AveMaria44
390

De Luther à Kasper

Le 13 janvier 2024, le courageux évêque néerlandais Rob Mutsaerts, dans son article intitulé "Cette diabolique ambiguïté" (Die duivelse ambiguïteit), a retracé les étapes de la protestantisation et de la démolition du catholicisme aux Pays-Bas. Avec un grand scandale, il a vu dans Fiducia Supplicans et dans l'autorisation de bénir les couples de même sexe qui en découle, cette "théorie de la pratique" qui, en exploitant la soi-disant "théologie pastorale", déformerait sournoisement la doctrine catholique. Et en quelques traits de plume, il a souligné les responsabilités "théologiques" du cardinal Fernandez qui serait, avec l'aval de Bergoglio, l'éditeur non seulement de Fiducia Supplicans, mais aussi "l'auteur fantôme" de l'infâme Amoris Laetitia, le document tout aussi déroutant qui a en fait ouvert toutes grandes les portes de la communion sacrilège aux divorcés "remariés" du monde entier.

Il existe une continuité indéniable entre ces deux documents qui doivent être lus ensemble. Ils apparaissent - et ils le sont - confus et verbeux, mais en même temps ils suivent une logique assez précise, enfants qu'ils sont de la (pseudo) théologie de dérivation luthérienne, qui a eu en Walter Kasper son champion (que François n'a pas défini par hasard comme "un bon théologien" dans son premier Angelus, où il a annoncé la future empreinte du gouvernement et a remercié les partisans de l'élection). En d'autres termes, les approximations théologiques auxquelles la pastorale de Bergoglio
ne sont pas simplement le fruit d'une ouverture d'esprit bon enfant et grotesque, qui voudrait embrasser tous les pauvres pécheurs abusés par la rigidité d'un certain moralisme catholique, mais sont cohérentes avec la luthérisation la plus lucide et la plus méthodique du catholicisme dans une tonalité kaspérienne.

Nous avons écrit que la pratique de la bénédiction des couples homosexuels a sans doute quelque chose de satanique (Sur l'abominable Déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi aujourd'hui), puisqu'avec sa "sanctification" de la stabilité du péché, elle éloigne en fait la conversion et accomplit ce renversement du plan du salut qui plaît tant au prince des ténèbres. La même chose s'est produite - même si la soumission ouverte à l'homosexualité n'était pas encore évidente - avec Amoris Laetitia et l'ouverture de la communion aux divorcés "remariés". Dans cet article, nous voudrions reproposer notre réflexion sur les racines luthériennes de certains documents récents, dont le dernier, Fiducia supplicans, qui, à partir de son titre, n'acquiert sa cohérence logique que dans la théorie de la justification de Martin Luther - comme nous l'avons écrit pour Amoris Laetitia - et finit par impliquer l'ensemble du dogme catholique jusqu'à l'ecclésiologie et la sacramentaire (cf. L'arrière-plan inquiétant de la proposition Kasper ; L'Eucharistie selon Kasper (II) ; Le "projet Kasper" et l'attaque contre la constitution divine de l'Église).Si l'on se réfère à notre article L'influence de Luther derrière la thèse de Kasper du 21 décembre 2014, lorsque ces questions se sont posées au Synode sur la famille, on peut résumer que, dans la conception luthérienne, le salut a lieu " sans mérite " parce que " l'homme est justifié par l'imputation de la justice du Christ, appliquée également par la foi "1, c'est-à-dire par la " foi ", la soi-disant " foi-foi " luthérienne.

"C'est-à-dire que celui à qui les mérites du Christ sont imputés - et qui serait donc un homme juste - n'est pas renouvelé par la grâce sanctifiante, n'est pas revêtu de la robe blanche après s'être débarrassé du vêtement sale du péché, n'est pas une âme nouvelle, un "homo novus", mais est une "charogne" (les termes sont luthériens) qui est "enveloppée" dans le manteau blanc des mérites du Christ tout en demeurant "pourrie" à l'intérieur. Restant dans l'image, il est quelque chose d'abominable à l'intérieur - "peccator" - mais on lui impute extrinsèquement les mérites du Christ qui le rendent en quelque sorte "simul iustus". Il peut donc, sans renoncer à son péché, être "juste". Le salut se fait donc sans mérite et sans besoin de bonnes œuvres, sans conversion. "Pour le luthérien, peu importent l'état réel de l'âme, ses dispositions, ses efforts et surtout ses sacrifices, soutenus par la grâce coopérante, pour éviter le péché ou s'en amender ; ce qui compte, c'est une foi illusoire - la foi en son propre salut, indépendamment de l'application de sa volonté, de ses mérites et surtout, en fait, du difficile sacrifice de soi et de ses caprices. Cette corruption radicale a conduit Luther à la théorisation d'un salut "sola fide", une "foi" dont la notion - qui a envahi le monde catholique aujourd'hui - est fausse, car il ne s'agit pas d'une foi dogmatique, pour laquelle l'adhésion au contenu de la Révélation est essentielle, mais d'une foi-foi dans laquelle ce qui compte est l'aspect "sentimental", si l'on peut dire. Donc "pécher fortement, mais croire encore plus fortement" ("pecca fortiter, sed crede fortius"), c'est-à-dire que plus on est endurci dans le péché, plus on continue à pécher et plus on démontre sa confiance absolue et complète dans les mérites du Christ, seuls capables de sauver, indépendamment du libre arbitre de l'homme, qui ne peut rien faire d'autre qu'"espérer" fortement. "Pécher fortement, mais croire encore plus fortement", c'est-à-dire que si l'état de pécheur et d'ennemi de Dieu est permanent et s'il l'est et le sera inexorablement, s'il ne reste que la justification imputée par le Christ, qui recouvre l'homme de son manteau blanc, une pourriture pécheresse incapable de mérite volontaire, il ne reste plus qu'à continuer à pécher, ou mieux encore à se stabiliser dans le rejet de la loi morale de Dieu, en péchant encore plus "2.

Pécher encore plus, certes, mais avec confiance, dirait le luthérien. Et ce n'est pas un hasard si le titre de l'abominable document qui innocente effectivement l'homosexualité est précisément "Fiducia supplicans". Il évoque ainsi cette Foi-Fucie luthérienne qui semble être le fil conducteur du raisonnement, mais qui reste cachée. L'âme, imprégnée de " confiance suppliante " en Dieu, ne se préoccupe plus d'invoquer la grâce pour sa conversion, rendant ainsi le salut compatible avec une vie nouvelle, mais doit se défaire de sa sentimentalité suppliante en voulant s'installer inexorablement dans le péché, voire en " épousant " des hommes ou des femmes et en voulant continuer à mener une telle vie. Car, pour le luthérien (et pour certains émules modernistes qui ont envahi l'Eglise...), si l'homme est plongé dans le péché grave, mais qu'il est en même temps justifié par Dieu sans avoir besoin de changer de vie, il n'y a plus qu'à multiplier les actes qui ravivent cette Confiance suppliante. À ceux qui objecteraient que les termes des documents ne sont pas aussi crus, on répondra qu'il ne faut pas oublier les vieilles tactiques du modernisme et l'astuce politique qui consiste à fournir des prétextes, toujours plus faibles pour la vérité, à ceux qui ne veulent pas voir, et qu'il faut admettre que certains processus conduisent objectivement à certains résultats en raison de l'inexorabilité intrinsèque de la logique des choses.

Et le document ambigu en question nous dit, entre autres, non sans vergogne, que la "bénédiction" du couple homosexuel peut éventuellement avoir lieu lors d'un pèlerinage. Et même cela cache une certaine cohérence luthérienne, puisqu'il est recommandé que l'acte ait lieu lors d'un "événement fort", pour reprendre la terminologie du sentimentalisme moderniste, un événement "qui éveille la foi", indépendamment de la foi surnaturelle dans toute la Révélation et de la résolution dans le bien. Au cours d'un pèlerinage qui, selon la description, serait effectué par le couple homosexuel avec des dispositions si conformes au luthéranisme, que la "bénédiction" peut descendre sur la persévérance ou l'obstination dans le péché, en vertu de la confiance enthousiasmante évoquée qui - "comme un manteau" - couvrirait même le péché contre nature, affiché publiquement sans l'ombre d'une résipiscence Et qu'est-ce que c'est sinon la doctrine luthérienne du simul iustus et peccator, qui condamne le pécheur à faire le mal toute sa vie, qui lui enlève la foi surnaturelle authentique, en l'introduisant en contrebande avec une vaine confiance, qui le condamne à une vie mauvaise sans véritable espoir surnaturel de rédemption, et qui ridiculise en fait la raison pour laquelle Notre Seigneur a versé son sang, c'est-à-dire pour nous rendre semblables à lui par la grâce sanctifiante ? Mais peut-on mépriser davantage le pécheur homosexuel, au point d'en faire - le terme est luthérien - une "charogne" incorrigible, au lieu de lui rappeler qu'il est une âme aimée du Christ qui voudrait sa rédemption de la vie mauvaise et sa véritable sanctification par les bonnes œuvres ?

Disputationes Theologicae

1 A. Piolanti, La communion des saints et la vie éternelle, Rome 1992, p. 533.
2 L’influsso di Lutero dietro la “tesi Kasper”?