Saint du Jour-20 MAI SAINT BERNARDIN DE SIENNE CONFESSEUR (1384-1444)

Bernardin Abbizerchi naquit à Massa, ville du territoire sien-nois, le 8 septembre 1380, l'année même où mourut sainte Catherine de Sienne. Son père, Tollo, avait gouverné Massa.
Charmé de ses vertus, Binda Aveduto lui avait donné en ma-riage sa fille Nera ; mais trois ans après la naissance de son fils, Tollo la perdit, et lui-même la suivit dans la tombe en 1386.
Heureusement le petit orphelin, qui déjà montrait les meil-leures qualités d'intelligence et de piété, trouva dans sa tante Diana et sa cousine Tobia, déjà veuve et tertiaire de Saint-François, deux mères qui l'entourèrent de tendresse et dévelop-pèrent ses heureuses dispositions. Lorsqu'il eut onze ans, Diana étant morte, ses oncles le firent venir à Sienne pour continuer ses études. Il les acheva avec grand succès, mais surtout s'avança dans la pratique des vertus. Il avait une pureté de cœur et de corps qu'il préservait soigneusement des tentations par la pénitence, des attaques du dehors par une résistance parfois vigoureuse et même violente ; car en ce temps de corruption les agressions étaient souvent brutales contre l'innocence même des enfants. Mais il était bien gardé par son amour ingénu autant qu'ardent pour la Reine des Vierges ; il lui avait consacré sa vie et toute son âme. Avec cette gaieté piquante qui fut une de ses caractéristiques, il disait à Tobia un peu émue :
« Je suis très épris d'une noble et très belle dame ; je vais la voir matin et soir ; je ne pourrais prendre mon repos, si je ne l'avais d'abord saluée. » Tobia, confiante cependant en celui qui l'appelait sa mère, fut assez intriguée pour surveiller attentive-ment les sorties du jeune homme. Et elle le vit ainsi arriver près d'une porte de la ville, la porte Camollia ; au-dessus de la voûte, une Vierge était peinte, qui montait au ciel, entourée d'anges chantant, dansant, jouant des instruments de musique.
Bernardin s'agenouillait, la contemplait avec une ferveur ravie, lui adressait sa prière, hommage de filiale tendresse.
Une autre de ses tantes, Bartholomea, lui enseigna la dévo-tion au saint Nom de Jésus, qu'elle-même ne pouvait entendre sans un tressaillement de joie ; et d'elle sans cloute vint à Ber-nardin le culte de ce Nom adorable qui fut une des forces, la plus efficace peut-être, de son apostolat.
Le jeune homme avait dix-huit ans lorsque soudain la peste éclata à Sienne avec une violence inaccoutumée, même en ces temps trop habitués à ses redoutables attaques. L'hôpital était rempli de mourants ; ceux qui les soignaient tombaient en si grand nombre, que l'on ne savait comment les remplacer. Le directeur, découragé, croyait n'avoir plus d'autres ressources que d'abandonner les malades à la sainte Vierge leur patronne, lorsque Bernardin se présenta ; il s'offrait à se charger, avec quelques amis, du service de l'hôpital. « Si Dieu veut que je succombe, dit-il, j'accepte avec joie cette mort ! » Jusqu'à la fin de l'épidémie, pendant quatre mois, il dépensa près des pes-tiférés une charité qui ne reculait devant aucune fatigue ni aucun danger.
Alors, en récompense, Dieu l'appela à son service ; il lui ouvrit les portes du couvent des Frères Mineurs de San-Fran-cesco. C'était le 8 septembre 1402 ; Bernardin remarquait plus tard avec attendrissement que cette date, qui ramène le souvenir de la naissance de la sainte Vierge, était celle des principaux événements de sa vie. Il resta peu de temps à San-Francesco. Deux mois après, avec la permission de ses supé-rieurs, il passait au couvent de Colombaio, situé à quelque dis-tance de la ville. Outre l'avantage de l'éloigner de sa famille, ce couvent lui offrait celui, plus précieux encore, d'être petit et pauvre et d'appartenir à l'Observance, c'est-à-dire à la Ré-forme, qui alors commençait à se répandre dans l'Ordre de saint François.
Un an après, le 8 septembre 1403, ayant donné l'exemple de toutes les vertus religieuses, Bernardin de Sienne faisait pro-fession ; un an encore, et le 8 septembre 1404, pour la première fois, il montait au saint autel. Et l'année suivante il était des-tiné à la prédication par le général des franciscains, Antoine-Ange Pireto.
Les premiers temps de son apostolat furent obscurs ; gar-dien du couvent de la Capriola, qu'il venait de fonder, il pré-pare les fécondes années qui suivront. Du reste sa voix grêle, sa poitrine faible semblent un obstacle très sérieux au succès :
la sainte Vierge y pourvoit ; elle lui accorde les forces qui trans-formeront son organe. En 1408, à Alexandrie, il rencontre le grand dominicain saint Vincent Ferrier ; ils ont ensemble un entretien, au lendemain duquel Vincent, prêchant : « 0 mes enfants, s'écrie-t-il, il y a ici un frère mineur qui sera bientôt 40 — SAINTS ET SAINTES DE DIEU. - - I.
Hlustre dans toute l'Italie par sa doctrine et ses exemples,... et c'est pourquoi je retourne en France, lui laissant le soin de vous instruire. » En 1417, Bernardin était gardien du couvent de Fiesole. Une nuit, un novice, après une longue prière, parcourut le couvent en criant : « Frère Bernardin, ne cachez plus les talents que Dieu vous a donnés ; allez prêcher en Lombardie ! » L'appel est entendu. Le jeune gardien, ayant réfléchi, prié, consulté, entre dans la carrière qui s'ouvre à son zèle. Dès lors il sillonnera toute l'Italie, infatigablement, jusqu'à son dernier jour; il sera l'un des plus vaillants apôtres, l'un des plus merveilleux prédica-teurs qu'ait connus le monde chrétien.
Certes le besoin en était grand à cette époque ; on sortait du grand schisme, on entrait dans la Renaissance. Le refroidisse-ment de la foi, suite de celui-là, s'accroissait des tendances païennes et des vices de celle-ci. Contre ces malheurs, contre ces désordres, Bernardin combattit avec toutes les puissances d'une éloquence populaire, hardie, qui ne connaissait nulle crainte, qui à l'occasion ne reculait devant aucune audace-Dans un cadre dogmatique et même scolastique, net, mais souple, se prêtant aux digressions utiles ou délassantes, il déroulait une parole abondante, aisée, familière, pleine de bonne grâce, d'en-train, de gaieté même, alla gagliardoza, comme il disait lui-même. Les récits, les paraboles, les applications morales, toutes pratiques, très variées, se mêlaient aux exhortations ardentes, aux élans d'une âme brûlante, aux appels d'une charité divine.
Comme un torrent, il entraînait les foules de ses auditeurs, réunis souvent en plein air au nombre de vingt ou trente mille, et qui, à défaut de la voix empêchée sans doute d'arriver à eux, se sentaient émouvoir par la seule mimique, expressive, suggestive, de l'orateur. Il parlait deux, trois, quatre heures ;
et l'on conçoit quelle variété de moyens, quelle force d'auto-rité, quelle puissance de persuasion il lui fallait pour tenir ce monde attentif et comme suspendu.
Ainsi allait-il de la Lombardie à la Toscane, de Venise à Gênes, à Milan, à Padoue, à Ferrare, à Florence,,., élevant la protes-tation de la foi contre les vices du temps, remportant les plus signalées victoires : les ennemis s'embrassaient, qui la veille s'égorgeaient ou se bannissaient mutuellement ; les femmes jetaient dans le feu tout l'attirail de leur vanité ; on faisait des bûchers pour consumer sur la place publique les cartes, les dés et les mauvais livres. Les magistrats consacraient par leurs édits les réformes réclamées par l'apôtre. Et quand celui-ci s'éloignait, des multitudes le suivaient, pleurant, acclamant ;
il fallait lever les ponts-levis pour arrêter cette poursuite.
Le grand instrument de conversion et de victoire dont usait Bernardin était une tablette sur laquelle il inscrivait, entouré de rayons, le monogramme du nom de Jésus. Il l'exposait à la vénération publique, il développait la grandeur et la puis-sance de ce nom divin ; on se prosternait devant lui, on l'ado-rait, on le gravait sur les portes des maisons et au fronton des palais publics, on le portait en processions immenses.
Tout ce succès, et particulièrement ce culte ardent du nom de Jésus, n'allaient pas sans rencontrer des oppositions. Soit jalousie, soit zèle mal entendu, il se trouva des hommes pour accuser Bernardin d'hérésie et même d'idolâtrie. Deux fois le pape dut intervenir ; deux fois Martin V et Eugène IV rendirent honneur au zèle comme à l'orthodoxie du saint apôtre. Et de-ce fait la dévotion qu'on voulait étouffer reçut de nouveaux accroissements. Le nom de Jésus fut glorifié en France, en Autriche, en Espagne, comme en Italie. Sainte Colette, sainte Jeanne d'Arc, saint Jean de Capistran, saint Jacques de la Marche, le bienheureux Bernardin de Feltre l'invoquèrent.
En 1530, Clément VII en établit la fête; depuis Innocent XII elle se célébra dans toute la chrétienté. Et c'est peut-être à saint Bernardin de Sienne que saint Ignace de Loyola doit l'idée d'avoir donné à sa compagnie le monogramme divin pour blason.
Cependant, en 1438, Bernardin dut interrompre ses prédica-tions : il venait d'être nommé vicaire général de toute l'Obser-vance ; avec la faveur des papes, il réussit à donner à la Réforme une extension qui la fit non seulement admettre et respecter par les conventuels, mais enfin prédominer dans l'Ordre fran-ciscain tout entier. Avec autant de largeur d'âme que de cha-rité et de fermeté pour les points essentiels, notamment pour la pauvreté et l'humilité, il en fonda l'esprit et en détermina les bases inébranlables.
Mais la prédication l'attirait invinciblement. A force d'ins-tances, il obtint du pape d'être déchargé de ses fonctions de vicaire général. Aussi bien, disait-il, sa vie touchait à son terme.
Néanmoins, libre en 1442, il reprend ses courses apostoliques ;
il retrouve à Milan, à Padoue, à Vicence, à Vérone, ses triomphes d'autrefois. En 1444, il donne à Massa, sa patrie, son dernier carême et prêche cinquante fois. Puis Dieu lui inspire de porter jusqu'au royaume de Naples la parole divine et l'appel à la pénitence. Il part pour ce long voyage, déjà malade, pénible-ment, mais vaillamment, porté sur un âne, puisqu'il ne peut plus marcher. C'était encore trop de fatigue. A sept milles d'Aquila, il faut le mettre dans une litière, et c'est mourant qu'il fait son entrée dans le royaume napolitain.
Il ne le sanctifia que par sa mort. Arrivé le dimanche avant l'Ascension au couvent de l'Observance, malgré les soins et les remèdes âes plus habiles médecins envoyés par les magistrats* la maladie est plus forte. Le mercredi suivant, 20 mai 1444, veille de l'Ascension, ayant reçu > les derniers sacrements, il croisa les bras, leva les yeux au ciel et, l'âme joyeuse à son ordi-naire, le sourire aux lèvres, ridenti similis, il passa « de la pau-vreté de la terre aux richesses célestes, de la misère à la féli-cité éternelle, de la mort à la vie qui ne finira pas ».