Marie Blanche colombe
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Reponse de l'Église aux dubia concernant la liberté religieuse de Dignitatis Humanae.

Réponses de la Congrégation pour la Doctrine de la foi aux Dubia présentés

Publié le 9 mars 1987

Le 6 novembre 1985, Mgr Marcel Lefebvre avait remis à la Congrégation pour la Doctrine de la foi 39 Dubia (doutes) à propos de la Déclaration conciliaire Dignitatis Humanae sur la liberté religieuse. Le 9 mars 1987, le cardinal Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, transmettait à Mgr Lefebvre la réponse de cette congrégation :

Ala demande de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, j’ai étudié avec attention un ample dossier élaboré par S.E. Mgr Lefebvre, dans lequel sont présentes un certain nombre de dubia sur la possibilité de concilier la doctrine sur la liberté religieuse du Concile Vatican II et le Magistère antérieur.

Déjà, dans les diverses phases de l’élaboration de la Déclaration Dignitatis humanae, cette question avait été très présente et le texte définitif de la Déclaration lui-même, dans son préambule, affirme expressément que « ce Concile du Vatican scrute la tradition sacrée et la sainte doctrine de l’Eglise d’où il tire du neuf en constant accord avec le vieux » (n. 1). De même, par la suite, de nombreuses études théologiques, en commentant la Déclaration conciliaire, ont voulu montrer de quelle manière l’indiscutable nouveauté que représentait ce document était en continuité et en harmonie avec le Magistère antérieur [1].

Cependant, pour répondre aux questions posées par Mgr Lefebvre, il n’a pas paru suffisant de s’en remettre à la bibliographie déjà existante, et la réalisation d’une étude plus détaillée dont on exposera les résultats dans les pages suivantes a été jugée nécessaire.

I. Présentation des « DUBIA » de Mgr Lefebvre

Les dubia exprimés dans le Mémoire de Mgr Lefebvre sont des formulations diverses d’une unique question : la perspective générale et les affirmations particulières de Dignitatis humanae sont-elles conciliables avec le Magistère antérieur ?

En réalité ils semblent exprimer, sur un mode dubitatif, une profonde conviction selon laquelle le Concile Vatican II et le Pape Paul VI n’auraient fait que donner leur aval à des « valeurs libérales (telle que la liberté religieuse) », qui seraient en réalité « incompatibles avec la vision de la personne et de la cité » telle que l’ont défendue, sous peine de condamnation, les Papes du XIXème siècle et du début du XXème.

Cette conviction fait l’objet d’un essai de justification dans l’exposé préliminaire soulignant fortement l’idée de la Royauté du Christ et de la subordination indirecte du temporel au spirituel.

Trois points en particulier sont imputés au Concile :

La dignité de la personne humaine, telle que le présente Dignitatis humanae, consisterait uniquement en sa seule nature, indépendamment de son adhésion à la vérité et au bien. En conséquence, le Concile admettrait une liberté morale pour l’erreur ou le mal, voire un droit à répandre de fausses doctrines.

Dans cette perspective, la vérité serait elle-même relative : « La vérité n’est plus une, la religion catholique n’est plus la seule vraie », les autres religions comportent des « valeurs de salut », une « signification dans le mystère du salut, elles sont des voies différentes pour parvenir à Dieu ».

Dès lors on encouragerait également par principe l’agnosticisme et l’indifférentisme religieux de l’Etat : celui-ci peut agir indépendamment de l’Eglise et mettre celle-ci sur le même plan que les autres religions (religions erronées). Comme tel, l’Etat n’a pas à honorer Dieu par le culte de la vraie religion ni donc à reconnaître la religion catholique comme étant la religion de l’Etat, ) en favoriser positivement le bien dans l’ordre temporel, à lui prêter le secours du « bras séculier » contre les perturbateurs de l’ordre de l’Évangile et du Règne du Christ. Les Dubia demandent aussi, si Dignitatis humanae (en particulier son n° 13) n’exclut pas une protection particulière de l’Eglise catholique de la part de l’Etat, contrairement) l’enseignement de Léon XIII sur la reconnaissance et la faveur spéciale dues par l’Etat à la vraie religion.

En dehors de ces points généraux, les Dubia s’interrogent sur le « parallélisme troublant » qui ressort de la comparaison de diverses propositions condamnées par Pie IX dans l’Enc. Quanta cura avec des affirmations correspondantes de Dignitatis humanae.

II. Présentation de cette réponse aux « DUBIA »

Etant donnés les nombreux aspects impliqués dans les dubia, chacun d’eux donnerait lieu à une exposition de pratiquement toute la doctrine sur la liberté religieuse, avec de nombreuses et inévitables répétitions. De plus, une tentative de centrer chaque réponse sur l’aspect plus directement impliqué dans chaque dubium, pourrait, dans de nombreux cas, se révéler insuffisante. Fréquemment, en effet, les dubia contiennent des nuances apparemment secondaires, mais qui sont déterminantes pour que la réponse soit affirmative ou négative.

En conséquence, non seulement pour des raisons de brièveté (afin d’éviter des répétitions) mais par dessus tout pour des raisons de clarté et de rigueur d’exposition, on a préféré donner une réponse détaillée aux points fondamentaux mentionnés antérieurement. Dans la mesure où ces points seront clarifiés, il est certain que le seront également les autres aspects des dubia, puisqu’il s’agit de conséquences des points fondamentaux précédents. Cependant, à cause des étroites relations qui existent entre ces points fondamentaux, on ne pourra pas toujours éviter certaines répétitions.

L’étude, longue et méticuleuse, dont ces pages sont le résultat, a été réalisée avec la profonde conviction de fait que le problème proposé nécessite l’application de tous les critères traditionnels en matière d’interprétation des textes du Magistère [2], en particulier, de la considération de leur contexte historico-doctrinal et de leur finalité. Cependant, ceci ne peut nous faire oublier que, fréquemment, les Pontifes Romains, dans les questions qui nous occupent, comme dans tant d’autres à l’occasion d’erreurs ou de situations contingentes, ont émis des enseignements qui dépassent cette contingence, des enseignements plus généraux, de valeur permanente, indépendamment des circonstances historiques. Cependant, même dans ces cas, la connaissance de ces circonstances peut être nécessaire afin de comprendre le contenu exact de l’enseignement proposé.

De plus, dans l’étude de ces questions, il sera nécessaire de tenir également en compte le fait que, comme l’on sait, la Tradition de l’Eglise, de laquelle le Magistère est un organe et, à la fois, l’interprète authentique, est une réalité vivante. Cette Tradition n’est pas une simple répétition, mais comporte un développement doctrinal dans la continuité, comme le prouve amplement l’histoire de l’Eglise [3]. Le fait que sur la question de la liberté religieuse, l’enseignement du Concile Vatican II représente indubitablement une certaine nouveauté par rapport au Magistère antérieur, n’est pas un problème s’il s’agit d’une nouveauté qui s’inscrit dans cette réalité du « développement dans la continuité ».

III. Réponse aux points fondamentaux

1. Liberté religieuse et dignité humaine


Selon la Déclaration Dignitatis humanae (ci-dessous, DH) :

« Le droit à la liberté religieuse a son fondement réel dans la dignité même de la personne humaine telle que l’ont fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même. »— DH, 2A

« Ce n’est donc pas sur une disposition subjective de la personne, mais sur sa nature même, qu’est fondé le droit à la liberté religieuse. »— DH, 2B

Pourquoi la doctrine conciliaire, selon laquelle le fondement du droit à la liberté religieuse se trouve dans la dignité objective de la personne, fondée à son tour sur la nature humaine, serait-elle incompatible avec la doctrine catholique traditionnelle, telle qu’elle est exprimée par exemple dans l’affirmation suivante de Léon XIII :

« Si l’intelligence adhère à des opinions fausses, si la volonté choisit le mal et s’y attache, ni l’une ni l’autre n’atteint sa perfection, toutes deux déchoient de leur dignité native et se corrompent. Il n’est donc pas permis de mettre au jour et d’exposer aux yeux des hommes ce qui est contraire à la vertu et à la vérité, et bien moins encore de placer cette licence sous la tutelle et la protection des lois. » [4]

En premier lieu, il convient de noter que l’affirmation d’un droit à la liberté religieuse fondé sur la dignité de la personne, indépendamment de la vérité ou de l’erreur de la religion en question, ne signifie pas une négation du fait que la connaissance de la vérité et l’adhésion au bien soient partie intégrante de la véritable dignité de l’homme.

En effet, le texte de DH, 2 ne dit pas que la dignité de la personne humaine consiste uniquement en la seule nature, indépendamment de son adhésion à la vérité et au bien. Ce que l’on y affirme, c’est que le fait ontologique d’être une personne comporte déjà une dignité qui, sur le plan civil, exige entre autres choses, le droit à la liberté religieuse telle qu’on l’entend dans DH :

« l’exemption de contrainte dans la société civile »— DH, 1

Ainsi que l’a enseigné Jean XXIII :

« C’est justice de distinguer toujours entre l’erreur et ceux qui la commettent, même s’il s’agit d’hommes dont les idées fausses ou l’insuffisance des notions concernent la religion ou la morale. L’homme égaré dans l’erreur reste toujours un être humain et conserve sa dignité de personne à laquelle il faut toujours avoir égard. » [5]

D’autre part, il convient de noter que l’enseignement de Vatican II (dans le texte considéré : DH, 2) est parfaitement conciliable avec l’enseignement de l’Eglise sur les conséquences du péché originel. Le péché originel a détruit la dignité surnaturelle et préternaturelle de l’homme (basée sur la grâce et sur les autres dons surnaturels et préternaturels), mais n’a pas détruit sa dignité naturelle ; celle-ci fut simplement diminuée : « in deterius commutata » [6], comme la nature humaine elle-même. Pour cette raison, la liberté de l’homme, qui est sans doute l’une des principales manifestations de sa dignité ontologique, ne fut pas anéantie, mais seulement débilitée [7].

En outre, l’enseignement de Vatican II (DH, 2) est parfaitement conciliable avec l’enseignement de Léon XIII déjà cité. Comme il a été dit, la dignité de la personne présente certains aspects fondamentaux qui ne peuvent disparaître ni à cause du péché, ni à cause de l’erreur, et c’est à cette dignité que se réfère DH, 2. Selon les mots de Saint Thomas d’Aquin, tout homme, même pécheur, est image de Dieu et membre au moins potentiel du Corps du Christ [8].

La philosophie, aussi bien que le simple usage linguistique, montrent qu’il existe également un autre sens de la dignité naturelle : celui qui inclut la rectitude opérative des facultés naturelles : l’adhésion de l’intelligence à la vérité et de la volonté au bien :

« La liberté religieuse (…) ne porte aucun préjudice à la doctrine catholique traditionnelle au sujet du devoir moral de l’homme et des sociétés à l’égard de la vraie religion et de l’unique Église du Christ. »
— DH, 1/C ; CF. AUSSI N° 2B.

La Commission Conciliaire correspondante, dans la réponse au second des modi généraux, l’explique de cette manière :

« Praeterea observetur textum approbatum affirmare ius cuius obiectum est immunitas a coercitione et non contentum alicuius religionis. Huismondi immunitas ab ipsa dignitate personae exigitur. Nullibi affirmatur nec affirmare licet (quod evidens est) dari ius ad erronem diffundendum. Si autem personae errorem diffundunt, hoc non est exercitiul iuris, sed abusus eius. Hic abusus impediri potest et debet si ordo publicus graviter laeditur, prout in textu pluries affirmatur et sub n. 7 explicatur » [9].

[Traduction : « En outre, il convient d’observer que le texte approuvé affirme un droit dont la source est l’immunité à la coercition et non le contenu d’une religion. L’immunité est requise par la dignité même de la personne. Nulle part il n’est affirmé, ni ne peut être affirmé (ce qui est évident), que le droit de répandre l’erreur est accordé. Répandre l’erreur n’est pas un juste exercice de la loi mais un abus de cette dernière. Cet abus peut et doit être évité s’il est gravement porté atteinte à l’ordre public (juste), comme indiqué à plusieurs reprises dans le texte et expliqué au n. 7 » ]

Le droit à la liberté religieuse – reconnu même à « ceux-là qui ne satisfont pas à l’obligation de chercher la vérité et d’y adhérer » (DH, 2) – ne contredit pas la doctrine catholique traditionnelle telle que Pie XII l’exprime en ces termes :

« Ce qui ne répond pas à la vérité et à la loi morale n’a objectivement aucun droit à l’existence, ni à la propagande, ni à l’action » [10].

En effet, la doctrine de DH ne contredit pas l’enseignement sur le « droit objectif » formulé dans ce texte de Pie XII, car DH, 2 se réfère à un droit civil à l’immunité a coercitione, et non à un droit à répandre l’erreur.

Cette interprétation s’impose clairement à la lumière des Actes du Concile. Ainsi, par exemple, la Relatio de textu reemendato commentait cela de manière détaillée :

« Non agitur quaestio, utrum homo habeat ex conscientia vera ius agendi, quod ex conscientia erronea non haberet. Quaestio enim est de iure hominis eo sensu, quod ius asserit immunitatem a coercitione. Exactius loquendo, quaestio est, utrum et sub quibusdam conditionibus detur ius ex parte aliorum, ac nominatim ex parte potestatis publicae, ad hominem impediendum, quominus publiee iuxta conscientiam agat. .Iamvero ex eo quod conscientia agentis est erronea non sequitur, dari in aliis ius impediendi eius actionem. ( … ). In hodierna quaestione frustra adducitur principium quod senat, iura non aequaliter fundari in veritate atque in errore. Quod quidem verum est, si intelligitur, in errore non fundari ius sed in veritate sola. Rursus tamen considerandum est, agi hodie quaestionem de iure, ut est immunitas a coercitione. Iamvero eiusmodi immunitate gaudet homo conscientiae verae ; ea tamen gaudet etiam homo conscientiae erroneae, donec probetur, penes alium ac nominatim penes potestatem publicam dari in casu ius impediendi hune illumve actum externum religionis » [11].

De tout cela, il faut conclure que la doctrine de DH ne peut se comprendre comme l’affirmation d’un droit à répandre l’erreur : la notion de liberté religieuse dans DH ne se réfère pas aux relations de l’homme ou de l’Etat avec la vérité et le bien, mais de l’homme et de l’Etat avec les autres hommes, indiquant ce que l’homme ne doit pas faire (contraindre en matière religieuse).

En conséquence, la liberté religieuse est un droit négatif [12]. Comme toute négation suppose une affirmation, ce droit négatif suppose un autre droit positif. Or, ce droit positif n’est pas celui de répandre l’erreur, mais celui (qui est en même temps un devoir grave) de chercher la vérité et de rendre culte à Dieu. Ce grave devoir est le fondement de la prétention de la personne à un espace social d’activité autonome.

Dans ce sens, il avait déjà été dit dans la Salle conciliaire que :

« Notare iuvat, quod schema Declarationis non affirmat, dari ius ad errores religiosos in societate spargendos. Etenim tum in se tum maxime in statu quaestionis praesenti eiusmodi affirmatio omni caret sensu. Quaestio enim exactius utrum et quonam iure possit potestas ponitur, publica hominem coercitive cohibere, qui sententias suas religiosas publiee testatur » [13].

[Traduction : « Il convient de noter que les grandes lignes de la Déclaration (sur la liberté religieuse) n’indiquent pas qu’est donné le droit de répandre des erreurs religieuses dans la société. En effet, à la fois en elle-même et surtout en l’état de la question présente, une telle affirmation serait dépourvue de sens. Car la Déclaration porte uniquement sur le droit de l’État de contrôler de manière coercitive une personne qui témoigne publiquement de ses opinions religieuses ».]

Et, plus loin, la Commission Conciliaire insiste en ces termes :

« In memoriam revocetur quod textus schematis non agnoscit ius ad falsa publiee docendum, sed affirmat ius ad immunitatem a coactione » [14].

[Traduction : « Il convient de rappeler que le texte du schéma (conciliaire) ne reconnaît pas le droit d’enseigner publiquement des fausses doctrines, mais affirme le droit à l’immunité contre la coercition. ».]

D’autre part, DH n’affirme pas que la propagation des erreurs soit un bien. Ce qui est un bien, c’est qu’il existe dans la société civile un domaine d’autonomie juridique en matière religieuse, compatible avec l’ordre et la moralité publique : DH, 7 parle précisément de ces limites du droit à la liberté a coercitione.

On comprend donc que l’immunité a coercitione en matière religieuse ne soit pas un mal : c’est un bien, tout comme l’est la création par Dieu de la liberté humaine, bien que de celle-ci puisse résulter le péché. Le droit à la liberté religieuse est orienté vers le bien, celui d’une convivialité sociale basée sur l’amitié et la liberté, afin que tous puissent accomplir leur devoir de chercher et d’adhérer à la vérité, et celui de la libertas Ecclesiae de pouvoir développer librement sa mission divine d’évangélisation universelle.

Dans ce régime de liberté religieuse, la liberté humaine ne reste pas sans norme, car elle est pleinement soumise à la nécessité morale imposée par les lois éthiques ; et elle est limitée extérieurement en matière religieuse dans le sens indiqué par DH, 7 :

« Comme la société civile a le droit de se protéger contre les abus qui pourraient naître sous prétexte de liberté religieuse, c’est surtout au pouvoir civil qu’il revient d’assurer cette protection ; ce qui ne doit pas se faire arbitrairement et en favorisant injustement l’une des parties, mais selon des normes juridiques, conformes à l’ordre moral objectif, qui sont requises par l’efficace sauvegarde des droits de tous les citoyens et l’harmonisation pacifique de ces droits, et par un souci adéquat de cette authentique paix publique qui consiste dans une vie vécue en commun sur la base d’une vraie justice, ainsi que par la protection due à la moralité publique. Tout cela constitue une part fondamentale du bien commun et entre dans la définition de l’ordre public. »
— DH, 7c

Bien que la Déclaration « non intendit exponere applicationes particulares principiorum, praesertim si quaestiones complexas secum ferunt » [15], il est certain, par exemple, que la liberté religieuse n’exclut pas que l’Etat interdise le divorce, la polygamie, etc., y compris à ceux auxquels leur religion le permet, sans que cela suppose l’interdiction des autres manifestations externes de cette religion qui ne sont pas contraires au bon ordre public.

En effet, il faut tenir compte du fait que la référence à « l’ordre moral objectif », introduite dans le textus recognitus de DH, 7, a été justifiée par la Relatio correspondante de la manière suivante :

« Legitur : in ordine morali obiectivo fundati. Est additio magni momenti. Introducta est ad mentem Patrum qui rogant ut in aestimando ordine publico, ratio habeatur non solum ad historicas situationes sed etiam et in primis ad ea quae morali ordine obiectivo postulantur » [16].

[Traduction : « Lire : basé sur un ordre moral objectif. C’est un ajout important. Introduit dans l’esprit des Pères, qui demandent que dans l’évaluation de l’ordre public, il soit non seulement tenu compte des situations historiques mais aussi et surtout de ce qu’exige l’ordre moral objectif. ».]

Cependant, le fait que toutes les lois civiles doivent être en accord avec la loi naturelle, ne signifie pas que toutes les exigences de la loi naturelle doivent être expressément recueillies dans les lois civiles : il est évident que la loi humaine ne doit pas empêcher tous les vices ni ordonner les actes de toutes les vertus [17].

Enfin, il convient d’observer que, dans le paroles de Pie XII citées en note 10, est exposée la doctrine sur la tolérance, selon laquelle :

« L’affirmation : l’erreur religieuse et morale doit toujours être empêchée quand c’est possible, parce que sa tolérance est en elle-même immorale — ne peut valoir dans un sens absolu et inconditionné. » [18]

Bien que cette doctrine de la tolérance ne soit pas équivalente à la doctrine sur la liberté religieuse, il n’y a pas de raison d’affirmer qu’elles soient inconciliables. Il n’y a pas entre celles-ci une équivalence, car le principe de tolérance implique que l’Etat a le droit et le devoir de réprimer le mal en lequel consiste la diffusion de l’erreur religieuse, mais qu’il peut et parfois doit renoncer à exercer ce droit pour obtenir un bien supérieur et plus vaste. Or ce droit ne lui est pas reconnu par la Déclaration conciliaire. Cependant il n’y a pas incompatibilité entre ces affirmations, car selon Pie XII la tolérance est justifiée par l’intérêt d’un bien supérieur. Or l’idée du Concile est que la dignité de toute personne humaine et la paix sociale soient toujours des biens qui exigent que l’Etat ne réprime pas l’erreur religieuse quand celle-ci ne s’oppose pas au bon ordre social (qui inclut la moralité publique). Il y a donc une nouveauté dans la conception de la compétence de l’Etat à l’égard de la vie religieuse des citoyens et un développement doctrinal concernant le fondement de l’absence de contrainte légale en matière religieuse.

Il y a donc une nouveauté dans la conception de la compétence de l’Etat à l’égard de la vie religieuse des citoyens et un développement doctrinal concernant le fondement de l’absence de contrainte légale en matière religieuse.

Il convient d’insister sur cette continuité des enseignements de DH et de ceux de Léon XIII et de Pie XII. Dès les premiers schémas de DH, on a cherché explicitement cette continuité avec le Magistère antérieur en analysant les textes des Pontifes précédemment cités. Ainsi l’expliquait la Relation sur le premier schéma présentée aux Pères du Concile :

« Initium evolutionis doctrinalis iam fecit Leo XIII clarius faciendo distinctionem inter Ecclesiam, quae populus Dei est, et societatem civilem, quae populus est temporalis et terrestris (cf. Immortale Dei, A.S.S., 18, 1885, pp. 166–167 ; alias sexies eandem doctrinam evolvit). Ita viam aperuit ad noviter affirmandam debitam et licitam autonomiam, quae. temperationi iudiciali gradus ulterior iam ordini civili competit. Ex quo possibilis fuerit eiusque fit, ut (regula progressus); ad novum scilicet iudicium de 11 libertatibus modernis », quae vocantur. Tolerari possunt hae libertates (cf. Immortale Dei, A.S.S., 18, 1885, p. 174 ; Libertas praestantissimum, A.S.S., 20, 1887, pp. 609–610). Iamvero 11 tolerari » tantum dicebantur. Ratio erat evidens. Etenim tum temporis in modernas, proclamabant, Europa regimina quae libertates inclusa libertate suam inspirationem religiosa, adhuc conscio animo ex ideologia laicistica trahebant. Periculum ergo exstabat, quod sensit Leo XIII, ne huiusmodi generis reipublicae instituts civilis et politica, cum essent intentione laicistica informata, ad tales abusus perducerent, qui dignitati personae humanae eiusque genuinae libertati nocivi non passent non fore. Quod enim Leoni Pp. XIII iuxta regulam continuitatis cordi erat, Ecclesiae semper cordi est, tutela nimirum personae humanae » [19].

Et plus loin :

« Hic maxime recolenda est doctrina Pii XII de limitatione Status, quod spectat ad errores in societate reprimendos : ‘Peut-il se faire que, dans des circonstances déterminées, Il ne donne aux hommes aucun commandement, n’impose aucun devoir, ne donne même aucun droit d’empêcher et de réprimer ce qui est faux et erroné ? Un regard sur la réalité autorise une réponse affirmative.’. Deinde, allato exemple divinae providentiae, pergit : ‘Donc l’affirmation : l’erreur religieuse et morale doit toujours être empêchée quand c’est possible, parce que sa tolérance est en elle-même immorale — ne peut valoir dans un sens absolu et inconditionné. D’autre part, même à l’autorité humaine Dieu n’a pas donné un tel précepte absolu et universel, ni dans le domaine de la foi ni dans celui de la morale. On ne le trouve ni dans la conviction commune des hommes, ni dans la conscience chrétienne, ni dans les sources de la révélation, ni dans la pratique de l’Eglise.’ (Ci riesce, 6‑XII-1953 : AAS 45 (1953) pp. 798–799). Haec declaratio (regula progressus) est summi momenti pro materia nostra, praesertim si prae oculis habentur quae olim de missionestatus prolata sunt » [20].

[Traduction : « Il faut rappeler la doctrine de Pie XII sur les limites de l’État à s’occuper de contrôler les erreurs (religieuses) dans la société : “Peut-il se faire que, dans des circonstances déterminées, Il ne donne aux hommes aucun commandement, n’impose aucun devoir, ne donne même aucun droit d’empêcher et de réprimer ce qui est faux et erroné ? Un regard sur la réalité autorise une réponse affirmative”. Puis, citant l’exemple de la providence divine, il poursuit : “D’autre part, même à l’autorité humaine Dieu n’a pas donné un tel précepte absolu et universel, ni dans le domaine de la foi ni dans celui de la morale. On ne le trouve ni dans la conviction commune des hommes, ni dans la conscience chrétienne, ni dans les sources de la Révélation, ni dans la pratique de l’Église.” (Ci riesce, 6‑XII-1953 : AAS 45 (1953) pp. 798–799). Cette déclaration (règle d’or) est de la plus haute importance pour notre problématique, surtout si nous gardons à l’esprit ce qui a été dit autrefois sur le devoir de mission ».]

On peut citer aussi, dans le même sens, les paroles de Pie XII contenues dans le dit textus prior :

« Cf. Pius XII, Alloc. ad Praelatos auditores ceterosque officiales administras Tribunalis S. Romanae Rotae, 6 oct. 1946 : A.A.S., 38 (1946), p. 393 : ‘Les contacts toujours plus fréquents et le mélange confus des diverses confessions religieuses au sein d’un même peuple ont amené les tribunaux civils à suivre le principe de « la tolérance » et de la « liberté de conscience ». Il y a aussi une tolérance politique, civile et sociale à l’endroit des fidèles des autres religions qui, en ces sortes de circonstances, est également pour les catholiques un devoir moral.’.

Insuper, ad Communitatem internationalem quodattinet, cf. Pius XII, Alloc. Ci riesce, 6‑XII-1953 : AAS 45 (1953) p. 797 : ‘Les intérêts religieux et moraux exigeront pour toute l’étendue de la Communauté un règlement bien défini qui vaille pour tout le territoire dechacun des Etats souverains, membres de cette Communauté des nations. Selon les probabilités et les circonstances, ce règlement de droit positif s’énoncera ainsi : A l’intérieur de son territoire et pour ses citoyens, chaque Etat déterminera les affaires religieuses et morales selon sa propre loi ; cependant, dans tout le territoire de la Confédération, on permettra aux ressortissants de chaque Etat-membre l’exercice de leurs propres croyances et pratiques religieuses et morales pour autant qu’elles ne contreviennent pas aux lois pénales de l’Etat où ils séjournent.’ Secundum Romanum Pontificem, cives catholici et Status catholici moderatores possunt ex conscientia eiusmodi legi consentire » [21].

La Relation sur ce texte (de textu priore) expliquait en outre pourquoi on n’y parlait pas de tolerantia religiosa – critère qui s’est maintenu jusqu’à la fin – et on préférait parler de libertas religiosa. La raison en est que, précisément, on prétend donner une réponse à une question surgie récemment, qui ne se posait pas dans les époques antérieures :

« Sunt qui dubitant de ipsa formula ‘libertas religiosa’ et putant nos in hac materia agere non posse nisi de ‘tolerantia religiosa’.
Nonne tamen observandum est quod libertas religiosa est terminus qui modernam et bene determinatam significationem obtinuit in hodierno vocabulario ? In hoc pastoral ! Concilio Ecclesia dicere intendit quid ipsa iudicet de hac re quam communiones ecclesiales, gubernia, institutiones, publicistae, iurisperiti nostri temporis designant hoc vocabulo, Si sermonem dirigimus ad societatem modernam, debemus uti suo modo loquendi.
Agimus igitur de libertate religiosa tamquam de notione formaliter iuridica, quae enuntiat ius quod fundatur in natura personae humanae, quod ab omnibus observandum est et quod eo modo agnoscendum est in lege fundamentali (Constitutio Statuum, cum garantiis iuridicis) ut fiat commune civile ius. Eius agnitio, protectio et promotio oppignorari debet a societate in genere et speciatim a guberniis » [22].

[Traduction : « Certains doutent de la formulation ‘liberté religieuse’ et pensent que nous ne pouvons aborder cette question qu’avec l’expression ‘tolérance religieuse’.
Ne faudrait-il pas tenir compte du fait que le terme de ‘liberté religieuse’ a acquis un sens moderne et bien défini dans le vocabulaire d’aujourd’hui ? Au sein même de la pastorale ! Durant ce Concile, l’Église entend affirmer son jugement concernant cette question, que les communions ecclésiales, les gouvernements, les institutions, les publicistes et les juristes de notre temps désignent tous par ce terme. Si nous voulons nous adresser à la société moderne, nous devons utiliser sa manière de s’exprimer.
Il s’agit donc ici de la ‘liberté religieuse’ comme concept formellement juridique, qui énonce un droit fondé sur la nature de la personne humaine, qui doit être respecté par tous et reconnu dans la loi fondamentale (la Constitution des États, avec garanties légales) de telle sorte qu’il devienne un droit civil commun. Sa reconnaissance, sa protection et sa promotion doivent être assurés par la société en général et par les gouvernements en particulier. ».]

Enfin, la doctrine de DH ne suppose pas non plus une désapprobation de la conduite suivie dans le passé par certains princes chrétiens, dont l’évaluation historique est en soi complexe et, en grande partie, discutable, bien qu’il ne faille pas écarter a priori la possibilité qu’il y ait eu des actions concrètes peu conformes à l’esprit de l’Évangile [23].

2. La liberté religieuse et l’unicité de la vraie religion

Les éléments exposés dans le n. 1 éclairent dans une large mesure le problème présenté dans ce n. 2. C’est pourquoi notre développement sera ici plus bref et se contentera de compléter sous certains aspects ce qui a déjà été dit.

La doctrine sur la liberté religieuse, contenue dans DH, ne comporte absolument pas une conception relativiste de la vérité, ni la négation du fait que la religion catholique soit l’unique vraie religion. Les dubia à ce sujet ont été formulés à propos de certaines affirmations de DH, en particulier, de ses nn. 3, 4 et 6 :

« De par son caractère même, en effet, l’exercice de la religion consiste avant tout en des actes intérieurs volontaires et libres par lesquels l’homme s’ordonne directement à Dieu : de tels actes ne peuvent être ni imposés, ni interdits par aucun pouvoir purement humain »— DH, 3C.

« La liberté religieuse demande en outre que les groupes religieux ne soient pas empêchés de manifester librement l’efficacité singulière de leur doctrine pour organiser la société et vivifier toute l’activité humaine »— DH, 4E.

« Dès lors, donc, que les justes exigences de l’ordre public ne sont pas violées, ces groupes sont en droit de jouir de cette immunité afin de pouvoir se régir selon leurs propres normes, honorer d’un culte public la Divinité suprême … « — DH, 4B.

»Protéger et promouvoir les droits inviolables de l’homme est du devoir essentiel de tout pouvoir civil. Celui-ci doit donc, par des justes lois et autres moyens appropriés, assumer efficacement la protection de la liberté religieuse de tous les citoyens et assurer des conditions favorables au développement de la vie religieuse, en sorte que les citoyens soient à même d’exercer effectivement leurs droits et de remplir leurs devoirs religieux, et que la société elle-même jouisse des biens de la justice et de la paix découlant de la fidélité des hommes envers Dieu et sa sainte volonté »

— DH, 6b.

Le soupçon d’un fond de relativisme dans ces textes a été formulé en considérant que DH, 3 semble affirmer que « l’homme s’ordonne directement à Dieu » moyennant « l’exercice de la religion », quelle que soit sa religion. En d’autres termes, DH affirmerait que, moyennant n’importe quelle religion, l’homme pourrait être ordonné validement vers Dieu. Ce soupçon se trouverait renforcé par les paragraphes cités du n. 4 de DH, dans le sens où l’on reconnaîtrait à toute religion une « efficacité singulière » pour « organiser la société et vivifier toute l’activité humaine », et de même la capacité de tout groupe religieux à rendre un culte public valide à Dieu (« honorer d’un culte public la Divinité suprême »). De plus, le paragraphe cité du n. 6 de DH soulignerait une valeur identique de toutes les religions comme expressions de « la fidélité des hommes envers Dieu et sa sainte volonté ».

En réalité, cette interprétation ne correspond pas à la véritable signification des textes de DH. En effet, DH, 3 se réfère aux actes internes de l’homme en relation avec Dieu sans considérer la vérité ou fausseté objective de la religion. Déjà, dans DH, 1, a été affirmé clairement que l’unique vraie religion est la Religion Catholique :

« Tout d’abord, le Concile déclare que Dieu a lui-même fait connaître .au genre humain la voie par laquelle, en le servant, les hommes peuvent dans le Christ obtenir le salut et parvenir à la béatitude. Cette unique vraie religion, nous croyons qu’elle subsiste dans l’Eglise catholique et apostolique »— DH, 1B.

On ne peut donc pas comprendre le texte de DH, 3 dans un sens indifférentiste. Selon les mots de Paul VI :

« Il Concilia, in nessun modo, fonda questo diritto (alla libertà religiosa) sul fatto che tutte le religioni, e tutte le dottrine, anche erronee, che riguardano questo campo, avrebbero un valere più o meno uguale ; lo fonda invece sulla persona umana, la quale esige dignità di non della essere sottoposta a costrizioni esteriori che tendono a opprimere la coscienza nella ricerca della vera religione e nell ‘adesione ad essa » [24].

[Traduction : « Le Concile, en aucune façon, ne fonde ce droit (à la liberté religieuse) sur le fait que toutes les religions, et toutes les doctrines, même erronées, auraient une valeur plus ou moins égale ; il la fonde au contraire sur la personne humaine, dont la dignité exige qu’elle ne soit pas soumise à des contraintes extérieures qui tendent à opprimer la conscience dans la recherche de la vraie religion et l’adhésion à celle-ci. »]

D’ailleurs, on ne peut nier que soient contenus dans les religions non catholiques des éléments qui aident ceux qui les professent de bonne foi à se mettre en relation avec Dieu. En particulier, dans les églises et communautés chrétiennes non catholiques, le Concile Vatican II discerne la présence de vestigia Ecclesiae, parfois très riches, et manifeste son estime à ses membres actuels [25]. Le Concile voit même dans les religions non chrétiennes un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes [26]. Pareils respect et considération signifient que l’Eglise partage la patience miséricordieuse de Dieu (cf. DH, 4/d), selon le mot de l’Évangile : « Ne l’en empêchez pas ! … Qui n’est pas contre nous est pour nous » (Mc 9, 39–40), et ils ne portent pas préjudice à sa mission impérieuse d’orienter tout homme vers le Christ [27], en qui se trouve la plénitude de la vérité et de la liberté (cf. Jn 8, 31–32).

D’autre part, le texte cité de DH, 4 est de principe et n’implique aucun jugement sur l’efficacité de telle ou telle doctrine religieuse pour organiser la société. Dans la mesure où les religions non catholiques contiennent certains éléments partiels exacts, elles peuvent dans ces aspects, coopérer à· l’organisation de la société et de l’activité humaine. Dans ce qu’elles contiennent de faux, ces religions ne coopèrent pas à une organisation adéquate de la société et, dans la mesure où ces erreurs sont contraires au bon ordre social, elles peuvent et, dans certaines occasions, doivent être empêchées par l’autorité publique (cf. DH, 7).

Dans ce contexte, il convient de rappeler les éclaircissements apportés par la Relatio de textu emendato :

« affirmando libertatem religiosam esse verum ius hominis, nullatenus affirmatur omnes religiones eamdem aequalem auctoritatem positivam habere, a Deo receptam, ut exsistant seseque propagent. Quod absit ; saperet enim pessimum indifferentismum religiosum. Neque affirmatur potestati publicae licere omnibus religionibus positivam auctoritatem dare, etiam ut aequo iure in societate gaudeant. Quod etiam absit ; saperet enim pessimum istud totalitarismum status, qui proprius erat laicismo » [28].

[Traduction : « affirmer que la liberté religieuse est un véritable droit de l’Homme n’affirme nullement que toutes les religions ont la même ‘autorité positive’, reçue de Dieu, pour exister et se propager. Cette idée est exclue, car elle équivaudrait au pire des indifférentismes religieux. Il n’est pas non plus affirmé qu’il est permis au pouvoir public (civil) de donner une ‘autorité positive’ à toutes les religions, même pour qu’elles jouissent de droits égaux dans la société. Cela est également exclu ; car il en ressortirait le pire des États totalitaires, caractéristique du laïcisme. »]

Pour interpréter correctement le texte de DH, il est indispensable d’avoir présent à l’esprit le fait que DH se réfère à un droit civil de liberté a coercitione, et exclut expressément que ce droit se fonde sur une inexistante égalité de la valeur ou de la vérité de toutes les religions (indifférentisme) : cf. DH, 1. A part les textes cités précédemment, il faut aussi tenir compte d’un autre éclaircissement apporté par la Relatio de textu emendato :

« Duplici sensti sumi potest ius. Primo sensu ius dicitur facultas moralis aliquid agendi, facultas scilicet qua quis ab intrinseco positivam auctoritatem habet (empowerment, Ermachtigung, autorizzazione) ad agendum. In Declaratione non adhibetur ius hoc sensu, ne quaestiones oriantur quae ad rem non sunt, e.g., quaestio speculativa de iuribus conscientiae erroneae, quae versatur extra statum quaestionis iuridicum de libertate religiosa, prout in Declaratione tractatur. Altero sensu ius dicitur facultas moralis exigendi, ne quis constringatur ad agendum neve impediatur, quominus agat. Quo quidem sensu ius significat immunitatem in agendo et excludit coercitionem sive constr.ingentem sive impedientem. Unde hoc altero sensu sumitur ius in Declaratione » [29].

[Traduction : « Un double sens peut être admis. Premièrement, le droit est la capacité morale de faire quelque chose, c’est-à-dire la capacité par laquelle on a une autorité intrinsèquement positive (empowerment, Ermachtigung, autorisation) d’agir. Dans la Déclaration, le terme de “droit” n’est pas utilisé dans ce sens, de sorte que des questions non pertinentes ne se posent pas. Par exemple, des spéculations sur les droits d’une conscience erronée, qui se retrouve en dehors du statut de la position juridique sur la liberté religieuse, comme indiqué dans la Déclaration. De l’autre côté, on dit aussi que le droit est la capacité morale d’exiger que personne ne soit contraint d’agir ou empêché d’agir. En effet, dans ce sens, le droit signifie l’immunité dans l’action et exclut la coercition, qu’elle soit restrictive ou gênante. C’est donc dans ce second sens que le droit est compris dans la Déclaration. »]

Et également :

« Sub regimine enim libertatis religiosae iure publiee simpliciter agnoscitur, neminem esse constringendum ut agat contra conscientiam neve impediendum, quin secundum conscientiam agat. Quidquid alias valeat sermo de iuribus diversis veritatis et erroris, nullus est ei hic locus » [30].

[Traduction : « Concernant la règle de la liberté religieuse, il est simplement reconnu par le droit public que nul ne doit être contraint d’agir contre sa conscience, ni empêché d’agir selon sa conscience. Quoi que l’on puisse dire d’autre sur les différents droits de la vérité et de l’erreur, il n’est pas question de cela ici. »]

3. Devoirs de l’Etat envers la religion. L’Eglise et l’Etat

Sur ce thème, les dubia considèrent différentes affirmations de DH, en particulier les suivantes :

« Le pouvoir civil, dont la fin propre est de pourvoir au bien commun temporel, doit donc, certes, reconnaître et favoriser la vie religieuse des citoyens, mais il faut dire qu’il dépasse ses limites s’il s’arroge le droit de diriger ou d’empêcher des actes religieux »— DH, 3E.

« Si, en raison des circonstances particulières dans lesquelles se trouvent des peuples, une reconnaissance civile spéciale est accordée dans l’ordre juridique d’une cité à une communauté religieuse donnée, il est nécessaire qu’en même temps le droit à la liberté en matière religieuse soit reconnu et respecté, pour tous les citoyens et toutes les communautés religieuses »— DH, 6C.

« La liberté de l’Eglise est un principe fondamental dans les relations de l’Eglise avec les pouvoirs civils et tout l’ordre civil »— DH, 13A.

« Dans la société humaine et devant tout pouvoir public l’Eglise revendique la liberté au titre d’autorité spirituelle, instituée par le Christ Seigneur, et à qui incombe par mandat divin le devoir d’aller par le monde entier et prêcher l’Évangile à toute créature. L’Eglise revendique également la liberté en tant qu’association d’hommes ayant le droit de vivre, dans la société civile, selon les préceptes de la foi chrétienne »— DH, 13B.

Cette doctrine de DH a été comprise comme irréductiblement opposée aux très nombreux textes du Magistère précédent {en particulier de Pie IX, Léon XIII et Pie XI), qui a condamné à de nombreuses reprises l’agnosticisme et l’indifférentisme religieux de l’Etat, le principe libéral « l’Eglise libre dans l’Etat libre », et a affirmé le devoir de l’Etat de favoriser la vraie religion. Par exemple :

« (Proposition condamnée) : De notre temps, il n’y a plus intérêt à ce que la religion catholique soit considérée comme l’unique religion de l’Etat, à l’exclusion de tout autre culte » [31].

« (Proposition condamnée) : Aussi doit-on des éloges à certains pays de nom catholique, où la loi a pourvu que les étrangers qui viennent s’établir puissent jouir de l’exercice public de leurs cultes » [32].

« Etant donné que l’Etat repose sur ces principes (séparation entre l’Eglise et l’Etat) aujourd’hui en grande faveur, il est aisé de voir à quelle place on relègue injustement l’Eglise. Là en effet où la pratique est en accord avec de telles doctrines, la religion catholique est mise dans l’Etat sur pied d’égalité, ou même d’infériorité, avec des sociétés qui lui sont étrangères … » [33]

« Ce que nous appelons la peste de notre temps, c’est le laïcisme, ses erreurs et ses tentatives impies (…) On commença par nier le pouvoir du Christ sur toutes les nations ; on dénia à l’Eglise un droit dérivé du droit du Christ lui-même, celui d’enseigner le genre humain, de porter des lois, de diriger les peuples, de les conduire à la béatitude éternelle. Alors la religion du Christ fut peu à peu traitée d’égale avec les faux cultes et placée avec une choquante inconvenance sur le même niveau … » [34].

Existe-t-il une véritable incompatibilité entre l’enseignement traditionnel et la doctrine de DH ? Pour répondre à cette question, il convient d’avoir présent à l’esprit, en premier lieu, que le texte de DH, 3 cité ne se limite pas au cas particulier d’une nation catholique, mais donne un principe général qui protège la libertas Ecclesiae. Précisément, ces lignes de DH, 3 ont été écrites et approuvées afin qu’il ne semble pas que DH affirme potestates publicas posse laicismo indulgere :

« Sat multi Patres modos proponunt ne textus videatur affirmare potestates publicas posse laicismo indulgere ac si non deberent curare bonum publicum cuius pars est exercitium religionis ex parte civium. Vobis proponimus ut admittantur modi qui sunt magni momenti pro exacta intellectione doctrinae : a) ‘Potestas igitur civilis, cuius finis proprius est bonum commune temporale curare, religiosam quidem civium vitam agnoscere eique favere debet, sed limites suas excedere dicenda est si actus religiosos dirigere vel impedire praesumat” » [35].

[Traduction : « Cependant, de nombreux Pères (du Concile) proposent des idées pour que le texte ne semble pas affirmer que les pouvoirs publics peuvent se livrer au laïcisme, comme s’ils ne devaient pas veiller au bien public, dont l’exercice de la religion serait à part. Admettons les postulats qui sont importants pour l’exacte compréhension de la doctrine (sur la liberté religieuse) : a) Le pouvoir civil, dont le but propre est de veiller au bien commun temporel, doit certes reconnaître la vie religieuse des citoyens et la favoriser, mais il faut dire qu’il dépasse ses limites s’il prétend diriger ou empêcher certains actes religieux ».]

il n’est pas de la compétence de l’Etat en tant que tel de discerner la vérité en matière religieuse

Les modalités concrètes de collaboration entre l’Eglise et l’Etat varieront selon les circonstances, mais deux principes devront toujours être respectés :

aucun homme ne peut être forcé par l’Etat à embrasser une croyance religieuse déterminée ;

il n’est pas de la compétence de l’Etat en tant que tel de discerner la vérité en matière religieuse (à part en ce qui se rapporte à la morale naturelle, à ce qui peut limiter, comme on vient de le dire, les manifestations portant atteinte au bon ordre public). Ce principe est basé sur la distinction des fins et des moyens propres à l’Eglise et à l’Etat, conformément, par exemple, à la doctrine enseignée par Léon XIII :

« Dieu a donc divisé le gouvernement du genre humain entre deux puissances : la puissance ecclésiastique et la puissance civile ; celle-là préposée aux choses divines, celle-ci aux choses humaines. Chacune d’elles en son genre est souveraine ; chacune est renfermée dans des limites parfaitement déterminées et tracées en conformité de sa nature et de son but spécial. Il y a donc comme une sphère circonscrite, dans laquelle chacune exerce son action jure proprio. » [36]

Cette doctrine fut ensuite réaffirmée par Pie XI :

« La Chiesa di Gesù Cristo non ha mai contestato i diritti e i doveri dello Stato circa l’educazione dei cittadini (…) ; diritti e doveri incontestabili finché rimangono nei confini delle competenze proprie dello Stato ; competenze che sono alla loro volta chiaramente fissate dalle finalità dello Stato ; finalità certamente non soltanto corporee e materiali, ma di per sé stesse necessariamente contenute nei limiti del naturale, del terreno, del temporaneo. ( … ) (Il mandate della Chiesa) si estende invece all’eterno, al celeste, al soprannaturale » [37].

[Traduction : « L’Église de Jésus-Christ n’a jamais contesté les droits et devoirs de l’État en matière d’éducation des citoyens (…) ; droits et devoirs indiscutables tant qu’ils restent dans les limites de la compétence étatique ; des compétences elles-mêmes clairement établies par les objectifs de l’État ; fins non seulement corporelles et matérielles, mais en elles-mêmes nécessairement inscrites dans les limites du naturel, du territoire, du temporel. (…) (Le mandat de l’Église) s’étendant au contraire à l’éternel, au céleste, au surnaturel ».]

La distinction des compétences entre l’Eglise et l’Etat, et l’affirmation générale de DH, 3 (l’Etat doit favoriser la vie religieuse des citoyens), n’exclut pas que la Religion Catholique puisse et doive être aidée de manière spéciale par l’Etat, selon les circonstances. Et, par dessus tout, il est nécessaire de distinguer cet enseignement qui se réfère au droit civil, des problèmes moraux connexes qui sont ici hors de propos. En effet, la Relatio au terme de la discussion dans la Salle conciliaire de textu reemendato explique que :

“Hoc nostrum problema adamussim distinguendum est a quaestionibus connexis.
a) Primum problema connexum : de obligatione in ordine morali. In ordine morali mones homines, mones societates, omnes auctoritatem civilim gerentes obiective et subiective debent (i. e. moraliter obligantur) quaerere veritatem, et moraltiter eis non licet propugnare falsum.
b) Secundum problema morale connexum : de officio et iuribus Ecclesiae et de officio morali hominum erga Ecclesiam catholicam eiusque doctrinam ac mandata. Ecclasia habet officium et ius praedicandi Iesum Christum. Nulla instantia humana obiective moraliter libera est in acceptendo vel respuendo Evangelium et Ecclesiam veram. Et haec obligatio est etiam subiectiva quatenus perspicitur. Fideles, immo mones homines moraliter obligantur ad recte formandam conscientiam et ad vivendum iuxta eam.
Ab is quaestionibus moralibus connexis sedulo distanguanda est quaestio nostra nova. Nunc enim examinatur utrum personae humanae in societate humana agnosci possit ut libera sir a coercitione ex parte aliorum hominum sociatatis et potestatir publicae” [38].

[Traduction : « Ce problème (la liberté religieuse) qui est le nôtre doit être soigneusement distingué des problèmes annexes.
a) Premier problème annexe : Celui de l’obligation dans l’ordre moral. Dans l’ordre moral, les hommes, les sociétés et tous ceux qui détiennent l’autorité civile se doivent objectivement et subjectivement (c’est-à-dire sont moralement obligés) de rechercher la vérité, et ne sont pas autorisés à défendre le mensonge.
b) Second problème moral annexe : Sur le devoir et les droits de l’Église catholique, et le devoir moral des personnes envers cette institution, ses enseignements et commandements. L’Église a le devoir et le droit de prêcher Jésus-Christ. Aucune entité humaine n’est objectivement moralement libre d’accepter ou de rejeter l’Évangile et la véritable Église. Et cette obligation est aussi subjective dans la mesure où elle est perçue. Les hommes sont moralement obligés de se forger une conscience droite et de vivre selon elle.
Notre nouvelle problématique doit être soigneusement distinguée des questions morales qui s’y rattachent. Pour l’instant, on se demande si, dans la société, les personnes humaines peuvent être reconnues comme des êtres libres de toute coercition de la part des autres sociétés humaines et du pouvoir de l’État ».]

Par l’étude de cette “nouvelle question”, on veut compléter les enseignements du Magistère antérieur, qui avait déjà étudié et résolu de manière exhaustive et irréfutable les deux problèmes d’ordre moral que DH n’a pas cru nécessaire traiter de nouveau.

Il faut d’autre part tenir compte du fait que la liberté de l’Eglise ne s’identifie pas avec la liberté des autres confessions religieuses. Cette dernières a en effet comme fondement la liberté sociale et civile en matières religieuse, propre à la dignité des personnes. En revanche, la liberté de l’Eglise, en plus de ce fondement commun, a un autre fondement propre et exclusif, d’ordre supérieur : celui d’être l’unique véritable Eglise, fondée par Dieu lui-même, et d’avoir une mission divine de DH, 13/b, qui doit être considérée dans sa totalité. En particulier, DH, 13/a dit (et renvoie en note à deux textes de Léon XIII) :

“Parmi les choses qui concernent le bien de l’Eglise, voire le bien de la cité terrestre elle-même, et qui, partout et toujours, doivent être sauvegardées et défendues contre toute atteinte, la plus important est, à coup sûr, que l’Eglise jouisse dans son action d’autant de liberté qu’en requiert la charge qu’elle a du salut des hommes”

Il convient d’observer que, selon DH, le régime commun de liberté religieuse est compatible avec la liberté de l’Eglise et constitue un minimum nécessaire. Mais ce minimum n’est pas le seul possible, ni, dans certaines circonstances, le plus souhaitable. Là où cela est possible, on aboutira à la situation considérée dans DH, 6/c, dans laquelle la liberté de l’Eglise est en harmonie avec le droit civil de la liberté religieuse, mais donne lieu à un statut juridique plus avantageux pour la mission de l’Eglise (par exemple quand l’Etat renonce à intervenir unilatéralement dans des cas de compétence mixte).

En outre, selon la maxime “l’Eglise libre dans l’Etat libre”, telle qu’elle est prônée par le libéralisme, la liberté de l’Eglise serait comprise dans la compétence de l’Etat. Or, cette soumission de l’Eglise à la compétence de l’Etat est catégoriquement exclue par l’affirmation de la liberté de l’Eglise effectuée par DH (en particulier, par DH, cité plus haut). Il faut cependant nôtre que la confessionnalité de l’Etat peut être une réalité effective, même quand il n’y a pas de déclaration formelle de confessionnalité (“confessionalité substantielle”).

Remarquons aussi que le texte cité de DH, 13 ne relègue pas l’Eglise au rang d’une association de plus au sein de la société civile. Il s’agit simplement d’exposer un motif supplémentaire pour réclamer la liberté de l’Eglise, après en avoir indiqué le motif principal :

“Dans la société humaine et devant tout pouvoir public l’Eglise revendique la liberté au titre d’autorité spirituelle, instituée par le Christ Seigneur, et à qui incombe par mandat divin le devoir d’aller par le monde entier et prêcher l’Évangile à toute créature »— DH, 13/B

Que cela soit la bonne interprétation est démontré également par les réponses à deux modi présentés à ce numéro de DH [39]). Il faut de plus tenir compte de l’explication donnée dans la Relatio au schéma précédent :

“Iuxta desiderim aliquorum Patrum in text recognito (n. 13) accuratius distinguuntur iura quae Ecclesiae competunt. Ex une parte Ecclesiae agnoscendum est ius ex mandato Dei. Quatenus enim est auctoritas spiritualis et societas hominum secundum fedei praecepta viventiem, Ecclesia ius devinitus ortum possidet libero modo in societate vivendi et missionem suam adimplendi. Sed praeterea ei agnoscendum est ius naturale. Ecclesiae enim membra, quatenus homines sunt, pari modo ac alii homines, ius habent ne in societate impediantur vivendi iuxta exigentias suae conscientiae. Inter utrumque ius, divinum et naturale, non datur oppositio ; utrumque integre servatur si in societate datur libertas socialis et civilis in re religiosa” [40].

[Traduction : « Selon le désir de certains des Pères, dans le texte révisé (n. 13), les droits de l’Église sont distingués plus précisément. D’une part, l’Église doit se voir reconnaître le commandement de Dieu. Dans la mesure où il existe une autorité spirituelle et une société de personnes vivant selon les préceptes de la foi, l’Église possède le droit divin de vivre au sein de la société et de remplir sa mission. Ce droit doit, cependant, aussi être reconnu comme un droit naturel. Car les membres de l’Église, en tant qu’êtres humains, au même titre que les autres êtres humains, ont le droit de ne pas être empêchés de vivre selon les exigences de leur conscience. Entre les deux droits, divin et naturel, il n’y a pas d’opposition ; tous deux sont préservés dans leur intégralité si la liberté religieuse sociale et civile sont garanties au sein de la société. ».]

Rappelons en outre l’explication de la portée du texte de DH donnée par la Relatio de textu recognito :

“Ubi sermo est de speciali civili agnitione quae determinatae religioi tribuitur, Commissio admisit formam hypotheticam, quae a multis Patribus postulata est. Verum alios Patres petivisse ut nullo modo de hac speciali agnitione ageretur ; cum tamen talis specialis agnitio de facto in multis regionibus habeatur, Commissio observandum est in hac pericope non tractari de omnibus iuribus quae Ecclasiae agnoscenda sent ; obiectum noestrao declarationis non est vindicatio universalis et semper observandi iuris ad libertatem tum pro catholicis tum pro aliis” [41].

[Traduction : « Lorsqu’il est question d’une reconnaissance civile spéciale accordée à une religion déterminée, la Commission a admis une forme hypothétique réclamée par de nombreux Pères. Il est vrai que les autres Pères avaient demandé que cette reconnaissance spéciale ne soit en aucun cas traitée ; puisqu’une telle reconnaissance spéciale est de facto en vigueur dans de nombreuses régions, la Commission doit observer que dans cette péricope (section) elle ne traite pas (exhaustivement) de tous les droits que l’Église estime devoir être reconnus ; l’objet de notre déclaration est la revendication universelle et le respect constant du droit à la liberté tant pour les catholiques que pour les autres. ».]

Un an auparavant, la Relatio de textu emendato expliquait que l’on voulait ainsi mettre en évidence la compatibilité du régime de liberté religieuse avec celui de confessionnalité de l’Etat :

“Si res bene intelligitur, doctrina de libertate religiosa non contradicit conceptui historico sic dicti status confessionalis. Etenim regimen libertatis religiosae prohibet intolerantiam istan legalem, secumdum quam quidam cives vel quaedam communitates religiosea in inferiorem condicionem redigerentur quoad iura civilia in re religiosa. Non tamen prohibet, quin religio catholica iure humano publico agnoscatur temquam communis religio civium in quadam regione, seu quin religio catholica iure publico stabliliatur tamquam religio status. In hoc tamen casu, cavendum est ne ex instituto religionis statalis deriventur consequentiae sive iuridicae sive sociales, quae in re religiosa aequilitati omnium civiem in iure publico damnum inferret. Verbo, simul cum regimine religionis statalis abservandum est regimen libertatis religiosae” [42]

[Traduction : « Bien comprise, la doctrine de la liberté religieuse ne contredit pas le concept historique de l’État dit ‘confessionnel’. En fait, la règle de la liberté religieuse interdit une intolérance légale, qui consiste à ce que certains citoyens ou certaines communautés religieuses soient réduits à une position inférieure au regard des droits civils en matière religieuse. Cependant, cela n’empêche pas que la religion catholique soit reconnue par le droit public humain comme religion commune des citoyens d’une certaine région, ou établie par ce même droit public comme religion d’État. Dans ce cas, cependant, il faut veiller à ce que l’institution d’une religion d’État n’entraîne pas de conséquences juridiques ou sociales qui porteraient atteinte à l’égalité religieuse de tous les citoyens devant le droit public. En d’autres termes, avec un gouvernement possédant une religion d’État, le droit à la liberté religieuse doit (toujours) être observé. »]

Bien que la proposition 78 condamnée par le Syllabus paraisse équivalente à DH, 6, il n’en est pas ainsi en réalité. Ce qui est condamné n’est pas la doctrine enseignée ensuite par DH.

En effet, l’interprétation correcte du Syllabus nécessite l’examen des documents dans lesquels on condamne chacune des formules impliquées (l’Alloc. Acerbissimum dans le cas de la proposition 78). Les lois anticatholiques auxquelles fait référence l’Allocution Acerbisimum supposent que l’Etat concède une faculté morale de liberté de culte sur la base de l’égalité de tous les cultes par eux mêmes, dont l’exercice serait, pour ce seul motif, objectivement juste. Cette faculté morale ne peut exister, et moins encore être créée par l’Etat. Comme on l’a déjà dit antérieurement, l’enseignement de DH implique seulement que ceux qui professent une religion erronée aient le droit, dans certaines limites, de ne pas souffrir violences de la part de l’Etat ou des autres citoyens. Il s’agit d’un droit négatif qui n’accorde de justification objective à aucune des réalisations positivement erronées de la liberté humaine.

La liberté de culte à laquelle fait référence la proposition 78 du Syllabus y est comprise comme expression de la “liberté de conscience”, c’est à dire, d’une prétendue inexistence de l’ordre moral objectif, transcendant l’homme, qui impose un lien à sa conscience. La liberté de culte, dans ce sens, signifie que tous les cultes sont égaux, avec la prétention que l’Etat autorise et légitime de manière égale tous les cultes. En bref, ce qui le Syllabus condamne dans le texte cité, c’est une conséquence pratique de l’indifférentisme religieux, qui est également incompatible avec la doctrine rappelée explicitement par DH, 1 : la véritable religion se trouve seulement dans l’Eglise catholique.

Il ne faut donc pas confondre la liberté religieuse avec l’indifférence religieuse ou le syncrétisme [43]. Comme on l’a déjà rappelé précédemment, le droit à la liberté religieuse n’est pas fondé sur une prétendue égalité de la personne humaine, qui a le droit et le devoir de chercher la vérité librement et sans contraintes externes (cf. DH, 2/b). En d’autres termes, la liberté civile et sociale en matière religieuse, dont parle DH, est un concept juridique qui exprime tout autant la dignité de la personne qui l’obligation de chercher la vérité ou la manifestation du fait que l’unique vraie religion est la Religion Catholique.

Il n’y a donc pas de contradiction entre les enseignements de Pie IX et ceux de DH, car ils ne traitent pas du même problème, bien que les expressions utilisées, hors de leur contexte, puissent le laisser croire.

Une interprétation de DH dans la ligne de “l’agnosticisme religieux de l’Etat”, ni du “naturalisme de l’Etat’, ou du “positivisme juridique” n’a pas non plus de fondement. En effet, quand on affirme que l’Etat n’est pas compétent pour émettre un jugement sur la vérité ou la fausseté des croyances religieuses, il faut comprendre cela sans le sens indique par Léon XIII et Pie XI, c’est à dire, que l’Etat en tant que tel n’a aucune compétence dans l’ordre surnaturel ; dans cet ordre, la compétence appartient exclusivement à l’Eglise :

“Quidquid igitur est in rebus humanis quoquo modo sacrum, quidquid ad salutem animorum cultumve Dei pertinet, sive tale illud sit natura sua, sive rursus tale intelligatur propter causam ad quam refertur, est omne in potestate arbitrioque Ecclesiae : cetera vero, quae civile et politicum genus complectitur, rectum est civili auctoritati esse subiecta” [44].

[Traduction : « Par conséquent, tout ce qui, au sein des affaires humaines, est sacré de quelque manière que ce soit, tout ce qui se rapporte au salut des âmes ou au culte de Dieu par sa propre nature, ou est compris comme tel en raison de la cause à laquelle il se réfère, est tout au pouvoir et à la discrétion de l’Église : mais il est juste que le reste, questions civiles et politiques incluses, soit soumis à l’autorité temporelle (civile). ».]

On ne pourrait défendre la liberté et l’autonomie de l’Eglise sans défendre ce principe.

Mais ceci ne veut pas dire que l’Etat en tant que tel n’ait pas d’obligations vers Dieu et envers l’Eglise ni que la liberté de l’Eglise en face de l’Etat soit identique à la simple liberté civile, d’ordre purement naturel, dont bénéficient tous les citoyens en matière religieuse.

En effet, la doctrine de DH ne défend pas “l’agnostisicisme religieux de l’Etat” : les gouvernants, en tant que gouvernants et non seulement en tant qu’hommes, doivent chercher la vérité et y adhérer (cf. DH, 1), et faire en sorte que l’Etat favorise la véritable religion, c’est à dire, la religion catholique. DH ne dit pas que l’Etat ne puisse tenir compte de la distinction entre la religion catholique et les autres religions (par exemple, en accordant une reconnaissance particulière à l’Eglise, en contribuant à la subsistance du clergé etc.) doit faire pour satisfaire à ses devoirs envers Dieu, mais ce que l’Etat ne peut faire vis à vis de la conscience humaine. De fait, comme il a déjà été dit, DH n’exclut pas la confessionnalité de l’Etat. Ce qu’affirme DH, c’est que l’Etat ne peut contraindre personne en matière religieuse, à moins que les manifestations externes de ces religions ne dépassent les limites indiquées par DH, 7.

Il convient d’autre part de tenir compte du fait que la soumission au Règne du Christ ne signifie pas que l’Etat et l’Eglise s’unissent de telle manière que disparaisse la distinction de nature, mission et fonctions entre les deux. Soumettre tout le créé, en particulier les nations et les Etats, au Christ, signifie informer par l’esprit chrétien toutes les réalités terrestres (qui n’est pas évidemment pas la même chose que de les soumettre à la juridiction ecclésiastique), et ne signifie pas une réglementation juridique unique et déterminée des relations entre l’Eglise et l’Etat.

La liberté religieuse, telle que l’entend DH, a un fondement solide, non dans une conception naturaliste de l’Etat, mais dans la dignité de la personne humaine et dans l’obligation de celle-ci de chercher et d’adhérer à la véritable religion (cf. DH, 2). En outre, il faut tenir compte du fait que la doctrine de Léon XIII et Pie XI selon laquelle le pouvoir de l’Etat est limité à l’ordre naturel, n’est pas équivalente à une “conception naturaliste de l’Etat”. Ce que l’on appelle “conception naturaliste de l’Etat” est basé sur la thèse contenue dans la proposition 3 condamnée dans le Syllabus [45], alors que dans DH on affirme expressément le contraire, à savoir que la norme suprême de la vie humaine est la loi divine, éternelle, objective et universelle, par laquelle Dieu gouverne et ordonne tout l’univers et la société humaine (cf. DH, 3).

De plus, la doctrine de DH n’a rien à voir avec le positivisme juridique ; au contraire, elle met une limite à la prétendue toute puissance législative de l’Etat, sur la base d’un droit naturel dérivé de la dignité de la personne (cf. DH, 1/a).

« His suppositis, argumentum pro libertate religiosa primum haurit schema ex ratione. Ad hoc argumentum construendum appellat ad auctam hominis hodierni conscientiam dignitatis personae atque ad libertatis civilis postulationem, quae exinde profluit. Notandum vero est, argumentum non fundari in nudo facto huiusmodi crescentis conscientiae, neque in nudo facto postulationis libertatis civilis, acsi Ecclesia quasi cederet opinioni publicae vel positivismo cuidam iuridico indulgeret. Quod absit. E contra, fundatur argumentum in veritate de dignitate personae, quam conscientia hodierna manifestat, ac proinde in iustitia ipsa, qua postulatur libertas personae debita » [46].

[Traduction : « Avec ces suppositions, l’argument en faveur de la liberté religieuse est d’abord tiré de la raison. Pour construire cet argument, il fait appel à la conscience accrue de l’homme moderne de la dignité de la personne et à l’exigence de liberté civile qui en découle. Il faut cependant noter que l’argument ne se fonde pas seulement sur cette prise de conscience, ni uniquement sur l’exigence des libertés civiles, comme si l’Église devait céder à l’opinion publique ou se livrer à un certain positivisme juridique. Tout cela est exclu. D’autre part, l’argument (en faveur de la liberté religieuse) est fondé sur la vérité et sur la dignité de la personne, que révèle la conscience moderne, et donc sur la justice elle-même, qui exige la liberté dûe à chaque individu. ».]

La Relatio de modis a Patribus propositis déclarait d’autre part que la raison pour ne pas admettre certaines modifications avait été le souci d’éviter que la liberté religieuse ne puisse apparaître comme un droit civil uniquement positif :

« Pro libertate ipsius Ecclesiae Catholicae eiusque munere divino adimplendo haec affirmatio iuris unice positivi summe periculosa esset. lus positivum civile a legislatore civili conditur. Si libertas Ecclesiae dependere dicitur a voluntate legislatoris, quid fiet in societatibus civilibus ubi legislator est Ecclesiae hostilis vel ubi non fit distinctio inter religionem (non-christianam) et statum ? – Nonne sic de facto libertas et sacra independentia Ecclesiae Christi committitur voluntati brachii saecularis ? In declaratione conciliari attendendum.
Si haec dicimus, exinde tamen non est concludendum quod haec Synodus libertam religiosam propter solaro Ecclesiae Catholicae utilitatem admittit. In nostra declaratione explicite affirmatur immunitatem ab externa coercitione exigi ipsa veritate i. e. ipsa hominis natura. Fundatur enim in dignitate humanae personae a Deo ad suam imaginem dotatae libero arbitrio et personali responsabilitate » [47].

[Traduction : « Pour la liberté de l’Église catholique elle-même et l’accomplissement de son rôle divin, l’affirmation d’une loi purement positive serait extrêmement dangereuse. Une loi civile positive est établie par un législateur civil. Si la liberté de l’Église devait dépendre de la volonté de ce législateur, que se passera-t-il dans les sociétés civiles où le législateur est hostile à l’Église ou où aucune distinction n’est faite entre la religion (non chrétienne) et l’État ? – La liberté et l’indépendance sacrée de l’Église du Christ ne seraient-elles pas confiées à la volonté du bras séculier ? Dans la déclaration conciliaire, il faut faire attention à cela.
Si nous disons ces choses, il ne faut pas non plus en conclure que ce synode admet la liberté religieuse au seul profit de l’Église catholique. Dans notre déclaration, il est explicitement affirmé que l’immunité contre la coercition extérieure est exigée à la fois par la vérité et la nature même de l’homme. Elle se fonde sur la dignité de la personne humaine dotée par Dieu, à son image, du libre arbitre et de la responsabilité personnelle ».]

Enfin, il faut tenir compte du fait que l’immunitas ab externa coercitione en matière religieuse, telle que la comprend DH, se réfère au domaine social et civil. Pour cette raison, en particulier, faites par le Christ, et d’autres au sujet épisodes des réprimandes similaires du Nouveau Testament, la Commission Conciliaire a précisé que, dans DH, ne sont pas traités les problèmes de la vie intra-ecclésiale (relation des fidèles entre l’autorité ecclésiastique) :

« Exempla et verba allata contra textum, ex Novo Testamento (et etiam pluria ex Vetere Testamento) sumpta, aut vitam religiosae communitatis Israël internam, in qua Jesus et Apostoli vixerunt, aut vitam intra-ecclesiasticam primaevae communitatis christianae spectant. De qua vita non agitur in Declaratione » [48].

[Traduction : « Les exemples et les mots cités dans le texte, tirés du Nouveau Testament (et de l’Ancien), se réfèrent soit à la vie interne de la communauté religieuse d’Israël, dans laquelle Jésus et les Apôtres ont vécu, soit à l’intra – la vie ecclésiastique de la communauté chrétienne primitive. Laquelle vie n’est pas discutée dans la Déclaration. ».]

On peut également le voir de manière plus détaillée dans la réponse au modo suivant :

« post ‘confirmet’ addatur ‘Insuper non solum ius, sed etiam officium habet Ecclesia iis qui ei libere subiecti sunt doctrinam suam et disciplinam imponere vi auctoritatis et cum sanctionibus. Haec coactio genuinae libertati minime opponitur, potius favet ; ita enim agebat Christus, dum saepe saepius dure reprehendebat, quod non crederent, eos qui debebant veritatem agnoscere : Qui vero non crediderit condemnabitur (Mc 16, 16)’.
R./ Non admittitur, cum hic non agatur de officio, libertatis se de iure Ecclesiae neque de quaestione in ipsa Ecclesia. Praeterea actio descripta Ecclesiae non est vocanda coactio » [49].

[Traduction : « Après ‘confirme’, il faut ajouter : ‘En outre, l’Église a non seulement le droit, mais aussi le devoir d’imposer sa doctrine et sa discipline à ceux qui lui sont librement soumis par la force de l’autorité et avec des sanctions.’ Cette coercition ne s’oppose nullement à la liberté véritable, mais la favorise plutôt ; car c’est ainsi que le Christ s’est comporté, tandis qu’il réprimandait souvent durement ceux qui auraient dû reconnaître la vérité pour ne pas croire : ‘Mais celui qui ne croira pas sera condamné (Mc 16, 16)’ ».
R./ Proposition non admise : La déclaration ne porte pas sur le devoir (des catholiques), ni sur l’affranchissement de la loi de l’Église, ni sur la vie au sein de la communauté ecclésiale elle-même. De plus, l’action de l’Église décrite (ci-dessus) ne peut être qualifiée de coercition. ».]

En conclusion, il est parfaitement conforme aux enseignements de DH que les normes morales et les normes civiles justes soient accompagnées de sanctions. Ce que l’on admet dans la Déclaration, c’est que l’erreur en matière de foi, là où elle est imputable subjectivement, mérite un châtiment de la part de Dieu et de l’Église [50], mais non de la part de l’État, à moins que cette erreur ne consiste en une infraction à l’ordre public juste.

4. Sur la comparaison de Quanta cura et de Dignitatis humanae

Les propositions condamnées par Pie IX dans l’Enc. Quanta cura et les affirmations correspondantes de DH, entre lesquelles on pourrait avoir l’impression qu’existe une identité ou une relation de nécessaire implication, sont les suivantes :

I)

Proposition condamnée par « Quanta cura » : « La meilleure condition de la société est celle où on ne reconnaît pas au pouvoir l’office de réprimer par des peines légales les violateurs de la religion catholique, si ce n’est lorsque la paix publique le demande » (ASS 3 (1867) p. 162).

Enseignement de « DH » : « En matière religieuse, que nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience, ni empêché d’agir selon sa conscience, en privé et en public, seul ou associé à d’autres, dans les justes limites » (DH, 2/a).

II)

Proposition condamnée par « Quanta cura » : « La liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme, qui doit être proclamé et garanti dans toute société correctement constituée » (ASS 3 (1867) p. 162).

Enseignement de « DH » : « La personne humaine a droit à la liberté religieuse. (…) Ce droit de la personne humaine à la liberté religieuse doit être reconnu dans l’ordre juridique de la société, de manière à ce qu’il constitue un droit civil » (DH, 2/a).

Malgré les apparences, il n’existe aucune incompatibilité entre les condamnations de Quanta cura et les enseignements de DH. Pour comprendre les raisons qui justifient cette réponse, il convient de rappeler que la question ici posée a été prise en compte dans l’élaboration de DH dès les premiers schémas, présentés dans la Salle conciliaire, qui signalaient la continuité avec la doctrine antérieure. Les explications apportées par le Relator contribuent à mettre en évidence le sens dans lequel les Pères comprenaient les termes employés par la Déclaration, et selon lesquels ils l’approuvèrent :

« Haec modo iam via sternitur ad rectam intelligentiam plurium documentorum pontificalium quae saeculo XIX de libertate religiosa talibus verbis egerunt ut huiusmodi libertas damnanda esse videretur.
Exemplum clarissium habetur apud Pium IX in Encyclica Quanta cura, in qua legitur : ‘ils ne craignent pas de soutenir cette opinion erronée (savoir : « naturalisme »), funeste au maximum pour l’Église catholique et le salut des âmes, que Notre Prédécesseur Grégoire XVI, d’heureuse mémoire, qualifiait de « délire » : » La liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme. Ce droit doit être proclamé et garanti par la loi dans toute société bien organisée. ».’ (A.S.S. 3, 1867, p.162).
Ut videre est, damnatur libertas ista conscientiae propter ideologiam, quam praedicaverunt rationalismi fautores, hoc fundamenta innixi, quod individua conscientia exlex est, ut nullis sit normis obnoxia divinitus traditis (cf. Syllabus, prop. 3, A.S.S 3, 1867, p.168). Damnatur quoque ista libertas cultus, cuius principium est indifferentismus religiosus (cf. Syllabus, prop. 15, ibid., p.172), secundum quod ipsa Ecclesia intra organismum monisticum Status incorporanda et potestati supreme Status subicienda esset.

Ut hae damnationes exacte interpretentur, in ipsis cernenda est constans illa Ecclesiae doctrina atque sollicitudo de humanae personae vera dignitate atque de eius vera libertate (regula continuitatis). Etenim fundamentum ultimum dignitatis humanae in eo est, quod homo est Dei creatura. Non est ipse deus sed Dei imago. Ex hac absoluta dependentia hominis a Deo profluit omne ius officiumque hominis ad vindicandam sibi et aliis veri nominis libertatem religiosam. Ideo homo nullatenus est ab aliis hominibus vel etiam a potestate publica in re religiosa interdicendus a libero exercitio religionis, ne eius absoluta a Deo dependentia quavis ratione infringatur.
Certatem igitur committendo contra laicismi placita cum philosophica tum politica, Ecclesia pro dignitate personae humanae et pro eius vera libertate omni ratione dimicabat. Ex quo sequitur, quod Ecclesia iuxta regulam continuitatis cum olim tum hodie, quantumvis mutatis rerum condicionibus, sibi plane consentiat » [51].

[Traduction : « De cette manière, est ouverte la voie à une compréhension correcte des nombreux documents pontificaux qui, au XIXème siècle, traitaient de la liberté religieuse dans des termes tels qu’il semblait que ce type de liberté devait être condamné.
On en trouve un exemple clair dans l’encyclique Quanta cura de Pie IX, où il est dit : « Grégoire XVI, d’heureuse mémoire, qualifie de ‘délire’ (la proposition selon laquelle) : ‘La liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme. Ce droit doit être proclamé et garanti par la loi dans toute société bien organisée.’. » (Ass 3, 1867, p.162).
Comme on le voit, cette liberté de conscience est condamnée en raison de l’idéologie prônée par les tenants du rationalisme, fondée sur le fait que la conscience individuelle est choisie de telle sorte qu’elle n’est soumise à aucune norme divinement transmise (cf. Syllabus, prop. 3, ASS 3, 1867, p.168). Est également condamnée la liberté religieuse dont le principe est l’indifférentisme religieux (cf. Syllabus, prop. 15, ibid., p.172), et selon lequel l’Église elle-même devrait être incorporée dans l’organisme moniste de l’État et soumise au pouvoir temporel.

Pour que ces condamnations soient correctement interprétées, il est nécessaire d’y voir l’enseignement constant de l’Église et son souci de la vraie dignité de la personne humaine et de sa vraie liberté (règle de continuité). En effet, le fondement ultime de la dignité humaine réside dans le fait que l’Homme est une créature de Dieu. Il n’est pas Dieu lui-même mais l’image de Dieu. De cette dépendance absolue de l’homme vis-à-vis de Dieu découle tous les droits et devoirs de l’homme de revendiquer pour lui-même et pour les autres la liberté religieuse. Pour cette raison, l’Homme ne doit pas être interdit du libre exercice de la religion par d’autres Hommes ou même par l’autorité publique, de peur que sa dépendance absolue à l’égard de Dieu ne soit atteinte à quelque titre que ce soit.
Engageant donc son infaillibilité contre les conventions philosophiques et politiques du laïcisme, l’Église s’est battue pour la dignité de la personne humaine et pour sa véritable liberté à tous égards. Il s’ensuit que cette dernière, selon la règle de continuité entre le passé et le présent, si changées que soient certaines conditions (d’application de sa doctrine), s’accorde clairement avec elle-même. ».]

Il est donc nécessaire d’affirmer que les deux propositions de l’Enc. Quanta cura déjà citées ont une signification différente des deux propositions correspondantes de DH.

Il est certain que les erreurs mentionnées par l’Enc. Quanta cura furent condamnées en elles mêmes, et non seulement en raison des circonstances historiques de l’époque. Cependant, il convient d’avoir bien présent à l’esprit quelles étaient ces erreurs, pour comprendre correctement les termes sous lesquels elles sont désignées dans l’Encyclique. On voit ainsi que l’on se trouve en présence d’un cas – qui n’est pas unique dans l’histoire – où est condamné une doctrine exprimée avec des mots qui, plus tard, seront utilisés par l’Église elle-même en leur donnant une signification différente.

On peut trouver d’autres cas de contradictions apparentes entre des textes du Magistère. L’exemple le plus ancien est peut-être celui du mot consubstantiel, rejeté par le Concile d’Antioche en 264, dans le sens modaliste que lui avait donné Paul de Samosate, qui l’utilisait pour nier la distinction réelle entre les Personnes du Père et du Fils. Il fut ensuite adopté par le Concile de Nicée en 325, dans un sens différent, le seul correct, défini par le Concile lui même [52]. Dans l’Écriture Sainte, elle-même, on peut trouver des exemples de ce type. Les paroles du Seigneur : « Le Père et moi, nous sommes UN. » (Jn, 10, 30) peuvent paraître – à qui ne lit pas la Sainte Écriture in sinu Ecclesiae – incompatibles avec l’affirmation « le Père est plus grand que moi. » (Jn, 14, 28). De même, les textes du Magistère, de manière analogue à ceux de la Sainte Écriture, doivent être lus in sinu Ecclesiae, en évitant l’interprétation libre [53].

Dans le cas qui nous occupe, l’expression « liberté de conscience et de culte » dans l’Enc. Quanta cura et l’expression « liberté religieuse » dans la Décl. Dignitatis humanae désignent des réalités différentes. Comme le signale l’Enc. Quanta cura, les propositions condamnées sont le résultat de l’application « à la société civile du principe impie et absurde appelé naturalisme » [54].

Ce principe affirme que « La raison humaine, considérée sans aucun rapport à Dieu, est l’unique arbitre du vrai et du faux, du bien et du mal : elle est à elle-même sa loi, elle suffit par ses forces naturelles à procurer le bien des hommes et des peuples » [55] ; et que « Toutes les vérités de la religion découlent de la force native de la raison humaine ; d’où il suit que la raison est la règle souveraine d’après laquelle l’homme peut et doit acquérir la connaissance de toutes les vérités de toute espèce » [56]. Dans ce contexte doctrinal, la relation entre la raison humaine et la vérité en général, et celle entre la raison humaine et la vérité particulière à la religion et au culte, sont définies d’une seule manière : autonomie ou liberté. Ainsi, la liberté de conscience et de culte condamnée par Pie IX signifie-t-elle qu’il « est loisible à chacun de professer telle religion qu’il lui plaît, ou même de n’en professer aucune. » [57].

Les Pontifes Romains (en particulier Pie IX et Léon XIII) enseignent justement qu’il n’est pas licite de revendiquer un droit ou une faculté morale (le pouvoir éthiquement légitime) d’adhérer intérieurement à une religion erronée, ni la faculté morale de la pratiquer extérieurement. Aucun gouvernant ne peut établir ni décréter un droit de liberté de conscience ou de cultes, ce qui consisterait à prétendre créer la possibilité morale d’adhérer à n’importe quel culte. La vérité que l’homme est obligé de chercher et le culte véritable que l’homme est obligé de pratiquer, ne sont créés ni par la raison individuelle ni par le pouvoir politique, mais transcendent ces deux instances humaines.

Comme on l’a déjà rappelé dans les pages précédentes, Léon XIII et Pie XII enseignent aussi que, dans certaines circonstances un culte erroné peut être toléré, c’est-à-dire, ne pas être empêché par la contrainte [58]. Cette tolérance civile ne lui est pas due en justice à titre de culte. La tolérance ne sanctionne pas non plus ni ne crée de faculté morale d’exercer une culte erroné (elle ne le rend pas éthiquement légitime). En vertu de la tolérance, sans avoir la faculté morale d’agir mal, on peut avoir le droit civil de ne pas être empêché par la contrainte, si le dispose ainsi une loi civile base de manière suffisante sur des motifs raisonnables : à savoir, obtenir un bien supérieur, ou éviter un mal plus grave [59]. La tolérance n’équivaut pas à concéder à l’erreur une légitimité morale.

La pratique de la tolérance correspond, en dehors des raisons énoncées, à la nature même de l’acte de foi. « C’est d’ailleurs la coutume de l’Eglise de veiller avec le plus grand soin à ce que personne ne soit forcé d’embrasser la foi catholique contre son gré, car, ainsi que l’observe sagement saint Augustin, l’homme ne peut croire que de plein gré » [60]. Aussi, Léon XIII et Pie XI ont distingué l’erreur de la liberté de conscience et de la légitime liberté des consciences [61].

Toute cette doctrine reste inchangée dans la Décl. Dignitatis humanae, bien qu’il y ait un progrès doctrinal et un changement dans le point de vue selon lequel on aborde le problème. Dans DH :

a) on affirme l’obligation de chercher la vérité en matière religieuse et morale, et on n’admet aucun type de liberté de conscience, entendue comme autonomie éthique ;

b) on n’admet pas non plus l’autonomie religieuse : l’unique vraie religion est celle de l’Église Catholique (cf. DH, 1). En conséquence, la doctrine sur la relation entre l’homme et la vérité en matière religieuse et morale reste inchangée par rapport à la doctrine traditionnelle ;

c) le point de vue de DH, fondamentalement juridique, amène à examiner les relations interpersonnelles entre les hommes et entre l’homme et l’État. La contrainte civile (nécessité ab extrinseco) en matière religieuse est exclue par la nature même de la personne, par la nature et l’acte de foi, par la nature personnelle de l’obligation et de la responsabilité en relation avec la vérité, en aucune manière sur la base d’une prétendue indifférence de l’homme vis-à-vis de la religion ou d’une égalité entre tous les cultes. Dans ce sens – différent de celui de l’Enc. Quanta cura –, on peut parler de droit naturel à la liberté religieuse. C’est un droit négatif qui indique à l’État et à la personne ce qu’ils ne doivent pas faire à un autre homme en matière religieuse et sur le plan civil, mais ne légitime en aucune matière sur le plan moral et religieux ce que fait chacun dans sa sphère de responsabilité personnelle. DH ne prétend ni créer ni concéder aucune faculté morale à l’erreur ou à l’adhésion à l’erreur de la part du sujet.

L’Enc. Quanta cura condamne ceux qui osent « soumettre à la discrétion de l’autorité civile l’autorité suprême attribuée par le Christ Notre Seigneur à l’Église et à ce Siège Apostolique » [62]. L’évolution même du noyau doctrinal du rationalisme va d’une présentation initiale individualiste à une image collectiviste ou totalitaire de l’homme. Pour cette raison, les Pontifes Romains ont insisté chaque fois davantage sur le fait que le bien commun nécessite avant tout le respect de la dignité et des droits de la personne, créée à l’image de Dieu, qui jouit d’une destinée personnelle éternelle [63].

Dans les conditions actuelles, l’insistance sur la transcendance du domaine religieux considéré en lui-même, vis-à-vis des compétences du pouvoir politique, correspond d’une part à la vérité enseignée traditionnellement par l’Église, et, d’autre part, est nécessaire pour sauvegarder la liberté des catholiques et de l’Église elle-même. Le statut commun de liberté religieuse sur le plan civil et social est le minimum nécessaire dont a besoin l’Église pour accomplir sa mission divine, ce qui ne veut pas dire – comme on l’a dit précédemment – que ce minimum soit le seul possible ou le plus avantageux pour l’Église. Dans DH, 6, on contemple la possibilité d’une reconnaissance particulière et d’une collaboration qui, à son tour, doivent éviter les comportements juridiques exclus par la nature même de la personne et du domaine religieux. De fait, l’existence de Concordats entre le Saint-Siège et certains États place les relations Église-État au dessus du simple régime de liberté religieuse sur le plan civil et social. Un autre problème est celui de la valeur de chaque Concordat en particulier, qui pourra dépendre des circonstances dans lesquelles il a été établi, et des personnes qui sont intervenues dans sa réalisation.

IV. Conclusion

Au terme de cette argumentation, je pense que l’on peut admettre comme suffisamment fondée la conclusion suivante : il n’existe pas de motifs suffisants pour justifier en conscience une mise en doute de la compatibilité et de la doctrine de la Déclaration Dignitatis humanae et le Magistère antérieur.

Il faut cependant noter que les explications données dans ces pages, contiennent nécessairement des aspects théologiques discutables. Une fois démontré qu’il n’y a pas de motif suffisant pour affirmer qu’il y ait une contradiction, demeure la possibilité d’une étude ultérieure de ce problème, dans le but d’expliquer d’une manière encore plus parfaite l’existence et de la compatibilité et de la continuité : c’est-à-dire, de quarere rationem quomodo sit, et non pas quomodo non sit, ce qui est enseigné par l’Église .