ce sujet.
- Dans la même idée, elle exprime, il me semble, un point de vue totalement nouveau de la pensée catholique, qui ne s’appuie, au moins en partie, ni sur les magistères antérieurs des Papes ou des Conciles universels, ni sur la Tradition, ni sur l’Ecriture, et surtout, ni sur la raison ou même le bon sens.
Il ne devrait pas être du ressort d’un Pape de se prononcer catégoriquement sur la vraie nature de la doctrine islamique ou même sur les vrais croyants musulmans, pour les raisons suivantes évidentes :
Il n’existe pas un Islam "chimiquement pur" mais des islams, et il n’existe pas un seul type de croyants musulmans mais plusieurs, qui ont leurs propres interprétations du Coran et de la Tradition islamique (Sunna), du fait qu’en islam, contrairement à ce qui prévaut dans l’Eglise catholique, il n’existe pas d’autorité enseignante unifiée, à savoir de Magistère. La simple réalité impose en plus de reconnaître que les consensus des savants de l’islam, qui se subdivisent en plusieurs écoles juridiques (surtout sunnites par ordre d’importance, et ensuite chiites), défendent par principe la nécessité de la violence, non seulement pour défendre l’Oumma (communauté) islamique, mais aussi surtout pour répandre l’islam, censé garantir le bien de l’humanité, de gré ou de force donc. La violence et la contrainte physique pouvant suppléer et relayer les échecs et insuffisances de la prédication et du prosélytisme.
Comment considérer alors ce point de vue papal en tant que catholiques bienveillants et obéissants ? En nous efforçant de sauver la bonne intention, facile à deviner, du Pape François : ne pas mettre tous les musulmans dans le même sac, reconnaître qu’une partie d’entre eux s’efforcent de concilier honnêtement les exigences de la droite raison et des valeurs humaines fondamentales avec celles de leurs croyances religieuses, en replaçant les écrits islamiques, prétendument surnaturellement révélés, dans leurs contextes historiques.
Le Pape François ce faisant entend sans doute aussi inspirer assez de bienveillance et de sympathie aux musulmans de bonne volonté afin de les pousser amicalement à initier un mouvement historique de réinterprétation critique de leurs traditions religieuses, dont l’"
ijtihad" (effort de réflexion que les oulémas ou muftis et les juristes musulmans entreprennent pour interpréter les textes fondateurs de l'islam et en déduire le droit musulman ou pour informer le musulman de la nature d'une action : licite, illicite, réprouvée...) s’est figé vers le Xe siècle de notre ère.
Pour ma part, je considère donc cette position du Pape comme n’ayant aucune valeur contraignante pour ma pensée de catholique, et encore moins pour ma foi, au regard même de la foi catholique et de la raison humaine. Je considère même qu’il a commis hélas une faute qui consiste obscurément à mettre en concurrence dans les faits charité et vérité, préoccupations affectives, amicales ou pastorales et témoignage doctrinal objectif quant à l’islam, cette dernière position ayant le grand désavantage d’être facilement critiquable et même radicalement réfutable. C'est toujours une erreur de prendre ses rêves pour la réalité et de tomber dans l'irénisme, car c'est enterrer trop rapidement des problèmes réels et anesthésier une saine vigilance critique des consciences.
Ce ne serait pas la première fois dans l’histoire de l’Eglise catholique que des Papes expriment certains points de vue très personnels plus que contestables (pensons par ex. à des Bulles dans lesquelles des Papes ont généralisé, par des formulations coupables, le vice et le crime à l’ensemble des juifs) via des mots très maladroits, dans des Actes magistériels revêtus d’une autorité très relative, points de vue qui ne doivent faire oublier par ailleurs que
l’essentiel de la doctrine qui s’y exprime demeure pourtant catholiquement valable, car s’appuyant en partie sur, tout en la développant, une doctrine catholique antérieure faisant autorité, cohérente et répétée. S’agissant de l’Exhortation apostolique
« Evangelii gaudium » du Pape François, tout ce qui par exemple a trait à la doctrine sociale de l’Eglise sur l’économie des sociétés, doit être écouté très attentivement par tous les fidèles.
Je crains personnellement que ces maladresses ponctuelles, pour ne pas dire, plus objectivement, ces erreurs voire ces fautes, dans l’expression officielle de la pensée catholique par notre bien-aimé Pape François, ne troublent beaucoup de fidèles, et n’en incitent à jeter le bébé avec l’eau du bain, les poussant à douter de l’autorité même de son magistère sur beaucoup d’autres points.
De même, par ailleurs (puisque ce sujet est souvent évoqué sur GTV), que d’autres ne sont pas capables de faire la part des choses entre fruits et grâces authentiques de conversions relativement à Medjugorje, en tant que lieu privé de pèlerinage marial où les gens se confessent, prient avec foi et communient au saint Sacrement, et d’autre part manipulations et illusions probables relativement aux prétendues apparitions. Au point que ceux-ci pourraient bien se révolter contre l’Eglise dans le cas où Elle se prononcerait clairement et définitivement contre ces faits.
D’où la nécessité pour l’Eglise catholique de former les fidèles à la compréhension des différents degrés d’autorité de son Magistère et, pour ce qui est des révélations privées, de faire preuve de beaucoup de pédagogie afin de ne pas laisser s’égarer des fidèles sincères. D’où aussi la nécessité de laisser s’exprimer une parole très critique, quoique respectueuse, dans l’Eglise, sur des questions qui ne relèvent ni du magistère infaillible ni du magistère authentique.
Prions pour notre Saint-Père François avec amour et foi !